Nucléaire : Les frais d'exploitation des centrales trois fois supérieurs à ce que prévoyait EDF il y a quinze ans (Global Chance) 13/3/2012 « Les frais d'exploitation du parc nucléaire français, loin de diminuer de 30 % entre 2000 et 2010 comme le prévoyaient EDF et la DGEMP [direction générale de l'énergie et des matières premières, désormais direction générale de l'énergie et du climat], ont augmenté de 23 % », affirme Benjamin Dessus, président fondateur de l'association d'experts scientifiques Global Chance, mardi 13 mars 2012, ajoutant qu'en 2010, le coût de l'exploitation du parc s'est révélé trois fois supérieur à ce que projetait EDF en 1997. Il dresse ce constat après avoir comparé le rapport de la Cour des comptes sur « les coûts de la filière électronucléaire », publié en janvier dernier (AEDD n°12755), à l' « étude économique prospective de la filière nucléaire », commandée en 2000 par le Premier ministre de l'époque, Lionel Jospin. Benjamin Dessus avait alors été sollicité pour réaliser ce travail prospectif en tant que directeur de recherches au CNRS, aux côtés de Jean-Michel Charpin, alors commissaire au plan, et René Pellat, alors haut commissaire à l'énergie atomique. « Hors impôts et coût du combustible, nous avions évalué à 3,7 milliards d'euros annuels les frais d'exploitation du parc à l'horizon 2010, sur la foi des indications fournies par EDF », précise Benjamin Dessus. La Cour des comptes, dont Global Chance juge le travail « honnête compte tenu des limites imposées par la durée de la mission », estime aujourd'hui ces frais à 5,6 milliards d'euros annuels. « Cette divergence importante mérite d'être méditée. » DES INVESTISSEMENTS DE JOUVENCE 2,8 FOIS PLUS IMPORTANTS QUE PRÉVUS « Avant la parution du rapport et de l'avis de l'ASN sur les évaluations complémentaires de sûreté (AEDD n°12494), EDF prévoyait des investissements importants sur le parc nucléaire historique », de l'ordre de « 50 milliards d'euros dans les années à venir », rappelle Benjamin Dessus dans une note publiée dans le numéro des Cahiers de Global Chance de mars 2012. Cet investissement dit « de jouvence », visant à financer la prolongation du parc actuel, s'élève de fait à « 3,3 milliards d'euros par an », soit un montant « deux fois supérieur à l'investissement actuel et bien supérieur aux investissements de jouvence totaux envisagés par le rapport CDP [Charpin-Dessus-Pellat] en 2000 pour un parc de durée de vie moyenne de 45 ans ». Ce dernier, « sur la foi des indications d'EDF, prévoyait en effet des dépenses futures de 18 milliards d'euros pour les travaux de jouvence », précise Benjamin Dessus. « Les investissements de jouvence actuellement envisagés, hors mise aux normes post-Fukushima, sont donc 2,8 fois plus importants qu'imaginés en 2000 », résume l'ingénieur-économiste. Comment expliquer ce différentiel ? « EDF a été amené à remplacer les équipements plus tôt que prévu », suggère Benjamin Dessus, ajoutant que « les exigences nouvelles en matière de sûreté imposées par l'ASN » ont « probablement » contraint l'exploitant à revoir ces investissements à la hausse. LES COÛTS DE DÉMANTÈLEMENT REVUS À LA HAUSSE En 2000, lorsque le rapport CDP est paru, « les coûts de démantèlement du parc étaient évalués par EDF entre 21 et 24 milliards d'euros », assure l'expert. Après avoir épluché les comptes de l'exploitant, ainsi que ceux d'Areva et du CEA, la Cour des comptes estime le coût du démantèlement des installations nucléaires à 32 milliards d'euros. Soit une hausse de 50 %. Le Cour précise cependant que « les comparaisons internationales qui ont pu être réalisées mettent toutes en évidence que le montant prévu par EDF pour le démantèlement de ses réacteurs est inférieur aux coûts calculés à l'étranger, après extrapolation pour rendre possible les comparaisons », ajoutant que « la dispersion des résultats ainsi obtenus (de 20 à 62 milliards d'euros) montre la grande incertitude qui règne sur ces projets ». LE PARI DE LA GÉNÉRATION 4 « La Cour soulève également un problème majeur : l'industrie nucléaire et les pouvoirs publics n'ont aucun 'plan B' concernant les matières valorisables », souligne en outre Benjamin Dessus. Le rapport de la Cour des comptes rappelle effectivement qu' « à long terme, il est prévu d'utiliser l'uranium appauvri pour faire fonctionner les réacteurs à neutrons rapides de quatrième génération, si cette filière voit le jour ». « En attendant, le parc actuel produit annuellement plus d'uranium appauvri et d'uranium de retraitement qu'il n'en consomme. Le stock de ces matières augmente donc d'environ 7 000 tonnes par an pour l'uranium appauvri et de 400 tonnes pour l'uranium de retraitement. » De fait, « si on arrête le nucléaire, les matières valorisables stockées, comme le plutonium et l'uranium appauvri, deviendront des déchets, et nous n'avons aucune idée de comment les traiter, et encore moins de comment financer ce traitement », déplore Benjamin Dessus. « La Cour montre à l'évidence que les pouvoirs publics et les industries du nucléaire n'envisagent pas d'autre alternative que le pari d'une implantation massive de réacteurs de génération quatre, éventuellement capables à très long terme de résorber le stock de plutonium existant », en déduit-il dans sa note.