réflexion fondée sur la longue durée. Appliquant à la Protohistoire européenne le concept de
système-monde, tel que le définit Immanuel Wallerstein (Wallerstein 1980), c'est-à-dire le
fonctionnement d’« un morceau de la planète économiquement autonome, capable pour
l’essentiel de se suffire à lui-même et auquel ses liaisons et ses échanges intérieurs confèrent
une certaine unité organique », Patrice Brun propose des entités économiques et politiques
(Brun 1986; 1998). Ce schéma, que l’on pourrait qualifier de néo-marxiste, s’appuie sur des
liens de trans-causalité entre les champs de la technique, du social et l’économie.
Cette posture globalisante, proche de celle adoptée par des chercheurs tels que Kristian
Kristiansen ou Christopher Pare, privilégie « les jeux de l’échange » à longue distance et la
sphère du prestige pour matérialiser les réseaux sociaux et économiques. Même en prenant
soin de décliner l'activité économique en strates de différentes formes et fonctions, l'idée très
marxiste que la production est à la base de l'organisation sociale s’impose. Cette position
permet de dégager des systèmes imbriqués (marché de proximité, subsistance, prestige…),
considérés séparément comme des sous-ensembles dont le tout, mais uniquement le tout,
décrit un système économique. Le biais majeur de cette démarche est probablement de faire la
part belle à l’échange et à la circulation, au probable détriment de la production. Cette critique
de fond, adressée également aux travaux de Fernand Braudel, constitue la principale
opposition à la transposition à la Préhistoire récente du modèle système-monde, tel qu’il ne
peut se concevoir qu’au sein d’un système capitaliste stricto-sensu (Aglietta 1986), c'est-à-
dire où le capital circule.
C’est précisément pourquoi les travaux de Karl Polanyi bénéficient d’un regain d’intérêt
chez les archéologues protohistoriens, séduits par l’idée d’une distinction en trois grandes
catégories de sociétés selon la prévalence du mode de transferts économiques qui s’y opère:
réciprocité, redistribution et échange. L’auteur fonde sa classification des systèmes
économiques sur l’articulation entre les différentes formes de circulation des biens (Polanyi et
Arensberg 1957). Bien que les fondements de cette construction - qui distingue un premier
stade où domine la réciprocité des mouvements entre des points corrélatifs ou symétriques, et
un second stade où la redistribution et le mouvement passent par des centres - soient
critiquables et critiqués, l’idée force de cette approche est assurément de pointer les relations
étroites entretenues entre opérateurs économiques et sociaux. Pour Karl Polanyi, l’essor du
capitalisme au 18ème siècle se traduit par la sortie de l’économie de son lit naturel, la société,
que l’auteur dénomme « disembeddeness » (Chesneaux 1996). Bien que les propositions de
Karl Polanyi ne puissent être jugées satisfaisantes, notamment lorsqu’elles traitent de la
complexité des mécanismes du don, elles offrent cependant le mérite de proposer un cadre
théorique, non évolutionniste. Sur ce sujet complexe, dans la lignée des travaux de Marcel
Mauss, Alain Caillé pose comme abusif de parler d’économie de marché lorsque les échanges
re-distributifs – pour reprendre la terminologie de Karl Polanyi - s’inscrivent dans un modèle
de sociétés auto-subsistantes. Pour ce dernier, l'économie de marché n'est pas un phénomène
naturel. Dans d’autres systèmes régis par les principes de réciprocité et de redistribution, les
modèles économiques et sociaux ne forment qu’un par contraste avec l'économie de marché
où seul celle-ci régit la production et la répartition des biens.
2. L’ESPACE CULTUREL ET CHRONOLOGIQUE
En posant comme axiome que systèmes économique et social ne forment qu’un, nous
souhaitons attirer l’attention sur l’importance des dynamiques culturelles. Ainsi le cadre
géographique de notre étude - le territoire français métropolitain – ne témoigne t’il, au cours
de l’âge du Bronze, d’aucune cohérence culturelle.