Minotaure Sexe

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Article pour « Le Minotaure »
Sociobiologie
Jeux de sexes
L’été est la période agréable des amours recherchés et consentis. Vêtements
légers, soleil et plage, chaleur et eau, inclinent cœur et corps à la convivialité
complice et intime. Mais au hasard des rencontres estivales comment choisir ses
partenaires d’un soir, d’une semaine, d’un mois ou, peut-être, d’une vie ? Les
sociobiologistes, observateurs sourcilleux des moeurs animales, notamment sous
l’angle des rapports sexuels, ont une réponse : les partenaires en arrivent à
copuler essentiellement parce qu’ils estiment que la descendance issue de
l’union sera équipée d’un matériel génétique susceptible d’assurer au mieux sa
survie dans un monde difficile. Chacun serait donc à la recherche des « bons »
gènes de l’autre et pratiquerait une stratégie amoureuse en conséquence, ce que
suggèrent de multiples études animales (dont l’extrapolation à l’espèce humaine
n’est nullement garantie …). Mais comment faire savoir que l’on dispose d’un
matériel génétique de qualité ? Dans le monde animal on a des décorations, un
plumage extravagant, de grandes cornes, du volume, etc…
A la recherche du coup de foudre
Dans le monde humain la prestance et l’allure font fonction de planche d’appel,
mais il y a autre chose. Il semble que des informations précises s’échangent par
le biais de l’odorat. Les odeurs corporelles, en particulier celles des aisselles,
dépendent du complexe majeur d'histocompatibilité aussi connu sous le nom de
système HLA. Découvert en 1960, ce composant du système immunitaire est un
véritable marqueur de l’identité à travers un ensemble de molécules qui assurent
la défense de l’organisme contre les agressions extérieures (c’est le problème
majeur dans les tentatives de greffes d’organe). Un peu comme pour les groupes
sanguins, les individus peuvent être divisés en types HLA. Or voici : les
molécules associées aux HLA, qui circulent dans le sang, seraient décomposées
au niveau des aisselles par la flore bactérienne qui habite cet endroit, sous la
forme d’un bouquet complexe de molécules volatiles dont le nez des autres
perçoit les composantes et peut–être aussi cet organe mal défini ou atrophié chez
l’homme, l’organe voméronasal, qui serait susceptible de détecter ces attracteurs
sexuels, les phéromones, bien connus dans le monde des insectes notamment …
Les expériences conduites avec des tee-shirts imbibés d’odeurs personnelles, de
sueurs, conduisent à penser que les personnes qui possèdent un type HLA
différent du vôtre vous attirent de préférence … (c’est aussi le cas chez les
souris …). En effet, la progéniture potentielle aura un système de défense
immunitaire plus riche par le mélange de deux sources différentes ...
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Une autre étude conduite avec des parfums, l’une des industries humaines les
plus anciennes et dont les matières premières végétales n’ont pas évolué depuis
5000 ans, suggère que l’on choisit pour soi même des parfums qui, corrélés avec
certaines composantes subtiles de l’odeur du corps, renforcent la perception par
l’autre de la nature de notre système HLA. L’homme peut reconnaître au moins
10000 odeurs différentes, ce qui laisse un vaste choix. Le « coup de foudre »
pourrait être un phénomène de reconnaissance moléculaire réciproque
instantanée traduite par une pulsion amoureuse subite, bientôt exprimée par le
mélange des corps dans la béatitude sentimentale du cœur et l’intensité du plaisir
orgasmique ...
Conclusion, pour séduire : supprimez le déodorant sous les bras, n’abusez pas
dans cette zone du savon anti-bactérien, et affichez hardiment votre parfum
préféré ... Il faut dire que la source génétique du système HLA a été conservée
par l’évolution durant des millions d’années à travers la multitude des espèces
différentes. L’étude de la sensibilité des sauterelles à leur environnement a
montré un bel exemple de confraternité dans le monde vivant : elles sont
sensibles aux mêmes plantes odorantes que nous et elles les perçoivent
également chacune d’une manière particulière.
Le sexe le plus long
Le partenaire choisi, il faut aller plus loin. Là, si la sociobiologie est prolixe sur
les ébats sexuels du règne animal, elle n’ose pas étendre ses conclusions à
l’espèce humaine. D’ailleurs les tentatives faites pour extrapoler les
comportements sociaux des insectes à nos sociétés ont été vivement critiquées
au début des années 1980, ce qui n’a pas empêché la sociobiologie de survivre
dans son domaine animal. L’une des questions qu’elle pose est celle de
l’influence de la taille du pénis dans l’attractivité des mâles. (Si l’on en croît les
nombreux « junk mails » qui proposent à tout un chacun d’améliorer ses
caractéristiques individuelles dans ce domaine, on peut penser que la question
taraude la moitié de l’espèce humaine …). Apparemment il faut mieux vivre aux
latitudes septentrionales pour bénéficier d’un bel organe. Une statistique établie
sur 122 mammifères équipés d’un os pénien a montré que, rapportés à la taille
du corps, ceux du Nord étaient plus longs. Le record appartient aux morses
(Odobenus) qui vivent dans l’Arctique gelé, ont un poids qui peut atteindre 1700
kilos et un organe qui mesure 60 cm de longueur.
Mais l’animal le mieux équipé est pourtant plutôt tropical, il s’agit de
l’armadillo (un tatou), animal sans os pénien, dont la verge en érection peut
atteindre les deux tiers de la taille. Une universitaire à partir de pénis récupérés
sur le corps de victimes d’accidents de la circulation sur les routes de Floride a
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pu montrer, par dissection et par essais mécaniques, la nature des tissus de cet
intéressant organe. Un pénis est une structure biologique hydrostatique : elle
prend sa forme à cause de la pression d'un fluide interne. La savante a découvert
que pour conserver au mieux la rigidité et résister aux efforts de courbure
l'enveloppe de la partie gonflable était renforcée par des fibres longitudinales et
circulaires croisées selon un schéma orthogonal (alors que beaucoup de
structures hydrostatiques biologiques sont construites avec des fibres disposées
d'une manière hélicoïdale). Il est probable que la plupart des mammifères sont
équipés de tissus analogues. Sur le plan pratique, on attend de cette étude
académique des retombées industrielles dans le domaine de la fabrication des
préservatifs ... (Selon le « Journal du Dimanche » du 21 mai 2004, la star du
porno des années 1970, l’américain John Holmes, mort du SIDA en 1988,
disposait dans l’action d’une affaire de 36 cm de long pour un poids beaucoup
plus faible que celui du morse … Selon les informations disponibles sur
Internet, la taille moyenne humaine est de 15,54 cm …).
L’argument purement sociobiologique en faveur de la taille du pénis, qui exclut
toute notion de plaisir potentiel, est qu’un organe long va se loger au plus près
de l’œuf à féconder et donne ainsi aux spermatozoïdes une plus grande chance
d’atteindre leur objectif. J’ai oublié de signaler plus haut que la prise de la pilule
contraceptive semble changer nettement chez les femmes le mécanisme
d’émission et de perception des odeurs, il faut donc tenir compte de cette
complication …
Le pénis est aussi une arme, les vers plats marins hermaphrodites australiens
Pseudoceros bifurcus, de six centimètres de long, se battent à coup de pénis,
maniés comme des rapières dans un duel, pour injecter par la blessure le sperme
de l'un dans le corps de l'autre ... tout en évitant d'être soi même touché.
Toujours dans le domaine des hermaphrodites, les escargots se livrent de féroces
batailles pour s’inséminer les uns les autres. La volonté de diffuser le plus
possible son sperme est, d’après les sociobiologistes, le moteur de base de la vie
amoureuse de l’animal en général. Les escargots ont un organe, la « bursa
copulatrix » qui digère la majeure partie du sperme des autres. Mais beaucoup
d’escargots disposent d’une pointe acérée en carbonate de calcium qu’ils tentent
de ficher dans le corps de l’autre. Ce dard est recouvert d’un mucus dont la
fonction est de bloquer l’entrée de la bursa copulatrix et ainsi de diriger le
sperme vers les organes reproductifs femelles de l’hermaphrodite, où il peut être
conservé plusieurs années. L’affaire est moins violente chez d’autres
gastéropodes hermaphrodites. Les aplysies, ou lièvres de mer, animaux marins,
que l’on trouve sur nos côtes atlantiques forment des chaînes de copulation,
comprenant jusqu’à une douzaine d’individus, qui, dans cet état, planent
délicatement durant des heures, voire des jours au dessus des prairies des fonds
marins.
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Dans le monde des oiseaux en général la fertilisation se fait en se frottant
respectivement le derrière durant une à deux secondes de façon à provoquer un
échange de fluides, mais un petit oiseau de Namibie dispose d’un phallus de 1,5
cm de long qu’il frotte sur la femelle durant une bonne vingtaine de minutes
avant d’atteindre ce qui est de toute évidence un orgasme : il frémit et ses yeux
deviennent vitreux …
Mourir de plaisir
Cependant les rapport sexuels ne sont pas sans dangers. On connaît le cas de la
mante religieuse qui dévore son amant. Cette pratique est courante dans le
monde des araignées. Toutefois il y a des raffinements : la femelle de l’Argiope
keyserlinghi contrôle la durée du rapport sexuel et donc sa consommation de
sperme, en enveloppant progressivement son mâle dans un cocon de soie avant
d’en faire son repas. Curieusement elle semble choisir plutôt les mâles de taille
modeste qui continuent vaillamment leurs efforts d’imprégnation pendant
l’entortillement fatal. Cependant, il y en a qui se battent pour échapper à
l’étreinte ce qui leur coûte généralement une patte ... Chez d’autres espèces, le
mâle se sacrifie volontairement pour assurer la transmission de ses gènes aux
générations suivantes. Latrodectus hasselti a deux organes copulatoires, il en
insère un, galipette, puis, déjà en partie dévoré, insère l’autre et galipette de
nouveau … Il paraît que les mâles s’offrent en sacrifice parce que trouver une
femelle n’est pas facile, une rencontre est pour eux l’occasion de sauver leur
patrimoine génétique, de là leur héroïsme dans l’action. Lorsqu’ils s’éloignent
de leur toile pour chercher un partenaire, ils sont souvent victimes de prédateurs.
Etre mangé, c’est bon pour la transmission des gènes : une plus grande
proportion des oeufs est fécondée par le sperme du premier mâle dévoré, même
s’il arrive que les femelles recommencent l’expérience. Par contre, le mâle
d’une autre araignée, Agelenopsis aperta, a une autre stratégie : arrivé en face de
la femelle, il projette dans sa direction le jet d’un puissant phéromone qui, s’il
vise bien, étourdit sur le champ la femelle qui tombe en catalepsie. Alors, le
mâle peut profiter de son corps endormi durant plusieurs heures voire un jour
entier, sans risques, sauf si la dose est insuffisante et si elle se réveille parce
qu’alors, il est croqué … C’est la version animale de la pilule du viol.
Les petits malins
Il existe une île, St. Kilda, à 160 km au large de l’Ecosse. Abandonnée depuis
1930 elle héberge un grand troupeau d’environ 1400 moutons sauvages.
L’amour libre y règne. Les brebis sont en chaleur durant deux jours, période
durant laquelle elles acceptent les hommages de jusqu’à sept mâles différents.
Certains mâles profitent de la situation pour copuler 13 fois par jour.
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Naturellement des batailles féroces s’engagent entre béliers à grands coups de
choc frontal (ce qui laisse quelques cadavres sur place). Les plus puissants se
taillent bien sûr la part du lion dans le contrôle du harem des femelles, mais , …
tant va la cruche à l’eau qu’à la fin elle s’épuise … Autrement dit, à force, les
mâles les plus sollicités se fatiguent d’en faire trop et la quantité et la qualité de
leur sperme se dégradent. C’est alors que les petits malins, moins doués pour la
bataille, tentent leur chance et qu’à la loterie évolutive, ma foi, il s’en sortent
bien … Le sperme des plus faibles est plus frais et plus vigoureux, il atteint son
but. En effet les différents spermes entrent en compétition pour la fertilisation
des mères. Les trois quarts des agneaux jumeaux de St. Kilda ont des pères
différents ...
Curieusement dans la bataille des spermes d’origines différentes, c’est
généralement celui qui est implanté en dernier qui l’emporte dans la course à la
fertilisation de l’œuf. Cela arrive pour beaucoup d’espèces. La mouche
drosophile femelle peut déloger le sperme de son premier soupirant des
réservoirs où il s’est installé ou même le rendre inopérant, infertile. Le résultat
est que le second amant s’assure la paternité de la majorité de la génération à
venir, surtout s’il se présente plus tardivement par rapport à son rival, par
exemple sept jours plus tard au lieu de deux … Les raisons pour lesquelles la
femelle choisit plutôt de faire fertiliser ses oeufs par le second sperme ne sont
pas claires … Mais la moralité est qu’il ne sert à rien de se précipiter, il faut
savoir attendre son heure … L’autre moralité, si l’on se réfère à l’exemple des
araignées ci-dessus, est qu’il vaut peut être mieux être mangé pour assurer sa
descendance parce qu’alors la veuve est plutôt fidèle …
Naturellement il ne faut pas étendre les observations des sociobiologistes
abusivement à l’espèce humaine. Dans leurs considérations le sentiment ne
semble pas entrer en ligne de compte, alors que sur nos plages ce n’est pas
seulement le sexe qui commande le jeu …
Paul Caro
25 mai 2004
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