L’architecture de Venise : églises, palais et monuments publics.
Conférence du 23 octobre 2007 de Vincent Droguet, conservateur à Fontainebleau
A la Renaissance, la Sérénissime République de Venise est le 1er des états italiens par la puissance, le nombre de ses habitants
(1,7M), la solidité de son système politique. Le doge qui incarne de ce pouvoir est un chef d’état très contrôlé (Giovanni Bellini, Portrait
du doge Leonardo Loredan, 1505, Londres, National Gallery). La puissance économique s’est développée à l’ombre de l’empire byzantin, dont elle
était théoriquement vassale, puis sur les ruines de celui-ci. L’essentiel de ses ressources vient du commerce avec l’Orient dont elle
détient un quasi monopole, en concurrence avec Gênes. Sur le plan extérieur, Venise gouverne de nombreux territoires (Grèce et
Dalmatie) mais elle a subi de plein fouet le contrecoup de la chute en 1453 de Constantinople et s’est trouvée directement aux
prises avec les Turcs. A l’intérieur, Venise étend son pouvoir sur la Terre ferme (Padoue, Vicence, Vérone). Avec la paix de Lodi -
1454, elle met la main sur Brescia, Bergame et sur la région de Crémone. Crise majeure en 1509 avec la Ligue de Cambrai. Période
d’insécurité politique et militaire qui s’achève seulement avec la paix de Bologne en 1529. Dans le domaine artistique, Venise
possède une tradition propre, héritée de Byzance et cultive un particularisme perméable aux innovations introduites par des
artistes extérieurs. La réputation de la ville de Venise est assurée dès le XVe s.( Ph. de Commynes, ambassadeur du roi de France
en 1494-95, déclare: « … et me menèrent au long de la grant rue qu’ils appellent le Canal Grant : … et [c’]est la plus belle rue que je
croy que soit en tout le monde et la myeulx maisonnée …» (Vittore Carpaccio, Miracle des reliques de la Croix, Venise, Accademia, 1494 avec le pont
du Rialto en bois). Dürer admire Venise lors de ses deux séjours, en 1494-95 et 1505-06. Henri III s’y arrête durant 10 jours à son
retour de Pologne, en 1574, avant de monter sur le trône de France. (Jacopo de’ Barbari, Vue de Venise à vol d’oiseau, gravure, 1500)
Importance de la tradition gothique
Palais ducal, façade sur la lagune, vers 1340 + Porta della Carta commencée en 1438 par Giovanni et Bartolomeo Bon. L’entrée
principale est construite en style gothique flamboyant. L’aile sur la Piazzetta est élevée à partir de 1424 sous Francesco Foscari.
Santa Maria Gloriosa dei Frari (Eglise des franciscains, commencée en 1330, achevée en 1391)
San Giovanni e Paolo (église de Dominicains, 1333 /1430. L’église deviendra la principale nécropole de la ville
Ca’ d’Oro 1424 Par Matteo Raverti et Giovanni Bon pour Marino Contarini. Architecture non représentative mais révélatrice des
aspirations vers un style gothique très décoratif. Les arcs des baies, les chapiteaux et d’autres parties décoratives encore étaient
dorés. Impact évident de l’architecture du palais ducal et en particulier au niveau des baies trilobées du 1er étage.
Ca’ Foscari mi XVe siècle. Le plus ambitieux, pour Francesco Foscari. Le piano nobile est le 2ème étage avec ses baies trilobées.
Exemple très abouti du style gothique, mais on note la présence d’un relief de marbre à l’antique au dessus des baies centrales.
Palais Pisani Moretta 2nde moitié du XVe siècle. Mêmes remarques: motif des quadrilobes au dessus des arcades. La façade est
très largement ouverte sur le canal avec sa superposition d’arcs trilobés. Aspect très aéré et très riche conféré à cette façade par la
sculpture : tradition radicalement différente de celle du palais florentin (ex. du Palais Médicis à Florence par Michelozzo).
Apparition de la Renaissance
Porte de l’Arsenal, 1457-1460 : La 1ère apparition du nouveau langage architectural à l’antique (ordres):sorte d’arc de triomphe
s’inspirant de l’arc antique de Pola en Dalmatie. Remploi de colonnes et chapiteaux d’édifices byzantins.
Durant le dernier 1/3 du XVe siècle, 2 architectes lombards, Pietro Lombardo et Mauro Codussi, vont rompre avec le langage du
gothique tardif dans la construction religieuse et civile et introduire les formes à l’antique intégrant la tradition locale.
Pietro Lombardo (v. 1430-1515) Né en Lombardie, il est passé par Florence, Bologne et Padoue et s’installe en 1467 à Venise. Il
dirigera un atelier de sculpture très important avec ses 2 fils Antonio et Tullio. Architecte, il réalise :
San Giobbe : reconstruite après 1450 avec des fonds assemblés par Cristoforo Moro, doge en 1462. Le Portail principal vers 1470
dans le style typique de P. Lombardo. Décor lombard des pilastres. Le Chœur, vers 1470/93 est un carré couvert d’une voûte sur
pendentifs, (Vieille sacristie de San Lorenzo par Brunelleschi -1420). Le plan centré est justifié par la vocation funéraire (tombeau
de Moro). Sanctuaire séparé de la nef par un arc triomphal encadré de pilastres orné de motifs de rinceaux à la manière lombarde.
San Giobbe, chapelle Martini : chapelle fondée en 1474 par une famille de soyeux de Lucques. Il s’agit d’un volume cubique
couvert d’une voûte en pendentifs, décorée de médaillons en majolique de l’atelier des Della Robbia, le décor de la voûte
reprenant celui de la chapelle du cardinal de Portugal à San Miniato de Florence, réalisée en 1461-66.
Santa Maria dei Miracoli, 1480/1489: un simple volume rectangulaire, couvert d’une fausse voûte de bois en berceau, augmenté
d’un sanctuaire surélevé couvert d’une coupole. A l’extérieur, elle est revêtue de marbres colorés. Les façades sont régies par des
ordres de pilastres superposés, l’entrée est surmontée par un tympan en ½ cercle, percé d’oculi orné de disques de porphyre.
Mauro Codussi (vers 1440-1504) Né près de Bergame, ayant sans doute commencé sa carrière comme tailleur de pierres.
San Michele in Isola, 1470 Façade très singulière: revêtement en pierre d’Istrie (et non briques) et traitement à bossages de la
partie basse avec des pilastres couverts de bossages. Il s’agit à cette date de l’un des seuls exemples de murs à bossages à Venise
(architecture florentine). Le dessin général de la façade est issu du Temple Malatesta de Rimini (médaille de Matteo dei Pasti). A
San Michele, le tympan en demi cercle se rapporte sans doute au grand modèle de San Marco et se retrouve à San Zaccaria. La
façade de San Michele in Isola est sans doute la 1ère œuvre aussi aboutie de l’architecture de la Renaissance à Venise.
San Zaccaria, façade. En 1481, Codussi succède à Antonio Gambello. Il construit également les parties hautes de la nef
(importante nécropole de l’aristocratie). Reprise en partie haute de la façade du motif des ailerons latéraux (San Michele).
San Giovanni Crisostomo 1497 Plan en croix grecque inscrit dans un carré (référence byzantine) avec un rapport de proportions
simple entre la largeur de la croisée et celle des angles du carré. L’abside comporte 3 chapelles (axiale aplatie). La façade reprend
la structure de San Michele in Isola. Croisée du transept couverte d’une coupole alors que les angles du carré sont couverts de
voûtes en pendentifs. Légèreté des piliers supportant la coupole, grande clarté de l’articulation générale (comme à SM Formosa).
Ca’ del Duca pour le duc de Milan, Francesco Sforza, projeté en 1461 d’après un modèle d’un architecte florentin. Ce qui subsiste
sur place doit en fait se rapporter à un palais commencé par Bartolomeo Bon pour Andrea Cornaro.
Palais Dario vers 1487 pour Giovanni Dario, diplomate à Constantinople. Dans la façade, le vide l’emporte sur le plein, comme
c’est le cas habituellement et le revêtement riche de marbres polychromes se rapproche de SM dei Miracoli de P. Lombardo.
Palais Corner Spinelli, avant 1485/1496 : Façade à 3 niveaux et tripartition verticale plus une combinaison claire de proportions
géométriques simples. Caractère toscan de l’emploi du bossage et des pilastres d’angle. Motif de la bifora florentine redoublée au