Stage du 28 novembre 2013 L`usage de l`exemple scientifique et

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Stage du 28 novembre 2013
L’usage de l’exemple scientifique et mathématique
En philosophie.
La demande en épistémologie est fréquente. Dans l’esprit des élèves, la différence
science littérature est prégnante. Or, l’enseignement de philosophie n’est pas
exclusivement littéraire. La philosophie s’intéresse aussi bien aux lettres qu’aux
sciences. Nous essaierons d’aborder des exemples dans différents champs scientifiques.
La première journée sera consacrée à des témoignages sur divers types de
travaux effectués en 1ère puis à l’exemple de l’explication d’un texte, avant d’aborder
quelques autres exemples, si nous en avons le temps.
La deuxième journée, sera consacrée à un travail plus approfondi sur certains
exemples : découverte de la circulation du sang par Harvey et son débat avec Descartes.
Tout d’abord, on peut s’étonner de la manière dont certains philosophes font
usage des exemples scientifiques. A ce titre, on peut comparer les différentes manières
de traduire le passage de Kant au sujet de Copernic. La traduction de Tremesaygues et
Pacaud fait la confusion entre le fait de tourner sur soi-même et le mouvement de l’objet.
Kant essaie de suggérer une inversion du rapport entre l’intuition et l’objet. L’exemple
scientifique est destiné à signaler cette inversion de perspective. Mais, cet exemple est
problématique si on le teinte d’analogie : si on demande aux objets se régler sur nous, on
ne laisse pas les astres tranquilles. L’abandon du géocentrisme est un décentrement du
sujet. L’exemple est donc troublant. L’objet comme phénomène se règle sur le sujet, mais
il reste que le sujet doit laisser les astres tranquilles : est-ce la chose en soi ? Que faire de
cet exemple ? On peut trouver une solution dans la dissociation entre phénomène et
chose en soi. Enfin, Kant dit quelque chose de faux : Copernic n’arriverait pas à
expliquer le mouvement du ciel et des étoiles sans changer de théorie. Du point de vue
des étoiles, le repère ne change rien. Ce qui posait problème à Copernic, c’était le
mouvement des astres errants, c’est-à-dire des planètes, des astres qui n’occupent pas
toujours la même place par rapport au fond du ciel. Le problème de Copernic n’est pas
d’expliqué le mouvement du fond du ciel. Le soleil qui est l’objet par rapport auquel il y a
changement n’est pas nommé. Cela permet d’évacuer certaines motivations de Copernic,
les motivations néoplatoniciennes qui le conduisent peut-être à mettre le soleil au
centre.
De quoi cet exemple scientifique est-il exemple ? C’est peut-être l’un des pires
usages de l’exemple scientifique. Du coup, le trouble des traducteurs devient
compréhensible. Souvent, quand on utilise un exemple scientifique, on finit par
s’apercevoir qu’il ne dit pas ce que l’on croyait. Notre trouble devant l’exemple
scientifique est de cet ordre. Au total, mieux vaut utiliser ces exemples pour faire de la
philosophie des sciences.
Quel sens donner au mot exemple ? Un exemple peut-être
 Ce qui peut mettre l’accent sur quelque chose et qui peut éveiller un étonnement,
attirer l’attention.
 Ce qui donne de la consistance à une idée, puisqu’il y a un cas qui montre que ce
que je dis peut exister.
 Ce qui redresse des torts en rendant justice de façon mémorable. Un exemple au
sens juridique : faire un exemple d’un cas particulier. L’exemple est alors un
contre-exemple.
 Ce qui peut illustrer une thèse avec une fonction en quelque sorte édificatrice : il
conforte une thèse. Parfois, la manière dont on fait usage de l’exemple en science
prend cette forme :
La découverte de Neptune – le fonctionnement du système solaire est
expliqué par la théorie de Newton. La loi de Newton est universelle, elle
concerne donc tous les corps. Il y a donc des interactions entre les objets. Le
18e siècle se lance dans des calculs sur le comportement des planètes. Au 18 e
siècle les planètes sont celles que l’on peut voir à l’œil nu, jusqu’à Saturne. On
découvre Uranus à la fin du 18e siècle par l’observation, en 1781. Cependant,
Uranus n’est pas au rendez-vous prévu par la théorie newtonienne. Ces
perturbations entrainent des interrogations conduisant à la découverte de
Neptune, planète qui aurait été découverte par le calcul, en 1846 par Le
Verrier. Il est parti de la théorie de Newton et a cherché l’objet qui perturbait
Uranus. Il essaie de construire un système d’équations pour localiser cette
mystérieuse planète. Il finit par dire cette planète doit se voir à telle heure à
tel endroit. Il s’en remet à un observatoire Allemand pour l’observation faute
de matériel assez puissant. Gall aurait observé la planète là où le Verrier
l’avait prédit. La réalité est plus complexe. Le calcul de Le Verrier comprenait
des erreurs. L’histoire des sciences a validé cette démarche comme la victoire
du calcul. Cet exemple montre qu’une anticipation théorique sur
l’observation marche. Notons que sans les instruments, sans une
cartographie du ciel récemment établie, nous n’aurions observé et la planète
mystérieuse aurait été une hypothèse ad hoc. Il restait un autre problème qui
touchait Mercure. La plus petite planète, proche du soleil oscillait dans son
orbite par rapport aux données prévisibles. Le Verrier a émis l’hypothèse
d’une planète, Vulcain. On n’a jamais trouvé cette planète censée perturber
l’orbite de Mercure. En fait, la théorie de Newton est insuffisante. Il faut la
théorie de la relativité d’Einstein : la présence du soleil, qui est une masse
importante, déforme l’espace. La théorie de la relativité prévoit qu’une
planète comme Mercure doit en subir les effets.
 Paradigmatique en présentant un schème conceptuel généralisable. L’exemple
devient un modèle à imiter.
 Un cas. On prend en compte dès le début son caractère complexe en sachant
qu’aucun discours abstrait ne pourra nous permettre d’avoir le fin mot.
La question posée suppose des rapports parfois ambigus entre science et
littérature. On prend facilement un exemple littéraire ou artistique. En quoi l’exemple
scientifique aurait-il un statut particulier ? Est-ce que cela ne conforte pas le préjugé
selon lequel le sérieux est du côté des sciences ? Ou bien s’agit-il de contester la
différence disciplinaire et de voir au-delà une recherche commune de la vérité ? Science
et philosophie peuvent être conçues comme participant d’une même visée. Aristote luimême laisse entendre que sans objet métaphysique, la physique serait la première
science. Faut-il considérer qu’une hypothèse scientifique peut mettre fin à une thèse
philosophique ? La continuité entre science et philosophie peut laisser supposer qu’une
découverte scientifique peut entrainer une révolution scientifique ? On peut avoir envie
de dire oui, il y a quelque chose de plus sérieux à choisir un exemple scientifique. On e
peut pas laisser la philosophie à l’abri du questionnement scientifique, mais l’inverse est
vrai également : il ne faut pas laisser la science à l’abri de l’interrogation philosophique.
Peut-on laisser les « littéraires » à l’écart du savoir scientifique et laisser se développer
une « culture d’ingénieur » qui n’invente plus rien et résout les problèmes qu’il a appris
à résoudre. La science est un pan de la culture philosophique et la culture philosophique
un pan de la culture scientifique.
Quelques expériences de l’usage d’exemples scientifiques en cours :
1. TPE en 1ère impliquant la philosophie.
2. Faire usage d’une réalité scientifique pour expliquer un texte philosophique.
3. Croisement de cours avec un professeur de mathématiques au sujet des
géométries non-euclidiennes.
Une série de TPE associant physique-chimie/philosophie – L’idée est de montrer
aux élèves qu’en s’intéressant à des questions de physique et de chimie, on peut
déboucher sur des questions philosophiques portant sur la pratique scientifique. En 1 ère
trois thèmes spécifiques sont proposés :
 Avancées scientifiques et réalisations techniques.
 Environnement et progrès.
 La mesure.
Les TPE sont une occasion de mettre en valeur les différents aspects de la
philosophie. L’objectif peut-être de faire de l’épistémologie ou bien de l’histoire des
sciences.
 Le moment expérimental est important. Il participe d’un cérémonial qui a au
moins pour but d’apprendre à faire des gestes, à acquérir une habileté. Les
élèves le voient comme une vérification de lois établies depuis longtemps. Est-ce
la bonne approche ?
 Les conséquences éthiques et politiques peuvent être un objet d’interrogation.
 L’axe métaphysique : que la science nous permet-elle de connaître ? est un axe
intéressant.
 L’axe esthétique : y a-t-il une beauté des hypothèse ? Ou bien les sciences
interviennent-elles dans l’art ? Pour les couleurs par exemple ?
Certains élèves se passionnent et font des prestations remarquables et remarquées.
La difficulté est de constituer un jury avec un professeur de philosophie, ce qui est
parfois difficile. La partie philosophique du travail a été souvent travaillée dans la
présentation orale. Les élèves cherchant à défendre des positions différentes servant à
prendre du recul sur les contenus. Les thèmes choisis étaient :

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
La dualité ondes/corpuscules.
De l’alchimie à la chimie.
L’entropie.
L’énergie nucléaire optimise-t-elle ou réduit-elle nos libertés ?
Les nanotechnologies – un sujet intéressant du point de vue des rapports avec
la philosophie, car la technique peut descendre à toute échelle ce qui ouvre
une discussion avec les conceptions de Descartes.




Les couleurs
Les énergies propres peuvent-elles remplacer les énergies fossiles – Le travail
en philosophie a consisté à réfléchir à ce qu’on nomme les énergies propres.
L’effet papillon
Les trous noirs
Il y a des sujets qu’on refuse, car ils paraissent trop difficiles. La difficulté est, de
toute façon, de guider les élèves. L’enseignant doit être en retrait tout en donnant des
pistes aux élèves. C’est, en tout cas, une manière de faire avancer la philosophie en toute
modestie, sans se substituer aux élèves. On s’aperçoit, il est vrai, en examinant les
dossiers que les élèves comprennent souvent ce qu’est une problématique à la fin, qu’ils
peuvent passer à côté du sujet qu’ils posent, qu’il leur est difficile de faire apparaître la
dimension philosophique de leur travail dans la restitution écrite. Mais, ces
imperfections sont autant d’occasion d’intervenir et d’apporter des choses. Il y a
aussi de grandes réussites.
Ces TPE illustrent la première signification donnée plus haut à l’exemple
scientifique.
Utilisation d’un exemple scientifique pour illustrer un texte philosophique –
Nous allons utiliser un texte de Comte extrait du Cours de philosophie positive
(1830) pour réfléchir à l’usage de cet exemple. Il faut éviter un contresens qui
consisterait à croire que Comte réduit la science à son utilisation technique. Ce qui est
mis en avant dans cet extrait, c’est le rôle de la science comme fondement de la
puissance de la technique et du caractère presque instrumental de la puissance
scientifique comme moyen de décupler nos forces. Dans ce texte, le mot « constant » est
important : il désigne le rapport entre les phénomènes. La constance permet de prévoir
les phénomènes et de les utiliser. L’idée de Comte fait usage de la formule
mathématique : « = » comme un levier démultiplicateur de notre pouvoir. Il offre une
idée de la loi comme un levier : une petite action permet d’obtenir un grand effet. A quel
genre de formule pourrait-il penser, compte tenu de l’histoire des sciences, de celle de
son temps ?
On peut penser à la loi des gaz parfaits datant de 1811. On peut en donner une
formule simplifiée : PV/T=constante (P : pression, V : volume, T : temps). La constante
sera différente selon la nature des gaz. On peut donner une explication du texte en
donnant l’exemple de la machine à vapeur. On chauffe, dans cette machine, pour créer de
la pression. La température est une grandeur tout à fait particulière. Mais, qu’est-ce que
c’est ontologiquement ? C’est l’agitation des molécules. La température à un zéro qui
correspond à un état d’immobilité totale. Il est beaucoup plus facile de créer de la
température que de créer de la pression. Si nous utilisons cela comme un levier, nous
pouvons prendre un volume constant : la chaudière est fermée. Ensuite, on va appuyer
sur le grand côté du levier : la température qui est une grandeur accessible, si bien qu’à
la sortie du dispositif, nous aurons une augmentation de la pression. On utilise la rigidité
des lois de la nature et du volume pour augmenter la pression à travers la manipulation
d’une grandeur accessible. De cette façon, on se retrouve avec des forces démultipliées.
Ce qui est amusant, c’est que dans l’autre sens on peut fabriquer du froid (fabriquer du
froid est plus difficile) : il faut agir sur la pression. Il y a eu des usines à glace au 19e
siècle. Elles reposent sur des procédés utilisant ce genre de lois. L’usage de cet exemple
permet aussi démontrer ce qu’est une grandeur. Ici, en faisant appel à trois grandeurs,
on peut montrer la rigidité dont on fait usage. En outre, il existe aujourd’hui des
simulateurs pour expliquer ce genre de formules aux élèves.
Ce qu’il appelle « prévoyance » dans ce texte, c’est plutôt la prévisibilité.
Possibilité de concilier un cours de philosophie et un cours de mathématiques. Un
exemple scientifique peut-il venir infirmer une thèse philosophique ? Un contre-exemple
susceptible de régler son compte à une thèse philosophique. Il est possible de construire
une séquence de cours rencontrant le cours de mathématiques en s’intéressant aux
géométries non-euclidiennes. Pour construire cette séquence, l’intervention d’un
professeur de mathématiques est importante pour qu’il rende plus concret les
géométries non-euclidiennes. La séquence a été réalisée lors d’une séance en commun.
Au préalable, avait été posée une distinction entre des vérités de raison et des
vérités de fait, empiriques et décrivant un état du monde qui aurait pu être différent.
Puis en s’appuyant sur Hume et l’empirisme, la raison ne permet pas de connaître les
lois de la nature ; la cause repose sur une habitude, l’attente. Hume montre l’absence de
fondement logique à l’induction. On en arrivait ainsi à Kant et aux concepts de
synthétique/analytique, a priori/a posteriori, introduits par Kant pour remplacer les
concepts de vérité de raison et de vérité de fait :
Vérité de raison
Vérité de fait
analytique
synthétique
A priori
A posteriori
Se pose alors la question de savoir, si le tableau ne peut pas être présenté
autrement, en couplant différemment les concepts.
Comment définir analytique ? Ce dont la raison peut se rendre compte avec
évidence, en l’analysant. Son contraire serait contradictoire. E. Tout corps est étendu.
Une vérité analytique ne contient pas d’information. Cela permet d’introduire une
réflexion sur le caractère vide des vérités analytiques. A l’opposé, on pourrait qualifier
de synthétique une information dont le contraire ne serait pas contradictoire. Il faut
attribuer le prédicat au sujet. Ex. dans la nature tout corps à un poids. Une vérité
synthétique contient une information. La première distinction est une distinction de
statut.
La deuxième distinction prend en compte l’origine, notre manière de connaître
avant ou après expérience. C’est une différence gnoséologique.
Cela permet aux élèves de définir l’idéal rationaliste et l’idéal empiriste. Pour un
rationaliste, un esprit infini serait capable de tout connaître de façon analytique et a
priori. La thèse empiriste, c’est que tout ce qui est synthétique est forcément a
posteriori. Tout ce qui contient une information ne peut être apporté que par
l’expérience. Kant rejette l’idéal rationaliste. Cela correspond à un modèle de la pensée
qui est mathématique à un modèle de la pensée qui est la physique. Il participe au geste
qui consiste en renvoyer les mathématiques en position instrumentale. Exemple type du
principe de nos connaissances : Newton. Le caractère certain de la physique de Newton :
il y a un principe mathématique précis dans l’attraction (les corps s’attire de façon
inversement proportionnelle au carré de la distance) – c’est une affirmation synthétique.
Ce n’est pas analytiquement qu’on peut le savoir. Mais, pour que cette loi soit
universelle, il faut que le soit réellement. Est-ce qu’on peut la mettre entièrement sous la
dépendance de l’expérience ? Peut-on la renvoyer à Hume, à une attente issue de
l’habitude ? Les principes de nos connaissances doivent être synthétiques, car ils doivent
être remplis par notre expérience. Mais, en même temps, il faut rejeter la thèse
empirique pour que ces principes soient certains. Les principes importants de notre
connaissance doivent être à la fois synthétiques et a priori, autrement dit ils ont une
origine qui ne les fait pas dépendre entièrement de notre expérience, pour ne pas les
renvoyer au scepticisme issu de Hume. On en arrive à la solution de Kant : notre
sensibilité à des formes.
Le temps et l’espace absolus newtoniens en arrivent à correspondre à notre
intuition de l’espace et du temps. Ce sont des intuitions d’un espace et d’un temps qui
sont euclidiens et correspondent à ce que disait Newton, mais qui pour Kant sont
ramenés à notre sensibilité. Temps et espace comme forme a priori de notre sensibilité
signifient qu’en quelques sortes nous donnons formes au monde. En résumé, seuls les
principes de la logique sont analytiques, les autres, ceux des mathématiques et de la
physique sont des principes synthétiques a priori. On en arrive à penser que ce sont ces
formes qui nous forceraient à percevoir la réalité comme espace euclidien. On pourrait
concevoir d’autres idées de l’espace, mais nous ne pouvons pas avoir une appréhension
de l’espace différente. L’espace est ainsi euclidien non de façon absolue, mais de façon
relative à notre sensibilité.
Premier exemple à mettre en place : les Eléments d’Euclide. Il base sa
géométrie sur des demandes, que nous avons tendance à appeler des axiomes. Euclide
réserve ce mot d’axiomes à des notions évidentes. A partir de ces postulats et de ces
axiomes ont va déduire des propositions correctement démontrées : les théorèmes. Les
propositions d’Euclide sont le type même d’une axiomatique : les propositions sont
simples, indépendantes les unes des autres. Chaque nouvelle information n’est pas
contenue dans les autres. Il faut que système soit cohérent. Un système qui forme un
tout cohérent est un système consistant. Il doit être suffisamment complet pour qu’on
puisse démontrer les théorèmes. S’il permet de tout démontrer, on dit qu’il est complet.
Certains principes sont considérés comme évidents :
 …
 Des choses égales à une même chose sont égales entre elles.
 Le tout est plus grand que la partie.
Il y a aussi des postulats :
 …
 Tous les angles droits sont égaux entre eux.
 Par un point pris à l’extérieur d’une droite on peut passer une parallèle à
une seule.
Les axiomes qu’ont vient de poser sont-ils analytiques ? Il ne le semble pas. S’ils
sont synthétiques a priori, notre intuition nous contraint à les adopter. Le cinquième
postulat excite pendant longtemps la curiosité, ne serait-il pas un théorème ? Beaucoup
de mathématiciens se sont efforcés de le démontrer. Toutes les tentatives ont échoué.
On a essayé de le démontrer par l’absurde en le remplaçant par sa négation pour arriver
à des contradictions. Cette tentative menée par Saccheri a échoué. On sait aujourd’hui
que ce postulat est indépendant : il n’est pas démontrable. On a pu construire deux
géométries. Il n’y a en effet que trois versions possibles : la version euclidienne ; ou bien
il ne passe aucune droite, c’est un espace à courbure positive (Riemann) ; ou bien il en
passe plusieurs, c’est un espace à courbure négative (Lobatchevski). On peut se
représenter une sphère pour se représenter un espace à courbure positive, mais on
utilise une figure euclidienne à trois dimensions pour se représenter un espace non
euclidien à deux dimensions. Dans une telle géométrie, ce que nous appelons droite, plus
court chemin entre deux points, c’est ce que les mathématiciens appellent un grand
cercle. Si on fait un petit cercle, on ne marche pas droit, on ne marche pas devant soit, on
tourne. Si on part tout droit dans n’importe quel direction, on coupe fatalement le grand
cercle. Il n’existe aucune parallèle. A ce moment-là, la partie philosophique du cours
s’arrête. Les conséquences à tirer concernant Kant devant venir plus tard.
Le collègue de mathématiques prend la suite pour conduire une sorte de TP ayant
pour but de faire découvrir aux élèves un type de géométrie hyperbolique (courbure
négative). Le travail porte sur le demi-plan de Poincarré. Les élèves découvrent que cet
espace respecte un certain nombre de principes euclidiens. Il y a bien une seule droite
qui passe par deux points, mais plusieurs parallèles à une droite qui passent par le
même point : il y a toujours une manière de construire deux droites données qui ne
coupent pas une troisième. Le questionnement était à la fois technique et
philosophique : a-t-on défini l’espace en posant les axiomes d’Euclide ?
Retour en scène du philosophe. Comment utiliser ce que nous venons de voir
pour arbitrer les affirmations de Kant ? Que conclure de l’existence de non-euclidienne ?
L’existence de géométries alternatives à celle d’Euclide montre le caractère synthétique
d’une géométrie. Les géométries non-euclidiennes sont des systèmes formels
concurrents, ce qui montre que l’espace euclidien ne va pas de soi. Il peut y avoir
plusieurs courbures de l’espace : la nôtre est un cas particulier.
La difficulté surgit quand on rapproche cela du fait que la relativité d’Einstein ne
fonctionne plus dans un espace aux propriétés euclidiennes. On pourrait citer
l’expérience d’Eddington qui a observé une éclipse de soleil. Son expérience a consisté à
regarder ce que personne n’avait jamais regarder : il regarde le fond. La lune fonctionne
comme un obturateur. Elle permet d’observer l’étoile. Il constate qu’elle ne se trouve pas
là où elle devrait être. Le trajet parcouru par la lumière prouve que l’influence du soleil
n’est pas neutre : l’espace est courbé par la présence des corps. Cela montre la nécessité
d’utiliser les géométries non-euclidiennes. Ainsi, l’idée de formes a priori paraît être
remise en cause. La structure de la géométrie ne se connaît pas a priori, mais elle se
connaît lorsque nos théories sont confrontées à l’expérience et ce malgré nos intuitions.
S’ouvre alors une question très épineuse et qui ne peut être réglée d’un coup de plume.
Devons-nous conclure que Kant s’est radicalement trompé et que la relativité et signe la
fin de la conception kantienne de l’espace ?
Michel Fichant a écrit un article qui essaie de défendre Kant. Il est possible de
rester kantien aujourd’hui. Néanmoins, Fichant reconnaît que si on peut sauver Kant,
Kant a laissé entendre que l’espace devait être nécessairement euclidien. Sa
préoccupation était, cependant, de fonder une physique de type newtonien.
L’affirmation que l’espace ne peut être qu’euclidien ne découle pas nécessairement du
kantisme. Popper dit à juste raison qu’une théorie ne peut appartenir au domaine de la
science que si elle s’expose au verdict d’une expérience. Nous pouvons être certain
qu’une théorie est fausse, mais nous ne pouvons en aucun cas affirmer qu’elle est
vérifiée. Il suffit de considérer que nos théories sont les meilleures dont nous disposions.
Popper s’est intéressé à la question de l’espace. Il défend l’idée que Kant pourrait à la
fois avoir raison et tort. Si nous estimons que nos facultés sont le résultat de notre
conformation et des objets qui nous entourent, pour un homme qui arrive sur terre,
pour nos anticipations de l’expérience, l’idée que l’espace est euclidien est ancrée en
nous. Il ne serait pas idiot de penser que l’espace est euclidien. Un a priori à l’échelle
individuelle ne signifie pas un a priori à l’échelle de l’espèce. Kant nous a-t-il parlé d’un
sujet pur, d’un sujet transcendantal ou du sujet du 18e siècle qui est certainement encore
le sujet de beaucoup d’hommes de notre génération ? Est-ce qu’on ne pourrait pas
affirmer que ce qui est a priori pour l’individu semble être a posteriori pour l’espèce ?
Kant n’a-t-il pas confondu le sujet tel qu’il pouvait être pour lui et tout sujet ? Cela amène
à se demander si l’intuition peut être changée par les activités que nous avons, par ce
que nous faisons.
Cet exemple scientifique devient polémique vis-à-vis d’une thèse philosophique.
On peut se demander s’il ne met pas un terme à une lecture simple du kantisme.
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