Section I : L`immatériel et le marché financier

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Évaluation des nouvelles firmes high-tech : l'importance de la révélation d'informations sur l'immatériel
Chapitre 2
LE POIDS DE L'IMMATERIEL
Viet Dung NGUYEN – Thèse de doctorat – IAE de Paris
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Évaluation des nouvelles firmes high-tech : l'importance de la révélation d'informations sur l'immatériel
INTRODUCTION
La difficulté d'évaluer la valeur fondamentale des nouvelles firmes high-tech incite à
rechercher, indépendamment de tout débat sur l'efficience du marché, les causes qui sont
liées aux caractéristiques de ces entreprises elles-mêmes. La différence souvent
considérable entre la valorisation que le marché produit pour celles-ci et la valeur
mesurable grâce aux informations tirées de leurs états financiers pourrait être expliquée
par l'immatériel qui constitue une part de plus en plus importante de leur actif
économique.
La présence d'éléments immatériels pose en effet différents problèmes. Certains
attributs de l'immatériel tels que la non-rivalité et l'effet de réseau rendent sa capacité à
créer de la valeur supérieure à celle des actifs corporels, ce qui fait que l'immatériel
devient le déterminant essentiel de la valeur des entreprises nouvelles dans les secteurs
high-tech. En outre, le caractère flou des droits de propriété, le risque inhérent et l'absence
de marchés organisés de l'immatériel sont ses autres caractéristiques qui altèrent l'utilité du
système d'information financière et aggravent l'incertitude sur la valeur fondamentale de
ces firmes.
L'objectif de ce chapitre est d'analyser ces effets pour tenter d'expliquer les
difficultés de l'évaluation des nouvelles firmes high-tech par le marché. La première
section examine les aspects conceptuels relatifs à la place de l'immatériel dans la
valorisation de ces entreprises. Elle présente en outre une large littérature empirique
montrant deux effets de l'immatériel sur l'évaluation des nouvelles firmes high-tech. D'une
part, son intensité explique la valeur marchande de ces firmes. D'autre part, sa présence
accroît l'incertitude. La deuxième section tente de modéliser simultanément ces deux
effets dans un même modèle en utilisant le cadre théorique de l'évaluation par la théorie
des options. Elle montre que la valeur marchande des nouvelles firmes high-tech et la
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volatilité de cette valeur – un proxy pour le degré d'incertitude sur leur vraie valeur –
peuvent être reliées à des indicateurs de l'intensité et de la portée des investissements
immatériels.
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SECTION I : IMMATERIEL ET MARCHE FINANCIER
Cette section s'attache à montrer les effets susmentionnés de l'immatériel sur
l'évaluation des entreprises high-tech. D'abord, nous présentons les définitions de
l'immatériel.
I.1. DEFINITIONS DE L'IMMATERIEL
Selon Pierrat et Martory (1996), du point de vue de l'entreprise, le phénomène de
l'immatériel se traduit avant tout par des dépenses. Il serait prématuré de parler
immédiatement "d'investissement" ou "d'actif" car ces termes contiennent des restrictions
qui ne s'appliquent pas à l'ensemble des cas possibles. Prises individuellement, les
dépenses immatérielles sont celles consacrées à l'obtention de services immatériels nonfinanciers (achat de publicité, de conseil…), à la constitution ou à l'acquisition d'actifs
immatériels (achat d'une marque, d'un brevet, d'un contrat…). Cependant, cette façon
d'approcher les problèmes n'est pas toujours pertinente puisque les dépenses immatérielles
s'isolent rarement. Il est généralement préférable de passer de la notion de dépense isolée à
celle de dépense intégrée dans un contexte. Cela amène à assimiler la dépense au projet
dans lequel elle s'insère et à retenir l'objet de l'ensemble de l'opération comme critère de
classement. Pierrat et Martory (1996) estiment que si l'on accepte cette modalité
d'identification, il est possible de définir une dépense immatérielle comme une dépense
s'intégrant dans l'un des domaines de l'immatériel suivants36 :
- Les dépenses de recherche et de développement (R&D) : elles sont constituées de
toutes les dépenses qui financent les travaux entrepris pour accroître les connaissances
36
Les catégories retenues correspondent dans les grandes lignes à celles qui sont généralement mises en
évidence par d'autres auteurs tels que Caspar et Afriat (1988), Klein (1988), Martory et Cheillan (1990)
Boisselier (1993).
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scientifiques et techniques (recherche) ainsi que pour rendre ces connaissances
exploitables par l'entreprise (développement).
- Les dépenses de formation et de développement des ressources humaines : Il s'agit
des dépenses engagées pour améliorer la compétence et la motivation des individus qui
travaillent dans l'entreprise ou qui vont être appelés à y travailler.
- Les dépenses de promotion commerciale : elles correspondent aux dépenses en vue
d'améliorer la capacité des produits de l'entreprise à générer des revenus, soit en termes de
quantités vendues supplémentaires, soit en termes de prix de vente supérieurs.
- Les dépenses d'organisation et de gestion : ce sont les dépenses destinées à financer
la conception des systèmes de gestion ainsi que les systèmes de saisie, stockage et
traitement de l'information. Elles ont pour objet de créer, rationaliser, améliorer, adapter
ou dynamiser les structures organisationnelles de l'entreprise.
- Les dépenses liées aux processus de production : il s'agit des dépenses de mise au
point des procédés de production ainsi que d'organisation physique des processus
logistiques.
La typologie précédente porte sur des dépenses. Celles-ci peuvent n'avoir la qualité
d'investissement que sous certaines conditions. Selon Pierrat et Martory (1996), le
qualificatif "d'immatériel" s'applique beaucoup mieux à une dépense qu'à la notion
d'investissement. La terminologie "investissement immatériel" est un raccourci de langage
pour désigner une dépense dans le domaine de l'immatériel ayant le caractère d'un
investissement ou s'intégrant à une opération d'investissement. Pour les puristes, le terme
"investissement immatériel" devrait être réservé à une opération d'investissement reposant
principalement sur des dépenses ayant un objet immatériel, sinon, il vaut mieux parler du
volet "immatériel" d'un investissement. Il est vain de rechercher une frontière entre des
investissements qui pourraient être qualifiés de matériels et des investissements qualifiés
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d'immatériels. Il est préférable d'adopter une conception large de ces derniers en les
définissant comme des dépenses immatérielles engagées aujourd'hui dans l'espoir de
revenus futurs directs ou indirects.
Compte tenu de ces remarques, Pierrat et Martory (1996) envisagent trois situations
qui peuvent être qualifiées d'investissements immatériels :
- Une dépense immatérielle isolée et présentant par elle-même les caractéristiques
d'une opération d'investissement. Autrement dit, il s'agit d'une dépense engagée de
manière isolée aujourd'hui et susceptible de produire par elle-même des revenus futurs sur
une période plus longue. Cette définition générale ne correspond pas à une réalité très
répandue.
- Une dépense immatérielle incluse dans un ensemble de dépenses relatives à une
opération d'investissement plus vaste dont elle n'est qu'un élément. Dans cette situation,
l'investissement immatériel n'a pas d'existence autonome et il ne se justifie que de manière
relative par rapport à des activités existant par ailleurs et sur lesquelles il a un effet positif.
- Une dépense immatérielle spécifiquement orientée vers la constitution ou
l'acquisition d'un actif immatériel. En d'autres termes, il y a investissement immatériel dès
lors que la dépense se traduit par l'acquisition ou la création d'un actif immatériel
identifiable.
On voit intervenir à ce stade de l'analyse la notion d'actif immatériel qu'il est
nécessaire de définir. Il faut dire qu'il n'existe pas à l'heure actuelle de définition très stable
de la notion d'actif et a fortiori d'actif immatériel. Il y a d'importants risques de confusion
entre le concept d'actif et le concept d'investissement. Comme pour l'investissement, un
actif ne représente pas la même chose d'un interlocuteur à l'autre. Les comptables ont leur
définition de l'actif qui repose sur la conception du bilan qu'ils ont adopté. Ainsi, pour
l'IASB, un actif est une dépense dont les effets se font sentir sur plusieurs exercices. Les
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juristes ont également leur propre conception basée sur les règles du droit civil qui les
amènent à considérer qu'un actif est un élément de patrimoine qui peut faire l'objet d'une
appropriation juridique. Cependant, aucune de ces conceptions ne peut convenir en
matière d'évaluation économique. De ce point de vue, il faut considérer qu'un actif est un
droit qui peut être identifié, évalué séparément et faire l'objet d'un échange isolé sur un
marché spécifique. Les deux caractéristiques "identification" et "cessibilité individuelle
sur un marché spécifique" définissent ce que l'on appelle la "séparabilité" d'un actif. La
définition de la notion d'actif immatériel fait l'objet d'une diversité dans la littérature.
Certains auteurs retiennent une définition "a contrario" visant à définir les actifs
immatériels par différence avec les actifs matériels. Un bon exemple de cette approche est
fourni par Smith et Parr (1989) qui définissent les actifs immatériels comme étant "tous les
éléments d'une entreprise qui existent après que les actifs matériels et monétaires aient été
identifiés. Ce sont les éléments qui, après le capital circulant et les actifs fixes, permettent
d'exercer l'activité et contribuent à la capacité bénéficiaire de l'entreprise". Cette
définition, bien qu'intéressante, ne permet pas de mener les investigations qui sont au cœur
de cette thèse. Lev (2001) offre la définition suivante : "un actif immatériel est un droit
aux bénéfices futurs qui n'a pas de forme physique ou financière". Cette définition est
similaire à celle proposée par Smith et Parr (1989) dans la mesure où elle indique qu'un
actif immatériel est d'abord un actif et qu'il est différent d'un actif matériel ou financier.
L'IASB (1998) propose de considérer comme actifs immatériels "les actifs non monétaires
sans substance physique qui sont identifiables, contrôlés par une entreprise donnée suite à
des événements passés et desquels l'entreprise attend des bénéfices futurs". Pierrat et
Martory (1996) retiennent une définition générale reposant sur l'énonciation des
principales caractéristiques des actifs immatériels en prenant soin de ne pas être trop
normatif. Les auteurs définissent un actif immatériel comme "un élément du patrimoine de
l'entreprise qui a vocation à devenir un actif au sens comptable du terme lorsques certaines
conditions sont réunies et qui présente simultanément plusieurs des caractéristiques
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suivantes :
- Absence de substance physique
- Durée de vie indéterminée
- Unicité ou au moins forte spécificité
- Forte incertitude sur ses revenus futurs
- Difficilement séparable des autres actifs".
Il existe également de nombreuses typologies des actifs immatériels. Duizabo et
Guillaume (1996) proposent une typologie des actifs immatériels fondée sur le double
critère de la spécificité de l'actif et de sa dimension humaine. La spécificité d'un actif
immatériel est sa capacité à être négocié sur un marché. Un actif complexe, structuré, mal
délimité, original est réputé faiblement négociable, donc fortement spécifique. La
dimension humaine est la nécessité de recourir ou non à un support humain pour mobiliser
l'actif immatériel. Cette dimension d'un savoir augmente lorsque celui-ci se révèle peu
formalisable, peu communicable. La croissance de la dimension humaine correspond à
une dégradation des possibilités de contrôle exercé par l'entreprise sur cet actif. À la limite
cet actif peut être considéré comme n'appartenant pas à l'entreprise. Des croisements de
ces deux critères résultent quatre groupes d'actifs immatériels :
- des actifs immatériels appartenant à l'entreprise et monnayables (dimension
humaine faible, spécificité faible) tels que des parts de marché, des marques,
- des actifs immatériels n'appartenant pas à l'entreprise mais monnayables
(dimension humaine forte, spécificité faible) tels qu'un contrat de franchise car tout savoirfaire non cessible mais transférable par location appartient à ce groupe,
- des actifs appartenant à l'entreprise mais difficilement monnayables (dimension
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humaine faible, spécificité forte), par exemple le potentiel organisationnel ou les
procédures de lancement de produit et de mobilisation des intelligences dans une chaîne
de valeur,
- des actifs immatériels n'appartenant pas à l'entreprise et difficilement monnayables
(dimension humaine forte, spécificité forte), par exemple le savoir-faire collectif, la
qualification du dirigeant.
Beaucoup d'autres auteurs proposent de simples listes non-exhaustives qui ont pour
seul objet de faire comprendre de quoi il s'agit. Le cabinet Arthur Andersen (1992) définit
quatre catégories d'actifs immatériels : les marques, les droits d'édition, les droits de
propriété intellectuelle et les contrats. Le principal défaut de cette liste est le fait qu'elle
n'est pas une véritable partition de l'ensemble des actifs immatériels, les catégories
proposées étant imparfaitement disjointes. Smith et Parr (1989) proposent la classification
suivante : les droits, les réseaux de relation, les incorporels groupés et la propriété
intellectuelle. Cette typologie est un bon classement par nature des incorporels, mais son
intérêt analytique reste limité du fait qu'elle n'apporte pas d'éclairage particulier sur la
question de l'évaluation de ces actifs. La classification de Pierrat et Martory (1996) repose
sur un ordre décroissant des possibilités d'identification des actifs immatériels, qui
correspond également à un ordre décroissant des possibilités d'évaluation. Elle comporte
six catégories :
- les droits et les quasi-droits (droits d’auteur, droit au bail, secrets de fabrication,
etc.),
- les actifs incorporels matérialisables (logiciels, bases de données),
- les actifs incorporels exploitables (fichiers-clients, listes d’abonnés),
- les structures (structures organisationnelles, système d’information),
- les valeurs incorporelles résiduelles (goodwill),
- les révélateurs d’actif incorporel (part de marché)
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Cette revue des concepts montre la pluralité des approches ainsi que la difficulté à
cerner la notion d'immatériel. De ce fait, nous choisissons une approche générale,
n'excluant aucun aspect. Nous considérons donc les trois volets dans l'ensemble : les
dépenses immatérielles, les investissements immatériels et les actifs immatériels que nous
désignons par les termes "immatériel" ou "éléments immatériels". Ce point étant établi,
nous examinerons dans ce qui suit comment l'immatériel influence la performance et
l'évaluation des nouvelles firmes high-tech par le marché.
I.2. IMMATERIEL ET PERFORMANCE DES ENTREPRISES HIGH-TECH
Nous résumons d'abord les éléments théoriques qui permettent de comprendre
l'impact de l'immatériel sur la croissance et la performance de l'entreprise. Ensuite, nous
présentons les preuves empiriques de la relation entre l'immatériel et la valorisation des
nouvelles firmes high-tech par le marché.
I.2.1. Fondements théoriques
L'impact de l'immatériel sur la croissance a premièrement été étudié par la théorie
économique de la croissance. Le point de départ des modèles de croissance réside dans la
notion de fonction de production, c'est-à-dire la relation fonctionnelle existant entre les
facteurs mis en œuvre, à savoir le stock de capital et le travail. La production est obtenue
en mettant en œuvre ces facteurs. Selon ces modèles, la croissance économique provient
uniquement de l'accroissement des quantités de facteurs37. Cependant, conformément à la
loi des rendements décroissants, l'augmentation des quantités de facteurs de production
utilisés entraîne une baisse de leur rendement. En effet, dans ces modèles, l'accumulation
du capital fait baisser le rendement de celui-ci puisque les facteurs sont rémunérés à leur
productivité marginale, ce qui diminue d'autant l'incitation à investir et inhibe ainsi le
37
Voir Hahn et Mathews (1972) et Stoleru (1978)
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processus de croissance. L'idée était donc d'intégrer dans la fonction de production une
variable exogène : le progrès technique, qui n'est pas un facteur de production mais qui
permet l'obtention d'une croissance non bornée en augmentant la productivité des facteurs
de production à long terme. Plus simplement, en l'absence d'un facteur exogène (le progrès
technique), il ne pourrait pas y avoir de croissance à long terme.
Commentant la présence de ce facteur exogène dans un modèle néo-classique,
Amable et Guellec (1992) estiment que l'on dispose plutôt d'une description que d'une
théorie de la croissance. On ne sait pas d'où cette technologie vient et à quelles lois elle
obéit. La croissance n'est donc pas engendrée par le système économique lui-même mais
reste extérieure au modèle, comme exclue du champ de modélisation. Cette limite fait
naître une approche différente qui est la théorie de la croissance endogène. C'est à partir
du milieu des années 80, avec l'apparition des théories dites de la croissance endogène qui
mettent l'accent sur le rôle du progrès technique ainsi que sur sa détermination, que de
nouvelles approches dans le domaine de la croissance sont apparues. Contrairement au
modèle de croissance néo-classique où le progrès technique est considéré comme exogène,
les nouvelles approches estiment que le changement technique est endogène, ce qui
revient à le considérer comme une source de croissance. Ces nouvelles théories
soutiennent que des investissements plus élevés dans le domaine immatériel entraîneraient
des effets agrégés d'externalités et d'économies d'échelle. Après le modèle fondateur de
Romer (1986), d'autres travaux montrent la place de l'immatériel dans la croissance. Ils
mettent notamment en évidence trois sources de croissance qui relèvent des domaines
immatériels : l'accumulation du capital humain [Lucas (1988)], l'importance des
ressources consacrées à la recherche et le développement [Romer (1990)] et l'importance
des réseaux de communication, d'information ou de télécommunication [Barro (1989,
1990)].
Du point de vue des gestionnaires, l'impact positif des éléments immatériels sur la
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performance de l'entreprise est soutenu par la théorie des ressources 38. Selon celle-ci, les
ressources internes de l'entreprise constituent le déterminant principal de son avantage
concurrentiel et de sa profitabilité. Sur ce point, cette théorie se démarque de celle de
l'organisation industrielle39 qui considère que la performance de l'entreprise est plutôt
déterminée par les facteurs industriels et de marché tels que la part de marché, les barrières
à l'entrée, le niveau de concentration du secteur, la structure de coûts ou la taille de
l'entreprise40... Les ressources internes de l'entreprise se composent de deux catégories :
matérielles et immatérielles. Barney (1991) souligne que, pour influencer de manière
positive sa performance, les ressources internes d'une entreprise doivent être non
seulement créatrices de valeur économique, mais aussi relativement particulières et
difficiles à imiter par la concurrence. Le raisonnement de base de la théorie des ressources
est le suivant : les entreprises accumulent, au fil du temps, par accident ou par choix, un
certain nombre de ressources et si celles-ci leur permettent d'engendrer de manière
persistante des gains de performance, les concurrents chercheront à identifier le lien de
causalité entre ressources et performance. S'ils le peuvent, ils imiteront ces ressources,
essaieront de les acquérir sur le marché ou tenteront de développer des ressources
alternatives produisant des résultats similaires. C'est donc l'hétérogénéité des ressources
qui explique les différences de performance entre entreprises d'un même secteur et cette
hétérogénéité peut être préservée par un certain nombre de barrières à l'imitation ou
"mécanismes isolateurs" : (i) afin de devenir créatrice de valeur, une ressource peut
nécessiter des années d'apprentissage, d'accumulation de connaissances et de formation
spécifique à son utilisation qui rendent son imitation immédiate par les concurrents
38
Penrose (1959) est un des pionniers de cette théorie. Wernerfelt (1984), Barney (1991) et Mahoney et
Pandian (1992) contribuent activement à son développement dans le domaine de la gestion stratégique de
l'entreprise.
39
Les pionniers de cette théorie sont Bain (1956) et Mason (1957).
40
Porter (1991) affirme que "at the broadest level, firm success is a function of two areas : the attractiveness
of the industry in which the firm competes and its relative position in that industry".
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impossible ; (ii) certaines ressources sont tout simplement uniques ou ont été acquises par
l'entreprise dans des conditions non réplicables ; (iii) la valeur d'une ressource peut
également dépendre de l'utilisation conjointe et simultanée d'autres ressources dites
ressources complémentaires ou co-spécialisées auxquelles les concurrents n'ont pas
forcément accès… Comparant les ressources matérielles et immatérielles, Michalisin et al.
(1997) mettent en évidence la supériorité de ces dernières dans la préservation de
l'hétérogénéité des ressources. En effet, tandis que les ressources matérielles ne sont pas
difficiles à imiter, les caractéristiques de l'immatériel telles que l'absence de substance
physique, la forte spécificité ou la faible séparabilité renforcent les barrières à l'imitation
et maintiennent donc l'avantage concurrentiel de l'entreprise.
En dehors du cadre de la théorie des ressources, certains chercheurs mettent l'accent
sur deux caractéristiques de l'immatériel qu'ils considèrent comme déterminants de la
croissance et de la création de valeur : la non-rivalité et l'effet de réseau. En ce qui
concerne la première caractéristique, Lev (2001) souligne que l'immatériel est différent
des actifs matériels et financiers. Ces derniers sont les actifs rivaux dans la mesure où un
déploiement spécifique de ces actifs en exclut un emploi alternatif. Une telle rivalité
entraîne des coûts d'opportunité qui reflètent la renonciation aux bénéfices éventuels
provenant de la meilleure utilisation alternative de ces actifs. En revanche, l'immatériel est
en général non rival. Il peut être en même temps déployé dans des utilisations multiples et
un déploiement donné ne diminue pas son utilité dans d'autres déploiements41. Ce qui
contribue activement à la non-rivalité de l'immatériel est le fait qu'il est généralement
caractérisé par des sunk costs importants mais des coûts marginaux négligeables. Le
développement d'un médicament ou d'un logiciel par exemple exige généralement un
investissement initial considérable alors que le coût marginal de production des pilules ou
des disquettes de logiciel est faible. De tels investissements ne sont donc pas sujets aux
41
Voir Romer (1998) pour un développement plus conséquent relatif à la non-rivalité de l'immatériel.
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Évaluation des nouvelles firmes high-tech : l'importance de la révélation d'informations sur l'immatériel
rendements décroissants comme les actifs matériels.
L'effet de réseau existe quand la valeur de rattachement à un réseau augmente avec
le nombre de personnes qui y participent42. Les effets de réseau peuvent créer la
rétroaction positive de sorte que la clientèle devient plus importante quand les clients
existants attirent de nouveaux clients, même en l'absence des dépenses engagées par la
société. Le résultat idéal d'une telle rétroaction positive est que la société obtient
rapidement un monopole de son marché prospecté. Selon Hand (2003), la combinaison de
la non-rivalité et des effets de réseau peut conduire à une situation de rentabilité croissante
pour les investissements immatériels. La probabilité qu'une société engrange des bénéfices
liés à son monopole est une fonction croissante de l'ampleur de ses investissements
immatériels et de la vitesse à laquelle cette ampleur augmente.
Ce résumé succinct nous indique le rôle de l'immatériel dans la croissance des
entreprises. Comment cette capacité de création de valeur de l'immatériel est-elle évaluée
par le marché financier ? Nous en synthétisons dans ce qui suit les preuves empiriques.
I.2.2. Présence d'éléments immatériels et performance des
entreprises high-tech – les preuves empiriques
Pour faciliter cette synthèse, nous suivons Lev (2001) qui regroupe les éléments
immatériels en trois catégories selon leur origine : la R&D, le capital organisationnel et les
ressources humaines. Nous examinerons l'impact de chacune de ces catégories sur
42
Voir Farrell et Saloner (1985) et Brynjolfsson et Kemerer (1996)
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91
Évaluation des nouvelles firmes high-tech : l'importance de la révélation d'informations sur l'immatériel
l'évaluation des nouvelles firmes par le marché.
I.2.2.1. L'impact de la R&D
La contribution de la R&D à la croissance et à la performance des entreprises peut
être estimée en reliant statistiquement un indicateur de la performance au montant des
dépenses de R&D43. Celui-ci est mesuré à la même période que celle de l'indicateur de la
performance et aux périodes précédentes pour tenir compte de son effet retardé. À
l'origine, la performance de l'entreprise était souvent représentée par les indicateurs non
boursiers (e.g. la croissance du chiffre d'affaires, du bénéfice…). Cette approche
fréquemment utilisée par les économistes et les chercheurs académiques dans différents
secteurs rapporte plusieurs résultats44 :
- La R&D contribue de manière significative à la performance des entreprises à base
technologique. Le taux estimé de rentabilité des investissements en R&D est assez élevé –
de 20 % à 35 % annuellement – et varie considérablement en fonction des secteurs et du
temps [Hall (1993)].
- La contribution de la recherche fondamentale est sensiblement plus importante que
celle de la recherche appliquée [Mansfield (1991), Griliches (1995)].
- La contribution de la R&D financée par les entreprises elles-même est plus
significative que celle des activités de R&D publiquement financées [Mansfield (1991)].
Le corps de recherches susmentionné relie les inputs du processus de R&D à la
productivité, à la croissance du chiffre d'affaires et à celle du bénéfice dans l'objectif
d'estimer la rentabilité de ces investissements. Cette approche méthodologique rencontre
43
L'impact des investissements matériels est bien évidemment contrôlé.
44
Voir Griliches (1995) pour une discussion détaillée des méthodologies utilisées et des résultats obtenus.
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Évaluation des nouvelles firmes high-tech : l'importance de la révélation d'informations sur l'immatériel
cependant plusieurs problèmes. En particulier, le décalage temporel entre les
investissements en R&D et la réalisation des résultats éventuels est souvent long et
généralement inconnu, ce qui augmente l'incertitude sur la contribution estimée de la
R&D. En outre, les biais relatifs aux résultats communiqués qui résultent des tentatives
des dirigeants de "gérer" la perception des investisseurs peuvent opacifier le rapport
intrinsèque entre la R&D et les bénéfices ultérieurs. Ces problèmes de mesure ont incité la
recherche d'indicateurs alternatifs et plus fiables des résultats provenant de la R&D. La
valeur de marché des entreprises suscite alors une attention particulière. Les partisans de
l'hypothèse selon laquelle le marché évalue correctement les entreprises estiment que la
valeur de marché et la rentabilité boursière constituent les signaux fiables de la valeur et
de la performance des firmes.
Un bon nombre de travaux de recherche indique que les investisseurs considèrent la
R&D comme une activité créatrice de valeur. Quelques études d'événement montrent une
réaction significativement positive des investisseurs (hausse du prix d'action) à l'annonce
de nouvelles initiatives de R&D, notamment dans les secteurs high-tech [Chan et al.
(1990), Chan et al. (1992)]. Chauvin et Hirschey (1993) constatent que le marché valorise
mieux un dollar de R&D dépensé par des grandes entreprises high-tech que celui des
firmes plus petites, ce qui reflète probablement les économies d'échelle dans les activités
de R&D. Par exemple, une grande entreprise peut tirer des leçons à partir des projets de
R&D manqués quand elle poursuit le développement d'autres projets. Klock et Megna
(2000) documentent une corrélation significativement positive entre certains éléments
immatériels des entreprises de télécommunications sans fil (dépenses de publicité, frais de
R&D, contrats de licence…) et le ratio Q de Tobin.
D'autres études tentent de construire des indicateurs plus sophistiqués à partir des
dépenses périodiques de R&D et de montrer leur impact sur la valeur de marché des
firmes. Lev et Sougiannis (1996) développent un modèle pour estimer le capital résultant
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Évaluation des nouvelles firmes high-tech : l'importance de la révélation d'informations sur l'immatériel
des
investissements
annuels
en
R&D.
La
mesure
ainsi
construite
explique
significativement la valeur des entreprises high-tech. En appliquant particulièrement leur
modèle à des firmes pharmaceutiques, ils constatent qu'en moyenne, un dollar dépensé
aujourd'hui en R&D augmente les bénéfices futurs de 2,63 dollars. Aboody et Lev (1998)
montrent que la capitalisation des dépenses de développement de logiciels permet
d'améliorer la prévision des bénéfices futurs et fournit aux investisseurs des informations
utiles dans l'évaluation des entreprises informatiques.
Un autre volet de la littérature se concentre sur la capacité d'autres indicateurs de la
contribution de la R&D que ceux liés au montant de ces dépenses à expliquer la valeur et
la performance boursière des entreprises high-tech. Pinches et al. (1996) soulignent que la
R&D est un processus et que le montant des dépenses n'est qu'un indicateur brut45 qui ne
permet pas de savoir quelles étapes de ce processus créent réellement de la valeur pour les
actionnaires. Les résultats de leur étude empirique montrent qu'en effet, le marché
financier est discriminatoire : il ne considère pas que toutes les dépenses de R&D peuvent
apporter des profits futurs. Il répond positivement aux annonces d'initiation d'un projet de
R&D seulement dans le cas des entreprises high-tech leaders et attend généralement une
preuve d'avancement pour d'autres firmes. L'annonce d'avancement d'un projet reçoit une
réaction positive dans tous les secteurs de haute technologie et pour les entreprises à faible
intensité technologique, le marché ne réagit qu'à l'annonce de la phase de
commercialisation. À la recherche d'indicateurs plus pertinents, certains chercheurs
académiques exploitent des informations contenues dans les brevets. Quelques attributs
tels que le nombre de brevets procurés à une firme, les citations…. ont été examinés.
Selon Griliches (1990), le nombre de brevets est positivement corrélé avec le niveau
d'investissement en R&D ainsi qu'avec la valeur de marché de la firme. Les brevets sont
donc à la fois liés à l'input et l'output intermédiaire du processus d'innovation. Cependant,
45
Il s'agit plutôt d'un indicateur d'inputs du processus d'innovation.
Viet Dung NGUYEN – Thèse de doctorat – IAE de Paris
94
Évaluation des nouvelles firmes high-tech : l'importance de la révélation d'informations sur l'immatériel
les brevets ne disposent pas tous de la même ampleur technologique et ils n'ont donc pas
tous la même signification économique. Utilisant une étude événementielle, Austin (1993)
constate que pour les firmes de biotechnologie, les brevets liés à un produit fini sont
mieux valorisés que d'autres. Cockburn et Griliches (1988) et Lerner (1994) montrent
aussi que les investisseurs n'évaluent pas tous les brevets d'une entreprise de façon
identique. D'autres études considèrent les citations (références) dans les brevets comme
susceptibles de refléter la qualité et l'impact des activités d'innovation de la firme sur le
développement scientifique et technologique ultérieur. Shane et Klock (1997) et Hall et al.
(2000) démontrent que la pondération du nombre de brevets par les citations futures
contribue à l'explication de la valeur de marché de l'entreprise. Dans un test direct de la
pertinence des citations de brevet pour les investisseurs, Deng et al. (1999) et Hirschey et
Richardson (2001) examinent la capacité de différentes variables basées sur les citations
de brevets à expliquer la création de valeur dans certains secteurs high-tech. Ils constatent
que les variables suivantes sont positivement corrélées avec le ratio book-to-market et la
rentabilité boursière des entreprises high-tech : l'intensité des citations des brevets d'une
firme dans les brevets ultérieurs et le nombre de citations d'articles et de papiers de
recherche dans les brevets d'une firme. Cette dernière variable reflète "l'intensité
scientifique" d'un brevet et peut fournir un proxy pour le niveau de recherches
fondamentales d'une entreprise.
La littérature empirique montre ainsi que l'intensité et la qualité des investissements
dans la R&D ont un impact positif sur la valeur et la performance boursière des entreprises
high-tech. Nous passons maintenant au rôle du capital organisationnel.
I.2.2.2. L'impact du capital organisationnel
Le capital organisationnel représente la capacité de l'entreprise à créer de la valeur
grâce à l'amélioration de l'efficience organisationnelle du processus de production et de
Viet Dung NGUYEN – Thèse de doctorat – IAE de Paris
95
Évaluation des nouvelles firmes high-tech : l'importance de la révélation d'informations sur l'immatériel
commercialisation et à sa capacité à valoriser ses relations avec ses partenaires
extérieurs46. Brynjolfsson et Yang (2002) examinent l'impact des changements
organisationnels accompagnant les investissements en matériel informatique. Les auteurs
régressent la valeur de marché d'un échantillon de 1000 entreprises sur la valeur de leurs
actifs corporels, le montant des dépenses de R&D et celui destiné au matériel informatique
pour la période 1987-1997. Le résultat trouvé est remarquable. Alors qu'un dollar investi
dans les actifs corporels est en moyenne évalué par le marché à approximativement un
dollar, ce ratio est proche de 10 pour les investissements en matériel informatique.
Autrement dit, un dollar qui y est investi semble créer 10 dollars de valeur marchande. Les
auteurs expliquent cette évaluation liée au matériel informatique par le fait que ce type
d'investissement reflète la capacité du capital organisationnel à créer de la valeur, pas
uniquement celle du matériel informatique. En d'autres termes, il représente l'effort
d'investissement de l'entreprise dans les changements organisationnels. Les auteurs
estiment que l'utilisation du matériel informatique est complémentaire à de nouvelles
organisations des systèmes d'information et de production. S'agissant d'une nouvelle
technologie rapidement développée, ce type d'investissement peut accompagner des
changements considérables dans la structure et le comportement des organisations.
Faute de données, le travail de Brynjolfsson et Yang (2002) appartient à un courant
de recherche peu développé sur la contribution des investissements dans les changements
généraux de structures organisationnelles. En raison de la faisabilité empirique, la plupart
des autres travaux se concentrent particulièrement sur une forme spécifique du capital
organisationnel associé à la dernière phase de la chaîne de valeur des entreprises à base
technologique : la commercialisation. Amir et Lev (1996) examinent la valorisation par le
marché des dépenses d'obtention de la clientèle dans le secteur du téléphone cellulaire. Ils
constatent d'abord qu'en moyenne, un client reste avec un opérateur de téléphone cellulaire
46
Voir Edvinsson et Malone (1999)
Viet Dung NGUYEN – Thèse de doctorat – IAE de Paris
96
Évaluation des nouvelles firmes high-tech : l'importance de la révélation d'informations sur l'immatériel
pendant 3,5 ans. Ils estiment ainsi que les coûts d'obtention de la clientèle peuvent être
considérés comme un investissement immatériel plutôt que de simples dépenses de
marketing, les profits éventuels de cet investissement s'étirant sur beaucoup plus d'un an47.
Les auteurs confirment cette idée en montrant que ces coûts contribuent à expliquer la
performance boursière des firmes de téléphone cellulaire.
Certaines études exploitent d'autres indicateurs du capital organisationnel lors de la
phase de commercialisation. Ittner et Larcker (1998) considèrent un indice 48 reflétant la
satisfaction de la clientèle vis-à-vis de 124 firmes américaines pour l'année 1995. Les
auteurs montrent que cet indice est positivement et significativement lié à la valeur de
marché des entreprises. Barth et al. (1998) testent la relation entre la valeur de marque
estimée par Financial World et la valeur de marché d'un échantillon de 508 observations
firme-année (1991-1996). Ils constatent que cette relation est fortement positive. Un
certain nombre de chercheurs académiques s'intéressent au rôle de certaines variables
relatives au trafic sur l'Internet dans l'évaluation des sociétés d'Internet par le marché. Ils
estiment que le fait d'attirer une masse de visiteurs vers le site web d'une société d'Internet
permet de créer les relations de clientèle qui pourraient se transformer en revenus futurs.
Le suivi du comportement des visiteurs sur le site web de la firme peut révéler leur nature
et leur besoin même s'ils n'achètent pas les produits et/ou services de l'entreprise. Par
exemple, Amazon.com utilise les données concernant les recherches manquées sur son site
web pour comprendre les préférences de ces visiteurs et décider quels produits et/ou
services à leur présenter. Ces données sont aussi utiles pour décider de la quantité et de la
composition des stocks de produits vendus sur le site. En outre, le commerce en ligne
s'effectue dans un environnement avec effet de réseau (rétroaction positive). Ceci permet à
47
48
Il s'agit d'un horizon comptable courant qui permet de distinguer un actif d'une dépense.
American Customer Satisfaction Index (ACSI) du National Quality Research Center – University of
Michigan Business School et American Society for Quality.
Viet Dung NGUYEN – Thèse de doctorat – IAE de Paris
97
Évaluation des nouvelles firmes high-tech : l'importance de la révélation d'informations sur l'immatériel
la firme d'avoir une partie non négligeable de ses revenus dus à la publicité sur son site
web. Tous ces éléments relèvent du capital organisationnel de l'entreprise et ils sont
partiellement reflétés dans les variables web traffic. Rajgopal et al. (2000), Trueman et al.
(2000), Demers et Lev (2001) et Hand (2001 et 2003) vérifient la pertinence des variables
web traffic et montrent que les variables Reach et Stickiness49 expliquent très
significativement la valeur de marché des firmes d'Internet.
I.2.2.3. L'impact des éléments immatériels relatifs aux ressources humaines
Contrairement aux deux catégories d'immatériel précédentes – la R&D et le capital
organisationnel, les travaux de recherche portant sur l'évaluation des éléments immatériels
relatifs aux ressources humaines sont rares, faute de données. En effet, Bassi et al. (1999)
constatent à travers une analyse de 40 rapports financiers des grandes entreprises cotées
qu'aucune information quantitative pertinente sur les ressources humaines n'est
communiquée. Les études sur cette question ont souvent recours aux données issues
d'enquêtes qui sont bruitées. Cappelli et Neumark (2001) offrent une synthèse de ces
études et montrent qu'il manque des preuves convaincantes d'une liaison entre les
dépenses destinées aux ressources humaines et la valeur de l'entreprise. Les auteurs
expliquent partiellement cette absence de relation significative par le problème de
données. Un des rares résultats en faveur de cette relation vient d'une étude plus récente.
Darby et al. (2004) mesurent le capital intellectuel des entreprises de biotechnologie en
comptant le nombre d'articles que leurs employés co-écrivent avec des chercheurs
reconnus (e.g. lauréats du prix Nobel). Les auteurs montrent que cette mesure liée aux
ressources humaines des firmes de biotechnologie est positivement associée à leur valeur
marchande.
49
Reach est un indicateur de l'ampleur du contingent des visiteurs d'un site web. Stickiness représente la
capacité d'un site web à retenir un visiteur quand il y a accédé.
Viet Dung NGUYEN – Thèse de doctorat – IAE de Paris
98
Évaluation des nouvelles firmes high-tech : l'importance de la révélation d'informations sur l'immatériel
Les éléments que nous présentons dans ce paragraphe mettent ainsi en évidence la
capacité de l'immatériel à créer de la valeur. Une littérature empirique abondante montre
que le marché évalue cette capacité et il semble que la valeur des entreprises high-tech est
une fonction croissante de l'intensité de leurs éléments immatériels sous l'hypothèse que le
marché soit efficient. Cependant, l'immatériel ne présente pas que des avantages. En effet,
il constitue une source importante d'incertitude et sa présence met en cause l'hypothèse
selon laquelle le marché évalue correctement les nouvelles firmes high-tech. L'objectif du
prochain paragraphe est de mettre en évidence cet impact de l'immatériel sur l'incertitude
et ses conséquences pour le marché financier.
I.3. IMMATERIEL ET INCERTITUDE
Nous montrons d'abord comment trois autres caractéristiques de l'immatériel
constituent de véritables barrières à sa gestion en général et à sa reconnaissance dans le
cadre du système d'information financière actuel en particulier. Nous analysons ensuite les
conséquences pour le marché financier.
I.3.1. Quelques caractéristiques de l'immatériel
Ces caractéristiques sont le caractère flou des droits de propriété, le risque inhérent à
l'immatériel et l'absence de marchés organisés.
I.3.1.1. Le caractère flou des droits de propriété et le spillover
Viet Dung NGUYEN – Thèse de doctorat – IAE de Paris
99
Évaluation des nouvelles firmes high-tech : l'importance de la révélation d'informations sur l'immatériel
Alors que les droits de propriété bien définis sur les actifs corporels et financiers
permettent à leurs propriétaires d'empêcher autrui de s'approprier des bénéfices provenant
de ces actifs, ce n'est pas le cas de l'immatériel. Par exemple, lorsqu'une entreprise investit
dans la formation de ses employés, les autres sociétés pourront bénéficier de cet
investissement si ceux-ci changent d'employeurs, sauf si la formation est parfaitement
spécifique à l'entreprise investissant, ce qui est bien entendu rare. Même dans le cas
d'inventions brevetées pour lesquelles les droits de propriété sont définis, il y a également
un risque de fuite de bénéfices aux non propriétaires, ce que l'on appelle le spillover. En
effet, une invention peut évidemment être utilisée par les non propriétaires après
l'expiration du brevet. Cette invention risque même d'être imitée avant cette date
d'expiration. Cohen et al. (2003) montrent dans leur enquête que l'efficacité des brevets
comme moyen d'appropriation de la rentabilité des activités de R&D diminue depuis le
début des années 80, malgré l'intensification de la protection par brevets. Les auteurs
constatent que les entreprises américaines s'appuient plus sur le secret et l'avantage d'être
premières sur le marché que sur la protection par brevets pour s'approprier pleinement des
bénéfices provenant de leurs activités d'innovation.
Le caractère flou des droits de propriété et le spillover caractérisant les éléments
immatériels ont un impact important sur le système d'information financière de
l'entreprise. En effet, la reconnaissance formelle des investissements immatériels, c'est-àdire la comptabilisation de ceux-ci en tant qu'immobilisations au bilan, exige, entre autres,
que l'entreprise exerce un contrôle effectif sur ces éléments immatériels. L'entreprise
n'ayant pas un droit de propriété bien défini sur la plupart de ceux-ci, la réglementation
comptable ne permet pas de qualifier d'actifs toutes les dépenses immatérielles, ce qui
conduit à leur passage en simples charges de période. La non-discrimination de véritables
charges qui ne produisent pas de revenus futurs et des dépenses immatérielles contribue à
affaiblir l'utilité du système d'information financière actuel pour les managers et les
investisseurs externes.
Viet Dung NGUYEN – Thèse de doctorat – IAE de Paris
100
Évaluation des nouvelles firmes high-tech : l'importance de la révélation d'informations sur l'immatériel
I.3.1.2. Le risque inhérent à l'immatériel
Les dépenses immatérielles constituent les inputs du processus d'innovation qui est
très risqué. L'étude de Christensen (1997) portant sur les fabricants américains de disques
durs pour la période 1976-1994 montre un niveau de risque élevé associé à l'innovation. Il
s'agit de la période de lancement et de croissance de ce secteur aux États-Unis où un total
de 83 firmes y sont entrées. Parmi ces sociétés, seulement 18 % ont atteint l'objectif de
100 millions de dollars de chiffre d'affaires au moins un an après le commencement de
leur opération – un modeste taux de réussite. Scherer et al. (2000) observent une
distribution fortement biaisée des résultats de l'innovation. Une poignée d'innovateurs
réussissant perçoivent la plupart des bénéfices provenant des efforts d'innovation. Les
auteurs examinent un échantillon de brevets américains et allemands et constatent que
seulement 10 % des brevets représentent 87 % de la valeur totale des brevets. Une grande
partie des brevets sont donc d'une faible valeur. Ils considèrent également les introductions
en bourse d'un échantillon de firmes technologiques qui ont déjà leurs produits sur le
marché avec un certain chiffre d'affaires. 10 % de ces sociétés occupent 60 % de la valeur
de marché totale. Cela montre le niveau de risque important lié aux investissements
immatériels du processus d'innovation.
Une explication du niveau de risque inhérent à l'immatériel peut être apportée en
considérant son rôle et sa place dans le processus d'innovation. Il est important de noter
que durant ce processus qui commence par une découverte et finit par la
commercialisation de produits ou services, l'incertitude vis-à-vis des résultats futurs
(chiffre d'affaires, bénéfices) est décroissante. La recherche fondamentale qui a souvent
lieu au début du processus d'innovation est la plus risquée en termes de succès technique
et commercial. Les perspectives de la recherche appliquée qui vise la modification de
technologies existantes sont moins incertaines que celles de la recherche fondamentale qui
précède. Enfin, la production et la commercialisation de produits ou services qui
Viet Dung NGUYEN – Thèse de doctorat – IAE de Paris
101
Évaluation des nouvelles firmes high-tech : l'importance de la révélation d'informations sur l'immatériel
constituent l'étape d'exploitation dans la chaîne d'innovation sont évidemment moins
risquées que les étapes innovatrices antérieures, l'incertitude technologique de celles-ci
étant déjà résolue50. Dans un effort de quantifier le risque décroissant du processus
d'innovation, Mansfield et Wagner (1977) examinent les résultats des projets de R&D
individuels de 16 sociétés chimiques, pharmaceutiques, électroniques et pétrolières. Les
probabilités moyennes de succès de différentes phases sont les suivantes : probabilité de
succès technique : 0,57 ; probabilité de commercialisation, étant donné le succès technique
: 0,65 ; probabilité de succès financier51, étant donnée la commercialisation : 0,74. Ces
probabilités de succès sont selon Scherer et al. (2000) probablement exagérées, compte
tenu du fait que les projets examinés appartiennent aux grandes firmes. Le résultat
confirme cependant le phénomène de risque décroissant qui caractérise le processus
d'innovation.
L'analyse du processus d'innovation clarifie le niveau de risque élevé inhérent à
l'immatériel. En effet, les investissements immatériels sont souvent plus intensifs lors des
premières étapes du processus où l'incertitude est très importante. Le risque étant
décroissant avec l'avancement du processus, les investissements en actifs corporels qui ne
sont effectués qu'à la fin de celui-ci sont bien entendu moins risqués que les
investissements immatériels. Cette différence du niveau de risque est confirmée par
Kothari et al. (2002). Les auteurs comparent la contribution des investissements en R&D
et en immobilisations corporelles à la volatilité des bénéfices futurs pour un échantillon de
50000 observations firme-année sur la période 1972-1997. Le résultat obtenu confirme
l'hypothèse selon laquelle les bénéfices générés par les investissements en R&D sont plus
incertains que ceux provenant des investissements en actifs corporels.
Le niveau élevé de risque inhérent à l'immatériel a des conséquences pour les
50
Voir Mansfield (1991) et Griliches (1995).
51
C'est-à-dire que la rentabilité de l'investissement est égale ou supérieure au coût du capital de l'entreprise.
Viet Dung NGUYEN – Thèse de doctorat – IAE de Paris
102
Évaluation des nouvelles firmes high-tech : l'importance de la révélation d'informations sur l'immatériel
dirigeants, les investisseurs sur le marché financier et les autorités de régulation. En effet,
les mécanismes de réduction et de partage de risque de l'immatériel, tels que le partenariat
de R&D et la constitution de portefeuilles diversifiés de projets d'innovation, est au cœur
de la gestion du processus d'innovation. Les autorités de régulation sont souvent
soucieuses du fait que l'aversion au risque puisse empêcher une politique optimale
d'investissement dans l'innovation ou autrement dit du sous-investissement dans les projets
qui sont risqués mais socialement bénéfiques. Le risque joue également un rôle important
dans le traitement comptable des investissements immatériels. Le fait que ceux-ci ont un
niveau de risque élevé et sont difficiles à évaluer de manière fiable justifie la décision de
la réglementation comptable de les passer en simples charges.
I.3.1.3. L'absence de marchés organisés de l'immatériel
Les marchés accomplissent plusieurs fonctions économiques et sociales importantes.
Ils offrent aux producteurs de biens ou de services la liquidité et des signaux sur la
préférence des consommateurs en sus de permettre le partage de risque et la spécialisation.
Les marchés fournissent aussi de l'information sur la valeur de biens et de services, ce qui
est essentiel pour l'allocation optimale de ressources. Cependant, ce qui différencie
l'immatériel de la plupart des autres actifs est l'absence de marchés organisés avec un
grand nombre de participants et des prix transparents. Le mot "organisé" est à souligner.
En fait, on peut dire qu'un marché existe quand un échange a lieu. Par conséquent, quand
une entreprise cède par licence un brevet à une autre, il y a un marché. Lamoreaux et
Sokoloff (2001) examinent les échanges de brevets au 19ème siècle et au début du 20ème
siècle. Ils montrent un volume important des transactions de technologies brevetées au
19ème siècle. Ils constatent également que l'amélioration de la capacité à échanger stimulait
la spécialisation de ceux qui ont un avantage comparatif et accroissait le taux d'invention
en général. Ce marché qui était caractérisé par une dichotomie entre les inventeurs et les
développeurs a cependant changé au début du 20ème siècle. Depuis, plutôt que d'être
Viet Dung NGUYEN – Thèse de doctorat – IAE de Paris
103
Évaluation des nouvelles firmes high-tech : l'importance de la révélation d'informations sur l'immatériel
développées par les inventeurs et ensuite vendues aux développeurs, les innovations sont
inventées et développées dans les entreprises et les centres de recherche. Toutes les
innovations ne pouvant pas être entièrement développées à l'intérieur de ces entités, cellesci ont besoin d'échanges sous différentes formes telles que les contrats de licence sur
brevets, les fusions et acquisitions dans lesquelles la R&D et les technologies en cours de
développement sont échangées, les partenariats et joint-ventures… Il est clair que les
transactions portant sur l'immatériel existent. Il leur manque cependant certaines
caractéristiques principales d'un marché : organisation et transparence. Les détails des
contrats de licence et des partenariats ne sont généralement pas rendus publics, les
éléments immatériels échangés sont souvent inséparables d'autres actifs…
Selon Lev (2001), l'absence de marchés organisés de l'immatériel résulte
principalement de l'incapacité d'établir des "contrats complets" vis-à-vis des résultats de
l'immatériel. Il s'agit de la difficulté à spécifier à l'avance les droits et les obligations ainsi
que le partage de résultats provenant des investissements immatériels. L'absence de
marchés organisés de l'immatériel a des conséquences. Par exemple, l'évaluation de
l'immatériel est limitée par la rareté des éléments comparables. Pour la réglementation,
l'inexistence de tels éléments comparables est une des raisons pour lesquelles les
investissements immatériels ne sont pas qualifiés d'actifs au bilan.
En résumé, les trois caractéristiques de l'immatériel que nous venons d'examiner font
de telle manière que les investissements immatériels reçoivent les traitements comptables
différents des investissements corporels. Par excès de prudence, les principes comptables
ont créé un contexte d'exclusion pour la reconnaissance de l'immatériel. Après avoir
considéré les caractéristiques de l'immatériel qui justifient l'incertitude, nous nous
attachons à en analyser les conséquences pour les investisseurs sur le marché financier.
Viet Dung NGUYEN – Thèse de doctorat – IAE de Paris
104
Évaluation des nouvelles firmes high-tech : l'importance de la révélation d'informations sur l'immatériel
I.3.2. Immatériel et marché financier
L'incapacité du système d'information actuel à refléter l'immatériel conduit à une
rareté de l'information sur celui-ci par rapport à celle portant sur les actifs corporels et
financiers. À l'exception des dépenses de recherche et de développement qui sont, quelque
soit la méthode de comptabilisation, au moins communiquées séparément dans les états
financiers, les autres éléments immatériels ne font pas l'objet de communication
systématique. En effet, aucune information n’est fournie dans les états financiers sur les
dépenses de formation et de développement de ressources humaines, sur les dépenses
d'organisation et de gestion de l'entreprise… par exemple. Ceci a pour conséquence un
manque de transparence sur l'immatériel. À peu d'exceptions près, cette situation règne
dans le monde entier. Lev et Zarowin (1999) montrent une baisse de l’utilité de
l’information financière pour les investisseurs au cours des années 80 et 90. Ils constatent
une association52 de plus en plus faible entre la valeur de marché ainsi que la rentabilité
des actions et les variables financières essentielles telles que le bénéfice, le cash-flow et la
Graphique 2.1 : relation entre bénéfices annuels et rentabilités boursières, 5000 firmes
américaines, 1980-1996
52
Dumontier et Raffournier (2002) rappellent les fondements et méthodologies des études sur cette relation.
Ils décrivent aussi les principaux résultats obtenus en la matière.
Viet Dung NGUYEN – Thèse de doctorat – IAE de Paris
105
Évaluation des nouvelles firmes high-tech : l'importance de la révélation d'informations sur l'immatériel
Source : Lev et Zarowin (1999)
valeur comptable, ce qui est illustré par le graphique ci-dessus53. Selon les auteurs, la
diminution de l'utilité de l'information financière est due au changement entraîné par
l'innovation, la concurrence et la déréglementation. L'impact croissant de ce changement
n'est pas reflété de façon adéquate par le système d'information financière actuel. Les
investissements tels que les dépenses de restructuration et de R&D qui poussent
généralement ce changement sont immédiatement passés en simples charges, alors que les
bénéfices du changement ne sont enregistrés que beaucoup plus tard et ne sont pas
rapprochés des investissements. Le processus fondamental de mesure comptable qui
rapproche périodiquement les revenus des coûts est donc altéré, ce qui influence
défavorablement l'utilité de l'information financière. Les auteurs lient cette constatation
aux activités d'innovation de l'entreprise qui se font, pour la plupart, sous forme
d'investissements immatériels, ce qu'ils considèrent comme le principal moteur du
changement. Dans le traitement de ces éléments immatériels, le système comptable ne
parvient pas à refléter la valeur et la performance de l'entreprise. Ils montrent
empiriquement l'effet informationnel négatif du traitement comptable de l'immatériel par
une relation significativement positive entre le taux du changement susmentionné et
53
R2 est le coefficient de détermination ajusté de la régression dont la variable explicative est le bénéfice et
la variable expliquée est la rentabilité boursière.
Viet Dung NGUYEN – Thèse de doctorat – IAE de Paris
106
Évaluation des nouvelles firmes high-tech : l'importance de la révélation d'informations sur l'immatériel
l'accroissement des dépenses de R&D ainsi que celle entre la baisse du contenu informatif
des bénéfices et l'augmentation des dépenses de R&D. Core et al. (2003) montrent un
résultat similaire en comparant la capacité de l'information financière traditionnelle à
expliquer la valeur de marché des entreprises américaines au cours de la période 19751999. Ils constatent que ce pouvoir explicatif diminue nettement lors de la deuxième
moitié des années 90, qualifiée de "période de la nouvelle économie". Ce résultat est
observé pour tout l'échantillon ainsi que pour le sous-échantillon des firmes jeunes,
technologiques et celles qui font des pertes. Amir et al. (2000) considèrent l'information
fournie par les analystes en sus de celle communiquée par le système d'information
financière de l'entreprise. Les analystes sont censés avoir des informations à partir d'autres
sources que les états financiers et les refléter dans leurs prévisions de bénéfices. Les
auteurs montrent que ces prévisions sont pertinentes pour le marché mais que le résultat de
l'étude de Lev et Zarowin (1999) est aussi constaté en considérant l'ensemble
d'information provenant des états financiers et des analystes. Dumontier (2004) analyse un
paradoxe qui constitue un véritable défi pour les organismes de normalisation comptable.
Du fait de l'essor des marchés boursiers, le système d'information financière doit mieux
rendre compte des faits créateurs de valeur. Or, la croissance des investissements
immatériels le rend moins apte à produire des chiffres qui mesurent la valeur créée, parce
que ces investissements conduisent essentiellement à l'accumulation d'éléments
incorporels dont l'enregistrement contredit le principe de prudence.
La littérature empirique montre ainsi que l'utilité du système d'information
financière diminue considérablement avec la présence de plus en plus accrue des
investissements immatériels dans les nouvelles firmes high-tech. Mais les investisseurs
s'appuient-ils sur l'information d'autres sources pour évaluer la valeur et la performance de
l'immatériel ? Peut-on conclure que l'incertitude des investisseurs s'amplifie en raison de la
dégradation du système d'information financière dans le traitement des éléments
immatériels ? Nous présentons ci-dessous les preuves empiriques qui établissent une
Viet Dung NGUYEN – Thèse de doctorat – IAE de Paris
107
Évaluation des nouvelles firmes high-tech : l'importance de la révélation d'informations sur l'immatériel
relation entre l'intensité des investissements immatériels des entreprises technologiques et
l'incertitude des investisseurs sur le marché financier. Ceci est observé à partir de l'impact
de la présence de l'immatériel sur l'évaluation imprécise par le marché, sur le gain des
agents internes à l'entreprise, sur la liquidité du marché et sur le coût du capital de
l'entreprise.
I.3.2.1. L'impact sur l'évaluation de l'immatériel par le marché
Les tentatives d'identification des titres incorrectement évalués par le marché ou les
anomalies dans le comportement des investisseurs (e.g. une sur-réaction à certains types
d'information) suivent une méthodologie largement acceptée par le milieu académique en
finance. Les portefeuilles de titres sont formés sur la base d'un indicateur supposé du
déclenchement de la valorisation incorrecte (e.g. une surprise de résultat). L'évolution des
rentabilités ajustées de ces portefeuilles est ensuite analysée. Si les titres examinés sont
correctement valorisés, les rentabilités ajustées suivront une marche au hasard autour
d'une moyenne de zéro. Au contraire, si ces titres ne sont pas correctement évalués et si les
investisseurs identifient et corrigent cette valorisation incorrecte avec le temps, les
rentabilités ajustées dériveront systématiquement vers le haut ou vers le bas54. Chan et al.
(2001), partant du constat que le système comptable actuel n'est pas informatif en matière
d'immatériel, vérifient si le marché reflète correctement la valeur créée par les
investissements en R&D. Ils montrent que les rentabilités ajustées des portefeuilles
constitués de sociétés dont les dépenses de R&D sont relativement importantes par rapport
à leur valeur de marché sont significativement positives et élevées, ce qui est conforme à
l'hypothèse d'une sous-évaluation de ces firmes par le marché. Lev et al. (2004) examinent
plus de 1500 entreprises à forte intensité de R&D et analysent l'impact du biais relatif au
traitement comptable des dépenses de R&D. Ce biais est défini comme la différence entre
54
Voir De Bondt et Thaler (1985), Bernard et Thomas (1990), Lakonishok et al. (1994) entre autres.
Viet Dung NGUYEN – Thèse de doctorat – IAE de Paris
108
Évaluation des nouvelles firmes high-tech : l'importance de la révélation d'informations sur l'immatériel
le résultat communiqué (i.e. les dépenses de R&D passées en charges) et le résultat sous
l'hypothèse de ces dépenses capitalisées. Les auteurs constatent que les sociétés avec une
forte croissance des dépenses de R&D mais une faible croissance des bénéfices – c'est-àdire les entreprises jeunes, à forte intensité de R&D pour lesquelles le biais du traitement
comptable de l'immatériel est important – sont systématiquement sous-évaluées par le
marché. Cela est indiqué par la rentabilité ajustée positive et élevée du portefeuille de ces
firmes qui est générée pendant 5 ans après sa formation. Ces études fournissent une preuve
empirique qu'apparemment, le marché ne parvient pas à évaluer correctement ce type
d'entreprises en raison de l'incapacité du système d'information financière actuel à refléter
les investissements immatériels.
I.3.2.2. L'impact sur le gain des agents internes à l'entreprise
Kyle (1985) montre que le gain des agents internes à l'entreprise est une fonction
croissante de la variabilité de la valeur de la firme. Les investissements immatériels
accroissant cette volatilité, on peut donc s'attendre à ce que le degré d'incertitude et le gain
des insiders augmentent avec l'intensité de l'immatériel de l'entreprise. Aboody et Lev
(2000) confirment cette hypothèse. Leur étude fournit une preuve de l'existence d'une
incertitude liée à l'immatériel des investisseurs externes et de l'exploitation de cette
incertitude par les insiders. En effet, la rémunération des dirigeants est souvent
accompagnée d'actions et de stock options, particulièrement dans les entreprises
technologiques. Ceux-ci sont autorisés à acheter et à vendre des titres de leur société mais
il leur est interdit de le faire sur la base d'informations internes qui auraient affecté la
décision des investisseurs (délit d'initié). Les auteurs examinent de telles transactions
pendant la période 1985-1998 et parviennent aux conclusions suivantes. Premièrement, le
gain des insiders est en moyenne 3 fois plus important pour les entreprises qui ont des
activités de R&D que pour celles qui n'en ont pas. Deuxièmement, lorsque les transactions
des insiders des sociétés à forte intensité de R&D sont communiquées au marché à travers
Viet Dung NGUYEN – Thèse de doctorat – IAE de Paris
109
Évaluation des nouvelles firmes high-tech : l'importance de la révélation d'informations sur l'immatériel
leur rapport à la SEC en moyenne 25 jours après la date de transaction, les investisseurs
externes réagissent à cette information en achetant des actions de ces sociétés suite à
l'achat des insiders et en vendant suite à leur vente. De telles réactions des investisseurs
indiquent que la R&D créé une significative incertitude sur la valeur fondamentale des
entreprises high-tech.
I.3.2.3. L'impact sur la liquidité et le coût du capital
Boone et Raman (2001) examinent la relation entre l'intensité des dépenses de R&D
et la liquidité du marché pour comprendre les conséquences de l'incertitude causée par
l'immatériel. Ils montrent en premier lieu que la fourchette de prix est plus importante
pour les entreprises à forte intensité de R&D que pour celles qui ont peu d'activités de
R&D. Pour les firmes à forte intensité de R&D, il existe une relation significativement
positive entre le montant des dépenses de R&D passées en charges et l'importance de la
fourchette de prix ainsi que la profondeur des transactions 55. Cette association est aussi
significative en termes de variation. Shi (2003) étudie l'arbitrage entre le coût et le
bénéfice liés à l'immatériel dans l'évaluation de dettes. Il montre que pour les créanciers, le
bénéfice provenant de l'immatériel est plus que compensé par son caractère risqué.
L'intensité des dépenses de R&D explique 80 % des variations de la notation de dettes et a
un impact positif sur leur coût.
Nous venons d'analyser dans cette section le rôle de l'immatériel dans l'évaluation
des entreprises high-tech par le marché. En examinant deux courants de recherche
différents, nous constatons que la présence de l'immatériel dans ces firmes semble avoir
deux effets simultanés sur leur évaluation. D'une part, l'intensité de l'immatériel explique
la valeur importante que le marché attribue à ces entreprises. D'autre part, elle accroît
l'incertitude sur leur valeur fondamentale. Chacun de ces deux effets étant traité
55
i.e. le nombre de titres que le teneur de marché est disposé à échanger à une fourchette donnée.
Viet Dung NGUYEN – Thèse de doctorat – IAE de Paris
110
Évaluation des nouvelles firmes high-tech : l'importance de la révélation d'informations sur l'immatériel
séparément dans la littérature existante, il est intéressant de les intégrer dans un même
modèle pour enrichir les résultats empiriques. C'est l'objectif de la prochaine section.
Viet Dung NGUYEN – Thèse de doctorat – IAE de Paris
111
Évaluation des nouvelles firmes high-tech : l'importance de la révélation d'informations sur l'immatériel
SECTION II : L'IMMATERIEL ET L'EVALUATION DES
NOUVELLES FIRMES HIGH-TECH – MODELISATION ET
ANALYSE EMPIRIQUE
L'objectif de cette section56 est de modéliser et tester deux effets de l'immatériel sur
l'évaluation des nouvelles firmes high-tech constatés dans la section précédente. Notre
étude constitue une avancée par rapport à la littérature existante dans la mesure où elle
tente de formaliser ces effets dans un même modèle pour montrer leur existence
simultanée et leur interaction. Plus précisément, nous modélisons et testons l'hypothèse
selon laquelle la valeur de marché des nouvelles firmes high-tech et le degré d'incertitude
sur ces entreprises sont fonction des mêmes indicateurs de l'immatériel. Nous recherchons
un cadre théorique qui permette d'intégrer ces deux effets dans un même modèle au lieu de
les modéliser séparément de façon plus empirique et montrons qu'un modèle d'évaluation
des entreprises par la théorie des options peut être utilisé.
II.1. OPTIONS DE CROISSANCE ET MODELES D'EVALUATION DES
ENTREPRISES HIGH-TECH
Nous présentons d'abord une synthèse succincte des modèles d'options de croissance
dans l'évaluation des projets individuels de R&D qui inspirent notre approche. Nous
réécrivons ensuite un modèle d'évaluation de projets de R&D individuels pour valoriser
une entreprise high-tech dans son ensemble. Ce modèle permet de tenter une connexion
entre la valeur des entreprises high-tech ainsi que sa volatilité – un proxy pour le degré
d'incertitude sur leur valeur fondamentale – et des indicateurs de l'immatériel.
56
Cette section reprend quelques éléments de l'article publié dans la revue Banque & Marchés, Nguyen V.D.
(2002), "Actifs immatériels et évaluation des nouvelles entreprises d'innovations technologiques : le cas du
secteur de biotechnologie", n° 61, novembre-décembre, p. 51-61.
Viet Dung NGUYEN – Thèse de doctorat – IAE de Paris
112
Évaluation des nouvelles firmes high-tech : l'importance de la révélation d'informations sur l'immatériel
II.1.1. Les études antérieures
Myers (1977) distingue deux composantes de la valeur d'une firme : la valeur des
actifs en place et celle des opportunités de croissance. Il apporte une nouvelle signification
à la valeur des opportunités de croissance en soulignant leur analogie avec une option
d'achat sur la valeur actuelle des cash-flows nets générés par les projets d'investissement
futurs. Ce concept d'opportunités de croissance a été exploité par un certain nombre de
travaux de recherche plus récents cherchant à évaluer la création de valeur des nouvelles
entreprises high-tech. En l'absence de produits et de bénéfices pendant une longue phase
de démarrage, la valeur de ces entreprises provient principalement des opportunités
d'investissement futures. Cependant, celles-ci ne sont pas générées de façon exogène
comme dans l'approche de Myers (1977). La capacité d'une "start up" technologique à
saisir une opportunité d'investir dans le futur dépend du processus de recherche et de
développement dans lequel elle s'engage actuellement. Ce processus commence par une
idée ou un concept qui doit être financé et ce dans un environnement très risqué et
concurrentiel. La production et la commercialisation de nouveaux produits ou
technologies supposent par exemple que les investissements de R&D aient préalablement
abouti. Dans ce cas, la valeur de l'investissement dans la R&D n'est pas liée aux cashflows qu'il génère mais aux opportunités d'exploitations commerciales qu'il crée. Willner
(1995) affirme que cette spécificité caractérise la plupart des nouvelles entreprises hightech. L'investissement dans une telle firme n'est pas entrepris pour mettre immédiatement
en vente des produits ou services, mais pour démarrer un processus à plusieurs étapes qui
permet éventuellement d'atteindre ce but. Chaque investissement dans la recherche et le
développement est assimilé à une option de croissance dans laquelle la R&D est un
processus qui génère la valeur de l'actif sous-jacent et où les investisseurs disposent d'un
actif contingent sur celle-ci. La valeur des opportunités de croissance d'une entreprise
high-tech est donc égale à la valeur de son portefeuille d'options constitué de l'ensemble
Viet Dung NGUYEN – Thèse de doctorat – IAE de Paris
113
Évaluation des nouvelles firmes high-tech : l'importance de la révélation d'informations sur l'immatériel
de ses investissements dans la R&D. Le problème de valorisation de ces opportunités
devient celui d'évaluation des projets de R&D.
Ottoo (1998) évalue cette option de croissance comme un call américain à prix
d'exercice stochastique. Comme dans la plupart des modèles d'évaluation d'options réelles,
il modélise l'évolution de l'actif sous-jacent - la valeur actuelle des cash-flows nets futurs par un processus de diffusion. D'autres chercheurs doutent cependant que l'application
d'un tel processus, servant à modéliser la valeur des actifs cotés, aux actifs réels non
échangeables sur un marché soit appropriée. Selon Willner (1995), il y a une discontinuité
dans l'évolution de la valeur actuelle des cash-flows futurs d'une entreprise high-tech
chaque fois qu'elle fait une découverte ou qu’un nouveau concurrent entre sur le marché.
Lint et Pennings (1997) estiment de même que l'information qui influence la valeur des
cash-flows futurs d'un projet de R&D vient à des points discrets dans le temps. Cette
valeur n'est donc pas ajustée de façon continue mais elle n'est ajustée que quand une
information à fort impact stratégique arrive. Pour tenir compte de cette particularité, ces
auteurs proposent de modéliser l'évolution de l'actif sous-jacent par un processus à sauts.
Certains travaux analysent également le caractère complexe d'un processus de R&D
à plusieurs étapes et y adaptent des modèles d'options composées, chaque étape étant
considérée comme un call sur l'étape suivante. Jägle (1999) et Kellogg et Charnes (2000)
adoptent le modèle binomial pour évaluer une nouvelle entreprise de biotechnologie. En
temps continu, Perlitz et al. (1999) mettent en œuvre le modèle d'options composées de
Geske (1979) pour évaluer un projet de recherche et de développement d'une nouvelle
thérapie57.
57
On peut citer les modèles de Schwartz et Moon (2000 et 2001). Ces auteurs évaluent une société d'Internet
par la théorie des options en s'appuyant sur les hypothèses d'une croissance stochastique du chiffre d'affaires
et d'une structure de coûts de la firme. Ce modèle qui prend en compte peu de caractéristiques spécifiques
des entreprises high-tech peut en fait s'appliquer à n'importe quelle firme de croissance.
Viet Dung NGUYEN – Thèse de doctorat – IAE de Paris
114
Évaluation des nouvelles firmes high-tech : l'importance de la révélation d'informations sur l'immatériel
Dans ce qui suit, nous proposons d'abord de réécrire un modèle d'évaluation de
projets de R&D individuels pour valoriser une entreprise high-tech dans son ensemble. La
valeur de ses capitaux propres est évaluée comme une option d'achat sur la valeur de ses
actifs. Dans le modèle, l'évolution de l'actif sous-jacent est discontinue, due à l'arrivée
d'information à fort impact sur la perception du marché. Nous montrons ensuite comment
la mise en œuvre de ce modèle utilisant un processus à sauts issu de la littérature
mentionnée ci-dessus peut permettre de relier les mêmes indicateurs de l'immatériel
déterminant la valeur des nouvelles firmes high-tech à la volatilité de cette valeur.
II.1.2. Le modèle
Selon Black et Scholes (1973), la valeur de marché des actions d’une entreprise peut
être considérée comme celle d'une option d’achat écrite sur la valeur économique des
actifs de cette entreprise. Le prix et la date d’exercice sont respectivement la valeur et la
date de remboursement d'une dette à coupon zéro.
C t   e r T t ˆ MaxV T   D, 0
(2.1)
où :
V(T) : la valeur de marché des actifs de l’entreprise à la date T
D : la valeur de remboursement de la dette
T : la date de remboursement de la dette
C(t) : valeur d’une option européenne qui mesure dans ce cas la valeur de marché des
actions à la date t.
r : taux d'intérêt sans risque
Ê : espérance risque-neutre
Viet Dung NGUYEN – Thèse de doctorat – IAE de Paris
115
Évaluation des nouvelles firmes high-tech : l'importance de la révélation d'informations sur l'immatériel
Cette approche d'évaluation demande ensuite d'expliciter un processus d'évolution
pour la valeur de marché des actifs de l'entreprise. Dans le cas des nouvelles entreprises
high-tech, cette valeur est très sensible aux événements à fort impact stratégique comme
les découvertes scientifiques ou les facteurs concurrentiels. Willner (1995) et Lint et
Pennings (1997) affirment qu'une discontinuité dans l'évolution de cette valeur survient
lorsqu'une information de ce type arrive et supposent donc que dans un univers risqueneutre, V(t) suit le processus suivant :
dV t 
 rdt  J (t )dq(t )
V t 
(2.2)
1 avec une probabilit é dt
Avec dq( t )  
0 avec une probabilit é 1  λdt
 : nombre espéré de sauts pour une unité de temps.
J(t) : ampleur de sauts qui est aussi une variable aléatoire.
L'évaluation d'options avec ce type de processus fait l'objet de plusieurs travaux
théoriques. On peut citer, entre autres, ceux de Cox et Ross (1976), Merton (1976),
Trigeorgis (1991), Willner (1995). Ces travaux aboutissent cependant soit à un résultat qui
n'est pas sous forme analytique, soit à une solution analytique difficilement utilisable dans
les tests empiriques. Nous reprenons ici l'approche de Lint et Pennings (1997), la solution
de leur modèle nous permettant de relier les indicateurs de l'immatériel déterminant la
valeur des nouvelles firmes high-tech à la volatilité de cette valeur.
Dans l'approche de Lint et Pennings (1997), l'ampleur aléatoire d'un saut est ellemême considérée comme le produit de deux variables aléatoires : l’une reflète le sens du
saut et l’autre représente la valeur absolue de sa taille. Les auteurs y appliquent une
distribution de Weibull :
Viet Dung NGUYEN – Thèse de doctorat – IAE de Paris
116
Évaluation des nouvelles firmes high-tech : l'importance de la révélation d'informations sur l'immatériel
(2.3)
J i  X i i
où :
J i : l' ampleur du iième saut
 1 avec une probabilit é p
Χi  
 1 avec une probabilit é 1 - p


i  i  Wei   i , 2 - distributi on de Weibull
  : paramètre qui détermine l' espérance conditionn elle de l' ampleur des sauts
i
Lint et Pennings (1997) supposent que cette distribution est symétrique, c’est-à-dire
que p  0,5 et 1  1  . Selon les propriétés de cette distribution :
J i X i  
1
 X i
2
(2.4)
 1 
VARJ i X i   1    2
 4 
(2.5)
Avec ces propriétés, Lint et Pennings démontrent que 58 :
n
V T   V t e r T  t   1  J i 
(2.6)
V T   V t e r T  t 
(2.7)
i 0


2
2
VARV T   V t  e 2 r T  t  e T  t   1
(2.8)
Il est à noter que si l'actif sous-jacent suit un mouvement Brownien géométrique, on
a:
V T   V t e r T  t 


2
2
VARV T   V t  e 2 r T  t  e T  t   1
(2.9)
(2.10)
c'est-à-dire les mêmes espérance et variance si on pose  2   2 .
58
Voir l'annexe
Viet Dung NGUYEN – Thèse de doctorat – IAE de Paris
117
Évaluation des nouvelles firmes high-tech : l'importance de la révélation d'informations sur l'immatériel
Sur les marchés financiers, l'observation des rentabilités des actifs ne corrobore pas
l'hypothèse d'une distribution normale. Les processus stochastiques alternatifs ont donc été
conçus pour tenter une meilleure spécification. D'après Lint et Pennings (1997), ces
processus alternatifs fournissent une meilleure approximation de la vraie distribution du
prix de l'actif qu'une distribution log-normale seulement quand l'horizon de prévision est
relativement court. Quand l'intervalle de prévision devient plus long, ce qui est le cas des
actifs réels, ces processus donnent les résultats similaires à ceux sous l'hypothèse d'un
mouvement Brownien géométrique59. Pour une option longue, il est raisonnable de penser
que l'information perdue est négligeable quand on suppose que V(t) suit un mouvement
Brownien géométrique60 avec une variance égale à 2.
Avec cette hypothèse et les calculs habituels dans le contexte du modèle de Black et
Scholes (1973), la valeur des actions d'une nouvelle entreprise high-tech est déterminée
par la formule suivante :
C t   V t N d 1   De r T t  N d 2 
(2.11)
Où :
d1 
59
d 
 2
V ( t )  
ln 

r


2
 D  

T  t 


 2
V ( t )  
ln 

r


2
 D  

T  t 


  T  t 
  T  t 
Par exemple, Ball et Torous2 (1985) ne constatent pas de différence d'évaluation significative entre le
modèle de Black et Scholes (1973) et le modèle de sauts de Merton (1976). Selon Bakshi et al. (1997),
l'introduction des sauts dans les modèles d'options n'améliore que l'évaluation des options à court terme.
60
Lint et Pennings (1997) comparent les résultats obtenus à partir de leur formule d’évaluation
approximative avec ceux obtenus à partir de la méthode de Monte Carlo pour le processus à sauts et
montrent que la différence est négligeable.
Viet Dung NGUYEN – Thèse de doctorat – IAE de Paris
118
Évaluation des nouvelles firmes high-tech : l'importance de la révélation d'informations sur l'immatériel
La volatilité  dans le modèle de Black et Scholes (1973) est maintenant rendue égale à
 .
 est le nombre espéré de sauts et  est l'espérance de sa taille absolue.
N(x) est la probabilité qu’une variable qui suit une loi normale centrée réduite soit
inférieure à x.
Nous montrons dans l'analyse empirique que la décomposition de  en deux autres
variables,  et , permet de relier les indicateurs de l'immatériel déterminant la valeur des
actifs des nouvelles firmes high-tech à la volatilité de cette valeur61.
II.2. ANALYSE EMPIRIQUE
Nous effectuons notre modélisation et nos tests empiriques pour le secteur de
biotechnologie. Ce choix se justifie par trois raisons. Premièrement, les entreprises de
biotechnologie constituant l'échantillon correspondent parfaitement au profil des nouvelles
firmes high-tech qui font l'objet de notre recherche : les entreprises jeunes n'ayant pas ou
peu de revenus et possédant des projets d'investissement immatériel très risqués.
Deuxièmement, ces entreprises sont assez homogènes en termes d'activités d'innovation et
61
Il s'agit en fait de la volatilité annualisée des rentabilités de l'actif sous-jacent. Pour simplifier, nous
utilisons le terme "volatilité de l'actif sous-jacent" dans la suite de ce chapitre.
Viet Dung NGUYEN – Thèse de doctorat – IAE de Paris
119
Évaluation des nouvelles firmes high-tech : l'importance de la révélation d'informations sur l'immatériel
la disponibilité des données relatives à ces activités facilite notre étude empirique.
Troisièmement, ce choix rend l'échantillon compatible avec ceux qui sont utilisés dans le
reste de la thèse et dont la justification a été présentée dans le chapitre précédent.
Nous tentons maintenant de relier la valeur des actifs de ces entreprises et la
volatilité de cette valeur à des indicateurs de l'immatériel.
II.2.1. Modélisation des variables
Nous proposons d'abord de modéliser les variables  et  afin de relier la volatilité
de l'actif sous-jacent à des indicateurs de l'immatériel.  est par définition la fréquence des
sauts ou autrement dit celle des événements à fort impact sur la perception du marché qui
changent la valeur des actifs de l'entreprise. Cette variable est égale à la somme des
fréquences des sauts vers le haut et vers le bas. Lint et Pennings (1997) supposent dans
leur modèle que la probabilité d'un saut vers le haut est égale à celle d'un saut vers le bas
(p  0,5). Par conséquent, la fréquence des sauts vers le haut est égale à /2. En réalité, il y
a plusieurs types d'événements qui peuvent avoir un impact positif sur la valeur de marché
des actifs d'une entreprise. Dans le cas des entreprises de biotechnologie dont l'avenir
dépend largement du résultat des activités actuelles d'innovation, la progression de la
recherche et les découvertes scientifiques constituent la source principale de ces
événements. Par ailleurs, dans ce secteur où la concurrence est très vive, les entreprises
sont incitées à se procurer des brevets pour protéger leur résultat. De ce fait, la délivrance
d'un brevet à une entreprise de biotechnologie peut être considérée comme un repère d'un
ou de plusieurs événements de ce type. Il n'est donc pas déraisonnable de penser que
l'espérance du nombre des sauts vers le haut par unité de temps est corrélée avec le
nombre espéré de brevets délivrés à l'entreprise par unité de temps. Puisque ce dernier
peut être estimé à partir des données du passé, nous supposons que la fréquence de ces
sauts est une fonction du nombre de brevets accordés à l'entreprise par unité de temps dans
Viet Dung NGUYEN – Thèse de doctorat – IAE de Paris
120
Évaluation des nouvelles firmes high-tech : l'importance de la révélation d'informations sur l'immatériel
le passé.
Afin d'éviter une hypothèse ad hoc de linéarité concernant la relation entre la
fréquence des sauts vers le haut et le nombre de brevets, nous posons l’équation générale
suivante62 :

2
 e1   1
1
(2.12)
ou   e ln 2 α1    1
1
(2.13)
où  est le nombre espéré de sauts par unité de temps.  est le nombre de brevets délivrés
à l'entreprise par unité de temps dans le passé. Cette équation peut aboutir, en fonction du
paramètre 1, à une relation convexe, concave ou linéaire entre ces deux variables.
En nous appuyant sur le même raisonnement, nous proposons de modéliser
l'espérance de l'ampleur des sauts en fonction de la portée de brevets ou autrement dit, en
fonction de la portée des innovations qu'ils protègent. Il est à noter que la modélisation de
l'ampleur des sauts en fonction de la portée des innovations protégées par les brevets est
une manière d'intégrer l'incertitude dans l'estimation de la valeur des actifs des nouvelles
firmes high-tech. En effet, la demande d'un brevet a souvent lieu en amont du processus
d'innovation quand l'incertitude sur les résultats futurs provenant éventuellement de
l'innovation est encore considérable63. En d'autres termes, la portée des brevets reflète
dans une certaine mesure l'intensité des investissements immatériels – les inputs ou au
plus les outputs intermédiaires du processus d'innovation – mais elle n'assure pas
forcément les résultats futurs pour une nouvelle firme high-tech. Supposer que l'ampleur
des sauts augmente avec la portée des brevets est équivalent à considérer qu'un
accroissement de l'intensité de l'immatériel entraîne une augmentation de la valeur
62
En nous inspirant de la modélisation non linéaire traitée par Bourbonnais (2002) et Green (2003)
63
Voir Lev (2001) et Ely et al. (2003)
Viet Dung NGUYEN – Thèse de doctorat – IAE de Paris
121
Évaluation des nouvelles firmes high-tech : l'importance de la révélation d'informations sur l'immatériel
attribuée aux actifs des nouvelles firmes high-tech mais que cette augmentation ne reflète
pas forcément celle de leur valeur fondamentale en raison d'un niveau d'incertitude encore
élevé sur le résultat du processus d'innovation.
Pour trouver un proxy pour la portée des brevets, nous nous inspirons de l'étude de
Lerner (1994). L'auteur estime la portée d'un brevet en comptant le nombre de sousclasses selon la classification internationale (IPC) que les examinateurs attribuent à ce
brevet. Plus ce nombre est élevé, plus les domaines d'application de l'innovation faisant
l'objet du brevet sont nombreux. Selon Lerner, les examinateurs ont une vraie motivation à
classifier soigneusement les brevets puisque cela leur permet non seulement de rechercher
thématiquement les brevets déjà examinés, mais encore d'évaluer les nouveaux. L'auteur
confirme ensuite la signification économique de cet indicateur en constatant une relation
positive et significative entre celui-ci et la valeur des entreprises de biotechnologie. Il
constate également que pour les brevets identifiés comme importants dans une enquête
téléphonique, les classes attribuées sont aussi plus nombreuses.
Puisque l'ampleur des sauts est exprimée en pourcentage tandis que la portée de
brevets est exprimée en valeur absolue, nous divisons cette dernière par la taille de
l'entreprise (total de l'actif du bilan comptable) et supposons que :
2  
1
 e 

 TA 
2
(2.14)
où  est la portée de brevets. À partir de (2.13) et (2.14), on a :
  e
Posons a 
 ln 2  1

 2  2   2 


  1 2    1 
1
2
 TA 
ln 2 1

   2 ; b  1 et c   2 , on a :
2
2
2
Viet Dung NGUYEN – Thèse de doctorat – IAE de Paris
122
Évaluation des nouvelles firmes high-tech : l'importance de la révélation d'informations sur l'immatériel
  1

 TA 
     e a   1b 
c
(2.15)
a, b et c sont les paramètres à estimer.
En ce qui concerne la valeur des actifs de l'entreprise – V(t) – nous la définissons en
suivant Cockburn et Griliches (1988) et Darby et al. (2004) :
V t   At   K t 
(2.16)
A(t) et K(t) sont respectivement les actifs corporels et les actifs immatériels de l'entreprise
à la date t. Les paramètres à estimer  et  représentent ici le poids que les investisseurs
attribuent à chaque type d'actifs quand ils évaluent l'entreprise. Comme dans les autres
études, nous prenons le total de l'actif du bilan comptable à la date t comme proxy pour
A(t). Pour relier la valeur des actifs aux indicateurs de l'immatériel déterminant la
volatilité de cette valeur, nous mesurons K(t) en calculant le stock du nombre de brevets
pondéré par leur portée.
II.2.2. Méthode d'estimation des paramètres
Pour estimer les paramètres , , a, b et c, on devrait avoir les données relatives aux
variables V(t) et . Or, ces deux variables ne sont pas directement observables. Une
solution pour les observer est de calculer V(t) et  implicites dans (2.11) en supposant que
le marché évalue l'entreprise selon ce modèle64. Puisque les inconnues sont au nombre de
2 (V(t) et ), une autre équation que (2.11) est nécessaire. Selon Merton (1974), si V(t) suit
un mouvement Brownien géométrique, on a :
64
Bakshi, Cao et Chen (1997) et Bakshi et Chen (2001) utilisent aussi des données du marché pour estimer
la valeur implicite des paramètres structurels dans leurs modèles.
Viet Dung NGUYEN – Thèse de doctorat – IAE de Paris
123
Évaluation des nouvelles firmes high-tech : l'importance de la révélation d'informations sur l'immatériel
C 
V t 
 V N d1 
C t 
(2.17)
où C et V sont respectivement les volatilités de C(t) et de V(t). Marcus et Shaked (1984)
et Diba et al. (1995) affirment que l'on peut utiliser (2.11) et (2.17) pour estimer V(t) et V
à partir des données du marché (C(t) et C). Pour utiliser cette approche, il nous reste à
préciser le prix d'exercice D et la maturité T - t. L'application de la théorie des options à
l'évaluation de l'entreprise suppose en effet qu'elle ait une seule dette à coupon zéro. Le
prix et la date d'exercice de l'option correspondent respectivement à la valeur et à la
maturité de cette dette. Cependant, la structure d'endettement des entreprises est plus
compliquée. Elles détiennent en fait des portefeuilles de dettes avec coupons et échéances
diverses. Hsia (1991) propose une solution à ce problème en s'appuyant sur le concept de
la duration et les principes de l'immunisation. Selon l'auteur, la maturité et le prix
d'exercice peuvent être estimés comme suit :
T t 
Bt 
I
(2.18)
D  Bt e
(2.19)
où B(t) est la valeur de marché des dettes de l'entreprise à la date t. I est le montant total
annuel du service des dettes. Dans notre étude, faute d'information détaillée sur les dettes
de l'entreprise pour déterminer B(t), nous remplaçons cette variable par V(t)  C(t).
L'équation (2.11) devient :
1 r
C t   V t N d1   V t   C t e
V t C t 
I
N
d 2 
(2.20)
où :

 
 V2  V t   C t  
V t 

ln 
   r 
V t   C t e   2  I 

d1 
V t   C t 
V
I
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124
Évaluation des nouvelles firmes high-tech : l'importance de la révélation d'informations sur l'immatériel

   V2  V t   C t  
V t 

ln 
 r 
V t   C t e   2  I 

d2 
V t   C t 
V
I
V  
Pour trouver V(t) et V, nous résolvons le système de deux équations (2.17) et (2.20)
avec tous les autres paramètres observables. Puisqu'il n'a pas de solution analytique, nous
le résolvons par itérations programmées dans le logiciel Matlab65.
Les paramètres , , a, b et c sont ensuite estimés en utilisant les modèles à effets
fixes pour les données de panel. Pour éviter le problème d'hétéroscédasticité, nous
divisons les termes de l'équation (2.16) par A(t) et réécrivons l'équation (2.15) sous forme
logarithmique afin de la rendre linéaire. Les modèles suivants sont donc à estimer :
Vit
K
 α  β it  uit
TAit
TAit
Ln σVit  a  bLn(ηit  1 )  cLn(
(2.21)
it  1
TAit
)  vit
(2.22)
avec :
Vit : valeur de marché des actifs de l'entreprise i à la date t
TAit : total de l'actif du bilan de l'entreprise i à la date t
Vit : volatilité de la valeur de marché des actifs de l'entreprise i à la date t
it : nombre moyen de brevets par unité de temps de l'entreprise i à la date t
it : portée moyenne des brevets de l'entreprise i à la date t
uit et vit : termes résiduels
65
Voir l'annexe.
Viet Dung NGUYEN – Thèse de doctorat – IAE de Paris
125
Évaluation des nouvelles firmes high-tech : l'importance de la révélation d'informations sur l'immatériel
II.2.3. Echantillon et données utilisées
Notre échantillon initial66 est constitué de toutes les entreprises de biotechnologie
cotées sur le NASDAQ (201 firmes à compter jusqu'au mois de septembre 2001). Elles
sont identifiées grâce à la liste des firmes de ce secteur disponible sur le site
www.nasdaq.com. Le choix de ce marché est justifié par le fait qu'il regroupe l'essentiel
des nouvelles firmes de biotechnologie américaines cotées. Les données comptables (total
de l'actif du bilan, montant des frais financiers), la capitalisation boursière des entreprises
et le taux d'intérêt sans risque (bon du trésor 3 mois) sont obtenus à partir de la base
Datastream. Puisque Datastream ne fournit que les données comptables annuelles (à la fin
de chaque exercice comptable), notre intervalle d'observation sera l'année. Notre période
d'étude se termine en 1998. Pour chaque entreprise, le début de la période d'étude est
marqué par l'année la plus récente entre celle de son introduction en bourse et celle où les
brevets ont commencé à lui être délivrés.
Nous éliminons d'abord de l'échantillon les entreprises dont les données comptables
et boursières ne sont pas disponibles pour toute la période d'étude. Les variables liées à
l'endettement de l'entreprise étant présentes dans le modèle, les firmes qui n'ont pas de
dette sont aussi éliminées. Nous écartons également les entreprises qui font l'objet d'un
changement de nom, de fusions et d'acquisitions pendant la période d'étude67.
L'introduction de telles firmes dans l'échantillon entraîne en effet une étape de
consolidation de brevets qui demande une très longue recherche d'information, ce qui
paraît peu pratique pour notre étude. La taille de l'échantillon final a effectivement été
diminuée suite à ces éliminations : 31 entreprises sont finalement retenues et le nombre
d'observations est de 81.
66
L'échantillon pour cette étude n'est pas composé des mêmes firmes que dans l'étude empirique du premier
chapitre.
67
Ces informations ont pu être trouvées sur le site www.hoovers.com et sur les sites web des sociétés
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126
Évaluation des nouvelles firmes high-tech : l'importance de la révélation d'informations sur l'immatériel
Les copies de brevets sont obtenues grâce à des CD-ROM de l'INPI68. Faute d'une
base de données plus organisée, il nous a fallu recueillir les informations nécessaires à
partir de ces copies. En tout, 736 brevets ont été examinés. Pour chaque entreprise, nous
comptons le total des brevets délivrés jusqu'au 31 décembre 1998, le nombre de brevets
délivrés chaque année, le nombre de sous-classes et de sous-classes supplémentaires
attribuées à chaque brevet selon la classification internationale. Dans notre étude, ces deux
dernières variables sont considérées comme indicateurs alternatifs de la portée des brevets.
Tandis que le nombre de sous-classes attribuées mesure le champ d'application de
l'innovation qui peut coïncider avec celui des innovations précédentes de l'entreprise, le
nombre de sous-classes supplémentaires indique l'importance de nouvelles applications
apportées par cette innovation.
Puisque nous souhaitons étudier l'impact des variables de brevets sur la variation de
la valeur de marché des actifs de l'entreprise, nous proposons de les exprimer en même
unité de temps et à la même date. Dans la régression (2.22) par exemple,  Vit est la
volatilité de l'actif sous-jacent de l'entreprise i pour toute l'année qui précède la date t
69
.
it et it sont respectivement le nombre de brevets délivrés à l'entreprise i au cours de
l'année qui précède t et la portée moyenne de ces brevets. Le tableau 2.1 présente quelques
statistiques relatives à l'échantillon.
Tableau 2.1 : statistiques descriptives
Moyenne Écart-type Minimum Maximum
Capitalisation boursière (C – en millions de dollars)
277,28
256,74
18,36
1253,68
68
Institut National de la Propriété Industrielle
69
Vit est déduite des équations (1.17) et (1.20) avec Cit (la volatilité de la valeur de marché des actions de
l'entreprise i) calculée aussi pour toute l'année qui précède t avec des données quotidiennes.
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127
Évaluation des nouvelles firmes high-tech : l'importance de la révélation d'informations sur l'immatériel
Total de l’actif du bilan (TA – en millions de dollars)
89,81
69,25
16,20
352,07
Montant annuel des frais financiers (I – en milliers de dollars)
853
1309
5
9735
Volatilité de la capitalisation boursière (C)
0,77
0,28
0,49
2,33
Valeur implicite des actifs (V- en millions de dollars)
284,92
257,29
25,30
1257,26
Volatilité implicite des actifs (V)
0,74
0,26
0,48
2,29
Nombre de brevets délivrés chaque année
5,36
5,54
1
26
Nombre moyen de sous-classes par brevet chaque année
1,73
0,49
1
3
Nombre moyen de sous-classes supplémentaires par brevet chaque année 0,43
0,44
0
2
Nombre d’observations : 81
La capitalisation boursière moyenne de l'échantillon est de 277 millions de dollars, 3
fois plus élevée que le total du bilan comptable. La valeur moyenne des actifs est de 285
millions de dollars70. La valeur des nouvelles firmes de biotechnologie est assez volatile
(près de 80 %). 5,36 est le nombre moyen de brevets délivrés à une firme de l'échantillon.
En moyenne, les examinateurs attribuent à chaque innovation 1,73 sous-classes et 0,43
sous-classe supplémentaire. Nous présentons dans ce qui suit les résultats de l'estimation
des équations.
II.2.4. Résultats et interprétations
Les équations (2.21) et (2.22) sont estimées avec les différents proxies pour la portée
de brevets. Outre le nombre moyen de sous-classes (SC) et de sous-classes
supplémentaires (SCS) attribuées, un troisième indicateur est défini pour prendre en
70
La valeur de marché des dettes est donc en moyenne de 8 millions de dollars (près de 3 % de la valeur de
l'entreprise). Ceci confirme l'hypothèse que les nouvelles firmes high-tech obtiennent difficilement les
emprunts en raison de la spécificité et du risque lié à leur actif.
Viet Dung NGUYEN – Thèse de doctorat – IAE de Paris
128
Évaluation des nouvelles firmes high-tech : l'importance de la révélation d'informations sur l'immatériel
considération l’interaction entre ces deux variables : le produit SC*SCS. La valeur des
actifs immatériels (K) est mesurée en termes de stock du nombre de brevets (NB) pondéré
par un indicateur de leur portée. Comme Cockburn et Griliches (1988), nous appliquons
un taux d’amortissement de 30 % pour estimer ce stock. Puisqu’il s’agit des données de
panel, nous utilisons les modèles à effets fixes. Les résultats sont présentés dans le tableau
2.2.
Dans l’estimation de la valeur des actifs, le coefficient pour la variable stock du
nombre de brevets délivrés n’est pas significativement différent de zéro. Ce résultat
confirme l’assertion qu’un simple comptage de brevets ne permet pas d'expliquer la valeur
de marché des nouvelles firmes de biotechnologie [Austin (1993), Shane et Klock (1997),
Hall et al. (2000)]. En ce qui concerne les indicateurs de la portée des brevets, la pondération
Tableau 2.2 : déterminants de la valeur des actifs et de sa volatilité
Nombre d'observations : 81
Partie A : déterminants de la valeur des actifs
Proxy pour la valeur des actifs immatériels
Constante
2,69 ***
(4,93)
Stock de
Stock de NB
NB*SC
Stock de
NB*SCS
Stock de
NB*SC*SCS
424
(0,35)
1,60**
(2,14)
392
(0,88)
1,97***
(3,49)
34947***
(2,81)
2,48**
(2,47)
14592
(1,63)
R2
F-statistique
0,40
1,49
0,54
2,18***
0,66
3,49***
0,57
2,16***
Nombre d'observations : 81
Partie B : déterminants de la volatilité des actifs
Proxy pour la portée de brevets
Constante
NB
SC
1,73
0,09
SCS
0,21*
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R2
F-statistique
0,37
1,32
SC*SCS
129
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(1,40)
(1,38)
1,56
(1,67)
0,13*
(1,90)
0,96
(1,24)
0,11
(1,49)
(1,86)
0,19**
(2,29)
0,12*
(1,68)
0,42
1,76**
0,40
1,58*
NB : nombre de brevets délivrés à l'entreprise i au cours de l'année qui précède t
SC : nombre moyen de sous-classes internationales attribuées à un brevet de l'entreprise i au cours de
l'année qui précède t
SCS : nombre moyen de sous-classes internationales supplémentaires attribuées à un brevet de l'entreprise i
au cours de l'année qui précède t
Les modèles à effets fixes sont utilisés pour estimer les équations
Les t-statistiques sont entre parenthèses. *** : significatif à 1 % ; ** : significatif à 5 % ; * : significatif à 10 %.
du nombre de brevet par le nombre moyen de sous-classes supplémentaires explique
significativement la valeur de V. Ce n’est cependant pas le cas pour le nombre moyen de
sous-classes attribuées et la variable SC*SCS. Il paraît qu’une innovation avec une
application tout à fait nouvelle est mieux valorisée par les investisseurs que celle dont le
champ d’application, bien qu’il puisse avoir une envergure supérieure, fait déjà l’objet
d’innovations précédentes de l’entreprise.
Ce résultat est aussi constaté dans l’estimation de la volatilité des actifs. Le couple
NB et SCS constitue encore une fois la meilleure combinaison. La variable SCS est plus
significative que ses deux alternatives et sa présence dans le modèle rend aussi le
coefficient de NB significativement différent de zéro. La non significativité de NB dans les
deux autres cas peut être expliquée par le fait que la fréquence des sauts n’est pas tout à
fait capturée par le nombre de brevets. Il apparaît que la variable SCS explique non
seulement l’ampleur des sauts mais qu'elle contribue également, avec la variable NB, à
révéler la fréquence des événements à fort impact sur la perception du marché. Le marché
semble très sensible aux innovations qui offrent éventuellement des applications
nouvelles, bien que celles-ci présentent un niveau d'incertitude plus important. Ceci
explique bien le fait qu'une augmentation de la valeur de marché d'une nouvelle firme de
Viet Dung NGUYEN – Thèse de doctorat – IAE de Paris
130
Évaluation des nouvelles firmes high-tech : l'importance de la révélation d'informations sur l'immatériel
biotechnologie puisse s'accompagner d'un accroissement de sa volatilité – un proxy pour
l'incertitude sur la valeur de la firme. L’estimation du modèle (2.22) présente aussi un
autre résultat intéressant. Les coefficients b et c trouvés sont respectivement de 0,13 et
0,19. On déduit de (2.15) que 1  0,26 et 2  0,19, c’est-à-dire qu’ils sont inférieurs à 1.
Les fonctions (2.13) et (2.14) sont convexes et l’effet de l’innovation sur la fréquence et
l’ampleur des événements à fort impact sur la perception du marché est donc décroissant.
Ainsi, la sensibilité du marché aux innovations avec des applications nouvelles mais
risquées semble diminuer avec leur accumulation qui permet de résoudre une partie de
l'incertitude.
Viet Dung NGUYEN – Thèse de doctorat – IAE de Paris
131
Évaluation des nouvelles firmes high-tech : l'importance de la révélation d'informations sur l'immatériel
CONCLUSION
La présence accrue de l'immatériel dans les nouvelles firmes high-tech a des effets
sur l'évaluation par le marché. La littérature montre que d'une part, la capacité de
l'immatériel à créer de la valeur - renforcée par ses barrières à l'imitation, sa non-rivalité et
ses effets de réseau - est valorisée par le marché. Les investissements dans la R&D
semblent avoir un impact positif très net sur la performance boursière de ces entreprises
par rapport aux autres catégories de l'immatériel. D'autre part, la présence d'éléments
immatériels accroît l'incertitude sur la valeur fondamentale en raison du caractère flou des
droits de propriété, du risque inhérent et de l'absence de marchés organisés de l'immatériel.
Elle a comme conséquences manifestes pour les investisseurs sur le marché financier : une
augmentation du coût du capital et des gains d'insiders, une baisse de la liquidité et une
évaluation incorrecte.
Nous avons proposé de modéliser ces deux effets dans le cadre d'un modèle
d'évaluation des entreprises par la théorie des options afin de montrer leur simultanéité. Il
est démontré que la valeur de marché des actifs des nouvelles firmes high-tech et la
volatilité de cette valeur peuvent être empiriquement reliées aux mêmes indicateurs de
l'intensité des investissements immatériels. Le résultat des tests sur un échantillon de 81
observations firme-année indique que ces relations sont significativement positives. En
d'autres termes, la valeur de marché de ces entreprises est une fonction croissante de
l'intensité de l'immatériel mais celle-ci augmente en même temps la volatilité de cette
valeur – un proxy pour le degré d'incertitude sur leur valeur fondamentale.
Lors de cette première partie, il a ainsi été mis en évidence le problème de
l'évaluation des nouvelles firmes high-tech par le marché et le rôle que joue l'immatériel
dans cette problématique d'évaluation. Cela fait ressortir la nécessité de se pencher sur la
révélation d'information sur ce déterminant comme vecteur de réduction de l'incertitude
Viet Dung NGUYEN – Thèse de doctorat – IAE de Paris
132
Évaluation des nouvelles firmes high-tech : l'importance de la révélation d'informations sur l'immatériel
quant à la valeur fondamentale de ces entreprises. Tel est l'objet de deux chapitres de la
deuxième partie.
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