fonctionnement de l’économie. D’autre part, même en restant dans le cadre de ces hypothèses, le
modèle souffre de contradictions et d’imprécisions. En particulier, le marché du travail n'est pas
défini puisque les caractéristiques de la concurrence (unicité de prix, prix de revient égal le prix de
vente, multiplicité de vendeurs et d'acheteurs...) n'existent pas sur ce marché.
Enfin un dernier axe de travail est centré sur les rapports difficiles que John Rawls entretient avec
la théorie économique. C’est dans les années 1970, avec le succès des travaux de John Rawls, que
les économistes renouent avec la tradition du XVIII° et XIX° siècle, prenant conscience de
l’incontournable nécessité d’une théorie du juste au sein même de la théorie économique ; une
théorie du juste qui encadrerait la théorie de l’efficacité. Mais le mariage de Rawls et de
l’Economie politique est d’abord celui d’un malentendu. Les économistes ont cherché des
instruments de politique économique et sociale là où Rawls leur offrait des concepts permettant à
chacun de construire une théorie morale et politique cohérente. La Théorie de la justice suppose,
au-delà des deux principes de la justice, un certain mode de vie, conforme à la vertu, et
complètement étranger aux procédures de maximisation qui, dans les modèles dynamiques, se
traduisent par de forts taux de croissance économique. Comme toujours les économistes ont fait
des calculs sans se demander si ceux-ci étaient possibles en respectant la théorie de Rawls. Et
comme, en fait, ces calculs n’étaient pas possibles, ils ont transformé la théorie sans s’en
apercevoir, ou l’ont critiqué sans la comprendre. C’était, il faut le dire, un petit peu de la faute de
Rawls. Sa Théorie de la justice comme équité est comme parasitée par l’analyse économique. Il
utilise abondamment dans la Théorie de la justice des concepts de la théorie économique, cite de
nombreux économistes, propose sa théorie comme fondement de l’économie politique, et surtout
formule le second principe de la justice en des termes que même les philosophes se croient
autorisés à résumer par le terme de maximin. La thèse générale, sur laquelle s’appuie cette étude,
est que la Théorie de la justice est beaucoup moins procédurale qu’ont pu le croire ses
commentateurs, et qu’elle est beaucoup moins procédurale que Rawls lui-même a pu le penser.
1.1.2. L'Economie du développement : Justice et développement
Alors que dans les années 1990, l'essentiel des travaux sur le développement ont porté sur les
inégalités, les objectifs de développement des Nations Unies pour le Millénaire ont clairement
déclaré l'état d'urgence. Ils ont fait de la réduction de la pauvreté absolue (2 dollars par jour),
l'objectif essentiel des politiques de développement. La pauvreté absolue est au cœur des théories
de la justice. Elle renvoie à la question des droits de l'homme dans les pays en développement et
aux droits des gens, à travers le creusement des inégalités économiques entre pays riches et pays
pauvres, qui sont aussi bien sûr des inégalités de pouvoir.
Ces droits sont actuellement au cœur de l'économie du développement. Mais, les concepts sont
souvent flous, et même détournés de leurs fondements. L'utopie des droits de l'homme perd de son
sens à travers une utilisation pléthorique et souvent instrumentalisée de celle-ci. D'autre part le
couplage de la démocratie et des droits de l'homme rend difficile l'articulation de la réflexion sur
le développement avec l'un des principaux droits des peuples : décider de leurs propres institutions
et organisation politique.
La vision instrumentalisée est encore renforcée par les principes de la "bonne gouvernance" :
démocratie et droits de l'homme sont ramenés au rang de vecteurs de la lutte contre la corruption
et de l'efficacité des institutions dans la conduite des réformes économiques. La place des droits de
l'homme et de la démocratie est suspendue aux travaux des experts qui s'intéressent uniquement
aux questions d'efficience dans les processus de développement. Cette perspective utilitariste
rompt définitivement avec la perspective d'Amartya Sen et avec les principes des déclarations et
chartes universelles.
Il apparaît clairement que l'économie du développement ne peut pas se passer d'une réflexion sur
les concepts qu'elle emprunte à la philosophie politique et au droit public. Celle-ci ne peut être que
le fruit d'une collaboration pluridisciplinaire entre philosophes, économistes et juristes.