
 
un ensemble de façon de penser, de percevoir, de réagir, commune à la classe mais 
qu’exprime le mieux (ou avec le plus de cohérence) le « bon » auteur.  
La conscience sociale qui s’y exprime n’est jamais vraiment celle du groupe social 
tout entier :  c’est  par  l’auteur  que  celui-ci accède à son maximum de conscience 
possible.  
A  l’inverse,  les  œuvres  mineures  peuvent  faire  l’objet  d’  une  analyse  des 
contenus telle que la tente le marxisme traditionnel.  
Cette distinction entre les œuvres est critiquable. Elle concède trop facilement 
une  reconnaissance  sociologique  aux  instances  de  consécration,  en  faisant 
l’impasse sur les procédures institutionnelles voire les connivences. En retirant du 
champ de la sociologie les œuvres considérées comme mineures, en les consacrant 
comme  indignes  ne  participait-il  pas  lui-même  d’une  théorie  des  œuvres  dont  la 
délimitation lui échappait ? 
Le  statut  de  l’auteur  est  ambigu :  si  c’est  par  lui  que  l’œuvre  aboutit,  en 
dernière  instance,  l’auteur  véritable, c’est le  groupe  social. L’auteur est  à  la fois  le 
traducteur des aspirations sociales d’un groupe dans la mesure où il exprime à la fois 
ce qu’il est et ce qu’il souhaiterait être, et à l’origine  de cette prise de conscience. 
Dans  cette  mesure,  l’œuvre  littéraire  n’est  pas  qu’un  « reflet » :  elle  contribue  à 
construire le groupe social en lui faisant prendre conscience de lui-même. 
Lucien Goldmann a-t-il pour autant échappé à la théorie du reflet ? François 
Chatelet  a  écrit  qu’ « exprimer », sous la plume de Lucien Goldmann, pouvait être 
pris comme synonyme de « refléter »
. Mais peut-être faudrait-il distinguer plusieurs 
époques  chez  Lucien  Goldmann.  Dans  ses  travaux  sur  Racine,  Pascal  et  le 
Jansénisme,  il  s’appuie  effectivement  sur  des  groupes  sociaux  existant,  une 
philosophie,  une  représentation  théâtrale  métaphorique  des  rapports  sociaux  de 
l’époque. Par la suite, il tentera une correspondance entre les formes du capitalisme 
et  les  genres  littéraires,  que  l’on  peut  juger  aujourd’hui  très  mécaniste.  C’est  ainsi 
qu’il  définit  trois  formes  du  capitalisme,  auxquelles  correspondent  trois  sortes  de 
philosophies et trois genres littéraires. Citons des extraits de ce passage assez long : 
« …pendant la période du capitalisme libéral du 19ème siècle, le développement de la 
production pour le marché avait éliminé, à l’intérieur du secteur économique, dans la 
conscience des individus, les valeurs supra-individuelles [qu’il avait remplacé] par la 
 
 François Chatelet, « peut-il y avoir une sociologie du roman ? » Annales, 3, 20ème année, mai-juin 1965, page 
502.