Université Lumière Lyon II LE MERCENARIAT GREC AU IVe SIECLE AVANT J. - C. : LES RECHERCHES RECENTES Mémoire de maîtrise d’Histoire Ancienne Sous la direction de Mme Le Dinahet Année 1999 - 2000 1 SOMMAIRE SOMMAIRE INTRODUCTION LES MERCENAIRES ET L’ECONOMIE I. Profil du mercenaire et de son « métier » A) Origines ethniques B) Méthodes de recrutement C) Les « risques du métier » D) Pirates et mercenaires II. La vie quotidienne des mercenaires A) Le problème des soldes B) Le ravitaillement et le train de l’armée C) Butin et pillage III. De l’influence du phénomène mercenaire sur l’économie A) La guerre et la crise économique du IVe siècle avant J.-C. B) Mercenariat, agriculture et commerce C) Mercenariat et émissions monétaires D) Le financement des opérations militaires à Athènes Notes de la première partie LES MERCENAIRES, LA GUERRE ET LA SOCIETE GRECQUE I. La transformation de l’art militaire A) Les nouvelles tactiques de guerre B) L’avènement des troupes légères et le rôle croissant de la cavalerie C) Les innovations fondamentales macédoniennes D) La phalange d’Alexandre et ses modifications II. Mercenariat et société A) Problèmes de loyauté et perception du mercenariat B) Guerre, mortalité et démographie C) Les conséquences sociales du mercenariat III. Mercenariat et nouvelles manières de commander A) La prise d’autonomie des chefs mercenaires B) Chefs mercenaires : Etude de cas C) Séparation entre les fonctions de stratège et d’orateur Notes de la seconde partie 4 6 10 10 10 12 14 15 18 18 20 21 25 25 26 28 31 34 36 36 36 39 42 44 46 46 49 51 53 53 57 58 61 2 LES MERCENAIRES ET LA VIE POLITIQUE DES CITES 63 I. Le mercenariat en Grèce continentale A) L’armée mercenaire et la polis B) Les mercenaires à Athènes et en Thessalie C) Les mercenaires à Sparte et à Thèbes D) Mercenariat et Guerres Sacrées II. Le mercenariat et la tyrannie A) Les mercenaires comme instigateurs de la tyrannie : Exemples B) Le cas de la Sicile sous Denys l’Ancien C) Affirmation et fin du pouvoir mercenaire en Sicile III. Les mercenaires et l’Orient A) Les mercenaires et l’Egypte B) Le cas des « Dix-Mille » C) Les mercenaires au service des Achéménides Notes de la troisième partie 63 63 66 68 72 74 CONCLUSION BIBLIOGRAPHIE ANNEXES CREDITS ILLUSTRATIONS 74 77 81 86 86 87 91 95 98 103 109 121 _____________________________________________ 3 INTRODUCTION Comment expliquer l’essor des mercenaires à partir de la guerre du Péloponnèse, au point que les historiens parlent de mercenariat par analogie avec « salariat » ? Avant d'entrer dans le détail de notre analyse, quelques remarques sont nécessaires sur le mot même de mercenaire (Il est construit sur le latin mercenarius qui signifie « payé, loué contre argent ». La racine du mot est merces, soit le salaire, la récompense, mais aussi la paye, la solde.). Si l'on s'appuie sur la terminologie grecque, le mercenaire est alternativement appelé le misthophoros ou le xénos. Le misthophoros « celui qui reçoit une solde (misthos) », alors que le xénos est « l'étranger ». le xénos n’est pas quelqu’un de radicalement autre, c’est un partenaire du commerce social ; même jusque dans la haine qu’on peut lui porter il reste proche de par les dieux qu’il vénère, les sanctuaires qu’il fréquente, les usages et les normes qu’il respecte. Parfois, il est qualifié de stratiôtès, ce qui signifie surtout à partir du IVe siècle soldat de métier. Si cette terminologie paraît relativement simple, elle ne rend pas toujours compte du réel statut des troupes engagées. En effet, il est souvent difficile de distinguer les troupes mercenaires des troupes alliées (engagées dans la cadre d’une symmachie), les auxiliaires (epikouroï ) ; les deux réalités sont proches car mercenaires et auxiliaires peuvent se battre au service d’une puissance étrangère et tous considèrent alors la guerre comme une source de profits personnels. Cependant, le concept d'alliance n'implique pas «une adhésion complète à la cause du partenaire » (Y.Garlan, 1989, p. 147). Cette entière adhésion à la cause de l’allié, cette philia, sorte de fidélité à la foi jurée, n’est pas obligatoire dans la mesure où la décision de « combattre avec » (symmachein) n’est souvent qu’une décision politique ne prenant en compte que les intérêts de la cité d’où la précarité et la réversibilité de ces alliances ; par exemple dans le cadre d’une alliance défensive, une cité « amie » peut envoyer un nombre limité de troupes pour la défense d’un cité alliée sans entrer en conflit direct avec cette dernière. Comme le montre l'exemple syracusain, l'alliance entre deux cités peut aussi servir de façade à un recrutement parallèle de mercenaires. Cela conduit donc à examiner rigoureusement la nature des recrutements opérés pour chaque conflit. Néanmoins, à travers la terminologie grecque, trois perceptions du mercenaire apparaissent : le «salarié», l'étranger et le soldat de métier. D’après la définition d’Y.Garlan (La guerre dans l’Antiquité,1972, p. 67 ) « le mercenaire est un soldat professionnel dont la conduite est avant tout dictée, non pas par son appartenance à une communauté politique, mais par l’appât du gain : c’est la conjonction de ces 4 trois aspects, de spécialiste, d’apatride et de stipendié, qui fait l’originalité de ce type humain dans le monde antique ». Ainsi tout mercenaire est un guerrier professionnel, qui maîtrise l’art du combat et qui gagne sa vie par son exercice ; en revanche nous le verrons, l’inverse n’est pas possible, car un soldat professionnel n’est pas forcément un mercenaire. Et selon A.Aymard (Mercenariat et histoire grecque,1967, p. 17), par « mercenariat » il faut comprendre « un état de fait où les mercenaires sont devenus proportionnellement assez nombreux pour que leur accroissement, provoqué par certaines conditions de la vie collective, en arrive à son tour à affecter sensiblement celle-ci ». Si la pauvreté liée à la crise du IVe siècle avant J.-C., est un facteur déterminant dans le choix de nombreux Grecs de devenir mercenaire (en d'autres temps, certains seraient peut être partis fonder une colonie), il faut en relativiser l’importance et ne pas généraliser, car si certains mercenaires ne sont que des paysans auxquels la faiblesse de leurs revenus impose la recherche de ressources d'appoint - tel est le cas des Arcadiens -, il faut savoir que ceux-là se contentent de recrutements temporaires, pour la saison des combats, aussi longtemps que leur propre communauté n'est pas impliquée. Au IVe siècle avant J.-C., les luttes qui se développent dans les cités - la stasis - dont nous verrons qu'elles sont souvent provoquées par la guerre, mettent aussi en cause des mercenaires, soit comme fauteurs de ces troubles, soit comme force de secours recrutée par l'un ou l'autre des partis. Mais l'appel systématique à de telles troupes pour des campagnes militaires n'apparaît guère avant la guerre du Péloponnèse, dans notre source essentielle qu'est Thucydide : le coût en était trop élevé pour des cités habituées à faire servir leurs citoyens à leurs propres frais. Seuls quelques spécialistes ont déjà été largement embauchés par les cités, notamment Athènes lors de l’expédition de Sicile (415-413 avant J.-C.) qui recrute des mercenaires arcananiens (Thc.,VII, 31, 5), lapyges , (Thc.,VII, 33, 3), crétois et étoliens (Thc.,VII, 57, 9). Une question, à laquelle notre analyse tentera de répondre, se pose alors à propos de ce développement du mercenariat : dans quelle mesure les relations entre Etats grecs ont-elles été aggravées par la présence de soldats qui échappent plus oun moins au contrôle de ces Etats eux-mêmes ? Alors, il est possible de s’interroger : L'armée de mercenaires s'est-elle développée aux dépens de l'armée civique ? Le développement incontestable du «phénomène mercenaire » est-il à la cause où la conséquence de la disparition de la mobilisation civique ? Le mercenariat s’inscrit-il dans le sens d’une décadence des mœurs politiques du monde de la cité ? Les vibrants discours de Démosthène ont entraîné cette conviction chez de nombreux historiens comme L.M. Marinovic, les interprétations divergent et nous tenterons de faire le point sur ce débat. La réalité des faits demeure néanmoins, ainsi le nombre des recrues disponibles n'est pas infini et l'effort, possible en un 5 moment donné, devient tout à fait ruineux pour la vie économique et politique lorsqu’il doit se prolonger au fil des décennies. Il a par ailleurs été noté depuis longtemps que l'on ne saurait supporter de 1a même façon une campagne saisonnière, parfois discontinue, qui ne coupe pas le lien entre le soldat et son domaine agricole ou son atelier d'artisan, et l'expédition qui dure et se prolonge d'une année sur l'autre. Incontestablement, depuis les conflits entre Athéniens et Péloponnésiens, et du fait même de l'extension de l'Empire athénien, les conditions de 1a guerre ont changé et le mercenaire y prend une place de plus en plus importante. Une dernière remarque concerne la nature de la documentation analysée, puisque nous nous sommes restreints aux sources littéraires. Il faut d'abord noter qu'elles ne sont pas les seules sources d'information sur le sujet : les sources numismatiques et archéologiques permettent parfois de corroborer ou d'infirmer les informations issues des récits anciens. L'analyse des documents littéraires suppose ensuite l'utilisation d'une grille de lecture précise et adaptée à chaque cas. On doit toujours faire la part entre l'image fournie par l'auteur et la réalité historique du phénomène tel qu'il est perceptible. En effet, peu de sympathie à l'égard des mercenaires transparaît chez les auteurs anciens, même si leurs talents militaires sont parfois salués. Cette approche négative peut quelquefois devenir presque caricaturale : Plutarque réussit ainsi dans une bonne partie de son récit des exploits de Timoléon en Sicile à passer sous silence la nature mercenaire des compagnons du chef corinthiens. Le développement du mercenariat est sans doute à mettre en relation avec un évident déséquilibre social que connaissent certaines régions du monde grec au IVe siècle avant J.-C.. La conséquence majeure de ce déséquilibre est la mise sur le marché de nombreux anciens soldats, d ‘exilés politiques et de masses d’hommes ruinés, privés de terres par suite des dévastations provoquées par les guerres incessantes et plus encore par les conflits internes qui déchirent les cités. Cependant, il faut aussi faire intervenir d‘autres éléments explicatifs liés à l’évolution de la guerre elle-même qui revêt un nouveau visage : Désormais il n’y a plus de différence entre l’hiver et l’été, la guerre qui se faisait autrefois uniquement à la belle saison devient permanente. Pour une société essentiellement rurale, une telle mobilisation permanente est problématique voire impossible, d’où le rôle croissant des armées professionnelles. Parallèlement à ce phénomène, au IVe siècle avant J.-C. , la pratique militaire se charge de technè, la guerre devient une activité à part, une forme d’art contenant en lui-même sa finalité et ses moyens, mais aussi un métier exigeant des spécialistes à tous les niveaux dans le commandement comme dans l’exécution. Egalement, les usages de la guerre se modifient, en même temps que se multiplient les excès ; les règles écrites et implicitement admises depuis des générations ne sont plus respectées, ainsi l’utilisation massive d’armes de jets 6 (arcs, frondes, javelots) qui se répand partout dans les armées grecques va à l’encontre des principes « anciens » qui considèrent ce type d’armement comme déloyal. Enfin, il faut tenir compte d’une certaine évolution des mœurs qui vide la fonction guerrière de son prestige, ainsi Démosthène dans la Première Philippique réclame qu’au moins un quart des effectifs opposés à Philippe de Macédoine soit constitué de citoyens, ce qui laisse supposé qu’il n’en est pas ainsi en temps normal. A Sparte, la perte de la Messénie provoque un grave problème d’oliganthropie, d’où un rapide déclin du nombre d’hoplites citoyens ; et en Sicile les citoyens de Syracuse sont les spectateurs passifs des conflits opposant le tyran à ses adversaires qui se règlent au travers de leurs troupes mercenaires. _____________________________________________ 7 PREMIERE PARTIE : LES MERCENAIRES ET L’ECONOMIE I. PROFIL DU MERCENAIRE ET DE SON « METIER » A) ORIGINES ETHNIQUES Victimes des difficultés économiques et sociales de leurs patries, des hommes s’engagent comme mercenaires dès la guerre du Péloponnèse. La provenance des troupes mercenaires est assez bien connue dans l’ensemble grâce aux textes littéraires, aux papyrus pour les hautes époques et surtout aux descriptions pour l’époque hellénistique. Dès le Ve siècle avant J.-C., Athènes recrute à son service des archers scythes (voir annexe III p. 111) pour assurer sa police, une milice de 300 esclaves publics scythes (demositi) appelés « les archers » (taxotaï) encore ou « les Scythes ». Stationnés sur la colline de l’Aréopage, ils sont chargés de maintenir l’ordre à l’ecclésia1 et aux tribunaux, ils sont à la disposition de plusieurs collèges de magistrats et leurs revenus sont constitués d’une allocation d’état ainsi que de vêtements (d’après les comptes d’Eleusis) ; mais d’autres sources montrent que certains d’entre eux vivent une vie relativement indépendante en ayant leurs propres logements, leurs propres biens et un droit à entamer des poursuites devant les tribunaux 2. Cependant, il faut souligner que la cité d’Athènes répugne à leur donner des armes : cela les conduit à un statut de rameur. Parmi les mercenaires du IVe siècle avant J.-C., certains sont des bannis, conséquence directe de l’aggravation des luttes intérieures dans les cités : Conon au service des Perses3, Cléarque d’Hèraclée à la tête des Dix-Mille, Cléarchos de Sparte et des Milésiens qui espèrent rentrer chez eux avec l’aide de leur employeur Cyrus4. Il est probable que le nombre des bannis parmi les mercenaires est plus grand que nos sources ne le disent ; ils ne réussissent pas tous à rentrer au pays et quand bien même, ils y parviennent, surgissent alors de nombreux litiges à propos des biens confisqués que tous sont loin de récupérer. La plupart du temps, ruinés, ils sont à nouveau contraints d’abandonner leur ville natale et de courir leur chance en servant comme mercenaires à l’étranger. Selon L.M. Marinovic, il est possible de distinguer deux « couches » dans le mercenariat grec du IVe siècle avant J.-C. : 8 - Une première couche « traditionnelle » constituée d’hoplites originaires d’Arcadie et d’autres régions du Péloponnèse, d’archers crétois et de frondeurs baléares et rhodiens, dont l’apparition découle des lois générales de la société esclavagiste génératrice d’un excédent de population, mais aussi par certaines conditions géographiques et historiques particulières à ces régions , d’où l’enrôlement des soldats les meilleurs et les plus connus pour parer au besoin d’une force armée complémentaire; - Une seconde couche, à l’inverse constituée de gens originaires de nombreuses cités, de tous ceux qui dans un nouveau contexte socio-économique et politique n’ont pu trouver à s’employer dans leur patrie, et avant tout, les pauvres. Dès le Ve siècle avant J.-C., les régions du centre et de l’ouest du Péloponnèse telles que l’Arcadie et l’Achaïe fournissent des contingents de mercenaires de plus en plus importants comme on peut le constater chez les Dix-Mille (entre 401 et 400 avant J.-C. 13 000 mercenaires grecs et 30 000 soldats perses sous les ordres de Cyrus le Jeune contre son frère Artaxerxès II pour s’emparer du trône du Grand Roi ) Ainsi, au sein de cette expédition, les Achéens et les hoplites arcadiens à eux seuls représentent plus de la moitié du contingent comme le dit Xénophon (Helléniques, VII, 1, 23) : « Quand un état a besoin de mercenaires, il n’y a pas de soldats qu’il préfère aux Arcadiens ». Mais au IIIe siècle avant J.-C., survient un déclin démographique qui voit la chute du nombre de Péloponnésiens dans les armées mercenaires et que confirme un témoignage archéologique : ainsi, d’après une liste gravée sur une stèle incomplète de l’Acropole d’Athènes (datant d’environ 316 avant J.-C.), sur 150 mercenaires il y a un Olynthien, deux Phocidiens, trois Achéens mais plus un seul Arcadien. L’époque hellénistique voit se multiplier le nombre de régions d’où sont originaires les mercenaires. On trouve dans les rangs de l’armée d’Alexandre des combattants issus de l’ensemble du monde méditerranéen : la Grèce et les îles, la Sicile, l’Epire, l’Illyrie et l’Asie Mineure. Notons également la présence de quelques « barbares » celtes tels les Galates dans différentes armées au IIIe siècle avant J.-C. L’Etolie n’est pas en reste car elle lance sur les mers d’innombrables corsaires et pirates, elle est aussi la patrie de bien des mercenaires. Les Crétois sont aussi un élément majeur de toutes les armées méditerranéennes et ce dès le IVe siècle avant J.-C. et donc ils se retrouvent souvent dans des camps opposés. Il en résulte des situations quelque peu tragi-comiques, ainsi lors du siège de Rhodes par Démétrios Poliorcète, Ptolémée envoie 500 mercenaires dont une grande partie de Rhodiens au secours de la cité assiégée, ils défendent alors leur mère patrie comme une armée nationale. L’histoire de l’île de Crète laisse une large place aux querelles intestines dans lesquelles les innombrables cités crétoises multiplient entre elles traités de paix , renversements 9 d’alliances et guerres. Dès lors, on peut comprendre que les rois hellénistiques font tout pour apaiser ces querelles afin de se ménager un « vivier » de troupes fraîches, une attitude proche de celle des rois perses à l’époque où ils recrutaient des mercenaires grecs et qui, par l’intermédiaire de leurs satrapes d’Asie Mineure, dépensaient des trésors de diplomatie et d’or pour empêcher les cités grecs de se faire la guerre. Ainsi, les accords avec les cités crétoises sont recherchés entre autres par Rhodes, et les rois de Macédoine, de Pergame et d’Egypte qui n’ont de cesse d’envoyer des ambassadeurs chargés de conclure des traités d’alliances (le plus souvent bilatéraux) pour recruter les uns chez les autres des contingents de troupes alliées et ainsi s‘assurer d’une fourniture stable en soldats. Dans l’ensemble, le recrutement devient au IVe siècle avant J.-C., beaucoup plus évident et facile qu’aux siècles précédents. Isocrate rapporte que, vers 400 avant J.-C., celui qui désire recruter des mercenaires doit aller les chercher dans les cités et dépenser plus d’argent en cadeaux pour le recruteur que pour la solde, alors que, cinquante ans plus tard, il est plus facile de constituer une grande armée avec des vagabonds qu’avec des habitants des villes (V, 96). En effet, les opérations de recrutement se simplifient, notamment grâce au fait que les divers contingent de mercenaires ont tendance à ne pas se désagréger en fin de campagne et qu’ils passent en bloc d’un employeur à l’autre ou bien errent un certain temps en quête de travail, ce qui est redoutable pour les civils car livrés à eux-même, les mercenaires se muent souvent en brigands pour survivre. B) METHODES DE RECRUTEMENT Elles peuvent se classifier en trois types : - Tout d’abord par le biais de traités d’alliances entre cités qui prévoient par principe le retour des contingents mercenaires dans leur mère patrie après la durée variable de leur service. Mais cette méthode de recrutement n’implique pas forcément l’intervention de la cité d’où sont originaires les soldats ; ainsi il s’ouvre selon les périodes et les lieux des marchés de mercenaires. Ainsi de réels marchés aux mercenaires concentrent en un lieu des troupes de soldats avec leur commandant disponibles aux plus offrants. Les plus connus, ceux du cap Malée et du cap Ténare respectivement à la pointe sud-est et sud de la Laconie, sont une escale idéale pour les vaisseaux pirates, et deviennent rapidement les plus important de ces marchés; le second est difficile d’accès par la terre ferme et on y accoste dans l’un de ses deux ports. Là, des bandes se louent en bloc avec leurs chefs-condottieri, passant des contrats précis avec les employeurs5. A la fin du IVe siècle 10 avant J.-C., c’est le plus fréquenté des marchés, mais il en existe d’autres tel celui d’Ephèse en Asie Mineure. - Le rôle des recruteurs indépendants, les xénologues (xénagoï xénologoï), reste important qu’ils soient chefs de troupes ou simples rabatteurs. Les mercenaires acceptent plus facilement de s’enrôler lorsqu’ils connaissent personnellement ou du moins de réputation tel ou tel officier et s’ils savent que derrière lui se profile un puissant mandataire. Ils sont sensibles à des avances de salaires tout comme aux avantages juridiques ou fiscaux : promesses de pouvoir s’établir sur les terres de l’employeur (voire sur celles des conquis), exemptions d’impôts, garanties fiscales pour les vétérans, pour les orphelins, fourniture de vivres à bas prix. - Enfin, le dernier moyen le plus simple est l’enrôlement des « vaincus » (des « captifs », des « esclaves », car le mot « prisonniers de guerre » n’existe pas) dans l’armée victorieuse évitant ainsi l’esclavage voire la mort. Aristote l’explique dans Les Politiques (I, 6, 1) : « Ce qui est vaincu à la guerre, appartient au vainqueur ». Le sort des prisonniers est variable, il va de la libération immédiate ou à terme après rançon jusqu’à l’esclavage, le tout dépendant des conditions de la victoire (négociation ou capitulation), de la disposition du vainqueur quant à l’arrêt des combats ou de sa détermination à exterminer ses ennemis ou de l’appât du butin et de la nature des prisonniers (âge, combattant ou non et même catégorie sociale). Les prisonniers prêtent serment d’allégeance aux vainqueurs et sont enrôlés dans l’armée ennemie ou sont rachetés par leurs propres commandants, par leurs proches ou par d’autres personnes intéressées par eux ; par exemple lors du siège de Rhodes en 305 avant J.-C., les tarifs sont de 1000 drachmes pour un homme libre et la moitié pour un esclave. La capture de prisonniers peut avoir des conséquences économiques inattendues, ainsi l’exploitation des mines du Laurion est rendue plus aisée par la masse de prisonniers Perses capturés par Cimon6 et celles des mines de Macédoine pour le compte de Philippe II est facilitée par les hommes pris en Chalcidique 7. En règle générale, les prisonniers de guerre restent rarement très longtemps au service de leurs vainqueurs (qu’ils soient Grecs ou « barbares ») sauf quand ils sont loin de leur patrie d’origine (ce fut le cas d’Athènes qui lors de ses expéditions en Sicile fournissait des affranchis) ou lorsqu’ils sont intégrés comme valets à une armée de campagnes. Toutefois, les quinze années suivant la mort d’Alexandre sont marquées par le développement d’un usage particulier qui conduit le vainqueur à enrôler quasiautomatiquement les soldats vaincus et prisonniers dans sa propre armée. Cette tendance n’est pas totalement nouvelle dans la mesure où déjà en 396 avant J.-C. Denys de Syracuse s’empare du camp de l’armée carthaginoise, il prend à son service les mercenaires ibériens de ses ennemis, emmène le reste de l’armée en captivité et livre les bagages aux pillages. En 321 avant J.-C., face à Antipater, il remporte une victoire en payant un lourd tribu en hommes et il incorpore dans ses 11 troupes tous ses prisonniers en majorité des Macédoniens8. De la même manière, il mate de façon analogue la rébellion fomentée par Perdiccas et se contente de démanteler la faction séditieuse de 3 500 hommes et de la répartir dans ses autres corps (cette manœuvre de ne pas laisser en groupe trop de ces hommes nouvellement ralliés est un phénomène récurrent chez tous les chefs victorieux), non sans exécuter au passage Perdiccas et les officiers responsables. C) LES « RISQUES DU METIER » Un autre facteur capital dans le comportement des vainqueurs comme des vaincus après une bataille réside dans le destin des « bagages » de l’armée qui subit parfois un sort inverse à celui de leurs propriétaires. Rappelons que sous le terme de « bagages » se cache en fait tout le train qui accompagne l’armée : tout ce qui appartient aux combattants, armes, bêtes de somme, bétail, femmes, enfants, esclaves (les mercenaires emploient à leur service deux catégories distinctes d’hommes : les valets et les prisonniers récents expression qui désigne les esclaves capturés au cours de leurs déplacements9 et toutes ses richesses, sans oublier une foule de marchands souvent lydiens. Ainsi, les soldats même victorieux sur le champ de bataille, préfèrent se rallier au parti de l’ennemi qui a pris possession de leurs « bagages » ; même si ce dernier a perdu la bataille. M. Launey écrit ainsi dans Traitement des prisonniers de guerre dans la Grèce antique : « l’attachement des soldats à leur famille et à leurs biens est parfois funeste à leurs chefs » (p. 102105). En 331 avant J.-C., on se bat âprement autour des bagages de l’armée d’Alexandre à Gaugamèles. Eumène, au cours de l’hiver 317-316 avant J.-C., dans la bataille contre Antigone, et sans que la défaite ne soit irrémédiable, voit les Argyraspides, vétérans âgés parfois de 60 ans ou plus, refuser de poursuivre la lutte, démoralisés par la capture de tout ce qui formait leur foyer, allant jusqu’à le livrer à son adversaire pour pouvoir le récupérer10. Pour contrer ce danger éventuel, les Lagides prennent soin de donner à leurs soldats des lopins de terre où ils peuvent laisser femmes, enfants et fortunes ; ce qui allège leur armée, rassure leurs combattants tout en s’assurant de leur fidélité indissoluble. Comme l’existence politique d’un général et autres condottières dépend totalement de la fidélité et du soutien de ses troupes, il n’a de cesse de vouloir augmenter le nombre de ses partisans de par sa clémence envers d’anciens adversaires défaits ; tout en anéantissant l’armée ennemie, il renforce sensiblement la sienne. Selon l’étude de P.Ducrey, entre la fin du Ve siècle et la fin du IVe siècle avant J.-C., sur 120 épisodes de combats attestant de captifs, seulement 24 font état de massacres de prisonniers dont 5 résultent d’une répression d’un soulèvement mercenaire, enfin il y a 10 exemples 12 d’enrôlement des vaincus (en 303 avant J.-C., Démétrios Poliorcète prend Orchomène d’Arcadie et enrôle les mercenaires adverses). Autre exemple : en 356 avant J.-C., lors de la Troisième Guerre Sacrée , beaucoup de mercenaires phocidiens tombent aux mains des Béotiens qui les exécutent en prétextant qu’ils se sont mis au service de sacrilèges condamnés par l’Amphictionie. Pour la petite histoire, les mercenaires phocidiens du camp adverse feront de même avec les combattants béotiens en signe de représailles. Notons que la présence de mercenaires de même origine dans les camps adverses ne sont pas rares au IVe siècle avant J.-C., ce qui crée certes un climat d’insécurité croissant mais entraîne moins de rigueur implacable et moins d’exterminations. Un exemple de barbarisme atypique : lors de la guerre entre Carthage et Syracuse, Denys le Syracusain s’empare de Motyè en 392 avant J.-C. une colonie carthaginoise située sur la côte occidentale de la Sicile et il fait crucifier les mercenaires grecs au service de ses ennemis 11. Enfin, après la bataille du Granique en 334 avant J.-C., les Macédoniens capturent 2 000 mercenaires grecs dont beaucoup d’Athéniens qui sont enchaînés et condamnés aux travaux forcés en Macédoine où ils resteront 3 ans jusqu’à leur libération par une ambassade venue d’Athènes. Ceci dénote une volonté de punition face à des Grecs qui se sont mis au service de « barbares » contre des compatriotes, sorte de châtiment exemplaire pour dissuader les Grecs de s’engager dans les armées ennemies12. S’il est vrai qu’au IVe siècle avant J.-C., les pillages, dévastations et autres exactions deviennent plus fréquents avec l’accroissement du nombre des guerres, les cas de massacres massifs se font eux relativement plus rares et cèdent la place sous l’influence du mercenariat, à la vente des prisonniers en esclavage ainsi qu’à leur rachat. Pour les mercenaires, c’est toujours le calcul qui l’emporte, portant sur le profit immédiat ou sur leur existence même. A titre d’exemple, la conduite tout à fait significative de nombreux grecs qui abandonnèrent les satrapes et se joignent à Artaxerxès qui se prépare à faire campagne contre Chypre, une île qui n’avait pas subi d’attaques depuis longtemps et dont les mercenaires espéraient grand profit13. D) PIRATES ET MERCENAIRES Pirates et mercenaires entretiennent des rapports ambigus dans la mesure où les cités grecques et les royaumes hellénistiques prennent à leur service des pirates patentés, des corsaires pour renforcer leur potentiel militaire. Chacun y trouve son intérêt ; les pirates voient une source de butin sous le couvert du droit alors que pour leurs employeurs il s’agit d’un appoint de combattants expérimentés vivant sur le pays sans qu’il y ait à leur payer une solde. Cela compense leur mauvaise 13 réputation, leur insubordination et parfois le manque de distinction entre cités neutres, alliés et ennemis. Les pirates peuvent même constituer un soutien aux troupes terrestres, se reconvertissant dès le pied mis à terre en compagnies de débarquement mercenaires, l’inverse est aussi possible d’où la difficulté de les différencier ; les pirates sont alors à assimiler à des « mercenaires des mers ». En Etolie l’une ou l’autre des activités est une affaire de circonstances ; pirates et mercenaires ont des conditions de vie identiques à cette différence près que le butin est généralement la seule source de revenus pour les premiers tandis que c’est un complément de soldes pour les seconds. Strabon (X, 4, 10) rapporte que la Crète : « regorgeait de mercenaires et de soldats utilisés par les bandes de pirates pour compléter leurs effectifs ». Les exemples de leur utilisation comme troupes d’appoint sont nombreux : des pirates marquent de leurs méfaits le début de la Guerre des Alliés (357-355 avant J.-C.), que ce » soit pour le siège de Rhodes (305-304 avant J.-C.) comme pour être en garnison à Ephèse, Démétrios Poliorcète et Antigone ont recours aux pirates étoliens, également contre Sassandre en 303 avant J.-C. jusque sous les ordres du gouverneur étolien de Phigalie, Dorimachos en Arcadie en 221 avant J.-C. et même Mithridate deux siècles plus tard qui en fait des alliés précieux contre les Romains. P.Ducrey, dans son ouvrage Le traitement des prisonniers de guerre dans la Grèce antique, rapporte que les pirates étoliens travaillent pour leur compte mais qu’ils se composent aussi de mercenaires et de volontaires envoyés par la Confédération Etolienne à titre officieux. Rappelons que sur chaque trière sont embarqués 10 épibates, 10 soldats d’infanterie de marine pouvant être des mercenaires qui lorsqu’ils se révoltent agissent à la manière de pirates. Les pirates ne sont pas des combattants au même titre que les hoplites, mais certains belligérants, comme le roi Philippe V de Macédoine n’hésite pas à s’assurer le concours de pratai ou de lêistai (termes indifféremment utilisés par les Grecs pour désigner pirates et corsaires), corsaires que l’on a souvent de la peine de différencier de véritables bandits de grand chemin, ou de haute-mer. Les corps de troupes réguliers se différencient de ces auxiliaires de par la manière dont ils perçoivent les profits de la guerre : les uns, pillards, corsaires et mercenaires, attendent de la victoire des bénéfices immédiats, les autres, armées régulières ou états, escomptent des gains à moyen ou à long terme. Les îles et les côtes de la mer Egée regorgent d'abris pour les navigateurs. Depuis que la navigation y existe, de paisibles marins ont été rançonnés, des maisons isolées, des villages et même des agglomérations (le quelque importance aussi. jamais ces parages ne furent tout à fait sûrs. Le gouvernement (le la Grèce moderne lui-même lutte assez longuement avant de pouvoir imposer partout son autorité sur ces loups de mer trop soucieux de leur liberté. On peut ajouter que les 14 pirates jouent un rôle non négligeable dans la Guerre d'Indépendance grecque en luttant contre les Turcs, ce qui explique pourquoi plus d'un habitant des îles s'enorgueillit aujourd'hui encore de compter des pirates parmi ses ancêtres. L'équilibre entre piraterie et course, d'une part, répression de l'autre, resta instable tout au long de l'histoire grecque. Ce n'est qu'aux périodes où un pouvoir fort assurait la police des mets que la sécurité avait quelque chance de s'installer. Minos, le premier, «travailla à purger la mer des pirates, pour mieux assurer la rentrée de ses revenus», écrit Thucydide (I, 4). Au IVe siècle avant J.C, les flottes athéniennes, irrégulièrement payées, cherchent à récupérer sur les bateaux de commerce les sommes qui leur sont dues. Simultanément, Philippe II pallie par l'envoi de vaisseaux corsaires la faiblesse de ses moyens navals. Durant le siège de Rhodes, Démétrios Poliorcète ont recours à des bateaux pirates et, plus tard, Philippe engage un chef de bande étolien, Dicéarque pour combattre aux côtés de ses alliés crétois contre les Rhodiens. Partout où il débarquait rapporte la tradition, Dicéarque élevait deux autels, l'un à Impiété, l'autre à Illégalité! Les pirates et les corsaires veulent avant tout réaliser un profit rapide. Pour cela, rien ne vaut la capture d'êtres humains, hommes, femmes, enfants, esclaves, objets facilement négociables, soit comme marchandises, soit contre une rançon. L'arraisonnement de bateaux marchands ou le raid de pillage représentent des objectifs aussi intéressants sur le plan politique, surtout pour les alliés des pirates, puisqu’ils contribuent à l'insécurité générale, que sur le plan économique. Les mésaventures des victimes des pirates nous sont relatées par les auteurs comiques, qui en tirent souvent l'argument de leurs pièces, par les poètes, dans des épigrammes funéraires, enfin par les chancelleries des cités: celles-ci gravent sur pierre le texte de décrets qui, eux, contiennent des informations nettement plus réjouissantes, puisqu'ils rendent souvent hommage à de généreux citoyens qui ont contribué au salut de victimes des pirates. Les uns ont acheté des prisonniers pour ensuite les libérer, d'autres ont versé la rançon réclamée, d'autres encore se sont volontairement constitués prisonniers et ont accepté de rester comme otages entre les mains des ravisseurs jusqu'à ce que la rançon exigée soit acquittée. Que ce soient les pirates ou les mercenaires, c’est bien l’argent qui est au centre de leurs préoccupations et qui les pousse à braver tous les dangers, sur terre comme sur mer ; la vie comme « soldat de fortune » ,en dehors de son côté aventureux, comme nous allons le voir est fermement liée à des soucis bassement économiques 15 II. LA VIE QUOTIDIENNE DES MERCENAIRES A) LE PROBLEME DES SOLDES En règle générale, les mercenaires vivent dans une grande misère car la solde promise (différente de la somme perçue suite à la déduction de la somme consacrée aux vivres) est le plus souvent versée à intervalles irréguliers et les vivres offertes (trophè) suffisent à peine, d’où la volonté toujours présente de mettre à contribution le territoire ennemi pour en tirer le maximum de butin. Selon les études menées par G.T.Griffith et W.K.Pritchett, la solde connaît au IVe siècle avant J.-C. avec l’apparition de grandes armées mercenaires une distinction terminologique : le sitèrésion qui est l’argent pour les vivres versé comme acompte au début du mois ; et le misthos qui est la somme perçue en fin de mois comme salaire. W.K.Pritchett affirme même que les deux termes utilisés par Thucydide pour désigner la rémunération des soldats, à savoir misthos et trophè, seraient synonymes ; mais à aucun moment, il ne fait état du cas des mercenaires. Aucune différence entre le paiement des mercenaires et celui des citoyens n’apparaît dans nos sources ; d’ailleurs, leur égalité n’y est pas davantage signalée. Chez Démosthène, sitèrésion et misthos s’opposent en effet comme deux parties de la rémunération tout comme misthos et trophè dans le chapitre XIII de la Poliorcétique d’Enée le Tacticien, mais par trophè il faut plutôt ici entendre les vivres en nature, dans la mesure où obligation est faite à chaque mercenaire de vivre chez le citoyen qui l’a engagé. Il en résulte donc une certaine imprécision quant à la terminologie de la rémunération des soldats et des mercenaires dans la seconde moitié du IVe siècle avant J.-C. Cette terminologie de la solde s’applique aux deux types de soldats : le citoyen et le mercenaire, et voici l’état actuel de son étude : Le misthos, payé en argent, est la solde proprement dite à laquelle s’ajoute le sitèrésion, qui est la ration alimentaire ou la somme équivalente permettant aux mercenaires de faire lui-même l’achat de sa ration quotidienne. Au fil du temps, viennent s’ajouter d’autres expressions ou se substituer aux anciennes expressions : opsonion remplace ainsi misthos et sitonion le terme sitèrésion. L’étude de J.Krasilnikoff (1993, p.77-80) souligne la difficulté de distinguer corps civiques et troupes mercenaires dans les sources où il est question de la solde avec les différents termes possibles. La solde payée (misthos ) n’est guère élevée : un drachme par jour au début de la guerre du Péloponnèse et un peu plus d’une demie à la fin (c’est-à-dire 4 oboles et demie) puis environ 1 drachme tout au long du IVe siècle, soit le salaire d’un ouvrier moyen non qualifié, mais durant 8 mois seulement puisque les effectifs sont généralement mis en disponibilité l’hiver (cf. G.T.Griffith, p. 294-298). Si la responsabilité de l’équipement incombe aux mercenaires, 16 les indemnités pour l’approvisionnement (episitismos) et l’achat d’équipements comptent parmi les clauses du contrat passé entre les soldats et l’employeur, souvent appelé misthodotès (celui qui verse la solde). Ainsi, la rémunération des mercenaires tend à s’amoindrir au cours du IVe siècle avant J.C. , et d’après dans le plan d’organisation de l’armée athénienne proposé par Démosthène, le soldat ne doit recevoir que deux oboles par jour et se procurer le reste lui-même sur la guerre. La réduction conjoncturelle de la solde à un niveau dépendant entièrement de la situation militaire, prouve à l’évidence que les pauvres sont devenus de plus en plus nombreux parmi les mercenaires ; prêts à servir en échange de leur seule subsistance, ils modifient l’importance de l’offre sur le marché mercenaire. Selon toute apparence, s’engagent surtout comme mercenaires ceux qui vivent dans la cité « sans faire partie d’aucun corps de la cité, sans être ni commerçant, ni ouvrier, ni cavalier, ni hoplite, avec le simple titre de pauvre et d’indigent »14. Même Athènes qui envoie des corps expéditionnaires dans le nord de la mer Egée (en ayant recours à la caisse du Théorikon15) n’est pas toujours capable de les rétribuer en temps voulu. D’un autre côté, le mercenaire payé trop tôt, devient une cible de choix pour les brigands, c’est pourquoi à sa libération il doit vraisemblablement recevoir à Suse ou à Babylone, une somme lui permettant de subvenir simplement à ses besoins jusqu’à son retour chez lui. Une fois arrivé dans sa cité natale, il lui suffit de se rendre dans un atelier frappant des « alexandres » et de remettre un ordre de paiement rédigé à son intention. En effet, le versement fractionné de la solde évite, durant une campagne militaire, d’avoir à manipuler en permanence de grandes quantités d’argent et à risquer de trop nombreuses désertions ; les chefs doivent alors subvenir eux-mêmes aux besoins immédiats de leurs soldats ou doivent leur verser juste de quoi y répondre eux-mêmes16. Le salaire des mercenaires jouent un rôle crucial, garanti par des accords bilatéraux entre les intéressés eux-mêmes ou entre les représentants des troupes et ceux de leurs employeurs. En cas de non-respect des clauses ainsi définies, les susdits employeurs s’exposent à des grèves et à des mutineries. L’armée mercenaire a un temps de vie très court exprimé dans le contrat qui prévoit les salaires, ainsi l’armée n’existe en tant que telle que dans le cadre de ce contrat, juridiquement elle est une collectivité organisée qui s’engage dans des conditions déterminées. Comme cité précédemment en moyenne, la solde (misthos) des mercenaires passe de une drachme par jour, en Thrace à la fin de la guerre du Péloponnèse, à 2 ou 3 oboles par jour à la fin du IVe siècle avant J.-C. (d’après une proposition d’Enée le Tacticien). Il est possible de comparer ces chiffres avec les sommes perçues par les citoyens athéniens dans l’exercice de leurs fonctions : - pour assister à l’Assemblée, 1 puis 2, puis 3 oboles, et enfin 1 drachme par jour, 17 - pour faire partie du Conseil des Cinq-Cents, 5 oboles par jour (1 drachme pour les prytanes), - pour servir comme éphèbes, 4 oboles par jour, - pour les ouvriers d’Eleusis, de 1 à 2 drachmes et demie par jour, en fonction de leur qualification (vers 320 avant J.-C.). En 338 avant J.-C., il est proposé aux Etats membres de la ligue péloponnésienne de remplacer, à leur demande, la fourniture d’hommes par des versements d’argent à raison de 4 oboles attiques par soldat. Bien que la rémunération obéisse à une certaine norme, elle oscille aussi de temps en temps et de façon sensible d’après toutes sortes de facteurs économiques et politiques : en particulier quand un employeur argenté suscite une élévation de l’autre ; ce qui est le cas en Sicile du temps de Denys l’Ancien et pendant la Troisième Guerre Sacrée (356-346 avant J.-C.) , où les dirigeants phocidiens payent deux fois et demie plus que d’habitude17. En ce qui concerne l’armement, si le citoyen mobilisé est tenu de se présenter tout armé, la question n’est pas encore très claire pour les mercenaires. On peut seulement affirmer que les mercenaires spartiates de l’armée d’Agésilas en Asie Mineure possèdent leur propre armement ou plus précisément qu’ils l’acquièrent à leurs frais alors qu’ils se préparent à faire campagne en Grèce18. Nos sources mentionnent de grandes quantités d’armes achetées pour les mercenaires par leurs employeurs, il s’agit toujours de tyrans utilisant des contingents importants tels le Phocidien Onomarchos19, Denys l’Ancien et Dion20. A notre connaissance, il n’y a pas dans nos sources d’attestation de fourniture d’armes aux mercenaires par les cités. B) LE RAVITAILLEMENT ET LE TRAIN DE L’ARMEE Dans le train qui accompagne les armées mercenaires, existent deux catégories de marchands, les kapèloï et les emporoï. Ce dernier terme qualifie en général les marchés en gros se livrant souvent à des activités maritimes, tandis que le terme kapèloï s’applique aux petits commerçants qui fréquentent seulement les marchés locaux. Le mercenariat exerce par ailleurs une grande influence sur la redistribution des richesses car le butin des diverses campagnes est habituellement vendu et profite soit aux mercenaires, soit le plus souvent aux marchands qui l’achetaient et le revendaient tout en fournissant l’armée en provisions et autres marchandises. Il n’est pas impossible que de nombreux mercenaires se soient enrichis et reconvertis en emporoï et kapèloï, en se servant de l’armée et de leurs contacts. Dans la mesure où les mercenaires agissent sur le redistribution des biens en favorisant l’augmentation de la masse monétaire, sans 18 accroissement correspondant de la masse des marchandises, ils contribuent en corrélation avec d’autres facteurs à la montée des prix au cours du IVe siècle avant J.-C. Cette montée des prix s’ajoutant à la chute du montant des rémunérations aggrave leur situation et pousse les mercenaires et leurs chefs vers de nouvelles aventures qui aboutissent au même résultat, créant ainsi un véritable cercle vicieux. Dans le train de l’armée, on rencontre également en plus des marchands, des artisans, des prêtres, des médecins, des hérauts et bien évidemment des « aides de camp ». Le gros de ces serviteurs forment ce que les sources appellent les « porteurs de tentes » ; chargés de préparer la nourriture ou de moudre le grain mais aussi de porter les armes des soldats21, les provisions, de ramasser les blessés sur le champ de bataille22 ; ce sont également des valets d’armes et des palefreniers et même, à l’occasion, ceux qui sont armés sont chargés de défendre les bagages 23. Tous cette foule de non-combattants, à des besoins en eau, en bois, en fourrage pour les bêtes, considérables allant jusqu’à concurrencer les besoins de l’armée. C’est pour cela qu’on transporte également des vivres (pain, vin, condiments), des vêtements, des moulins à bras, du matériel sanitaire, des réserves de bois, des haches, des pelles, des pioches, des faux . L’armée est également accompagnée par des artisans (forgerons, charpentiers, corroyeurs) pourvus de leurs outils et travaillant contre salaire pour tous ceux qui en ont besoin24. En, règle générale, le train est plus important que l’armée et les gens qui s’y trouvent ne prennent pas part aux hostilités : Xénophon les désigne du mot ochlos (Anabase, III, 2, 36 et IV, 3, 15 et VI, 5, 3). Par mesure de sécurité, le train est habituellement placé au centre de l’armée et celle-ci s’organise parfois de manière à assurer la protection des bêtes de somme et de l’ensemble du train25. En ce qui concerne la question des vivres, le ravitaillement est l’affaire personnelle du soldat, en ce sens que l’Etat ne lui fournit pas tout le nécessaire et qu’il n’existe pas de service d’intendance développé ; les soldats prennent souvent leurs vivres avec eux pour des campagnes de faible durée. Pour les campagnes lointaines qui se prolongent, chacun se charge d’acheter ce dont il a besoin, mais il est du devoir des stratèges d’approvisionner ses troupes. C) BUTIN ET PILLAGE Parfois quand le montant de leur solde est trop faible ou que leur versement est trop tardif, le pillage s’impose. Ainsi Eumène cède à ses mercenaires fermes, villages et forteresses des pays traversés en distribuant les biens saisis sous forme d’esclaves et de bétail26. On peut citer également le cas de mercenaires stationnés en Chalcédoine qui arraisonnent des navires sur la route du Pont- 19 Euxin. A Athènes, au IVe siècle avant J.-C., les moyens financiers avec lesquels s’embarquent les corps expéditionnaires sont assez limités, donc les soldats n’ont pas d’autre moyen que d’aller chercher le butin et l’argent là où ils se trouvent : chez l’ennemi dans le meilleur des cas, chez les alliés d’Athènes dans le pire des cas, allant même jusqu’à s’emparer de vaisseaux de commerce originaires de leur propre cité. Il faut savoir que le pillage n’a jamais été reconnu en Grèce comme chose inavouable ni amorale et un « droit de la guerre » reconnaissait même au vainqueur la possession des personnes et des biens du vaincu. Enée le Tactitien recommande l’application d’une certaine méthode dans l’exercice du pillage : un combattant bien organisé n’envoie pas l’ensemble de ses forces au pillage, mais seulement une partie d’entre elles, le reste demeurant en réserve car la tactique du défenseur, elle, consiste à laisser l’ennemi s’enhardir, puis une fois dispersé et alourdi par ses prises, à l’attaquer par surprise (Poliorcétique, XVI, 4-8). Pour Isocrate, l’armée parfaite a pour définition : c’est une armée qui ne s’occupe que de la guerre et est libérée des tâches quotidiennes, qui se montre capable de progresser dans n’importe quelle direction et de s’installer n’importe où à la belle étoile indépendamment de tout pouvoir étatique, et qui considère comme sa patrie n’importe quel endroit propice à la guerre, une telle armée trouve facilement elle-même de quoi subsister sur ses réserves et le butin. Le pillage et le fait de « vivre sur un pays » ne sont pas nécessairement anarchiques ; ainsi, Polyen nous rapporte le cas de Timothée (Stratagème, III, 10, 5) : « Timothée, après avoir établi son camp autour d’une ville, délimitait l’endroit où les soldats pouvaient fourrager ; le reste du territoire et tout ce qui s’y trouvait d’utile était vendu. Il ne permettait de détruire ni les moissons, ni les fermes, non plus que de couper un arbre cultivé, mais seulement d’en cueillir les fruits. Les avantages qu’il en retirait, en tant que stratège, étaient les suivants : en cas de victoire, d’accroître ses revenus, et, en cas de prolongation de la guerre, de disposer en abondance de nourriture et de logement, ce qui était encore plus important, c’était qu’il obtenait ainsi un grand dévouement de la part des ennemis ». Le problème de l’approvisionnement est donc essentiel dans l’armée ainsi qu’en témoigne l’expédition des Dix-Mille où la rupture de cet approvisionnement a engendré la multiplication des pillages dans les pays traversés, notamment, peu après la bataille de Cunaxa, dans le village de Parysatis, mère de Cyrus et du Grand Roi27. En 374 avant J.-C., lors de l’invasion de Corcyre, les mercenaires sous la direction des Spartiates pillent l’île en consommant les meilleurs vins, ce qui d’ailleurs les rend vulnérables à une contre-attaque. On retrouve ce goût pour le jus de la treille chez Denys le Syracusain qui gorge « de vin pur ses mercenaires » avant de les lancer « au pas de course contre le camp des Syracusains » (Plutarque, Vie de Dion, 30, 5). 20 Dans l’Anabase, Xénophon rapporte que parfois les soldats mettent les prises dans un lot commun appelé to koinon ; ainsi, lorsque l’armée s’empare d’une quantité importante de prisonniers et de bétail, la négociation des prises se fait d’une manière globale au profit de la caisse commune dont le bétail sert notamment aux sacrifices28. L’une des modalités les plus fréquemment adoptées dans le partage du butin entre les alliés est la répartition des profits en fonction des forces engagées, mais d’autres formules de partage apparaissent parfois comme celle qui consiste à attribuer le butin mobilier ou sur pied (prisonniers et bétail) au co-belligérant venu de loin, les biens meubles restant à l’allié basé à proximité du théâtre des opérations. Face au problème du paiement des soldes, plusieurs exemples mettent en valeur le rôle des chefs militaires : En 355 avant J.-C., le stratège athénien Charès paie son armée grâce à l’argent reçu pour l’aide militaire apporté au satrape Artabaze entré en rébellion contre le roi Artaxerxès29. A Corcyre, Iphicrate se décharge en partie du problème de la solde en forçant les marins à travailler les champs et à se procurer ainsi leur subsistance30. Lors du siège de Samos, Timothée qui n’a pas de quoi payer son armée, vend la récolte des champs dont il s’empare et s’assure ainsi une masse d’argent abondante qui accroît du même coup la combativité de ses troupes31. Tout cela parce que le stratège porte, aux yeux des soldats, la responsabilité du nonpaiement, dans la mesure où c’est lui qui négocie le contrat d’embauche : ainsi Xénophon est accusé de s’enrichir sur leur dos et manque de peu de se faire lapider quand Seuthès n’honore que partiellement le paiement de la solde de ses mercenaires grecs32. Dans ces cas-là, ces derniers ont pour moyen de pression de menacer leur employeur de désertion (apoleipsis) ou de passer à l’ennemi ; ce que fait Xénophon à Seuthès33 ou encore ce que font les troupes de Timothée lors de la guerre contre Corcyre34. Autres exemples de butins et d’autofinancements : Iphicrate paie ses troupes avec les 60 talents provenant de la vente de l’équipage de 9 trières syracusaines dont il s’empare35. Timoléon lorsqu’il peut se passer de ses mercenaires, ne les congédie pas mais les fait mener en territoire carthaginois afin qu’ils y vivent dans l’abondance, tout en réservant de l’argent sur le butin pour faire face à la guerre36. Un autre procédé existe pour trouver de l’argent : le pillage des temples. C’est ainsi, que les trésors de Delphes donnent entre autres à Philomèlos, Onomarchos de grandes possibilités pour augmenter leurs armées37 ; il en va de même pour les tyrans Denys l’Ancien et Euphron de Sicyone38. Ainsi au IVe siècle, le pillage des sanctuaires est l’acte tyrannique par excellence : Denys de Syracuse, Euphron de Sicyone et les chefs phocidiens sont passés maîtres dans cet exercice. Les Phocidiens puisent abondamment dans les richesses de Delphes pour solder leurs mercenaires et convertissent en monnaie peut-être 10 000 talents39. C’est pour cela, que Philippe de Macédoine exécute les Phocidiens prisonniers car la peine de mort est requise à 21 l’encontre « des pilleurs de temples » (hierosulai). Cependant, cet acte qui fait grand bruit dans toutes nos sources littéraires n’est en fait que de la pure propagande qui s’insère dans une vision factice de décadence du monde grec. En effet, les Athéniens n’agissent pas différemment avec les offrandes entreposées dans le Parthénon, admettant cet acte comme tout à fait licite, puisqu’ils s’engagent à rembourser à la fin de la guerre les sommes empruntées. Ainsi, le sacrilège n’est pas que l’apanage des tyrans ; Iphicrate avec l’autorisation de l’ecclésia vend les statues chryséléphantines, cadeaux de Denys l’Ancien aux sanctuaires d’Olympie et de Delphes, issues d’un navire capturé par ses soins40. De plus, Thucydide (IV, 98, 3)nous éclaire sur les conditions de cette pratique du pillage des temples : « la règle chez les Grecs était que celui qui était maître d’un territoire, grand ou petit, était aussi maître des sanctuaires, à condition d’y accomplir, dans la mesure du possible, les rites jusque-là en usage ». Les mercenaires commencent, au fur et à mesure des années, à considérer leur solde comme une sorte « capital » qui, en cas de retard de paiement doit rapporter un intérêt comme n’importe quelle créance. Au sujet des Clazoméniens, Pseudo-Aristote (Economique, II, 2, 16 b) rapporte ceci : « Comme ils devaient aux mercenaires une solde de 20 talents et qu’ils ne pouvaient pas la payer, ils donnèrent aux chefs 4 talents d’intérêt/an » jusqu’au règlement de leur dette. Ainsi, les mercenaires ou seulement leurs chefs se retrouvent en position d’usuriers et la cité, quand elle jouait le rôle de débitrice, est obligée, comme n’importe quel débiteur, de verser des intérêts. L’approvisionnement parfois difficile de l’armée en marche, en territoire ennemi, justifie souvent le pillage. En général, les soldats qui partent en campagne emportent avec eux des vivres pour une durée variable (de 3 à 30 jours), qu’ils se sont procurés au point de départ ; à cet effet, existaient probablement des ententes entres les communautés civiles et les armées, de manière à ne pas épuiser les stocks disponibles. C’est en territoire ennemi que le ravitaillement présente le moins de problèmes, car les troupes se servent directement dans les réserves des villages traversés à même les troupeaux vivants ou les cultures. Le pillage n’est pas sans risques d’où un partage des tâches au sein des soldats : les plus légèrement armés effectuent le pillage alors que les corps d’infanterie lourde et la cavalerie se chargent de la surveillance et de la protection. C’est peut-être sur ce point que ce fait la distinction entre mercenaires et soldats-citoyens car les premiers constituent souvent des troupes spécialisées d’infanterie légère qui sont plus mobiles pour s’adonner au pillage ; d’où leur réputation d’être motivés par l’appât du gain (cf. J.Krasilnikoff, p. 26, 28 et 35). Les armées de mercenaires ont dès l’Antiquité souffert de l’association au pillage, à la rapine et à la prise du butin. Mais il faut savoir que depuis les temps les plus anciens, l’histoire des guerres en Grèce montre moult exemples de campagnes ravagées, de populations rançonnées ou de 22 villages et de villes mis à sac et cela à des époques où les contingents mercenaires étaient soit inexistants soit en nombre infime parmi les armées citoyennes. III. DE L’INFLUENCE DU PHENOMENE MERCENAIRE SUR L’ECONOMIE A) LA GUERRE ET LA CRISE ECONOMIQUE DU IVe SIECLE AVANT J.-C. La conception de la guerre a beaucoup évolué entre le Ve et le IVe siècle avant J.-C. passant de la joute sportive, sanglante, certes, mais gouvernée par des usages et des lois à la guerre « totale » visant à l’anéantissement de l’adversaire (mise à mort d’une partie de la population et vente du reste à l’étranger). C’est le passage de la traditionnelle bataille-agôn, pure et libre, en apparence du moins, de toute arrière-pensée lucrative, à une guerre où le facteur d’acquisition de richesses est primordial. Poser la question des profits que peut offrir l’armée au combattant et à l’Etat, revient à poser celle des produits de la guerre : jusqu’à quel point la guerre a-t-elle des fins économiques ? Dans quelle mesure la recherche d’un profit économique est-elle à l’origine d’un conflit ou même de l’usage d’une force armée ? Malgré une prospérité continue, une augmentation et une amélioration régulières de sa production agricole et industrielle, la Grèce traverse au IVe siècle avant J.-C. une crise économique et sociale qui se fait progressivement plus aigüe. Les faits sont connus et la documentation a été réunie et analysée, par plusieurs éminents spécialistes. La vie économique et sociale de l' époque est marquée par deux traits dominants : premièrement la prolétarisation de la masse de la population et la croissance du chômage étroitement liée à ce phénomène; deuxièmement, une pénurie alimentaire, qui prend à des moments une forme aigüe et dramatique. Le premier trait nous est révélé par plusieurs passages littéraires dispersés décrivant les conditions de vie difficiles de nombreux pauvres dans les grandes cités de Grèce, et la lutte des classes qui y faisait rage ; nous avons également des indices frappants dans le nombre croissant de citoyens adultes mâles des cités grecques prêts à se vendre comme mercenaires dans les armées grecques et étrangères. Nous sommes encore mieux informés sur le second phénomène. La pénurie alimentaire et les mesures prises pour y remédier étaient des épisodes familiers de la vie de la Grèce au IVe siècle, et nos sources littéraires et épigraphiques y font allusion avec une fréquence exceptionnelle. Nous avons 23 un exemple marquant de pénurie alimentaire aigüe et prolongée dans la célèbre famine dont souffre toute la Grèce en 331 avant J.-C. et qui dure plusieurs années jusqu’en 324 au moins. Le chômage et la disette ne sont pas atténués par l'abondance de la circulation monétaire de l'époque ; cet argent provenant dans une certaine mesure de sources extérieures sous formes de pots-de-vin et de présents du roi de Perse et de Philippe. Cette abondance contribue à enrichir les chefs politiques et facilite les opérations bancaires. Mais elle provoque également une hausse rapide des prix, qui aggrave considérablement la situation de ceux qui n'avaient que peu d'argent, voire pas du tout. Sans être toujours j'audace d'une crise économique, la hausse des prix l'était cri l'occurrence. L'augmentation des émissions monétaires ne s'accompagna pas, semblera, d'une augmentation correspondante de la production. D'où une hausse rapide des prix de toutes les marchandises, denrées alimentaires comme produits industriels. B) MERCENARIAT, AGRICULTURE ET COMMERCE Au IVe siècle avant J.-C., l’emploi massif de mercenaires grève le budget des cités déjà bien touchées par les destructions consécutives aux guerres. Faire la guerre devient un luxe, déjà à la fin du Ve siècle avant J.-C. Thucydide écrit : « La guerre tient moins aux armes qu’à l’argent dépensé qui les rend efficaces ». Les rapports entre le mercenariat et le développement des relations commercialo-monétaires sont étroits au IVe siècle avant J.-C. dans la mesure où des régions naguère retardées où l’économie naturelle d’autrefois occupait encore une grande place, connaissent une large ouverture grâce à la diffusion du phénomène mercenaire. Au cours de ce siècle, la guerre se fait coûteuse : citons seulement un chiffre d’après le témoignage unanime des contemporains, les Athéniens dépensent plus de 1 000 talents pour la Guerre des Alliés (357-355 avant J.-C. )41. L’un des moyens concrets pour obtenir de l’argent afin de faire la guerre est de trouver des métaux précieux ; les sources les plus importantes (sinon uniques) sont les suivantes : l’exploitation du plomb argentifère des mines du Laurion et du Pangée (ces dernières fournissant en 350 avant J.-C. plus de 1 000 talents d’or/an et autorisant la macédoine à commencer la frappe de monnaies d’or42 ; l’afflux en Grèce d’or Perse par différentes voies (paiement des mercenaires grecs et surtout paiement des subsides sont au IVe siècle avant J.-C. le principal instrument de l’ingérence perse dans les affaires intérieures de la Grèce ; enfin, l’accumulation, dans de nombreux temples grecs, d’énormes richesses sous forme de trésors qui sont alors transformés en monnaies. Ainsi, il est très significatif que la déthésaurisation 24 des trésors sacrés, accumulés au cours des siècles et retirés de la circulation, soit très directement liée aux soldats et surtout aux mercenaires. Les guerres ont une influence néfaste sur l’agriculture, les moissons sont détruites, les oliviers et les vignes abattus ; mais les dégâts, pour les moissons en tout cas, sont rapidement réparés. Il est certain que les guerres encouragent grandement la concentration des terres entres les mains d’hommes riches et provoquent ainsi la ruine des petits paysans, qui se prolétarisent. Mais d’un autre côté l’essor du mercenariat et la multiplication des armées professionnelles accroissent les besoins de la Grèce en blé importé et autres produits alimentaires. Ce besoin en céréales et autres produits alimentaires s’accroît pour toutes sortes de raisons : les guerres incessantes ravagent les terres ensemencées ; le prolongement des campagnes suscite des transformations dans le système d’approvisionnement des armées, surtout des armées mercenaires qui n’ont aucun lien avec l’arrière, c’est-à-dire avec la polis, et qui ne peuvent se ravitailler que par le pillage direct des territoires par des achats de denrées. Le développement du commerce est intimement lié à celui du phénomène mercenaire, dans la mesure où le blé est acheminé en Grèce depuis sa périphérie (Mer Noire, Egypte, etc…) et stimule en particulier la croissance du commerce extérieur. En revanche, le mercenariat, du moment où il draine une partir de la population des campagnes, exerce une influence négative sur l’agriculture grecque, sans même parler des destructions causées en temps de guerre. Dans les régions les plus touchées, l’espoir de tirer un meilleur profit du service mercenaire amène une partie des Grecs à délaisser leurs exploitations ruinées ; ce qui vaut pour l’agriculture ne s’applique pas à l’artisanat qui bénéficie largement des bienfaits de la guerre. En effet, l’armée est aussi un facteur de produits dans la mesure où elle est fournisseuse d’esclaves, marchande de butin, pourvoyeuse de mines, consommatrice d’armes et de nourriture, en clair elle constitue un véritable facteur économique. Il n’y a pas que des points négatifs au niveau économique à employer des mercenaires, ainsi la Grèce au IVe siècle avant J.-C. connaît un fort développement de l’industrie des armes ; Démosthène est un bon exemple de la réussite financière consécutive à l’omniprésence de la guerre, son père avait deux ateliers de fabrication d’armes, alors que le père de Lysias appelé Képhalos est un riche métèque d’origine syracusaine qui possède lui aussi un atelier de ce type où travaillent 312 esclaves. La guerre profite aux marchands et non pas seulement à ceux qui accompagnent les compagnies de mercenaires (voir la composition des Dix-Mille). Il y a émulation de la concurrence, spécialisation technique et division du travail, ainsi Képhalos et Pason fabriquent uniquement des boucliers43 et dans La Paix, Aristote distingue les fabricants de casques, d’aigrettes, d’épées, de lances et de cuirasses ; alors que Diodore (XV, 44) fait état de l’essor de l’industrie du cuir. 25 Le IVe siècle avant J.-C. voit aussi chez les mercenaires une nouvelle répartition des richesses et une multiplication des sources de rémunération des mercenaires : la prise de butin, le pillage et la vente des prisonniers changent d’échelle, sans compter que du butin on tire maintenant parti d’une manière différente en le vendant sur le champ, pour financer le versement de la solde. En cas de campagnes victorieuses, d’importantes valeurs matérielles sont mises sur le marché et ces produits du pillage direct, de la violence brutale et de la contrainte extra-économique la plus immédiate, se transforment en marchandises. Ces dernières sont souvent vendues deux fois puisque les marchands qui composent le train de l’armée et qui se portent acquéreurs du butin, l’écoulent en d’autres lieux. La guerre devient au siècle qui nous intéresse, une affaire financière tant sur le plan de sa préparation, de son déroulement, que de ses conséquences économiques immédiates. C) MERCENARIAT ET EMISSIONS MONETAIRES La numismatique témoigne ainsi de manière convaincante des rapports qui existent entre la circulation financière et le mercenariat. D’un côté, on peut distinguer l’influence de l’argent ramené par les mercenaires sur les types monétaires de certaines villes. Ainsi, on associe les frappes réalisées à Oponte (en Locride) dans les années 380 avant J.-C. à l’apparition dans cette ville des drachmes, tétradrachmes et décadrachmes siciliens ramenés par les mercenaires locridiens ; et c’est également vrai d’une série monétaire émise à Larissa vers 395 et vers 370 avant J.-C., dans la ville arcadienne de Phénéos. L’influence des monnaies syracusaines rapportées par des archers crétois se fait aussi sentir à Praïsos. D’un autre côté, la frappe de monnaies réservées au paiement des mercenaires, notamment de la part des satrapes d’Asie Mineure (Datamès, Pharnabaze, etc…) et des dynastes siciliens (tels que les syracusains Denys et Timoléon). Pour payer ses mercenaires Denys de Syracuse a dû recourir fréquemment à l’émission de monnaies, dans certains cas grâce au métal récupéré des pillages, le sac de Pyrgoi lui aurait ainsi rapporté 1 500 talents. Ces monnaies montrent que la politique monétaire du tyran se forme sur le trimétallisme, or, argent et bronze ; mais il introduit également une monnaie fiduciaire qui limite les coûts de production, telle la drachme de bronze à la tête d’Athéna. La numismatique nous apprend que les centres sicules et les territoires occupés par les mercenaires ont surfrappé des types dionysiens. On constate enfin, face à des mouvements fluctuants de mercenaires entre les deux camps, syracusain et punique, les frappes des uns ont influencé celles des autres. Ainsi, Carthage qui émet en Sicile des tétradrachmes à destination de ses mercenaires, imite les types syracusains : la déesse carthaginoise Tanit apparaît entourée de dauphins sur l’avers tandis qu’au revers on 26 retrouve le buste chevalin et le palmier puniques comme la nymphe Aréthuse (effigie de la source syracusaine). En examinant, certains trésors monétaires crétois, G. Le Rider met en évidence la présence d’un grand nombre de monnaies de Cyrénaïque datant d’avant 322 avant J.-C. On connaît aujourd’hui 71 types de Cyrénaïque utilisés à Phaistos et à Gortyne. Comment expliquer cette arrivée massive de numéraires ? On sait qu’en 323 avant J.-C. Thibron guerroie plusieurs mois en Cyrénaïque et qu’en faisant route vers l’Afrique il passe par la Crète et recrute de nombreux mercenaires dans l’île. La monnaie fiduciaire de bronze (à la place de la monnaie d’argent) est une monnaie temporaire ; elle est employée à Olynthe en 364 avant J.-C. et pour l’expédition de Timothée44 par Perdiccas le roi de Macédoine45 ou encore par Clazomènes en Asie Mineure. En effet, les Clazoméniens, devant de l’argent à ses mercenaires, frappent une monnaie de fer à laquelle ils donnent la même valeur qu’à la monnaie d’argent ; ils la distribuent proportionnellement à leur fortune aux plus riches citoyens, en les obligeant à accorder un prêt correspondant en argent ; ayant ainsi éponger leurs dettes, les Clazoméniens utilisent finalement les revenus réguliers de la cité pour remplacer peu à peu tout le fer par de l’argent46. Beaucoup plus rare, il y a aussi des frappes de monnaie d’or comme en 348 avant J.-C. par la Ligue Chalcidienne à la veille de la prise d’Olynthe et en 296 avant J.-C. par Démétrios Poliorcète. La deuxième manière pour augmenter les liquidités consiste en la dévaluation avec le cours forcé des pièces existantes (avec contremarques) ou avec des pièces d’un aloi plus faible. A Carthage, la coutume grecque du monnayage se répand tardivement grâce aux militaires et au rôle important des mercenaires grecs ; ainsi les premiers tétradrachmes apparaissent entre 410 et 390 avant J.-C. au gré de la lutte contre Denys l’Ancien, puis entre 350 et 340 avant J.-C. contre Timoléon le Syracusain et enfin entre 300 et 250 avant J.-C. contre le tyran Agathocle ; les frappes atteignent le chiffre approximatif de 70 000 tétradrachmes/an (voir annexe IV p.112). Les mercenaires jouent donc un rôle important dans la circulation monétaire, on retrouve ainsi des monnaies de type grec dans tout le bassin méditerranéen ; dans les « trésors » orientaux du IVe siècle avant J.-C. aux abords du Nil à Tell-el-Athribe (grand delta du Nil où ont été retrouvés 700 tétradrachmes attiques), Tell-el-Maskouta (entre 6 000 et 10 000 tétradrachmes) ou au Fayoum, en Cilicie (sud-est de l’Asie Mineure) avec le trésor de Karaman-Marash contenant des imitations des fameuses « chouettes » athéniennes frappées en Asie Occidentale. On retrouve des tétradrachmes « pseudo-attiques » de l’Empire Perse jusqu’en Sicile à un point tel qu’en 375 avant J.-C. une loi athénienne en fixe la valeur légale. Le tétradrachme d’argent de Carthage frappé dans le but de financer l’intervention en Sicile contre Denys l’Ancien entre 409 et 490 avant J.-C., puis il 27 y a de nouvelles frappes entre 350 et 340 avant J.-C. pour les luttes opposant la cité punique à Timoléon et enfin entre 300 et 390 avant J.-C. pour les opérations contre le tyran Agathocle. Sur ces pièces, on reconnaît l’inscription « mhnt » ou encore « m mhnt » (Am Machanat) c’est-à-dire « camp » ou « peuple du camp » ; inscription qui désigne explicitement les mercenaires. Un autre exemple de diffusion monétaire est le cas de Thibron aventurier Lacédémonien qui en 323 avant J.-C. embauche des mercenaires crétois et s’embarque avec eux pour la Cyrénaïque. Tous en reviennent les mains pleines de monnaies d’argent qui connaissent une large diffusion en Crète et un bon nombre d’entre elles sont sur-frappées aux types locaux et nous sont parvenues par l’intermédiaire de trésors découverts au cours de ces dernières décennies. L’historien A.R.Bellinger émet l’hypothèse que l’ouverture en 330-329 avant J.-C. d’ateliers de frappe à Sicyone est en corrélation directe avec le recrutement de mercenaires péloponnésiens pour le compte d’Alexandre. Egalement, entre 325 et 323 avant J.-C. la hausse constatée des frappes de monnaie d’or et d’argent remarquable pour la de bonne qualité de leur aloi, les « alexandres », dans de nombreux ateliers du bassin méditerranéen (notamment à Alexandrie, Amphipolis et sur la côte occidentale d’Asie Mineure) serait liée aux licenciements et donc au paiement des soldes des mercenaires vétérans au service des Macédoniens et en garnison dans différentes satrapies à la mort d’Alexandre. En effet, à l’époque de la sédition d’Opis en 324 avant J.-C., le roi de Macédoine licencie 10 000 soldats et leur verse l’intégralité de leur solde avec une gratification d’un talent chacun 47 . Il faut dire qu’à cette époque, l’armée macédonienne faisait l’objet d’un renouvellement complet de ses effectifs : en 323 avant J.-C. à Babylone sont recrutés 20 000 archers et frondeurs perses sans compter les soldats venant de Carie aux ordres de Philoxénos ceux de Lydie menés par Ménandre et enfin la cavalerie de Ménidas48. Certes, il y a aussi une part de hasard dans ces phénomènes numismatiques et même si l’influence des mercenaires quant à la diffusion monétaire n’est pas quantifiable, elle est bien réelle. Dans tous les cas, il est indéniable que des frappes sont réalisées pour financer des expéditions, pour monnayer des campagnes telle celle du Spartiate Thibron contre le Perse Tissapherne (production de numéraires à Ephèse en 400 avant J.-C.) ou celle des condottières grecs au service du Grand Roi comme Conon l’Athénien en 394 avant J.-C. ou encore Memnon le Rhodien en 324 avant J.-C. On constate au milieu du IVe siècle avant notre ère la hausse du nombre de cités émettrices en Grèce du nord-ouest et en Sicile (cf. C.M.KRAAY, Greek Coinage , p. 9-10). Le problème qui se pose aux archéologues est de savoir différencier le hasard du rôle des mercenaires lorsqu’ils retrouvent en un même lieu des monnaies étrangères comme en Locride Orientale et en Arcadie ou sont découvertes des monnaies syracusaines datant du IVe siècle avant J.-C. Il existe aussi la preuve d’un gonflement des émission monétaires en lien direct avec le retour 28 au pays de mercenaires et les opérations de refonte de caisse ; ainsi, les ateliers de Campanie au début du IVe siècle avant J.-C. produisent une monnaie de style syracusain et aussi au type d’Athènes au retour des mercenaires de Sicile. Malgré tout il faut relativiser le poids de la guerre dans les dépenses et dans le monnayage des cités grecques qui est fortement lié aux sources littéraires qui rapportent plus les faits militaires que les autres sources de dépenses urgentes comme les indemnités civiques ou le financement de grands travaux ; l’influence admise de la guerre est malgré tout réelle même si elle est difficilement mesurable. D) LE FINANCEMENT DES OPERATIONS MILITAIRES A ATHENES AU IVe SIECLE AVANT J.-C. Au IVe siècle avant J.-C., les Grecs ne votent pas à proprement parler un budget, tout juste font-ils une répartition à l’avance des défenses affectées à tel ou tel secteur de l’administration (c’est le merismos, « répartition », « partage »), mais comme on maîtrise mal les recettes attendues et plus mal encore les dépenses, on fait finalement comme on peut, à charge pour la cité de trouver l’argent nécessaire. Il ne faut pas considérer le manque d’argent pour telle ou telle expédition militaire comme illustration même d’un appauvrissement de la cité et le symptôme de sa crise, il n’y a rien de plus normal pour une communauté civique n’élaborant pas de budget prévisionnel, non par manque d’intelligence ou d’esprit pratique, mais parce que les campagnes militaires sont imprévisibles par nature (cf. P.Brun in Guerres et sociétés dans les mondes grecs à l’époque classique). L’argent est le nerf de la guerre, les réserves d’argent constituent la principale source de la puissance militaire des cités, soldes et récompenses sont tout de suite écoulées sur le marché à la différence des terres allouées ; l’argent est à la base des ravitaillements, des fortifications, de la création de flottes, des expéditions etc… Au IVe siècle avant J.-C., les citoyens rechignent à l’approvisionnement, d’où un nombre plus important de citoyens riches chargés de l’eïsphora (contribution volontaire par rapport au pourcentage du capital), des liturgies (telle la triérarchie) des epidoseis (versement récompensé d’honneurs civiques). Souvent, la cité use de stratagèmes financiers quand l’argent vient à manquer pour payer les mercenaires et pour éviter leur rébellion : tout d’abord une baisse des dépenses d’où un supplément de liquidités pour l’employeur, l’acceptation par les soldats des effets de la rigueur. 29 Après la guerre du Péloponnèse, la guerre devient permanente et nécessite des dépenses régulières par octroi répété de soldes aux citoyens et/ou aux mercenaires. Le prolongement de la guerre profite alors plus aux mercenaires qu’aux cités en conflit, ainsi pendant la guerre sociale Athènes dépense 1 000 talents pour leur entretien ce qui cause un gouffre financier. Heureusement, parallèlement à la hausse des dépenses, Athènes connaît au IVe siècle un maintien de ses revenus provenant : - des domaines d’état mis en exploitation, - des mines d’argent du sud-est de l’Attique telles celles du Laurion (dans le secteur de Maronée) et de leurs concessions, accordées pour une durée limitée à des particuliers, - des droits de douane (2 % de la valeur des biens), - des taxes sur les métèques (le métoïkon), - des différentes amendes et confiscations à la suite de décisions de justice, - des taxes sur la fortune pour tous les citoyens y compris les métèques, eisphora et proeisphora, - des contributions des cités alliées appelées syntaxeis, ainsi comme la difficulté tient essentiellement au coût et aux finances des cités, qui n'ont pas pour habitude de se constituer des réserves, la Deuxième Confédération athénienne (crée en 377 avant J.-C.) comme la Ligue de Délos en son temps connaît un durcissement: le tribut assure alors des rentrées annuelles permettant de verser la solde des citoyens comme des mercenaires ; il n’est, du reste, jamais suffisants mais il n'est pas question de s'en priver tant que dure la guerre. Ainsi les revenus d’Athènes passent de 130 talents/an entre 400 et 340 avant J.-C. à 400 talents/an à la fin des années 340 avant J.-C. puis ils connaissent une croissance exponentielle après 338 avant J.-C. en atteignant 1 200 talents/an En 395 avant J.-C., le début de la guerre de Corinthe (qui va durer jusqu’en 386 avant J.C.), voit l’eisphora perdre son caractère exceptionnel, ainsi l’état athénien a recours quatre fois à elle pendant la durée du conflit. En 378-377 avant J.-C., la cité avec l’intervention de Callistratos réorganise de fond en comble cet impôt qui conserve son caractère extraordinaire mais pour lequel sont créés des groupements fiscaux ou symmories , au nombre de 100, à l’intérieur desquels sont répartis les 300 plus riches citoyens d’Athènes (ayant un patrimoine supérieur à 4 talents). Les stratèges sont chargés de la répartition de l’impôt entre les symmories le tout étant recensé par un secrétaire attaché à chacune d’entre elles. Quelques années après la mise en place de la nouvelle eisphora, aux alentours de 365 avant J.-C., un amendement important est apporté à la récente modification, la proisphora. Il s’agit d’une avance de l’impôt réalisée par 300 Athéniens, les 3 plus 30 riches assujettis de chaque symmorie à charge pour eux de récupérer sur les autres membres de la symmorie leur quote-part. Cette nouvelle taxe est peu élevée mais elle est permanente et, d’autre part, il faut préciser qu’elle ne remplace pas le système antérieur mais s’y surimpose. La syntaxis est la contribution versée à l’hégemôn au sein d’une alliance de cités et, elle n’est pas régulière mais levée seulement lorsque le besoin militaire s’en fait sentir. On ignore tout des bases sur laquelle elle est calculée. Les stratèges athéniens avaient la charge de la percevoir au gré de leurs expéditions puis à la suite de la guerre des Alliés (357-355 avant J.-C.), la décision de lever la syntaxis devient l’apanage exclusif de l’ecclèsia athénienne alors que les formes de perception se rapprochent de plus en plus de l’extorsion. Les calculs étant impossibles à faire en raison du très faible nombre de chiffres fiables à notre disposition, on ne peut s’en remettre qu’à des estimations : la syntaxis rapporte au maximum 200 talents dans les années 370, avant de tomber au rythme des défections à 45-60 talents en 346 avant J.-C. ; elle ne peut être (du moins après la guerre des Alliés) qu’un appoint insuffisant pour mener des guerres de plus en plus onéreuses. Au IVe siècle avant J.-C., les finances athéniennes se rapprochent de celles des autres cités, et l’improvisation devient en quelque sorte la règle ; les raisons de ce changement sont multiples et l’on pourrait parler notamment d’une « crise des ciseaux » : augmentation croissante des dépenses militaires, parce que la guerre est quasi permanente, et irrégularité chronique des ressources. Après l’eisphora et la proeisphora, les Athéniens tentent d’aller plus loin avec l’instauration d’une caisse spéciale en 377 avant J.-C., les « stratiôtika » ou « fonds militaires ». L’institution est assez mal connue, c’est sans doute la caisse administrée par des « receveurs » (eisprattontes) , dans laquelle est versée l’eisphora. Après 355 avant J.-C., ces fonds militaires sont réorganisés et un collège de magistrats est chargé de gérer les revenus de la cité, affectés à des dépenses civiles en temps de paix, et prenant alors le nom de « fonds des spectacles » (theôrika) parce qu’anciennement ces sommes étaient prévues pour l’entrée au théâtre des plus pauvres, dépenses militaires en temps de guerre. Dans la seconde moitié du IVe siècle avant J.-C., une dernière innovation destinée à accroître les revenue de la cité en cas de besoin, apparaît, c’est la « contribution volontaire » (epidosis). Ce système devient une méthode comme une autre de financer les expéditions à partir de 349-348 avant J.-C.. Si l’epidosis est un phénomène avant tout hellénistique, on voit assez bien la façon progressive dont elle se superpose à l’eisphora à Athènes, avant de la remplacer ou de devenir le moyen le plus normal pour une cité de demander de l’argent à ses citoyens aisés. L’epidosis démontre que les contribuables athéniens ne sont pas pressurés au point d’être appauvris par les charges financières qui leur incombent ; et elle réintroduit aussi le principe de prestige puisque les volontaires se désignent comme telle devant l’ecclèsia. 31 NOTES DE LA PREMIERE PARTIE 1 Aristophane, Les Acharniens, 54. 2 Eschine,1, 54, 62. 3 Diodore, XIII, 106, 5. 4 Diodore, I, 1, 9 et I, 2, 2. 5 Diodore, XVIII, 21, 1-2. 6 Diodore, XI, 62. 7 Diodore, XVI, 8. 8 Diodore, XVIII, 29, 5. 9 Xénophon, Anabase, IV, 1, 12. 10 Diodore, XIX, 42, 2. 11 Diodore, XIV, 53, 4. 12 Arrien, Anabase, I, 19, 5-6. 13 Diodore, XVI, 42, 8. 14 Platon, La République., VIII, 552 a. 15 Le Théorikon est le salaire de l’assistance au théâtre et sert originellement à payer 2 oboles chaque citoyen qui assiste aux représentations lors des fêtes dramatiques. Dès la moitié du IVe siècle, il prend rapidement de l’extension il est devenu une sorte de fisc sous le contrôle de ses administrateurs qui assurent le salaire des citoyens dans un nombre croissant de fêtes, même dépourvus de fêtes dramatiques. Si les revenus de l’Etat sont en excédent, celui-ci est (en temps de paix) versé au Théorikon qui sert également à financer les travaux publics, l’administration navale, etc… 16 Cf. F.Delrieux, La monnaie et la guerre dans l’Antiquité classique : le cas des émissions d’Alexandre le Grand (333 et 323 avant J.-C.) in Questions d’Histoire : Guerres et Sociétés dans les mondes grecs (490-322), 1999, ss. dir.de P.Brun. 17 Diodore, XIV, 44, 2 et XVI, 25, 1. 18 Xénophon, Les Helléniques, IV, 2, 5-7. 19 Diodore, XVI, 33, 2. 20 Diodore, XIV, 43, 2 et Plutarque, Vie de Dion, XXV. 21 Xénophon , Anabase, IV, 2, 21. 22 Xénophon, Les Helléniques, IV, 5, 14. 23 Xénophon , Anabase, I, 10, 3. 32 NOTES DE LA PREMIERE PARTIE (Suite) 24 Xénophon , Economique, VIII, 4. 25 Xénophon , Anabase, III, 2, 36. 26 Plutarque, Vie d’Eumène, 8, 9-10. 27 Xénophon , Anabase, II, 4, 27. 28 Xénophon , Anabase, VI, 6, 2-10. 29 Diodore, XVI, 22, 1. 30 Xénophon, Les Helléniques, VI, 2, 36-38. 31 Polyen, III, 10, 5. 32 Xénophon , Anabase, VII, 6, 8-10. 33 Xénophon , Anabase, VII, 7, 31-33. 34 Pseudo-Aristote, Economique, II, 2, 23 b. 35 Diodore, XV, 47, 7. 36 Plutarque, Vie de Timoléon, XXIV. 37 Diodore, XVI, 30, 1 et XVI, 56, 5. 38 Xénophon, Les Helléniques, VII, 1, 46. 39 Xénophon, Les Helléniques, XVI, 56. 40 Diodore, XVI, 57, 2. 41 Eschyne, II, 71 ; Démosthène, III, 28. 42 Diodore, XVI, 8, 6. 43 Lysias, XIII, 13 et Démosthène, XXVII, 9, 20. 44 Pseudo-Aristote, Economique, II, 2, 23 a. 45 Polyen, Stratagème, IV, 10, 4. 46 Pseudo-Aristote, Economique, II, 2, 16 b. 47 Diodore, XVII, 106, 2-3 et Arrien, Anabase, VII, 12, 1-2. 48 Diodore, XVII, 110, 1-2. _____________________________________________ 33 SECONDE PARTIE : LES MERCENAIRES, LA GUERRE ET LA SOCIETE GRECQUE I. LA TRANSFORMATION DE L’ART MILITAIRE A) LES NOUVELLES TACTIQUES DE GUERRE Aux siècles précédents, les principes tactiques étaient simples puisqu’ils reposaient sur l’alignement de formations d’infanterie sur un terrain uni, plat et choisi à l’avance. De plus, les campagnes militaires n’avaient lieu qu’à la belle saison, après les moissons car les cités sont des sociétés agricoles de type autarcique et la guerre fait planer une ombre redoutable sur les travaux des champs, et par la même sur l’approvisionnement et la survie de ces cités. La guerre du Péloponnèse apporta son lot de changements en contraignant les combattants à s’absenter de plus en plus longtemps, et de saisonnière la guerre devient annuelle ; dès lors, il y a des combats n’importe où et n’importe quand et l’utilisation de mercenaires devient nécessaire. Si la guerre du Péloponnèse ébranle déjà nombre d’habitudes militaires, elle ouvre aussi la voie à des transformations des principaux procédés et méthodes de l’art (technè) de la guerre. En plus des sources littéraires, des sites, des théâtres d’affrontements nous livrent d’importants témoignages archéologiques tel celui d’Olynthe où ont été retrouvées de nombreuses balles de fronde gravées au nom de peuples (Olynthiens, Chalcidiens) ou celui de Philippe présent aussi sur des pointes de flèches. Nous tenterons de voir si l’on peut parler seulement d’évolution ou plutôt de révolution dans les techniques de la guerre au IVe siècle avant J.-C., et si ces changements sont sans lendemain ou s’ils ont conditionné l’art de la guerre à l’époque hellénistique. Dans la première moitié du IVe siècle , les hoplites, c’est-à-dire les fantassins lourds protégés par un bouclier (hoplon d’un diamètre d’environ 90 cm), un casque, une cuirasse portée sur une tunique, des cnémides couvrant les jambes, et dotés d’une lance (environ 2,25 m) et d’une épée courte (pas plus de 45 cm) (cf. A.M.Snodgrass), constituent le noyau des armées grecques et déterminent la tactique la plus répandue qui est celle du choc frontal entre deux armées en rase campagne. La formation est, elle aussi, bien déterminée : la phalange, qui s’étale sur une profondeur de 8 rangs, est au centre avec les meilleures troupes sur son aile droite, les troupes légères et la cavalerie s’il y en a sur les flancs. 34 Dans ce type de combat, chaque homme protège son voisin de droite avec son bouclier, l’affrontement est un corps à corps qui suit une charge au pas de course, la victoire revient à la phalange qui reste la plus soudée et qui désorganise la phalange adverse. La poursuite des fuyards se fait par la cavalerie ennemie et rarement à pied, car il s’agit pour le vainqueur de faire preuve de sa supériorité sur le champ de bataille. Avant le IVe siècle avant J.- C., la guerre ne vise pas à l’anéantissement de l’ennemi. Le combat hoplitique se maintient au IVe siècle avant J.- C. ; à titre d’exemple, les batailles de Némée et de Coronée , toutes deux livrées pendant l’été 394 avant J.- C. et remportées par les Lacédémoniens et leurs alliés sur les coalisées (Athéniens, Béotiens, Argiens et Corinthiens)1. Le maintien de l’importance du combat hoplitique est visible à Athènes dans les années 330 avant J.- C. après la réorganisation de l’éphébie ; ainsi, l’hoplomachia (apprentissage du combat de l’hoplite, du tir au javelot et du tir à l’arc), a encore une grande place dans l’entraînement militaire du futur citoyen (cf. C.Pélékidis). Face à l’emploi de plus en plus répandu de mercenaires, les armées citoyennes se spécialisent et on constate la création au sein des hoplites d’unités de fantassins d’élite ; le plus célèbre est bien sûr le « bataillon sacré » (Hiéros lochos ) thébain créé en 387 avant J.- C. par le général Gorgidas, et caractérisé par sa « formation oblique ». Ce corps d’élite, en garnison sur la Cadmée, est composé de 300 hoplites, formant 150 couples d’amants, choisis parmi les familles nobles et subissant un entraînement professionnel poussé, leur loi est de vaincre ou de mourir ensemble ; sous la conduite de Pélopidas, il se couvre de gloire lors des batailles de Tégyre et de Leuctres respectivement en 375 et 371 avant J.- C.. Ce célèbre bataillon serait resté « invaincu jusqu’à la bataille de Chéronée » (Plutarque, Pélopidas, 18-19). En parallèle à ce Bataillon sacré, se mettent en place les epartoï de la ligue arcadienne, qui vivent en garnison à Mégalopolis et reçoivent un salaire prélevé sur le trésor de Zeus Olympien. Mais devant les protestations d’une grande partie des membres de la ligue contre ce mode de paiement (tels les Mantinéens), et poussé par la crainte d’être accusée de hiérosylie (d’impiété); on prend la décision de ne plus avoir recours au trésor sacré ; désormais les Grecs n’admettent pas qu’une divinité finance des troupes autrement que sous forme d’emprunt remboursable avec intérêt. La conséquence directe est que l’« on ne tarda pas à voir ceux qui n’auraient pu, sans solde, faire partie des Eparites, se disperser, tandis que ceux qui en avaient les moyens, après s’y être mutuellement engagés, entraient au corps des Eparites » (Xénophon, Les Helléniques, VII, 4, 33-34). Il semble donc que ce bataillon soit constitué en totalité ou en grande partie, de citoyens qui se sont faits soldats à plein temps et perçoivent en échange une solde ; c’est une forme d’organisation très originale, apparue en Arcadie à une période d’élan national et présentant à la fois des caractéristiques citoyennes et mercenaires. Enfin, n’omettons pas de citer le corps des hippeis à Sparte, au nombre de 300, ce sont en dépit de leur 35 nom des fantassins d’élite qui sont toujours exposés à l’endroit le plus ardent du combat, autour du roi2, ou bien chargés de missions délicates ; ni même le corps de 300 soldats d’élites mis en place en 380-379 avant J.-C. à Phlionte3. Avec l’importance prise par les troupes légères dans le courant du IVe siècle avant J.-C., une autre transformation majeure s’opère chez les hoplites, l’allègement de leur armement ; dorénavant la tunique de lin tend à remplacer la lourde cuirasse (environ 20 kilos), les jambières sont de moins en moins utilisées et l’hoplite compte pour sa défense presque uniquement sur son bouclier (cf. J.K.Anderson). La phalange hoplitique a démontré ses faiblesses lors de la guerre du Péloponnèse : une trop grande rigidité et une incapacité à faire des mouvements imprévus sans se mettre elle-même en péril. Habituellement, lors de la bataille, la phalange a tendance à dériver vers la droite, car chaque hoplite se sert contre son voisin de droite pour lui assurer la protection de son bouclier, d’où la tradition grecque de placer à l’aile droite les corps d’élite commandés par le général en chef. En 371 avant J.-C. à Leuctres, Epaminondas le Thébain a l’idée de modifier ce dispositif traditionnel en utilisant une formation inédite appelée « la phalange oblique » qui sera d’ailleurs reprise à la bataille de Mantinée (en 362 avant J.-C.). « La phalange oblique » se caractérise par un front réduit et une profondeur de rang inhabituelle de 25 à 50 rangs (record atteint à Leuctres face à la phalange macédonienne qui s’étend sur une profondeur inférieure ou égale à 16 rangs) ; la seconde innovation thébaine consiste à faire porter l’effort de la ligne de bataille à l’aile gauche et non à l’aile droite comme traditionnellement, là où est placé le « bataillon sacré » de 300 epilektoï (soldats d’élite) « avec l’idée qu’en faisant une brèche au point où il attaquerait, il détruirait complètement l’armée ennemie » (Xénophon, Les Helléniques, VII, 5, 23). Ainsi, la phalange thébaine agit comme un coin qui s’enfonce dans la formation adverses, poussée par l’énorme pression de ses 50 rangs, ce qui inflige de gros dégâts à l’aile gauche ennemie composée des meilleurs soldats et fait battre en retraite l’aile droite. Les victoires remportées à Leuctres et à Mantinée sont dues en grande partie à l’utilisation de tactiques qui, sans être des nouveautés totales, n’avaient pas encore été systématiquement employées ensemble (cf. V.D.Hanson). Au IVe siècle avant J.-C., la tactique traditionnelle du choc frontal de deux phalanges demeure, elle reste la base de nombreuses batailles, mais certains stratèges ont osé entreprendre autre chose, d’où l’apparition dans les pratiques militaires des escarmouches, du harcèlement, de la guérilla etc…Ceci n’est pas une conséquence de l’utilisation croissante de mercenaires, mais doit être considéré comme un phénomène parallèle à ces innovations militaires4. 36 B) L’AVENEMENT DES TROUPES LEGERES ET LE ROLE CROISSANT DE LA CAVALERIE Le IVe siècle avant J.-C. est un siècle majeur quant à l’évolution des techniques de guerre et voit l’avènement de troupes légèrement armées, plusieurs peuples en font leur spécialité, et fondent leur réputation de mercenaires sur leur habilité à manier des armes spécifiques : - l’arc (toxon) pour les Crétois et les Scythes réputés pour leur précision en raison d’une technique particulière à savoir le fait qu’ils bandent l’arc directement avec la corde, la queue de la flèches entre l’index et le majeur au lieu de tirer sur l’extrémité de la flèche tenue entre l’index et le pouce comme le font les Grecs, ce qui leur donne plus de force et donc des tirs plus puissants pour pouvoir traverser les armures, plus précis et plus longs (voir annexes III et V p. 111 et 113) ; remarquons que l’efficacité du tir à l’arc est grande dès qu’on opère par concentration des traits sur des hommes en ordre serré, - la fronde est l’apanage des Baléares et des Rhodiens (cf. A.M.Snodgrass) qui lancent pierres et projectiles en plomb spécialement fabriquées pour cet usage à l’aide de lanières de cuir (voir annexes IV et V p. 112 et 113), - le javelot spécialité des Etoliens, des Acarnaniens et des Thraces ; le javelot dont la portée et la précision peuvent être modifiées par l’utilisation d’une lanière de cuir enroulée autour du manche et passée entre les doigts du lanceur, ceci permet de diminuer l’effort tout en maintenant le projectile sur sa trajectoire (voir annexe V), ainsi les javelots couramment employés pour la chasse servent aussi pour le guerre, ils sont plus courts que la lance et mesurent en moyenne de 1,35 à 1,80 m de long, - la pelté ou bouclier thrace à la forme de croissant léger de par son armature en bois sans renfort au centre ni à la bordure, il est recouvert de peau de mouton ou de chèvre et ornée de signes de reconnaissance (nez, œil, bouche …) arme le peltaste. Originellement, seuls les membres des tribus thraces sont appelés peltastes mais au fil du temps ce terme caractérise une forme spéciale d’infanterie : Dépourvus de cuirasses, ce type de soldat est extrêmement mobile ce qui est un atout majeur car la mobilité tend à devenir plus importante que la protection dans le déroulement des batailles ; mais il est aussi beaucoup moins chers à équiper que les hoplites traditionnels (voir annexes II et IV p.110 et 112). De par sa mobilité, il est taillé pour les embuscades et autres escarmouches, de ce fait en plus des javelots il porte souvent au côté un petit poignard ou une sorte de cimeterre, un sabre recourbé appelé machaïra ; également très utilisé dans la cavalerie (voir annexe VI p.114). Le peltaste devient au 37 IVe siècle avant J.-C. un auxiliaire indispensable de l’hoplite traditionnel, c’est lui qui ouvre la bataille en lançant ses javelots, avant de se retrancher derrière la phalange qui avance en formation ouverte. Cette dernière passe alors en formation serrée jusqu’à ce que tous les peltastes soient en sécurité, et elle attaque la phalange ennemie ; sur ce les peltastes avancent à nouveau et poursuivent l’ennemi jusqu’à ce que ses lignes soient enfoncées par la phalange. Pendant la guerre de Corinthe (en 395-386 avant J.-C.), le stratège athénien Iphicrate va faire évoluer le peltaste traditionnel, il n’est plus équipé d’un bonnet souple en peau de renard mais d’un casque en bronze, il troque sa tunique et sa cape pour une cuirasse en toile de lin beaucoup plus légère et déformable que les mailles en fil de bronze qui constituent les armures des hoplites, sa pelté fait place à un bouclier ovale plus large en osier puis en bois; chaussé non plus de hautes bottes mais de sandales légères en cuir « plus légères et plus faciles à enlever » appelées « iphicratides » (Diodore, XV, 44, 2), en plus de son épée et de ses javelots il gagne en pouvoir offensif grâce à une lance allongée (3,6 mètres) ce qu’il perd au niveau défensif (voir annexe III p.111). Il faut souligner que la simplicité de l’armement des peltastes en comparaison de celui des hoplites est beaucoup plus accessible pour les citoyens ruinés candidats au mercenariat, ce qui joue un certain rôle dans le processus d’intégration de ces peltastes au sein des armées grecques. J.K.Anderson explique les réformes d’Iphicrate par l’influence de l’Egypte : c’est parce qu’il n ‘aurait pas été satisfait de l’armement traditionnel des peltastes, qu’Iphicrate les aurait dotés d’un nouvel armement offensif, prenant pour modèle la longue lance des Egyptiens sans rien changer au bouclier traditionnel qui donnait une protection suffisante sans gêner les mouvements 5. Les nouveaux peltastes se situent entre les soldats lourdement armés c’est-à-dire les hoplites et les soldats armés à la légère : ils pouvaient de la sorte agir aussi bien en ordre serré à la manière des hoplites de la phalange qu’en petites unités. Les peltastes peuvent donc être aisément inclus dans un ensemble sans rien perdre de leur liberté de manœuvre sur le champ de bataille, prêts à attaquer la phalange ennemie en ses endroits les plus vulnérables, de flanc et même de revers. Mais il est inexact de présenter les hoplites, leur armement et leur tactique comme quelque chose de figé et d’immuable : leur évolution va dans le sens d’un allègement de leur armement, ainsi que d’un accroissement de leur mobilité et de leur manœuvrabilité, de telle sorte que l’hoplite du IVe siècle avant J. - C. se distingue nettement du fantassin lourdement armé du Ve siècle avant J.-C.. Les peltastes doivent faire preuve, en plus du courage, de la fermeté et de la ténacité propre à l’hoplite, d’une grande habileté à manœuvrer, en s’éloignant au besoin des parties fortes de la phalange adverse pour tomber à l’improviste sur ses parties faibles ; la rapidité d’action (garantissant le succès de la manœuvre), et de la part des subalternes, beaucoup d’esprit de décision et d’audace, de manière à faire face à des changements de situation qui exigent des réactions rapides et justes. 38 Iphicrate se rend célèbre non pas tant par ses exploits que par la discipline de son armée ; il donne une importance capitale à son apprentissage ainsi qu’à celui du courage et du sentiment de solidarité6. De sa discipline sévère, allant jusqu’à la brutalité, on rapporte qu’Iphicrate tua à Corinthe une sentinelle qui s’était endormie, en ajoutant ces mots : « je l’ai laissée comme je l’ai trouvée ». Les peltastes se rendent célèbres en 390 avant J.-C. à la bataille du Léchaïon au cours de laquelle 600 hoplites spartiates sont vaincus sous l’action combinée de peltastes et d’hoplites athéniens conduits par le général Callias. Ces peltastes sont spécialisés dans le harcèlement, les embuscades et la défense de passes, ce qui démoralise et finit par casser les formations d’hoplites, surtout ceux qui ont perdu le soutien d’autres forces armées. Après cette victoire, les mercenaires athéniens jouissent d’une telle réputation qu’on les envoie à Sestos en 389 avant J. - C. ; et après un premier temps consacré au pillage des territoires ennemis, Iphicrate inflige aux Spartiates une seconde sérieuse défaite en usant de la même tactique7. On sait peu de choses sur les mercenaires de Sparte pendant la guerre de Corinthe, sauf qu’à la bataille de Coronée, ils affirment leur supériorité militaire sur les citoyens, remportant deux victoires au cours d’une seule bataille, la seconde qui plus est, faisant suite à une défaite des citoyens8. Remarquons que cette bataille est la première de l’histoire grecque où sont utilisés des mercenaires grecs par les deux parties sur le territoire même de la Grèce. Au Ve siècle avant J.-C., la cavalerie est beaucoup utilisée pour la reconnaissance et la protection, en combat elle est secondaire sauf peut-être pour prendre la phalange de flanc ; arme aristocratique, elle décline en même temps que s’affirme la démocratie ; ses piètres performances ne justifiant plus les dépenses qu’elle entraîne. Au siècle suivant, avec l’apparition de nouvelles formes de combat, les troupes montées se spécialisent dans le harcèlement des fuyards ; et il faut attendre Philippe II et Alexandre pour trouver des escadrons importants de cavalerie destinés à la charge. Il n’empêche que les cavaliers légers et lourds se multiplient dans les armées mercenaires et les Thessaliens se forgent une solide réputation dans l’art équestre (voir annexe VI p.114). Dans le déroulement de la bataille de Leuctres en 371 avant J.-C., la cavalerie joue un rôle décisif dans le combat. Pour dissimuler à l’adversaire sa nouvelle position, Epaminondas a d’abord envoyé ses cavaliers bien entraînés afin qu’ils repoussent la cavalerie lacédémonienne et provoquent ainsi un certain désordre dans l’armée ennemie. Cette tactique reprise en 362 avant J.-C. à Mantinée, montre de nouveau son efficacité, grâce à ses troupes d’élite en ordre compacte placées à l’aile gauche et sa cavalerie comme arme de choc, Epaminondas enfonce l’aile droite ennemie composée de l’élite des confédérés spartiates et mantinéens mais il trouve la mort ce qui gâche le plaisir de la victoire à ses 39 troupes9. En 363 avant J.-C., Ménélaos le Pélagon, un Macédonien sert comme hipparque et reçoit divers honneurs comme le droit de cité au service d’Athènes. D’après différentes sources, du temps d’Iphicrate aurait été créé une unité d’éclaireurs équestres, les prodromoï. Ces cavaliers armés en plus de leur épée, de deux javelines plus courtes et plus légères, n’avaient eu jusque là que des fonctions secondaires de reconnaissance, de harcèlement et de poursuite, n’internant pas directement dans les combats. Cependant, d’autres Grecs les utilisent de façon beaucoup plus systématique dans les affrontements comme les Béotiens, les Macédoniens ou les Thessaliens dont les cavaliers sont lourdement protégés par des cuirasses (voir annexe X p.118). Dorénavant, dans les armées grecques, les cavaliers en plus des fonctions mentionnées ci-dessus, protègent les flancs de la ligne de bataille et interviennent en coordination avec l’infanterie. A la bataille de Sardes, en 395 avant J.-C., la force perse uniquement composée de cavalerie est mise en déroute par une force grecque hétérogène d’hoplites, de peltastes et de cavaliers. En parallèle aux innovations d’Iphicrate et autre Epaminondas, la Macédoine est aussi à l’origine de multiples améliorations dans le domaine militaire, que ce soit pour les fantassins ou pour les cavaliers. C) LES INNOVATIONS FONDAMENTALES DES MACEDONIENS Si Philippe II est mieux connu comme stratège et homme d’état que comme soldat et tacticien, en raison de l’état lacunaire des sources, son arrivée au pouvoir en Macédoine en 359 avant J.-C. marque un tournant décisif dans l’histoire militaire du monde grec (cf. G.T.Griffith). Ainsi, le Macédonien se dote d’un très beau corps d’infanterie, la phalange qui constitue le noyau de son armée. Cette phalange est composée de fantassins qui, à la fin du règne de Philippe II ou au début de son successeur Alexandre, portent le nom de pezhetaïroï, c’est-à-dire de « compagnons à pied » ; par analogie aux « compagnons » (heteroï), titre dont sont honorés les Macédoniens d’origine noble engagés dans la cavalerie. Ces derniers sont recrutés dans l’ensemble de la Macédoine et choisis pour leur haute stature et leur solide constitution physique. Le sens de ce terme a évolué car pendant la plus grande partie du règne de Philippe, il désigne les gardes à pied royaux qui sous Alexandre s’appèleront les « porteurs de boucliers » ou hypaspistes, appelés plus tard « boucliers d’argent » (argyraspides) ; signalons encore les sept « gardes du corps » du roi, les somatophylaques. L’arme caractéristique du phalangite macédonien est la sarisse qui constitue une grande nouveauté car son existence ne semble pas connue avant l’époque de Philippe II. Il s’agit 40 d’une lance en bois de cornouiller renforcée de pointes en fer aux deux extrémités d’une grande longueur puisqu’elle atteint en moyenne 14 coudées (soit 6,20 m) pesant 6 kg.; ce qui oblige le phalangite à la tenir à deux mains. L’une des pointes est dirigée vers l’ennemi et la seconde munie de quatre arrêts peut être plantée en terre pour servir d’appui à la lance en cas d’assaut de la cavalerie. Traditionnellement, les hoplites portent leur bouclier grâce à un brassard (porpax) passé à l’avant-bras gauche et à une poignée (antilabè) pour pouvoir porter le bouclier. Le port de la sarisse ne permet plus de telles pratiques et le combattant est obligé de suspendre son bouclier à l’épaule par une courroie ; notons qu’il s’agit désormais d’un petit bouclier bombé de 60 cm de diamètre. Les soldats de la phalange portent casque (dont les différents types nous sont connus par des représentations figurées ou même par des spécimens retrouvés dans les fouilles, voir annexes VII à X p. 115 à 118), jambières et épée courte mais ne semblent pas être revêtus de cuirasse, protection réservée aux officiers10. Sans cuirasse, dotés d’un bouclier plus petit, voire même d’une lance de longueur habituelle, les phalangites ont un équipement plus léger que celui des hoplites traditionnels et certains modernes veulent y voir une influence d’Iphicrate11. L’abandon de la cuirasse peu aussi être imputé à un facteur économique, les fantassins macédoniens, tenus de se procurer leur armement à leur frais, auraient été incapables de faire un tel sacrifice financier, et sous le règne de Philippe le trésor royal n’a pas l’importance des décennies suivantes et ne peut assurer l’équipement complet de tous ses combattants. La phalange macédonienne a une densité plus forte qu’à l’accoutumée ayant 16 rangs de fantassins de profondeur qui constituent une importante force de pression qui pousse une ligne frontale hérissée de lances. Les soldats des 5 premiers rangs tiennent la sarisse abaissée à l’horizontale (ce qui, vu sa longueur, même au cinquième rang la fait encore dépasser de 50 cm les soldats du premier rang) et ensuite au delà du cinquième rang « ils la tiennent en l’air, inclinée le long des épaules des soldats qui les précèdent, afin de protéger l’espace audessus de la troupe grâce aux sarisses serrés qui repoussent tous les traits qui, par dessus les premiers rangs, peuvent tomber sur ceux qui sont placés devant eux » (Diodore, XVIII, 30). Semblable à un hérisson géant, la phalange est une force redoutable d’attaque et d’une grande efficacité défensive, c’est une formation rigide très opérationnel en terrain plat, mais qui manque d’élasticité en terrain accidenté. A l’inverse de la phalange thébaine, les meilleurs (la garde royale)se trouvent à l’aile droite sous le commandement de leur roi Philippe, ce qui lui vaut des blessures graves notamment la perte d’un œil au siège de Méthônè. Les rois de Macédoine ont toujours eu à leur disposition une excellente cavalerie composée des propriétaires terriens du royaume et dont l’élite constituée le corps des « Compagnons » du roi, comme nous l’avons vu précédemment. Les cavaliers montent à cru, sans étriers, et sont armés comme les peltasts d’une épée courbe ou machaïra , d’une cuirasse, d’un casque ainsi que d’une longue lance en cornouiller, 41 plus courte que la sarisse, longue de 4 à 5 mètres qui leur donne un avantage certain notamment face aux cavaliers Perses armés de courts javelots. C’est dans l’utilisation systématique et originale de cette cavalerie que les rois macédoniens ont trouvé un moyen nouveau de remporter des victoires. En 358 avant J.-C. lors de la campagne Illyrienne (où la cavalerie est chargée d’une attaque latérale contres les fantassins adverses), Philippe II compte dans son armée 600 cavaliers alors qu’en 334 avant J.-C. à son départ pour l’Asie, Alexandre en compte 3 300 ; dont 300 forment sa garde royale à cheval. Notons, qu’après son acquisition de la Thessalie, Philippe II ajoute des cavaliers thessaliens à son armée, cavaliers dont la réputation n’est plus à faire dans le monde grec, et qui s’ajoutent aux cavaliers Thraces et Péoniens déjà présents. Philippe II a aussi recours aux mercenaires, mais dans des proportions bien moins que ne le laissent entendre Démosthène et Diodore. Ces hommes, en général entre 200 et 300, sont placés comme garnisaires ou comme forces d’occupation même si parfois ils sont envoyés à l’extérieur pour des objectifs limités, telle l’expédition en Asie en 336 avant J.-C. sous les ordres de Parménion. Philippe II a aussi beaucoup utilisé des troupes alliées issues des Balkans, essentiellement des Thraces, des Agrianes et des Illyriens auxquels s’ajoutent les alliés grecs de la ligue de Corinthe, dans les dernières années de son règne. Nous sommes mal renseignés sur les troupes légères macédoniennes sous Philippe II, toutes les informations en notre possession concernent le règne d’Alexandre et l’expédition d’Asie où figurent des Thraces, des Illyriens et des Péoniens qui sont dans l’obligation de fournir des troupes à la demande : 1 000 archers et 900 éclaireurs font partie de ces troupes alors que la Thessalie, alliée, fournit aussi un contingent de 1 800 cavaliers12. D) LA PHALANGE D’ALEXANDRE ET SES MODIFICATIONS Dès le début de son règne, Alexandre veille à un entraînement intensif de ses soldats ainsi qu’à une stricte discipline13. L’armement des phalangites ne semble pas avoir changé, ils ne portent pas de cuirasse de bronze et l’usage de la sarisse est désormais courant. La phalange d’Alexandre est une unité tactique, une taxis de 1 500 hommes environ. Les pézhétaïroï sont organisés en 6 brigades ou taxeis dont le recrutement de fait sur une base régionale. La plus petite unité est la décade qui vers 333 avant J.-C. se compose de 12 hommes ; intercalée entre la taxis et elle il y a la compagnie ou lochos14. Après 329 avant J.-C., une innovation tactique d’Alexandre fait gagner aux taxeis une grande souplesse ; le roi forme des colonnes mobiles dont une ou plusieurs taxeis forment le noyau. Après le licenciement des vétérans, le souverain refond sa phalange et associe des 42 Perses aux quelques milliers de Macédoniens demeurés en Asie, la phalange « mixte » de 323 est très différente de 334 avant J.-C.. La cavalerie des Compagnons du roi comprend 8 escadrons d’environ 200 hommes dont le plus hardi sert de garde personnelle au souverain (l’agèma), auxquels s’y ajoutent des escadrons d’éclaireurs. Au début de son expédition, Alexandre dispose de 1 800 cavaliers macédoniens et du même nombre de cavaliers thessaliens qui constituent une force d’assaut essentielle sous les ordres directs d’Alexandre. Son importance est décisive à Gaugamèles en 331 avant J.-C., où son aile droite offensive est conduite par le roi alors que son aile gauche défensive est sous les ordres de Parménion ; les deux ailes entourant la phalange. Autour de ce noyau, gravitent des contingents de spécialistes macédoniens, alliés ou mercenaires ; il s’agit principalement de frondeurs, de lanceurs de javelots dont une grosse proportion est constituée de Crétois. Ces troupes de grandeur modeste, à peine quelques milliers d’hommes, interviennent dans les grandes batailles mais aussi dans d’autres types de rencontre qui sont de plus en plus fréquents au fur et à mesure que s’accomplit l’expédition : embuscades, escarmouches, forcements de défilés, massacres de populations, etc … Elles s’équipent elles-mêmes sauf en cas d’urgence à l’inverse de l’armée régulière macédonienne fournies en armes défensives et offensives. C’est l’action combiné de l’infanterie, phalange et troupes légères , et de la cavalerie qui a donné la victoire à Alexandre, en dépit d’armée ennemies supérieures en nombre, au Granique en 334 avant J.-C., à Issos l’année suivante, à Gaugamèles et à l’Hydaspes en 326 avant J.-C.. Après sa mort, son armée n’a jamais été démobilisée, la majeure partie du temps en déplacements, occupée à se battre ou à se préparer à combattre, elle est partagée entre les différents satrapes de la monarchie, son noyau (agrémenté au gré des événements de contingents auxiliaires, mercenaires, alliés et détachements étrangers) restant entre les mains du gouvernement central. Ce dernier, ainsi que ses opposants vont la garder prête à combattre au moins jusqu’à la bataille d’Ipsos en 301 avant J.-C. et même au delà. En un sens c’est une armée permanente sous les commandements des successeurs d’Alexandre : Perdiccas, Antipater, Antigone, Eumène, Polyperchon puis à nouveau Antigone et Démétrios Poliorcète. Ainsi, Eumène lors de sa défaite en Cappadoce en 320 avant J.-C. contre Antigone, est à la tête de 20 000 fantassins et 5000 cavaliers alors que son rival n’a « que » 10 000 fantassins et 2000 cavaliers ; alors qu’à la bataille de Parétacène, trois ans plus tard, chacun des deux belligérants aligne respectivement 36 800 et 41 000 hommes15. Le corollaire de toutes ces innovations « sur le terrain » est sans conteste, l’évolution des stratèges, de leur manière de commander, qui devient de plus en plus un savoir, un art qui requiert 43 des spécialistes aguerris à ces nouveaux modes de combats et au commandement de ces nouvelles troupes qui ont chacune un potentiel offensif et défensif différent. II. MERCENARIAT ET NOUVELLES MANIERES DE COMMANDER A) LA PRISE D’AUTONOMIE DES CHEFS MERCENAIRES Phénomène collectif, la guerre est aussi le théâtre d’exploits individuels et surtout le terrain privilégié où peuvent se révéler et s’affirmer des personnalités. Au IVe siècle avant J.-C., la multiplication des troupes de mercenaires voit la naissance d’un nouveau type de stratège, le chef d’armée de métier dont le rôle politique dans le gouvernement de la cité est généralement faible voire négligeable à l’inverse du siècle précédent où les stratèges tels Périclès, Nicias ou encore Alcibiade sont de grands hommes politiques. De tels chefs de bandes, comparables aux condottières du Moyen-Age, sont apparus dès la guerre du Péloponnèse, tel Brasidas le Spartiate doté d’une large autonomie opérationnelle dans toute la Grèce. Ces personnages nous sont connus à travers les portraits faits par les historiens et les orateurs attiques qui nous les présentent comme des hommes sans scrupules, faisant plus de tort que de bien à la cause de leurs commanditaires. Indépendants des cités qui les envoient, ces chefs mènent souvent leur politique sans pouvoir rendre des comptes directement. On peut alors se poser la question suivante : sont-ils de simples chefs de bandes armées sans foi ni loi ou sont-ils fermement liés aux cités qui les envoient de telle sorte qu’à elles seules incombent la responsabilité des excès de ces armées professionnelles ? Pour P.Ducrey, les condottières sont plus des victimes des situations politiques et économiques que des aventuriers avides de richesses. Enée le Tacticien nous donne des renseignements quant à la fonction de chef militaire, de stratège : avant chaque bataille, ce dernier doit tenir compte des conditions locales, savoir faire marcher ses troupes en maintenant la formation, savoir conserver des forces fraîches, prendre en considération l’état d’esprit de l’armée après une défaite ou une défection d’alliés, surcharger le moins possible ses soldats, tenir compte de l’évolution psychologique des ennemis au fur et à mesure de la progression en territoire étranger et enfin, adresser aux soldats « les exhortations qui conviennent à chacun » (Commentaires, XXXVIII, 4). Le chef militaire a une rémunération indexée sue celle du soldat : on donne au lochage deux fois et au stratège quatre fois plus qu’au simple soldat, selon l’ «usage établi» (Xénophon, Anabase, VII, 2, 36). Une autre fonction des stratèges est 44 la distribution, en diverses occasions, de récompenses pour obtenir de leurs troupes zèle, audace et dévouement : Cyrus le Jeune promet de donner à chacun en fin de campagne une couronne d’or et 5 mines d’argent presque la solde d’une année et demie16 ; Agésilas ne donne pas moins de 4 talents en récompense aux villes et aux lochages mercenaires qui présenteraient les contingents les mieux armés17. Jason se soucie de récompenser ses mercenaires en doublant, triplant et même quadruplant leur solde, en leur faisant des cadeaux, en prenant soin d’eux lorsqu’ils sont malades et même en leur construisant de somptueux tombeaux18. Iphicrate donne des armes et une part de butin proportionnelle à leurs exploits, et durant les fêtes et les banquets, fait asseoir aux premières places ceux qui se sont distingués au combat « pour les rendre plus courageux » (Polyen., III, 9, 4). Parallèlement, le célèbre stratège Athénien dispose d’une technique ingénieuse pour accroître le zèle de ses soldats : une fois qu’ils ont amassé beaucoup d’argent, leur chef les mènent dans une ville riche afin qu’ils dépensent sans compter et ainsi ils combattent « avec plus d’empressement » ; à l’inverse, quand ses soldats sont à cours d’argent, il les transporte dans des endroits peu peuplés afin que leur argent leur dure aussi longtemps que possible19. Mais Iphicrate sait aussi se faire respecter, en 374 avant J.-C., à la tête d’une armée mercenaire au service des Perses, il apprend que deux lochages projettent une trahison et après avoir réuni les soldats qui lui sont le plus dévoués, il désarma les mutins, châtie les lochages et chasse les simples soldats après les avoir privés de leurs armes. La punition est lourde car elle ôte aux mercenaires ce qu’ils ont de plus précieux et de plus nécessaire, leur armement ; mais cette justice un peu sommaire correspond bien à l’esprit d’Iphicrate qui exige une soumission absolue de la part de l’armée20. Le développement du mercenariat transforme profondément le caractère de l’armée et de ses stratèges. Placés à la tête d’une armée totalement ou partiellement composée non plus de citoyens accomplissant leur devoir et responsables devant l’état, mais de « volontaires » qui ne sont plus guère en réalité liés à leur employeur, les stratèges acquièrent une grande liberté à laquelle contribue l’insuffisance habituelle des fonds nécessaires au paiement des soldats. Ne recevant plus ce qu’il lui faut de l’état, le commandant ne s’octroie pas seulement le droit de disposer du butin, au cours des hostilités, et il ne se laisse pas toujours guider par des considérations de nature tactique ou stratégique ; contraint de se procurer des fonds, il se fait plus indépendant du point de vue économique mais également militaire. « On finit par reconnaître qu’il valait mieux choisir comme général un homme d’affaires heureux qu’un spécialiste de l’art militaire » (J.K. Anderson, Military Theory and Practice in the Age of Xenephon, p.58). Forts de leurs succès militaires, de leur gloire et de leur fortune parfois accrue par la guerre, de tels généraux peuvent aussi influer sur la vie politique de leur cité en se créant une sorte de clientèle politique. Eschine parle en tout cas sans équivoque des suppôts de Charès, intervenant à l’ecclésia (II, 71) et de l’assistance portée aux 45 orateurs par les stratèges qui souillent ainsi la vie politique athénienne (III, 7). Nombreux sont les généraux célèbres qui préfèrent résider hors de leur cité : Iphicrate en Thrace, Timothée à Lesbos, Charès à Sigée et Chabrias en Egypte ; sûrement cela correspond à leur désir d’échapper au contrôle de leurs concitoyens et à leur mode de vie bien différent de celui de la cité. Démosthène fait une juste comparaison entre les victoires remportées à Salamine ou à Marathon par les Athéniens et non par Thémistocle ou Miltiade alors que désormais on répète couramment que Timothée a pris Corcyre, qu’Iphicrate a écrasé les Spartiates à Léchaïon et que Chabrias a gagné la bataille navale de Naxos21. Les rapports entre les commandants et leurs subalternes dans les armées mercenaires sont plus étroits et plus solides que dans les armées nationales ou chaque combattant est un citoyen. En effet, les officiers devenus professionnels ont perdu tout contact avec leur cité d’origine, ils n’ont personne d’autre avec qui se lier que leurs soldats ; Cléarchos exagère à peine quand il leur dit : « puisque vous ne voulez pas m’obéir, c’est moi qui vous suivrai… vous êtes pour moi ma patrie, mes amis, mes compagnons d’armes ; avec vous, j’en suis sûr, partout où j’irai, je serai honoré ; sans vous, je ne serai pas capable, je le sens, ni d’aider un ami, ni de repousser un ennemi» (Xénophon, Anabase, I, 3, 6). De leur côté, les soldats sont dans la complète dépendance des commandants qui exercent sur eux un pouvoir illimité même si leur obéissance laisse parfois à désirer, comme nous l’avons déjà vu lors du retard du versement de leur rémunération. D’autres ruses sont attestées dans le paiement des soldes mercenaires, ainsi Iphicrate lorsque ses troupes commencent à protester contre le retard de paiement ordonne à quelques-uns qui lui sont restés fidèles de revêtir des vêtements perses et de se présenter, ainsi vêtus, à l’assemblée des soldats pour leur dire que les Perses porteurs d’argent ne sont plus très loin, ce qui calme les soldats22. Les commandants d’armées mercenaires se comportent aussi parfois comme des fermiers généraux qui reçoivent de la polis certains moyens pour financer une opération militaire et jouissent d’une certaine liberté dans leur utilisation. Dans la mesure où il existe des contingents de mercenaires, de professionnels qui ne se disloquent pas après leur licenciement, le chef mercenaire quand il négocie avec ces derniers n’agit pas toujours avec l’aval du futur employeur. Dans l’histoire des guerres du IVe siècle, il n’est pas rare de voir des stratèges négliger les intérêts de leur employeur mais aussi de leur propre cité et mener les hostilités en se souciant moins de battre l’ennemi que d’obtenir du butin, de recouvrer les fonds dépensés et de réaliser un bénéfice ; prenons à titre d’exemple Charès qui, au lieu de lutter contre les alliés insurgés, part servir le satrape Artabaze. 46 Mais, ce dernier n’est qu’un exemple parmi tant d’autres non moins célèbres, nous allons donc nous attarder sur l’étude de quelques « grandes figures » de stratèges-condottieri, et autres chefs de bandes mercenaires du IVe siècle avant J.-C. B) CHEFS MERCENAIRES : ETUDES DE CAS Cyrus est un de ces chefs mercenaire qui sait parler et convaincre. Pour lui, le commandement est immanent à la parole. Il obtient ainsi, par persuasion, une obéissance consentie. Il sait pourvoir en vivres, soldes et butin jusqu'au moindre de ses hommes, suscitant leur attachement. Il sait s'exercer et exercer ses soldats assurant de la sorte la cohésion d'une armée disparate. Il sait surveiller, punir, récompenser à proportion des fautes et des mérites, éveillant le sens de la discipline, stimulant les énergies. Bon stratège, brillant tacticien, il sait ne pas négliger la logistique et les services de santé. Entraîneur d'hommes, il joint au courage la perspicacité, la modération (sôphrosunè), la maîtrise de soi (egkrateia) et l'epiméleia, à la fois attention soutenue aux choses et aux êtres, vigilance et capacité à diriger et à se diriger. En bref il vit son commandement comme un enjeu moral et comme une pratique volontaire, réfléchie, non dénuée d'esthétique, car Cyrus sait et veut séduire, donnant à chacun la certitude - l'illusion ? - qu'il peut être remarqué. Général de valeur, il fait naître son pouvoir de la conquête, créant lui-même règles et lois où il reproduit, perpétuellement, la différence entre archontes et archomenoi, commandants et commandés, différence fondée sur la naissance, la nature et l'éducation. En confondant en une figure unique, qui n'est pas seulement celle du « bon chef », un ensemble de compétences militaires, de qualités et de pouvoirs, Xénophon compose une image qui, par la force des évidences qu'elle organise quotidiennement en système, abolit toute contradiction. Par l'exemplarité indiscutable de ses actes, de ses gestes, de ses paroles et leur stylisation élégante, Cyrus obtient de tous la soumission volontaire à l'autorité d'un seul. Citons également Cléarque, le principal chef militaire des Dix-Mille après la défaite de Cunaxa, qualifié par Xénophon de « belliqueux », cet exilé politique a perdu tout lien avec sa patrie et son rôle est plus de diriger un collectif de combattants sans trop de dissensions que de faire régner la discipline. Son intérêt se confond avec celui des soldats et consiste essentiellement à s’assurer du versement régulier de la solde et à défaut de l’acquisition et de la distribution de butin. Ainsi, nombre de généraux n'hésitent pas à devenir mercenaires eux-mêmes. Conon sert d'abord Evagoras de Chypre, dès 405, puis Artaxerxès Il entre 397 et 393. Il est imité par bien d'autres, dont Chabrias, Agésilas ou Iphicrate qui acceptent de commander soit au service des 47 pharaons, pour les deux premiers, soit à celui du Grand Roi, pour le troisième. Tous font alterner charges officielles, commandements mercenaires, activités officieuses ou privées les laissant souvent fort loin des marges mêmes de la cité23. La figure la plus extrême est celle du Spartiate Archidamos. Son existence entière est dominée par le mercenariat, jusqu'à son décès au combat en Italie du sud alors qu'il était xenikos stratèges à Tarente24. Isocrate lui prête un plaidoyer désespéré pour Sparte menacée par la première avancée thébaine durant l'hiver 370/69. Il y formule des propos exactement inverses de ceux tenus par Nicias aux Athéniens, leur rappelant, en Sicile, leur faculté, où qu'ils soient, de se constituer en cité. Pour Archidamos, si elle est acculée à la fuite lors d'une deuxième invasion, l'armée des citoyens doit devenir, au contraire, "semblable à un corps de mercenaires" entraîné, mobile, permanent, nourrissant la guerre par la guerre, constituant une armée "indépendante de toute politeia" (Isococrate, Archidamos, VI, 76). Figure rhétorique, image certes, plus que réalité. Significative en tout cas d'une inversion sinon des situations du moins de la représentation qu'on s'en fait. Charidèmos apparaît aussi comme l’un des personnages représentatif de ce nouveau type de commandants redevables au mercenariat de leur notoriété, comme un véritable condottière. Après avoir débuté dans l’armée comme peltaste, il devient ensuite commandant, sert en qualité de mercenaire chez les Athéniens sous l’autorité d’Iphicrate, passe avec son armée au service du roi de Thrace Cotys, se loue ensuite aux Olynthiens, puis de nouveau aux Athéniens25. Dans la « même veine » se trouve Timoléon, stratège envoyé par les Corinthiens en Sicile avec une mission diplomatique, politique et militaire pour épauler les cités siciliennes aux mains des mercenaires et à la tête d’une armée de 700 mercenaires (additionnée de colons du Péloponnèse), qui prend Syracuse et contraint Denys à fuir. Timothée est un stratège athénien fort de moult exploits guerriers : il prend Corcyre, Samos, Sestos, Crithotè, Potidée et Toronè « sans dépense considérable » ; à Samos il paie ses soldats sur le butin de guerre et à Potidée « avec les fonds qu’il a fourni lui-même ». Au total, il rend les Athéniens « maîtres de 24 villes avec moins de dépenses que nos pères en avaient fait pour le siège de Mèlos » pendant la guerre du Péloponnèse (Isocrate, XV, 107-113). Dans son cas, il semble que c’est l’argent de l’état qui se combine avec les ressources privées, ce qui devait susciter chez lui le désir de s’enrichir par des opérations usuraires et des difficultés financières pour la cité. Les liens du stratège avec les banquiers nous sont rapportés dans le discours XLIX de Démosthène Contre Timothée (6-8 et 11) : avant de s’embarquer au Pirée avec son armée, ayant besoin d’un complément d’argent, il emprunte au banquier (ou trapézite ) Pasion 1 351 drachmes et 2 oboles, puis après avoir constitué en garantie son domaine de le plaine, il hypothèque le reste de sa fortune aux soixante triérarques qui l’accompagnent, à chacun pour 7 mines et fait distribuer aux équipages l’argent reçu (7 talents au total), tout en indiquant dans ses comptes que cette somme avait été payée sur les fonds militaires. Au IVe siècle avant J.-C., la polis perd le contrôle de sa propre armée mercenaire ; ainsi Charès, envoyé contre Chios, Rhodes et Byzance (lors de la guerre des Alliés) se met à venir en 48 aide au satrape révolté Artabaze , recevant en échange Lampsaque et Sigée26. Ainsi, en 346 avant J.-C., les Athéniens sont obligés de prendre la décision spéciale de dépêcher Antiochos, le chef de la flotte légère, à la recherche de Charès qui est à la tête de leurs troupes, car les Athéniens ignorent « où se trouvaient leurs stratèges et le corps expéditionnaire » (Eschine, II, 73). A l’inverse de Timothée à la fois homme politique et soldat, Charès est un homme de guerre. Dans la mesure où il dirigeait des armées dans une situation politique complexe, il est maintes fois traduit en justice et se trouve sanctionné par le peuple pour ses activités militaires dans une région déterminée ; il doit aussi s’adresser à l’assemblée du peuple en dépensant l’argent militaire à payer les stipendiés qui défendent ses intérêts à la tribune27. Enfin, terminons par le portrait de Jason de Phères que fait par Xénophon et qui est plutôt flatteur : Jason est d’une force physique peu commune, on le voit à la tête de ses mercenaires dans les gymnases comme au combat ; soucieux du moral de ses troupes, il sait doser les efforts qu’il leur demande et les moments de détente, comme il sait aussi les récompenser en augmentant leur solde et en les traitant dignement de leur vivant et même après leur mort. Ces mercenaires fréquentent avec lui le gymnase, reçoivent des soins en cas de maladie et ont droit à des honneurs s’ils meurent au combat, comme de véritables citoyens. L’habile meneur d’hommes sait ainsi tirer parti des ressources de la psychologie, esprit de lucre et désir de gloire, même posthume, pour tenir ses hommes bien en main. Jason est aussi un grand stratège qui promeut de nouvelles tactiques de guerre, ainsi on lui attribue la formation en losange de la cavalerie. C) SEPARATION ENTRE LES FONCTIONS DE STRATEGE ET D’ORATEUR Comme nous l’avons vu, les façons de faire la guerre connaissent des bouleversements considérables au IVe siècle avant J.-C.. La guerre du Péloponnèse a été longue, fertile en expéditions lointaines ; c’est aussi une guerre d'expériences multiples, d'invention militaires, stratégiques et tactiques. La longueur de cette guerre, l'éloignement des théâtres d'opérations, l'attention plus vive que, de ce fait, les généraux doivent porter aux conditions de mobilisation, de recrutement et de fonctionnement des armées modifient radicalement, mais pas forcément brutalement, l'exercice du commandement. Commander devient une responsabilité spécialisée, sinon professionnelle. Les généraux doivent désormais résoudre, dans toute leur ampleur matérielle et morale, les problèmes posés par la conduite d'armées aussi fréquemment composées de mercenaires, de volontaires, de soldats choisis, voire d'hilotes, que d'ordinaires citoyens-hoplites. La 49 cohérence, l'efficacité et la puissance de l'outil militaire repose dorénavant sur leur valeur personnelle et leurs talents de recruteurs, de gestionnaires, de pourvoyeurs en vivres et soldes. Brasidas, Lysandre, Hermocrate ou Alcibiade en sont les meilleurs exemples. A Athènes, après la restaurations démocratique de 402-403 avant J.-C., apparaît une division entre rhétorès (celui qui fait des discours à l’ecclésia, à la Boulè, aux tribunaux ou devant les nomothètes ou encore celui qui soutient ou combat une initiative prise par un autre, ce ne sont pas des hommes politiques, ils ne sont pas élus mais sont auto-désignés, ils ne prennent pas de décisions mais font des propositions et doivent rendre des comptes devant l’Héliée) et strategoï (stratèges, chefs militaires) qui montent de moins en moins à la tribune. Au nombre de 10, les stratèges sont des magistrats élus ayant pour fonctions originelles le commandement des forces athéniennes et au niveau civil celles de président de l’Héliée pour les affaires relevant de la loi militaire, ils règlent les conflits entres les triérarques et enfin ils ont le droit d’assister et de prendre parole au conseil des 500 sans autorisation. Ainsi au IVe siècle avant J.-C., les assemblées politiques sont dominées par des orateurs comme Eubule, Démosthène, Démade, Hypéride et Lycurgue qui ne furent jamais élus stratèges. Cette division s’explique par la spécialisation de l’art oratoire et des techniques militaires, c’est la fin de l’armée de citoyens-soldats qui fait place aux mercenaires sous le commandement de stratèges ou de condottières (souvent étrangers) qui acquièrent la citoyenneté, mais ne bénéficient jamais de la confiance du peuple contrairement aux dirigeants civils nés dans la cité. En effet, la bonne conduite d’Athènes passe aux mains de démagogues qui, n’étant pas magistrats, n’ont pas de comptes à rendre ; alors que parallèlement la guerre et la victoire ne permettent plus de faire de grandes carrières politiques comme au siècle précédent. Jamais, il n’y a de conflit entre les deux fonctions, et on atteste de la présence d’orateurs dans les rangs de l’armée en campagne et de stratèges se contentant de voter à l’assemblée comme de simples citoyens. Phocion se plaindra de cette séparation si entière entre armée et tribune28. Entre 359 et 322 avant J.-C., on assiste au remplacement de la combinaison typique du Ve siècle avant J.C. orateur/stratège par celle d’orateur/magistrat, ce dernier étant un financier élu pour 4 ans et chargé du trésor des fonds militaires au sein du collège, le Théorikon. (Lycurgue occupa ce poste pendant 12 ans après 338 avant J.-C.) ; les stratèges existent toujours et sont envoyés par l’assemblée du peuple comme ambassadeurs ou pour être synègoï (avocats) dans un procès. Les stratèges, après leur désignation initiale, sont ainsi régis, pour l'ensemble de leurs activités militaires, par la délibération et le vote : affectations, composition du collège envoyé en campagne, missions, remplacements en cas de décès au combat ou de rappel. En dépit de l'étendue de leurs pouvoirs et de leur faculté de proposition, en théorie les stratèges ne sont maîtres ni des destinations ni des forces ni des moyens. De plus, si l'on en juge par le nombre des rappels de 50 généraux et des procès qui leur sont intentés entre 404 et 338 avant J.-C., dans toutes les cités, on ne peut que conclure au maintien, voire au renforcement des procédures de contrôle. Les Athéniens, pendant ce laps de temps, soutiennent contre leurs stratèges au moins vingt-six procès dont ceux contre Timothée en 373/72 et 356/55 avant J.-C., contre Chabrias en 366/65 puis 357/56 avant J.-C., contre Iphicrate en 365/64 et 356/55 avant J.-C.. Les Spartiates ne leur cèdent en rien : ils condamnent le roi Pausanias à mort et au minimum huit archontes et harmostes à la peine capitale, au bannissement ou à de fortes amendes. En Béotie, Epaminondas lui-même est traduit en justice par ses concitoyens pour avoir délibérément prolongé son mandat de béotarque afin de consolider les positions thébaines dans le Péloponnèse29. Rien n'indique un relâchement de la volonté des citoyens de contrôler aussi précisément que possible les hommes auxquels ils ont délégué la magistrature (l'archè), y compris les plus grands. Mieux, les procédures s'affinent parfois, au moins à Athènes. C’est le cas pour les euthynai (« reddition de comptes », procédures publiques auxquelles tout officiel doit se soumettre à l’expiration de son mandat) grâce à une vraisemblable réforme en 403 avant J.-C.30. Mais c'est l'eisangélia eis ton dèmon (dénonciation devant l’ecclèsia pour trahison, corruption ou atteinte à la démocratie) qui devient véritablement la procédure privilégiée contre les stratèges. Quelques uns d'entre eux n'hésitent d'ailleurs pas à dénoncer leurs collègues. En 373/72 avant J.-C., Iphicrate n'accuse-t-il pas Timothée alors en campagne à Corcyre ? Et lui-même n’est-il pas accusé par Charès en 356/55 avant J.-C.? 31. Les contrôles restent, dans leur ensemble sévères, au moins durant les périodes où les stratèges sont au service de la cité. Toutefois, même quand ils servent comme mercenaires, la plupart d'entre eux n'hésitent pas à rentrer sur un simple rappel de l'Assemblée. Chabrias, par exemple, parti en Egypte de sa propre initiative, revient à la demande de l'ecclèsia quelques mois plus tard, vers 376 avant J.-C..32 Si l’essor du mercenariat au IVe siècle avant J.-C., a pour corollaire l’émancipation et la spécialisation des stratèges, nous allons voir qu’il a aussi induit pour les contemporains le développement d’une vision très négative du mercenaire, image relayée largement par les auteurs antiques. III. MERCENARIAT ET SOCIETE A) PROBLEMES DE LOYAUTE ET PERCEPTIONS DU MERCENARIAT 51 Le problème avec les mercenaires réside dans la fidélité à leur employeur qui n’est pas toujours à toute épreuve, car si l’hoplite, le citoyen-soldat avait pour idéal de défendre sa patrie jusqu’à la mort s’il le fallait (l’abandon de son rang, la désertion, la fuite devant l’ennemi et la trahison sont jugés très sévèrement de l’exclusion de l’armée à la peine de mort, en passant par le paiement de fortes amendes et par la prison ; voire même la dégradation civique à Sparte) ; les mercenaires ne combattent pas pour une cause mais pour bien d’autres raisons, souvent économiques. Cette réalité, nous le verrons, entraîne des conséquences multiples tant pour l’image des mercenaires que pour la conduite tactique de la guerre. Les mercenaires peuvent ainsi quitter leur employeur pour un autre qui leur propose une forte somme ; c’est pour s’en garantir qu’Iphicrate a pour habitude de retenir chaque mois le quart de la solde de ses mercenaires comme gage de leur fidélité33. L’argent n’est pas le seul facteur de désertion, ainsi les mercenaires de Denys l’Ancien se sont vus promettre pour leur trahison le droit de citoyenneté par les Syracusains 34. Mais dans l’ensemble, proportionnellement à la diffusion des mercenaires dans les armées hellénistiques, les cas de trahison suscités par l’appât de fortes sommes sont rares. D’un autre côté, ce que l’on sait des troupes mercenaires en campagne mène à penser qu’elles sont particulièrement difficiles à commander, telles les Dix-Mille qui ne manquent pas une occasion de défier Cyrus le Jeune en refusant de le suivre ; il doit faire face à une véritable mutinerie lorsque les mercenaires apprennent le but caché de son expédition à savoir renverser le Grand Roi, ce n’est qu’à force de promesses répétées d’augmentations (de 1 darique/mois – à peu près 5 oboles/jour- à 1 darique et demie – environ 7 oboles et demie/mois) et de moult renégociations de contrats qu’il va s’assurer de leur fidélité35. Dans les régions orientales de l’Empire d’Alexandre, des mercenaires grecs, macédoniens, ioniens, cariens, de langue et de culture hellénique en 324 avant J.-C., à la nouvelle de la blessure du roi se rebellent, supportant mal d’être installés aux confins du monde civilisé. Enée le Tacticien dans son Traité sur la défense des villes préconise une méfiance particulière à l’encontre des mercenaires et propose pour éviter toutes formes de troubles : - de confier aux citoyens les plus riches d’une cité l’enrôlement et l’entretien à titre personnel de un à trois mercenaires selon les moyens (deux à trois oboles/jour par tête ce qui fait entre 240 et 360 drachmes/an). Le riche citoyen en plus de payer ses mercenaires doit leur fournir le gîte et le couvert, il est matériellement et moralement responsable de ces derniers (il doit même payer leurs amendes en cas de défection). Il agit comme un « proxène » envers le métèque dont il est le garant et le répondant et apparaît comme un intermédiaire entre les mercenaires et la « polis ». ( Enée, Trait., XIII ). 52 - d’avoir toujours un nombre supérieur de citoyens par rapport au nombre de mercenaires pour éviter les mutineries ; ainsi : « il convient de ne jamais recevoir dans sa propre cité une armée étrangère plus nombreuse que l’armée nationale » ( Enée, Trait., XII, 4 ). - de faire enregistrer chaque individu possédant plus d’un équipement et les armes qui entrent en ville ( Enée, Trait., X, 7 ). - de forcer tous les étrangers arrivés à porter leurs armes visiblement et de les remettre immédiatement aux autorités ( Enée, Trait., X, 9). - d’obliger les aubergistes à obtenir une autorisation spéciale pour pouvoir accueillir des étrangers auprès des autorités qui en feront un relevé précis ( Enée, Trait., X, 9). - de chasser hors de la vile tous les vagabonds (hoï talaïpôroï), c’est-à-dire les désoeuvrés, figurant parmi les étrangers car ces gens sans attaches ni traditions sont les plus enclins au désordre et à l’aventure( Enée, Trait., X, 10). - de châtier tout individu en contact (direct ou épistolaire) avec des bannis, qui inquiète entre autres raisons, parce qu’il leur arrive de servir comme mercenaires ( Enée, Trait., X, 6). - de répartir les mercenaires en loches (petites compagnies), après avoir placé à la tête de chacun de ceux-ci, comme lochage, les citoyens les plus sûrs. (Enée, Trait., XIII, 1 à 4). Parmi la vingtaine d’exemples empruntés à l’histoire du IVe siècle avant J.-C. par Enée, presque la moitié fait intervenir des mercenaires, ils sont présents dans neuf des dix-sept cas relatifs aux luttes sociales. Notons ces conseils adressés aux citoyens d’une cité se préparant à subir un siège et concernant le possible danger mercenaire : il faut annoncer à ces soldats de fortune qu’ils sont libres de quitter la ville se transformant ainsi du même coup en ennemis d’où le risque de devenir plus tard en cas de capture esclaves, d’être jetés en prison ou de devoir payer une amende, et même d’encourir la peine de mort pour les traîtres ou les fauteurs de troubles. En effet, lors de l’enrôlement, les obligations réciproques entre soldats et employeurs sont stipulées clairement mais une circonstance imprévue, tel un siège, donne aux mercenaires le droit de rompre le contrat. Dans des circonstances aussi dramatiques, les défenseurs d’une cité assiégée doivent toutes les chances de leur côté en tentant de prévenir le mécontentement possible des mercenaires, d’où la permission faite à tous ceux qui le désirent de quitter la ville Notons la traditionnelle image défavorable des mercenaires donnée par les orateurs attiques et par les poètes comiques tel Ménandre et Aristophane qui dépeint Lamachos comme une caricature de militaire fanfaron et borné dans sa pièce intitulée Les Acharniens (425 avant J.-C.). La Comédie Nouvelle et la Comédie Latine qui s’en inspire font une large place au personnage du soldat professionnel indûment enrichi par ses campagnes, vantard, coureur de jupons, ivrogne, stupide, lâche, le soudard revenu à la vie civile appartient ainsi à un type populaire présent dans la 53 majorité des pièces comiques. Rien que par l’évocation de son nom, il est ridicule avant d’entrer en scène : joueur, glouton, buveur, séducteur à la sexualité débridée, grossier et brutal, il est souvent entouré de courtisans et de parasites. Cependant, il faut se méfier des caricatures qui, par définition, sont loin de représenter la réalité, celle du mercenaire plus lancé dans le métier des armes par l’infortune que par l’envie d’aventures et de ripailles. Abordons le problème du « danger mercenaire » et de la « grande peur » qu’il provoque, justifié par des cas précis tel celui de Cléarque d’Hèraclée, un chef mercenaire qui prend le pouvoir dans sa cité natale en 363-362 avant J.-C.. Au IVe siècle, les mercenaires étant répandus partout dans le bassin méditerranéen, la hantise de l’ennemi omniprésent se développe ainsi que celle de la trahison. Les mercenaires représentent une force politique de pression, ils sont plus perçus par les populations des cités comme des étrangers et non comme des militaires de carrière ; de par les rumeurs qui les entourent, notamment au niveau de leurs mœurs, ils s’opposent à la vie civile. Leur mauvaise réputation n’est pas sans fondement : ainsi en 413 avant J.-C., une expédition athénienne en Sicile composée de 1 300 peltastes thraces arrive trop tard et en retournant chez elle, massacre la bourgade de Mykalessos en Béotie. Vers 395 avant J.-C., les mercenaires au service de la Perse se révoltent à Chypre en raison du manque de vivres (les navires marchands étant inabordables, car défendus par la flotte chypriote), ils tuent quelques-uns de leurs chefs et remplissent le camp de « trouble et de stasis », si bien que c’est la flotte perse qui doit intervenir pour assurer le ravitaillement36. En 342 avant J.-C., devant la menace de Philippe II quant aux clérouquies de Chersonèse, Athènes envoie Diopeithès à la tête d’une troupe de mercenaires mais rapidement les fonds manquent pour payer leurs soldes, poussant ces derniers à se livrer à des actes de piraterie matérialisés par un péage sur l’Hellespont et un rançonnement systématique des navires de commerce, y compris ceux des cités alliées d’Athènes. En 302 avant J.-C., 2 000 mercenaires autariates sur les 5 000 hommes de l’armée de Lysimaque se rebellent et passent à l’ennemi par dépit de ne pas avoir été payé : aussi lorsque ce dernier remporte la victoire sur Antigone, il leur tend une embuscade et les fait exécuter. Agathocle fait massacrer en masse pas moins de 2 000 mercenaires ligures et étrusques qui ont réclamé leurs soldes à son fils de manière séditieuse37. Dans son panégyrique, l’orateur athénien Isocrate désigne comme les principaux maux de la Grèce les guerres intestines des cités, les désaccords constants entre citoyens, les troubles et les révoltes dans les poléis (tarachaï, staseis, métabolaï). La cause de tous ces malheurs est selon Isocrate la pauvreté et pour y remédier, il propose la reprise de l’extension coloniale et ainsi de transporter la guerre en Asie et les richesses de cette dernière en Europe ; car « la guerre sera pour tous une source d’enrichissement et fera régner la concorde parmi les citoyens » (Isocrate, Panégyrique, IV, 116 ; 173 ; 183 ; 187). En revanche, dans la conduite de la guerre, l’orateur 54 semble peu enclin à l’usage de mercenaires ; ainsi dans sa lettre au roi Archidamos (Lettre IX, 20), il s’en prend violemment aux mercenaires lorsqu’il dit : « S’ils entrent dans quelque ville grecque, ils la détruisent, tuant les uns, exilant les autres, pillant la fortune des autres ; et en outre ils outragent les enfants et les femmes, font violence aux plus jolies et arrachent aux autres ce qu’elles portent sur elles… ». Il les assimile au pire fléau de l’humanité en s’appuyant sur des exemples précis où des cités voient leurs propres troupes se retourner contre elles ou contre leurs alliés et les rançonner sans vergogne, tel le cas de Diopeithès cité plus haut. Pour enrayer « la plaie du mercenariat », l’orateur athénien préconise de donner aux mercenaires des terres prises sur l’Empire Perse. Les mercenaires sont, toujours d’après Isocrate (VIII, 44) « les uns des hommes sans patrie, les autres des déserteurs, les autres des gens qui se sont réunis après toutes sortes de crimes » et qui marcheront contre leurs employeurs athéniens si on leur donne une solde plus forte ; ce sont les « ennemis communs de toute l’humanité » (VIII, 46). Pour lui, l’engagement des mercenaires présentait auparavant de grandes difficultés, alors que maintenant on peut en recruter sans délai et en quantité nécessaire ; il est plus facile de recruter parmi les errants qu’autrefois dans les villes et il existe désormais des contingents de mercenaires tout formés qui, au cours de longues années de service, sont maintes fois passés d’un employeur à un autre alors qu’au Ve siècle avant J.-C. il faut s’adresser à ceux qui vivent dans leur propre ville38. Diodore n’est pas en reste lorsqu’il qualifie les mercenaires grecs de « traîtres à leurs terres natales » eux qui s’engagent au service de Philippe II après 357-356 avant J.-C. et la prise par celuici du Mont Pangée et de ses mines. Quant à Démosthène, il n’a de cesse de réclamer que l’on revienne à l’ancienne formule dans laquelle les citoyens font campagne eux-mêmes, pour que l’armée soit « celle de la cité » (Première Philippique, 19) et que les actes de pillage des mercenaires déprécient l’exemple de la fonction guerrière. Cette dernière justement même si elle est dangereuse, voire invalidante, est moins mortelle que ce que l’on pourrait penser ; ainsi de récentes études mettent en évidence l’impact démographique limité des guerres. B) GUERRE, MORTALITE ET DEMOGRAPHIE D’après l’étude de J.-N. Corvisier39 lorsque la mort, qu’elle soit directe ou indirecte est due au javelot, c’est à la suite, non pas d’un seul coup, mais, le plus souvent, de blessures répétées, à moins évidemment qu’il soit utilisé de manière non spécifique, non comme arme de jet mais comme pique tenue à deux mains, ou qu’il ne s’applique à des soldats peu protégés, ou lors d’une retraite, 55 lorsque rien n’indique que les hoplites sont revêtus de leur arme. Lorsque le javelot pénètre profondément dans la poitrine, à travers la cuirasse, c’est que celle-ci a déjà été abîmée par plusieurs autres traits, comme dans le cas de la mort d’Epaminondas40. La flèche, elle, n’est mortelle que quand, décochée avec force, elle brise la cuirasse, ce qui le plus souvent se produit avec des flèches spéciales. Dans les autres cas, elle ne blesse grièvement que des soldats peu protégés. La lance a toujours été utilisée dans le combat hoplitique. Mais il s’agit en fait d’une lance courte, qui a pour but non d’obtenir un choc considérable, ce que permet plus tard la sarisse et à plus forte raison la lance des charges à cheval des hétairoi. Son rôle est bien plutôt, lors de l’arrivée brutale au contact, d’espérer renverser l’adversaire ou de l’atteindre au défaut de la cuirasse. L’épée a toujours été utilisée, mais pour le corps à corps. Leur rôle est de tuer ou tout au moins de mettre définitivement hors de combat le soldat adverse. Le rôle du javelot, de la flèche ou de la fronde paraît avoir été autre. Ils servaient soit, par la formation, en quelque sorte, d’un « rideau de fer », à empêcher l’ennemi d’avancer voire à le choquer durablement dans le cas de la catapulte, soit à créer chez lui de ces paniques que les auteurs mentionnent si souvent à partir du IVe siècle avant J.-C.. Ainsi, la mortalité directe ou indirecte atteint 42% à 45%de l’ensemble des blessures. Au terme de cette étude encore inachevée, il est bien difficile de risquer des conclusions générales ; cependant deux méritent d'être dégagées : - La première est que, dans une civilisation marquée par la guerre, la ponction qu'elle représente sur la démographie est moins importante qu'on ne pourrait le croire, du moins au niveau général. Le poids d'un conflit peut cependant, au niveau particulier avoir été lourd pour certaines Cités dont le nombre de citoyens était réduit, Sparte notamment. Le poids psychologique des pertes peut donc avoir excédé la simple ponction démographique. - La seconde conclusion est qu'il faut prendre le fait guerrier dans la durée. La guerre est pour nous un fait ponctuel et anormal. Au IVe siècle avant J.-C., elle est alors un fait durable et pour qu'elle soit supportable, il faut qu'elle ne bouleverse pas trop les équilibres démographiques. Il semblerait que ce soit le cas, les déficits des naissances n'étant guère supérieurs à ceux qu'on peut attendre de la simple mortalité. Dans ces conditions, lorsque V.D.Hanson insiste sur la sauvagerie du combat hoplitique, il a sans doute raison quant au vécu de celui-ci. C) LES CONSEQUENCES SOCIALES DU MERCENARIAT 56 L’essor du mercenariat est aussi lié au refus de combattre de plus en plus manifesté par les citoyens et attesté par Démosthène, ce qui est un signe d’indifférence générale à leurs devoirs de citoyens ; sans qu’on puisse savoir lequel de ces deux phénomènes est la cause/conséquence de l’autre. En accord avec L.M.Marinovic, C.Mossé dans La fin de la démocratie athénienne affirme lui que le citoyen prend de plus en plus l’habitude de se faire défendre par d’autres que lui et que la guerre, privilège autrefois de l’aristocratie, devient un métier ; dès lors il renonce à ce qu’il a toujours considéré comme le symbole même de son autorité, à savoir le port des armes. Dans son discours Sur la paix, Isocrate (VII, 54) écrit que les Athéniens d’autrefois embarquaient des mercenaires et des esclaves comme rameurs sur leurs trières et envoyaient en expédition les citoyens en armes : désormais, ce sont au contraire des mercenaires qui combattent comme hoplites et les citoyens que l’on force à tirer la rame ; cette remarque semble étayer la thèse de la désaffection croissante des citoyens pour le service militaire. Selon Aristote, les pauvres ne s’intéressent pas à la guerre si on ne leur assure pas de quoi subsister, tandis que les riches affirme Xénophon, sont prêts à payer pour ne pas servir41. La polis, qui est une organisation au service de l’ensemble des citoyens, se transforme progressivement en une organisation de défense des intérêts des couches supérieures. Une autre conséquence du développement du phénomène mercenaire est liée à l’interdépendance entre le mercenariat et la structure esclavagiste de la société grecque qui prend de multiples formes. Les campagnes militaires favorisent la transformation en esclaves de grandes masses d’hommes libres, si bien que le développement de l’esclavage dans la Grèce du IVe siècle avant J.-C. s’est apparemment accéléré en partie à cause du mercenariat, dans la mesure où les mercenaires font tout leur possible pour vendre le maximum de prisonniers. Pourtant, ils se trouvent eux aussi constamment menacés d’être réduits à l’esclavage, ce à quoi les exposent presque automatiquement la défaite et la capture. A l’inverse, des esclaves affranchis par le tyran, Denys l’Ancien de Syracuse, se transformèrent en mercenaires et c’est aussi le mercenariat qui dispense Sparte de recourir à l’aide massive des Hilotes dont la multitude, une fois rassemblée et armée, effraie les Spartiates42. Une conséquence indirecte de la montée du mercenariat, qui a peu à peu fait perdre aux cités grecs le contrôle de la fonction militaire, est la réforme de l’éphèbie athénienne par Lycurgue en 336-335 avant J.-C., dès lors tous les jeunes doivent faire deux ans comme éphèbe du moment où ils sont inscrits sur les listes des dèmes, entre 16 et 18 ans âge de l’ébé (la puberté légale). Ensuite, sous le commandement de stratèges, ils s’installent dans les deux forteresses de Mounychia et de l’Actè au Pirée, où ils restaient en garnison pendant un an, payés quatre oboles par jour comme indemnité de nourriture. Là, des maîtres d’armes leur apprennent « …à combattre comme hoplites, 57 à tirer à l’arc, à lancer le javelot, à manœuvrer la catapulte » (Aristote, Politique, 42, 3). Puis la seconde année, les éphèbes reçoivent un bouclier rond et une lance, sont astreints à des marches militaires à travers le pays et tiennent garnison dans les forts a la frontière nord de l’Attique. Ce souci de reconstitution et de professionnalisation de l’armée civique s’accompagne également d’une formation civique plus poussée qu’auparavant ; ainsi les jeunes soldats prêtent serment d’obéissance aux magistrats et affirment ainsi leur respect quant à la loi et à leur patrie. De nouveaux fonctionnaires sont chargés de s’en occuper, c’est le kosmètès (préfet) aidé dans sa tâche par un bureau de 50 phronistaï (censeurs) élus au moyen d’une double procédure, c’est-à-dire que leur élection se fait elle-même à partir d’une liste d’élus. Notons que dans les inscriptions certains éphèbes sont qualifiés de « lochages » et C.Pélékidis43 suppose qu’ils n’ont aucune autorité sur leurs camarades mais qu’ils sont placés à la tête des auxiliaires mercenaires qui forment les patrouilles avec les éphèbes. Tout cela coûte cher à la cité athénienne, l’entraînement des éphèbes et d’une cavalerie de 1 000 hommes nécessite un budget de 257 talents/an (rien que le montant du fourrage pour les chevaux s’élève à 40 talents/an) sans parler de l’entretien d’une flotte de 360 trières, de 50 tétrères et de 7 pentères (chiffres de 325-324 avant J.-C.). A titre d’exemple, en 350 avant J.-C., Démosthène propose un décret portant sur la constitution d’une armée permanente de 10 trières, de 2 000 hoplites et de 200 cavaliers, et qui est rejetée alors que le coût d’une telle armée ne s’élève « qu’à » 92 talents/an, dont 40 talents rien que pour l’entretien des trières. Le service militaire devenant par ailleurs un métier, les stratèges ne sont plus élus à raison d’un par tribu, mais sur l’ensemble des citoyens, en fonction même de leur compétence. _____________________________________________ NOTES DE LA SECONDE PARTIE 1 Xénophon, Les Helléniques, IV, 2, 14-23 ; IV, 3, 15-23. 2 Thucydide, La guerre du Péloponnèse, V, 72, 3-4 et Xénophon, Les Helléniques, VI, 4, 14. 3 Xénophon, Les Helléniques, II, 5, 3. 58 4 Cf. P.Baker in P. Brun, Questions d’Histoire : Guerres et Sociétés dans les mondes grecs,1999. 5 Cf. J.K.Anderson Military theory and Practice in the Age of Xenephon, 1970, p.120-129131. 6 Polyen, III, 9, 4 ; 21 ; 31 ; 32 ; 34 et 35. 7 Xénophon, Les Helléniques, IV, 8, 34-39. 8 Xénophon, Les Helléniques, IV, 3, 15-19. 9 Xénophon, Les Helléniques, VII, 5, 23, 26-27. 10 Polyen, Stratagème, IV, 2, 10. 11 Cf. J.G.P.Best, Thracian Peltasts and their Influence on Greek Warfare, 1969, p.139-140. 12 Cf. G.T.Griffith, The mercenaries of the Hellenistic World, 1935, p. 428-438. 13 Diodore, XVI, 2, 3. 14 Cf. G.T.Griffith, ibid, p . 419-420 15 Diodore, XVIII, 40, 7 et XIX, 27-31. 16 Xénophon, Anabase, I, 4, 13 et I, 7, 7. 17 Xénophon, Les Helléniques, IV, 2, 6. 18 Xénophon, Les Helléniques, VI, 1, 6. 19 Polyen., III, 9, 35. 20 Polyen., III, 9, 59. 21 Démosthène, XVIII, 22 ; XXIII, 198. 22 Polyen., III, 9, 59. 23 Cf. W.K.Pritchett, 1974, p.64-68, 73-76 ; L.M.Marinovic, 1988, p.106-117 et Y.Garlan, 1989, p.150-153. 24 Diodore, XVI, 62, 4; 63, 1-2; 88, 3. 25 Démosthène, XXIII, 149. 26 Diodore, XVI, 22, 1. 27 Eschine, II, 71. 28 Plutarque, Vie de Phocion, 7. NOTES DE LA SECONDE PARTIE (Suite) 29 Diodore, XV, 72, 2 ; Plutarque, Pélopidas, 25, 2. 30 Aristote, Politique, 54, 2. 31 Xénophon, Les Helléniques, VI, 2, 13 et Diodore, XVI, 21, 4. 59 32 Diodore, XV, 29, 2 et 4. 33 Polyen ., III, 9, 51. 34 Diodore, XIV, 8, 3. 35 Xènophon, Anabase, I, 3, 21. 36 Diodore, XV, 3, 1-3. 37 Diodore, XXI, 3, 1. 38 Isocrate, Panégyrique, V, 96. 39 Cf. Guerre et démographie en Grèce à la période classique in Pallas 51, Guerres et sociétés dans les mondes grecs à l’époque classique, 1999. 40 Diodore, XV, 86-87. 41 Aristote, Politique, IV, 10, 9 et Xénophon, Les Helléniques, III, 4, 15. 42 Xénophon, Les Helléniques, VI, 5, 28. 43 in Histoire de l’éphébie attique : des origines à 31 avant J.-C., 1962, p.172. _____________________________________________ TROISIEME PARTIE : LES MERCENAIRES ET LA VIE POLITIQUE DES CITES I. LE MERCENARIAT EN GRECE CONTINENTALE 60 A) L’ARMEE MERCENAIRE ET LA POLIS En règle générale, le mercenaire est moins perçu comme un étranger que comme un militaire de carrière avec ses caractéristiques et ses travers professionnels. Pour réussir leur intégration dans une cité, qu’ils y soient garnisaires ou définitivement installés, ils disposent d’un atout important par rapport aux petites armées citoyennes : leur puissance, fondée sur leur technique militaire individuelle et sur l’esprit de corps qu’ils ont hérité de leur communauté d’origine ou qui s’est forgée à l’intérieur des bandes, au fil des compagnes. Pour ceux d’entre eux qui parviennent à regagner leur cité d’origine au terme de leur carrière mercenaire, trois solutions s’offrent à eux : - la première est de se faire admettre dans une cité existante soit pour services exceptionnels, soit pour pallier un manque d’hommes. C’est surtout le fait des cités coloniales qui ressentent le besoin de colons supplémentaires pour résister aux populations indigènes ou aux cités voisines. Cependant, il faut remarquer la nette préférence accordée aux étrangers « familiers » dont l’assimilation sera plus facile surtout s’ils sont originaires de la même métropole. - La seconde solution est de se rendre maître d’une cité et d’y imposer sa loi après en avoir chassé ou non les détenteurs légitimes, mais un tel procédé, conforme dans son principe aux droits de la guerre, présente cependant l’inconvénient de sentir la tyrannie et d’être l’objet d’une réprobation générale. - La troisième et dernière possibilité est de fonder soi-même une cité nouvelle, ce qui est surtout possible à la périphérie du monde grec là où il reste des terres vacantes que l’on peut exploiter en réduisant les indigènes du voisinage à la servitude. En 383-382 avant J.-C., un Egyptien du nom de Tachos au service du Grand Roi, après s’être révolté contre lui, « réunit une armée et fonda près de la mer, sur une hauteur abrupte, une cité du nom de Leukè » (Diodore, XIV, 18). Citons aussi le cas d’Alexandre laissant bon nombres de mercenaires dans les huit ou douze cités qu’il crée en Sogdiane et en Bactriane entre 329 et 323 avant J.-C. Il serait faux de considérer les mercenaires grecs uniquement comme des asociaux entraînés sur les chemins de l’aventure par leur tempérament, soit comme des déracinés chassés de leur patrie par la guerre civile ou la misère avec le seul souci de s’enrichir individuellement, sans la moindre préoccupation politique. En effet, pour mettre fin à leurs errances, et à la précarité de leur condition, ils aspirent (quand ils n’ont pas l’intention ou la possibilité de retourner chez eux) de s’établir en 61 quelque lieu et d’y obtenir des moyens de vivre réguliers, notamment une propriété foncière, et si possible dans un cadre civique. Ils veulent être reconnus ou se faire reconnaître comme membres d’une communauté existante et nouvelle, de détenir à ce titre un certain pouvoir et de jouir de certains droits assurant leur avenir matériel ; et pour y parvenir, ils ne sont pas très regardants quant à la nature du régime politique1. Dans l’Anabase de Xénophon, il est fréquent que les généraux grecs recrutés par Cyrus tiennent des « assemblées » de soldats afin d’expliquer les buts de l’expédition comme le ferait un stratège d’une cité démocratique. Ainsi, après l’assassinat de leurs généraux, les mercenaires de l’Anabase élisent leurs stratèges et délibèrent en assemblées, bref ils se comportent comme « une république voyageuse ». Au IVe siècle avant J.-C., au sein de l’armée mercenaire, s’affirme la prééminence du pouvoir monarchique sur la démocratie car les chefs de bande ont sous leurs ordres des hommes dévoués qui reconnaissent en eux supériorité du commandement, le fait qu’il soit les « favoris de la fortune » (Xénophon., Anabase, II, 2, 5). En 370 avant J.-C. à Argos, lors de la seconde tentative de révolution contre le peuple, les riches oligarques enrôlent et introduisent dans la cité des mercenaires, mais le complot échoue suite à une traîtrise révélant leurs plans. Autre exemple qui nous est uniquement connu par Enée le Tacticien et dont la date demeure inconnue, concerne la prise de Clazomènes par Python, qui après avoir provoqué un embouteillage de chariots en travers d’une porte urbaine, lance ses mercenaires qui prêtent main-forte à ses propres partisans à l’assaut de la ville2. Parallèlement, il existe un lien entre l’appauvrissement et le pillage, l’essor du mercenariat et les projets de colonisation. Déjà parmi les mercenaires de Cyrus, il y en a qui veulent s’établir en Asie Mineure ; c’est sur eux que compte Xénophon. Certains sont allés au-delà des projets en concrétisant leurs rêves, en Thrace le chef mercenaire Athènodoros est un fondateur de cités3. En Sicile, les mercenaires s’installent dans des villes que Denys leur remet pour élargir sa base sociale ; ils reçoivent la ville et le territoire de Léontinoï4 alors que les plus fidèles sont établis à Tauroménion5. A la demande de Timoléon, pas moins de 10 000 personnes y compris des proscrits syracusains viennent de Grèce et s’installent dans les régions dépeuplées par de nombreuses années de guerre et par la tyrannie syracusaine6. Isocrate dans son Archidamos (76) propose à ses concitoyens de se transformer en une armée permanente, libre de toutes entraves constitutionnelles, de tous liens avec un territoire ou la terre du combat serait la patrie ; d’où une patrie mouvante au gré des déplacements de l’armée ; c’est le projet d’une cité-armée mobile. Avec la hausse de l’autonomie des condottières et l’éloignement de plus en plus prolongé de la vie civique, l’armée tant à devenir un corps politique en elle-même différent de la communauté civique de sa cité d’origine. Les mercenaires tendent à 62 acquérir des droits dans les cités qui les emploient voire même dans les cités conquises ; ainsi Aspendos en 310-306 avant J.-C. puis en 301-298 avant J.-C. vend son droit de cité à des chefs mercenaires (Pamphyliens, Lyciens, Crétois, Grecs et Pisidiens) et à leurs troupes « pour services rendus au roi et à la polis », et il est probable que la cité leur offre quelques lopins de terres. Plus tardif, en 283-282 avant J.-C. à Athènes, l’officier mercenaire Strombichos qui s’est battu contre Antigone Gonatas reçoit lui aussi le droit de cité7. Dans l’armée mercenaire, en tant que forme « politique », particulière d’organisation, le pouvoir appartient à l’assemblée des soldats tandis que les stratèges tiennent lieu de magistrats supérieurs et que le personnel intermédiaire de commandement, organe de liaison, représente en quelque sorte la Boulè. En poussant plus loin la comparaison, si les mercenaires grecs sont l’équivalents des citoyens de plein droit, alors le train, peuplé d’artisans, de marchands, etc… correspond à la fraction de rang inférieur de la polis, dont les biens publics appartiennent à l’armée tout entière. La polis, qui est pratiquement la seule forme d’organisation sociale imaginée par les Grecs de l’époque classique, ne peut qu’exercer une certaine influence sur l’organisation de l’armée. A titre d’exemple, Timothée fait frapper des monnaies de cuivre et les met en circulation sous sa propre autorité à la place des monnaies d’argent, dans une sphère d’activité limitée à son armée, prenant ainsi la place des autorités d’une cité ou d’un tyran. L’émancipation des chefs mercenaires par rapport à la polis et leur rôle déterminant dans le paiement des soldats créent des conditions propices à l’apparition d’une nouvelle forme de dépendance des soldats vis à vis de leurs chefs appelée philia. Elle revêt l’apparence d’un accord « librement » conclu entre deux parties théoriquement égales dont l’une promet sa protection et l’autre ses services et sa fidélité, la philia apparaît donc comme un moyen de se procurer un certain appui pour celui qui a rompu tout contact avec sa communauté civique et qui vit hors du cadre de la cité. Une autre conséquence du mercenariat concerne le fait que des fractions importantes de citoyens grecs se retrouvent coupés de la vie civique et assujettis à de tout autres conditions d’existence pour une durée plus où moins longue ; il en résulte inévitablement d’importantes transformations idéologiques. Ainsi, se crée une idéologie nouvelle qui anticipe dans une certaine mesure sur celle de l’époque hellénistique : prise de conscience de l’existence d’une communauté grecque, individualisme, rupture avec les représentations religieuses de la polis, et certitude de pouvoir vivre hors du cadre civique. En définitive, le lien entre les concepts de « citoyen » et de « soldat », c’est-à-dire entre la polis et l’armée, se trouve rompu au IVe siècle avant J.-C., et s’il est vrai qu’auparavant l’armée peut apparaître comme une cité, cette analogie cesse désormais d’exister, l’armée se juxtaposant et parfois s’opposant à la polis jusqu’à la menacer directement. Aux yeux des grecs, l’armée est 63 maintenant une force politique plus ou moins autonome, « indépendante de tout régime constitutionnel organisé » (Isocrate, VI, 76) et, à certains égards, équivalente à la polis. Ainsi, le mercenariat, qui est né du développement de la polis, des luttes sociales et des guerres, les nourrit en retour (cf. L.M.Marinovic). B) LES MERCENAIRES A ATHENES ET EN THESSALIE La campagne de 378 avant J.-C. compte beaucoup dans le développement du mercenariat quand Athènes venant en aide aux Thébains, dirige contre Agésilas 5 000 fantassins et 200 cavaliers sous le commandement de Chabrias8 qui obtient alors l’un de ses plus grands succès car devant la discipline des soldats adverses, Agésilas se retire9. En 374 avant J.-C., 600 peltastes commandés par Ctèsiclès sont dirigés sur Corcyre où ils passent sous le commandement d’Iphicrate déjà à la tête d’ « hoplites des vaisseaux » amenés par ses soins ainsi que des peltastes (Xénophon, Les Helléniques, VI, 2,10 ; 37). Avec cette armée, le stratège athénien se porte en Acarnanie et en 369 avant J. - C. des peltastes participent apparemment à la campagne de la milice athénienne contre les Thébains10. En 369-368 avant J.-C., des mercenaires commandés par Chabrias prennent part aux côtés des Athéniens et des Corinthiens à la campagne coupant la route aux Argiens qui font irruption dans la région d’Epidaure11. Pour soutenir Argéios, l’adversaire de Philippe, Athènes en 358 avant J.-C. envoie 3 000 hoplites mercenaires12 ; c’est le premier cas de location connue par Athènes d’un contingent aussi important d’hoplites, ce qui prouve qu’en dépit de la multiplication des peltastes on est loin d’avoir cessé d’engager des hoplites. Seul un grand danger pousse les citoyens, habitués à la location de soldats professionnels, à prendre les armes : ainsi, en 352 avant J.-C., effrayés par les succès des Macédoniens en Thessalie, les Athéniens se dirigent eux-même vers les Thermopyles et empêchent leur irruption en Phocide13. Deux armées envoyées en 349 avant J.-C. au secours d’Olynthe, représentent la grande force mercenaire utilisée par Athènes contre la Macédoine : la première composée de 2 000 peltastes avec à sa tête Charès, tandis que la seconde , forte de 4 000 peltastes, est commandée par Charidèmos. En 343 avant J.-C., des clérouques emmenés par Diopeithès se rendent en Chersonèse de Thrace. L’hostilité de la cité de Cardia les force à prendre les armes et à embaucher un contingent de mercenaires qui les aide à dévaster non seulement plusieurs fois le territoire de la cité, mais aussi à faire irruption dans le royaume de Macédoine ; agissant ainsi à leurs risques et périls, sans recevoir visiblement d’Athènes ni soutien ni argent ; c’est pourquoi Diopeithès dû rançonner les 64 vaisseaux franchissant le détroit de l’Hellespont. Athènes, en outre, utilise en outre des mercenaires pour le service de garnison dans les villes éloignées, pratiques adoptées au moins depuis la guerre des Alliés. Il y avait par exemple des garnisons à Andros, à Amorgos, à Erétrie et dans plusieurs endroits de Thrace d’où Philippe les chasse en 346 avant J.-C.14 Notons qu’il existe de grandes difficultés dans l’étude du rôle des mercenaires dans la flotte athénienne : comment déterminer leur part dans la composition des équipages ? Les rameurs, les matelots et les épibates ne sont pas expressément qualifiés de mercenaires dans nos sources, mais quelques textes permettent de considérer certains d’entre eux comme tels également à cette époque. Timothée, nommé stratège des navires et que l’assemblée du peuple décide d’envoyer au secours de Corcyre assiégé, ne réussit pas à recruter dans sa patrie des équipages (pour 60 vaisseaux) et il se met à croiser entre les îles en essayant d’équiper sa flotte15. En Thessalie, en 375 avant J.-C., Jason a obtenu des succès décisifs sur les cités rivales de Phères, grâce à une armée de mercenaires (environ 6 000). Le tyran vante la valeur de ses troupes qui, si elles ne sont pas supérieures en nombre à celles que peuvent réunir d’autres cités, l’emportent par la qualité. Les armées civiques présentent des défauts car « elles comprennent des gens déjà avancés en âge, d’autres qui n’ont pas encore leur plein développement ». Les mercenaires ne sont pas recrutés par classes d’âge, mais selon leur valeur au combat ; ils subissent un entraînement intensif au gymnase, et ils sont renvoyés s’ils ne donnent pas satisfaction ; en revanche, s’ils se montrent valeureux, ils sont récompensés par des soldes d’un montant qui peut aller du double jusqu’au quadruple de la rémunération de base, sans compter comme le rapporte Xénophon : « les soins en cas de maladie et les honneurs rendus à leurs funérailles ». Connaissant la rapacité de Jason à l’égard de sa propre famille, il semblerait qu’il utilisait sa fortune personnelle et celle de ses proches pour couvrir la dépense occasionnée par les mercenaires ; mais il devait aussi disposer des revenus de la cité de Phères et des contributions qu’il pouvait lever sur les cités alliées. A une drachme par tête, il lui faut débourser un talent par jour pour payer les soldes d’où les soupçons pesant sur lui d’avoir voulu utiliser le trésor de Delphes pour satisfaire ses besoins, à l’image des Phocidiens lors de la troisième Guerre Sacrée. A côté des hoplites issus du recrutement national (12 160 plus 6 080 cavaliers), la Thessalie fait payer tribut depuis la fin du VIe siècle avant J.-C. un certain nombre de peuples voisins tels les Achéens, Phthiotes, les Dolopes, les Magnètes, les Perrhèbes auxquels il faut ajouter les Ainianes et les Maliens. Ces peuples représentés à l’amphictyonie de Delphes assurent la prépondérance de la Thessalie et fournissent une force non négligeable à l’armée thessalienne ; les troupes légères auraient constitué la moitié de la levée thessalienne soit 5 120 hommes avant l’arrivée de Jason. 65 C) LES MERCENAIRES A SPARTE ET A THEBES Au IVe siècle avant J.-C., Sparte, Athènes et Syracuse représentent l’application pratique des trois types fondamentaux de politeia : le gouvernement du petit nombre, le gouvernement du peuple et le gouvernement d’un seul, trois différents régimes qui ont eu recours à l’emploi de mercenaires dans la conduite de leurs guerres. A notre époque, même une cité comme Sparte, qui cultive à outrance l'idéologie du combat hoplitique et civique, a admis que la guerre lointaine impose des adaptations : création des Néodamodes, des hilotes affranchis pour la guerre, et présence d'une toute petite poignée de Spartiates dans les campagnes asiatiques. Ainsi de Sparte, on peut noter la faiblesse du nombre de mercenaires qu’elle fournit et ce jusqu’à la fin du IVe siècle avant J.-C. ; l’usage du choix pour qui verser son sang n’y est pas développé d’autant plus qu’il y a de gros problèmes d’oliganthropie ; en revanche la réputation de ses généraux n’est plus à faire depuis Brasidas. En 315 avant J.-C., un stratège dépêché par Antigone enrôle 8 000 hommes après l’autorisation de Sparte d’exercer sa tâche de recruteur16 et lui donne le droit de s’approvisionner au grand marché de mercenaires, le Ténare. En revanche, la cité lacédémonienne recrute des mercenaires ; dans la guerre l’opposant à la Perse, les mercenaires, environ 12 000 hommes, constituent plus de la moitié des forces spartiates et outre ces mercenaires, ces dernières comprennent 1 000 Néodamodes, environ 4 000 Péloponnésiens et 2 000 soldats provenant des villes grecques d’Asie17. Il arrive aussi que de lointains alliés leur fournissent des mercenaires : 2 000 leur sont procurés par Denys en 369 et 368 avant J.-C., 2 000 autres par le satrape Ariobarzanès. Mais ceci n’a qu’un temps, aussi, dans un Congrès de la Ligue péloponnésienne en 382 avant J.-C., « on proposa aussi d'autoriser toute cité qui le voudrait, à verser de l'argent plutôt que de fournir des soldats, à raison de 3 oboles éginétiques par homme » (Xénophon, Les Helléniques, V, 2, 21). Mais les Spartiates ne savaient pas toujours maîtriser la façon dont traiter les mercenaires : un Thibron doit être destitué à cause des dommages causés aux alliés par ses troupes en Asie mineure, et un Mnasippos, à Corcyre en 372 avant J.-C. se heurte à l'insubordination car il garde la solde de ses hommes et ne parvient plus à les contrôler : la défaite s'ensuivra18. L’usage que Sparte fait des mercenaires marque l’apparition en la matière d’une conception nouvelle selon laquelle c’est la guerre elle-même qui doit servir au financement des forces mercenaires. Pour maintenir ces derniers dans l’obéissance, le moyen le plus sûr est de payer leur solde en tant voulu mais les chefs étaient bien loin de disposer toujours des sommes nécessaires, ce qui ouvre un vaste champ d’application à leur ingéniosité, à leurs talents de diplomates, à leur connaissance de la psychologie du soldat et tout particulièrement du mercenaire. 66 L’attitude du navarque spartiate Téleutias est exemplaire ; se présentant sans argent devant les marins qui se sont mutinés pour protester contre le non-paiement de leur solde, il leur tient un discours dans lequel il déclare qu’étant démuni d’argent, les soldats doivent faire preuve de vaillance, seul moyen d’apporter victoire, gloire, richesse et indépendance. Après s’être emparé de bateaux sur les côtes de l’Attique et avoir vendu le butin à Egine, il verse sa solde à l’armée avec même une avance d’un mois. Par la suite, s’étant livré à des incursions en Attique, il parvient à compléter l’équipage de ses navires et à obtenir de ses soldats une parfaite et prompte obéissance19. Agésilas constitue une cavalerie nécessaire à la guerre contre les Perses, il oblige les plus riches habitants des villes voisines à fournir une monture et l’armement d’un cavalier, avec possibilité pour ceux qui le veulent de se faire représenter à l’armée par un remplaçant, solution très largement adoptée20. Ainsi, même dans une arme aussi aristocratique que la cavalerie, les mercenaires commencent donc peu à peu à supplanter les citoyens. J.G.P.Best, dans la victoire des peltastes à Léchaïon, modère la révolution tactique d’Iphicrate en rappelant qu’elle est identique à celle que les Etoliens ont utilisé pendant la guerre du Péloponnèse contre Démosthène et Démosthène lui-même contre les Spartiates à Sphactérie ; à cette différence près qu’à Léchaïon les hoplites n’ont pas à intervenir. Et c’est justement pour cela que les peltastes s’en sortent tout seuls, ce qui fait ressentir si durement le défaite aux Spartiates qui éprouvent une grande honte partagée, dans la mesure où leur réputation de soldats en souffre beaucoup. Dans les années 380-360 avant J.-C., les luttes sociales connaissent une brusque aggravation, après l’effondrement de l’hégémonie des Spartiates, les éléments démocratiques se dressent résolument contre les régimes oligarchiques qu’ils avaient imposés à de nombreuses cités. L’âpreté des luttes sociales entraîne l’augmentation du nombre des anciens citoyens qui cherchent dans le mercenariat un moyen de subsister. Sparte n’innove guère dans l’armement des peltastes ni dans leur utilisation tactique ; dans les années 380-360 avant J.-C., elle emploie des mercenaires à des fins variées pour de longues expéditions hors de ses frontières au titre de garnisaires ou comme force d’appoint à une armée composée de mercenaires et d’alliés. Sans énumérer tous les cas où Sparte a recours aux mercenaires, nous en citerons quelques-uns de typiques : en 382 avant J.-C. lors de la guerre contre la ligue chalcidienne, les peltastes loués pour Sparte par le roi Amyntas se trouvent sous le commandement de Téleutias qui, ignorant tout de ce genre d’armée, les envoie sous la direction de Tlémonidas contre un contingent de cavalerie, ce qui leur vaut d’essuyer une défaite après laquelle on n’entend plus parler d’eux durant la guerre d’Olynthe21. Leur participation aux campagnes de Béotie (379-376 avant J.-C.) est aussi dans l’ensemble un échec : ils auraient été anéanties en 378 67 avant J.-C. sans l’aide in extremis des hoplites, et ils sont encore battus en 376 avant J.-C. pendant la campagne de Cléombrotos en Béotie22. Durant l’hiver 370-369 avant J.-C., Sparte recrute des mercenaires pour assurer la garde de l’Isthme, mais ils sont défaits pat les Mantinéens près d’Orchomène. Cette défaite est caractéristique des façons de faire spartiates : les soldats s’avancent trop loin à la poursuite des ennemis et se privent du soutien rapide de leurs hoplites ; ils ne sont pas eux-mêmes formés pour résister seuls aux hoplites à l’inverse des peltastes athéniens. Perdant confiance en ses mercenaires, Sparte est contrainte de recourir aux Hilotes après avoir promis la liberté à qui prendrait les armes, mais une fois plus de 6 000 d’entre eux formés en une troupe organisée, les spartiates prennent peur23. En 379-378 avant J.-C., le roi Cléombrotos laisse à Thespies une garnison sous le commandement de Sphodrias après lui avoir donné de l’argent pour recruter des peltastes, ce qui une fois fait lui permet d’envahir l’Attique24. La garnison réduite aux seuls peltastes mercenaires, est battue à Thespies par les Thébains. Les mercenaires apparaissent également dans la cavalerie spartiate ; ainsi dans l’hipparque de Xénophon, on peut lire que la susdite cavalerie s’améliore à partir du moment où elle inclut des mercenaires25. L’histoire du mercenariat à cette époque témoigne du degré de développement atteint par le système même de louage. En 382 avant J.–C., pour sa préparation à la campagne d’Olynthe et la constitution d’une armée de 10 000 hommes, la ligue péloponnésienne prend la décision d’autoriser les alliés à remplacer la fourniture de soldats par des versements d’argent : de 3 oboles éginétiques par hoplite et de 12 par cavalier26. Un système semblable suppose un grand essor du mercenariat et postule l’existence d’un marché de mercenaires suffisamment développé, car si Sparte se résout à proposer une telle substitution, c’est parce qu’elle sait qu’elle trouvera sans peine assez de remplaçants au tarif habituel. Pour les alliés, ce système présente l’intérêt ou de remplacer le service des citoyens par celui des mercenaires ou s’ils fournissaient déjà auparavant des soldats professionnels, de les dispenser de procéder eux-mêmes à leur recrutement. Les alliés profitent largement de cette possibilité et en 378 avant J.–C. pour la campagne de Mnasippos à Corcyre, la majorité d’entre eux envoie de l’argent à la place de soldats d’où une armée composée, outre les Lacédémoniens, de 1 500 mercenaires27. Ces derniers, après avoir débarqué dans l’île, assiègent la ville et se mettent à piller la chora, ils dévastent les champs cultivés, détruisent les maisons, les caves à vin et s’emparent d’une grande quantité d’esclaves et de bétail. Cependant Mnasippos décide de retenir une partie de l’argent versé par les alliés pour la paie des mercenaires pensant que la famine naissante dans la ville, les citoyens se rendraient sans tarder. Il congédie donc une partie des mercenaires et paie les autres avec deux mois de retard bien qu’il ait l’argent en sa possession ; les mercenaires ne recevant plus de salaire perdent leur enthousiasme et désertent. Les assiégés en profitent alors pour attaquer les avant-postes ennemis, et quand Mnasippos veut se porter à leur 68 secours, il envoie au combat des mercenaires déprimés et dissimulant mal leur haine à son égard ; les alliés sont battus et quittent l’île dans la confusion28. Comme nous l’avons déjà vu, la tendance à entretenir les mercenaires sur le butin de guerre s’affirme au IVe avant J.–C. ; mais étant donné le déclin général de Sparte (visible à la fois dans l’affaiblissement de son potentiel militaire et dans ses défaites incessantes), ce mode de financement fait également de plus en plus difficulté ; et il est indéniable que la cité dépense les subsides de la ligue péloponnésienne pour entretenir ses mercenaires. C’est à cause de cela que le roi Archidamos est obligé de s’engager comme condottière au service de l’Egypte, afin d’obtenir de quoi entretenir les forces mercenaires nécessaires à sa patrie. Mais dans une certaine mesure, cette insuffisance de moyens est palliée par des emprunts et des cadeaux ; tel l’envoi de 2 000 mercenaires par Denys de Syracuse en 369 avant J.–C. avec cinq mois de salaire payé d’avance. L’année suivante, Sparte reçoit aussi une aide perse (issue du satrape de Phrygie Ariobarzanès) matérialisée par 2 000 soldats d’élite et l’argent nécessaire pour les payer. Les échecs des peltastes mercenaires de Sparte sont encore plus étonnants si on les compare avec les succès remporté par ceux d’Athènes ; cela témoigne du fait que Sparte n’a pas encore assimilé ce type d’armée. Ainsi les dirigeants lacédémoniens, rompus aux anciennes traditions, ne prennent pas suffisamment conscience des aspects positifs et négatifs des peltastes, de leurs exactes possibilités, de leur mode d’emploi en quelque sorte. Thèbes malgré son célèbre « Bataillon sacré » ne peut se passer complètement de mercenaires ; ainsi en 377 avant J.-C., la présence de peltastes mercenaires est attestée lors de l’irruption d’Agésilas en Béotie29. Sous le commandement de Pélopidas, les mercenaires se partagent la victoire de Cynoscéphales avec les cavaliers citoyens et ils participent à la bataille de Mantinée sur l’aile droite où la majorité d’entre eux périt30. On connaît très peu de choses sur l’utilisation de mercenaires par d’autres villes, mais on peut supposer que le louage de soldats est très répandu de par les mentions explicites qui en sont faites dans nos sources. Ainsi en 366 avant J.-C., lors du refroidissement de leurs relations avec Athènes, les Corinthiens se préoccupent beaucoup de la sauvegarde de leur indépendance et décident en conséquence de se constituer une infanterie et une cavalerie mercenaires31. Egalement en 378 avant J.-C., les cités de Klètor et Orchomène en état de guerre entretiennent des contingents de mercenaires et promettent à Agésilas de les mettre à sa disposition s’il en a besoin (tant que les hostilités ne sont pas engagées), le roi accordant même à l’avance aux soldats de Klètor un mois de salaire32. Le fait que des cités de second rang dans une Arcadie arriérée utilisent des mercenaires même en petit nombre, prouve que ceux-ci sont largement répandus ; une région qui avait été jusque là une source essentielle de mercenaires se met elle-même à en recruter. 69 Entre les stratèges et leurs principaux employeurs étrangers, s’établissent des relations personnelles très étroites, revêtant souvent un caractère familial : Timothée par exemple est l’ami du roi Amyntas de Macédoine qui lui fait cadeau de bois précieux , ainsi que du tyran thessalien Jason de Phères qui prend la peine de se rendre à Athènes pour plaider sa cause au cours de l’un de ses procès. Iphicrate épouse entre 390-380 avant J.-C., la fille ou la sœur du roi de Thrace Cotys. De la même façon, Charidèmos, devient le gendre de ce roi. Tout cela explique l’ambiguïté de ces stratèges-condottieri qui sont souvent de dedans parfois en dehors et quelquefois aussi sur les marges de la vie civique. D) MERCENARIAT ET GUERRES SACREES Le mercenariat connaît son plus grand développement au cours de la Troisième Guerre Sacrée. Philomènos en 356 avant J.-C. recrute des mercenaires dont un millier de peltastes phocidiens grâce notamment à une aide spartiate de 15 talents. Avec ses troupes, il prend Delphes où il massacre les opposants et confisque leurs biens alors qu’il exige des Delphiens « une somme d’argent suffisante pour le paiement des mercenaires » (Diodore, XVI, 24, 1-3 ; 28, 1-2). L’entrée en guerre de la Béotie et par la suite de l’amphictyonie force Philomélos à préparer une nouvelle armée : il mobilise d’autres citoyens et enrôle pour la seconde fois des mercenaires en augmentant les salaires de moitié afin d’attirer le plus de gens possibles, ce qui l’oblige à puiser dans le trésor sacré d’Apollon. L’abondance des moyens permet de constituer une armée phocidienne de 10 000 hommes33. Au printemps 355 avant J.-C., une partie des mercenaires phocidiens tombe aux mains des Thébains en Locride qui traitent sauvagement les prisonniers coupables de sacrilège pour avoir profané le trésor sacré. Cette justice expéditive suscite de vives représailles chez les autres mercenaires qui dans les jours suivants ravagent les environs en tuant tous les ennemis qu’ils rencontrent pour venger leurs camarades34. Onomarchos, successeur de Philomélos, procède à un nouveau recrutement de mercenaires et fait plus que réparer les pertes antérieures, ainsi son armée lors de sa dernière campagne en Thessalie, atteint l’effectif énorme de 20 000 fantassins (plus de 500 cavaliers) dont pas moins de 2 à 3 000 citoyens ; là encore, la solde est fournie par les offrandes du sanctuaire delphique35. Le frère d’Onomarchos (mort en 353 avant J.-C. en Thessalie) Phayllos le remplace et s’attache surtout à reconstituer son armée pour compenser les énormes pertes de la bataille livrée au Champ des Crocus (6 000 morts et 3 000 prisonniers) ; il recrute des mercenaires en leur offrant une double solde ce qui témoigne du rétrécissement du marché mercenaire sous l’effet des grosses pertes des années antérieures, mais aussi une volonté de rassembler au plus vite 70 de nouvelles troupes. Une fois Phayllos disparu, son fils Phalaïkos lui succède et les années suivantes ne sont qu’une suite de petites batailles et d’échauffourées. « Ayant des mercenaires en abondance, les Phocidiens pillaient le territoire (Sud-est Béotien) et dans leurs attaques et leurs engagements, se montraient supérieurs aux habitants de la région36. Cela constitue une forme de guerre dans laquelle excellent particulièrement les mercenaires qui ne sont pas tenus comme les citoyens par les travaux agricoles saisonniers et l’exploitation de leurs domaines. Phocide et Béotie s’épuisent mutuellement au cours de leurs affrontements et c’est l’intervention de Philippe, à l’appel des Béotiens, soutenu par ses alliés thessaliens, qui détermine l’issue de la guerre, devant la puissance macédonienne, Phalaïkos préfère se rendre après avoir obtenu pour lui et ses hommes le droit de s’en aller librement37. Ce dernier conserve un certain temps les mercenaires sous ses ordres et décide de partir avec quelques vaisseaux en Italie dans l’intention de s’emparer de quelques villes ou de louer les services des mercenaires qu’il a lui-même engagés. Ces mercenaires trompés par leur chef (qui leur fait croire qu’ils sont invités), lorsqu’ils se rendent compte de la supercherie, obligent les timoniers à faire demi-tour en direction du cap Malée où ils se louent à des recruteurs venant de Cnossos. Une grande partie des mercenaires qui ont préféré se séparer de Phalaïkos après sa reddition se loue à Timoléon et combat ensuite en Sicile ; ces mercenaires font partie du millier d’hommes qui effrayés par l’énormité de l’armée carthaginoise abandonnent lâchement leur général peu de temps avant la bataille du Crimisos38 ; alors que les autres poursuivent leur errance, combattent chez les Eléens jusqu’à leur mort ou leur réduction en esclavage. Dès les premières décennies du règne de Philippe, ses mercenaires s’illustrent par exemple lors de la prise de Pharkèdon en Thessalie39 et combattent en 353 avant J.-C. sous le commandement du Macédonien Adaïos surnommé le Coq, contre Charès qui remporte sur eux la victoire de Kypsela. En 340 avant J.-C., les membres de l’amphictyonie déclarent la guerre aux Locriens Amphissa (soutenue par Thèbes et Athènes) lançant le début de la IVe Guerre Sacrée (340-338 avant J.-C.) pour impiété, il est décidé que chaque ville fournisse un certain nombre de citoyens mais « les uns ne vinrent pas et les autres, qui étaient bienvenus, restèrent sans rien faire » (Démosthène, XVII, 151). Il n’y a plus qu’à engager des mercenaires ou à chercher de l’aide à l’extérieur. La deuxième solution est adoptée et une armée relativement énorme pour la Grèce est engagée comprenant 15 000 fantassins et 2 000 cavaliers en plus des citoyens40, ce qui par chaque ville représente une dépense totale (flotte comprise) de plus de 500 talents. Cette armée mercenaire agit séparément des citoyens car ces derniers ne sachant quelle route suivrait Philippe (qui prend fait et cause pour les amphictyons) décident de se charger eux-mêmes de la protection de leur territoire et envoient leurs mercenaires à Amphissa sous le commandement de Charès et du Thébain 71 Proxénos. Ils sont vaincus par les Macédoniens qui occupent le défilé menant à la cité ; alors que l’armée de citoyens est vaincue à la célèbre bataille de Chéronée en 338 avant J.-C. II. LE MERCENARIAT ET LA TYRANNIE A) LES MERCENAIRES COMME INSTIGATEURS DE LA TYRANNIE : EXEMPLES Il y a déjà eu auparavant en Grèce des mercenaires, mais c’est seulement au IVe siècle avant J.-C. que l’on peut parler d’eux comme d’un phénomène affectant la vie de la société ; ils deviennent alors une force avec laquelle on ne peut pas ne pas compter et qu’on peut utiliser pour réaliser ses propres projets, jusqu’à instaurer la tyrannie. Charidèmos s’empare de trois villes d’Eolide (Skepsis, Kébrèn et Ilion), alors que Charès se rend maître de Sigée et de Lampsaque ; et si le premier des deux stratèges perd rapidement ses possessions, le second règne sur les siennes pendant une vingtaine d’années. Le cas de Charidèmos est tout à fait curieux et original : tout en régnant sur les villes que nous avons citées, non seulement il reste citoyen d’Athènes, mais il agit aussi en tant que stratège athénien réunissant ainsi en lui des qualités très différentes et qui sembleraient incompatibles. Mais revenons un instant sur la tyrannie dont il est possible de distinguer quatre types : - un premier type proche de « l’ancienne », apparaît dans les régions grecs les plus arriérées et qui connaissent au IVe siècle avant J.-C. un essor rapide. Ses traits caractéristiques sont l’inspiration à l’hégémonie, des plans de campagne en Orient ; ce qui est le cas de la Thessalie. - le deuxième type est la tyrannie des régions périphériques qui en plus des problèmes généraux de la Grèce connaissent de par leur situation d’autres facteurs influençant ce genre de tyrannie ; telle la perpétuelle menace d’une attaque extérieure, des guerres parfois quasiment ininterrompues (comme en Sicile), la présence d’une population indigène exploitée dépendant de l’ensemble du corps civique et de quelques-uns de ses membres. - le troisième type est la tyrannie purement grecque comme on la trouve à Sicyone ou à Corinthe. 72 - le dernier type est celui de la tyrannie servant les intérêts d’une puissance étrangère et reposant sur une certaine base intérieure, telles les tyrannies implantées dans certaines cités par Philippe de Macédoine. L’arrivée au pouvoir des tyrans qui, en règle générale, se présentent durant le combat soit comme des leaders du dèmos, des démagogues, soit comme des chefs de contingents mercenaires recrutés par les deux camps, survient au terme d’une lutte armée pleine d’acharnement où les mercenaires prennent une part active, formant souvent le noyau des troupes voire même la force principale qui décide de l’issue du combat en faveur du tyran. Lors du triomphe de la tyrannie et dans tous les cas connus, les mercenaires conservent toute leur importance, ils constituent la garde personnelle du souverain, sur laquelle il peut compter, au moins jusqu’à un certain point. C’est ainsi qu’à Syracuse, quasiment en guerre permanente contre Carthage, les mercenaires ne peuvent malgré leur nombre se substituer entièrement à l’armée citoyenne ; le cas est identique en Thessalie et en Phocide. L’abondance des mercenaires recrutés est déterminée par les possibilités financières des cités ; ainsi, la tyrannie de Denys l’Ancien est significative dans la mesure où elle possède des ressources supérieures à celles de n’importe quel autre tyran, son pouvoir s’étendant à plusieurs villes et populations indigènes de Sicile. A l’inverse, la puissance des tyrans phocidiens décline en même temps que se tarissent les trésors delphiques. La recherche de ressources pour payer les mercenaires est pour le tyran une nécessité pressante car la confiscation des biens des opposants et autres oligarques n’alimente les caisses que pour un certain temps. Il opte alors parfois pour une politique extérieure agressive afin de tirer parti du butin, mais cette politique nécessite de nouveaux mercenaires et se transforme en une sorte de cercle vicieux qui se retrouve aussi au travers de l’exploitation renforcée du citoyen qui fait du tyran l’ennemi du dèmos. Ce sont les états qui disposent de richesses autres que celles issues de l’économie interne de la cité qui peuvent assurer plus ou moins longtemps l’existence de la tyrannie ; c’est le cas de Syracuse et d’Hèraclée où existe une paysannerie plus ou moins dépendante de la polis et de son souverain. L’armée mercenaire au service d’un tyran d’une polis, limitée au niveau des sources de financement, se transforme en une sorte de couche privilégiée qui se tient au-dessus d’elle et l’exploite ; ce qui affaiblit la tyrannie et la rend beaucoup moins stable que les tyrannies des périphéries du monde grec Après la défaite de Cunaxa, Cléarque prend le commandement de l’armée mercenaire des Dix-Mille, au service de Mithridate (Dynaste du Pont) il offre ses services aux riches Héracléotes menacés par les agitations populaires. Se rendant maître de la cité d’Hèraclée, notre condottière se voit attribuer des pouvoirs civiques, mais il établit un coup de force et instaure en 363-362 avant J.-C. une tyrannie populaire qui voit la libération des esclaves et le partage entre ses partisans des biens de ses adversaires condamnés à l’exil. Un autre cas de tyrannie mis en place par un chef de 73 bande mercenaire est attesté avec Euphron de Sicyone qui se rend maître du pouvoir dans sa cité natale avec 2 000 mercenaires vers 366 avant J.-C.41. Lysandre chef de guerre mercenaire aidé des subsides de Cyrus aurait voulu rendre la royauté élective à Sparte et établir une sorte de tyrannie42 mais ce projet est rejeté par les Ephores et cette politique sera reprise par Agésilas qui va développer l’impérialisme lacédémonien ; en réalité, on ne sait que peu de choses de l’histoire interne de la cité spartiate et de toutes les tentatives de réformes qui se heurtent à l’opposition des riches soucieux de leurs privilèges. Les sources nous montrent que les mercenaires sont bien loin de se comporter en serviteurs muets et dociles du tyran, ils savent éventuellement se faire entendre de celui qu’ils ont porté au pouvoir. Ainsi, Timophane, frère de Timoléon, devenu tyran de Corinthe vers le milieu du IVe siècle avant J.-C., se serait laissé corrompre par le pouvoir personnel « sous l’influence d’amis pervers et de mercenaires qu’il avait toujours autour de lui » (Plutarque, Timoléon, IV, 6). Autre exemple, à Syracuse, Denys le Jeune se plaint dans une lettre (III, 315 e) à Platon d’avoir été calomnié par ses amis « auprès des mercenaires et du peuple syracusain », deux entités qui apparaissent comme redoutables. Justement, au chapitre de la tyrannie appuyée par une force mercenaire, l’exemple le plus frappant du IVe siècle avant J.-C. est bien sans conteste celui de Syracuse et par extension de la Sicile toute entière sous les règnes successifs de Denys l’Ancien, de Denys le Jeune et même de Timoléon. B) LE CAS DE LA SICILE SOUS DENYS L’ANCIEN Intéressons-nous au cas de Syracuse et au rôle important des mercenaires dans les luttes internes de cette cité au IVe siècle avant J.-C. Selon le témoignage de Xénophon, Hiéron se serait le premier entouré d’une garde de « xenoï », de mercenaires auxquels il aurait donné la citoyenneté syracusaine43 alors que Diodore attribue une telle garde personnelle aux seuls Thrasyboulos44. Au niveau politique, pour les mercenaires, tout commence avec l’expédition en Asie avec des contingents syracusains commandés par leurs propres stratèges qui connaissent en 410 avant J.-C. une défaite à la bataille de Cyzique, condamnés à l’exil ces derniers voient émerger parmi eux Hermocratès, opposé au système démocratique syracusain, qui va avec l’argent de Pharnabaze recruter des xenoï « en vu de son retour à Syracuse » (Xénophon., Les Helléniques, I, 1, 31). Il se rend maître de la cité de Sélinonte face aux Carthaginois mais il est tué lors de sa tentative d’entrée à Syracuse. Une grande instabilité politique s’ensuit : les esclaves s’émancipent, se libèrent et élevés au rang de citoyens se transforment en mercenaires dotés de terres et soutiennent Denys45. 74 Denys l’Ancien, qui dirige la cité de Syracuse entre 405 et 370 avant J.-C. passe la plus grande partie de sa vie à faire la guerre, à Carthage essentiellement, sur le sol sicilien mais également à l’extérieur de l’île contre les Italiotes et les Etrusques. Il étend sa domination vers l’Adriatique, l’Epire, l’Illyrie et dans la plaine du Pô. Il accède au pouvoir à l’occasion de la guerre entre Grecs de Sicile et Carthaginois dans la dernière décennie du Ve siècle avant J.-C. Notons qu’à partir de 410 avant J.-C. Hannibal est chargé par Carthage de monter une expédition de représailles contre les Siciliens, en recrutant en Libye et en Espagne une armée de mercenaires. Au cours de son règne, Denys alterne clémence et sévérité, voire cruauté à l’égard de ses adversaires ; ainsi, on remarque que les pires châtiments sont appliqués aux Grecs qui trahissent les Siciliens à Motyè en 396 avant J.-C. Comme nombre de tyrans, il est présenté par la tradition historiographique comme un homme impie qui n’hésite pas à piller les trésors des dieux pour se procurer l’argent nécessaire à ses campagnes militaires : il aurait ainsi dépouillé les sanctuaires d’ Olympie et d’Epidaure alors qu’il a pu probablement puiser dans les caisses de l’Olympiéion, de l’Asclépiéion de Syracuse et du sanctuaire de Pyrgos (dédié à Leucothéa, divinité marine) en détournant les offrandes de bijoux 46. A la tête d’une armée composée de Syracusains en âge de porter les armes, de mercenaires et d’un corps d’auxiliaires d’Italiotes (Grecs d’Italie), Denys est envoyé à Géla assiégée par Hannibal. Conscient de son infériorité, Denys fait évacuer la vile puis de celle de Camarina, laissant aux Carthaginois la voie libre vers Syracuse. Cette politique déplaît aux alliés italiotes qui quittent son armée et aux cavaliers syracusains qui organisent un soulèvement ; et contraignent Denys à rentrer à Syracuse. En 403 avant J.-C. après ce soulèvement mené par les Hippeis, Denys « se mit à édifier un deuxième rempart autour de la citadelle, à équiper des navires, à recruter aussi un grand nombre de mercenaires, enfin à prendre toutes les mesures nécessaires à la sécurité de la tyrannie » (Diodore, XIV, 10, 4). Pendant 40 années, Denys utilise tous les expédients possibles pour payer ses mercenaires. Diodore souligne à plusieurs reprises (XIV, 43, 4) l’importance des salaires accordés par le tyran aussi bien à ses artisans et fabricants d’armes qu’à ses mercenaires ; il insiste également sur la prévoyance et les calculs de Denys : « quand il en eut fini avec l’équipement des bateaux et la fabrication des armes, il s’occupa de recruter ses soldats, il jugeait en effet préférable de ne pas les enrôler longtemps à l’avance pour éviter les dépenses considérables ». Dès son arrivée au pouvoir, Denys opère une série de confiscations des biens des aristocrates syracusains, ce qui permet d’attribuer à ses mercenaires et aux plus pauvres des lots de terre : il distribue ainsi une partie du territoire syracusain aux commandants de ses troupes ainsi que des habitations dans l’île d’Ortygie. Cette mesure a le triple avantage de récompenser ses meilleurs soldats, de disposer, dans des endroits stratégiques, d’une garnison à moindres frais et de s’appuyer sur une classe populaire, les 75 neopolitai, ces citoyens de fraîche date crées par ses soins, qui lui doivent tout et renforcent son autorité absolue. Le tyran se réserve en effet l’île d’Ortygie, cœur de la ville syracusaine qu’il fait fortifier à deux reprises et où ses mercenaires lui servent de protection rapprochée. Il a ensuite régulièrement recours à cette pratique, les mercenaires campaniens obtiennent la ville de Catane en 403-402 avant J.-C.47 ; il distribue la ville et le territoire de Léontinoï en 395- 394 avant J.-C.- la région de Tyndaris, créée la même année, et enfin celle de Tauroménion en 392-391 avant J.-C. Comme tout chef de guerre, Denys rémunère ses armées grâce au pillage des villes soumises, surtout celles de la zone carthaginoise telle Motyè en 396 avant J.-C. En général, le butin n’est pas réquisitionné par le tyran qui, par un habile calcul, le cède au contraire à la jouissance de ses soldats, ce qui permet de les fidéliser et de conserver leur enthousiasme, « Denys laissa ses soldats piller la ville, car il voulait leur donner de l’ardeur pour affronter les combats à venir » (Diodore, XIV, 52, 3). Toujours dans la tradition des chefs de guerre, Denys tire une partie de ses ressources de la vente des habitants des villes prises (Naxos, Catane, en 403-402 avant J.-C., à Motyè en 396 avant J.-C. et les Etrusques de Pyrgoi en 383 avant J.-C. : cf. Diod., XIV, 14, 3), ou du paiement de leur rançon (en particulier les Rhégins en 387-386 avant J.-C.). Certains soldats lacédémoniens, venus lutter contre Athènes en 415-413, semblent être restés en Sicile, comme c’est probablement le cas Dexippe. La cité spartiate envoie à plusieurs reprises des chefs militaires avec des contingents, que les opposants syracusains essaient de soudoyer, leur rappelant les comportements anti-tyranniques de leur cité ; c’est le cas d’Aristotélès en 395-394 avant J.-C.. Denys en retour envoie 20 navires sous le commandement de Polyxénos en 387 avant J.-C.48, puis 2 000 Celtes et Ibères avec 5 mois de solde au secours des Spartiates et des Corinthiens contre les Béotiens D’ Epaminondas en 369-368 avant J.-C.. Enfin, le Syracusain est accusé par ses détracteurs d’avoir été un « philobarbare » : allié des Celtes et des Illyriens contre les Etrusques à partir de 388-387 avant J.-C., il recrute parmi eux des mercenaires pour ses campagnes. Son armée est constituée de mercenaires dont les origines diversifiées varient en fonction de ses alliances conclues avec les cités étrangères : si les hoplites lacédémoniens et les Campaniens offrent leurs services tout au long de son règne, les Ibères récupérés des armées carthaginoises) et les Celtes apparaissent essentiellement à partir des expéditions italiennes de Denys. A certains moments plus controversés de son règne, le tyran va jusqu’à affranchir des esclaves pour en faire des soldats ; néanmoins, il se méfie de ses soldats inconstants, en particulier des Campaniens, et les éloigne en les installant dans des territoires sicules du centre de l’île, où les populations locales restent insoumises et toujours prêtes à monter des expéditions contre son pouvoir. En tout cas, il ressort que son armée semble avoir acquis des compétences reconnues par ses alliés lacédémoniens qui décernent des honneurs aux Celtes et aux Ibères qu’on leur a envoyé en 369-368 avant J.-C.49. 76 Pour armer ses troupes en 399-398 avant J.-C., Denys lance sa politique d’armement en réunissant à Syracuse les meilleurs ouvriers et ingénieurs de toute la Grèce, ; et transforme la cité en atelier de guerre où l’on fabrique des armes jusque dans les temples, les gymnases et même les demeures particulières. Sous son règne, 140 000 boucliers, épées et casques et 14 000 cuirasses sont ainsi réalisés ; on remarquera la diversité et la qualité des modèles fabriqués, qui reflètent les distinctions ethniques, et permettront une meilleure organisation et coordination des troupes sur le terrain. C’est aussi une manière d’assurer la cohésion des régiments, en favorisant un esprit de corps par le rapprochement ethnique. Ces armes apparaissent sur les monnaies de cette époque, ainsi sous le quadrige syracusain, on trouve casques phrygiens, cuirasses, cnémides et boucliers et trophées de victoire ; qui sont des témoignages précieux de cette extraordinaire activité d’armement et de la thésaurisation syracusaine Les mercenaires interviennent enfin dans le contrôle territorial de l'empire syracusain. En Sicile, ils sont installés dans des garnisons situées aux confins de l'empire - en particulier sur la côte septentrionale de l'île -, dans la zone de l'Etna qui sont à la fois un passage obligé vers l'Italie par voie terrestre et une région économiquement très riche, et dans le Détroit de Messine, tête de pont de toute entreprise en Italie. Mais c'est surtout Syracuse qui accueille en nombre et de façon permanente des troupes mercenaires. L'aménagement des Epipoles, plateau qui surplombe la ville, et de l'île d'Ortygie, où est installé le palais du tyran, permit leur installation dans des points stratégiques de la ville. Cette politique urbaine est aussi renforcée par le fait que Denys fait répartir des terres et des maisons de l'île d'Ortygie entre eux et ses partisans. Le maître de Syracuse est donc parvenu à « militariser » entièrement la cité. La mer Adriatique est le second secteur d'implantation de garnisons dionysiennes. Sur la rive orientale, il s'agit de prendre le contrôle des voies commerciales jusqu'alors sous l'emprise des Athéniens. Mais à l'ouest, sur la côte italienne, ces structures militaires ont pu servir de relais dans le recrutement de mercenaires barbares, en particulier de Celtes. Dans tous les cas, les mercenaires garantissent là encore la domination du pouvoir dionysien. Tous ces mercenaires d'origine barbare sont engagés en raison de leurs qualifications professionnelles. En effet, ils apportent des techniques de combat nouvelles qui sont expérimentées par les Grecs eux-mêmes, comme l'illustre la participation aux opérations autour de Corinthe des renforts siciliens dépêchés par Denys en 369 avant J.-C.50. Xénophon ne dissimule pas son admiration devant leur parfaite maîtrise du harcèlement : «au cours de ces opérations [de harcèlement], ils descendaient de cheval et prenaient du repos ; mais si, pendant quels avaient mis pied à terre, des ennemis leur couraient sus, ils étaient lestes à sauter en selle pour s'enfuir ; seulement, si un détachement, dans sa poursuite, s'éloignait beaucoup du gros des troupes, ils couraient à lui lorsqu'il commençait à se retirer, le criblent de javelots, et lui faisaient beaucoup de mal ; et toute l'armée ennemie est forcée à cause d'eux, d'avancer et de reculer » (Les Helléniques, VII, 1, 21). Ce mode de combat est sans doute le résultat d'une double tradition : une tradition militaire syracusaine dans laquelle la cavalerie est une force de combat à part entière (cf. Y.Garlan, 77 1972, p. 111.) ; et une technique barbare du combat par escarmouches pratiquée par tous les peuples non grecs d'Occident (cf. J.A.Krasilnikoff, 1996, p. 10-12). L'arrivée massive de mercenaires grecs en Sicile a évidemment des répercussions sur la vie militaire sicilienne, notamment dans le domaine économique. Denys de Syracuse a dû probablement s'adapter au niveau de rémunérations qui ont cours en Grèce depuis la fin de la guerre du Péloponnèse. Il existe en fait deux bases de rémunérations dans le monde grec oriental : le sites (ou trophè) qui correspond à une solde en argent ou en nature destinée aux dépenses courantes ; et le misthos qui est la solde réelle du mercenaires. A partir du récit de Xénophon sur l'expédition des Dix Mille, on a pu déterminer la solde moyenne des mercenaires de Cyrus qui s'élève à 25 drachmes attiques par mois, soit cinq oboles par jour. Pour les guerres du début du IVe siècle en Grèce, les estimations les plus courantes se situent entre 4, 5 et 6 oboles par jour, soit une solde mensuelle de 20 à 30 drachmes. En ce qui concerne la Sicile sous le règne de Denys l'Ancien, des études aboutissent à des taux voisins qui varient toutefois selon le grade et les missions remplies par les mercenaires. L'enrôlement de mercenaires grecs tend donc vraisemblablement à une uniformisation du système de rémunérations. Un autre type de rémunérations passe aussi par la concession de terres et même de cités. Parallèlement aux garnisons, des installations mercenaires quadrillent ainsi une bonne partie de l'est de la Sicile. Cette pratique a une double vocation : elle permet de dédommager les mercenaires pour des arriérés de soldes que le tyran ne peut verser, mais aussi de constituer à plus long terme des réservoirs potentiels de mercenaires qu'il suffit de rappeler. Par cette politique, Denys a largement facilité l'implantation définitive des mercenaires, qu'ils soient grecs ou barbares, dans l'île. Elle est elle aussi dénoncée par les auteurs anciens, notamment l'installation de mercenaires barbares qui menacent l'identité grecque. Mais dans le cas des mercenaires grecs, il est évident qu'ils se fondent rapidement dans le tissu local compte tenu de leur appartenance culturelle à la même koinè ( cf. YGarlan, 1989, p.153). Mais l'innovation majeure de son règne est d'avoir transformé les mercenaires en véritables partenaires de sa politique, leur donnant ainsi une place au sein même de la cité syracusaine. Totalement indépendants du corps civique, ils sont protégés des aléas de la vie politique syracusaine et liés au seul pouvoir du tyran. Comme le montre justement Jens Krasilnikoff (1995, p181), ces « outsiders » forment un « élément stable et contrôlable » pour le pouvoir tyrannique qui cherche à s'appuyer sur des forces extérieures à la polis. En outre leur position au coeur de la cité met donc en cause la notion même de citoyenneté dans la mesure où il s'agit d'hommes politiquement et culturellement étrangers (Cf. C.Mossé, 1969, p.118-119). Cette évolution du statut des mercenaires dans la cité devient plus sensible durant les luttes entre son fils Denys le jeune et Dion. 78 L’état de guerre presque perpétuel, dans lequel vivent la Sicile et accessoirement la Grande Grèce entre 405 et 368-367 avant J.-C., a modifié profondément les conditions démographiques, politiques et économiques des populations. Du point de vue socio-politique d’abord, l’élimination ou l’éloignement des opposants au régime, les affranchissements d’esclaves et l’attribution de terres aux mercenaires (et par ce biais la citoyenneté probable) transforment le corps civique syracusain, fluctuant et fragile tout au long de la période, et incapable de se mobiliser durablement contre le souverain. Les mercenaires, chargés de contrôler la Sicile centrale et septentrionale, créent de nouveaux centres ; les populations d’Hipponion, de Caulonia et de Scylletion sont déportées en Sicile.La tyrannie de Denys l’Ancien a duré 40 ans pendant lesquels il a réussit à imposer l’hégémonie syracusaine sur les cités grecques de Sicile avec l’aide de mercenaires, d’esclaves libérés, de mercenaires campaniens transfuges de l’armée carthaginoise, et de mercenaires lacédémoniens dont certains sont établis à Leontinoï et sur le territoire de Méssine. Ainsi un pouvoir mercenaire a réussi à s'affirmer en Sicile, mais cette « vocation politique » passe essentiellement par la tyrannie. Cette situation est en partie l'aboutissement de la politique menée par Denys l'Ancien qui a déjà accordé aux mercenaires une place exceptionnelle dans la cité. Mais elle a aussi été favorisée par l'empire en ce sens que les déplacements forcées de population et la politique impérialiste de Denys l'Ancien ont peu à peu remis en cause l'identité de nombreuses cités de l'île. C) AFFIRMATION ET FIN DU POUVOIR MERCENAIRE EN SICILE A la mort de Denys l'Ancien en 367 avant J.-C., le pouvoir revient au représentant de la lignée italiote de la famille dynastique, Denys le Jeune qui se trouve à la tête d’une armée hétérogène de mercenaires messéniens, celtes, Ibères, campaniens, péloponnésiens et même athéniens51 ; ils ne sont pas seulement des bras, ils ont des intérêts fonciers en Sicile d’où leurs interventions dans les luttes politiques et les pressions qu’ils font subir au tyran. Mais ce dernier, dépourvu de toute éducation solide, oisif et ivrogne, s'avère un piètre politique et rapidement se retrouve confronté à l'opposition de son oncle Dion. Ce dernier, qui est un disciple de Platon, a réussi à mener une brillante carrière sous le règne de Denys l'Ancien et cherche en tant que représentant de la lignée syracusaine de la famille à faire valoir les droits de ses neveux. Face aux querelles entre Dion et ses proches collaborateurs qui déstabilisent le pouvoir tyrannique, Denys le jeune choisit d'éloigner son oncle en l'envoyant en Grèce. Mais cette solution n’est pas la meilleure, car elle permet à Dion d'obtenir le soutien de l'Académie et de préparer son retour sur l'île. De fait, dix ans après son exil vers 357 avant J.-C., il est accueilli comme un libérateur par nombre de cités de l'île et il prend le contrôle de la vie politique syracusaine, Denys le jeune s'étant enfui en Italie. 79 Ainsi, il débarque en Sicile à la tête d'éminents membres de l'Académie et d’une armée de 800 mercenaires aguerris recrutés à Zacynthe52, 1 000 selon Diodore (XVI, 9, 5), et attaque la cité sous leur pression ; rappelons que la cité sicilienne et notamment l'île d'Ortygie sont défendues par Timocratès et son armée composée de mercenaires campaniens. C’est une véritable guerre de mercenaires qui s’engage, cependant Plutarque marque bien la différence entre les « barbaroï » de Denys53 et les « xénoï » de Dion54 qui sont des Péloponnésiens. Dans les mois qui suivent sa victoire, Dion doit pourtant faire face aux divisions qui naissaient entre lui et le dèmos syracusain, mais aussi entre lui et certains de ses compagnons qui entrent en conflit les uns avec les autres chacun s’appuyant sur des factions composées essentiellement de mercenaires Une grave crise économique et sociale affecte la cité et le mécontentement du dèmos se cristallise autour de l'inutilité des troupes mercenaires de Dion dont l'entretien grève davantage le budget. En outre, le dèmos cherche manifestement à restaurer un pouvoir plus démocratique, ce qui va à l'encontre de l'oligarchie modérée que Dion veut instituer. La rupture intervient rapidement et Dion trouve refuge avec ses hommes à Léontinoi où les xénoï présentés comme respectueux de la vie des Syracusains et attachés à leur chef reçoivent soldes et droit de cité ; ce qui est révélateur du regard porté par les Grecs du IVe siècle avant J.-C. sur les mercenaires, regard différent selon l’origine et la cause servies par ces derniers. Ainsi, lorsque Dion reprend Syracuse, le Syracusain appelle les mercenaires « frères et concitoyens » (Plutarque, XLVI, 1). Durant l'été 356, un certain Nypsios de Neapolis, général mercenaire à la solde de Denys, probablement d'origine osco-samnite, mène une contre-offensive sur Syracuse. Face aux troubles que son armée suscite dans la cité, le dèmos rappelle Dion, et après de durs combats, Nypsios se retire de l'île et la citadelle d'Ortygie se rend à Dion. Bien que le danger tyrannique soit écarté, les antagonismes politiques et sociaux perdurent dans la cité. Membre des couches sociales les plus aisées, Dion se refuse encore à tout partage des terres et s'oppose donc à la faction démocratique dirigée par le noble syracusain Héraclide, qui n’hésitent pas à faire appel aux mercenaires, usant ainsi des mêmes armes que celui qu’il prétend combattre. L'opposition entre les deux hommes s'ajoute à la crise et aboutit à l'élimination violente d'Héraclide ; dans cette histoire les mercenaires deviennent les vrais arbitres de la situation. De plus, la crise financière qui affecte la cité envenime les relations entre Dion et ses mercenaires si bien qu'un fort mécontentement se manifeste rapidement. La chute de Dion est finalement précipitée par la collusion de circonstance entre le peuple syracusain, qui le considére comme un nouveau tyran, et les mercenaires, qui, après trois années passées à son service, n'ont toujours pas partagé les bénéfices de sa victoire. L'instigateur de son assassinat est l’Athénien Callippos qui a été plus ou moins lié au milieu de l'Académie platonicienne et qui assure probablement le commandement des troupes mercenaires. Débarrassé de 80 son adversaire, « il jouit dans les premiers temps d'une brillante Fortune et tint Syracuse en son pouvoir » (Plutarque, Vie de Dion, 58, 1). Mais loin de restaurer la paix dans la cité, son règne qui dure treize mois relançe les luttes de pouvoir entre les descendants de la lignée syracusaine, Hipparinos et Nysaios, jusqu'en 346, date du retour de Denys le jeune à Syracuse. En effet, après la mort de Dion et la disparition des principaux protagonistes, Denys peut rentrer à Syracuse en 346 avant J.-C. et devenir « le maître de ceux qui l’avaient chassé » (Plutarque, I, 4). Si les luttes politiques à Syracuse ont principalement une origine dynastique, elles entraînent également un renforcement du rôle du mercenariat dans la cité. Durant les guerres entre Denys le jeune et Dion, les mercenaires sont des auxiliaires précieux dans la défense ou la conquête du pouvoir. Il est intéressant de noter que selon leur appartenance au camp de Denys le jeune ou à celui de Dion, ils ne bénéficient pas de la même image dans les textes littéraires. Plutarque qualifie les mercenaires de Denys le jeune de « barbares » et de « misthophoroi » alors que les troupes de Dion sont composés de « xénoi » (cf. C.Mossé, 1997, p. 165-172.). Lors de la première crise entre Dion et le dèmos syracusain, les mercenaires restent fidèles à leur chef malgré les propositions qui peuvent leur être faites. Selon Plutarque (Vie de Dion, 38, 4-5), les Syracusains « envoyèrent secrètement des émissaires aux étrangers pour les détacher de Dion et les gagner à leur parti, leur promettant même l'égalité des droits politiques. Mais les soldats rejetèrent ces offres... ». Contrairement aux propos de l'historien de Chéronée, certains mercenaires acceptent sans doute cette offre, comme semble le révéler l'exemple d'Archélaos de Dymè (cité d'Achaïe) qui est élu prostates de Syracuse. Mais cette situation évolue radicalement dès lors que Dion n'a plus les moyens de les satisfaire. Son élimination violente, qu'on peut imputer aussi au peuple syracusain, révèle à quel point Dion a négligé de traiter ses hommes comme des mercenaires. En s'appuyant sur leur force, il a certes libéré Syracuse, mais il n'avait pas réussi à les engager dans d'autres projets ambitieux et lucratifs. Quant à la réaction des mercenaires, elle est souvent interprétée comme le signe d'un changement de mentalité : en cherchant à défendre leurs intérêts, les mercenaires auraient accordé peu d'attention à la nature du régime politique en place (cf. J.Chiristien, 1975, p. 72.). Dans le cas de la Sicile, leur intérêt réside pourtant dans le maintien de la tyrannie, en ce sens que seul ce régime leur assure une certaine impunité par rapport au reste des citoyens. Pour étayer cette hypothèse, il suffit d'évoquer le cas de Leptine, citoyen syracusain, qui participe au complot contre Dion. Grâce à l'appui de mercenaires, il fait assassiner plus tard Callippos et devint lui-même tyran d'Apollonia et d' Engyon55. De même, un autre citoyen syracusain, Hicétas, qui est un ancien ami de Dion, parvient à devenir le « maître » de Léontinoi56. L'un et l'autre cherchent donc à faire carrière hors de leur cité d'origine en empruntant la vole du mercenariat et en devenant des 81 condottieri. Ils réussissent finalement à instaurer un régime tyrannique qui s'appuye toujours sur des forces mercenaires. Les frontières entre chef de mercenaires et tyran, ou citoyen et mercenaire, ne sont donc plus infranchissables, car le seul objectif de tous ces hommes est de conserver ou de pouvoir profiter de ce statut d'impunité. Ainsi, en rejetant une partie de ses citoyens, la cité s'expose au renforcement du nombre de mercenaires sur l'île et à l'extension des régimes tyranniques. Devant le réveil de la menace carthaginoise, Hicétas qui règne à Léontinoi et des Syracusains57 font appel à Corinthe qui se résout à intervenir dans les affaires siciliennes. En tant que métropole, elle se doit d’aider son ancienne colonie Syracuse et mit donc à sa disposition Timoléon, aristocrate retiré de la vie politique corinthienne après une sombre affaire de fratricide. L'aide militaire de Corinthe est en fait très limitée, puisqu'elle fournit seulement sept vaisseaux, le recrutement en mercenaires étant réalisé par Timoléon même. Ce dernier réunit 700 mercenaires et des colons recrutés dans le Péloponnèse auxquels Plutarque fait référence tardivement dans son récit. En effet, ces mercenaires ont participé avec Philomélos et Onomarchos et les Phocidiens au sac de Delphes (lors de la troisième Guerre Sacrée entre 356 et 346 avant J.-C.), acte sacrilège qui leur vaut d'être haïs par de nombreux Grecs et d'errer dans le Péloponnèse58. Pourtant on retrouve ces mercenaires « maudits » dans d'autres expéditions de l'époque : ainsi dans les rangs de l'armée du condottiere Phalaïkos ou encore dans celle du roi spartiate Archidamos qui vint porter secours à Tarente vers 343-342 avant J.-C. Désigné comme stratèges, Timoléon est investi du commandement de l'expédition sans que pour autant ce titre lui permette de bénéficier d'une reconnaissance officielle à l'intérieur de la cité. Sa position était assez comparable à celle des chefs spartiates qui sont dépêchés en Sicile dans la première moitié du IVe siècle. Mais les ambitions de Timoléon sont plus déterminantes. Comme il dispose d'une totale liberté de décision et d'action vis-à-vis de Corinthe qui n'a pas défini de stratégie précise, il peut mener sa mission bien au-delà des espérances alliées. De fait, son statut de chef de mercenaires et sa liberté d'action obligent à le considérer comme un véritable condottiere. L'objectif principal de sa mission est de combattre Denys le Jeune et donc d'apporter son aide aux Syracusains et à Hicétas. Or, dès son arrivée en Italie, Timoléon apprend que la situation syracusaine a évolué : Denys le Jeune et ses mercenaires se sont repliés sur l'île d'Ortygie, alors qu' Hicétas, qui était en passe de vaincre le tyran, bénéficie de l'appui de troupes carthaginoises. Devant ce nouveau rapport de forces, Timoléon décide pourtant de tenter l'aventure et passe en Sicile. Sans entrer dans le détail de son action sur l'île, notons toutefois qu'il parvient rapidement à renverser la situation. Après sa première victoire contre les troupes d'Hicétas à Adranos, il peut renforcer sa position dans l'île et s'assurer du soutien de plusieurs cités, en particulier de Catane et 82 de son tyran Mamercos , et de nombreux phrouria établis dans la région de l'Etna59. Ces sites fortifiés sont probablement occupés par communautés mercenaires. De fait, il lança un siège sur Syracuse qui tombe finalement à l’automne 343 avant J.-C. Après sa reddition, Denys le Jeune est expédié à Corinthe où il finit ses jours dans la plus grande pauvreté. Devenu maître de la cité, il est investi des fonctions de stratèges autokrâtor et peut s'engager dans une lente politique de « restauration » de l'ordre sur l'île. Son premier objectif est de relancer la guerre contre les Carthaginois qui avaient été jusquelà en paix avec les Grecs de Sicile. Après de multiples opérations de pillage sur leur territoire qui visaient à payer ses soldats, Timoléon se résolut à prendre la cité d'Entella qui s'est peu auparavant soulevée contre la domination punique. Carthage ne reste pas sans agir, elle envoie Magnon et des mercenaires, mais lors de la bataille pour Syracuse face à Timoléon les mercenaires des deux armées fraternisent « étant tous grecs », ce qui contraint Magnon à fuir en Libye. La bataille du Crimisos en 341 avant J.-C. se solde ainsi par la victoire de Timoléon et de ses alliés siciliens ; cela représente une véritable aubaine pour l'ensemble de l'armée dans la mesure où elle en retire un butin énorme. Le chef corinthien put du reste envoyer une partie des dépouilles à Corinthe pour commémorer sa victoire. Devant la menace de le présence continue de ses propres mercenaires à Syracuse, Timoléon décide de se débarrasser d’eux en les établissant sur les terres conquises aux Carthaginois Mais dans sa propagande, Timoléon relègue le soutien des alliés siciliens au second plan, ce qui provoque le revirement de tous les tyrans qui s'étaient montrés jusque-là fidèles. Le chef corinthien entreprend alors une remise au pas des mercenaires présents dans son armée et une véritable politique d'élimination des tyrannies disséminées dans l'ancien empire. Il a d'abord la volonté de discipliner les mercenaires qu'il a lui-même à son service et d'éloigner tous les nouveaux candidats qui peuvent se présenter à Syracuse (En effet, il punit sévèrement les mercenaires qui se sont soulevés avant la bataille du Crimisos60. Il fait aussi mettre à mort un mercenaire étrusque, Postumius, qui est venu lui présenter ses services61. Il doit leur ôter tout moyen de pouvoir faire contre-poids à son autorité politique. Il lui faut ensuite mettre fin aux nombreuses tyrannies qui ont conforté leur propre indépendance depuis son arrivée sur l'île. Cette intention était double : expulser tous les noyaux potentiels de résistance à son pouvoir et reconstituer probablement pour Syracuse une assise territoriale qui a été mise à mal depuis la chute de la tyrannie. Dans ce processus, il est à vrai dire peu question des mercenaires, mais la disparition d'un système politique, qui leur a été si favorable, marque aussi la fin du pouvoir mercenaire en Sicile. La réussite de Timoléon réside donc dans cette rupture entre tyrannie et mercenaires qui contraint ces derniers à trouver d'autres solutions. De fait, il est probable que certains participent à la politique de colonisation que 83 Timoléon a engagée et reçoivent des terres comme tous les migrants qui s'installent sur l'île. Désormais l'avenir du mercenariat passe par la cité et non plus par la tyrannie. III. LES MERCENAIRES EN ORIENT A) LES MERCENAIRES ET L’EGYPTE Les plus anciens témoignages sur la présence de mercenaires en Orient concernent les mercenaires « ioniens et cariens » ou « grecs et cariens » au service des rois saïtes d’Egypte, notamment Psammétique Ier aux VII et VIe siècle avant J.-C. et de certains rois lydiens ou mésopotamiens62. En Egypte au IVe siècle avant J.-C., Athènes envoie plus de philosophes, de savants et de prêtres que de combattants, et si elle le fait ce sont des stratèges, des chefs de guerre, tel Myrmidon au service de Ptolémée Ier qui en 315 avant J.-C. est chargé du commandement de troupes mercenaires63. Nombre de mercenaires grecs s’installent en Egypte, ce sont des colons-militaires (clérouques) dont les parcelles de terres sont de tailles différentes selon le rang, la nationalité, l’arme, le grade et peut-être l’ancienneté (les plus importantes ne dépassent pas 100 aroures, soit un peu plus de 2 500 ares). Ils se situaient en n’importe quel point de la vallée du Nil, avec néanmoins un concentration maximale en moyenne Egypte et autour du lac Moéris à la pointe du delta, là où l’on a entrepris de procéder à la bonification des terres désertiques ou marécageuses. Le paysansoldat, le clérouque a pour obligations essentielles de mettre sa terre en culture en s’acquittant des charges fiscales propres aux propriétaires terriens, et de se tenir prêt à répondre aux ordres de mobilisation du souverain égyptien. Il faut noter qu’à la différence des colons d’Asie Mineure, ces colons ouvrent des gymnases fermés aux indigènes restreignant ainsi la diffusion de la culture hellénique. Cependant, cela n’empêche pas la multiplication des mariages mixtes d’où au fil des siècles une population gréco-égyptienne de langue grec et de religion égyptienne, une population qui constitue une sorte de « bourgeoisie villageoise » qui joue un rôle capital dans la formation d’un système économique égyptien ouvert sur les cités grecques. Notons que dans les armées hellénistiques, l’élément grec a quasiment disparu à la fin du IIIe siècle avant J.-C., seuls les Macédoniens se maintiennent alors que les Sémites jouent un rôle croissant dans l’armée égyptienne. Mais, pour se rendre compte de ce que pouvait être, à la fin du Ve et au début du IVe siècle avant J.-C., le recrutement, l'organisation et les mentalités d'une grosse armée de mercenaires, rien ne vaut la lecture de l'Anabase, récit par Xénophon de l'aventure des Dix-Mille au service du prince révolté, Cyrus le Jeune, à laquelle il participa personnellement. C'est 84 en outre un exemple de l'importance, pour les mercenaires grecs, des possibilités de recrutement en Orient, Empire perse ou Égypte. B) LE CAS DES « DIX-MILLE » Après la guerre du Péloponnèse, la défaite des ennemis extérieurs et la brusque exacerbation des conflits internes, l’économie de la Grèce a reçu des coups terribles et des régions entières sont dévastées. Dans ces conditions, de nombreux citoyens, considèrent tout naturellement le service mercenaire à l’étranger comme le moyen le plus sûr de restaurer leur situation économique, espoir alimenté par la croyance persistante des Grecs aux richesses fantastiques de l’Orient. Ainsi, une bonne partie des mercenaires de Cyrus ne sont pas dépourvus de toute ressource, certains d’entre eux sont de condition tout à fait aisée qui s’engagent comme mercenaires moins sous l’effet d’une irrémédiable pauvreté qu’avec l’espoir d’augmenter leur fortune. Cependant, sans faire mention de toutes les causes qui ont pu provoqué l’essor du mercenariat, il faut remarquer la différence de motivation à s’engager comme mercenaires des habitants d’une Arcadie arriérée et celle des citoyens athéniens. En revanche, la motivation psychologique est identique : l’impuissance à se ménager pour soi-même et sa famille une existence normale dans sa patrie ; mais les causes objectives de l’appauvrissement varient. En 401-400 avant J.-C., des officiers spartiates, tel Cléarque, aident Cyrus le Jeune en encadrant les mercenaires grecs recrutés par ce dernier qui, prétendant illégitime à la couronne, a pour objectif de marcher à la conquête du pouvoir, de renverser son frère aîné le Grand Roi des Perses, Artaxerxès II. Cette « Anabase » ou « Montée » des Dix-Mille est une expédition des côtes de la Mer Egée à Cunaxa, non loin de Babylone, puis son retour passe par les hauts plateaux de l’Anatolie orientale et enfin le long de la côte méridionale du Pont-Euxin ; elle démontre à la fois la vaillance d’une armée mercenaire et la faiblesse du grand Empire. Pourtant, au départ, certains des Grecs des Dix-Mille sont recrutés sous prétexte d’une guerre contre Tissapherne alors que d’autres le sont afin de repousser les Pisidiens64. Au niveau des effectifs, à Cunaxa, selon Xénophon (Anabase, I, 7, 11) Cyrus le Jeune aligne en plus des 12 900 mercenaires grecs et 100 000 barbares ; alors que pour Diodore (XIV, 19, 6-7) ce sont 13 000 mercenaires et 70 000 asiatiques dont plus de 3000 cavaliers, ces chiffres sont exagérés et les historiens modernes estiment les troupes de Cyrus entre 20 et 30 000 hommes dont 2600 cavaliers, extrapolation à partir des sources antiques qui semble relativement faible si on se réfère à l’importance de la cavalerie dans l’armée perse. De plus, la majorité des peltastes sont Thraces (800 sont sous les ordres de Cléarchos) à l’exception des 500 85 peltastes de Ménon qui sont Olynthiens et Delopes65, alors que l’infanterie légère se constitue de frondeurs baléares ou rhodiens et d’archers crétois, scythes ou perses66. Ainsi, sur la demande express de Cyrus, ces hommes qui constituent la plus grande troupe de mercenaires grecs jamais réunie, sont en majorité des Péloponnésiens, plus de la moitié sont Arcadiens ou Achéens suivis par des Athéniens et des Spartiates. Les autres viennent d’un peu partout dans le monde grec : de Syracuse et de Thourioi en Italie du sud. Xénophon prétend, non sans quelque exagération (Anabase, VI, 4, 8), que la plupart d’entre eux sont moins motivés par l’appât du gain que par la réputation de Cyrus, son arrétè, sa vertu guerrière. On peut toutefois supposer que les 4 000 Arcadiens et les 2 000 Achéens, originaires de deux des régions les plus pauvres de la Grèce, sont probablement bien à la recherche d’un revenu. Il apparaît qu’au sein des Dix-Mille, la plupart d’entre eux sont dépourvus d’expérience antérieure du mercenariat à l’exception de Dexippe, périèque lacédémonien détenteur d’une véritable carrière en Sicile. Notons qu’un certain nombre d’entre eux ont toutefois l’expérience de la guerre, pour avoir participé à celle du Péloponnèse, en tant que soldats-citoyens. La majorité de ces hommes semble avoir moins de 30 ans, et près de 90 % d’entre eux servent comme hoplites, Cyrus compte les employer en phalange traditionnelle et se réserve de recruter des troupes légères et de la cavalerie pour constituer la majorité asiatique de son armée. Cyrus dispose déjà d’une garde formée de 300 hoplites arcadiens sous le commandement de Xennias67. Les contingents mercenaires de Cyrus sont de composition très hétérogène : on y rencontre des soldats professionnels, anciens combattants de la guerre du Péloponnèse, inadaptés au temps de paix, des bannis, des citoyens fugitifs (drapétaï), des esclaves en fuite tel le Lydien Apollonidès68, et même des criminels comme Drakontis qui fuit un procès pour meurtre69. Les commandants des garnisons installées dans les cités grecques d’Ionie reçoivent l’ordre de recruter de nouveaux mercenaires, en sorte que Xennias rejoint Cyrus à Sardes à la tête de 4 000 hoplites ; alors que ce dernier confie à Cléarque 10 000 dariques (soit l’équivalent de 6 mois de solde) pour rassembler une armée en Chersonèse. Ancien harmoste de Byzance, Cléarque transforme sa fonction en tyrannie personnelle, de sorte que à l’appel des Byzantins Sparte envoie une expédition contre lui qui le renverse ce qui l’oblige à vivre en exil dans la région des détroits, où il guerroie contre les Thraces à la tête d’une troupe de mercenaires. Egalement, 400 mercenaires grecs précédemment au service d’Abroucomas, satrape de Phénicie dont ils forment la garde, se rallient à Cyrus. Chaque contingent, subdivisé en lochoi de 100 hommes, sauf exception, reste sous le commandement du chef désigné comme stratège qui l’avait recruté ; même si Cléarque est considéré par Cyrus comme le principal chef grec auquel il donnera les ordres pour la bataille de Cunaxa. Chaque lochos est à son tour subdivisé en deux unités de 50 hommes, à leur tour composées d’enômoties, d’effectif indéterminé ; les peltastes et autres fantassins légers étant 86 organisés en taxis (brigades) et commandés par des taxiarques. Les mercenaires grecs n’exprimeront ni doute ni inquiétude jusqu’à ce qu’ils arrivent en Cilicie, où ils refusent d’aller plus loin, en faisant valoir qu’ils n’ont pas été recrutés pour marcher contre le Grand roi. Cléarque tente d’abord d’user de son autorité pour les contraindre à continuer leur marche mais manque de se faire lapider ; après diverses péripéties, Cyrus accepte d’augmenter leur solde. A la veille de la bataille de Cunaxa, les Grecs comptent 10 400 hoplites et 2 500 peltastes70. Cléarque enfonce l’aile gauche de l’armée royale mais Cyrus est tué au moment où il atteint et blesse le Grand Roi qui allait remporter la victoire. Les mercenaires grecs n’apprennent sa mort que le lendemain et se croient jusqu’alors vainqueurs de l’armée royale. Après cette défaite, les Dix-Mille s’en retournent sous le commandement de Xénophon et de Chirisophe (respectivement à la tête des contingents arcadiens et achéens), et au moment où ils rejoignent la Mer Noire à Trébizonde, ils ne sont plus que 8 340 à Héraclée du Pont. Après diverses péripéties, ce dernier se met avec ses hommes sous le commandement du Spartiate Thibron débarqué en Asie dans le but officiel de libérer les Grecs d’ Asie Mineure. L’Anabase est un récit vivant et détaillé de la vie de 13 000 hommes durant plus d’une année contenant des renseignements les plus complets sur la composition ethnique de l’armée, sur ses relations internes et ses rapports externes avec les cités et sur ce que pensent les soldats. Elle permet aussi de s’interroger sur la condition matérielle des mercenaires de Cyrus, sur leurs différences de richesse et donc, sur les raisons qui les poussent à servir dans une armée mercenaire. Leur destin est hors du commun après la défaite de Cunaxa, ces contingents grecs se retrouvent sans employeur au cœur de l’empire perse, au beau milieu de tribus barbares, sans chef ni rémunération. Ces Grecs entrent successivement au service du Thrace Seuthès (5 400 hommes sur les 8 000) puis de Sparte sous le commandement de Thibron, Derkylidas et Agésilas en Asie Mineure ; avant qu’une partie d’entre eux ne regagne le bassin méditerranéen avec Agésilas en participant en 394 avant J.-C. à la bataille de Coronée71. Cependant, il faut reconnaître la partialité du récit de Xénophon qui n’est pas seulement dictée par le désir de montrer les mercenaires meilleurs qu’ils ne sont, d’enjoliver leur condition sociale et de minimiser leurs motivations économiques. Il y a relativement peu d’informations concernant les différences de situation économique existant entre ces mercenaires au cours de la campagne ; ainsi, on nous rapporte que les mercenaires s’allègent après la défaite de Cunaxa, en incendiant une partie de leurs bagages (ce grand convoi qui freine leur retraite), et que certains soldats donnent leur superflu à ceux qui en ont besoin72. D’autre part, Xénophon nous dit que ceux qui ont les moyens de s’acheter des vivres sont rares73. L’inégalité de richesse se révèle dans 87 l’épisode de Cothyora quand il est question de fonder une colonie, trois groupes distincts émergent parmi les mercenaires : - ceux qui n’ont rien à attendre dans leur patrie et qui désirent poursuivre leur vie de mercenaires, - ceux qui ont une situation plus aisée et qui sont prêts à s’installer quelque part, - ceux qui rêvent de retourner chez eux mais pas les mains vides et seulement après avoir atteint le but pour lequel ils risquent leur vie (ceux qui ont une maison, une famille et qui considèrent le mercenariat comme un revenu d’appoint permettant d’aider leur famille)74. Ainsi, lors de l’épisode de l’engagement au service de Seuthès, les 2 600 hommes restant, se dispersent de tous côtés après avoir vendu leurs armes75. Cunaxa représente un tournant au niveau tactique, dans la mesure où les mercenaires sont ensuite de moins en moins employés en phalange hoplitique de type « classique ». Leurs employeurs recherchent désormais surtout des spécialistes, archers, frondeurs, et surtout ces nouveaux fantassins légers que sont les peltastes. Pour ces raisons et aussi en raison de la lenteur du système de mobilisation de l’armée royale, l’emploi de mercenaires devient indispensable. En effet, les mercenaires présentent l’avantage, une fois recrutés, d’être immédiatement disponibles ; mais leur paiement nécessite de frapper monnaie et pour ce faire, de disposer de réserves de métaux précieux. Leur emploi s’est donc traduit par la réquisition des trésors accumulés, en particulier dans les temples, et pour la masse des sujets, par une aggravation de la pression fiscale. Le cas des « Dix-Mille » qui « ouvre » le IVe siècle avant J.-C., est un grand révélateur des conditions de vie d’une armée mercenaire en campagne, mais nous allons voir qu’il n’est aussi que le prélude d’une époque où les mercenaires vont s’engager en masse au service des rois et des satrapes perses C) LES MERCENAIRES GRECS AU SERVICE DES ACHEMENIDES L’emploi des mercenaires grecs procède à la fois de leur réputation technique et de leur disponibilité : au IVe siècle avant J.-C., il y a complémentarité sur le marché de la guerre professionnelle entre l’offre de mercenaires grecs, et la demande émanant des dignitaires de l’empire perse, demande constamment renouvelée dans une sorte d’auto-régulation du marché. Cet emploi n’est pas nouveau, dès le règne de Cambyse, la conquête de l’Egypte est facilitée en 525 avant J.-C. par le ralliement du chef mercenaire grec Phanès d’Halicarnasse. La bataille de Cunaxa livrée le 3 septembre en 401 avant J.-C. constitue un tournant. La mort de Cyrus masque la défaite 88 tactique du Grand Roi, et la transforme en victoire politique, tout en privant de leur employeur les mercenaires grecs, qui constituent une fraction importante de son armée. Leur retour dans le monde grec, à travers l’Asie Mineure, révèle qu’une armée étrangère, fonctionnant de manière totalement autonome par rapport au pouvoir royal achéménide, peut traverser l’empire perse de la Babylonie à la Mer Noire, en se heurtant à la résistance de peuples qui échappent tout autant au contrôle achéménide. Ainsi, l’anabase accomplie par les Cyréens (tels que les appelle Xénophon) révèle les limites du pouvoir achéménide au sein de l’empire, et que même le Grand Roi n’est pas toujours maître chez lui. Dès le milieu du Ve siècle avant J.-C., on trouve des hoplites arcadiens au service des satrapes perses, auprès desquels ils jouent le rôle de doryphores littéralement « porteurs de lance », c’est-à-dire qui constituent la garde personnelle du satrape. La fin de la guerre du Péloponnèse se traduit par le licenciement massif de milliers d’hommes qui ont pris l’habitude de vivre de la guerre, soit comme mercenaires, à proprement parler, soit comme citoyens-soldats, mobilisés pendant de longues campagnes. Une partie d’entre eux a perdu depuis longtemps sa terre et son emploi civil, et ne peut plus guère vivre que du mercenariat ou à défaut du banditisme. Au IVe siècle avant J.-C., les Achéménides considèrent la guerre comme le moyen normal de régler conflits et différends entre satrapes et dignitaires : cette banalisation du recours à la force guerrière à l’intérieur même de l’empire a beaucoup contribué de l’inflation de la demande achéménide en mercenaires. Au IVe siècle avant J.-C., les mercenaires grecs sont les instruments indispensables des ambitions individuelles et collectives dans l’Empire perse. Dignitaires et satrapes les emploient tous, et ont parfois du mal à les rétribuer, mais ne peuvent pas s’en passer, c’est un luxe indispensable. Les satrapes comme Tissapherne, et les potentats locaux comme Mania, dynaste féminin régnant en Troade, continuent à employer des mercenaires grecs. On en trouve ainsi cantonnés en garnison locale, comme à Caunos, où Léonymos commande à des Cariens et à des Grecs ; ils assurent la défense de l’Empire, ainsi pour faire face à Alexandre et ses 40 000 hommes, Memnon de Rhodes disposera de 50 000 mercenaires grecs . En 388 avant J.-C., les Athéniens envoient à Evagoras de Chypre, le stratège Chabrias à la tête d’une force principalement constituée de mercenaires (environs 3000), avec laquelle il passe en 386 avant J.-C. au service du pharaon Achôris, quand la paix du roi exclut Chypre de la sphère d’intervention des Grecs. Diodore rapporte qu’Achôris « rassembla un grand nombre de mercenaires, en leur offrant des salaires élevés, et en se comportant en bienfaiteur pour beaucoup d’entre eux » (Diodore, XV, 29). Pour preuve de leur présence en Egypte, une inscription contenant dix noms de Grecs conservés au hasard (significatif de leur diversité ethnique) montre que : cinq viennent d’Athènes, et cinq autres respectivement de Corinthe, de Béotie, de Nysiros, de Caryanda, 89 et de Cyrène76. En 385-382 avant J.-C., Pharnabaze, chargé par le Grand Roi de reprendre le contrôle de l’Egypte (redevenu indépendante depuis 405 avant J.-C.) échoue complètement face à Chabrias. Artaxerxès lance alors une expédition contre Chypre, commandée par Tiribaze. Lors du débarquement sur l’île, l’armée royale constituée de nombreux mercenaires grecs se trouve coupée de ses arrières par la flotte chypriote et souffre de la famine. Les mercenaires grecs se révoltent alors contre Tiribaze et ne se soumettent pas avant l’arrivée d’un convoi de ravitaillement . Fort de la victoire sur Chypre, le Grand roi tente à nouveau une expédition contre l’Egypte en 380-379 avant J.-C. toujours sous le commandement de Pharnabaze. Le stratège perse réussit à convaincre les Athéniens de rappeler Chabrias, privant ainsi l’Egypte d’un défenseur. Selon Diodore, il obtient aussi l’envoi d’Iphicrate à la tête de 20 000 mercenaires grecs recrutés dès 375 avant J.-C. dans tout le monde grec. A la suite d’une brouille entre Pharnabaze et Iphicrate, accusé par le satrape de vouloir « s’emparer de l’Egypte pour son propre compte » (Diodore, XV, 43, 2), ce dernier s’enfuit de nuit pour être remplacé au printemps 372 avant J.-C. par Timothée ; date à laquelle Pharnabaze est démis de son commandement au profit de Datamès (satrape de Cappadoce) qui déserta et se révolta peu après. La rébellion de Datamès est le prélude de la grande révolte des satrapes qui proclament leur indépendance à partir de 370 avant J.-C., avant de se faire la guerre entre eux. En 366 avant J.-C., Athènes envoie Timothée faire le siège de Samos, occupée par Kyprothémis mercenaire grec de Tigrane, pour soutenir Ariobarzanès (satrape de Daskyléion) avec une armée comprenant 8 000 peltastes77. En 362 avant J.-C., les satrapes d’Asie Mineure font alliance avec Tachos, le nouveau roi d’Egypte et s’entendent pour recruter 20 000 mercenaires grecs, dont la moitié aurait été engagée par Agèsilas « sur les fonds envoyés par Tachos » (Polyen, III, 11, 5). Orontès, satrape de Mysie, prend la tête du mouvement mais il trahit ses collègues et livre au roi le trésor commun dont il a la garde ainsi que les mercenaires qu’il commande. La révolte s’épuise ensuite dans les multiples combats entre satrapes et l’empire échappe à l’éclatement grâce à l’incapacité des rebelles à s’entendre entre eux et à nouer des alliances durables. En 358 avant J.-C., date de l‘avènement d’Artaxerxès III, les satrapes d’Asie Mineure auraient reçu l’ordre de licencier leur armée de mercenaires. 10 000 mercenaires auraient été licenciés et auraient trouvé un emploi auprès de Charès qui participait à la Guerre des Alliés (357-355 avant J.-C.). Artabaze, nouveau satrape de Daskyléion, se révolte de nouveau contre le roi et propose à Charès de rejoindre son armée, ce qui lui apporte la victoire contre l’armée royale. Artaxerxès proteste contre cette violation de la paix du roi, et menace Athènes de représailles ce qui a pour conséquence l’interdiction faite à Charès de rester au service d’Artabaze. En 349 avant J.-C., une révolte éclate à Chypre et la répression est confiée par le Grand Roi à Idreus, satrape de Carie, disposant de 8000 mercenaires sous le 90 commandement du stratège athénien Phocion. Artaxerxès fermement décidé à reprendre l’Egypte avec 14 000 mercenaires grecs, dont il fait une répartition des plus innovantes sous la forme de trois corps composés des meilleures troupes grecques et perses, le tout sous double commandement. La bataille qui a lieu près de Péluse oppose ainsi face à ces troupes d’autres Grecs car le Pharaon autoproclamé Nectanebô en a 20 000 à son service dont une grande partie est sous les ordres d’Agèsilas qui s’est conformé à la morale mercenaire en se ralliant au plus fort (suivi en bloc par ses troupes pourtant habituée à se battre pour Tachos, ce qui illustre bien les liens unissant les mercenaires et leur chef). Tachos privé de ces soldats, se rend au Grand Roi et Nectanebô de perdre face à ce dernier et de s’enfuir en Ethiopie. En 340 avant J.-C. quand Philippe de Macédoine veut mettre le siège devant la cité de Périnthe, Artaxerxès III ordonne aux satrapes d’Asie Mineure d’aider la cité grecque, ce qu’ils font en réunissant une armée composée de mercenaires grecs et commandée par l’Athénien Apollodore ; ce qui provoque le retrait des troupes macédoniennes. En mai 334 avant J.- C., les troupes de Darius III (nouveau roi des Perses) s’opposent au Granique à l’armée d’Alexandre supérieure en nombre ; les 20 000 mercenaires grecs aux ordres des Perses sont massivement massacrés, à l’exception de 2 000 prisonniers réduits en esclavage et envoyés en Macédoine, et de quelques rescapés « qui passèrent inaperçus parmi les cadavres » (Arrien, Anabase, I, 16, 2). Cette victoire donne le contrôle du Nord-Ouest de l’Asie Mineure à Alexandre, ce qui lui permet de prendre successivement Sardes, Ephèse, Milet et Halicarnasse. Chacune de ces villes est tenue par des garnisons de mercenaires grecs : celle d’Ephèse s’empare de deux trières et s’enfuit par la mer, et celle de Milet reçoit le pardon d’Alexandre, à condition que ces 300 membres combattent désormais les Perses. Un nouveau choc a lieu à Issos entre Perses et Macédoniens en 333 avant J.- C., durant lequel les 10 000 mercenaires grecs s’enfoncent entre l’infanterie macédonienne et la cavalerie commandée par Alexandre, réussissant à rester groupés ils parviennent à gagner la côte où ils s’embarquent à Tripoli. A partir de là, ils se dispersent, une partie d’entre eux commandée par Amyntas et Aristomède gagne Chypre puis l’Egypte où ils sont écrasés par le nouveau satrape perse qui en a le contrôle, Masakès. Environ 4 000 grecs accompagnent le roi dans sa fuite après Issos ; alors que d’autres rescapés sont engagés par Agis, le roi de Sparte, allié de Pharnabaze contre Alexandre. En 331 avant J.- C .à Gaugamèles, les mercenaires grecs sont placés de part et d’autre de la garde royale, une nouvelle fois face à la phalange macédonienne ; défaits à nouveau, ils accompagnent Darius dans sa fuite jusqu’en Bactriane ; après l’arrestation du Grand Roi, ils se réfugient dans les montagnes puis finissent par se rendre à Alexandre qui les enrôle dans son armée. En Orient, il existe deux types de mercenaires : ceux qui restent au service de leurs employeurs comme gardes du corps et ceux, plus nombreux, qu’on embauche dans un but défini 91 (expédition, révolte, etc…). Autre pratique courante au IVe siècle avant J.- C. en Orient, l’emploi par les Perses et les Egyptiens de contingents déjà formés et d’armées entières de Grecs, sans avoir à gérer eux-même la question du recrutement. Ainsi, la manière la plus répandue pour engager des mercenaires est de s’adresser à un stratège connu qui soit engage les effectifs nécessaires, soit passe avec son armée directement au service des Perses et des Egyptiens, sans même avoir l’accord de sa cité parfois ; comme nous l’avons vu nombres de stratèges célèbres du IVe siècle servent en Orient, de Conon à Chabrias en passant par Agèsilas Timothée et Iphicrate. L’emploi des mercenaires participe à l’ouverture de l’Empire perse sur le monde Egéen et du poids croissant de sa moitié occidentale au IVe siècle avant J.- C.. le marché des hommes de guerre est stimulé par cette demande interne de l’empire et constitue un des termes de l’échange entre ces deux mondes, fondé sur leur complémentarité. Leur utilisation n’est pas la cause de l’affaiblissement de l’Empire au IVe siècle avant J.- C., ni le signe d’on ne sait quelle décadence, mais elle joue le rôle de révélateur de ses faiblesses et de ses tensions structurelles. L’Empire perse demeure un ensemble géopolitique constitué par la conquête et maintenu par la force : le pouvoir royal doit régulièrement contrer les tendances sécessionnistes qui animent les composantes régionales et ethniques de l’empire. Les mercenaires présentent les avantages, du point de vue de leurs employeurs, de la disponibilité rapide, et parfois immédiate, de la formation en unités tactiques souvent déjà constituées, et pourvues de leur commandement propre, et de la technicité constamment entretenue ou presque par les réemplois successifs : ces unités sont donc opérationnelles sur le champ. Par comparaison, l’armée royale et les troupes satrapiques traditionnelles paraissent lentes à rassembler, lourdes à manœuvrer et manifestement hétérogènes. _____________________________________________ NOTES DE LA TROISIEME PARTIE 1 Cf. Y.Garlan, Guerre et économie en Grèce ancienne, Paris, 1989, p.172. 2 Enée, Traité sur la défense des villes, XXVIII, 5. 3 Isocrate, VIII, 24. 4 Diodore, XIV, 78, 2. 5 Diodore, XIV, 96, 4. 6 Plutarque, Timoléon, XXII. 7 Plutarque, 46, 2. 92 8 Diodore, XV, 32, 2 et 5. 9 Diodore, XV, 32, 3. 10 Xénophon, Les Helléniques, VI, 5, 49. 11 Xénophon, Les Helléniques, VII, 1, 25. 12 Diodore., XVI, 2 , 6 ; 3, 5. 13 Diodore., XVI, 38, 2. 14 Démosthène, VII, 37 ; IX, 15. 15 Xénophon, Les Helléniques, VI, 2, 11. 16 Diodore XIX, 60, 1. 17 Xénophon, Les Helléniques, III, 1, 4 et III, 1, 28 et Diodore, XIV, 36, 2. 18 Xénophon, Les Helléniques, VI, 2) 19 Xénophon, ibid., V, 1, 13-17 ; 19-24. 20 Xénophon, ibid., III, 4, 15. 21 Xénophon, ibid., V, 2, 38 ; V, 3, 3-6. 22 Xénophon, ibid., V, 4, 39 ; 59. 23 Xénophon, ibid., VI, 5, 11-17 et 28. 24 Xénophon, ibid., V, 4, 15 et 20-24. 25 Xén., Hipparque, IX, 4 et Les Helléniques, VI, 4, 10. 26 Xénophon, Les Helléniques, V, 2, 20-22. 27 Xénophon, ibid.,., VI, 2, 5 et 16. 28 Xénophon, ibid.,, VI, 2,6. 29 Xénophon, ibid.,, V, 4, 54. 30 Xénophon, ibid., VII, 5, 25 et Diodore, XV, 85, 6 ; 86, 3. 31 Xénophon, Les Helléniques, VII, 4, 6. NOTES DE LA TROISIEME PARTIE (Suite) 32 Xénophon, Les Helléniques, V, 4, 36-37. 33 Diodore, XVI, 25, 1 ; 30, 1-3. 34 Diodore, XVI, 31-2. 35 Diodore, XVI, 32, 4 ; 33 , 2 ; 35, 4. 36 Diodore, XVI, 58, 1. 37 Diodore, XVI, 59, 2. 38 Plutarque, Timoléon, XXV. 93 39 Polyen., IV, 2, 18. 40 Démosthène, XVIII, 237. 41 Xénophon, Les Helléniques, VII, 44-46. 42 Plutarque, Lysandre, 30 et Agis, 20. 43 Xénophon, Hiéron, V, 2. 44 Diodore, XI, 67. 45 Diodore, XIV, 7. 46 Pseudo-Aristote, Economique, II, 2, 20 a ; 41. 47 Diodore, XIV, 15, 3. 48 Xénophon, Les Helléniques,V, 1, 26. 49 Diodore., XV, 70, 1. 50 Xénophon, Les Helléniques, VII, 1, 20-22 et Diodore, XV, 70, 1. 51 Diodore, XIV, 34 et 69 et XV, 44. 52 Plutarque, XXII, 8. 53 Diodore, XXX, 6. 54 Diodore, XXX, 7. 55 Plutarque, Timoléon, 24,2 et Diodore, XVI, 72, 3. 56 Plutarque, Timoléon, 1,6. 57 Diodore, XVI, 65, 1. 58 Plutarque, Timoléon, 30,8. 59 Diodore, XVI, 69, 4. 60 Diodore, XVI, 82, 1 et Plutarque Timoléon, 30, 2. 61 Diodore, XVI 1, 82, 3. 62 Diodore, IX, 32. NOTES DE LA TROISIEME PARTIE (Fin) 63 Diodore, XIX, 62, 4. 64 Xénophon., Anabase, I, 1, 7-9 ; I, 2, 1. 65 Xénophon., ibid., I, 2, 6 et 9. 66 Xénophon., ibid., III, 3, 7 ; I, 2, 9. 67 Xénophon., Anabase, I, 1, 2. 68 Xénophon., ibid., III, 1, 26 et 31. 94 69 Xénophon., ibid., I, 8, 25. 70 Xénophon., ibid., I, 7, 10. 71 Xénophon., ibid., VII, 8, 24. 72 Xénophon., ibid., III, 3, 1. 73 Xénophon., ibid., III, 1, 20 et V, 1, 6. 74 Xénophon., ibid., V, 6, 30. 75 Xénophon., ibid., VII, 2, 3 et Diodore, XIV, 31, 4. 76 Cf. G.T.Griffith, The mercenaries of the Hellenistic World, 1935, p.239. 77 Isocrate, XV, 111. _____________________________________________ CONCLUSION GENERALE L’émergence du mercenariat au cours de la guerre du Péloponnèse et sa forte croissance au cours du IVe siècle sont longtemps associées à une crise de la cité, une « crise de dégénérescence » qui s’explique très bien, surtout par le parallèle avec la période archaïque, marquée elle-même par la « crise de naissance » de la cité (Garlan, 1972, p.74). Si cette dernière image est fondée, la première reçoit de moins en moins l’adhésion et l’on tente d’atténuer à la fois les difficultés 95 traversées par les cités démocratiques grecques à l’aube de l‘époque hellénistique et la responsabilité qui jouent les mercenaires. Une évaluation approximative des chiffres fournis dans les sources littéraires conforme la plus grande disponibilité de ressources humaines sans toutefois permettre de conclure, comme on l’a longtemps fait à une surabondance de ces « spécialistes apatrides stipendiés » (cf. Y.Garlan, 1972, p.67). En 399 avant J.-C., on dénombre près de 40 000 mercenaires dont plus de la moitié à Syracuse ; en 366 avant J.-C., on en compte près de 20 000 dont la moitié en Grèce égéenne ; en 353 avant J.-C. plus de 20 000 dont encore plus de 10 000 en Grèce, en 339 avant J.-C., peu de temps avant le choc de Chéronée, Démosthène rassemble une armée de 10 000 mercenaires pour le compte d’Athènes et dans la guerre contre Philippe et enfin en 329 on ne compte pas moins de 50 000 mercenaires dans les troupes d’Alexandre (cf . compilation globale de Parke, 1933, tableau 2). En même temps que l’offre, la demande s’accroît au IVe siècle avant J.-C., mais il semble que finalement l’offre dépasse la demande, ce qui amène en fin de période à une situation où l’on peut à n’importe quel moment, si on en a les moyens financiers, lever en un court laps de temps une énorme armée mercenaire telle l’armée phocidienne et le recrutement ne pose plus qu’un problème financier. Au cours du IVe siècle avant J.-C., on observe en corrélation avec ce développement de l’offre et de la demande et l’usage accru de mercenaires par les cités, une quasi disparition des spécialités nationales, c’est-à-dire des contingents étrangers recrutés pour leur maîtrise reconnue d’une arme ou d’une technique particulière (archers crétois, frondeurs rhodiens, etc…). En fait , les mercenaires ce sont en quelque sorte progressivement standardisés et constituent de plus en plus les corps d’infanterie légère désignés sous le nom de peltastes, ceci fait écho à l’analyse d’ensemble concluant à une croissance du professionnalisme militaire au cours du IVe siècle. Peut-on parler de bouleversements des conditions de la guerre et des mentalités ? Ce serait plutôt l'évolution des techniques qui aurait eu des répercussions profondes, car elle exigeait des troupes plus entraînées et de meilleurs stratèges. Ces derniers, placés à la tête d’armées mercenaires disposent d’une liberté accrue dans la mesure où ils ne sont pas contraints de se justifier devant leurs soldats, comme c’est la cas avec les armées de citoyens. Vénérés par leurs soldats, surtout losqu’ils sont victorieux, et souvent éloignés de leur cité d’origine dans l’espace comme dans le temps, ils peuvent agir à leur guise et se faire engager au plus offrant. Ainsi, il est bien certain que de nouveaux risques sont apparus pour les autorités des cités, tel celui de voir ses propres troupes débauchées par un adversaire plus généreux ; mais il y a plus grave, ainsi l'habitude est vite prise de considérer que ces soldats peuvent se nourrir et se payer sur la conquête à faire. Certes, c'est là une bonne incitation à se battre avec ardeur, mais c'est aussi la voie ouverte au rançonnement des alliés et aux opérations à but exclusivement lucratif. Ceci s'accompagnant en outre de la nécessité d'être 96 sans cesse en mouvement pour occuper les hommes et réaliser - ou faire espérer - du butin, dès lors la guerre engendre la guerre. Par conséquent, au IVe siècle avant J.-C., et aussi parce que la technè envahit l’armée et le monde de la guerre ; le stratège n’est plus nécessairement un citoyen-magistrat mais un chef de guerre, de même que le vrai soldat est de moins en moins le citoyen-hoplite (Cf. L.M.Marinovic, p. 270-273). Mais les mercenaires, qu’ils soient Grecs ou d’origine barbare, ne se louent pas uniquement avec l’espoir d’une solde attrayante, vu la modicité de cette dernière, ni même d’un butin important. Beaucoup désirent se rendre maîtres d’une cité ou de fonder une cité nouvelle, ce qui rejoint le mouvement de colonisation du siècle précédent. Ils veulent être reconnus ou se faire reconnaître comme membres d’une communauté existante et nouvelle, de détenir à ce titre un certain pouvoir et de jouir de certains droits assurant leur avenir matériel et pour y parvenir, ils ne sont pas très exigeant quant au régime politique (cf. Y.Garlan, 1989, pp.143-172) La généralisation du mercenariat a conduit les historiens (telle L.M.Marinovic) à conclure à la fin de l’ère du citoyen-soldat, à une baisse de l’esprit civique et du sentiment patriotique qui faisaient jadis de tout citoyen le meilleur défenseur de la cité. Mais cette période de changements, parfois de bouleversements, n’a plus l’image négative qu’on lui conférait habituellement ; de même, la professionnalisation des chefs militaires et des soldats grecs n’est pas aussi révolutionnaire qu’on le pensait. Ainsi, Y.Garlan (1972, p.160) a démontré les différents facteurs permettant d’envisager le mercenariat comme l’une des facettes de la pratique militaire grecque ; depuis l’époque classique, les alliances entre cités ont mené sur le champ de bataille des soldats tout à fait étrangers aux différents ; enfin l’organisation de l’armée en classes d’âge, l’entraînement de l’éphèbe et l’élection des stratèges sont autant de facteurs qui illustrent l’acceptation d’un professionnalisme militaire. De même, l’implantation de soldats par Alexandre puis ses successeurs doit être traitée comme « un aspect du mouvement de colonisation grecque », au même titre que la colonisation archaïque qui avait épongé les surplus démographiques. Faut-il pour autant rejeter en bloc les conceptions passées du déclin progressif de la cité ? De la guerre du Péloponnèse jusque vers le milieu du siècle (année 360 avant J.-C.) les documents littéraires et épigraphiques athéniens montrent que les troupes de mercenaires ne sont jamais plus que des effectifs complémentaires aux troupes civiques athéniennes. Loin de remplacer les soldats-citoyens en manque de patriotisme, les troupes professionnelles sont encore recrutées au titre d’une spécialité, d’une aptitude technique que des citoyens-soldats ne peuvent égaler en dépit de leur entraînement éphèbique. Dans la seconde moitié du siècle, l’augmentation observable du nombre de mercenaires dans l’effectif des troupes athéniennes serait imputable non pas à une modification de l’organisation de l’armée, mais à l’évolution des guerres qui plus que jamais se passent loin des frontières de l’Attique. Les 97 Athéniens ont recours à des mercenaires pour des raisons pratiques dictées par le manque de ressources humaines dont les causes sont à chercher plus dans une courbe démographique en baisse que dans le manque d’esprit patriotique des Athéniens. La réforme du système de l’Ephébie après 338 avant J.-C. démontre le refus des Athéniens de s’en remettre entièrement à l’expérience des mercenaires. Le citoyen n’a pas définitivement renoncé à être un soldat comme en témoigne l’existence de milices nationales à Pergame à la fin du IVe siècle avant J.-C. Deux cas de figure sont possibles parmi les témoignages de cités en crise à cette époque : ou bien une crise provoque une attaque de la cité, par la venue de renforts extérieurs convoqués par une faction politique exilée, par exemple ; ou bien l’attaque de la cité agit comme le catalyseur d’un malaise profond couvant depuis longtemps ( cf. R.Lonis, p.243 in P.Carlier). Bien que les campagnes souffrent d’une certaine diminution de la main-d’œuvre, le problème de l’approvisionnement des armées toujours plus mobiles et plus nombreuses contribue à l’augmentation de la circulation de marchandises, notamment de produits agricoles en Grèce égéenne. Il reste pourtant que l’essence des activités mercenaires se fonde sur la destruction du système agricole et artisanal qu’ils encouragent, ce qui créé un « cercle vicieux » (cf. L.M.Marinovic, p. 282 ). La guerre et les luttes civiles dans les cités, la lutte entre les quelques riches et les nombreux pauvres, une authentique lutte des classes, sont dans une large mesure responsables du faible taux de croissance démographique au IVe siècle avant J.-C. ; ce sont sans doute moins les pertes humaines dues aux nombreuses batailles que l’insécurité générale qui dissuadent les citoyens grecques de s’accorder le luxe de grandes familles. Le mercenariat influe donc sur tous les secteurs fondamentaux de la vie grecque et en subit en retour l’influence : économie (agriculture, artisanat, commerce), politique (luttes intérieures des cités et guerres), affaires militaires et idéologie. Tout en favorisant le développement des relations commerciales et monétaires, ainsi que de certains secteurs de l’artisanat, il apparaît comme une force destructrice apportant la mort et le chagrin, l’asservissement, la violence, le pillage et la ruine. Le mercenariat est un véritable parasite qui tire sa substance de l’économie des cités, vivant de la guerre et la nourrissant de par son existence même, il interfère dans l’économie de la Grèce, la poussant toujours davantage à la multiplication des conflits intérieurs et extérieurs. En effet, en une époque où les tentatives pour établir entre les Etats grecs une paix commune (koinè eirénè ) se multiplient, la présence des mercenaires entretien un climat de troubles et de désordre auquel seul l’établissement d’un certain ordre après la mort d’Alexandre mettra fin. Notons le maintien des activités « politiques » des mercenaires dans les royaumes hellénistiques, activités définitivement comparable à celles des citoyens. Ainsi, ils se regroupent en 98 associations (politeumata, koïna) de nature variées : fondées sur l’âge (éphèbes, jeunes, vétérans), sur l’appartenance à un même corps, sur la participation à une même expédition, sur le stationnement en un même endroit ou dans une même région, sur leur lieu d’origine (associations ethniques), sur l’égalité des grades ou la similitude des fonctions, et, de plus en plus, sur une communauté de culte ou sur la fréquentation d’un même édifice culturel comme le gymnase. Donc, la tendance amorcée au IVe siècle avant J.-C., se confirme aux siècles suivants, l’armée mercenaires même lorsqu’elle se forme en marge du corps civique, tend à assumer les mêmes fonctions et à se fondre dans les mêmes cadres institutionnels que celui-ci. Et parallèlement, à l’époque hellénistique, les mercenaires sont plus que jamais des suppôts de la tyrannie, des garants du pouvoir monarchique, à la fois protecteurs et oppresseurs ; ce sont eux qui apportent gloire, puissance et richesse ; mais qui diffusent aussi la culture grecque grâce aux gymnases et au maintien des cultes nationaux et régionaux. Faisons rapidement un bilan du « phénomène mercenaire » sur l’ensemble de notre période, tout d’abord intéressons-nous aux points positifs : - les citoyens sont libérés des charges militaires, - les cités ont désormais à leur disposition, dans l’exercice de la guerre, des stratèges et des soldats expérimentés, entraînés et dociles dans la mesure où ils sont payés à temps, - le commerce, l’artisanat et la circulation monétaires se développent indéniablement grâce aux expéditions et aux prises de butin. Sur le plan des inconvénients, la liste est un peu plus longue en revanche : - le budget des cités est grever à cause du paiement des soldes, ce qui accroît la crise économique, - l’agriculture souffre beaucoup des ravages de la guerre ce qui influe également sur la situation économique et sociale, - l’armée tend à concurrencer, ou du moins à se séparer de la polis pour devenir une communauté civique à part mais fondée sur le même modèle, - la tyrannie trouve des soutiens et les cas attestés se multiplient , - la guerre nourrit la guerre et renforce son caractère permanent, - l’esclavage comme facteur de richesses se développe, - les raids de brigands et l’insécurité sont en hausse. En accord avec les thèses défendues par L.M. Marinovic, nous avons mis tout ces éléments en relation sous forme schématique, afin de visualiser le « cercle vicieux » qu’est le mercenariat pour le monde grec (voir annexe I, p.109). 99 Au IVe siècle avant J.-C., dans le monde grec, la guerre est ainsi marquée par deux réalités opposées, une crise économique et sociale dans les cités et la volonté viscérale d’hégémonie, de conquêtes pour « renflouer les caisses », ce qui les vide encore plus en réalité. Peut-être faut-il mettre cela sur le compte du goût ancestral des Grecs pour l’agôn, la compétition sur tous les plans, dans les débats politiques, aux jeux olympiques et jusque sur le champ de bataille. _____________________________________________ BIBLIOGRAPHIE SOURCES LITTERAIRES ARISTOPHANE, Théâtre complet, traduction de P.Thiercy, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, Paris, 1997, 1359 p. ARISTOTE, Constitution d'Athènes, traduction de G. Mathieu-Haussoulier, Gallimard, 1996, 205 p. 100 ARRIEN, Histoire d’Alexandre. 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( peltastes au combat, en hiver, en bas à droite). 108 ANNEXE III Le « nouveau » peltaste d’Iphicrate C’est un soldat très mobile, taillé pour les embuscades et autres escarmouches, en plus des javelots il porte souvent au côté un petit poignard ou une sorte de cimeterre, un sabre recourbé appelé machaïra ; également très utilisé dans la cavalerie. Le stratège athénien Iphicrate va faire évoluer le peltaste traditionnel, il n’est plus équipé d’un bonnet souple en peau de renard mais d’un casque en bronze, il troque sa tunique et sa cape pour une cuirasse en toile de lin beaucoup plus légère et déformable que les mailles en fil de bronze qui constituent les armures des hoplites, sa pelté fait place à un bouclier ovale plus large en osier puis en bois; chaussé non plus de hautes bottes mais de sandales légères en cuir faciles à dénouer appelées « iphicratides » (du nom du stratège Iphicrate qui a ainsi équipé le premier ses peltastes thraces), en plus de son épée et de ses javelots il gagne en pouvoir offensif grâce à une lance allongée (3,6 mètres) ce qu’il perd au niveau défensif . Archer scythe armant son tir L’archer ici représenté porte le bonnet typique long et conique, la tunique et les pantalons. Il tient dans ses mains un arc composite, assez petit, mais néanmoins capable de tirer des flèches à longue distance grâce à son excellente construction. L’arc à une base en bois entourée de tendons à l’avant et renforcée de corne sur l’arrière, les deux matériaux créant une tension accrue. Les extrémités de l’arc auxquelles est fixées la corde sont également en cornes. Le carquois ou gorytos est décoré de motifs et rempli de flèches à trois ailettes. L’archer ainsi représenté n’a pas d’armure car sa place n’est pas à la première ligne des batailles ; à l’inverse il se maintient à l’arrière pour tirer ses flèches sur l’ennemi, pendant que les lourdes troupes armées sont positionnées entre lui et les forces adverses au corps-à-corps. Illustrations : reconstitutions tirées d’Hellas.net. 109 ANNEXE IV Peltastes thrace avec pelte et longue lance Illustrations: in J.P.G.Best., Thracian Peltasts and their Influence on Greek Warfare, WoltersNoordhoff (éd.), Groningen, 1969, 149 p. Illustrations çi-dessous : (a) British Museum et (b) University of Pennsylvania Museum. Projectiles de fronde marqués du nom de la cité du frondeur - (a) Tétradrachmes d’argent représentant un archer et un cavalier scythe ou thrace ( IVe siècle av.J.-C.) – (b) 110 ANNEXE V Décomposition du mouvement du lancer de javelot par un peltaste Le projectile est légèrement tenu avec deux doigts, alors que les autres sont pris dans la lanière de cuir qui est collée autour de la hampe. La lanière de cuir ajoute de la puissance au lancement, et améliore de manière significative l’efficacité mécanique du jet alors que l’effet de vrille communiqué aide à la précision du javelot. Fronde et frondeur thraces Souvent pieds-nus et sans bouclier (ou sinon avec une pelté en osier), ce sont généralement les soldats les plus pauvres, leur fronde est leur arme unique même si parfois certain porte une dague à leur côté. Les frondeurs thraces étaient beaucoup moins célèbres que leurs confrères rhodiens ou odrysiens. Illustrations : reconstitutions par D.Carlsson. Archer thrace armant son tir, poignard au côté. 111 ANNEXE VI Noble cavalier thrace Possible représentation d’un cavalier lourd de la fin du Ve siècle ou du début du IVe siècle av.J.-C. Un équipement alternatif incluerait des hautes bottes à la place des cnémides. Illustration : Dessin de D. Head. Reconstitution d’une kopis ou machaira (épée courbe) La machaira était réservée aux nobles thraces pendant la période classique et avait une valeur prestigieuse considérable, les troupes régulières lui préférant le couteau courbé. Puis la période hellénistique voit la cavalerie thrace s’en équiper en complément des 2 javelots en bois traditionnels ; les sabres de cavalerie prendront souvent cette forme aux siècles suivants car la courbure donne un élan supplémentaire au mouvement de balayage descendant de l’arme (même si la courbure de la lame sera plutôt dans l’autre sens). Illustration : Dessin de D. Carlsson représentant un soldat Lydien en pleine action armé d’une machaira. 112 ANNEXE VII Casque thrace (IIIe-IIe siècle av.J.-C.) Illustration : casque retrouvé dans la plaine du Kazanluk. Armure de Bronze (IVe s. av.J.-C.) Illustration : Armure pour cavalier en 3 parties conservées au Sofia History National Museum. Casque de type illyrien Ainsi nommé à cause de l'abondance des modèles sur la côte orientale de l'Adriatique, ce modèle se retrouve jusqu'en Grèce continentale. Héritier des casques helladiques non métalliques, il est caractérisé par de grandes paragnathides fixes qui protégeaient les côtés du visage ainsi que la gorge. Nous pouvons noter qu'il est démuni de couvre-nuque. Le casque illyrien sera utilisé du VIIIe au IVe siècle avant notre ère. Illustration : casque conservé à Kassel 113 ANNEXE VIII Casque de type corinthien Son apparition semble être contemporaine de la fin des casques de type conique. La représentation la plus ancienne que l'on en ait trouvé date de 700 av. J.-C. sur un vase de style géométrique. Dès le VIIe siècle avant notre ère, il se répand dans toute la Grèce. Il évolue vers une ergonomie du crâne; à l'époque archaïque, il se décore sur la face et s'épaissit, puis les forgerons l'allégeront, probablement à cause de l'utilisation d'un sous-casque en cuir ou en tissu. Parfois muni d'une crête ou d'un cimier, plus rarement orné d'appliques latérales, l'iconographie le montre souvent porté de faon relevée. C'est le casque de l'hoplite et de la phalange Illustration : casque conique conservé à Kassel. Casque chalcidien C'est un modèle proche du casque corinthien, bien que plus léger et dépourvu rapidement de nasal. Les versions les plus récentes de ce type de casque ont déjà des paragnathides articulées. Il apparait dès le VIe siècle avant notre ère en Eubée mais on a trouvé des ateliers tardifs en Apulie et notamment à Tarente. Illustration : casque conservé au musée de l'Armée Casque pilos Apparu dès le Ve siècle avant notre ère mais surtout utilisé au IVe, il reproduit simplement la forme du bonnet en feutre répandu dans toute la Grèce. C'est un modèle plus léger que le casque corinthien mais qui ne protège pas le visage. Il est maintenu par une jugulaire directement fixée au timbre. Ce casque est parfois agrémenté d'un couvre-nuque ou d'un cimier. On retrouve ce type de casque dans le sud de l'Italie et jusqu'en Allemagne méridionale, ainsi qu'en Asie Mineure. Il est fait mention d'un exemplaire tardif en fer. Illustration : casque découvert dans le Tigre. 114 ANNEXE IX Casque béotien Utilisé du IVe siècle au II e siècle av. J.-C., c'est une variante du casque de type pilos avec des paragnathides articulées. Le début du IVe siècle est marqué par les guerres du Péloponnèse et ainsi que par l'opposition continuelle de Thèbes et d'Athènes. Il serait représenté, porté par des cavaliers, sur le sarcophage d'Alexandre ; d'ailleurs l'exemplaire exposé a été découvert dans le Tigre. Illustration : casque découvert dans le Tigre. Casque de type phrygien Ce type regroupe de nombreux modèles d'influences diverses. On le trouve du IVe au II e siècle av. J.-C. D'origine ionienne, il est surtout utilisé en Europe orientale et reste rare même en grande Grèce. Quoi qu'il en soit, ce casque est contemporain d'une période o le monde grec se détourne de l'Occident au profit de l'Orient. Illustration : casque conservé à Mayence. Casque de type attique C'est le casque de l'époque hellénistique; il est utilisé de la fin du IVe jusqu'à la moitié du II e siècle av. J.-C. (-146 : défaite de la ligue achéenne face à Rome et sac de Corinthe). Le modèle attique est généralement très décoré et ses canons semblent être parfaitement fixés. Beaucoup d'exemplaires en fer ont été retrouvés. Pour Rome, ce casque restera le symbole de la Grèce; peut-être les soldats de Pyrrhus portaient-ils un tel casque à la bataille d'Hèraclée (-280). Illustration : casque de Melos. 115 ANNEXE X Casque en argent du nord de la Thrace (env. 400 av.J.-C.) Ce casque somptueusement orné a était destiné aux riches membres des tribus du nord de la Thrace, vivant près du Danube, dans les actuelles Roumanie et Bulgarie. Il a été forgé à partir d’une feuille d’argent avec un important bombage au sommet pour éviter la gêne due au chignon porté par beaucoup de Thraces. Sur la pièce frontale ressortent gravés des yeux perçants surmontés par des sourcils broussailleux. Sur les couvre-joues (paragnathides), on peut voir un animal à cornes d’un côté et un oiseau de proie avec un lapin dans ses griffes et un poisson dans son bec de l’autre, le reste se compose de ruban et de dentelures : L’interprétation de ces motifs est incertaine , il semblerait qu’ils fassent référence à un mythe traditionnel bien connu des Thraces et bien approprié à l’armure élaborée des guerriers. Illustration : casque conservé au Detroit Institute of the Arts - (hauteur 24 cm) Cuirasse thrace en bronze L’armure était limitée aux nobles thraces , aux commandants de troupes et à la cavalerie lourde jusqu’à l’introduction des cottes de mailles pour l’infanterie par les Romains. A l’origine, l’armure était faite de cuir et/ou de bronze, mais les armures en fer commencent à apparaître au IVe siècle av. J.-C. Illustration : cuirasse conservée à l’ Ashmoleum Museum. 116 ANNEXE XI ( in MOSSE C.–SCHNAPP-GOURBEILLON A., Précis d’Histoire grecque : Du début du deuxième millénaire à la bataille d’Actium, 1990, p 218.) 117 ANNEXE XII ( in Guerres et sociétés dans les mondes grecs à l’époque classique, Pallas revue d’études antiques, 51, 1999, p 123). 118 ILLUSTRATIONS : - de couverture : Peltaste thrace traditionnel armant son tir de javelot, reconstitution issue du site Hellas.net. - de fin : Casque conique de type corinthien conservé à Kassel, photo prise au Musée de l’Université de Pennsylvanie. 119