Asist. univ. Coralia Handrea - Universitatea „1 Decembrie 1918”

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UNE LECTURE DIALECTIQUE DU CID DE PIERRE CORNEILLE
Asist. univ. CORALIA HANDREA
Univ. „1 Decembrie 1918”, Alba Iulia
Pour réaliser ce type de lecture dialectique, nous mettrons à la base de notre recherche l'ouvrage
de Serge Doubrovsky, Corneille ou la dialectique du héros.1 Les principes que le critique a énoncés,
pour préciser le cadre de son analyse, proclament l'œuvre comme objet esthétique en soi et comme
norme de vérité.
Le personnage héroïque ne s'identifie pas obligatoirement avec la figure centrale de ses pièces.
Le statut de personnage qui donne son nom à une œuvre ne suffit pas chez Corneille à élever ce
personnage au rang de héros. Ainsi, ce n'est pas parce que son surnom de Cid sert de titre à la pièce que
Rodrigue est un héros. L'héroïsme cornélien ne se réduit pas davantage à la bravoure militaire qui, si
elle est nécessaire (du moins en ce qui concerne les hommes) n'en est jamais la condition suffisante.
Don Diègue a été brave et Don Gomès est resté brave jusqu'à sa mort. Et pourtant, aucun de ces deux
braves hommes n'est un héros au sens cornélien du terme.
L'héroïsme cornélien suppose d'abord un certain nombre de prédispositions. 2La condition
essentielle et indispensable qu'une personne doit satisfaire pour devenir un héros est celle d'appartenir à
la famille des êtres généreux. Il y a une précision qui s'impose: le mot généreux doit être envisagé dans
son sens premier. En latin, genus signifiait "la race" et alors celui qui est généreux est le descendent
d'une famille noble.3 Par exemple, Rodrigue n'est pas généreux parce qu'il est bon ou charitable, mais
parce qu'il est de race noble. L'héroïsme cornélien est avant tout le privilège de l'aristocratie. Donc, la
générosité désigne l'aptitude à agir d'un noble pour défendre son sang, son rang ou son honneur. C'est
ainsi que Rodrigue et Chimène sont tous deux des généreux.
La seconde condition découle de la première: il faut posséder de la vertu pour être un héros.
Provenant du mot latin vir, la vertu désigne l'énergie physique et l'ensemble de qualités morales que
peuvent témoigner aussi les hommes que les femmes. Il s'agit de l'énergie que met un individu pour
accomplir ce qu'il croit être son devoir. L'exemple édificateur de personnage vertueux est dans Le Cid
celui de l'Infante. Elle est vertueuse non parce qu' elle est une princesse chaste, mais parce qu'elle
combat sa passion de toutes ses forces.
Ces deux critères de nérosité et de vertu, s'ils sont nécessaires, sont cependant loin d'être
suffisants. Dans le théâtre de Corneille, tous les nobles ne deviennent pas de vrais héros.
"L'héroïsme cornélien n'exclut ni la souffrance ni les déchirements (...) et il vise à dépasser
toutes les contradictions qui existent pour réaliser la synthèse de tous les aspects de la personnalité"4. À
propos des contradictions qui surgissent dans toute âme humaine et à propos du théâtre de Corneille,
Serge Doubrovsky traite dans son ouvrage quelques-unes de ces contradictions qui apparaissent dans
les pièces de Corneille. 5Ainsi, le critique commence par trouver une telle contradiction dans le titre
même donné par le dramaturge à sa création: Le Cid-tragi-comédie.
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Et Doubrovsky continue de la même manière pour découvrir encore dans Le Cid des
contradictions, voire même des oppositions qui, en effet, concurrent pour créer un même sens. C'est
ainsi que le critique précise la contradiction qui existe entre le passé et le présent. Don Diègue et
Rodrigue sont égaux. Ils sont tous les deux riches. Rodrigue est brave et Don Diègue a été brave. En
fait, il s'agit d'un conflit d'ordre temporel. Le passé et le présent, la vieillesse de Don Diègue et la
jeunesse de Rodrigue semblent coïncider. La notion même de temps semble devenir inutile si on se
rapporte à la bravoure de ces deux personnages.
La vision que Doubrovsky propose pour analyser les personnages du Cid reprend les idées du
philosophe Hegel énoncées à propos de la dialectique du Maître et de l'Esclave. 6Tous les êtres humains
aspirent à devenir des Maîtres. Mais pour y arriver il faut qu'ils passent une épreuve généralement assez
dure: celle du combat. Rodrigue lutte pour accéder à l'héroïsme et jusqu'à la fin il réussit à être reconnu
par les autres en tant que héros. Mais Chimène échoue à passer l'épreuve de la Maîtrise et elle est
sauvée par la vaillance de son futur mari.
Nous essayerons par la suite de préciser quelques aspects qui définissent Rodrigue et Chimène
comme héros au sens cornélien du mot.
La personnalité de Rodrigue se compose de trois éléments: il est fils (de Don Diègue), il est
amoureux (de Chimène) et il est sujet (du roi Don Fernand). Chacun de ces éléments se trouve en
contradiction avec les deux autres. Comme fils, Rodrigue doit laver l'affront subi par son père et cet
accomplissement de la vengeance l'éloigne de Chimène. En tant que sujet, Rodrigue doit obéir au roi et
même mourir pour lui. Mais obéir à Don Fernand qui réprouve les duels, c'est ne pas assumer son
devoir filial et aussi, lutter contre les Maures, c'est risquer sa vie et perdre ainsi Chimène.
Alors, Rodrigue vit assiégé par des impératifs contradictoires. Mais il réussira à être à la fois
fils, "amant" et sujet en conciliant ainsi les inconciliables.
Rodrigue entreprend une démarche chronologique: il remplit d'abord le devoir envers son père
puis celui envers Chimène et enfin envers son roi. Pour y arriver, Rodrigue risque beaucoup. Il risque
son amour à l'honneur de sa famille et puis il risque sa vie en luttant contre Don Sanche. Après avoir
vengé son père, Rodrigue obtient la victoire sur les Maures et il bénéficie en même temps de la
clémence royale. C'est ainsi qu'il synthétise ses aspirations et c'est ainsi qu'il est reconnu en tant que
héros.
Chimène accède différemment à l’héroïsme parce qu'elle est femme. Ne pas venger la mort de
son père équivaudrait pour elle à nier sa race; oublier sa passion pour Rodrigue serait nier sa propre
nature. Dans la situation Chimène se trouve au début de la pièce, sa grandeur et son héroïsme
consistent à ne pas pouvoir choisir entre ses devoirs de fille et d'"amante". Elle ne peut pas avouer
qu'elle continue d'aimer Rodrigue. Et pourtant, elle fait cet aveu sous la pression des événements. Les
autres, qui assistent à cette scène où Chimène montre ses sentiments envers Rodrigue, comprennent dès
lors quel effort elle faisait sur elle-même. Tous considéreront qu'avoir pousaussi loin l'obéissance au
devoir équivaudra à avoir accompli son devoir. L'héroïsme de Chimène réside donc dans la tension
permanente dans laquelle elle vit. L'irruption de l'histoire, c'est-à-dire l'ordre du roi, permet à la jeune
fille de dépasser ses propres contradictions et d'en réaliser la synthèse.
Serge Doubrovsky affirme que pour atteindre la Maîtrise de soi, il faut toujours passer deux
épreuves: celle de la force physique, du risque de sa vie et l'épreuve de l'amour.7
Nous avons essayé de démontrer dans cet article comment Rodrigue et Chimène réussissent à
passer ces épreuves. Peut-être, en tant que femme, Chimène ne se hausse-t-elle pas au niveau de
l'héroïsme prouvé par son futur mari. Ou bien, la voie différente d'accès à l'héroïsme des deux
personnages nous donne les raisons pour faire une telle affirmation. En réalité, les deux jeunes gens
constitueront un couple héroïque dans un univers de gloire et de liberté.
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NOTES
1) DOUBROVSKY, Serge, Corneille et la dialectique du héros, Gallimard, Paris, 1963
2) GYURCSIK, Margareta, La littérature française classique, Tipografia Universităţii, Timişoara, 1980
3) CURIAL, Hubert, Le Cid. Corneille, Hatier, Paris, 1990, p. 42
4) CURIAL, Hubert, Le Cid. Corneille, Hatier, Paris, 1990, p. 43
5) DOUBROVSKY, Serge, Corneille et la dialectique du héros, Gallimard, Paris, 1963, p. 87-90
6) DOUBROVSKY, Serge, Corneille et la dialectique du héros, Gallimard, Paris, 1963, p. 92
7) DOUBROVSKY, Serge, Corneille et la dialectique du héros, Gallimard, Paris, 1963, p. 97
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