Notre Cid
Comment l’authenticité impétueuse de chaque instant peut-elle vaincre, par son intégrité, les
obstacles que l’existence dresse sur notre chemin ?
Corneille ne rédige pas un inventaire de ce qui lui semble bien et méritoire. Il ne nous dit pas que
Rodrigue et Chimène ont raison d’être de bons et dignes enfants de leurs pères ni qu’il est
exemplaire de respecter les traditions, si barbares soient-elles !
Il nous expose des mécanismes qui nous renvoient à des valeurs et nous interpellent dans les
contradictions les plus variées.
Nous allons laisser voir ce père de Rodrigue face à sa vieillesse et qui projette sans scrupule son
incapacité en décidant pour son fils. Nous allons laisser voir aussi à quel point le père de
Chimène souffre de voir un autre désigné à sa place, alors qu’il se croyait mériter cette place
d’honneur en toute légitimité. Nous allons raconter comment une justice centralisée va
remplacer des codes barbares et inhumains pour soulager la vie de la violence de la réciprocité.
Nous allons tenter de montrer un roi qui n’est pas objet de critiques, mais qui ménage cependant
ses intérêts les plus immédiats dans une situation politique tendue.
Nous allons mettre en jeu l’infernal effet de miroir qui brûle le regard poignant des amants
déterminés. Rodrigue a voulu défendre l’honneur de son père en se risquant à un combat pour
lequel il n’était pas préparé. L’auteur nous montre en le laissant gagner que « la valeur n’attend pas
le nombre des années… », mais aussi que la détermination que nous avons à nous confronter aux
choses définit davantage notre possible que la maîtrise à laquelle nous nous serions préparés.
Son acte courageux illumine sa noblesse et le rend encore plus séduisant. Cet acte que maudit
Chimène nourrit l’amour qu’elle avait pour lui et le transforme en une véritable passion à laquelle
elle ne peut que répondre par un retour à la hauteur de son immense grandeur. Nous allons
donner corps à cet amour incandescent, que les actes de courage enferment dans une spirale
d’ivresse. désirer le désir de l’autre, qui désire lui-même le désir de l’autre, se tord en une
rhétorique de sang, d’épée et de mort. Ils affronteront le langage jusqu’au bout de leur raison et
par la force du verbe transcenderont l’impossible à dire.
Avec Corneille, nous allons nous pencher sur le destin d’une princesse qui, au-delà de tout
soupçon, semble avoir hérité du plus triste statut, où rien ne semble possible.
Nous allons privilégier l’histoire avec tous ses rebondissements porteurs de subversion et
d’imprévisible.
Dominique Serron, le 9 septembre 2013
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