dossier

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DOSSIER
PREAMBULE
Si a de nombreuses reprises dans l'histoire du monde des crises des valeurs ont pu être évoquées,
nous croyons que notre époque ne fait pas exception. Il suffit en effet de regarder autour de nous
pour voir les effets de ce que l'on appelle depuis plus de vingt ans déjà "la crise". A travers
l'enseignement, le chômage, les valeurs idéologiques, notre monde est en pleine mutation, notre
société se parcellise. L'internationalisme des économies et des politiques voisinent les politiques
ethniques et les exploitations les plus barbares, et ce, à l'intérieur même des démocraties les plus
avancées. Pour tout un chacun, la marginalisation est devenue un risque quotidien.
C'est pourquoi nous avons eu l'envie d'en parler. De mettre sur le tapis des questions
fondamentales. Sur notre chemin, nous avons rencontré CAMUS et MEURSAULT. Au-delà de
l'anecdote, le personnage et l'auteur tiennent un discours d'une actualité brûlante. Qui oserait
encore dire aujourd'hui qu'il ne risque pas d'être demain l'étranger d'un autre, l'étranger d'un
système auquel pourtant il participe et dans lequel il vit ? Bien sûr, MEURSAULT n'est pas un
martyr, une victime innocente ; Mais nous pourrions tous être le coupable de quelqu'un, ne fut-ce
que par la couleur de notre peau, notre langue ou notre religion. Peut-être le serons-nous demain.
1 - La COMPAGNIE DE L'OURS
Créée en 1989 par des élèves du Conservatoire de Liège, les activités de la Compagnie furent
reprises en 1993 par l'équipe actuelle.
"LEONIE FAIT DES HISTOIRES " (1995-96) basé sur " Léonie dévore les livres " de
Laurence Herbert, " Le monstre poilu " et " Le roi des bons " de Henriette Bichonnier.
Avec : Fréderique Geron, Alexandra Marotta, Scarlett Schmitz, Philippe Peteers, José Rodriguez.
Mise en scène : Vincent Goffin
" L'ETRANGER " (1996-2000) D'Albert CAMUS. Avec Marc Gooris Mise en scène Marc
Gooris et Marie jo Delhaye.
" ESCURIAL " de M. de GHELDERODE (1996-97) en collaboration avec le Théâtre
ARLEQUIN, Avec Georgy Ivanov, Alexandre Tireliers, Marc Gooris. Mise en scène : Marc
Gooris
" LE PENDU VOUS SALUE BIEN ou François de Montcorbier, dit FRANCOIS VILLON
" (1998-99) de Marc GOORIS Avec Marc Gooris, Jean François Warmoes, Dorothée Lambinon
Mise en scène Jean-Pierre Laruche
Ces spectacles ont été présentés un peu partout en Belgique ainsi qu'au Canada pour trois d'entre
eux : " 5 ANS ET DES CADEAUX " présenté à Montréal et Québec en décembre 1993 "
L'ETRANGER " Festival Fringe de Montréal 1996, Théâtre Denise Pelletier Montréal
Septembre Octobre 1997 et octobre 1998 " LE PENDU VOUS SALUE BIEN " présenté au
Théâtre Denise-Pelletier en septembre/octobre 1998. le spectacle fut présenté également à Paris,
au Festival d’Avignon en 2001 et 2002, au Festival de Sierre, en Suisse ; au « Internationalen
Theater of Frankfürt » en Allemagne, au « Théâtre National de Basse Normandie » dans le cadre
de la foire du livre de Caen, au « Grenier Théâtre » de Verdun, au « Festival du Printemps » de
Châlon-sur-Saône.
2 - PRESENTATION DE L'AUTEUR
CAMUS est né en Algérie en 1913 et est mort en 1960 dans un accident de voiture sur une route
de France. Lors de sa disparition, à 47 ans, il était mondialement connu et à l'âge où d'autres
auteurs arrivent seulement à la célébrité, il laissait derrière lui une des oeuvres les plus
importantes de la littérature française du siècle. CAMUS, en quelques oeuvres denses, s'est
illustré dans presque tous les genres (Si on excepte la poésie) de l'expression écrite. Ses articles
journalistiques, au début de sa carrière, ses romans (L'Etranger, la Peste, La Chute), ses
nouvelles (L'Envers et l'Endroit, L'Exil et le Royaume), ses pièces (Caligula, Les Justes), ), ses
adaptations (Requiem pour une nonne, Les Possédés) et ses essais (Le mythe de Sysiphe,
L'Homme Révolté) lui ont assuré une célébrité que le temps ne dément pas
Celle-ci n'est pas bâtie sur du sable et la profondeur de vue de l'auteur, la justesse de ses
engagements et les questions qu'il soulève au fil de son oeuvre n'en finissent pas de nous
interpeller.
Dès ses premiers articles, il aura un ton incisif, une attitude entière qui se reflète dans toute son
oeuvre. A 26 ans déjà, avec son Enquête en Kabylie, il dérange les sphères du pouvoir ; il ne
s'arrêtera jamais. Il prendra parti pour les républicains espagnols contre Franco durant la guerre
d'Espagne ; Il luttera contre le fascisme (Mais non contre l'Allemagne) durant la seconde guerre
mondiale et tentera de concilier (réconcilier ?) les inconciliables durant la guerre d'Algérie.
CAMUS ne sera jamais un extrémiste ; il ne se bat que par nécessité. Il ne sera jamais un foudre
de guerre mais un homme refusant la lâcheté et assumant ses idées et ses idéaux.
On a voulu en faire un chef de file de l'existentialisme, à l'égal de SARTRE. C'est une étiquette
qu'il a toujours refusée, et aujourd'hui que l'existentialisme est une pièce de musée, on voit à quel
point il en était loin. De même, il est difficile de l'évoquer sans que ne surgisse l'Absurde. Mais il
ne faut pas perdre de vue que ce n'est là qu'une facette de sa pensée, illustrée par un cycle
d'oeuvre : "L'Etranger, Caligula, Le Mythe de Sysiphe." Ce n'était qu'un point de départ, non un
aboutissement, une série de questions, non des réponses absolues. CAMUS ne sacrifiait pas à
une mode, à un courant de pensée. On peut dire sans injure qu'il n'a rien inventé : Camus vient en
droite ligne des Grecs, de Nietzsche, Dostoïevsky, Pascal et Molière ; Gide, Malraux,
Montherlant dans les contemporains. Mais il était lui-même jusque dans ses doutes les plus
profonds et c'est ce qui donne encore aujourd'hui à son oeuvre une actualité qui ne s'est jamais
démentie. Certains ne s'y étaient pas trompés : le 17 octobre 1957, CAMUS reçoit, honneur
suprême, le prix Nobel de littérature pour "l'ensemble d'une oeuvre qui met en lumière les
problèmes se posant de nos jours à la conscience des hommes". Il n'avait que quarante-quatre ans
et encore peu de temps à vivre.
3 - L'ETRANGER - le roman
Si elle n'est pas la première oeuvre publiée, l'Etranger est néanmoins la première oeuvre connue
du grand public. Quatre mois à peine séparent la rédaction de l'Etranger du Mythe de Sysiphe :
Les questions que soulève l'ouvrage de philosophie agitaient donc vraisemblablement l'auteur
lors de la rédaction du roman et bien que L'Etranger aie une existence autonome, Le Mythe en
est aussi un commentaire, au moins en partie. L'origine du roman apparaît d'ailleurs comme
disparate : Des parentés avec "l'envers et l'endroit" sont évidentes, comme par ailleurs une
filiation avec un roman jamais publié "La mort heureuse".
Si on s'arrête à l'histoire, à l'anecdote, nous pourrions résumer le roman de cette façon : Le jeune
Meursault est un petit employé de bureau algérois, pauvre et solitaire. Au début du roman, il
apprend le décès de sa mère à l’asile de vieillards. Au retour de l’enterrement, il retrouve ses
habitudes et ses voisins, Céleste, Masson, le vieux Salamano, enfin Marie Cardona, une dactylo
qui a travaillé avec lui autrefois. Une idylle se noue entre les deux jeunes gens. Marie devient la
maîtresse de Meursault. Un peu plus tard, Meursault fait la connaissance d'un certain Raymond
Sintès qui devient son copain et qui l'emmène à la plage. Querelles avec des Arabes ; bagarre.
Raymond prête son revolver à Meursault qui tue l'Arabe. Après son arrestation, Meursault va
passer une année en prison en attendant son procès. Parce qu'il a fait preuve d'indifférence à
l'enterrement de sa mère, qu'il est allé voir un film comique avec une femme le lendemain, qu'il
ne regrette pas vraiment son crime et qu'il ne croit pas en Dieu, Meursault est condamné à la
peine de mort.
Une note de Camus nous renseigne cependant très vite sur la profondeur du roman : "Un homme
qui ne veut pas se justifier- L'idée que l'on se fait de lui lui est préférée. Il meurt, seul à garder
conscience de sa vérité." Dès 1935, Camus avait rêvé de réconcilier roman et philosophie : "On
ne pense que par image ; Si tu veux être philosophe, écrit des romans." Cependant, il révoquera
toujours le titre de philosophe et se considérera comme un artiste, reprochant volontiers aux
philosophes de perdre le réel de vue et de se griser d'une gymnastique intellectuelle dangereuse
pour tous.
On pourrait être tenté de voir en "L'Etranger" une illustration des idées défendues dans "Le
mythe de Sisyphe". Si l'on peut les mettre en parallèle, il faut cependant reconnaître que l'on
retrouve dans l'ensemble des oeuvres de l'auteur les mêmes thèmes et les mêmes préoccupations.
Par exemple, Les réflexions sur la peine capitale émailleront toute l'oeuvre de CAMUS. Ce n'est
pas seulement la barbarie du procédé qui l'émeut, c'est aussi le fondement juridique d'une telle
sanction : "Selon un magistrat, rapporte-t-il, l'immense majorité des meurtriers qu'il avait connus
ne savaient pas le matin qu'ils allaient tuer le soir." Meursault, bien entendu, est dans ce cas.
Logiquement, les thèmes de l'innocence et de la culpabilité seront aussi présents de manière
récurrente et liés au thème de la culpabilité, la situation de Meursault devant les hommes, sa
qualité d'étranger trouveront des échos jusque dans les dernières oeuvres de l'auteur.
L'originalité tient ici au fait que l'histoire est la vie de Meursault racontée par lui-même. Camus
délègue donc à Meursault le rôle de narrateur. (Pour définir en profondeur le point de vue du
narrateur, nous vous renvoyons au point Dramaturgie) Or, Meursault est un héros ambigu :
Jusqu'à quel point est-il vraiment coupable ? Peut-on considérer sa condamnation comme une
erreur judiciaire ? Il est vrai que Meursault a fait montre d'insensibilité à la mort de sa mère, qu'il
a tiré sur un homme et qu'en tout état de cause il a encore tiré quatre fois alors que son adversaire
était hors d'état de nuire. La valeur exemplaire du roman vient de ce que Meursault n'est pas tant
victime d'une malheureuse coïncidence que d'un enchaînement logique des faits et de la marche
normale de la justice des hommes. Il l'admet d'ailleurs lui-même en reconnaissant que la
plaidoirie de l'avocat général présentait les faits d'une manière logique : "Ce qu'il disait était
plausible." Cependant, dans Le mythe de Sisyphe, Camus écrit : "Ai-je besoin de développer
l'idée qu'un exemple n'est pas forcément un exemple à suivre ?
Les ambiguïtés de Meursault ne sont pas des marques d'insuffisances de l'auteur : elles donnent
le ton de l'oeuvre et vouloir à tout prix les résoudre serait en un sens trahir l'intention de Camus,
et jouer le rôle du prêtre ou de l'aumônier. Nous ne pouvons que reconnaître une prise de
conscience chez Meursault, découvrir en même temps que lui son attachement aux êtres et aux
choses ; nous pouvons dire "Il est ainsi." Quant à apprécier son niveau d'intelligence et de
culpabilité, c'est l'affaire de la société - donc de chacun d'entre nous. Héros ? Martyr ? Disons en
tout cas de Meursault qu'il est une victime, victime d'une société qui a besoin de tout savoir, de
tout expliquer, et qui préfère à l'homme l'idée qu'elle s'en fait. Pour avoir été lui-même,
simplement, et avoir refusé de livrer son mystère, Meursault ne peut attendre d'elle aucune
indulgence.
Le style de l'écriture frappe par sa simplicité, par son naturel. Il peut sembler, quand on lit
"l'Etranger" que l'art du roman est à la portée de tous ; mais il faut comprendre que le refus de
l'ornement ne vient pas forcément d'une insuffisance, et qu'il n'est pas de chemin plus difficile,
en art que la conquête de la simplicité. R. Quilliot (La pléiade p 1917) écrit à ce propos : “Le
problème essentiel reste celui du style. Or, c'est le style qui fait l'originalité profonde du livre, un
style fort bien analysé par SARTRE à l'époque de sa parution, avec ses mots-tampons, ses
isolants qui retardent le récit et aggravent le sentiment d'absurdité. Conjonctions, passés
composés, répétitions, tout cela visiblement concerté comme l'écrivait CAMUS en 1942. (...) Il
me semblait que le style de l'étranger portait la marque du récit de type populaire qui ne joue
guère que sur deux temps : l'imparfait et le passé simple, qui juxtapose les phrases et ne les
coordonne que par des "et" et des "alors". En un sens, la langue de l'Etranger serait à la fois
littéraire - en tant que reconstruction - et profondément populaire.”
Populaire parce que c'est Meursault qui parle, dans une retranscription fidèle d'une façon de
parler des Français d'Algérie. la façon dont il traduit ses impressions et les événements dont il a
été témoin donne à ceux-ci un sens à l’intérieur de la fiction. Reconstruction parce qu'en
évoquant par de petites phrases courtes, que ne relie le plus souvent aucun rapport de cause à
conséquence, les faits les plus anodins et les plus importants, Meursault paraît dénoncer comme
de simples préjugés les points de vues que nous en avons ordinairement. Son style exprime que
pour lui, il n'existe pas de petits problèmes ; son observation des détails ou sa manière de peser
en toute chose le pour et le contre révèle un esprit scrupuleux et observateur. Camus ne prend pas
Meursault comme intermédiaire pour écrire un reportage : il s'oblige, à travers lui, à une difficile
ascèse pour redécouvrir un monde nivelé par l'oeil neuf d'un personnage indifférent aux valeurs
humanistes traditionnelles.
CAMUS avouait volontiers, en particulier au sujet de l'Etranger, ses prétentions au classicisme.
Etre classique, c'était pour lui dire le moins et suggérer le plus. A cet égard, l'Etranger est d'un
classicisme militant et Camus ne se contente pas de suggérer un univers de tendresse et d'accord
avec le monde : il dénonce ceux qui ont besoin de l'emphase du verbe pour avoir la chance de
saisir l'ombre d'une idée ou d'un sentiment.
4 - DRAMATURGIE
A - Le monologue
Le roman étant écrit à la première personne, il nous était évident que l'adaptation théâtrale devait
mettre Meursault seul en scène. Nous avons opté pour la forme du monologue pour deux raisons
: Premièrement, les événements, les différents personnages et leurs paroles sont chaques fois
rapportés par le héros lui-même, qui a un point de vue subjectif. En mettant d'autres personnages
en scène, on obtiendrait un effet d'objectivité qui fausserait la perspective voulue par CAMUS et
qui fait la spécificité de son roman. Ensuite, nous croyons qu'en ne rapportant les événements
que par le point de vue de MEURSAULT, nous restons plus proche de l'oeuvre originale tant au
niveau du texte qu'au niveau de sa signification. SARTRE, dans son "explication de l'Etranger"
écrivait : "Entre le personnage dont il parle et le lecteur, CAMUS va intercaler une cloison
vitrée. Qu'y-a-t-il de plus inepte en effet que des hommes derrière une vitre ? Il semble qu'elle
laisse tout passer, elle n'arrête qu'une chose, le sens de leurs gestes. Reste à choisir la vitre : ce
sera la conscience de l'Etranger. " C'est cette conscience que nous avons voulu présenter sur
scène ; il fallait donc absolument que tous les événements soient relatés à travers les filtres de la
perception de MEURSAULT, et qu'il soit donc seul à prendre la parole. Ce personnage est une
simple conscience interposée entre l'auteur et le monde (les spectateurs en l'occurrence) au
travers de laquelle sont perçus, sans qu'intervienne un créateur tout-puissant qui les organise et
les hiérarchise, les êtres et les choses. Meursault est à la fois la conscience au travers de laquelle
on perçoit les autres personnages mais également son personnage à lui. Ceci répond de façon
parfaite à la nécessité théâtrale : le théâtre n'est pas la vie mais un point de vue sur elle.
MEURSAULT en prenant la parole ne nous raconte pas sa vie objectivement, il nous livre son
point de vue. C'est ce point de vue qui le fera condamner et dont on peut dire qu'il fait de lui un
Etranger pour les autres, mais aussi à lui-même.
Une critique, Claude Edmonde Magny écrit ceci : "On dirait que sa vie se projette sur un écran
au fur et à mesure de son déroulement et qu'il la contemple de l'extérieur. Les sentiments, les
réactions psychologiques qu'il cherche à atteindre en lui, il ne les y trouve pas : il ne trouve que
sa vision, absolument semblable à celle que peuvent avoir les autres de ses propres
comportements. Aussi s'apparaît-il comme étranger à soi-même : il se voit comme le voient les
autres, du même point de vue qu'eux."
B - LE POINT DE VUE DU NARRATEUR
Une fois admis le principe du comment théâtral de la prise de parole du personnage, il nous faut
réfléchir sur le pourquoi.
Dans le roman, cette définition n'est pas très claire : ce n'est manifestement pas un journal, même
tenu épisodiquement : Meursault semble parfois nous rapporter des événements presque sur le
vif, mais à d'autres moments, il manifeste une conscience et une analyse qui marque nettement
une réflexion nettement postérieure : "J'avais l'impression que cette morte couchée au milieu
d'eux ne représentait rien à leurs yeux. Mais je crois maintenant que c'était une impression
fausse." D'autre part, jusqu'au moment où il est jugé, MEURSAULT ne sent étranger en aucune
manière, ni par rapport à la réalité, ni par rapport à la société. Les mots "amitiés, amour"
supposent chez celui qui les prononce une prise de conscience de ses rapports avec ses
semblables. MEURSAULT ne se pose pas le problème des rapports humains : il les vit, et il est
étonné (Mais disponible) quand Raymond lui offre son amitié ou Marie son amour. Il est
indifférent à la mort de sa mère ou à la promotion que lui offre son patron. Tout cela change à
partir du procès : auparavant il montre une étonnante passivité devant les êtres et les choses. Le
procès est une prise de conscience : on lui impose le fait qu'il n'est pas comme tout le monde, on
décide pour lui que sa façon d'être, de se conduire, de parler, de percevoir les choses sont
néfastes. Il en restera très étonné, puis se révoltera (Face au juge d'abord mais surtout au prêtre
en suite) et revendiquera sa condition d'homme différent.
Le récit pourrait être construit de façon linéaire, nous montrant la progression de cette prise de
conscience : hors ce n'est pas le cas puisqu'en nous rapportant certains événements, il projette de
lui-même un éclairage différend sur ceux-ci, nous prouvant par-là que le récit ne peut qu'être
postérieur au procès, même si certains événements ont l'air d'être vécu au présent. Si l'on admet
que le récit est composé par Meursault dans sa cellule après le verdict, on gagne de donner à
l'histoire une perspective plus cohérente. A partir de cela, nous avons pu opter pour certains
choix qui, tout en enrichissant la spécificité théâtrale, ne dénature pas le roman : Nous prenons
comme options que MEURSAULT, sachant qu'il va mourir, fait le bilan de sa vie. Pourquoi le
fait-il ? Parce qu'en prison, il n'a rien d'autre à faire qu'à se souvenir. " J'ai fini par ne plus
m'ennuyer du tout à partir du moment où j'ai appris à me souvenir. (...) J'ai compris alors qu'un
homme qui n'aurait vécu qu'un seul jour pourrait sans peine vivre cent ans dans une prison. Il
aurait assez de souvenirs pour ne pas s'ennuyer." D'autre part, ces souvenirs peuvent à certains
moments être des tentatives d'explications de sa personnalité. Attention, il ne s'agit pas d'un
plaidoyer en faveur d'une innocence hypothétique : il s'agit plutôt d'une explication d'un
comportement logique dans un monde qui cherche une cohérence, puisqu'il lui faut analyser le
passé pour juger au présent. Meursault est un meurtrier puisqu'il était déjà insensible à la mort de
sa mère. Son roman "La Chute" sera défini comme un soliloque avec un interlocuteur muet :
"Tantôt l'homme se parle à lui-même, tantôt, il s'adresse à quelque auditeur invisible, une sorte
de juge." Nous pourrions, pour MEURSAULT dans sa cellule, reprendre cette définition.
En faisant ce choix, nous obtenons une cohérence théâtrale très grande, et pour ainsi dire, une
construction théâtrale classique respectant la règle des trois unités :
C - Le cadre
L'action du roman se passe presque entièrement à Alger, ainsi que sur une plage proche de celleci ; Nous situons l'action dans la cellule de Meursault, qui est aussi l'espace de sa mémoire. Il
peut donc recréer les lieux des différents événements de sa vie.
D - L'action
Le fait que MEURSAULT se souvienne des événements de sa vie ramène l'action à une
cohérence qu'elle n'aurait pas si 1- au départ, il enterrait sa mère, puis 2 - il rencontre Marie, puis
3 - il tue par hasard, etc. Ces événements disparates, sans aucun lien entre eux, ne prennent sens
qu'à partir du moment où, au procès, ils deviennent causes et effets. Ce dont Meursault se
défend, bien entendu. C'est cette défense, qu'il ne tient pas au procès, qu'il nous présente depuis
sa cellule. Cette défense est son point de vue, et le point de vue est une nécessité théâtrale.
E - Le temps
En jouant la carte du souvenir, nous pouvons dire que le spectacle se passe en temps réel. Nous
sommes au dernier bilan, c'est la dernière fois que MEURSAULT peut se souvenir ; Le spectacle
commence une heure et demie avant l'exécution. Si l'image n'était pas vulgaire, nous pourrions
imaginer qu'après sa dernière phrase, nous assisterions à l'entrée des avocats et du bourreau, qui
viendrait le chercher afin de le conduire au supplice. Mais le supplice en lui-même n'est pas
important et il nous le dit lui-même : Je suis coupable, je paye mais on ne peut rien me demander
de plus. Bien sûr, il a peur, mais il n'est pas désespéré. Ce qui est important, c'est qu'il
revendique son droit à la différence et qu'il meurt en accord avec lui-même.
5 - Scénographie
Suite aux choix dramaturgiques, la scénographie s'est imposée d'elle-même, dans sa simplicité et
son dénuement. Une cellule, avec son minimum, couchette, tabouret, table, quelques accessoires
: une photo de Marie, une trousse de toilettes... Toute la vie de MEURSAULT est dans sa tête et
son imaginaire. La scénographie l'est donc aussi. Toutefois, nous avons décidé de présenter un
MEURSAULT contemporain dans l'image, par son habillement. La portée de l'oeuvre est telle
qu'elle est universelle et nous pourrions présenter un personnage intemporel. Mais après nous
être adressé à un public d'adolescent, il nous a semblé qu'ils étaient sensibles à une situation dans
le temps et qu'ils pouvaient rapporter le contenu du spectacle et les questions posées à euxmêmes, aujourd'hui. Nous avons donc décidé d'actualiser "le look" de MEURSAULT.
6 - Intérêt pédagogique
Les exploitations pédagogiques de L'ETRANGER sont nombreuses ; Au-delà du romancier,
nous trouvons en CAMUS une des pensées les plus importantes de la littérature française du
siècle. Cependant, comme nous l'avons déjà vu, l'auteur se définissait comme un artiste et non
comme un philosophe. C'est donc autant dans sa production fictionnelle que dans ses essais qu'il
a développé sa pensée. Il a, de plus, toujours affirmé que son cycle de l'absurde (L'Etranger,
Caligula, Le mythe de Sisyphe) n'était qu'un point de départ et non des réponses à des questions.
Celles-ci sont nombreuses dans l'oeuvre de l'auteur mais tournent toutes autour de quelques idées
maîtresses, déjà présentes dans l'Etranger et qui se retrouveront dans toute son oeuvre.
Si, comme Camus le disait, tous les grands romanciers sont des philosophes, il ne fait aucun
doute que l'Etranger est une initiation captivante à la littérature et à la philosophie
contemporaine.
A - Le texte
A1 - Le classicisme de CAMUS
Le classicisme de CAMUS n'est pas seulement un classicisme littéraire : c'est également un
esprit formé à la pensée classique, c'est à dire aussi ouvert sur l'universel. L'auteur a puisé les
sources de son inspiration et le développement de sa pensée auprès des plus grands noms, quelles
que soient leurs origines : Plotin, Saint-Augustin, Epictète, Kierkegaard, Proust, Malraux,
Dostoïevsky. Il suffit de se rappeler que son mémoire de fin d'études s'intitulait "LA
METAPHYSIQUE CHRETIENNE ET LE NEOPLATONISME."
Dans "L'HOMME REVOLTE", son dernier essai, il explore les voies ouvertes par Nietzsche et
Dostoïevsky pour une nouvelle compréhension du monde et du destin de l'Etre Humain, et ce
dans la droite ligne des penseurs occidentaux depuis deux siècles. Cette recherche l'amènera à
approfondir le point de vue défendu dans le "Mythe de Sysiphe" et à donner la révolte en réponse
à un monde absurde, et ce au nom de la dignité humaine : "Je me révolte donc nous sommes."
Au niveau de l'écriture, et plus particulièrement de "L'Etranger", Camus a toujours revendiqué
son classicisme. Il écrit (Pléiade p 1898) "On s'approchera sans doute de la vérité en disant
seulement que la grande caractéristique de ces romanciers (Mme de Lafayette, Stendhal, Proust,
etc. ) est que, chacun de leur côté, ils disent toujours la même chose et toujours sur le même ton.
Etre classique, c'est se répéter. On trouve ainsi, au coeur de nos grandes oeuvres romanesques,
une certaine conception de l'homme que l'intelligence s'efforce de mettre en évidence au moyen
d'un petit nombre de situations. (...) Etre classique, c'est en même temps se répéter et savoir se
répéter" Cette définition de Camus lui-même nous renseigne tout de suite sur l'évidence de son
classicisme. En effet, les thèmes, les réflexions s'entrecroisent sans cesse dans son oeuvre, et se
retrouvent aussi bien dans l'Etranger que dans La Peste ou La Chute, pour ne citer que les
romans. Il pousse d'ailleurs les analogies jusque dans les noms de personnages : Dans la mort
heureuse, premier roman jamais publié, le héros se nomme MERSAULT.
A2 - Le nouveau roman
L'Etranger, à sa sortie, avait surpris par son style naturel, sa simplicité. Camus, bien qu'en
travaillant sur le schéma du roman américain (Privilégiant l'étude du comportement du
personnage au détriment de la psychologie de celui-ci) et en se réclamant du classicisme, avait
révolutionné l'écriture ; On ne trouve pas derrière la sienne les habitudes rhétoriques et les
volontés d'expressions propres aux romanciers français du XIXeme siècle. Cette révolution verra
naître plus tard "le nouveau roman". Roland Barthe (Le degré Zéro de l'écriture) écrit : "Cette
parole transparente, inaugurée par L'Etranger de Camus, accomplit un style de l'absence qui est
presque une absence idéale de style."
Cependant, s'il y a des parentés entre L'Etranger et des oeuvres d'auteurs de ce mouvement et si
certains de ceux-ci voient dans ce livre de Camus un précurseur, celui-ci, on l'a vu, revendique le
classicisme de son récit. Même si à certains niveaux une parenté profonde peut se traduire par
des similitudes au niveau de l'expression (Remise en question du personnage ou de la
personnalité), Camus ne s'est pas inscrit dans un mouvement littéraire ; Il fut peut-être un
précurseur, certainement pas un disciple.
Quelques jours avant sa mort, il déclarait : "Le goût des histoires ne s'éteindra qu'avec l'homme
lui-même. Ca n'empêche pas de chercher toujours de nouvelles manières de raconter, et les
romanciers dont vous parler ont raison de déchiffrer de nouveaux chemins. Personnellement,
toutes les techniques m'intéressent et aucune ne m'intéresse en elle-même. Si l'œuvre que je veux
écrire l'exigeait, je n'hésiterais pas à utiliser l'une ou l'autre de ces techniques ou les deux
ensembles. "
b- La Philosophie de CAMUS
L'œuvre de CAMUS est de celles qui résistent obstinément aux généralisations. On la résume
parfois en disant qu'elle exprime une philosophie de l'absurde.
La place de L'Etranger dans l'œuvre CAMUS n'est-elle qu'une illustration de cette philosophie de
l'absurde ? SARTRE, dans son analyse de L'Etranger, nuançait cette opinion en disant que le
Mythe de Sysiphe vise à nous donner la notion de l'absurde et L'Etranger le sentiment de
l'absurde. Mais qu'est-ce que l'absurde ?
Camus écrit : "L'absurde naît de la confrontation de l'appel humain avec le silence déraisonnable
du monde." De tout temps, les hommes ont interrogé leurs destins, voire leurs dieux, pour
trouver une justification à l'existence du monde, à la leur propre, et trouver un sens, une direction
où aller et une bonne raison d'y aller. Pour CAMUS, il n'y aura jamais que ces appels des
hommes et l'incohérence du monde. En effet, Dieu n'existe pas ou plutôt : Dieu est inimaginable
et n'a pas à être imaginé. C'est l'absence de Dieu et même de désir de Dieu. Reste donc l'homme,
seul, face au monde. Ce constat pourrait emmener au désespoir. Ce n'est pas le cas de Camus;
cette conscience de l'absurde le mènera à une philosophie de la lucidité et de la révolte.
Conscience et révolte sont le contraire du renoncement. Il s'agit de mourir irréconcilié avec le
monde, et non pas de son plein gré. Cette révolte néanmoins, reste "humaniste". Ce n'est pas
parce que le monde n'a pas de sens que tout y est permis.
Dans le Mythe de Sysiphe, CAMUS envisagera l'opportunité du suicide en réponse à l'absurde,
et dans l'homme révolté, il étudiera la réponse qui passerait par le crime, avec les conséquences
perverses d'une révolte mal comprise, comme par exemple la montée des états
concentrationnaires de notre siècle.
L'homme révolté, l'homme absurde sera donc cet homme qui sait qu'il doit se tenir debout par
lui-même mais aussi pour les autres. Pour chaque homme, il y a une action et une pensée
possibles au niveau moyen qui est le sien, et la recherche de l'Absolu n'est pas affaire de société,
elle est celle des hommes.
C'est pourquoi CAMUS tire comme conclusion : "JE ME REVOLTE, DONC NOUS
SOMMES."
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