- 3 -
DIYARBARKIR A L’EPOQUE DE MA NAISSANCE
Ville chef lieu du vilayet (province) turc du même nom, presque à égale distance de
Mossoul et d’Alep, au nord-ouest du premier et au nord-est du second. Bâtie sur le
flanc du parcours du fleuve Tigre, elle est entourée d’une haute et impressionnante
muraille de grosses pierres, érigée dans l’antiquité par les Perses ? les
Macédoniens ? ou par X ? La majestueuse muraille est percée de quatre issues
(portes), Nord, Sud, Est, Ouest. Ville musulmane, sa population est d’environ 50.000
habitants, comptant de nombreux chrétiens à majorité arménienne.
Pour exposer dans l’ordre chronologique les faits et les détails concernant la famille,
les origines de celle-ci, ma vie, et tout autre fait et événement, je vous signalerai ce
que m’a révélé ma mère :
« En l’an 1895, lors de l’exécution du programme du gouvernement turc visant
l’extermination de la population arménienne dans ses territoires, j’étais enceinte de
mon second enfant Milti. En 1896, la terreur battant toujours son plein en ville, mon
mari déterminé catégoriquement à fuir l’atmosphère grave, dramatique du pays
décide d’émigrer avec sa femme, sa fille Eleni âgée environ de deux ans et son
dernier né Milti, âgé de trois mois (c’est donc vers l’été 1896), et de se rendre à
Constantinople où il avait contracté durant ses années de séjour et d’études de
pharmacie, des connaissances et de solides amitiés. »
Cette fuite, dans le feu et le fer, tristement décrite par ma mère, n’a pas été facile et
sans risque. La terreur, les massacres régnant toujours en ville, mon père, acculé à
fuir les lieux, abandonna sa belle pharmacie, livrée au pillage et à l’incendie. Triste
épisode. Maman laisse à votre imagination les lamentables conditions dans lesquelles
fut entreprise et accomplie la migration précipitée de la famille vers la ville visée,
Constantinople. Là, papa, grâce au soutien de ses vieilles connaissances, put
accrocher une place dans l’armée ottomane et fut désigné pharmacien avec titre de
capitaine dans les hôpitaux militaires en Tripolitaine (en Afrique du Nord), territoire
sous la souveraineté ottomane à cette époque.
Je vous épargne la série des détails donnés par ma mère sur le voyage effectué en
1896, en bateaux sur le trajet Constantinople - Tripoli, via le Pirée, Naples et vous
dis aujourd’hui que de cette période de 13 années passées en Tripolitaine c’est-à-dire
depuis la date de notre entrée en 1896, moi bébé, dans ma toute première enfance, à
l’âge de 3, 4 mois jusqu’à celle de notre sortie à l’âge de 13 ans , je ne garde qu’un
vague et nébuleux souvenir des faits et événements qui s’y sont déroulés. Le
caractère dominant de notre séjour en Tripolitaine, c’était au dire de ma mère, dans
l’intention d’assurer l’instruction scolaire des enfants, l’établissement permanent de
la famille à Tripoli, ville principale de la Libye, d’où de par sa fonction officielle,
mon père se trouvait dans l’obligation d’être éloigné et fixé souvent dans les
hôpitaux militaires, loin du centre (à Bengazi, Homs, ou Derna). Aussi j’ai l’image
claire et vivante d’un voyage, à une époque, effectué avec maman, très surveillé par
elle, à dos de chameaux, à travers les vastes dunes du désert libyen, pour aller durant
les vacances scolaires d’été, rejoindre le papa, retenu dans une des régions ci-haut
mentionnées.