MON PERE Mon père d’un milieu intellectuel, par ses études, ses voyages, par les revues qu’il recevait, possédait trois frères, lui étant le plus jeune . L’aîné, médecin, émigré depuis longtemps en Iraq, y a vécu, y est décédé, il nous resta inconnu. Cependant un de ses arrière-descendants, Jarco, demeure à Beyrouth aujourd’hui. Le second, Pétraki, pharmacien aussi, comme mon père, a dû quitter aussi Diyarbakir, en 1896, fuyant le programme, pour s’établir avec toute sa famille, sa femme, sa fille, ses trois fils, Michel, Kosmi , Jean, en Egypte où tous sont morts. Joseph Pétraki, le quatrième fils, médecin, colonel militaire dans l’armée ottomane à Beyrouth, a fini par résider à Constantinople avec sa femme, une Grecque, où ils sont morts sans avoir eu d’enfant. A ma connaissance, Edouard, un fils du cousin Michel Pétraki, vit en Australie, marié à une Anglaise (connue durant un séjour en Angleterre). Kosmi n’a jamais été marié. J’ignore le sort des descendants de Jean. Le troisième, Vassilaki, fonctionnaire à la Dette Publique ottomane à Smyrne, du temps des « capitulations » en Turquie, a passé en Egypte, lors de la guerre grécoturque avec Mustapha Kémal. Veuf depuis longtemps, il y est décédé en laissant trois fils : Aleco, Cosmi, Miltiades, tous passés en Grèce après l’événement d’exode d’Egypte. Que sont-ils devenus en Grèce ? Nous l’ignorons. Le quatrième frère, mon père, vous connaissez déjà son histoire. Il est décédé précocement en 1915 à Diyarbakir, à la suite de la grave maladie contractée, le typhus exanthématique, qui sévit dans tout l’Orient durant la première conflagration mondiale des années 1914-1918. Cela survint durant ma présence à Beyrouth. -1- MA MERE Ma mère, de souche noble dans la région, avait deux frères. L’aîné, inconnu pour nous, décédé, a laissé un fils unique établi de longue date à Smyrne, fonctionnaire à la compagnie du port. Ce fils, en 1922, à la guerre grécoturque, à l’invasion de Smyrne, a fui la ville et s’est établi avec sa femme, son unique fils, ses quatre filles, à Marseille où je ne sais ce que sont devenus ces derniers après la mort de leurs parents. Le frère vivant de maman, oncle Rizkallah, que j’ai connu à Diyarbakir, bel homme, de taille élancée, à belle allure, habitait, dans son immense propriété, une vaste maison munie d’une grande cour avec un large bassin, avec sa mère, sa femme, son fils, ses deux filles et sa sœur célibataire, quatrième sœur de ma mère. J’ai connu dans cette maison, dès mon arrivée d’Alep, assise dans son étincelant lit blanc, ma grand-mère maternelle, une riante, belle octogénaire, à figure rondelette, rosée, et des cheveux blancs neige. Elle m’avait reçu et embrassé avec ses tendres lèvres pour la première et la dernière fois, avant de s’éteindre très peu de temps après. Laissez-moi vous dire ici que c’est dans cette vaste demeure que les aïeuls de cet oncle, il y a quelques siècles, avaient majestueusement reçu et hébergé le Sultan ottoman Murad IV à son passage à Diyarbakir. Oncle Rizkallah a été déporté comme homme politique chrétien influent et porté par la suite disparu durant la guerre 1914-1918. Sa famille entière émigrée en Egypte, y a disparu entièrement dont certains membres par la tuberculose. Maman avait quatre sœurs. L’aînée que nous n’avons jamais connue, décédée depuis longue date, a laissé une fille, Suzanne, devenue Madame Kurkgy à Beyrouth, mère de cinq filles dont l’aînée Clémentine a été l’épouse décédée de mon frère Ferdinand. Je ne sais comment cette cousine maternelle, Suzanne, a échoué à Beyrouth pour devenir Madame Kurkgy. Une seconde sœur, Philomène, devenue Madame Papas, que je n’ai pas vue non plus, décédée depuis longtemps, a laissé deux filles et deux fils. Les deux filles, émigrées à Alep, y sont mortes. Alexis a connu à Alep la plus jeune, Khounpouche (khalé). L’aîné des fils, Youssef, brillant homme politique éminemment cultivé en poste au gouvernement a été déporté par les Turcs et porté disparu par la suite durant les années de guerre 1914-1918, comme l’oncle Rizkallah. Le cadet, Abdine Papas, décédé à Alep a laissé plusieurs fils dont l’un, Edouard Papas, a épousé l’Anglaise que vous avez connue à Beyrouth chez feue Berthe Sabri. Puis Sophie Roumi, une tante, décédée à Alep, ayant laissé ses enfants que vous avez connus à Beyrouth dont il ne reste que la célibataire Marie Roumi, habitant rue Damas non loin de la Faculté française de Médecine, avec Loutfi son neveu qui est le frère de Madame Virginie Hakim ( mère de Reina Hakimian). A savoir que Virginie Hakim est la petite fille de tante Sophie Roumi (elle est la fille d’une fille morte jeune appelée Vahidé). La quatrième sœur Minouche qui habitait chez l’oncle Rizkallah avant l’émigration de sa famille en Egypte s’est éteinte à Diyarbakir. -2- DIYARBARKIR A L’EPOQUE DE MA NAISSANCE Ville chef lieu du vilayet (province) turc du même nom, presque à égale distance de Mossoul et d’Alep, au nord-ouest du premier et au nord-est du second. Bâtie sur le flanc du parcours du fleuve Tigre, elle est entourée d’une haute et impressionnante muraille de grosses pierres, érigée dans l’antiquité par les Perses ? les Macédoniens ? ou par X ? La majestueuse muraille est percée de quatre issues (portes), Nord, Sud, Est, Ouest. Ville musulmane, sa population est d’environ 50.000 habitants, comptant de nombreux chrétiens à majorité arménienne. Pour exposer dans l’ordre chronologique les faits et les détails concernant la famille, les origines de celle-ci, ma vie, et tout autre fait et événement, je vous signalerai ce que m’a révélé ma mère : « En l’an 1895, lors de l’exécution du programme du gouvernement turc visant l’extermination de la population arménienne dans ses territoires, j’étais enceinte de mon second enfant Milti. En 1896, la terreur battant toujours son plein en ville, mon mari déterminé catégoriquement à fuir l’atmosphère grave, dramatique du pays décide d’émigrer avec sa femme, sa fille Eleni âgée environ de deux ans et son dernier né Milti, âgé de trois mois (c’est donc vers l’été 1896), et de se rendre à Constantinople où il avait contracté durant ses années de séjour et d’études de pharmacie, des connaissances et de solides amitiés. » Cette fuite, dans le feu et le fer, tristement décrite par ma mère, n’a pas été facile et sans risque. La terreur, les massacres régnant toujours en ville, mon père, acculé à fuir les lieux, abandonna sa belle pharmacie, livrée au pillage et à l’incendie. Triste épisode. Maman laisse à votre imagination les lamentables conditions dans lesquelles fut entreprise et accomplie la migration précipitée de la famille vers la ville visée, Constantinople. Là, papa, grâce au soutien de ses vieilles connaissances, put accrocher une place dans l’armée ottomane et fut désigné pharmacien avec titre de capitaine dans les hôpitaux militaires en Tripolitaine (en Afrique du Nord), territoire sous la souveraineté ottomane à cette époque. Je vous épargne la série des détails donnés par ma mère sur le voyage effectué en 1896, en bateaux sur le trajet Constantinople - Tripoli, via le Pirée, Naples et vous dis aujourd’hui que de cette période de 13 années passées en Tripolitaine c’est-à-dire depuis la date de notre entrée en 1896, moi bébé, dans ma toute première enfance, à l’âge de 3, 4 mois jusqu’à celle de notre sortie à l’âge de 13 ans , je ne garde qu’un vague et nébuleux souvenir des faits et événements qui s’y sont déroulés. Le caractère dominant de notre séjour en Tripolitaine, c’était au dire de ma mère, dans l’intention d’assurer l’instruction scolaire des enfants, l’établissement permanent de la famille à Tripoli, ville principale de la Libye, d’où de par sa fonction officielle, mon père se trouvait dans l’obligation d’être éloigné et fixé souvent dans les hôpitaux militaires, loin du centre (à Bengazi, Homs, ou Derna). Aussi j’ai l’image claire et vivante d’un voyage, à une époque, effectué avec maman, très surveillé par elle, à dos de chameaux, à travers les vastes dunes du désert libyen, pour aller durant les vacances scolaires d’été, rejoindre le papa, retenu dans une des régions ci-haut mentionnées. -3- QUELQUES SOUVENIRS EPARS DANS LA VILLE DE TRIPOLI J’ai une nette souvenance de nos successives habitations dans quatre différentes maisons à Tripoli durant les 13 années de notre vie africaine. Au premier étage d’une maison située sur la principale artère de la ville, dans la rue Riccardo, large avenue, je garde deux principaux souvenirs. Au rez-de-chaussée, non loin des escaliers, dans un large espace, la présence d’une haute balançoire d’où, un jour de divertissement, j’ai été brutalement projeté en avant, à distance sur les grosses dalles du parquet. Toujours au rez-de-chaussée, face aux escaliers, la présence d’une chambre, dans laquelle vivait en permanence un vieillard à barbe blanche, un condamné à la réclusion à Tripoli, par le gouvernement du Sultan Hamid - m’avait-on dit. Quel âge pouvais-je avoir à l’époque, 5, 6 ans ? La seconde maison située toujours rue Riccardo sur la même ligne à 300 mètres environ de distance de la première, ne me rappelle rien de saillant. La troisième maison, dans l’arrière ruelle, parallèle à la rue Riccardo, me rappelle un capricieux souvenir de mon enfance. Le jeune Nicolas, environ de mon âge, peut-être 9, 10 ans, habitant avec ses parents en face de notre maison, son apparition dans la rue dès le déjeuner avalé, me signalait par un coup de sifflet sa présence, prêt à reprendre les jeux interrompus avant le repas, fait qui mettait en colère ma mère, révoltée par cette insistance à déserter la maison tout de suite après le déjeuner. La quatrième maison, non loin de la précédente, me rappelle la présence d’une ordonnance militaire mise à notre disposition pour nous apporter à chaque fin de mois les denrées attribuées à notre famille (viande, beurre, céréales, etc…) par l’armée. Pourquoi tous ces multiples déménagements ? C’était peut-être un régime inhérent aux dispositions militaires du pays. MA SCOLARITE Je fréquentais la grande école italienne très courue à l’époque à Tripoli. Les cours se pratiquaient en italien, le français était la langue secondaire. Le collège était situé presque à l’extrémité de la ville. Nous nous y rendions à pied, les livres en main. Je n’ai aucune souvenance du fait d’avoir vécu dans l’hiver, dans le froid, dans la pluie. C’était peut-être le climat nord africain, pas froid, pas pluvieux. J’étais un élève assidu et studieux. C’est à l’âge de 13 ans, durant l’année 1909, que nous quittâmes la Tripolitaine pour atteindre Alep où mon père nous plaça Ferdinand et moi dans l’école della Terra Santa en élèves pensionnaires pour l’année scolaire 1909-1910. -4- NOTRE SORTIE DE TRIPOLITAINE ET LA RENTREE DE LA FAMILLE A DIYARBAKIR Pourquoi ce départ d’Afrique et le retour à Diyarbakir ? Maman expliquait de la façon suivante cette malheureuse initiative : « Papa était las et déprimé par la surcharge de son travail, sous le poids d’une dysenterie chronique d’allure rebelle contractée en Tripolitaine. » Le persistant encouragement par lettres depuis Diyarbakir expédiées par l’oncle maternel, l’unique frère de maman, proposant à papa de retourner à Diyarbakir où la situation de la sécurité semblait être solidement établie, avec l’institution du nouveau régime turc dit « de l’unité et progrès », proclamé par la Turquie nouvelle, l’heureuse occasion de la présence d’une belle pharmacie libre à être vendue sur la place de Diyarbakir, ces facteurs, après une longue et mûre réflexion, sourirent à papa pour le décider à démissionner de l’armée et prendre le chemin du retour pour s’approprier la pharmacie et s’établir dans sa ville natale. Ce que je connais partiellement de ce retour : tout en ignorant la raison de notre départ, je me souviens vaguement en cette année de 1909 d’avoir voyagé en bateau pour atteindre la première étape, Alexandrie, où nous avons fait la connaissance de trois de nos cousins paternels, Michel, Cosmi, Jean. Le quatrième, le docteur Joseph Petraki, médecin colonel à l’armée ottomane était établi à Beyrouth, en poste à l’hôpital militaire. L’oncle Petraki était déjà décédé. J’ignore totalement le temps passé en Egypte. Notre seconde étape, toujours en bateau, était Beyrouth. Je n’ai pas le souvenir d’avoir vu et connu le cousin docteur, ni les Kurkgi, parents par Madame Suzanne Kurkgi, par notre mère . Suzanne était une nièce à maman, fille d’une sœur aînée décédée. Ici donc il m’est impossible encore de me prononcer sur le temps passé à Beyrouth. Peut-être nous l’avons quittée après un court arrêt. Notre troisième étape, Alep, la dernière pour moi, était atteinte par voie de chemin de fer. Je vous dirai succinctement que nous y avons habité pour un X de temps, une large maison quelque part en ville jusqu’à l’heure où papa nous ayant inscrits et placés en pensionnaires au collège italien della Terra Santa, nous quitta pour Diyarbakir en compagnie de maman, mon frère Panayoti enfant, ma sœur Marie bébé. MON ANNEE D’ETUDE A L’ECOLE D’ALEP Le collège della Terra Santa était d’instruction franco-italienne. A l’âge de 13, 14 ans cette scolarité de l’année 1909/1910 m’a valu la considération d’un brillant élève qui à la fin de l’année a pu mériter des prix d’excellence, distribués en grande pompe au cours d’une séance officielle. Je me rappelle le professeur de français Frère Etienne, le sympathique, jeune et dynamique religieux à la barbe noire. Mon principal souvenir à rapporter ici, c’est celui de la distribution au réfectoire, chaque vendredi soir au dîner, du Halawi que nous savourions avec joie. -5- MON RETOUR A DIYARBAKIR Pour passer les vacances de cette année scolaire de 1909/1910, nous avons été Ferdinand et moi expédiés, sous la vigilance et la protection d’une agence choisie par papa, chez nos parents à Diyarbakir. J’ai très peu de souvenirs sur le déroulement de ce voyage à bord d’une diligence et sur la traversée du grand fleuve Euphrate à bord des radeaux. Sur la recommandation de mon père nous avions abandonné au collège d’Alep nos prix, nos livres, nos literies, nos divers effets dans l’intention de revenir les trouver l’année suivante pour la poursuite de nos études. Mais non longtemps après notre arrivée à Diyarbakir, survint le conflit italo-turc, et c’est ainsi que papa renonça à nous renvoyer au collège d’Alep et nous garda à Diyarbakir. Il m’inscrivit alors au lycée turc de la ville pour les études de l’année 1910-1911. Durant ces vacances d’été, avant de fréquenter le lycée turc, j’ai assidûment fréquenté la pharmacie de mon père et y ai observé et appris beaucoup de choses concernant la pharmacopée. LES TROIS ANNEES DE MON SEJOUR A DIYARBAKIR Diyarbakir, à l’époque de notre retour dans cette ville 13, 14 ans après notre migration à l’étranger conservait obstinément son aspect et caractère antérieurs. Ville turco-musulmane, comme toutes celles d’Anatolie soit Trébizonde, Brousse, Ankara, Adana, etc…(excepté Constantinople riche en éléments étrangers) ou arabomusulmane comme Alep, Damas, Beyrouth, Jérusalem, privées d’éléments étrangers aussi. Diyarbakir avait toujours conservé sa vie sociale orientale, turco-arabe primitive. N.B. : Beyrouth et Smyrne différaient quelque peu par la présence de leur port et l’existence de leur trafic maritime. La population chrétienne de la ville était à majorité arménienne. Il y avait au deuxième rang les Assyriens orthodoxes (comme la famille Asfar) puis les Chaldéens (comme la famille Bengli) et très peu de Grecs, peut-être une trentaine de familles, comme j’avais pu comprendre par ouï-dire. On suppose que cette minorité grecque représentait le reste du passage des Grecs dans l’antiquité, dans cette région d’Anatolie. Comme preuve de ce reliquat, l’existence d’une très vieille église grecque orthodoxe, l’église Saint-Georges dans le quartier chrétien que nous habitions. J’ai le souvenir d’avoir habité à Diyarbakir, avec mes parents une vaste, belle et confortable maison, propriété de Monsieur Constantinides, père du jeune compatriote, qui, plus tard, lors de nos années d’études avec lui à Beyrouth, a partagé avec moi la même chambre d’abord, puis occupé une chambre attenante à la mienne pendant que lui suivait ses études de génie et moi celles de médecine. -6- Notre pharmacie était située dans le centre de la ville, à l’angle d’une rue, près d’une fontaine, face à une autre pharmacie dont les deux fils du propriétaire (Monsieur Kadri, chaldéen de confession) ont fait, plus tard, bien après moi, leurs études médicales à Beyrouth. Je les ai bien connus ici, promus médecins. L’aîné exerce aujourd’hui sa profession aux Etats-Unis en Amérique, le cadet la cardiologie à Beyrouth, à Fourn-El-Chebbak. C’est dans la pharmacie de mon père que durant mes années passées à Diyarbakir, j’ai sérieusement fait mon stage et appris l’essence du métier. A l’époque, le rôle, le travail du pharmacien étaient bien plus importants et lourds de responsabilités qu’ils ne le sont aujourd’hui. Ils ne consistaient pas comme actuellement à livrer en général et simplement des spécialités toutes prêtes, prescrites par le médecin, mais à exécuter dans la majorité des cas avec art et science des ordonnances formulées, qui exigeaient des préparations compliquées (des potions, lotions, cachets, pilules, mixtures, pommades, etc…) avec produits divers minutieusement dosés et pesés. Au collège turc, vaste établissement situé en dehors de la ville, à la bordure du Tigre, mon année de travail a été superbement profitable. J’y ai perfectionné les sciences et le français si bien qu’aux examens de fin d’année j’ai obtenu le chiffre de 10 maximum sur toutes les matières étudiées et j’ai décroché la première place sur la cinquantaine d’élèves de ma classe. Ce beau succès provoqua chez mon père une légitime joie et fierté mais aussi une pénible obsession ; celle d’une crainte pour ma vie, l’éventualité de ma suppression par les rancuniers et les jaloux et les fanatiques de la religion. Aussi, il m’empêcha de poursuivre mes études dans ce lycée turc et engagea un bon et patient professeur, un Arménien manchot de la main gauche pour assurer ma formation du français et des sciences. Concomitamment à la pratique dans la pharmacie, je poursuivais mes études sous la direction du professeur engagé, et très souvent durant de longues heures veillées dans la nuit à la lumière d’une lampe à pétrole. Je me rappelle les nombreuses fois où mon père ou ma mère venait tard, après minuit, éteindre la lumière et m’obliger à gagner le lit. Ainsi, la période du temps des années scolaires de 1911/1912 et de 1912/1913 fut écoulée d’une part par mon assiduité à la pratique de l’art à la pharmacie de mon père, d’autre part par la poursuite de mes études à domicile, sous l’égide du professeur engagé, cela jusqu’en juin 1913, date où j’ai définitivement quitté Diyarbakir pour entreprendre mes hautes études pharmaceutiques à l’étranger. -7- QUELQUES REMINISCENCES La vente en ville des gros melons ronds (de la dimension de grosses citrouilles) rainés extérieurement en tranches. Ils étaient très appréciés pour leur délicieuse saveur. La présence de grosses, je veux dire de gigantesques pastèques d’un mètre ou plus de dimension que l’on fendait avec des épées et vendait sur le marché par tranches. Ces deux cucurbitacées, voraces en eau, trouvaient au bord du Tigre où elles poussaient les éléments nécessaires (l’eau et la bonne terre) propices à leur bonne croissance. La présence au marché de gros poissons d’eau douce à chair très estimée, péchés journellement dans le Tigre. Notre estivage dans les vignes, hors des murailles, à une demi-heure environ de distance, où l’on se rendait souvent à dos d’âne. En 1911, le mariage d’Eleni, ma sœur, avec Joseph Asfar dans un hiver particulièrement glacial, où la température avait baissé à moins 23 et la neige massée en abondance en 2, 3 mètres d’épaisseur obligeait dans certaines rues et ruelles les gens à creuser des marches dans la neige pour atteindre la porte de leurs logis. Le cousin maternel Abdine Papas passait à papa les journaux «le Temps», «le Monde » d’aujourd’hui. Papa recevait son courrier, ses revues de Constantinople. Noyé dans mes préparations des ordonnances (sous la surveillance de papa) et absorbé par mes études de formation, je ne m’intéressais guère à ces publications. En l’été de 1912, la petite colonie grecque de Diyarkabir avait reçu de Beyrouth la visite du métropolite grec-orthodoxe Mélétios chargé par le Patriarcat de Syrie de visiter ses ouailles de la Mésopotamie et de la province de Diyarkabir. Je l’ai vu à deux reprises, venu à la pharmacie, en compagnie de son diacre Sergios. Papa les avait invités à déjeuner chez nous à la maison. Je vous signalerai plus tard le service qu’il m’a rendu à Beyrouth, où j’ai été en contact avec lui, lors des premières années de mon séjour à Beyrouth. Durant la même année, si je ne me trompe pas, un envoyé du siège de Constantinople de la compagnie d’assurances «Union de Paris», un jeune Grec, dynamique, bon causeur, possédant à fond en dehors de sa langue maternelle, le français, l’anglais, l’allemand, vint à la pharmacie proposer à papa une assurance à laquelle il s’inscrivit sans hésitation. Je vous signale ce fait parce que, bien des années plus tard, à Beyrouth, lors de notre habitation dans la propriété des Gellad, rue de Lyon, j’ai revu et reçu cette même personne, très amicalement. Fané, amaigri, il rentrait d’Egypte avec sa femme, définitivement en Grèce. Il avait trois petits carpets à liquider en ville. Je les ai achetés moi-même à 900 livres libanaises tous les trois. -8- Passons maintenant au sort de notre propre famille, la famille Nicolas Cosmidis. Dès le début de l’an 1913 mon père obsédé par l’instruction à donner à son fils après ses trois années de pratique pharmaceutique se décide à l’envoyer, pour parfaire ses études de pharmacie à Damas, à la Faculté Ottomane de bien grande réputation après celle de Constantinople. Aussi, après toutes les dispositions prises, et quelques certificats en main, et quatre livres or et des ……………en poche, papa assura mon voyage Diyarbakir-Alep, où je parvins, après une semaine de temps, toujours comme le passé, à bord d’une diligence et une traversée en radeaux du large fleuve l’Euphrate. D’Alep, grâce à l’appui des amis de papa, j’ai été expédié par train à Beyrouth, lieu de ma dernière destination avant Damas. A Beyrouth, je devais rencontrer mon cousin le docteur Joseph Pétraki, le quatrième frère Pétraki ; le médecin colonel de l’armée ottomane et chef de l’hôpital militaire de Beyrouth. Il devait s’occuper de moi. Grande fut ma déception à mon arrivée à Beyrouth, mon cousin le docteur se trouvait pour quelque temps à Constantinople. Son épouse, Espacia de nom, se trouvait retirée, en estivage à Marina-Settina, au couvent chez les Sœurs, non loin des bâtiments de l’UNESCO d’aujourd’hui à Beyrouth. J’ai la claire souvenance de ce début du mois de juillet, du pénible trajet que j’ai accompli à pied, en traînant derrière moi, durant les chaleurs, depuis la rue de France jusqu’au couvent, le portefaix chargé de ma lourde valise. Elle m’a reçu et hébergé jusqu’à l’arrivée de son mari, qui n’a point tardé (quelques jours à peine). Dès son arrivée et notre rencontre, grande a été encore ma surprise, dans les déclarations de mon cousin le docteur, avec ses deux objections : Pourquoi se rendre à Damas, tant qu’une faculté française de grande renommée existe à Beyrouth ? Pourquoi se faire pharmacien et pas médecin ? Les deux propositions me convenaient fort bien, je les ai communiquées dare-dare à mon père qui immédiatement m’a répondu, les approuvant et me laissant libre de toute décision. Ainsi j’avais renoncé à mon transfert à Damas, et avais entrepris les formalités de mon entrée à la Faculté française de Beyrouth, pour la branche de médecine. Durant cette période j’ai contacté Aristide Constantinides, ce compatriote ci-haut mentionné, étudiant au collège des Frères à Jemaïzé, avec qui nous avons loué une chambre commune à Achrafié, pour notre année scolaire 1913/1914. -9- MES ETUDES A BEYROUTH Le cousin docteur Joseph Pétraki, peu longtemps après son retour de Constantinople à Beyrouth, quitta définitivement le Liban et s’établit avec sa femme à Stamboul. Plus tard, après la première guerre mondiale, à mon passage par Alexandrie pour me rendre en France en 1925, ses frères m’apprirent qu’il était décédé sans avoir eu d’enfant. Avant d’entamer le récit de ma vie estudiantine laissez-moi vous décrire ce qu’était Beyrouth en 1913 lors de mon arrivée et de mon séjour dans cette capitale : ville arabe aussi primitive que celles de l’intérieur de la péninsule, sous domination ottomane, comptant à peu près 50-60 000 habitants. La place des Canons appelée aussi le Bourge était comblée et encombrée de gigantesques, disparates arbres sauvages, enchevêtrés, à feuillages touffus qui assombrissaient la place, sans bordure ni clôture. Dans l’ombre de leurs branches, s’abritaient 2, 3 cafés rustiques, arabes, où souvent des oisifs traînards venaient jouer bruyamment au tric-trac tout en fumant le narghilé et sirotant un café lequel pouvait souvent être imprégné de l’arôme de cardamome. La place était entourée de vieilles baraques et de constructions vétustes. Fourn-el-Chebbak consistait en quelques boutiques éparses, environnées de terrains et champs plantés. L’artère dite aujourd’hui rue de Damas, rue Weygand, rue Georges Picot, rue Bliss, etc..bien étroite à l’époque, était l’unique artère que traversait le tramway. Dans son secteur, Fourn-Chebbak-Nazareth, ( Nasra ), à part quelques bâtisses espacées, vétustes, ne brillait que par la nouvelle bâtisse ( de 1912-1913 ) de la faculté française de Médecine de Beyrouth. L’au-delà de la faculté, jusqu’à FournChebbak, c’était des végétations. Dans son secteur Ras-Beyrouth, se dressaient les établissements de l’université américaine, moins étendus qu’ aujourd’hui. Au-delà de l’université américaine, s’étendaient quelques vieilles bâtisses. Après le terminus, au bas de la descente, où aujourd’hui, se situe le bain militaire, deux petits cafés rustiques qui offraient, comme ceux de la place des Canons, café et narghilé. Quant aux hauteurs, la région dite Grotte des Pigeons, c’était le désert, sans construction, sans habitation, sans animation aucune. La rue Gouraud, jusqu’à la compagnie des Tramways, était celle d’aujourd’hui, audelà, elle se dissipait en vieilles constructions par-ci par-là avant d’atteindre le fleuve de Beyrouth. Le Bourge-Hammoud, centre de la population arménienne d’aujourd’hui, n’existait pas. C’était la campagne, la plantation. La rue Spears, étroite et sablonneuse était plantée de cactus. Le Hamra consistait en champs cultivés et plantés d’arbres dans toute son étendue. Le centre de la ville, le quadrilatère d’aujourd’hui, englobant Bab-Edriss, rue Patriarche Hayek, rue Café Hagi-Daoud, rue du Port, la ligne qui relie cette dernière à la place des Canons. Dans cette enceinte quadrilatère, point de rues larges, et des constructions présentes d’aujourd’hui. Elle représentait le centre commercial de la ville et n’était praticable qu’à pied et à dos d’âne, des ruelles accidentées. - 10 - Ce centre archaïque de la ville a été pendant la guerre mondiale (1914-18), bien avant sa fin, abattu, presque dans sa totalité, démoli intentionnellement par les Turcs, sur ordre du Vali de Beyrouth et du Général Djamãl Pacha, alors commandant militaire en chef de la région, dans le but de le reconstruire après la guerre, conformément à un plan moderne établi. Aussi, à l’arrivée de l’armée française, en 1919 (bien après celle de l’anglo-arabe d’occupation en octobre 1918 du Liban et de la Syrie) tout demeurait en ruine dans le quadrilatère tracé ci-haut. Seule l’artère de la ligne du tramway demeurait intacte. Elle traversait la masse des ruines. Ainsi, tout ce que l’on voit aujourd’hui de Beyrouth-Centre si majestueusement construite (hélas, aujourd’hui détruite par la guerre palestino-phalangiste) est en grande partie l’œuvre de la présence du mandat français et plus tard de l’Etat libanais, après son indépendance de l’an 1943. A savoir qu’à mon retour de Castellorizo en 1921, la ville conservait son aspect, son cachet ci-haut mentionné, à part quelques aménagements. La restauration n’avait pu être entreprise qu’après cette date, progressivement, après que la France ait pu occuper Damas après sa guerre contre l’armée arabe de Fayçal, établi solidement en Syrie, depuis octobre 1918. Ainsi, ces grandes transformations (du centre de la ville en ruine) que l’on voit aujourd’hui, où : Des larges routes ont été ouvertes, des grands édifices ont été érigés. Des routes ont été asphaltées, rue Allenby, rue Mourad, rue Foche etc., des immenses bâtiments. A la montagne, le même genre de travail a été accompli. Des routes ont été élargies, de nouvelles ont été ouvertes. Rocailleuses, poussiéreuses, elles ont été asphaltées et d’immenses bâtiments ont été élevés dans beaucoup de villages. Me voici donc, sans aide et soutien, abandonné dans la ville étrangère arabe de Beyrouth, en proie aux tourments de mon admission à la Faculté française de Médecine. A l’époque le régime du Bac n’existait pas dans le règlement de la Faculté. L’admission, la poursuite des études pharmaco-médicales étaient subordonnées à la réussite d’un concours imposé à tout candidat après avoir immanquablement suivi les études prémédicales durant une année dans l’école dite Ecole préparatoire de la Faculté française de Beyrouth. Cette école correspondait entièrement au niveau du Bac où cependant prédominait la couleur prémédicale par ses branches d’Histoire Naturelle, de Physique, de Chimie, à côté de la Philosophie, de la Littérature, des Mathématiques, etc… A l’époque la Faculté française de Beyrouth jouissait d’une renommée sans égale dans tout le Proche-Orient. Celle des Américains s’éclipsait devant la française. De toutes les régions environnantes, de Grèce, de Turquie, de l’Inde, de l’Iran, de l’Egypte, affluaient de jeunes étudiants pour suivre les études médicales à la Faculté française de Beyrouth. J’ai donc présenté durant l’été de 1913 avec succès mon examen d’entrée à l’Ecole préparatoire et suivi régulièrement l’année des études prémédicales. La Faculté de Médecine siégeait jusqu’à l’année 1912/13 dans la rue Huvelin où j’ai été admis et fait ma première année prémédicale. Ce n’est qu’à la scolarité de 1913/1914 que pour la première fois les études se sont pratiquées dans la nouvelle bâtisse que vous connaissez, rue de Damas, pendant que seule l’Ecole préparatoire était demeurée rue Huvelin. - 11 - Des Pères Jésuites, éminemment cultivés, nous donnaient les cours de toutes les branches. Il m’est particulièrement présent dans l’esprit l’image du Père Decompois, avec sa petite barbe sur le menton, professeur très érudit, très clair et vivace dans son enseignement. C’est là avec lui que j’ai approfondi mes connaissances dans la nomenclature de la chimie. J’avais supérieurement assimilé les phases des formules et transformations chimiques : des oxydes, des anhydrides, des hydracides, des oxacides, des sels, des bases, etc… J’excellais vraiment en chimie et en physique. Trois figures me sont encore vivantes dans l’esprit : Derdérian, de Constantinople, petit de taille, replet, à figure ronde, ayant conquis la première place, avant moi, dans les examens de concours de passage du milieu de l’année. Foscolo, d’Egypte, fort en littérature mais très faible et obtus en chimie et physique. Il s’adressait souvent à moi pour l’explication des bizarres formules et combinaisons de chimie. Abiad, d’Egypte, beau, élégant garçon, élancé, à cheveux frisés, ayant prononcé un jour un mot que j’ai entendu pour la première et la dernière fois depuis. Je le retiens dans ma mémoire. Nous étions réunis un matin avec 3, 4 autres étudiants à l’entrée de l’édifice, rue Huvelin, quand une voiture hippomobile, traversant à vive allure la rue, souleva une masse de poussière qui nous envahit littéralement. C’est alors que spontanément, Abiad, élève de l’Ecole des Frères d’Egypte, révolté et suffoqué a prononcé cette phrase : « A-t-on idée de se faire enfariner dans cette ruelle de la Faculté ? » Ce mot « enfariné » est resté gravé, cloué dans mon esprit. Pour revenir à mes études, je ne m’étendrai pas sur les dimensions des efforts de travail que je fournissais souvent en veillant de longues heures à la lumière de ma lampe à pétrole, la lumière électrique n’existant pas à l’époque à Beyrouth, pendant que Aristide Constantinides, mon cohabitant de la chambre, sommeillait paisiblement dans son lit, ni sur l’immensité de mon anxiété à l’approche de la date du concours préparatoire du mois de février, dont le résultat devait décider du sort de mon avenir. Le règlement de l’année en cours n’admettait à la Faculté que les premiers 35 candidats réussis dans le concours sur les 125 étudiants présents à l’Ecole préparatoire. J’avais très ‘’satisfaisamment’’ passé l’oral et les écrits des examens. Aussi, le jour de l’affiche de la liste des résultats du concours, un lundi matin, je descendais, le cœur serré, la rue Huvelin quand, de loin, j’aperçois Foscolo courir vers moi, avec le bras en l’air, m’annoncer en criant : « Cosmidis, vous êtes le second réussi sur la liste.» Je n’en croyais pas mes yeux, je frissonnais de joie à l’approche du tableau sur lequel était affichée la liste où figurait mon nom au deuxième rang, après celui de Derdérian. C’est alors que très confiant, heureux et fier comme Artaban, j’ai suivi et terminé avec sérénité et une légitime assurance mon année d’études. Aux examens de fin d’année, j’ai été reçu pour la poursuite des études à la Faculté, en obtenant un maximum de note 16, avec mention très bien. Rentré chez moi, mon premier devoir fut de recourir à la plume pour annoncer à mon père mes succès. En réponse, sa lettre a été un chef-d’œuvre d’expression de joie, d’affection, d’amour pour son fils, en qui, disait-il, il fondait de grands espoirs, mais hélas un an après cette date il succombait aux méfaits du virus du typhus exanthématique, épidémique dans le pays. Consacrée uniquement à mes études, cette année du cours préparatoire à la Faculté s’est déroulée sans être riche en incidents et événements notables à signaler. - 12 - Voici cependant quelques faits et notions : Je passe aujourd’hui quelquefois par la rue où jadis trônait la petite bâtisse où sur la terrasse de son seul premier étage était située l’unique chambre que j’occupais avec Aristide. Elle a disparu depuis et a fait place à un nouvel édifice élevé. La propriétaire de cette maisonnette, la vieille Madame Trad, âgée de 75 ans, la seule habitante, une fanatique Grecque orthodoxe de confession, nous avait loué la chambre sans hésitation et réticence parce que, disait-elle, nous étions comme elle de confession grecque orthodoxe. Laissez-moi vous dire qu’elle nous était de grand secours dans beaucoup d’occasions selon ses possibilités. Elle me préférait de beaucoup à Aristide, le jugeant moins studieux, peu enclin au travail. J’avais retrouvé et contacté le Métropolite Monseigneur Mélétios que j’avais connu durant son passage à Diyarbakir. Il habitait avec sa vieille et unique sœur à Achrafié. Il tenait à me recevoir et à m’inviter souvent à déjeuner. J’ai aussi rencontré à maintes reprises son diacre Sergios, brillant religieux, connaissant bien en dehors de sa langue maternelle l’arabe, le turc, le grec, et l’italien de par son séjour à Rome et Constantinople. Bien plus tard, après de nombreuses années, il fut promu évêque, s’établit à Constantinople, je l’ai perdu de vue. J’ai lié connaissance avec les Kurkgi où je me rendais le dimanche et parfois au déjeuner. Leur fille aînée, Clémentine, à l’époque, ne pouvait avoir que 11, 12 ans. Chez les Kurkgi j’avais à plusieurs reprises rencontré les Jouan. Monsieur Noutki Jouan père, homme politique, loquace, ancien fonctionnaire retraité de l’Etat ottoman (aux Dettes Publiques) avait quatre fils : l’aîné, Victor, avocat, célibataire, décéda durant la guerre 1914-18, le second, dont j’ai oublié le nom, médecin, marié et divorcé d’une fille Melhamé, a eu un fils, Henri, et Richard et Georges que vous avez bien connus à Beyrouth. Les 4 livres turques or que mon père m’avait allouées mensuellement suffisaient amplement au coût de ma vie à cette époque. A une livre or mensuellement, Aristide et moi comme d’autres étudiants nous étions abonnés, aux repas de midi et du soir, dans un restaurant situé sur la place des Canons, à droite à la troisième, quatrième rangée, après le coin de l’angle : place des Canons, rue Gouraud. Au-dessus de ces 3,4 boutiques, la terrasse, vide, libre, dégagée, était utilisée pour la projection de représentations de l’unique cinéma existant à Beyrouth. C’était à ciel ouvert, au grand air de Beyrouth à l’époque. Il n’y avait aucun autre cinéma en ville. C’est ainsi que dans une atmosphère de joie et d’euphorie bien méritée j’envisageais de passer l’été 1914 après mes succès aux examens. Mais l’atmosphère politique mondiale, en grande tension depuis un bon moment, s’envenima brutalement à la fin du mois de juillet et le 1er août 1914 la première guerre mondiale se déclara entre l’Alliance, l’Angleterre, la France et la Russie d’une part et l’Entente, l’Allemagne et l’Autriche d’autre part. La France, profondément engagée dans la guerre, allait-elle pouvoir envoyer ses professeurs à Beyrouth pour la reprise des études médicales à la Faculté ? Tel était le grand problème inconnu du jour. En bref, vers fin octobre, le corps professoral en entier arriva et les cours reprirent dès le début du mois de novembre 1914. Fier et allègre j’ai assisté aux premières leçons médicales en compagnie d’un nombre réduit de concurrents de l’Ecole préparatoire, la plupart de nos camarades, comme ceux des classes supérieures qui venaient de tous les horizons, étaient absents à cause de la conflagration mondiale. - 13 - Cette année, la plupart de nos professeurs étaient des Pères Jésuites érudits. Pour le premier trimestre, la chimie était enseignée par le Père Desribes, la physique par le Père Collangette, la botanique par le Père Boulenois, la parasitologie et la bactériologie par le Père de Vrégille. L’anatomie, seule, par le professeur civil Nègre, agréable dans son enseignement clair et chaleureux. Il devait avoir 60-65 ans, et était bien chauve. La chancellerie était tenue par le Père de Martinprey, chancelier. Le précédent chancelier, le Père Casin, s’était retiré à l’Université Saint-Joseph. Hélas, cela ne dura pas longtemps, quelques semaines : avant la fin de l’année en cours, la Turquie, à son tour, entra en guerre à côté de l’Entente contre l’Alliance. C’était le grand découragement pour nous les étudiants qui presque tous se dispersèrent et quittèrent le pays. Tous les professeurs, les Pères Jésuites, plièrent bagages, partirent en France et la Faculté ferma ses portes. C’est alors qu’une vague de perquisitions par quartier, établie par les Turcs, fut organisée à l’aide des brigades mobiles, à la recherche des jeunes Libanais pour leurs enrôlements à l’armée. Beaucoup de ces derniers, pour échapper aux recherches, ont fui la ville pour se réfugier à la montagne qui grâce au régime de l’autonomie dont jouissait celle-ci (imposée à la Turquie par l’Europe depuis l’an 1861) présentait un refuge plus ou moins sûr contre les recherches des forces ottomanes. J’ai encore fraîche dans la mémoire notre fuite à trois, Erémia, oncle de l’orfèvre Bédros que vous avez connu à Beyrouth, Aristide et moi, un jour (à l’arrivée de l’équipe de perquisition dans notre secteur) à Harissa où nous passions la journée. Mais, très tôt, l’armée ottomane passa outre à cette imposition de 1861 et ramena sa souveraineté sur tout le territoire libanais. Dès l’entrée en guerre de la Turquie, des grands bouleversements survinrent dans le pays. Ils déterminèrent sans retard mon isolement dans Beyrouth où je suis resté sans les nouvelles et le soutien des miens, durant des nombreuses années, jusqu’à la fin des hostilités 1914-1918. C’est dans cette privation et cette situation tragique que j’ai eu recours au métropolite Mélétios pour la recherche d’un travail. Grâce à son influence et son intervention, j’ai trouvé une place à deux livres turques or par mois au bureau des services télégraphiques sis, à l’époque, à la place des Canons, à droite, au premier étage d’un édifice à 40, 50 mètres de la rue Saïfi. J’y travaillais un jour sur deux en veillant la nuit entière. Cela ne dura que le temps de deux mois car, toujours grâce à l’intervention du métropolite Mélétios, j’ai pu être engagé aux bureaux des services d’Agriculture, situés toujours à la place des Canons (à côté, immédiatement après les bureaux télégraphiques) dont le directeur, Monsieur Théologhos, un brave barbu, grec orthodoxe de confession, m’a reçu et admis comme secrétaire après avoir été satisfait de mon écriture turque à laquelle il tenait principalement pour la rédaction de ses rapports à ses supérieurs. Il était bien pusillanime (par sa confession chrétienne). Il me harcelait beaucoup pour surveiller l’écriture, que des fois j’ai dû recommencer le texte, pour un point, ou une lettre mal placés. Mes appointements étaient de quatre livres turques or par mois. Là encore je ne suis pas resté longtemps, à peine quelques mois, avant de reprendre et continuer mes études médicales au siège de la Faculté française même, occupée et envahie par la Faculté de Médecine ottomane de Damas, transférée et fusionnée à Beyrouth, chez les Français. - 14 - Ici je n’oublierai pas de vous signaler que le jardin des Pères Jésuites situé à Achrafieh, était réquisitionné par les services d’agriculture où je travaillais. J’y allais souvent chargé de mission par le directeur qui y venait quelquefois aussi. Des nombreuses vaches y fournissaient du lait qu’on transformait en fromage, et d’où aussi on tirait quelquefois du beurre. J’y ai appris à préparer ces deux éléments. Le jardin produisait quelques fruits aussi, en particulier de bonnes bananes et un jour, pendant ma scolarité chez les Turcs, ayant parlé de mon passé au jardin des Pères Jésuites, durant mon service aux services d’Agriculture, à mon professeur de botanique de la Faculté turque, ce dernier m’a manifesté le désir d’obtenir un régime de bananes, rares dans Beyrouth à l’époque. J’ai pu le lui procurer en m’adressant au directeur Monsieur Théologos. Mon professeur m’en a vivement remercié. FACULTE OTTOMANE A BEYROUTH Mais avant de vous parler de mes études à la Faculté ottomane transférée et fusionnée à la Faculté française délaissée par le départ des Français de Beyrouth, laissez-moi vous parler de la perte de mon père, au printemps de l’année 1915, avant ma fréquentation des études dans cette faculté. C’est donc en cet été de l’an 1915 quelques mois après le début de la première conflagration mondiale que j’ai appris la mort de mon père au printemps. Comment, nonobstant la rareté, l’absence des communications avec l’intérieur, cette triste nouvelle me parvint aux oreilles ? Aujourd’hui encore je ne saurais le dire. Plus tard, maman , en s’étonnant, me disait : « Comment cet homme qui ne cessait d’observer scrupuleusement les règles de l’hygiène a pu être victime de la piqûre du pou, vecteur du virus de la maladie ? » et toujours s’étonnant, me révélait les deux faits suivants : De tout temps, quand rarement la pastèque figurait comme fruit à table, elle devait être soumise à la désinfection de sa surface par la flamme à l’alcool brûlé avant d’être coupée et servie. Durant l’invasion de l’épidémie de typhus, le papa, rentré le soir à la maison, ne gagnait pas l’étage avant de se débarrasser de ses principaux habits, de les brosser, secouer ensuite, et de les suspendre en bas dans le vestibule. Evidemment il y avait le contact avec la clientèle de tout rang ! Mon père s’est éteint à l’âge de 51 ans, quand ma mère en avait 41 ou 42. De cette maladie j’ai connu quelque chose à Beyrouth aussi car l’épidémie répandue dans tout l’Orient, Beyrouth avait payé son tribut. Durant ma scolarité à la Faculté ottomane, j’ai donné mes soins à des nombreux malades en traitement par l’un et l’autre des deux docteurs de l’époque, le docteur Medawar, père de Monsieur Antoine Medawar, le docteur Jebara, père du docteur Jebara, gastro-entérologue. C’est ainsi que je me rendais compte que le mal terrassait sa victime en général avant le huitième jour de son évolution en portant ses méfaits sur le cœur du malade par ses redoutables toxines. Passé cette période, on pouvait se tirer d’affaire. - 15 - ET MAINTENANT, ABORDONS MON PASSAGE A LA FACULTE OTTOMANE L’unique reproche que je pouvais faire au système d’enseignement turc c’était la durée des cours qui, presque tous, se prolongeaient sans arrêt durant trois heures d’affilée, fait qui quelquefois était fatigant pour l’étudiant, mais jamais pour moi. A part cela je n’ai que des éloges à faire, à la valeur de l’enseignement avec des professeurs compétents. Je cite : le docteur Wehbé Bey, professeur de culture française (Paris) nous enseignait admirablement l’hématologie, le docteur Ekrem Bey, professeur d’hygiène et de physiologie (de Berlin), le professeur Lighor Bey (grec de confession) enseignait la chimie, le professeur Moustapha Bey, parallèlement au Lighor Bey, la chimie organique médicale, où j’ai bien conçu l’étude des alcools, des vins, des sucres, le professeur Ismaïl Hakki Bey pour la botanique et les plantes médicales, le professeur opérateur, Moustapha Bey, de Lyon, excellent clinicien. Je me souviens de sa première leçon clinique à la salle d’opération devant un malade avec un genou bien enflé par un épanchement sanguin traumatique. Son explication, avant de ponctionner le genou par le trocart, était un chef d’œuvre dans la description de toutes les variétés d’épanchements de l’articulation du genou. Je me souviens vivement encore de la première leçon de clinique du professeur Moukhtar Bey (France) toujours à l’hôpital français des Sœurs à Beyrouth, l’Hôtel-Dieu n’existait pas à l’époque, au lit du malade atteint de jaunisse. C’était un cours magistral sur les ictères, leurs variétés, leurs origines, leurs appellations en français. Le professeur d’anatomie, une admirable personne aux yeux pénétrants, fulgurants, qui voyait aux tréfonds de l’âme d’autrui, fort puissant, attentif, disséquait, enseignait avec précision les différentes régions du cadavre. Ici, laissez-moi vous rapporter ce fait : C’était cinq heures d’un après-midi du mois de décembre, le temps sombre, maussade. Sortis de la classe, les camarades réunis, nous attendions devant la porte de la Faculté l’arrivée du tramway. Brusquement un éclair, un tonnerre et une foudre tombe en face où sous un arbre une grosse femme s’était réfugiée. La foudre la terrasse, nous courons à son secours. Elle était déjà foudroyée morte. Le professeur d’anatomie survient à son tour pour prendre le train, à l’instant même, il nous rejoint, constate et confirme le décès de la femme et conseille son transport à la Faculté, à la salle de dissection, ordre qui fut exécuté immédiatement. Avec l’étudiant Nini, aujourd’hui chirurgien réputé à Tripoli, avec qui je m’entendais bien, nous décidâmes à nous deux de venir tôt le lendemain à la Faculté et procéder sur ce cadavre à la dissection de la région en cours d’étude. Grande fut notre stupéfaction à notre arrivée à la salle de dissection. Le cadavre était déjà travaillé sur sa peau. Le ventre, je veux dire l’abdomen, les deux cuisses étaient dénudés de leur peau par le garçon de la salle qui avait bien gratté, curé, raclé et extrait toute la graisse, l’adiposité sous-cutanée à l’effet de l’utiliser comme élément de lumière tant la pénurie en était sévère en ville à l’époque. - 16 - La guerre s’éternisait, aucun signe annonciateur d’une fin proche à l’horizon. Toujours sans nouvelles des miens, j’étais bien découragé. L’armée ottomane, à cours de pharmaciens et médecins, engageait de suite les nouveaux promus avec de substantielles rémunérations. J’avais remarqué que quelques étudiants de médecine de la quatrième année, comme moi, sur leur demande, étaient autorisés à terminer leur année dans le département de pharmacie et obtenir à la fin de l’année le diplôme de pharmacien pour s’engager dans l’armée. Après longue réflexion et hésitation, j’ai pris la décision de faire comme eux. A cet effet je me suis adressé à la direction de la Faculté où en l’absence de Edhem Bey, le directeur, appelé provisoirement à Constantinople pour consultation, c’était mon fameux professeur d’anatomie qui gérait la direction. Aussi, très timidement, je me suis adressé à lui, lui ai soumis mon cas ; orphelin d’un père, ex-pharmacien à l’armée ottomane, séparé, sans nouvelles de ma famille, je désirais terminer mes études en pharmacie, pour pouvoir venir en aide à ma famille. C’est alors que brutalement, en me lançant son regard fulgurant, il m’envoya promener en me débitant impérieusement ce qui suit : « Yallah, yallah, allez suivre et terminer vos études médicales, vous êtes un précieux élément à la Faculté et si vous avez besoin de quoique ce soit revenez me voir. » C’était tout. Je me suis retiré sans broncher et vous connaissez la suite. UN INNOCENT PLATONIQUE FLIRT Chez une voisine, à quelques pas de notre demeure avec Aristide, une dame d’Egypte et sa fille venues d’Alexandrie, devaient passer quelques semaines chez cette voisine, la tante. Je ne saurais vous dire comment et dans quelles circonstances j’ai fait la connaissance de ces dames, si bien que spontanément un courant de sympathie me lia à la fraîche et élégante demoiselle chez qui j’ai été souvent invité à prendre le café et avec qui j’ai aussi eu l’occasion de sortir en promenade jusqu’aux hauteurs de Sioufi. Je m’empresse de vous dire que cette idylle de notre élan juvénile ne tarda pas à mourir et prendre fin aussi vite qu’elle fut née. A la déclaration des hostilités de la grande guerre mondiale, mère et fille, affolées par les nouvelles alarmantes, quittèrent sans délai le Liban et rentrèrent en Egypte. Je n’aurais pas rapporté cette insignifiante aventure si une cinquantaine d’années plus tard, à l’époque où nous habitions dans la propriété de Gellad, rue de Lyon, cette même, belle et élégante fille de l’an 1914, à sa rentrée de l’étranger à Alexandrie, via Beyrouth, avec son fils, tint à me trouver et me rencontrer durant son court relais à l’Hôtel Palace. Elle me téléphona à la maison, s’expliqua et m’invita à la visiter avant son envol pour l’Egypte. J’y ai été sans retard ce même après-midi. Elle me reçut à bras ouverts et m’embrassa vivement. J’ai eu du mal à la reconnaître cette élégante, élancée fille de 1914. Epaissie, vieillie, enlaidie, de sa juvénile beauté elle ne gardait que le doux regard de ses beaux yeux. Nous bavardâmes quelques minutes, elle me raconta sa vie, moi la mienne avant de nous séparer. - 17 - Dès la reprise des études à la Faculté, Aristide et moi, décidâmes de changer de demeure. C’est ainsi qu’au coin du carrefour rue du Liban–résidence Jacques Tabet , sur une vaste terrasse d’un bâtiment des Marolli où il y avait trois chambres dont deux libres à louer, nous occupâmes, chacun de nous, une chambre, la troisième étant déjà de longue date habitée par Erémia le bijoutier. C’est dans cette chambre sur la terrasse que plus tard j’ai reçu des jeunes candidats pour leur enseigner les sciences d’une part et la langue turque d’autre part. C’est ainsi que j’ai eu comme élèves les deux frères Ludwig et Alex Manasterski chez eux, en face d’Arlequin d’aujourd’hui, le vieux Monsieur Lorella, pour le turc, sur la ligne du tram, rue Georges Picot, Monsieur Michel Melhamé, devenu avocat, Monsieur Jean Jalk, devenu aussi avocat, Monsieur Adaimi de Damas, Monsieur Béchara, Monsieur Shikaridis, Monsieur Saad, etc… Parallèlement, j’ai été engagé, durant une période, par le Père Jataoui, pour enseigner les sciences (physique, chimie) dans son école particulière sise rue Najjarine. Religieux très intelligent, corpulent, immense de taille, plein d’initiative, il habitait dans sa demeure juste en face de son école, seul, avec une cuisinière à son service. Il avait beaucoup de considération pour moi (due à l’enthousiasme de mes élèves à suivre mes cours) si bien qu’il m’invitait quelquefois à déjeuner chez lui. A cette époque, les rémunérations, en monnaie turque dépréciée, n’avaient pas beaucoup d’importance. J’arrivais à suffire à mes besoins durant la difficile période des hostilités. Au début de l’année 1916, mon frère Ferdinand, déterminé à échapper aux risques d’un enrôlement à l’armée turque, pendant l’interminable guerre mondiale, parvint à fuir Diyarbakir. Déguisé en muletier, il put s’incorporer aux conducteurs de la caravane Diyarbakir–Alep. Parvenu dans cette dernière ville, il ne tarda pas à venir me rejoindre à Beyrouth. Pas longtemps après son arrivée chez moi, il fut saisi à la place des Canons par la brigade de recrutement de l’armée et expédié à Damas où grâce à sa pratique pharmaceutique (chez papa) et ses connaissances de la langue turque et française, il été de suite engagé par les Allemands dans leur centre à Damas. Plus tard, désigné aide pharmacien, il a passé à l’hôpital militaire de Zahlé où il demeura jusqu’à la fin des hostilités. Ici, laissez-moi vous citer un incident pénible qui me survint à la suite d’un court séjour que j’ai effectué à Zahlé chez mon frère. Accédant aux appels répétés de Ferdinand, je me suis rendu à Zahlé un samedi matin pour y passer mon week-end et rentrer à Beyrouth le lendemain, dimanche, dans l’après-midi. J’ai passé la nuit à l’hôpital même dans le lit d’une chambre que Ferdinand m’avait fait réserver non loin de la sienne. ’’Gagné‘’ Beyrouth, dès le surlendemain, j’ai été en proie à d’atroces prurits durant toutes les nuits, dus à l’infestation du parasite « accarius » de la gale, contractée à Zahlé, dans le lit où avait dû passer un officier infesté du parasite. J’en ai souffert énormément quelque temps avant d’avoir recours à mon professeur de dermatologie à la Faculté ottomane. Il m’a soigné énergiquement et guéri rapidement. - 18 - UNE RANDONNEE ESTIVALE Aristide, sans scolarité, en vagabondage depuis le départ des Français, moi, en congé de trois jours à la Faculté, à l’occasion d’une fête turco-musulmane, nous décidâmes d’effectuer une randonnée à pied à travers la montagne libanaise. C’est ainsi qu’à cinq heures d’un mercredi matin, ma carte d’étudiant délivrée par la Faculté ottomane dans la pochette de ma chemise, mon bâton à la main, la sacoche contenant le strict nécessaire dans la main d’Aristide, nous entreprîmes cette course depuis Beyrouth-ville à travers les bourgs et les villages et arrivâmes en quelques heures à Souk-el-Garb où nous nous restaurâmes avec quelques brochettes de viande et du lebné sur la terrasse du Aîn-Seidé. Une heure après nous reprîmes notre marche en avant et arrivâmes le soir, sans trop de fatigue, via Aley, Bhamdoun Sofar, à Hammana où nous visitâmes la fameuse source de Chagour, sur les hauteurs du village. ‘’Passé’’ la nuit à Hammana, nous reprîmes le lendemain de bonne heure le chemin de retour pour Beyrouth. Arrivé à la hauteur de Sofar-Bhamdoun, ce brave Aristide, alléché par la vue de superbes, abondantes grappes de raisin dans une vaste vigne au flanc de la vallée, s’empressa de descendre la pente de quelques mètres et cueillir quelques grappes du beau fruit. Je m’étais retiré sur la route de Damas–Beyrouth, invisible à tous les yeux, à l’abri de l’ombre d’un grand rocher, quand tout à coup j’aperçois deux individus à turban blanc, de grosses branches à la main, hurler d’en bas, gravir vivement la côte raide, courir à l’assaut d’Aristide. Ils pouvaient être les gardiens ou les propriétaires druses de la vigne. C’est alors que, inspiré du comportement sévère, excessif des autorités turques envers tout citoyen libanais depuis la déclaration de la guerre, j’ai de suite imaginé un stratagème que j’ai mis en application instantanément sans perdre une minute. Rangeant bien dans ma pochette ma carte d’étudiant où figurait ma photo, et d’où elle émergeait en partie mettant à découvert ma tête coiffée de tarbouche, je fais une apparition de quelques secondes à peine au bord de la route vers Aristide et feignant d’être un fonctionnaire turc de passage par là qui constate le délit, l’infraction d’un rôdeur dans la vigne, je rejoins en un rien de temps Aristide, lui explique en deux mots l’essentiel de ma tactique avant l’arrivée des assaillants druses et aussitôt après, presque à la seconde où les Druses parvenaient à notre hauteur, je m’étais déjà mis à engueuler à haute voix l’action prohibée commise, vociférant, gesticulant avec mon bâton, réprimandant vivement le maraudeur qu’était Aristide. Les Druses, arrivés essoufflés, se figèrent, interdits devant mon attitude et à la vue de ma photo à tête ‘’tarboucharde’’ arborée sur ma poitrine. Me retournant vers eux, j’ai répété à 2, 3 reprises le mot Malesh ! Malesh ! avec mon accent prononcé en turc, pendant qu’Aristide abandonnant ses grappes grimpait la pente et gagnait tête basse la route. Les Druses ramassèrent leur raisin et descendirent vers leur hutte, convaincus ou pas de mon rôle en leur faveur. Aristide rapportait avec emphase souvent à son entourage cette audacieuse aventure. - 19 - LE LIBAN PENDANT LA PREMIERE GUERRE MONDIALE Sa situation a été désastreuse à tous les points de vue surtout durant les deux dernières années des hostilités. La Turquie, profondément aigrie des accords de 1861 convenus avec l’Europe, pour l’administration autonomique de la montagne libanaise, profitant de l’état de guerre, passa outre aux traités signés et, rancunière, elle se comporta avec rudesse et rigueur politiquement et économiquement avec la population libanaise. C’est ainsi qu’elle fit arrêter et pendre les citoyens nationalistes, autonomistes, pro-occidentaux (surtout les pro-Français, comme la famille Hani). A deux reprises j’ai vu balancer durant des heures les nombreuses victimes pendues à la place des Canons. Le pain était rare souvent inexistant pendant qu’il se vendait tout blanc en abondance à Damas. A cet effet, la Faculté ottomane, deux fois la semaine, faisait distribuer aux étudiants, pour la plupart libanais, une miche d’un demi kilo environ dont la mie de couleur foncée, verdâtre, à goût amer, devait être préparée avec de la farine malsaine. J’ai assisté à la vente par unité des pois chiches, à la vente à prix fort dans des fioles de petites quantités de pétrole pour alimenter les petites veilleuses à pétrole, à petites mèches dans des petits pots de cirage. Rares étaient les jours où on ne voyait pas dans les rues et ruelles des cadavres victimes de la misère physiologique. Il faut que je m’empresse de vous dire que les méfaits de l’épidémie du typhus exanthématique contribuaient à accroître l’état de misère dans le pays. Puisque j’y suis, laissez-moi vous reparler un peu à contrecœur de ce que je vous avais signalé ci-haut, dans mes précédentes pages. Au cours de mes rapports avec le docteur Medawar durant mes études aux classes supérieures à la Faculté, tout en lui servant d’assistant à ses malades pour surveiller le cœur des malades et pratiquer les injections prescrites, je lui amenais quelques malades à examiner dont Monsieur Erémia, l’orfèvre, et deux autres connaissances de notre quartier, ceci sur leur demande. Le docteur Medawar était à l’époque le chef de clinique à l’hôpital français, du temps du professeur de Brun. A notre visite avec mon dernier patient, le docteur Medawar, après son examen avant de prendre place derrière son bureau, se tournant vers moi, m’a textuellement dit ce que j’ai encore à l’esprit : « Je vous félicite Monsieur Cosmidis, de vos diagnostics sur les malades que vous m’avez confiés, tous les trois ont été exacts. » J’en étais rudement fier. Maintenant quelques mots sur la vie sociale à cette époque : elle était nulle. Que représentait l’élément étranger en pleine guerre ? Rien du tout. Les Anghélopoulo ? inconnus à l’époque. Le père se trouvait en Egypte, m’a-t-on dit plus tard, la famille avec des jeunes enfants déportés à l’intérieur du pays, à Marach. Les Caporal et les Germain, des Français, les Moretti se trouvaient-ils à Beyrouth ? J’ai connu les Papadopoulos, des Grecs sujets ottomans, quatre frères dont l’un avait une pharmacie à la place des Canons, où je me rendais souvent. Un second frère avait une petite papeterie en face de Samadi, le Pâtissier, les deux autres frères s’étaient cantonnés dans leur propriété en banlieue de Jdeïdé. - 20 - C’est dans cette situation catastrophique que l’armée anglo-arabe venant du sud s’approchait du Liban au début d’octobre 1918. Conduite par le général Allenby et Faiçal (fils du souverain Hussen du Hedjaz), elle avançait ensuite à une foudroyante vitesse vers le nord. Le général plénipotentiaire militaire djamãl Pacha alarmé devant la preste, imminente invasion du pays, ordonne le transfert rapide, sans délai, de la Faculté au nord du pays. Dès la réception de la consigne, la direction de la Faculté intime aux étudiants l’ordre d’être présents et de se grouper à onze heures du matin le jour suivant au siège de la Faculté pour le départ en train à Antioche. Désespéré, indécis, dans un profond désarroi, hésitant, j’avais pris la décision de déserter et m’enfuir quelque part quand subitement un miracle divin survint. Les Anglais détruisaient la gare de rayak en la bombardant furieusement le matin du jour du départ. Ainsi, au grand soulagement de tous les étudiants, pour la plupart des Libanais, le pénible problème trouva sa solution. Etudiants et professeurs demeurèrent bloqués en ville, ils assistèrent à l’entrée de l’armée anglaise à Beyrouth. Environ une semaine après la distribution des diplômes, à la place des Canons où je prenais le tramway, j’ai eu l’agréable surprise d’y trouver le chancelier de la Faculté, le Père de Martinprey, qui, dès mon apparition et mon salut, tout de go me dit : « Mais où êtes-vous, docteur Cosmidis, je vous ai laissé un mot depuis quelques jours chez le concierge de la Faculté, vous invitant à venir me rencontrer le plus tôt. Passez me voir demain vers les neuf heures, j’ai un poste intéressant à vous confier. » Inutile de vous dire que le lendemain à neuf heures le Père de Martinprey me recevait avec son petit sourire comme quand il n’était pas préoccupé et de mauvaise humeur et m’exprimait la raison de sa préférence à me recommander à l’Amiral de Morney qui s’était adressé à la Faculté pour le choix d’un bon médecin pour sa base de Castellorizzo. Il me remettait son mot à l’amiral en ajoutant ceci : « N’oubliez pas, docteur, qu’à la Marine on observe de près l’étiquette. » Heureux, le matin même, je gagnais l’Amirauté. Son Excellence l’Amiral de Morney me reçut immédiatement, m’annonça le départ de son navire pour Castellorizo au début du mois d’août, me renseigna sur mes émoluments mensuels et me congédia avec ses souhaits sans autres détails. Arrivé à Castellorizzo à bord d’un petit navire de guerre, j’ai de suite contacté le Gouverneur Terme et le Commissaire Le Moigne. Ce dernier m’a fait conduire à mon appartement privé situé sur le quai dans la petite baie de la petite ville où j’ai passé une période de sept mois, avant que les autorités françaises aient cédé l’île aux Italiens à la fin du mois de février 1921, et sois rentré le premier mars 1921, à bord du navire Dugay-trouin, avec tous les officiers marins français. - 21 - CASTELLORIZZO Petite île grecque des Sporades du sud de la mer Egée. Elle consiste en une unique grosse masse montagneuse, à promontoire accidenté, à proximité de l’Anatolie, près de la Lydie, à une distance d’une trentaine de minutes en rame de la côte. Son plateau est riche en gibier (perdrix). La petite ville de Castellorizzo est située au pied de cette vaste colline montagneuse, en amphithéâtre, dans une baie bien protégée. Autour des rues et ruelles étroites et accidentées, les constructions en un et deux étages s’étendent en gradins. Elles sont pour la plupart pourvues de citernes pour l’approvisionnement de l’eau douce de la pluie. Pas d’électricité en ville. La population de quelques milliers d’habitants est dans sa totalité grecque, de race et de langue. La plupart des femmes observent la tenue de leurs vieilles coutumes nationales : de larges culottes presque bouffantes descendent jusqu’aux chevilles, les pieds chaussés dans des babouches en couleur, à pointes saillantes, sans talon, la veste, un boléro sur le torse, une large ceinture en tissu de couleur enserre la taille et souvent, quand c’est nécessaire (en visite) un plastron garni de nombreuses rangées de pièces d’or sur le thorax, le chef couvert d’une calotte de couleur assortie, de longues boucles pendantes sur les lobules des oreilles. Les hommes trafiquent et commercent avec les habitants des îles grecques du Dodécanèse et aussi avec ceux d’en face sur la côte anatolienne. Parmi ces hommes, hélas, une notable présence de grands, véritables pirates. Ils se rendent souvent, en groupe dans la nuit, en face sur la côte turque, raflent et emportent les chèvres des Turcs, ils dépouillent les forêts en coupant les branches et les troncs des arbres qu’ils laissent glisser dans les cours d’eau, coulant vers la côte, à la mer, pour les cueillir à l’embouchure, et disparaître dans le noir de la nuit. Nous avons maintes fois été témoins de ces trafics malhonnêtes. Que de plaintes des autorités turques de la côte au Gouverneur de la base pour ces vols ! Nous avons, grâce à nos recherches, souvent trouvé des nombreuses chèvres, amassées, sur les hauteurs, cachées dans des replis accidentés de la colline. L’occupation de l’administration navale française (depuis 1915) de l’île est représentée par : - Un gouverneur. Rôle confié au commandant de la base navale. - Un commissaire de première classe. - Un enseigne de vaisseau. - Un médecin-major. Chacun de ces membres a, à sa disposition pour habitat, un pavillon personnel avec une ordonnance à son service. La base possède une infirmerie (un petit hôpital) de 20 lits environ bien équipé et confié à la surveillance et l’entretien d’un infirmier-chef, Coudure de nom. La base est pourvue en permanence d’un ou deux petits navires de guerre, dont l’équipage se fait visiter et hospitaliser à l’infirmerie si nécessaire, sur ordre du médecin-major consultant, présent tous les matins à l’infirmerie jusqu’à midi. Un mess, entretenu par les matelots de la base, réunit midi et soir aux repas, les membres ci-haut mentionnés, quelquefois avec les officiers marins de passage dans l’île Voilà en deux mots ce que représente le bourg de Castellorizzo. - 22 - Ici, détails secrets à ne pas divulguer Le gouverneur Terme, homme trapu, boulot, à figure ovale presque ronde, de 55-60 ans, yeux bleus, ancien résident en Extrême-Orient, fumeur invétéré quotidien de sa pipe d’opium, vice contracté en Indochine, est une personne hautaine, affectée, distante, à l’abord froid, impassible, souvent absent, retiré dans ses appartements pour s’abrutir avec sa drogue. Il traite de haut son entourage, se considérant d’un rang supérieur. Le commissaire Le Moigne, de Bretagne, démocrate, populaire, expansif. Répugnant, ne tolérant point les habitudes malsaines et le comportement distant, hautain du chef, le gouverneur, il le fuyait souvent. Il n’est plus nécessaire de vous dévoiler, relater le ressentiment, l’animosité sourde de l’un contre l’autre, entre les deux forces de l’administration. Presque jamais de rencontre entre les deux pouvoirs en dehors des repas de midi et du soir où souvent le patron, ‘’trainailleur’’, hagard, arrivait en retard des heures fixées, avec sa canne à la main, les paupières tombantes, à moitié endormi sous l’effet de la drogue absorbée. Fait qui met en rogne le commissaire. FAITS ET SOUVENIRS DIVERS La grotte marine de Castellorizzo A une distance de 15 minutes en barque de notre base, un ‘’hiatus’’ peu apparent au pied de la montagne donne accès à une vaste, haute grotte marine creusée dans la dure colline. Nous nous y rendîmes un jour en compagnie avec le commissaire et l’enseigne de vaisseau, un matin, à une heure où les rayons obliques du soleil brûlant éclairaient vivement l’entrée et illuminaient très distinctement l’intérieur de la caverne montagneuse. Nous pénétrâmes en barque, têtes presque baissées, dans cette vaste caverne où le plafond était représenté par une voûte creusée dans la montagne et le plancher par l’eau claire, limpide de la mer profonde. La profonde admiration à la vue des rochers en couleur des multiples stalactites colorées demeure à jamais inoubliable, féerique. Une coutume renversée De par ma fréquentation, j’ai connu une famille grecque qui m’a instamment invité à participer aux cérémonies des fiançailles et du mariage de sa fille. Un groupe auquel j’ai été joint, a été –au rebours de la raison– demander la main du jeune élu, habitude strictement observée dans le pays. Le mariage a eu lieu sans retard, les festivités ; chants, musique, danses, ripaille, se poursuivirent sans discontinuer trois jours durant sur l’esplanade de l’église où fut célébré le mariage. - 23 - Distraction pour les gamins sur les quais Deux à trois reprises, le commissaire Le Moigne s’est amené chez moi, muni d’une grenade à la main. De mon balcon, la grenade, lancée à la mer dans la baie, éclatait dans la profondeur de l’eau où des centaines de poissons trouvaient la mort et ne tardaient pas à flotter et paraître à la surface. Des gamins rangés sur le quai se jetaient alors à l’eau pour en cueillir un bon nombre. A savoir que le poisson, très fréquent à l’époque, se vendait à 5 piastres (1 franc) le kilo. Quelques événements relatifs à ma profession A quelques pas de chez moi, j’ai été lié par le couple d’un ménage grec qui en dehors de sa langue maternelle parlant couramment le turc. Sa maison située sur mon trajet demeure–infirmerie me permettait quelquefois de m’y arrêter pour souhaiter le bonjour ou, sur son insistance, pour siroter un petit café avant de joindre mon petit hôpital. Madame X tombe malade d’une typhoïde, j’en assume fidèlement et amicalement le traitement durant une quarantaine de jours. Quelques jours après la convalescence et la guérison de la malade, le couple X m’envoie avec un garçon, en signe de remerciements et de reconnaissance pour les peines fournies et les services rendus, une belle carpette persane que « l’andouille docteur Miltiades », dans son inexpérience juvénile, se croyant lésé ou atteint dans son amitié, dans sa dignité, refuse catégoriquement malgré toutes les insistances des X à admettre leur beau geste et recevoir le bel ornement. C’était l’effet de la jeunesse inconsciente. Dans ce même ordre : un beau matin, un hodja, venu en barque d’Anatolie, se présente au ‘’gouvernorat’’, muni d’une lettre de son mutessarif au gouverneur français de l’île, le priant de vouloir bien rendre service au pasteur, personne digne d’intérêt. Le gouverneur Terme dirige la lettre écrite en turc au docteur Cosmidis. Il s’agit d’un malade se plaignant au flanc gauche d’une douleur sourde demeurée jusqu’ici rebelle à tous les traitements des médecins de la région. Le mutessarif tenait à confier le patient aux soins du médecin de la base réputé pour sa compétence, ajoutait-il. Le gouverneur prie le docteur Cosmidis de prendre en main le malade recommandé et de lui prêter toute l’attention nécessaire. En bref, le patient convié à l’infirmerie se présente avec son dossier des radiographies pratiquées dans son pays. Après examen de celles-ci, j’ai soumis le malade à un examen consciencieux et très approfondi. N’ayant trouvé aucune explication somatique, lésionnelle à la présence tenace de sa douleur sourde, la base gauche se son hémithorax saine, exempte de quoique ce soit (au poumon, à la plèvre, aux bronches), la rate insensible dans ses limites normales, rien au rein gauche, et au colon gauche descendant, j’ai conclu à un trouble névrotique d’ordre psychique chez ce brave religieux. Evidemment aujourd’hui j’aurais pu faire des infiltrations, essayer une cure de vitamines B12 (inexistantes à l’époque), quelques radiations électriques, mais avec les moyens réduits, sans électricité ? J’ai fini par rapporter tout cela au gouverneur au mess, durant nos repas, en y ajoutant ma suggestion « Faute d’électricité d’un traitement psychologique pseudo-éléctrique par jets de chlorure d’éthyle ? » L’affaire au mess prit une allure théâtrale, tourna à la rigolade, à la plaisanterie, qui décida le gouverneur à me dire avec son rare sourire aux lèvres : « Docteur, débrouillez-vous avec ce que vous jugez utile de faire, mais renvoyez le Hodja guéri, chez son protecteur. » Vous connaissez le reste, déjà exposé de vive voix verbalement. - 24 - Aidé par mon chef-infirmier Coudure, mon traitement de 3 séances, 3 jours au chlorure d’éthyle, projeté sur le flanc du Hodja, en pleine chambre noire, guérit définitivement le malade. Rentré chez lui dans son village, il m’envoya avec une lettre de remerciements un cadeau de deux sacs de noix et amandes et une dizaine de gallinacés, que dare-dare j’ai fait diriger au mess des officiers. Plus tard, quelques semaines après, toujours d’Anatolie, je recevais avec une lettre de recommandation, accompagné de son père, un enfant de 7, 8 ans qui souffrait d’une surdité de l’oreille droite où une tumeur exubérante faisait saillie dans son conduit auditif. Je n’ai pas tardé à explorer et extraire, dans sa totalité, de cette oreille, une masse plus ou moins dure, qui consistait en un pois chiche introduit, logé depuis des années dans l’oreille de l’enfant, pois qui avait fini par grossir et germer partiellement dans cet étroit logis. Soulagé, l’enfant nous quitta à la grande satisfaction et au grand bonheur de son père. Nous voici maintenant parvenus à signaler un douloureux événement Si j’ai bonne mémoire, c’était un mercredi soir, vers le tard, nous arrive de France, via Beyrouth, à Castellorizzo, un nouvel officier de marine, un enseigne de vaisseau, Monsieur Decrey, en remplacement de son prédécesseur, absent depuis quelques jours. Nous l’avons vu et reçu pour la première fois au dîner de 8 heures du soir au mess, amené par le gouverneur. Beau garçon, jeune, de 22, 24 ans, légèrement pâle, il a peu ou pas mangé s’estimant bien faire pour son intestin dérangé quelque peu depuis Beyrouth, dit-il. Au mess, nous nous disloquâmes vers dix heures du soir. Monsieur Decrey a tenu à occuper pour sa première nuit la chambre du mess, destinée aux officiers de passage à Castellorizzo. Le lendemain matin, rentré chez lui, dans le pavillon destiné à sa personne, il ne parut pas au déjeuner et ce n’est que vers le tard, le soir de jeudi que nous apprîmes qu’il était bien fatigué et dérangé de son intestin. Je le fis de suite transporter à l’infirmerie où nous lui prodigâmes les premiers soins nécessaires indiqués. Dans la nuit, le mal empira brutalement, on m’appela tôt à l’aube le vendredi matin, j’arrivai à l’hôpital pour constater l’agonie du malade, succombé à une surinfection intestinale, suivie d’une perforation de l’intestin et d’une péritonite suraiguë. Il expirait une demi-heure après mon arrivée. La dépouille de l’officier décédé a été dirigée sans retard en France. Sur la demande de sa famille, j’ai rédigé et expédié un rapport détaillé sur les circonstances de son cas en expliquant le fait que venu fraîchement de France, vierge de toute défense contre ces infections des pays lointains (de l’Orient) Monsieur Dedrey a dû contracter durant son court séjour à Beyrouth et couver depuis un parasite ou un virus qui l’a brutalement pris au dépourvu et l’a assommé. Plus tard, j’ai reçu une lettre de reconnaissance et de remerciements de la famille pour les soins prodigués au défunt. En février 1921 on parlait déjà de la prochaine cession de l’île aux Italiens (basée sur les accords internationaux). Aux trois derniers jours de ce mois, des navires italiens apparurent à la rade ainsi que le grand croiseur français Dugay-trouin. Les va-etvient se croisèrent sans cesse entre Français et Italiens et des invitations aux repas à bord des navires de part et d’autre nous permirent de déguster abondamment et ‘’succulemment’’ les fruits variés de mer. Le 28 au soir, l’île passa entre les mains des Italiens et à l’aube du premier mars 1821, le grand croiseur français Dugaytrouin nous ramena à Beyrouth. Ainsi prit fin mon séjour de sept mois à Castellorizzo. - 25 - Miltiades Cosmidis 1896 : naissance à Diyarbakir en Turquie 1896 à 1909 : Tripolitaine, à Tripoli 1909 : retour à Diyarbakir 1909/1910 : pensionnaire à Alep (Syrie) 1910 à 1913 : Diyarbakir 1913 : admis à l’Ecole préparatoire à la Faculté française de Médecine de Beyrouth, début des études de médecine à Beyrouth en 1914. août 1920 à février 1921 : Médecin à Castellorizzo Son père Nicolas Cosmidis né à Diyarbakir en Turquie en 1864 ; Pharmacien, études à Constantinople. Eut 3 frères : l’aîné (médecin), Pétraki (pharmacien), Vassilaki (fonctionnaire). Sa mère Féridé Tselebis née en 1873 ou 1874. Eut 2 frères : L’aîné et Rizkallah (homme politique), et 4 sœurs : l’aînée, Philomène Papas, Sophie Roumi, Minouche (célibataire) Miltiades eut 2 frères et 3 sœurs Eleni (env. 2 ans en 1896) proba.née à Diyarbakir épouse Joseph Asfar durant l’hiver de 1911 Ferdinand né probablement en Tripolitaine, dentiste Panayoti né probablement en Tripolitaine Marie née proba. en 1909 en Tripolitaine (Mme Jean BENGLI) Eugénie (Mme BENGLI) - 26 - Page 1 Constantinople est le nom donné à l’ancienne Byzance, appelée plus tard par les Turcs Istanbul. Smyrne est l’ancien nom de la ville d’Izmir, en Turquie. Les Grecs L’époque grecque : la brillante civilisation ionienne Dès le XIIIème siècle avant notre ère , des Grecs s’installent sur la côte égéenne de l’actuelle Turquie. Ils se mêlent aux populations autochtones (surtout des Hittites) et se concentrent autour d’Izmir. Cette région prendra le nom d’Ionie. Leurs cités, Phocée, Ephèse, Priène ou Milet, sont régulièrement agressées. Mais, même sous domination étrangère, les colonies grecques gardent une autonomie suffisante pour prospérer et étendre la civilisation ionienne. Les Perses, déjà présents en Anatolie, envahissent l’Ionie. Milet se révolte. En 494 avant J.C., la cité est saccagée, femmes et enfants sont déportés vers l’Orient. Il faudra attendre 334 avant J.C. et la reconquête de l’Asie mineure par Alexandre pour que le monde grec reprenne vie. La premiére vague grecque, les Achéens, apparut à l’âge de bronze, du 15ème au 12ème siècle. L’apogée de l’Empire byzantin Constantinople devient en 395 la capitale de l’Empire romain d’Orient, qui prend alors le nom d’Empire byzantin. Son territoire s’étend de l’Anatolie jusqu’en Italie et au sud de l’Espagne. Constantinople devient le centre économique de toute la Méditerrannée et le débouché naturel de la route de la soie. La survie del’Empire byzantin : les premières croisades Active et opulente, constantinople vit jusqu’au XIème siècle une période de très grand rayonnement culturel et s’impose rapidement comme la première ville du monde chrétien. Les Arabes tentent de la conquérir. Les byzantins appellent l’Occident à leur secours. Malgré le schisme religieux de 1054, qui sépare les orthodoxes et les catholiques, les Etats latins répondent à cet appel et lancent les croisades en 1096. Il y en aura 8, mais elles ne suffiront pas à sauver l’Empire. Pire, un profond sentiment anti-latin va naître chez les Byzantins de culture grecque. Au XIVème siècle, la perte définitive de l’Asie mineure, tombée aux mains des Mongols et des Turcomans, accélère la décomposition de l’Empire byzantin. - 27 - Les Grecs page 1 (2) L’Empire ottoman : 5 siècles de rayonnement international Constantinople tombe entre les mains des Turcs le 29 mai 1453. Son conquérant, Mehmet II, clôt définitivement l’ère chrétienne et byzantine de la région. En 1517, un an après l’annexion de la Syrie, Selim 1er s’empare de l’Egypte et se voit confier les lieux saints d’Arabie par le chérif de la Mecque. Il en profite pour devenir le calife, c’est-à-dire le chef religieux et politique de l’islam. En Europe, la Grèce, les Balkans, la Bulgarie, la Roumanie et la Hongrie tombent à leur tour pour plusieurs siècles. La Méditerranée devient un lac musulman où règne sans partage la puissante flotte turque. La richesse de l’empire stimule la vie intellectuelle. Artistes, poètes, architectes et savants affluent à Istanbul, une capitale de dimension internationale avec plus de 700 000 habitants. Du déclin de l’Empire à la naissance de la République (1923) Miné par une administration pléthorique et archaïque, dirigé par des sultans incapables, l’Empire ottoman perd tout contrôle sur son territoire. Des prémisses étaient visibles dès le début du 19ème siècle : dans ses provinces non turques, des courants nationalistes se développent et débouchent sur des guerres d’indépendance. La Grèce est perdue en 1830, puis l’Algérie, les provinces slaves et la Tunisie. Economiquement et politiquement malade, l’empire se tourne vers l’Europe pour se sauver d’une situation dramatique. Mais, malgré le sursaut du mouvement des Jeunes-Turcs, l’Etat sombre. Les guerres balkaniques du début du 20ème siècle et son alliance avec l’Allemagne de Guillaume II pendant la première guerre mondiale vont précipiter sa disparition. Il faudra attendre le sursaut national conduit par Mustafa Kemal pour assister à la naissance de la République. Au 16ème siècle, François 1er s’alliait avec Soliman le Magnifique en raison de sa rivalité avec les Habsbourg, démontrant que les intérêts du Croissant et de la Croix ne se sont pas toujours révélés irréductibles. Ensuite, parce que la chrétienté ne constitue pas l’unique fondement de l’identité européenne. Pas plus que l’islam ne résume celui de la Turquie : dans l’empire ottoman, les non-musulmans avaient la possibilité de s’organiser en « millets », des communautés bénéficiant de l’autonomie culturelle (Grecs, Arméniens, Juifs). Dès le VIIIè siècle av. J.C., il y a eu des Grecs en Asie Mineure. C’est dire que leur présence est plus ancienne que celle des Turcs. La côte sud fourmille d’ailleurs de vestiges grecs antiques, et parmi les plus notables. Jusqu’à la chute de l’empire, entre un quart et un tiers de la population d’Istanbul parlait grec et était de confession orthodoxe. Aujourd’hui, les Grecs chrétiens et les Arméniens ne sont plus très nombreux (autour de 70 000) et vivent surtout à Istanbul. (GEO 290) - 28 - la guerre gréco-turque page 1 (3) (guerre d’indépendance turque de 1919-1922 menée par Atatürk) 15 Mai 1919 débarquement des Grecs à Smyrne et occupation de l’Anatolie occidentale. Le débarquement des Grecs à Smyrne le 15 mai 1919 met le feu aux poudres, enflamme le patriotisme latent des Turcs. 19 mai 1919 arrivée à Samsoun, un port de la mer Noire, du général Mustafa Kemal et début de la lutte pour l’indépendance et l’intégrité de la Turquie. Juin 1920 déclenchement de la guerre contre les Grecs lorsque sont connues les clauses du traité de Sèvres qui, outre la perte des provinces arabes , enlève aux Turcs la région égéenne, donnée aux Grecs, l’Arménie et le Kurdistan, et instaure la tutelle des Alliés sur une Turquie considérablement diminuée. Le 10 août 1920, le traité de Sèvres consacra le dépeçage de l’Empire Ottoman. Les Français occupaient quelques provinces du sud-est de la Turquie et les Italiens recevaient la côte méditerranéenne et quelques îles de la mer Egée. Les Dardanelles et le Bosphore furent occupés conjointement par les Alliés, ainsi qu’Istanbul. Mais ce furent les revendications grecques qui devaient être les plus exorbitantes pour la Turquie. Les Grecs, anciens sujets de l’empire ottoman, avaient un appétit féroce pour s’emparer de ses dépouilles. Une minorité grecque obtint l’Etat du Pont, sur la côte orientale de la mer Noire. Pour réaliser la restauration de la Grèce antique, le royaume de Grèce recevait la province de Thrace orientale, à l’ouest d’Istanbul, et surtout Smyrne, premier port de la mer Egée, et son riche arrière-pays. Le traité de Sèvres (1920) donne à la Grèce une grande partie du territoire, offre l’indépendance aux Arméniens et aux Kurdes et accorde des zones d’influence aux Français, aux Italiens et aux Britanniques en Anatolie. Trois années de guerre plus tard, les nationalistes turcs gagnent leur pari : les troupes européennes quittent l’Anatolie et les Grecs doivent évacuer la Thrace orientale. Le traité de Lausanne (1923) entérine la victoire des troupes de Kemal, qui devient président de la République, le sultanat ayant été aboli en 1922. L’abolition du califat, en 1924, marque la fin de l’islam politique. 24 juillet 1923 Le traité de Lausanne redonne à la Turquie ses frontières naturelles, annule la création des Etats d’Arménie et du Kurdistan et prévoit l’échange des populations grecques de Turquie et turques de Grèce . A l’issue de la guerre d’indépendance, la Grèce et la Turquie se mirent d’accord pour procéder à un échange de population. Un million et demi de Grecs furent contraints de quitter la Turquie, tandis qu’un demi-million de Turcs étaient chassés de Grèce. Seuls les Grecs de nationalité ottomane purent rester. Aujourd’hui, la population grecque en Turquie ne s’élève plus qu’à 100 000 personnes, dont la plupart vivent à Istanbul. Les capitulations furent abolies. - 29 - la guerre gréco-turque page 1 (4) Smyrne Lorsque l’armée grecque en débâcle quitte Smyrne le 8 septembre 1922, elle abandonne la population civile grecque et arménienne. Des dizaines de milliers de réfugiés s’entassent alors sur les quais, dans les consulats, les églises, les écoles. Des militaires français, anglais et italiens, protègent les bâtiments où les civils sont réfugiés. Lorsque l’armée turque entre à Smyrne le 9 septembre , la ville est intacte . Les marins alliés se retirent alors. Le 13, un incendie éclate dans le quartier arménien. En quelques heures, la ville est en grande partie détruite. Les Turcs accusent les chrétiens d’avoir détruit la ville. Ils se vengent sur les quartiers grecs et arméniens. Le chiffre des victimes est diversement estimé : de 2000 à 200 000. Les navires de guerre stationnés dans la rade tentent de recueillir les milliers de chrétiens qui se jettent à la mer ou dans des embarcations de fortune. Qui est responsable de l’incendie ? La presse anglo-saxonne accuse les Turcs ; la presse française accepte la thèse officielle turque. « Pierre Loti trouvait une couleur intéressante à cette barbarie » et tous se taisent sur la passivité des marins alliés qui ont assisté au spectacle du pont de leur navire. - 30 - Les capitulations page 1 (5) Le temps des capitulations en Turquie En 1536, Jean de la Forest obtient pour la France un traité de paix, d’amitié et de commerce, qui contient les clauses essentielles : les Capitulations. Celles-ci établissent le principe de la présence permanente de diplomates français – un ambassadeur à Constantinople, un consul à Alexandrie –ayant pouvoir de protéger les personnes et les biens des ressortissants français. Elles donnent à la France le « droit de pavillon » : à l’exception de Venise, toutes les nations européennes désirant commercer avec l’empire doivent naviguer sous pavillon français. Plus tard, la France obtient le droit de protéger les pèlerins chrétiens se rendant à Jérusalem. Ce statut de nation privilégiée disparaît à la fin du siècle avec l’extension des Capitulations à d’autres états, mais l’ambassadeur du roi de France conserve la prééminence sur ceux des autres souverains européens.. Les Capitulations Au XIXe siècle, la révolution industrielle en Europe transforma l’empire ottoman en fournisseur de matières premières bon marché. En contrepartie, l’Europe y trouva un vaste débouché pour ses produits. Les concessions économiques accordées aux pays occidentaux aggravèrent encore la situation, les avantages économiques finissant par devenir des « capitulations ». Les capitulations, destinées aux XVIe et XVIIe siècles à protéger les marchands chrétiens contre le despotisme de l’administration, signifiaient que les services postaux, les transports publics, le tabac, l’électricité et la direction des chemins de fer étaient aux mains d’étrangers. Ces derniers jouissaient de privilèges exorbitants qui leur permettaient de ne pas payer d’impôts. Lentement mais sûrement, le fier empire de jadis devenait un marché indispensable pour l’Angleterre et la France. Si indispensable en fait que, pendant la guerre de Crimée (1854), les Ottomans musulmans furent sauvés par l’Angleterre, la France et l’Italie quand la Russie les attaqua. Les capitulations furent progressivement transformées en un instrument de colonisation, non à cause de leur nature première, mais parce qu’elles continuèrent à fonctionner dans un empire en décadence. - 31 - Evliya çelebi (17ème siècle) page 2 D’Europe, l’Empire ottoman, puis la Turquie ont souvent été perçus comme des repoussoirs politiques. Dès le siècle des lumières (18ème), le terme « despotisme oriental » fait son entrée dans le vocabulaire occidental. A travers la critique politique, souvent infondée, du pouvoir ottoman, la société musulmane dans son ensemble se voit mise en cause par les intellectuels de l’époque. Ils lui reprochent son incompétence et son manque de savoir-vivre. Vue de l’Empire ottoman, l’Europe suscite d’abord l’indifférence. Habitués à considérer le reste du monde avec le sentiment de supériorité que confère la puissance, et convaincus de détenir la vérité de Dieu, les Ottomans ignorent l'Occident. Comme le remarque Bernard Lewis, historien anglo-américain, spécialiste du Proche-Orient, il n’existe pas le moindre signe d’un intérêt intellectuel pour la culture européenne avant le 18ème siècle. Pas un savant ou un homme de lettres ne semble avoir éprouvé la nécessité d’apprendre une langue occidentale et encore moins d’établir une grammaire ou un dictionnaire. Les traductions rares et essentiellement utilitaires, émanent de convertis ou de nonmusulmans. Les seuls Ottomans à avoir un contact direct avec les territoires européens se limitent à quelques émissaires officiels et aux prisonniers de guerre. Ils se soucient peu de transmettre leur témoignage à leurs coreligionnaires, à quelques rares exceptions près, comme celle du voyageur, Evliya çelebi, au 17ème siècle, mais dont les écrits portent surtout sur les provinces de l’empire. Peu à peu, l’Empire ottoman se retrouve contraint de s’intéresser à l’Europe, lorsque la supériorité occidentale s’affirme, en particulier dans le domaine technique. Aux yeux des Ottomans, le monde extérieur reste toujours méprisable, mais il intrigue davantage, car il devient menaçant. (Semih Vaner, institut d’études politiques de Paris, GEO N°290 Avril 2003) ___________________________________________________________________ 1718 Après la signature du traité de Passarovitz qui consacre la perte du Banat, de la Valachie et du N. de la Serbie, des ambassadeurs sont envoyés dans les principaux pays européens afin de s’informer des raisons et des causes des progrès des Occidentaux. 1720-1721 Ambassade de Mehmet Saïd Efendi en France. De ces ambassades résulte l’introduction en Turquie de certaines modes occidentales, du style rococo tandis que simultanément se répand en Europe le goût des turqueries. 1727 Création de la première imprimerie en caractères arabes d’où sortiront dans les années suivantes des ouvrages turcs, mais aussi des traductions de livres occidentaux. 1730 Réaction des éléments conservateurs. Le sultan est déposé, le grand vizir exécuté. (La Turquie dans l’histoire) ____________________________________________________________________ - 32 - page 2 (2) Mehmed Tchelebi et Saïd Tchelebi (cour de Louis XV) Quand Ahmed devient sultan, l’empire s’ouvre sur l’Occident. Le règne d’Ahmed III (1703-1730) est désigné comme « période des tulipes ». Le sultan n’est plus confiné dans le sérail. Il mène un train de vie fastueux et dépense sans compter pour satisfaire ses passions et ses manies – comme celle des tulipes. La « tulipomania » est plus qu’une mode coûteuse. Elle symbolise la volonté de renaissance de l’empire. Le grand vizir, Ibrahim, (premier ministre dans l’empire ottoman), cherche à découvrir les causes du progrès occidental. Il envoie à la cour de Louis XV Mehmed Tchelebi et son fils Saïd étudier les techniques françaises. Saïd remet à son retour un rapport où il pose d’abord une question : « Pourquoi les nations chrétiennes, plus faibles dans le passé que les nations musulmanes, commencent-elles à acquérir tant de territoires aux dépens des armées ottomanes jadis victorieuses ? » Il y répond en engageant les Ottomans à s’éveiller, à acquérir les connaissances et les techniques des Occidentaux qui ont permis à ceux-ci de découvrir un Nouveau Monde, et à suivre l’exemple des Russes qui ont réformé leur armée en y introduisant ces techniques. Il demande en priorité au cheikh ul-islam d’autoriser l’impression de textes profanes. Celui-ci rend sa fatwa et la première imprimerie du monde musulman en caractères arabes est ouverte à Istanbul en1727. Les janissaires n’acceptent ni les extravagances de la cour, ni ses « manières françaises ». En 1730, menés par un Albanais, Patrona Khalil, ils se soulèvent et contraignent le sultan à faire étrangler Ibrahim et le kapudan pacha. Ahmed abdique en faveur de son neveu Mahmud, fils de Mustafa II. Le nouveau sultan parvient par la ruse à éliminer les troupes révoltées. (Yves Ternon – Empire ottoman Le déclin, la chute, l’effacement – Kiron – Editions du félin – éditions Michel de Maule) ____________________________________________________________________ Le sultan Murat IV (règne de 1623 à 1640) devient, au terme de son adolescence, un sultan véritable. Il redresse l’empire, mais c’est un tyran, le plus sanguinaire des sultans ottomans. « Le meurtre pour cet homme n’était pas un moyen, mais un plaisir. La vue du sang lui procurait la même ivresse que l’absorption du vin ; sa soif de sang n’avait d’égale que celle de l’or. » - 33 - Mossoul est une ville de l’Iraq, sur le Tigre. page 3 Alep est une ville de Syrie. La Tripolitaine : ancienne régence turque de Tripoli, cédée par les Ottomans à l’Italie en 1912, intégrée à la Libye en 1951. Les massacres des Arméniens en 1895 et 1896 page 3 Le sultan Abdül-Hamid exploite des manifestations arméniennes dans Constantinople en septembre 1895 pour lancer un programme général de massacre des Arméniens d’octobre à décembre, un déchaînement de fanatisme populaire soutenu par l’armée. On retrouve partout la même technique : faux bruits, menaces d’attaque des Arméniens ; on arme la population musulmane ; les muezzins appellent au meurtre ; les massacres débutent à heure fixe, d’abord le bazar, puis les quartiers d’habitation ; d’abord le meurtre, puis le pillage. Le silence des puissances pousse les révolutionnaires arméniens à une manifestation spectaculaire : l’occupation de la Banque ottomane par un commando armé en août 1896. Le sultan exploite cette attaque pour exécuter un programme de massacres dans la capitale sous les yeux des Européens. Les massacres de 1895 et 1896 entraînent une véritable décimation de la population arménienne de l’empire : au moins 200 000 victimes. D’avril 1914 à juillet 1915, la plus grande partie de la communauté arménienne de l’Empire ottoman a été physiquement détruite. Les deux tiers des Arméniens sont assassinés – un tiers sur place, le second tiers lors de la déportation. Cet événement fait partie deS l’histoire ottomane. Ce meurtre de masse a été planifié et exécuté par les dirigeants du Comité Union et Progrès et par des membres du gouvernement ottoman. Depuis 1948, le droit international dispose d’un mot pour qualifier ce crime prémédité : génocide. Le génocide arménien se distingue des massacres arméniens de 1895-1896, même de ceux de Cilicie en 1909, pourtant d’une extrême cruauté. Il se distingue aussi des massacres perpétrés jusqu’en 1922, contre les survivants de la communauté arménienne ottomane et contre les Arméniens de Transcaucasie. Pour lancer l’incrimination de génocide, il faut être en mesure d’établir qu’un groupe humain a été détruit en totalité ou en partie par l’exécution d’un plan concerté. Les Arméniens constituaient un groupe à la fois national, ethnique et religieux, dans la perception commune de ce temps-là, et c’est bien en tant qu’Arméniens qu’ils ont été tués. Reste à établir l’intention criminelle, une volonté d’anéantissement d’autant mieux déguisée que ses auteurs étaient hantés par le secret. La question de la reconnaissance, ou non, du génocide arménien empoisonne les relations diplomatiques de la Turquie. En mars 1915, l’Empire ottoman, alors en guerre contre le Russie, décide déporter les populations arméniennes de l’est de l’Anatolie vers les déserts de Mésopotamie et de Syrie, les accusant de trahison et de collusion avec l’ennemi. Des centaines de milliers, voire plus d’un million, selon les sources arméniennes, en mourront, décimés par la déportation, les exactions et la famine. Sont-ils des victimes de guerre, comme l’ont toujours affirmé les Turcs ? Ou plutôt victimes d’une « purification ethnique » organisée ? La question divise les gouvernements étrangers. En mai 1998, après des années d’hésitation, la France s’est lancée dans la reconnaissance officielle du génocide. (GEO N°290) - 34 - Diyarbakir page 3 ‘’Des scènes de sadisme finissent par être connues en dehors des lieux clos où elles se déroulent, notamment la prison de Diyarbakir.’’ ‘’Les marmailles insolentes et braillardes qui peuplent certaines villes à prédominance kurde, comme Diyarbakir, ne peuvent procurer qu’un souvenir pénible au visiteur.’’ ‘’Diyarbakir, sale et noire, est fondamentalement hostile et, seule, une névrose ayant pour objet l’architecture militaire pourrait faire trouver de l’intérêt à ses remparts délabrés.’’ (Christian Fièvre – la Turquie, un pays, des hommes – 1986) ‘’Diyarbakir, ville importante pleine d’animation, à 660 m. d’altitude, perdue dans une vaste plaine aride sur la rive droite du Tigre.’’ ‘’La vieille ville est encore entourée de ses imposantes murailles construites en basalte noir et qui constituent un des plus beaux specimens de l’architecture militaire au Moyen-Age.’’ ‘’Il existe plusieurs églises antérieures à la conquête islamique dont une transformée en mosquée. Une autre église, Saint-Georges, est un lieu de détention et n’est pas visitable.’’ (la Turquie inconnue) Diyarbekir,au cœur de l’Anatolie. Ici, la civilisation a été mise entre parenthèses. Pendant une quinzaine d’années, de 1984 à 1999, la ville a été l’épicentre d’une guerre sans merci entre les combattants du PKK, le parti des travailleurs du Kurdistan, et l’armée turque. Elle a fait entre 30 000 et 40 000 morts. Diyarbakir est la capitale du Kurdistan turc. La région a été très tôt placée sous administration militaire et l’armée a eu carte blanche pour éliminer la rébellion dont l’une des cibles prioritaires était les chantiers du GAP (construction de 22 barrages sur l’Euphrate et le Tigre). La repression a eu lieu à huis clos, dans une région bouclée, interdite aux journalistes. Diyarbakir est encore empreinte de ces années de plomb. La ville compte une population de 2 millions d’habitants, gonflée au fil des années par des réfugiés s’entassant à la périphérie après la destruction de leur village par l’armée turque. (GEO 290) ____________________________________________________________________ Aujourd’hui, la population de Diyarbakir est kurde, à part les militaires, les fonctionnaires, quelques Arabes et des Arméniens et des Afghans (venus en 1982 de camps au Pakistan) moins nombreux encore. La plus remarquable des 22 mosquées est la grande mosquée (Ulu Cami), la plus ancienne d’Anatolie. (le grand guide de la Turquie Gallimard 1990) ____________________________________________________________________ - 35 - L’Euphrate page 6 Etiré sur 2780 km, l’Euphrate coule en Turquie sur 900 kilomètres. De lourdes charges étaient transportées par voie fluviale dès 4000 avant J.C., c’est-àdire 1000 ans avant l’invention de la roue et la domestication des animaux de bât. En 2000 avant notre ère, de véritables flottes commerciales approvisionnaient en produits essentiels les villes royales de Babylone : bois de cèdre du Liban destiné à la construction des temples, minerai de cuivre d’Anatolie, moutons de la Djézireh, huile d’olive de Syrie ou vin d’Harran. Mais l’Euphrate n’était pas un fleuve paisible. Le printemps était la seule bonne saison pour naviguer. Au 19ème siècle, les Anglais tentèrent de relancer cette voie fluviale dont le trafic avait décliné à partir du 13ème siècle. En vain. Leurs bateaux à vapeur ne purent triompher du grand fleuve capricieux. Le GAP, Projet de l’Anatolie du Sud-Est, lancé en 1976 pour exploiter l’Euphrate et le Tigre, prévoit la construction d’ici à 2010 de 22 barrages et de 19 centrales électriques. Le conflit italo-turc page 6 La guerre italo-turque, de septembre 1911 à octobre 1912, est une guerre coloniale de conquête engagée pour la possession de la Tripolitaine. La Tripolitaine se rattache par son climat et son sol au Sahara, elle est une vaste région désertique brûlée par le soleil et sans eau, parcourue par des caravanes. La côte, plus hospitalière, est jalonnée de villes (Tripoli, Homs, Misourata)et bordée d’oasis. Successivement, siège de comptoirs phéniciens et grecs, occupée par les Romains et les Arabes, elle est conquise par les Turcs qui sont les maîtres du pays depuis 1835. Tripoli fut un grand centre de traite et une ville de transit caravanier pour les marchandises soudanaises. En 1911, l’opinion publique italienne est agitée par une campagne de presse nationaliste qui pousse le gouvernement italien à une expansion coloniale. Le premier ministre italien, Giolitti, fabrique un prétexte : il se plaint des entraves mises par les Turcs au développement de la Tripolitaine et des dangers auxquels sont ainsi exposés les ressortissants italiens de cette province. Tripoli est bombardée puis occupée par un corps expéditionnaire italien . En un mois, les Italiens occupent les autres ports de Tripolitaine et de Cyrénaïque, en particulier Tobrouk, Benghazi et Derna. C’est en Cyrénaïque que se déroule le premier bombardement aérien de l’histoire. En 1912, l’Italie occupe Rhodes et les îles du Dodécanèse. Le 15 octobre 1912 la Tripolitaine et la Cyrénaïque, ultimes possessions ottomanes d’Afrique, sont cédées à l’Italie qui s’engage à évacuer Rhodes et les îles du Dodécanèse, engagement qu’elle ne tient pas au prétexte de la situation dans les Balkans où la guerre vient d’éclater. - 36 - Diplôme école turque de Diyarbakir (année scolaire 1910/1911) page 7 En 1928, l’écriture arabe est abandonnée au profit de l’alphabet latin, mieux adapté à la langue turque. Le remplacement de l’alphabet arabe par l’alphabet latin, le retour à la langue « turque pure » par la suppression des influences persanes et arabiques ont également contribué à la rupture avec les élites religieuses. A cause de ces réformes menées par Atatürk, les Turcs ont été coupés de la langue du Coran et de leur passé ottoman. L’alphabet ottoman était celui de l’islam, l’écriture et la langue dans laquelle le Coran avait été révélé. Adopté pour des raisons religieuses par les Ottomans, cet alphabet était peu approprié à la langue. Alors qu’il utilisait 612 caractères, il ne comprenait que 3 voyelles Le 24 mai 1928, la Grande Assemblée nationale décide que les chiffres romains remplaceront les chiffres arabes. Le 26 juin, une commission de spécialistes demande 5 ans pour définir un alphabet. Mustafa Kemal lui accorde 3 mois. Six semaines plus tard, l’alphabet est prêt : il est constitué de 21 consonnes et de 11 voyelles. Le 9 août 1928, Kemal annonce la réforme de l’écriture. Les journaux turcs commencent à paraître avec des caractères latins. - 37 - -----------------------------------------------------------------------------------------------------page 8 un métropolite est un prélat orthodoxe page 9 Jemaïzé Achrafié Le vieux quartier populaire d’Achrafié constitue le « noyau dur » du pays chrétien. Il s’est développé à la fin du 19è siècle, et était peuplé à l’origine de Grecs orthodoxes. page 10 La cardamome est une plante d’Asie dont les graines odorantes et de saveur poivrée sont souvent employées au Proche-Orient, pour parfumer le café. page 11 Le vali est le gouverneur d’une province. Djamãl Pacha général et homme politique ottoman (1872-1922), il fut un des chefs des Jeunes-Turcs qui s’emparèrent du pouvoir en 1913 et engagèrent l’Empire ottoman aux côtés de l’Allemagne dans la première guerre mondiale. Il fut assassiné. Le mandat français à Beyrouth A la fin de la première guerre mondiale, les excolonies allemandes et les provinces arabes de l’Empire ottoman sont divisées entre des pays mandataires, dont la Grande-Bretagne et la France. Dans le cas des pays arabes, le mandat implique de conduire ces territoires à l’indépendance, sans toutefois fixer de délai. page 13 Les Grecs orthodoxes sont au Liban comme en Syrie, les descendants des habitants de ces pays à l’époque byzantine, donc les plus anciens Libanais et Syriens. -----------------------------------------------------------------------------------------------------page 15 Epidémie de typhus La période de la Grande Guerre a surtout été marquée par le blocus Franco-Britannique qui a désorganisé l’importation des produits alimentaires par l’Empire ottoman et a induit l’épidémie du typhus et la famine et qui a surtout affecté les catégories pauvres. (site médecins) -----------------------------------------------------------------------------------------------------page 16 Bey titre signifiant « seigneur ». En turc moderne, équivalent de « Monsieur » comme bey ou Effendi. Haut fonctionnaire, officier supérieur, dans l’Empire Ottoman. (DICO) - 38 - -----------------------------------------------------------------------------------------------------page 18 Ludwig Manasterski -----------------------------------------------------------------------------------------------------page 21 Antioche, en turc Antakya, ville de Turquie. La libération du Liban Le 1er octobre 1918, le général britannique Allenby était à Damas. Le 7 octobre, une escadre française paraissait en rade de Beyrouth, le 8, un corps anglo-français entrait dans la ville, le 12, les marins français débarquaient à Tripoli. La libération du Liban était achevée. -----------------------------------------------------------------------------------------------------page 22 Le Dodécanèse est un archipel grec de la mer Egée au large de la Turquie. CASTELLORIZO Ilot du Dodécanèse de 28 km2 sur la côte turque, à 125 km à l’est de l’île de Rhodes. Appelée affectueusement et ironiquement – eu égard à sa petite taille – Megiste (la plus grande) dans l’antiquité. La marine française en prend possession le 24 décembre 1915 et en fait la base de sa première armée navale. Elle restera française jusqu’au 21 août 1921, date à laquelle elle est remise aux autorités italiennes. C’est aujourd’hui une île grecque. -----------------------------------------------------------------------------------------------------page 23 Pour les philatélistes C’est en juin 1940 que le lieutenant de vaisseau Terme, gouverneur militaire de l’île, décide de faire surcharger les timbres de France et du Levant. Des surcharges spéciales seront donc créées et utilisées lors de trois émissions durant l’été 1920. Ces surcharges ne dureront qu’une année. En août 1921, la France se retirant de Castellorizo, elles seront abandonnées. Dans l’ensemble, les fortes valeurs ont été tirées à quelques centaines d’exemplaires seulement ! C’est dire la difficulté et l’intérêt de posséder ces timbres dans une collection. -----------------------------------------------------------------------------------------------------page 24 Hodjatoleslam est un titre donné aux théologiens et aux docteurs en jurisprudence dans l’islam chiite. Un mutessarif est un gouverneur d’une subdivision administrative d’une province. ----------------------------------------------------------------------------------------------------- L’Empire ottoman Dimitri Kitsikis Que sais-je ? - 39 - Le grand guide de la Turquie Gallimard Empire ottoman Le déclin, la chute, l’effacement Yves Ternon Ed. du félin GEO 290 Avril 2003, GEO 282 Août 2002 Centre culturel Anatolie Maison de la Turquie 77 rue Lafayette 0142 80 04 74 Ministère du tourisme turc www. Turizm.gov.tr Tripoli en Tripolitaine (Libye) RUE RICCARDO Le tric-trac Les Pères Jésuites Gare de Rayak (Liban) Ville de Marach régime turc dit ’’de l’unité et progrés’’ en 1909 Patriarcat de Syrie Accord de 1861 TURQUIE / EUROPE Les Druses population du Proche-Orient A VOIR Les Chaldéens rite chaldéen : rite pratiqué par les Eglises orientales nestoriennes ou ralliées à Rome Les Eglises orthodoxes : églises chrétiennes orientales séparées de Rome depuis 1054. Un caravansérail bâtiment à fonctions commerciales organisé autour d’une cour centrale. Le rez-de-chaussée est réservé à l’entrepôt des marchandises et l’étage aux logements pour les négociants, éventuellement étrangers. Les Sporades îles grecques de la mer Egée. On distingue les Sporades du Nord, voisines de l’île d’Eubée, et les Sporades du Sud, ou Dodécanèse, proches de la Turquie et comprenant notamment Samos et Rhodes. Le narghilé (mot persan) est une pipe orientale, à long tuyau flexible, dans laquelle la fumée passe par un flacon rempli d’eau parfumée avant d’arriver à la bouche. Un tarbouche est un bonnet rond tronconique orné d’un gland, porté dans les anciens pays ottomans. Les Ottomans Dynastie qui doit son nom à un certain Uthmân, chef de la - 40 - famille de la tribu turque de Oghuz établie en Anatolie. D’abord attachés aux Saldjoukides de Konya, ils guerroyèrent contre les Byzantins à l’est du pays et se rendirent pratiquement indépendants au début du 14éme s. Le règne de ces SULTANS, qui furent au 16 ème s. maîtres d’un empire puissant et prospère englobant les Balkans et les pays arabes, devait durer jusqu’en 1924. sultan titre porté par les souverains ottomans à partir de Murat 1er (1320) Le Levant nom donné aux pays de la côte orientale de la Méditerrannée. Les échelles Comptoirs commerciaux établis à partir du 16è s. par les nations chrétiennes en pays d’islam. Echelles du Levant en Méditerrannée orientale, échelles de Barbarie en Afrique du Nord. Le général Allenby maréchal britannique (1861-1936). Commandant les forces britanniques en Palestine (1917-18), il pris Jérusalem, Damas et Alep, puis contraignit les Turcs à capituler. Il contribua à élaborer le traité d’indépendance de l’Egypte. Fayçal 1er prince hachémite, il dirigea la révolte arabe contre les Ottomans en 1916. Roi de Syrie en 1920, il fut expulsé par les Français et devint roi d’Iraq en 1921 avec l’appui de la Grande-Bretagne. 10ème et 11ème siècle : l’alchimie et la médecine rencontraient une constante faveur. Si l’alchimie ne réussit jamais à se hausser au niveau d’une science véritable, la médecine comptait depuis une époque ancienne des praticiens attentifs. Il existait, avant la conquête musulmane, une école à Djundîshâpûr en Iran, à laquelle appartenaient les fameux médecins des premiers califes abbassides. Par la suite de nombreux savants, parmi lesquels le grand Avicenne, devaient exercer cet art, quoique de façon généralement empirique et en cherchant la meilleure manière d’agir sur les tempéraments individuels. Dès la fin du 8ème siècle, un hôpital était créé à Bagdad sur le modèle de celui qui devait avoir existé très anciennement à Djundîshâpûr et au début du 10ème siècle, on comptait dans la ville cinq nouvelles fondations de ce genre, qui bénéficiaient de dotations faites par de riches personnages. Ces établissements se multiplièrent bientôt dans les autres villes du monde islamique et on en trouvait au 12ème siècle aussi bien au Caire et à Alexandrie qu’à Alep ou Damas où les constructions monumentales qui les abritaient nous ont été conservées, sans oublier leur existence dans des villes iraniennes comme Rayy ou anatoliennes comme Divrigi. ( la civilisation de l’islam classique) - 41 - - 42 -