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Textes soumis à la Revue Méditerranéenne de Génétique Humaine.
Ces textes sont le résultat du travail de réflexion et de synthèse d’un comité mis en place par la
SFGH (Société française de génétique humaine) comprenant :
- Alain Bernheim (directeur de recherche INSERM, IGR Villejuif, vice président de la
SFGH)
- Catherine Bourgain (chargée de recherche INSERM)
- Anne Cambon-Thomsen (directrice de recherche CNRS, Toulouse)
- Françoise Clerget (directeur de recherche, INSERM)
- Pierre Darlu (directeur de recherche CNRS)
- Marc Fellous (professeur émérite, université Paris VII-Diderot)
- Josué Feingold (directeur de recherche émérite INSERM)
- Gérard Huber (psychanalyste, écrivain, président du club « santé-solidarité_prospective
2100 »)
- Jean-Claude Kaplan (professeur émérite, université Paris V-Descartes)
- Jean-Louis Serre (professeur, université de Versailles, président de la SFGH)
TEXTE n°1 : Tester ses origines : Quels apports de la génétique ?
PRELIMINAIRES
Des tests génétiques sont actuellement largement et directement proposés sur Internet par
de multiples sociétés aux personnes qui cherchent à obtenir des informations sur leurs origines
géographiques et ethniques. La plupart de ces sociétés proposent également d’évaluer des risques
génétiques pour plusieurs maladies, simples ou complexes, ou pour prédire plusieurs traits
morphologiques ou psychologiques.
Les tests génétiques d’origine se proposent de reconstruire des histoires familiales, de
localiser les origines géographiques des ancêtres et de suggérer leur parcours migratoire. Ces
applications de la génétique ne répondent cependant pas exclusivement à des finalités
« récréatives ». En effet, ces tests peuvent se révéler efficaces pour confirmer ou infirmer des
liens de parenté, proches ou lointains, sortant ainsi du cadre légal français, notamment lorsqu’il
s’agit de tests de paternité. Ces tests peuvent potentiellement servir en médecine légale pour
spécifier l’origine géographique d’une trace d’ADN ou de celle d’un suspect. Enfin, dans la mesure
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ces tests suggèrent un rapprochement entre origine géographique et origine ethnique, ils
soulèvent toutes les questions relatives à l’identité de la personne, à la place que la biologie doit
prendre dans sa définition et aux implications qu’un tel marquage « ethnique » entraînerait au
niveau social et politique.
PERTINENCE SCIENTIFIQUE
La pertinence de ces tests pour résoudre les questions généalogiques se pose d’abord d’un
point de vue scientifique. En effet, les tests les plus accessibles financièrement et les plus
souvent proposés se basent sur l’analyse des variations génétiques de l’ADN mitochondrial ou du
chromosome Y. Ils ne permettent des inférences que sur un seul ancêtre en lignée maternelle et
un seul en lignée paternelle respectivement, ce qui ne couvre qu’une infime partie des ancêtres
d’une personne. Cette réalité est souvent occultée ou peu explicite. Les variations génétiques
relevées sur les autres chromosomes, maintenant accessibles malgré leur coût encore élevé, ne
renseignent qu’en probabilité sur les gènes portés par les ancêtres, puisque chaque ancêtre ne
transmet à chacun de ses enfants qu’une moitié aléatoire de ses gènes. Il est donc illusoire de
penser établir autrement qu’en probabilité les relations génétiques entre une personne et ses
ancêtres.
Pour préciser les origines, la méthode appliquée par ces tests consiste à comparer les
variants génétiques d’une personne à leur distribution dans plusieurs populations géoréférencées,
parfois ethnologiquement ou linguistiquement caractérisées. Diverses méthodes statistiques
permettent alors d’attribuer à cette personne la probabilité pour que le profil de ses gènes soit
comparable à celui de telle ou telle population. Ces probabilités d’attribution d’origines, ainsi que
leur précision, ne dépendent que du nombre, de la pertinence et de l’informativité des variants
génétiques pris en considération (les « AIM » ou « Ancestry Informative Markers »), des
conditions d’échantillonnage des populations de référence, en termes de représentativité
géographique, génétique et ethnologique, et de l’ampleur de la diversité génétique de ces
populations qui, elle-même, dépend de leur histoire.
Comme ces populations de référence sont nécessairement des populations actuelles, elles ne
peuvent pas renseigner directement sur ce qu’étaient, autrefois, les localisations de ces
populations, à moins de formuler de nombreuses hypothèses. Celles-ci portent sur leurs
migrations passées, sur l’évolution de leur patrimoine génétique qui dépend de mécanismes
complexes comme la dérive génétique, la sélection, les mélanges, et autres évènements
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démographiques. Par ailleurs, en génétique, la couverture mondiale des populations actuelles est
encore largement imparfaite, favorisant les populations des pays développés et les populations
dites isolées, très étudiées en Anthropologie. Ce sont les raisons pour lesquelles on ne peut
encore fournir qu’une image imprécise des origines génétiques et géographiques d’une personne.
IMPACTS ET CONSEQUENCES
Les tests qui proposent des diagnostics d’origine, à partir des seuls variants portés par
l’ADNmt et le ChrY sont insuffisants pour établir un diagnostic solide et complet des origines et
pour établir avec précision les anciens chemins migratoires.
Les tests génétiques d’allocation d’une personne à une population, un groupe ou une ethnie,
relèvent de raisonnements probabilistes qu’il est nécessaire de rendre explicite pour éviter des
erreurs d’interprétation.
Mal interprétés, ces tests génétiques peuvent conduire à des conclusions erronées, souvent
implicites dans les sites commerciaux qui les proposent : alors que la diversité génétique entre
populations se présente sous la forme d’un continuum, ces tests entretiennent l’illusion que
l’humanité peut se découper en groupes clairement identifiables par la génétique, confortant
l’idée que l’étude de l’ADN suffirait pour donner un contenu scientifique à la race.
Plusieurs personnes partageant les mêmes variants génétiques peuvent se sentir renforcés
dans un sentiment de commune identité, sur des bases scientifiquement fragiles, et être
conduites, a contrario, à construire le statut de l’étranger, celui qui aurait des variants
génétiques différents et donc une histoire différente.
Les origines géographique ou ethnique, telles qu’elles sont proposées par les tests génétiques,
peuvent entrer en contradiction avec le vécu des histoires individuelles ou collectives et
déstructurer les identités personnelles ou remettre en cause les connaissances historiques
traditionnelles.
Au mieux, ces tests génétiques d’origine ne peuvent proposer que des hypothèses, fragiles en
l’état actuel des connaissances, sur les probabilités d’origine des gènes. Ils restent impuissants à
conclure sans risque d’erreurs sur une quelconque appartenance d’une personne à un groupe
ethnique ou linguistique, et encore moins à une nationalité.
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La mise en place de ces tests génétiques d’origine suppose la constitution de banques de
données dont le contenu et les conditions d’utilisation par des entreprises commerciales ou par
les organismes publics devraient être encadrés. L’utilisation de ces tests, s lors qu’ils peuvent
être utilisés dans l’identification des personnes, mériterait également de l’être.
TEXTE n°2 : quelle valeur accorder aux prédictions de risques pour les maladies
multifactorielles ?
1- Avis scientifique des associations et sociétés savantes signataires
Il y a trente ans, la révolution de la biologie moléculaire a permis l’identification progressive de
centaines de gènes impliqués dans des maladies monogéniques, ouvrant la voie à leur diagnostic
moléculaire, à la compréhension de leur physiopathologie et à la recherche de nouvelles thérapies.
Cette démarche ouvrait aussi la voie au projet Génome Humain qui aboutit, en Avril 2003, à la
publication d’une séquence complète de notre génome. Ces succès remarquables ont soulevé
beaucoup d’espoirs. On a pensé, en particulier, que l’identification des facteurs génétiques
impliqués dans la physio-pathologie des maladies dites multifactorielles, mettant en jeu génétique
et environnement, permettrait de prédire à une personne ses risques à partir de l’analyse de son
génome («médecine personnalisée» ou «médecine prédictive»).
Nous assistons présentement sur internet à une explosion du nombre de firmes commerciales,
soutenues par des scientifiques et des organismes de renom, qui proposent des «tests génétiques
en libre accès» et de la «médecine personnalisée» pour des maladies multifactorielles telles que
le diabète, l’asthme, des maladies cardio-vasculaires, des maladies auto-immunes, des maladies
psychiatriques ou neuro-dégénératives.
Or un certain nombre de concepts souvent mal compris, voire mal définis, mènent à une
interprétation contestable des résultats fournis par ces compagnies. Dans le texte annexé il est
précisé ce que sont les maladies multifactorielles et les limites de validité des outils développés
pour analyser leur composante génétique. Les études d’association pangénomique (GWAS :
Genome Wide Association Studies) sont aujourd’hui un des outils les plus utilisés pour l’analyse
des maladies multifactorielles et c’est à partir de leurs résultats que les sites internet et de
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nombreuses publications proposent une évaluation des risques de développer ces maladies. Le
problème que nous soulevons concerne l’interprétation des risques ainsi calculés.
Dans la plupart des cas, les causes des maladies multifactorielles et leur mode d'action restent
encore inconnus. Face à cet inconnu, l’interprétation des résultats présuppose que les facteurs
génétiques sont nombreux, avec des effets petits, indépendants, cumulatifs, et sans interaction
avec des facteurs du milieu. Si cette hypothèse était vérifiée, on pourrait imaginer que les
études pan-génomiques finiraient par répertorier tous les facteurs génétiques impliqués dans
chaque maladie ce qui permettrait alors de caractériser les personnes en fonction de leur risque,
comparé à celui d’une population de référence. Or pour la majorité des maladies multifactorielles,
cette hypothèse n’est pas justifiée. En effet le risque de velopper de telles maladies dépend
certes de facteurs génétiques mais aussi de facteurs du milieu auxquels on peut être exposé ou
non et qui peuvent être essentiels dans le déclenchement de la maladie. Ainsi, pour la lèpre, les
différences génétiques qui ont été décrites dans la prédisposition à cette maladie n’interviennent
qu’en présence du bacille de Hansen. Autre exemple, une personne porteuse de tous les facteurs
de risques génétiques associés au diabète de type 2 court en fait moins de risque d’être atteinte
si elle est mince et sans antécédents familiaux qu’une personne sans aucun de ces facteurs
génétiques mais obèse avec des antécédents familiaux. Quelle signification accorder à un calcul
de risque sur la base d’études génomiques si les facteurs du milieu, et leur interaction avec les
facteurs génétiques, sont encore mal connus, inconnus ou non pris en compte ?
En conclusion :
Si les études pangénomiques apportent une contribution essentielle à la connaissance
scientifique, l’utilisation exclusive de l’information qui en résulte est dénuée de sens en
matière de prédiction de santé. Elle conduit à une perception erronée du risque encouru
par les individus.
Il est du devoir de la communauté scientifique de ne pas servir d’alibi en matière de
prédictions individuelles de risque pour les maladies multifactorielles à partir de la seule
information génomique.
Il importe d’informer avec rigueur et clarté sur l’évolution des connaissances en génomique et de
débattre sur les limites de leurs applications.
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