Commerce équitable , économie sociale
et mondialisation
Louis Favreau
Note sur l’auteur :
Louis Favreau est sociologue et titulaire de la Chaire de recherche du Canada en développement des
collectivités (CRDC) de l’Université du Québec en Outaouais (UQO). Il est également chercheur au
Centre de recherche sur les innovations sociales dans l’économie, l’entreprise et les syndicats (CRISES)
et dans une Alliance de recherche Universités-Communautés (ARUC) en économie sociale.
Chaire de recherche du Canada en développement des collectivités (CRDC)
Série Conférences no. 9
ISBN : 2-89251-164-X
Université du Québec en Outaouais
ii
TABLE DES MATIÈRES
1. Commerce équitable : une innovation dans la coopération entre le Nord et
le Sud ......................................................................................................... 3
2. Commerce équitable et économie sociale : une convergence historique et
actuelle ...................................................................................................... 4
3. Commerce équitable, économie sociale et mondialisation .................. 7
4. La nouvelle économie sociale dans les pays du Nord. ......................... 8
5. Une première conceptualisation de l'économie sociale à partir de
l'expérience des pays du Nord .................................................................. 9
6. La nouvelle économie sociale dans les pays du Sud : une nouvelle
contribution ............................................................................................... 11
7. Économie sociale et solidarité internationale: l’économie sociale, un
concept fédérateur ..................................................................................... 12
8. L’économie sociale québécoise, une composante de l’“autre
mondialisation”? ....................................................................................... 13
Repères bibliographiques ......................................................................... 16
Sites en économie sociale et en développement local .............................. 18
3
1. Commerce équitable : une innovation dans la coopération entre le Nord et le Sud
Le commerce équitable est sans doute l'une des voies les plus prometteuses de la solidarité internationale.
Comme le disait un leader africain d'une ONG : Avec l'argent gagné grâce au commerce, vous pouvez
acheter ce que vous voulez. Mais lorsqu’il s’agit de personnes qui vous aident, c’est plus difficile de poser
vos exigences” (cité par Barratt Brown et Adam, 1999 : 117). Le commerce équitable diffère ainsi
qualitativement des formes traditionnelles de la coopération internationale entre le Nord et le Sud. De plus
le commerce équitable illustre fort bien la triple dimension du développement et des échanges Nord-Sud
aujourd'hui : économique, sociale et environnementale.
1) La dimension économique : de petits producteurs de matières premières (café, cacao, miel, thé...)
du Sud vendent leurs produits à des pays du Nord à un prix équitable. Ils sont aujourd'hui 800 000
producteurs à vivre de ces échanges équitables en écoulant leurs marchandises par l'intermédiaire
de centaines de magasins au Nord (plus de 2 500 en Europe).
2) La dimension sociale : les entreprises de ces petits producteurs (généralement des associations ou
des coopératives) sont généralement tenues de respecter les conventions de l'Organisation
Internationale du Travail (OIT) en matière de normes de travail et de normes environnementales.
Elles font également en sorte de consacrer une partie de leurs profits à des projets de
développement (écoles, routes...) tandis que les associations et magasins du Nord, en contrepartie,
s'engagent à fournir les conditions d'un échange équitable : achat direct pour éviter le plus
d'intermédiaires possible; fixation d'un prix minimum afin d'éviter la fluctuation des cours;
recours à des pré-financements pour soutenir les entreprises avant les récoltes évitant ainsi le
recours à des crédits exorbitants (pré-financements généralement issus de fonds de placement
éthiques ou de banques solidaires); relation commerciale inscrite dans la durée
1
.
3) La dimension environnementale : cultures mixtes, utilisation du compost naturel
(non-utilisation d'insecticides et d'herbicides) et orientation vers une certification organique
constituent des coordonnées de base provenant à l'origine des associations écologiques du Nord
qui ont initié dans les années 60 ce type de commerce (aux Pays-Bas d'abord, puis en Belgique, en
Allemagne, en Suisse, au Royaume-Uni, au Canada...).
Certes le commerce équitable est pour l’instant négligeable au plan strictement économique (en terme de
pourcentage du commerce international, les chiffres sont dérisoires soit, par exemple, 0,1 % du commerce
1
Les informations sur le commerce équitable sont encore très rares, les recherches en économie sociale sur ce sujet ne
font qu’émerger. De tout l’intérêt du présent colloque. On peut néanmoins puiser des données et des réflexions
préliminaires sur la question dans le texte de Barrat Brown et Adam dans Defourny, Develtere et Fonteneau (1999) et
dans les récents travaux de la Chaire Économie et Humanisme de l’UQAM.
4
européen avec les pays du Sud. Mais ces chiffres sont trompeurs : ce type de commerce modifie en effet
en profondeur le développement de communautés locales qui y trouvent des emplois stables et décents, des
filières internationales (Sud/Sud ou Nord/Sud) de développement (le commerce équitable est en
croissance constante depuis une dizaine d'années) et des entreprises qui associent les populations locales
(coopératives de producteurs, coopératives de mise en marché, etc...). C'est le cas par exemple des
entreprises de cacao de Kuapa Kokoo au Ghana ou de certaines régions paysannes des Andes (Équateur,
Pérou, Bolivie, Colombie) avec le Réseau latino américain de commercialisation communautaire
(RELACC)
2
.
Au Québec et au Canada, le commerce équitable est en plein essor. Inspirées par la stratégie européenne,
notamment celle de la Suisse, de l'Allemagne et des Pays-Bas, les ONGD telle qu’Équiterre,
OXFAM-Québec ou Plan Nagua cherchent à sortir d'une stratégie de commerce trop parallèle au bénéfice
d'une pénétration des supermarchés, de la mise à contribution des grandes organisations (syndicales et
coopératives) et des gouvernements (percée au parlement d'Ottawa à l'automne 1999 grâce au Bloc
Québécois).
Mais les initiatives de commerce équitable ici et ailleurs ne sont pas seules, ni dans le temps ni dans
l’espace. Elles ont une filiation historique et elles font partie d’un ensemble beaucoup plus vaste. Dans
le temps comme dans l’espace, elles sont partie prenante de l’économie sociale.
2. Commerce équitable et économie sociale : une convergence historique et actuelle
Comme le dit avec justesse l’historien français de l’économie sociale André Gueslin (1998), les Pionniers
de Rochdale, fondateurs du mouvement coopératif britannique, ont pour nom Les Équitables Pionniers de
Rochdale. Ce n’est pas un hasard. Cette première coopérative, fondée en 1844, en banlieue de Manchester,
ville par excellence de la grande industrie textile du XIXe siècle, avait pour conviction que le commerce
était aux mains d’“intermédiaires parasites” disaient la trentaine d’ouvriers qui en étaient membres
3
. On
sait que les principes fondateurs du mouvement coopératif qui ont émergé à Rochdale ont fait le tour du
monde et font encore l’objet périodique de débats au sein de l’Alliance coopérative internationale (ACI).
2
Ortiz et Munoz, 1998 et RITIMO et SOLAGRAL (1998) p.119 à 121.
3
50 ans plus tard, des coopératives agricoles québécoises des débuts du siècle se bâtissent à partir des mêmes
convictions et des mêmes obstacles.Aujourd'hui, par UPA-DI, elles fournissent leur soutien et leur expertise aux
organisations paysannes d’Amérique latine et d’Afrique pour favoriser des formes collectives de commercialisation de
leurs produits et ainsi s’emparer du marché que les intermédiaires contrôlent.
5
Que cette composante coopérative se soit aujourd’hui fortement instituée est relativement connu. Le
commerce équitable serait plutôt tenté de frayer avec une autre Alliance, l’Alliance pour un monde pluriel
et solidaire (Alliance, 1997). Peu importe ! Il convient surtout de dire qu’hier c’est le mouvement ouvrier
qui a mis sur pied les premières initiatives de commerce équitable et qu’aujourd’hui, ce sont encore des
mouvements sociaux à qui nous devons ce renouveau. Car il y a renouveau généralisé non seulement du
commerce équitable mais de l’ensemble de cette économie dite sociale, renouveau qu’on retrouve aussi
bien au Sud qu’au Nord.
En effet partout dans le monde aujourd'hui, des expériences inédites d'économie sociale ont surgi.Que
l'on pense, pour ne mentionner que les plus connues dans les pays du Sud, à la “Grameen Bank
(Bangladesh) qui a développé un système de micro-financement pour venir en aide aux familles les plus
démunies (petits prêts pour le démarrage de micro-entreprises), aux cuisines collectives latino-américaines
ou aux tontines africaines; que l'on pense, dans les pays du Nord, aux services de proximité et aux Régies
de quartier (France), aux coopératives sociales (Italie), aux coopératives de travail assocet aux sociétés
anonymes de travail en Espagne, aux agences de développement communautaire (CDC) aux États-Unis et
au Canada ou aux entreprises d'insertion et aux corporations de développement économique
communautaire (CDÉC) québécoises sans compter les organisations de coopérations internationale (OCI).
Que l’on pense également aux Rencontres internationales d’économie sociale et solidaire comme celle de
Lima (en 1997), celle de Québec (en 2001) et celle qui est prévue à Dakar en 2005 dans le prolongement
des deux précédentes (Favreau, Lachapelle et Lemay, 2003).
Partout dans le monde, des initiatives sont en voie de renouveler ce qu'on a qualifié traditionnellement
(du moins dans les pays du Nord) d'économie sociale
4
, concept “parapluie” rassemblant le monde des
coopératives, des mutuelles et des associations. Cet ensemble d'initiatives, dont plusieurs ont émergées il y
a quelques 150 ans grâce au mouvement ouvrier, sont apparues ou ont réémergé pour répondre à l'offensive
capitaliste sur trois registres : d’abord celui des impératifs socio-économiques (besoins de stricte
nécessité), ensuite celui des impératifs socioculturels (besoins d'identité) et, enfin, celui des impératifs
sociopolitiques (aspirations à la démocratie et à des sociés équitables).
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Nous nous en tenons à l’expression “Économie sociale” que nous n’opposons pas à celle d’“économie solidaire” en
paraphrasant D. Demoustier (2001) qui titre l’introduction de son dernier livre comme suit : “L’économie sociale est
solidaire…ou elle n’est pas”.
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