Chapitre I: Histoire de la psychologie différentielle Apparition intimement liée avec un phénomène culturel caractérisant les sociétés occidentales appelé individualisation et qui fournit les bases sur lesquelles se sont fondées la psychologie différentielle et les sciences psychologiques en général. 1) L’individualisation jusqu’au 19ème siècle Depuis le début de l’ère chrétienne jusqu’au Moyen-Age, les comportements sont déterminés par l’appartenance et la position (homme, femme, religieux ou paysan, etc.) que l’on occupe dans une collectivité. L’individu est considéré comme une partie de ce « nous » collectif, il a peu d’existence en dehors de sa relation avec la société. L’individualisation (terme crée en 2004 par Van Drunen et Jansz) est le processus caractérisant l’évolution des rapports entre l’individu et la société, et plus particulièrement le fait que l’individu prenne progressivement le pas sur la collectivité. Ce processus se caractérise par 3 éléments, qui aujourd’hui, nous semblent évidents : L’individu n’est plus une composante lié à une collectivité mais un être à part entière qui peut être distingué de ses pairs. Il est « sujet » et le monde qui l’entoure est son « objet ». Les autres lui apparaissent comme étrangers et dans certains cas, l’individu se voit comme une victime de la société qui agresse et menace son véritable « moi ». L’individualisation se traduit par la découverte de l’existence de différences particulières entre individus, en termes de « personnalité », de « caractère » ou de « capacités mentales ». Aujourd’hui ce n’est plus seulement un constat mais aussi une recherche : les jeunes occidentaux tendent à se différencier de ceux qui forment leur milieu social, c’est-à-dire les parents, les profs… afin de se forger une identité propre. Psychologisation : croyance que chacun a une vie intérieure, un ensemble de pensées, de motivations, de sentiments qui constituent l’identité et ne sont pas directement visibles. Ce processus nait au 14ème siècle, pendant la Renaissance Italienne (même si on constate des prémisses dans la philosophie grecque et le christiannisme). Il est important de le distinguer de la norme de différenciation individuelle : la norme suggère que, dans nos cultures, être différent est valorisé tandis que l’individualisation décrit simplement le processus par lequel l’individu s’est historiquement perçu comme différencié des autres, dissocié de la société et caractérisé par une vie intérieure. Ce phénomène a une grande dimension historico-culturelle, les rapports individusociété ne sont pas les mêmes dans d’autre cultures. Ainsi, dans les sociétés collectivistes (Extrême-Orient…) l’individu n’est pas séparé de la collectivité et il entretient des liens d’interdépendance avec les autres. Il est dans sa nature d’être social (= appartenir à une société), il ne s’oppose pas à la société et ne choisit pas d’en faire partie ou non. C’est la relation entre « soi » et les « autres » qui y est fondamentale. Markus & Kitayama, 1991 : Quand on demande à des étudiants de se définir, les japonais choisissent avant tout des rôles sociaux (père, étudiant, fils de…) tandis que les occidentaux choisissent des traits de personnalité (ambitieux, solitaire…) qui, pour eux, dépendent de la situation. L’évolution de l’individualisation a entre autres été analysée par Riesman et Weber. 2) Norbert Elias et la Civilisation des Mœurs On observe une évolution des mœurs à partir de la Renaissance : - Utilisation de ses propres couverts plutôt qu’un plat commun - Les artistes signent leurs œuvres - Apparition de premières biographies de personnes célèbres - Les portraits individuels deviennent de plus en plus fréquents Selon le sociologue allemand Norbert Elias (20ème), cette individualisation s’explique par une division accrue du travail et la complexification des réseaux de relations entre individus à partir de la Renaissance. Cette complexification implique que l’individu ne peut plus être défini par un seul rôle social stable. On observe dès lors la mise en place de nouveaux modes de relation avec les autres qui exigent un contrôle des « pulsions » par une nouvelle instance psychique, c’est-à-dire une régulation du comportement en fonction des interdits sociaux. Freud l’appellera le « surmoi ». Selon Elias, ces désirs, croyances et pulsions intériorisés deviendront le fondement d’une véritable psychologie et sont caractéristiques de l’histoire sociale du sujet. Un autre facteur mis en évidence par Elias est le monopole de la violence par l’Etat : au fur et à mesure que l’Etat moderne se construit, se centralise et se structure, il acquiert le monopole de la violence légitime en développant l’armée, la police… Cela signifie que chaque individu doit maitriser son agressivité et contrôler ses pulsions, surtout pour ceux qui sont proches du Roi. L’individualisation se voit donc favorisée car chacun va se caractériser par un ensemble de pulsions différentes, qui définiront sa « personnalité ». La théorie d’Elias se fonde sur le postulat que les changements sociaux émergent d’abord des classes plus élevées pour ensuite se transmettre vers les classes plus modestes. Il montre ainsi que les nouvelles mœurs dans les cours (usage de la fourchette…) mettent parfois plusieurs siècles avant de s’installer chez les plus pauvres. 3) Influences philosophiques aux 17ème et 18ème siècles Dans son ouvrage « Comprendre la nature humaine », Stephen Pinker cite 3 métaphores de l’esprit humain datant de la Période Moderne (après la Renaissance) qui vont durablement caractériser la façon dont, en philo et en psycho, sera abordée la nature humaine. Pour Pinker, ces métaphores sont encore d’actualité. a. Le fantôme dans la machine L’idée que de vie intérieure, de pensées et d’émotions propres se développe surtout ème au 17 avec le « je pense donc je suis » de René Descartes. Il postule un « je » capable de contrôler son esprit et par là, le monde qui l’entoure. Il propose une distinction âmecorps (dualisme cartésien) basée sur le fait que le corps est divisible et n’affecte pas l’esprit (on peut perdre un membre en conservant sa raison) alors qu’il est impossible de retrancher une partie de l’esprit, qui est une chose pleine et entière : le corps et l’esprit sont donc indépendants. Gilbert Ryle (20ème) propose le résumé suivant : le corps est dans l’espace et obéit donc aux lois mécaniques par opposition à l’esprit. Il qualifie cette idée de « fantôme dans la machine », l’esprit dans le corps. Dans cette perspective, les différences psychologiques ne peuvent s’expliquer de manière biologique, le corps et l’esprit étant indépendants. b. La « tabula rasa » Pour le philosophe empiriste anglais John Locke (17ème), l’esprit humain est une page blanche à la naissance qui se remplirait au fil des expériences de l’individu et fonctionnerait par associations : les sensations simples deviendraient des idées en s’associant. L’esprit humain n’est donc pas stable, il évolue en fonction de son vécu. Il postule aussi que chacun est capable de définir son propre caractère. Dans cette perspective, l’esprit n’est plus un don du ciel dont on cherche à appréhender l’essence, mais comme un phénomène naturel dont on peut observer les manifestations. c. L’importance des sentiments et « Le bon sauvage » Au la fascination pour la raison donnera lieu à un important courant philosophique, Les Lumières, qui aboutira à un développement rapide des sciences (appréhender le monde extérieur par la raison). En contrepoint à cette fascination, certains penseurs comme J-J. Rousseau (18ème) mettent en avant l’importance de la sensibilité. On demande aux individus d’exprimer leurs sentiments et de faire preuve d’empathie réciproque. Le mouvement romantique du 19ème cultivera cet idéal. A travers ce mouvement, les individus se perçoivent comme disposant d’une profondeur. 18ème, Rousseau popularisera aussi une perspective voisine de Locke, l’idée du Bon Sauvage : selon lui l’homme nait bon mais est corrompu par la civilisation. La nature humaine n’est donc pas rase mais est bonne. Cette vision s’oppose à celle de Hobbes (17ème) qui voit dans l’Etat une nécessité pour contrôler les pulsions violentes et la guerre vers laquelle tendent naturellement les hommes. Les 3 métaphores plaident l’idée selon laquelle les traits humains sont relativement peu dépendants de processus biologiques. La table rase et le bon sauvage insistent sur le rôle des facteurs sociaux et environnementaux dans la constitution de l’âme humaine. 4) Le 19ème siècle Ces tendances sont renforcées par l’explosion démographique qui accompagne la révolution industrielle. L’urbanisation qui en découle implique une perte relative des liens familiaux et avec le village. On observe un accroissement des inégalités entre riches (bourgeoisie capitaliste) et pauvres (prolétariat et agriculteurs) et un individualisme marqué dans les classes moyennes. Avec la Révolution Française, l’individu est vu comme égal aux autres, libre et ce qu’il est ou devient est perçu comme un reflet de ses actes et dispositions personnelles plutôt que de son origine. Cet individualisme est doublé d’un sentiment d’aliénation (=abandon) car on est souvent coupé de sa famille et que l’on se voit obligé de se battre pour obtenir des ressources (argent, nourriture, emploi). Dans les classes moyennes, la famille est donc vue comme un refuge, un endroit où l’on peut librement exprimer ses sentiments et son intimité, contrairement à l’extérieur où de telles manifestations sont vues comme des faiblesses. Ceci s’accompagne d’une division du travail entre les hommes et les femmes : Hommes : sphère publique càd travail et relations sociales qui en découlent Femmes : sphère privée càd ménage, éducation des enfants… Sous l’influence du romantisme, on se préoccupe davantage de ses sentiments et émotions intérieurs : c’est le début des journaux intimes, poèmes et autobiographies. a. L’influence darwinienne Avec l’engouement pour la science (qui remplace progressivement la science), les idées de Darwin sur la sélection naturelle (1859) sont appliquées à la société humaine. Chaque organisme diffère des autres et ces différences apparaissent aléatoirement ; un processus de sélection maintient celles qui favorisent la survie. Avec ces idées, les différences psychologiques entre individus sont appréhendées d’une manière nouvelle : L’accent est mis sur ces différences individuelles (qui déterminent la survie du patrimoine héréditaire), contrairement à l’empirisme qui essayait d’identifier les processus généraux qui caractérisent la pensée, en négligeant donc ces différences. L’homme passe de création divine au produit d’une évolution dont la finalité n’est pas évidente. Il est davantage vu comme un animal, ce qui a facilité le développement d’une psychologie objective, caractérisant l’homme comme n’importe quel organisme, sans intervention divine. L’approche darwinienne souligne l’origine biologique des différences, contrairement au concept de table rase. Basé sur ces idées, Spencer (19ème) décrit la société anglaise comme fondée sur un conflit d’accès à des ressources rares : selon ses caractéristiques propres, chaque individu lutterait avec ses pairs pour survivre et atteindre le bonheur. La société s’améliore progressivement car seuls ceux qui y parviennent sont adaptés à l’environnement et survivent. Ces idées furent populaires auprès de la haute bourgeoisie (disposant des pouvoirs politique et économique) vu que la réussite était considérée comme le produit de ses propres capacités et non de facteurs extérieurs. Chacun a donc sa place et les moins nantis n’ont pas besoin d’aide sociale, la sélection opérant naturellement. b. Expliquer les différences interindividuelles En considérant un monde basé sur une compétition entre individus pour la réussite sociale, il reste à expliquer pourquoi certains réussissent et d’autres échouent. Les capacités mentales devinrent dès lors un objet de fascination : chaque individu est doté de capacités qui le rendent plus ou moins apte à survivre que les autres. Broca (19ème) compara les différences entre les crânes et cerveaux de groupes sociaux différents. Il expliqua la différence d’intelligence entre l’homme et la femme par la différence de taille entre leurs cerveaux. Gall (18ème) fut un important précurseur de psycho différentielle : il identifia une trentaine de facultés psychologiques (faim, imitation, préservation de soi…) qu’il associa avec une partie du cerveau. Pour lui, une faculté fort développée devrait se traduire par un grossissement de la zone du cerveau correspondante. c. Francis Galton et la mesure en psycho différentielle L’anglais Francis Galton (19ème), également influencé par Darwin, s’intéressa à la variété interindividuelle dans les caractéristiques héréditaires sélectionnées en fonction de l’environnement. Pour lui, les différences sont innées plutôt qu’acquises : il cherche à démontrer que l’excellence est d’origine familiale. Cherchant à développer des outils pour mesurer cette variété humaine, il sera petit à petit fasciné par la mesure et les statistiques, en particulier pour la courbe normale qui sera appliquée aux humains par le belge Quetelet. Galton postule que tous les traits physiques et psychologiques se distribuent de cette façon, ce qui est peu étonnant vu que les traits psychologiques sont déterminés par un grand nombre de facteurs. En plus de traits physiques, il s’intéressa beaucoup aux traits physiologiques (respiration, ouïe…). Sous l’influence de Galton, apparaît l’eugénisme, dont le but est d’améliorer l’espèce humaine en encourageant des programmes sélectifs de mariages, stérilisation et reproduction afin d’éliminer les mauvaises caractéristiques de la population (pauvreté, criminalité…). Aux USA cela se traduira par des politiques (stérilisation…) visant à éviter que des personnes souffrant de tares diverses (alcoolisme, faibles QI, maladies…) n’aient de descendance. Son but principal était d’améliorer le patrimoine héréditaire de l’humain au niveau individuel, il pensait que les caractéristiques des individus qui ont une influence négative sur le patrimoine devaient être éliminées. Cet eugénisme sera transposé plus tard à l’ « hygiène raciale » des Nazis : il s’agit cette fois d’éliminer les « races » qui menacent le patrimoine humain. Bien que Galton ne pratiqua pas l’hygiène raciale, on peut considérer que la différenciation des individus passe aussi par une différenciation des groupes. Beaucoup de travaux cherchèrent ainsi à démontrer l’infériorité de certains groupes pour des raisons biologiques. Dans les années 20, aux USA, des tests mentaux furent utilisés pour favoriser des quotas d’immigration en fonction de la nationalité : des psychologues (tels Yerkes) attribuaient les différences de résultats de QI à des causes biologiques plutôt que socioculturelles. L’unique solution envisagée fut de limiter l’afflux d’immigrés afin d’éviter de transmettre des différences dans la descendance : la psycho différentielle est donc ici utilisée pour favoriser des politiques discriminatoires. Aujourd’hui l’eugénisme apparaît comme dépassé. Toutefois il pourrait réapparaitre sous une nouvelle forme avec l’émergence de techniques de sélection d’embryons, chaque parent étant susceptible un jour, d’éliminer de sa descendance les gènes qui ne lui plaisent pas (cfr thérapie génique qui modifie le matériel génétique). 5) Le 20ème siècle L’individualisation se poursuit, chaque individu se voyant comme unique, distinct de la société, disposant d’une volonté et de croyances propres. Souvent même, être différent d’autrui devient une motivation. Cette poursuite de l’individualisation s’explique par le fait qu’il est à présent possible de passer d’une strate sociale à l’autre ; selon les croyances, on peut se déplacer dans les échelons de la société, davantage selon ses traits et efforts personnels, qu’en vertu de sa naissance. Une fois encore, des tests furent mis au point, permettant d’établir ces caractéristiques personnelles, les « filtrer » et ainsi de canaliser la mobilité sociale. Par exemple, aux USA, l’accès aux universités prestigieuses est conditionné par un test d’aptitude. Simultanément, l’émergence de la société de consommation après la deuxième guerre mondiale, donne encore plus d’opportunités d’affirmer sa différence (publicité…). 6) L’homme comme pâte à modeler Autre changement idéologique au 20ème siècle : de plus en plus, on cherche à expliquer les différences interindividuelles par des facteurs environnementaux plutôt que biologiques. Deux raisons expliquent cela : l’immigration massive et la mobilité sociale en Occident. Grâce à ces deux phénomènes, on constate que ceux que les privilégiés méprisaient (les Noirs, les femmes…) sont en fait capables d’exercer de hautes fonctions et de réussir des études exigeantes. L’idée de « table rase » refait donc surface : pas de nature humaine innée mais construction par l’environnement (= « constructivisme social »). A l’extrême, cette vision suggère qu’à environnement identique, deux individus vont développer les même compétences, indépendamment de leurs caractéristiques biologiques : l’homme est vu comme malléable à l’infini (d’où idée de pâte à modeler). L’essor du behaviorisme s’inscrit dans ce mouvement : on peut expliquer les compétences humaines par des processus d’apprentissages universels pour plusieurs espèces. Pour Watson (19ème), on peut former un nourrisson en bonne santé à n’importe quel métier, grâce à des caractéristiques environnementales particulières, quelles que soient ses aptitudes et tendances. Le constructivisme social est populaire car il est vu comme une réponse aux horreurs des idéologies racistes (qui mettaient en avant le rôle des facteurs biologiques) et confirme le fait que les aptitudes ne sont pas déterminées par l’origine sociale ou le genre. Cela a pour conséquence la disparition de discrimination sexuelle, ethnique ou sociale, et donc un système politique plus libre et plus juste. Outre la métaphore de pâte à modeler (actualisation de la table rase), selon Pinker, celles du fantôme dans la machine et du bon sauvage se réactualisent également. - Bon sauvage : Les anthropologues décrivent les peuples traditionnels comme pacifiques, égalitaires et satisfaits de leurs conditions matérielles, ce qui présente l’homme occidental comme corrompu par la société. Une nouvelle ambition nait, celle de le changer et de le rendre bon, grâce à un environnement et une éducation adaptés : l’enfant naitrait naturellement bon, et c’est uniquement en raisons d’influences extérieures qu’il deviendrait délinquant, psychopathe… - Fantôme dans la machine : L’esprit humain ne serait pas déterminé par des processus biologiques, le fantôme (l’âme) pourrait s’abstraire de la machine. Cela confirme l’idée de pâte à modeler : la biologie étant moins flexible que l’environnement, le postulat de l’esprit malléable est plus justifié s’il est le résultat de l’environnement. La culture est vue comme indépendante de la psychologie et de la biologie. Attention, cette métaphore n’est pas équivalente à l’anti-réductionnisme (qui suggère qu’on peut comprendre l’esprit indépendamment de ses fondements biologiques) : on peut être anti-réductionniste tout en reconnaissant que l’homme est in fine déterminé par des processus biologique, même si ceux-ci ne déterminent pas tout dans le comportement humain. 7) Psychologie différentielle et administration de la société Au 20ème, à coté de cette individualisation, émergent des politiques visant à administrer les populations. Cette mise en place peut s’expliquer par la crainte de la classe moyenne face au prolétariat vu comme menaçant. Ces politiques consistent en la mise en place de l’enseignement, l’assistance aux pauvres, l’exclusion des délinquants et des « fous », la santé publique, la sécurité sociale, etc. Au départ privées, elles sont progressivement prises en charge par l’Etat et de plus en plus individualisées : on tente de traiter les cas de délinquance plutôt que simplement les exclure, et on suit la scolarité tout au long du parcours. On assiste aussi à une volonté de baser ces politiques sur du scientifique. Des sciences telles que la psychiatrie, la criminologie, la pédagogie, etc. émergent en réponse aux besoins spécifiques posés par ces nouvelles politiques. L’apparition de la psycho différentielle s’inscrit dans ce mouvement : mieux caractériser les individus pour mieux les administrer. On observe donc un engouement pour les tests psychologiques (Cattell 19ème, Binet & Simon 20ème) qui évaluent les capacités mentales. Ces tests seront par la suite utilisés pour la sélection (universitaire, professionnelle…). L’utilisation des tests donna naissance à la professionnalisation des psychologues, cette discipline passant de science théorique à science appliquée. Cette administration s’applique surtout aux classes ouvrières et est effectuée par les membres de la bourgeoisie. Au 20ème, l’administration de la société par l’Etat s’étendra encore, en particulier avec le développement de l’Etat Providence, qui redistribue une partie des richesses afin d’assurer le bien-être de tous, c’est-à-dire confort matériel mais aussi santé et éducation. On passe d’une volonté de contrôle des masses (19ème), à des principes moraux et altruistes vis-à-vis de la société (20ème) : le rôle du psychologue était de contrôler l’individu potentiellement dangereux, il consiste au 20ème à les soigner et assurer leur propre bien-être. 8) Conclusion Il n’y a de psychologie différentielle que si l’on peut envisager chaque individu comme se distinguant des autres par des traits stables relativement indépendants du milieu et des contextes sociaux (par exemple, si des symptômes de « névrose » ne s’actualisent qu’en un lieu particulier, la discipline perd de sa légitimité). Elle est intimement liée au processus d’individualisation. Or, l’analyse de l’individualisation depuis la Renaissance suggère que l’individu, caractérisé par un ensemble de traits stables et différents de ses semblables, est un produit de la société occidentale. L’individualité est donc la résultante d’une dynamique sociale : ce sont les relations entre individus qui modèlent les caractéristiques de chacun et leur degré de différenciation interindividuelle (Elias, 20ème). --> La psycho différentielle est étroitement liée aux besoins de la société industrielle : d’une part elle contribue à la gérance d’une société de plus en plus complexe, d’autre part, elle joue un rôle de justification à l’organisation libérale de la société, surtout via le darwinisme social. Chapitre III: La personnalité Définition: Caractéristiques psychologiques communes à tous les êtres humains, à la nature humaine ainsi qu'aux différences individuelles. -> La psychologie de la personnalité traite des relations et des interactions entre ces divers processus mais elle tâchera de ne pas les analyser de façon séparée. Les individus fonctionnent comme des ensembles organisés et c'est à la lumière d'une telle organisation que nous devons les comprendre. Le rôle du psychologue de la personnalité sera de s'intéresser aux similitudes et aux différences entre individus. Il étudiera la façon dont les individus différent dans leurs perceptions ainsi que l'effet de ces différences sur le fonctionnement global de l'individu. La théorie de la personnalité: Les théories nous permettent de réunir ce que nous savons déjà et nous proposent des moyens de découvrir ce que nous savons pas encore. Ainsi, il est important de répondre aux questions suivantes: 1) Quelles sont les caractéristiques des individus? (-> caractéristiques de la personne et interactions) 2) Comment sont-ils devenus ce qu'ils sont? (-> déterminants de la personnalité) 3) Pourquoi agissent-ils comme ils le font? (-> motivations de l'individu) 1° L'individu est-il honnête, persévérant, manifeste-t-il un grand besoin d'accomplissement? 2° Dans quelle mesure et de quelle façon les facteurs génétiques et environnementaux interagissent-ils pour produire ce résultat? 3° Qu'est-ce qui pousse un individu à vouloir faire fortune? Une théorie adéquate de la personnalité devrait nous permettre d'analyser les cinq aspects suivants: 1) La structure – les unités, ou composantes de base de la personnalité; 2) Le processus – les aspects dynamiques de la personnalité, y compris les motivations; 3) La croissance et le développement – la façon dont nous évoluons pour devenir la personne unique que nous sommes; 4) La psychopathologie – la nature et les causes des troubles de la personnalité; 5) Le changement de comportement – la façon dont l'individu change et pourquoi il résiste au changement ou est incapable de changer de façon d'agir. La structure: Définition: aspects les plus stables et durables de la personnalité, c'est-à-dire aux composantes de base de la théorie de la personnalité. Deux choses peuvent représenter la structure de la personnalité: Trait: s'applique à la stabilité de la réaction de l'individu dans une variété de situations. Type: regroupement de différents traits. Cela indique un degré supérieur de régularité et de généralité du comportement par rapport au simple trait. -> d'autres concepts peuvent représenter la structure. Deux types de théories: - Système structurel complexe: de nombreuses composantes sont reliées de multiples façons. - Système structurel simple: offre peu de composantes et qui établit des liens limités entre celles-ci. Selon la hiérarchie adoptée, les composantes structurelles ont alors plus ou moins de poids et contrôlent ou non le fonctionnement des composantes secondaires. Critique de la notion de trait: Le trait est le fondement de l'hypothèse de différenciation (évoquée dans l'introduction). Mais ce concept est une construction culturelle qui dépend du processus d'individualisation. L'utilisation de l'analyse factorielle: La recherche sur les traits de personnalité se fonde en grande partie sur l'analyse factorielle. Celle-ci essaye de simplifier un grand nombre de corrélations de façon à extraire des « dimensions » qui expliquent ces corrélations. Cependant, ce n'est pas parce que des comportements sont corrélés entre eux qu'un « trait » de personnalité les expliquent nécessairement. (Voir « La mal-mesure de l'Homme ») -> L'analyse factorielle ne permet pas de faire l'économie d'une réflexion théorique préalable sur la vraisemblance d'une association entre certains traits de personnalité. La valeur théorique de la notion de trait: On peut se demander si les traits sont « réels » ou si nous avons plutôt à faire à des « fictions commodes grâce auxquelles nous communiquons »: il est vrai que lorsque nous parlons d'autrui, il est sans doute plus facile de dire que cette personne est « gentille » que de citer différents comportements qui correspondraient à ce trait. Eysenck: il y a un risque de raisonnement circulaire: le concept de trait sert à expliquer le comportement, qui fonde le concept de trait. Jean-Léon Beauvois: le trait n'a aucune valeur descriptive: on ne peut pas mettre en rapport un ensemble de conduites avec des traits de personnalité qui auraient une réalité psychologique objective. Selon lui, le trait aurait uniquement une valeur évaluative: l'utilisation d'un trait apparaît alors comme une façon de situer socialement autrui par rapport à soi. Décrire: consiste à essayer de transposer verbalement une réalité objectivable. Évaluer: consiste à conférer une valeur sociale à cette réalité Les traits de personnalité permettent de classer les gens. Cette classification est intrinsèquement liée à des pratiques institutionnelles d'ordre scolaire, judiciaire, psychiatrie qui visent à normaliser les individus déviants; ce qui passe parfois par l'exclusion. -> Cet étiquetage n'est naturellement pas sans conséquence non plus sur la façon dont l'individu se perçoit et peut l'amener à modifier son concept de soi et ses conduites à l'égard d'autrui. La consistance inter-situationnelle: La critique de Walter Mischel Pour que la notion ait un sens, il est nécessaire que ce trait s'actualise dans différentes situations. Le trait permet de décrire le comportement, de l'expliquer et de le prédire. Il est possible grâce à des méthodes rigoureuses de chercher à mettre en évidences si on peut constater une telle cohérence dans le comportement. * L'étude de Newcomb: (1929) Cet auteur a étudié des garçons « à problèmes » participant un camp de vacances. A la fin de chaque journée, les moniteurs complétaient un long questionnaire dans lequel ils devaient rendre compte de la présence (ou de l'absence) d'une série de comportements de chaque enfant. Ces comportements étaient en rapport avec 9 traits de personnalité. Newcomb a examiné la consistance des comportements d'une situation à l'autre. Si l'on suppose que « bavard » est un train de personnalité, ceux qui effectuent un type de comportement « bavard » devraient aussi en faire d'autres. Or, Newcomb constate des corrélations très faibles d'une situation à l'autre et ce pour tous les traits de personnalité examinés. Par contre, la corrélation « intra-situation » est élevée, donc les individus se comportent de façon relativement similaire dans la même situation mais des comportements supposés caractériser le même trait ne sont en fait pas corrélés. A l'issue du camp, Newcomb a demandé aux moniteurs d'évaluer à posteriori et pour chaque enfant la fréquence de chaque comportement. Le jugement était donc basé ici sur des critères purement mnésiques. Or, sur base de ces jugements mnésiques, on constatait cette fois une cohérence importante entre des comportements différents supposés dénoter le même trait. Une corrélation absente dans la réalité est donc présente dans les jugements. -> La personnalité en tant qu'ensemble de traits stables n'existe donc que dans les jugements car l'observateur voit une cohérence là où il n'y en a pas. Rem: De nombreux travaux ultérieurs confirment la faible corrélation inter-situationnelle observée par Newcomb. Walter Mischel a lui proposé une conception radicalement différente de la personnalité qu'il envisage comme un ensemble de compétences et de stratégies associées à des situations concrètes. Il soutient avec ses collaborateurs que les individus ont des profils de relations situations-comportement qui sont distinctifs; ces profils se nomment « signatures comportementales ». Selon eux, il s'agit de se pencher sur « ce type de stabilité dans le mode et l'organisation du comportement qui semble particulièrement crucial pour une psychologie de la personnalité vouée à saisir l'unicité du fonctionnement individuel. » (Schoda, Mischel & Wright, &çç4, p. 683) Mischel insiste sur le concept « d'objectif ». Ce sont nos objectifs qui nous guident lorsque nous établissons nos priorités et que nous choisissons entre diverses situations. Les objectifs d'un individu sont organisés en système, de sorte que certains sont plus cruciaux ou plus importants que d'autres. Cependant, ce système n'est généralement pas rigide ou immuable: l'individu peut privilégier tel ou tel objectif, selon ce qui lui paraît plus important sur le moment, selon les occasions qui semblent se présenter dans l'environnement, etc. Cette théorie avance que les compétences sont souvent liées à des contextes précis: une personne compétente dans un contexte donné, ne le sera pas nécessairement dans d'autres contextes. On passe ainsi de traits indépendants du contexte à un fonctionnement qui varie selon les situations. L'expérience des guimauves: Les enfants qui réussissent à attendre ont-ils davantage de « force de caractère » que les autres? Walter Mischel avait des doutes par rapport à cette idée. Il a administré des testes de personnalité afin de sélectionner des candidats volontaires à des potes humanitaires à l'étranger. De façon étrange, les résultats aux tests réputés les plus valides à l'époque n'entretenaient aucune corrélation avec les performances des volontaires sur le terrain. Pourtant, s'ils existent, les soi-disant traits de personnalité devraient être détectables également avant le départ. Mischel a dans ce cadre affirmé que ce n'était pas tant les tests qui étaient inadaptés mais bien cette vision d'une personnalité qui s'exprimerait indépendamment des circonstances. Il a parcouru de nombreuses recherches examinant si les personnes qui manifestaient des comportements typiques d'un trait de personnalité dans un contexte 1 avaient plus tendance que d'autres à manifester ces mêmes comportements dans un contexte 2, 3 ou 4. Il observe que les enfants qui parviennent à résister à la guimauve se distinguent des autres non pas par une leur « force de caractère » mais par leur capacité à mettre en oeuvre des stratégies permettant de résister au désir de la déguster. S'il y a bien une certaine stabilité dans la façon dont une personne se comporte, cette stabilité s'actualise dans des situations précises. De même, la « force de caractère » ne caractériserait qu'une façon d'interagir avec certaines situations sur base d'habiletés particulières. Cela signifie également qu'une personne capable de mettre en place des stratégies efficaces pour faire face à une situation X sera peut-être incapable de faire face à une autre situation. Normalité, Pathologie et déviance: Un trait ou un comportement jugé anormal, voire pathologique, va souvent mener à une réponse sociale: psychothérapie, traitement pharmaceulogique, institutionnalisation, etc. Ceci exige donc de définir ce qu'il faut entendre par ce concept de « normalité » et de « pathologie ». Définir la normalité: A. La normalité comme santé mentale vs. la pathologie comme maladie: Dans cette perspective, le normal se définit par opposition à la maladie mentale. La santé mentale implique généralement l'absence de symptômes, de syndromes ou anomalies. -> Cette définition est insuffisante car elle ne spécifie pas ce qu'est une anomalie. B. La normalité comme pathologie, la santé comme utopie: Dans cette perspective, la plupart des gens sont dans une certaine mesure en mauvaise santé. -> Selon cette approche, la plupart des gens souffrent dans une certaine mesure de pathologies. *Le concept de normalité en termes de conformité à des normes sociales: C. La normalité comme moyenne: Le normal a une connotation statistique. Ce qui est anormal ne pose pas nécessairement un problème particulier dans le fonctionnement de l'individu au sein de son environnement social. Étiqueter un comportement comme « pathologique » parce qu'il serait éloigné de la norme paraîtra abusif. -> adhésion aux normes = norme descriptive D. La normalité comme adhésion aux conventions sociales: Est défini comme normal celui qui se conforme aux règles sociales. Le terme de déviance se réfère en partie à cette définition. Le déviant est celui qui ne respecte pas les règles sociales et qui porte atteinte à autrui. En soi, le déviant n'est pas vu comme un malade. E. La normalité comme adaptation: la normalité se réfère ici à la capacité à s'adapter et à changer en fonction de l'environnement social lui-même changeant et de son propre organisme. La pathologie relève alors de l'incapacité à s'adapter. Cette approche de la normalité est également une des définitions de la santé mentale sur laquelle peut se fonder la définition A. -> norme injonctive F. La normalité et la pathologie comme constructions sociales: la normalité relève d'un regard social. Celui qui est considéré et traité par la collectivité dont il fait partie comme anormal est anormal même s'il n'existe aucune base objective pour qualifier cette anormalité. La normalité est donc dans le regard social. *La normalité peut s'envisager en comparaison avec soi-même: G. L'anormalité peut être définie comme un changement dans sa façon habituelle de fonctionner. H. L'anormalité comme jugement sur soi-même: je suis normal dès que je me sens normal. Ainsi, la souffrance est un facteur essentiel dans la définition d'une pathologie. Il peut y avoir une discontinuité entre la perception qu'a l'individu de sa normalité et la façon dont il est perçu par les autres. => Il n'existe pas une bonne définition de la normalité. La définition que l'on adopte conditionnera en partie l'approche qui est adoptée pour interagir, voire traiter, la personne décrite. La psychose: une construction sociale? D'un point de vue comportemental, le psychotique se distingue souvent par son incapacité à se conformer à des règles sociales. (Définition D) Le mouvement antipsychiatrique dans les années a remis en cause cette vison en prétendant que la psychose était avant tout le fait d'une désignation par la société. Certains auteurs vont jusqu'à suggérer que l'instutionnalisation fabrique des fous: des gens sains deviendraient fous à force d'être traités comme tel. Les traitement médicamenteux, la déresponsibilisation du patient, le contact avec d'autres « malades » ayant acquis les normes de l'institution contribueraient à instaurer, voire à renforcer, des comportements pathologiques. Dans cette perspective, c'est la société qu'il faut changer et non les « fous » eux-même. Distinguer le normal du pathologique: Norme descriptive: lorsqu'elle décrit des comportements ou des croyances partagées au sein d'une société. Norme injonctive (ou descriptive): lorsqu'elle se réfère à des injonctions définissant des façons appropriées de se comporter. Deux principales visions quant au lien entre le normal et le pathologique: - La première perspective suggère que le normal et le pathologique sont deux catégories distinctes. Les individus peuvent de cette façon être classés dans différentes catégories correspondant à une échelle nominale. Dans le DSM, chaque trouble est associé à un ensemble de symptômes. Voici les symptômes de l'anorexia nervosa selon le DSM: a) refus de maintenir le poids corporel au-dessus de la normale minimale (moins de 85% pour l'âge et la taille), b) peur intense de perdre du poids ou de devenir gros, malgré une insuffisance pondérale, c) altération de la perception du poids ou de la forme de son propre corps, d) influence excessive du poids ou de la forme corporelle sur l'estimation de soi, ou déni de la gravité de la maigreur actuelle, e) aménorrhée (= absence de règles) pendant au moins trois cycles consécutifs chez les femmes menstruées (aménorrhée secondaire). -> Dans une telle approche, on recherche souvent les « causes » des troubles dans des facteurs génétiques ou biologiques. -La seconde perspective considère qu'il existe un continuum entre le normal et le pathologique. Ce qu'on appelle « pathologique » est à une extrémité de ce continuum mais il n'y a pas une division franche entre les deux. * Quelle est la différence entre anormal et pathologique? Alors que l'anormalité relève d'avantage de la description, la pathologie relève de l'évaluation. On considère généralement comme pathologique un comportement qui a des conséquences négatives pour la personne. Ces conséquences sont de deux ordres: d'une part, la notion de souffrance est un critère important; d'autre part, la capacité à fonctionner socialement dans son environnement social est un second critère. D'un point de vue sémantique, le pathologique s'oppose au sain et non au normal. La normalité n'est pas nécessairement synonyme de santé mentale et l'anormalité de pathologie. Jusqu'à 1973, l'homosexualité était incluse dans le DSM suggérant qu'il s'agissait d'une maladie mentale distincte. L'homosexualité est anormale dès lors qu'elle reflète un comportement minoritaire. Correspond-t-elle pour autant à un trouble mental ou à une pathologie? Ceci dépendra de notre approche de la santé mentale. Si on considère la santé mentale comme une adaptation, le caractère normal ou pathologique de l'homosexualité dépend des normes sociales en vigueur dans la société. Le problème posé par la pathologisation de l'homosexualité réside dans le fait que la source de la souffrance et de l'inadaptation est envisagée comme située dans l'individu désigné comme tel, et non dans une interaction entre cet individu et la société dans laquelle il s'insère. C'est l'homosexuel qui est vu comme malade. Mais l'homosexualité n'est pas une cause spécifique de la souffrance en tant que telle, c'est l'ostracisme (= exclusion) qu'elle suscite qui est à l'origine de cette souffrance. Normalité objective et subjective: La déviance peut être définie statistiquement en identifiant la position de l'individu sur une courbe normale. La classification DSM cherche à identifier des critères objectifs permettant de distinguer les maladies mentales. Toutefois, cette prétention à l'objectivité ne peut jamais être totalement réalisée. Elle reste empreinte de valeurs d'une société et du psychiatre qui les désigne comme tels (cf. Définition F). Et elle ne peut faire abstraction du ressenti du patient (définition G). La mesure peut conduire à détecter comme « anormal » un comportement qui n'avait jusqu'à présent pas été perçu comme tel. L'évaluation de la normalité est indissociable d'une fonction administrative: il s'agit de gérer les cas « anormaux ». L'une des façons les plus communes de les administrer réside dans la normalisation, qui consiste à tenter de rapprocher les individus de la normale. Cette normalisation est menée par des institutions dont c'est la fonction: l'école, la psychiatrie, la justice. On cherchera à les normaliser en les instruisant, en les soignant, voire en les punissant, etc. Comme le souligne Ian Hacking, la définition des troubles mentaux est parfois guidée par cette fonction administrative. Il prend à cet égard le cas de l'autisme: l'autisme n'est pas seulement une espèce de trouble du comportement, c'est aussi une catégorie administrative. « La prise en charge des enfants autistes doit être la plus précoce possible. Elle doit se faire individuellement et en groupes dans les établissements spécialisés et les équipes pluridisciplinaires sont nécessaires. L'existence d'experts et de bureaux qui prennent des décisions administratives est devenue une nécessité. » [Ian Hacking] La désignation de l'individu comme anormal agit sur cet individu. L'individu défini par autrui comme schizophrène, ou hyperactif par exemple, se perçoit différemment. Dans certains cas, les conséquences de cette définition de soi seront indissociables des conséquences de la nature du trouble qu'elles prétendent décrire. Ce débat pose évidemment la question du diagnostic: ceux-ci servent à ce que les professionnels de la santé mentale puissent communiquer entre eux, puissent communiquer avec les organismes de remboursement de soins et surtout offrir les traitements les plus efficaces. Les diagnostics psychiatriques peuvent parfois exercer des effets positifs sur la stigmatisation, parce qu'ils semblent fournir une explication à des comportements qui peuvent sembler bizarres ou déconcertants. En conclusion, s'il est légitime de s'interroger sur la pertinence des diagnostics, et si l'on ne peut contester que le fait d'être caractérisé comme souffrant d'une pathologie d'ordre psychologique peut être stigmatisant, il est important d'apprécier également l'utilité et la validité de ces diagnostics qui sont rarement arbitraires. Chapitre IV: Déterminer la part de la génétique et de l’environnement dans l’émergence des traits de personnalité Introduction A propos de l’origine des traits psychologiques, on constate souvent une opposition entre l’inné (associé à la biologie et aux gènes) et l’acquis (associé à l’environnement, la socialisation et l’éducation). Lorsqu’on a rejeté l’une des deux hypothèses, on se tourne résolument vers la seconde. L’idée de facteurs génétiques innés a souvent été critiquée. La psychanalyse tend à expliquer les psychopathologies par des interactions intrafamiliales négatives (mère symbiotique, absence de figure paternelle…), l’antipsychiatrie par le fait que ces maladies sont causées par les institutions psychiatriques elles-mêmes en désignant les malades comme tels et la systémique par un dysfonctionnement dans la communication intrafamiliale. Ces trois approches se distinguent fondamentalement mais se retrouvent en utilisant toutes (implicitement) les trois métaphores de Pinker (bon sauvage, table rase et fantôme dans la machine). En contrepoint à ces approches qui tendent à ignorer ou exclure les facteurs génétiques, une discipline, la génétique du comportement, s’est consacrée à chercher cette part de génétique dans les cpts. Dans quelle mesure peut-on expliquer des différences entre individus par des différences dans leur génotype ? Comment démontre-t-on le rôle de l’environnement dans le développement des différences individuelles ? On évoque l’hypothèse d’un rôle de l’environnement sur les différences psychologiques individuelles. Pour le tester, on peut utiliser l’étude de cas consistant à étudier un groupe de personnes caractérisées par un trouble psycho et à examiner ce qui, dans leur petite enfance peut expliquer l’émergence de ce trait. Cette méthode pose un problème méthodologique : elle ne permet pas de démontrer avec certitude que les facteurs envisagés chez ces sujets sont en relation avec le trait observé. Il faudrait donc disposer d’un groupe contrôle de personnes ne souffrant pas du trouble étudié. Une deuxième solution consiste à examiner s’il existe une corrélation entre une caractéristique du milieu familial et le trait. C’est une des méthodes les plus courantes, surtout en psycho du dvpt. Bien que plus satisfaisante que l’étude de cas, cette méthode est insuffisante pour révéler le rôle causal du milieu familial. Selon Harris, ces études tendent à considérer que la personnalité des enfants est façonnée par la structure familiale : il s’agit du « primat de l’éducation parentale ». Ces études, basées uniquement sur des corrélations, ne permettent pas de déterminer dans quel sens se produit la relation. Trois possibilités de causalité sont envisageables : - Les parents influencent les enfants à travers l’éducation - Les enfants influencent les parents : les parents réagissent à des caractéristiques des enfants, ce qui les pousse à adopter un certain type d’éducation. Il est difficile de savoir si le mode d’éducation est spécifique à un enfant ou général. - Des caractéristiques partagées par parents et enfants expliquent le mode d’éducation adopté. Harris propose deux autres sources de variations : - Caractéristiques génétiques : Sans postuler qu’il existe un gène associé à chaque trait de personnalité, on peut émettre l’hypothèse que les caractéristiques génétiques influencent des traits psychologiques. Ces influences ne sont pas nécessairement directes. Exemple : avoir un visage « poupon » donne lieu à d’autres réactions de la part d’autrui que d’avoir un visage « mûr ». Les interactions sociales peuvent influencer la personnalité et donc on peut dire que les gènes codant pour les traits du visage influencent indirectement des traits de personnalité. - Environnement extrafamilial : Selon le primat de l’éducation parentale, le dvpt de la personnalité de l’enfant dépend du contexte familial dans lequel il est élevé. Mais dans ce cas, on ignore l’influence des facteurs environnementaux extrafamiliaux, et plus particulièrement le rôle du groupe de pairs, càd les enfants en dehors de la fratrie. De là, deux questions émergent auxquelles tentent de répondre la génétique du comportement : Dans quelle mesure les variations observées sur un trait sont-elles dues à des variations environnementales ou des variations génétiques ? Dans quelle mesure les variations dues à l’environnement sont-elles explicables par l’environnement familial ou par d’autres facteurs (extrafamiliaux…) ? Question 1 : Génétique vs. Environnement – l’héritabilité Pour répondre à cette question, il faudrait étudier deux enfants identiques d’un point de vue génétique mais élevés dans deux environnements différents. Si ces enfants se ressemblent plus sur certains traits de personnalité que des enfants ne partageant aucun bagage génétique commun, ces similitudes seront plutôt attribuées à des facteurs génétiques (et inversement s’ils ne se ressemblent pas du tout). Cette expérience existe : il s’agit de l’étude de jumeaux monozygotes (vrais jumeaux) séparés à la naissance, dont il existe toutefois peu d’exemples. Ces études encourageraient à ne pas sous-estimer le rôle de la génétique. A défaut d’avoir accès à des jumeaux séparés, une solution plus aisée consiste à étudier des membres de fratries dont les liens génétiques varient mais dont l’environnement est similaire. On pourrait ainsi étudier des fratries de jumeaux monozygotes (MZ) et des fratries de jumeaux dizygotes (DZ). L’environnement familial dans lequel vivent des jumeaux se distinguent peu ; ils ont les mêmes parents, le même niveau socio-économique, souvent la même école… En revanche, on peut facilement calculer la part des différences d’origine génétique : un JDZ a 50% de matériel génétique en commun avec son frère ou sa sœur alors qu’un JMZ en a 100%. Donc : Si les variations dans un trait s’expliquent par la génétique, les JMZ devraient se ressembler deux fois plus que les JDZ, càd que les corrélations entre les scores observés devraient être deux fois plus élevées chez les MZ que chez les DZ. Si les variations dans un trait s’expliquent uniquement par des variations de l’environnement, les JMZ ne devraient pas se ressembler davantage que les JDZ, vu que l’environnement est similaire. Si les variations dans un trait s’expliquent uniquement par des variations génétiques, la corrélation entre les traits des JMZ devrait être parfaite (valoir 1) tandis que la corrélation entre les traits des JDZ devrait être de 0,50. Plus la corrélation entre des JMZ s’éloigne de 1 et plus la corrélation entre des JDZ s’éloigne de 0.5, plus il faut invoquer l’environnement. Cela nous permet d’établir l’héritabilité d’un trait, càd la proportion de sa variabilité totale qui est due à des variations génétiques. - - Le phénotype (comportement psychologique…) est en perpétuel développement et changement, contrairement au génotype qui est stable. Il n’y a pas de relation parfaite entre génotype et phénotype : un état momentané du phénotype résulte de l’interaction entre les gènes et l’environnement, donc la relation entre phénotype et génotype est fonction de l’environnement. La variance d’un trait psychologique nous renseigne sur le degré auquel celui-ci varie. Elle est d’autant plus élevée que de nombreux scores s’éloignent de la moyenne Exemple : En mesurant la taille du vocabulaire chez 200 écrivains et chez 200 jeunes de 18 ans (représentatifs), on observera une plus grande moyenne dans le groupe des écrivains mais une plus grande variance dans le groupe des jeunes. Pour démêler la part des différents facteurs impliqués, les généticiens quantitativistes vont écrire l’équation de base de leur discipline : Vp = Vg + Ve (Vp = variance du trait dans la population, Vg = variance due aux gènes et Ve = variance due à l’environnement). C’est sur base de cette équation que les psychologues définissent l’héritabilité : h² = Vg / Vp = Vg / Vg + Ve. Il s’agit du degré auquel les différences dans un trait entre les individus peuvent être attribuées aux différences entre leurs génotypes. Si h²=0, les variations dans le trait ne sont dues qu’aux variations environnementales Si h²=1, les variations dans le trait ne sont dues qu’aux variations génotypiques Lorsqu’on estime l’héritabilité grâce aux méthodes de comparaisons entre jumeaux, on constate que celle-ci se situe autour de 0,5. Il reste donc 50% de variations à expliquer par des facteurs environnementaux. - Détermination génétique et héritabilité : Il est important de distinguer les deux. Un trait peut être influencé par des facteurs génétiques de façon prédominante sans pour autant être héritable. La détermination génétique est un concept qui s’applique individuellement (telle personne a tel phénotype parce qu’elle a tels gènes) alors que l’héritabilité est une notion qui s’applique collectivement, càd aux populations. Exemple : le nombre d’oreilles chez l’humain est déterminé génétiquement et ne dépend pas du tout de l’environnement. L’héritabilité de ce trait est nulle parce qu’il n’existe quasiment aucune variabilité : tout le monde étant programmé pour avoir 2 oreilles, Vg est nulle. - L’héritabilité ne nous dit rien sur les similarités entre individus : Si les membres d’un échantillon sont confrontés à un même facteur environnemental qui influence le trait étudié de manière relativement uniforme chez tous les individus, l’héritabilité du trait reste inchangée, vu que les différences dues aux facteurs génétiques restent constantes. - Un trait fortement héritable peut être influencé par l’environnement : Si un facteur environnemental agit de la même façon sur les deux couples de jumeaux ou sur les - - - fratries d’enfants biologiques et adoptés, il ne contribuera pas à la variance du trait mais il influencera sa valeur moyenne. L’héritabilité d’un trait est spécifique d’une population et non d’un individu : Ce n’est pas une mesure d’héritabilité d’un trait pour un individu particulier. Exemple : Si le QI est à 80% héritable dans une population, cela ne signifie pas que le QI d’un individu appartenant à cette population est déterminé à 80% par les gènes, mais bien que 80% des différences sont dues à des variations génétiques dans la population. L’héritabilité est donc dépendante de la population étudiée : elle peut varier en fonction d’une modification de la composante génétique de la population et en fonction d’une modification de l’environnement. Exemple : Si l’on étudie la pigmentation de la peau, en Belgique l’exposition au soleil étant limitée, il y a peu d’individus bronzés à cause de l’environnement. Ve est presque nulle, donc h² est élevée. En France, le degré d’ensoleillement étant beaucoup plus important, Ve est plus élevée (une part plus importante des variations de la pigmentation de la peau est due à l’environnement) et donc h² est plus faible. Héritabilité et différences entre groupes : Lorsqu’un trait est fortement héritable, on est souvent tenté de conclure à tort, que si un groupe possède plus ce trait qu’un autre, cette différence est d’origine génétique. L’héritabilité concerne les différences interindividuelles au sein d’un groupe et non les différences intergroupes. Une différence peut donc résulter d’un environnement différent dans les deux groupes. Question 2 : Environnement partagé vs. non partagé On veut comparer les sources de variations dues à un environnement partagé aux sources de variations dues à un environnement non partagé. Etudes d’adoption Pour répondre à cette question, l’expérience idéale consiste à comparer d’une part des enfants adoptifs à leur fratrie biologique, d’autre part ces mêmes enfants à leur fratrie adoptive. S’ils ressemblent plus à leur fratrie adoptive, cela veut dire que l’environnement partagé joue un rôle majeur. On peut alors déterminer Vep qui est une partie de Ve : Ve = Vep + Venp Vep sera d’autant plus élevée que les influences communes aux deux enfants expliquent les similarités entre eux : si Vep est importante, cela suppose qu'en général, les influences (environnementales) communes aux deux enfants sont importantes et donc leur degré de ressemblance l’est aussi. Par contre, s’ils ressemblent peu à leur fratrie adoptive, on ne peut déterminer si ces différences sont dues à d’autres sources environnementales ou aux gènes. C’est pourquoi il est important de savoir si les enfants adoptés ressemblent à leurs frères et sœurs biologiques ou non : de cette façon on peut estimer Vg, càd la part des variations dans le trait qui sont dues à des différences génétiques. Ce qui restera dans l’équation sera Venp. Venp sera d’autant plus élevée que les différences entre les enfants s’expliquent par des influences non communes. Etudes de jumeaux Il est également possible de répondre à cette question avec des études de comparaison entre jumeaux MZ et DZ. Pour rappel, les variations environnementales sont de même ampleur pour les deux types de jumeaux mais les variations génotypiques sont plus importantes pour les DZ que pour les MZ. - L’influence de l’EP sera d’autant plus grande que la corrélation entre JDZ se rapproche de la corrélation JMZ et que ces corrélations sont élevées. Si les corrélations sont élevées, cela signifie que les observations effectuées sur un jumeau prédisent celles qui sont effectuées sur l’autre. Si les corrélations (entre couple MZ et couple DZ) sont très proches, cela signifie que les variations d’environnement (et non les variations génétiques) sont responsables de ces corrélations. - Si les corrélations sont basses, il faut attribuer un rôle important à l’ENP : si les scores observés chez un des jumeaux ne sont pas semblables à ceux observés chez l’autre, cela ne peut que s’expliquer pas des influences que ni l’un ni l’autre ne partage. Plus RMZ se rapproche de 2x RDZ, plus l’influence génétique est importante. Plus RMZ se rapproche de RDZ (tout en étant élevée), plus l’influence de l’EP est importante. Plus RMZ et RDZ sont faibles, plus l’influence de l’ENP est importante. Le verdict On constate que pour la plupart des traits de personnalité, les enfants adoptifs ne ressemblent que très peu à leur fratrie adoptive : ils ne leur ressemblent même pas davantage qu’à d’autres enfants du même âge. En revanche, ils ressemblent beaucoup à leur fratrie biologique, ce qui n’est pas surprenant vu que l’héritabilité de la plupart des traits se situe aux alentours de 0,5. On peut en conclure que l’ENP joue un rôle important (puisqu’il reste 50% à expliquer et que l’EP joue un petit rôle). De même, la corrélation entre JMZ est souvent élevée mais bien en dessous de 1, ce qui suggère l’influence de l’ENP. En revanche, cette corrélation est souvent proche de 2x celle qui est observée chez les JDZ, ce qui suggère que l’influence génétique est supérieure à l’influence de l’EP. Si on regarde le tableau 1 (p 86), dans la plupart des cas, l’influence de l’EP est nulle et l’héritabilité (donc l’influence des différences génétiques) est éloignée de 1. Ce qui reste doit donc être attribué à l’ENP. Exemple : l’héritabilité du QI augmente avec l’âge. Peut-être parce qu’à mesure qu’une population vieillir, les influences négatives et positives de l’environnement précoce finissent par s’annuler et la variabilité du QI devient dépendante essentiellement de facteurs génétiques. Les deux méthodes concordent donc en suggérant que les différences génétiques et les différences d’ENP jouent un rôle bien plus important dans le dvpt de la personnalité que les différences d’EP. Il faut donc en conclure que ce ne sont pas les variations d’éducation, de climat de famille, de structure familiale qui expliqueraient les variations dans les traits psychologiques des enfants. Bien sûr, les enfants ressemblent aux parents, mais cela serait dû à leurs caractéristiques génétiques communes. Voilà une thèse qui hérissa bien des psychologues. Mêmes si d’importantes déficiences parentales auront des conséquences sur le dvpt des enfants, cela reste des cas extrêmes. Certaines attitudes ou préférences (gouts musicaux, préférences politiques…) auront une légère influence mais pas de rôle profond sur la formation de leur personnalité. Exemples : Les enfants adoptés par des couples homosexuels n’ont pas plus de chances de devenir homosexuels ou d’avoir davantage de troubles psychologiques, il n’y a aucune différence systématique de personnalité entre des enfants nés de fécondation in vitro (traitement parental favorisé) ou nés de grossesse non désirée... On peut résumer ces conclusions par les 3 lois de la génétique comportementale de Turkheimer : o Loi 1 : Tous les traits humains sont héritables Il se base ici sur le fait que les estimations d’héritabilité pour la plupart des traits psychologiques humains sont élevées et se situent souvent entre .20 et .75. Les traits dépendants de contenus culturels spécifiques ne sont pas héritables (langue, religion…) mais les traits sous-jacents à ces compétences le seraient (aisance de maniement de la langue, degré d’implication dans la religion…). Quelle que soit la méthode utilisée (jumeaux, adoption…), les estimations convergent. Même si ces méthodes ont des limites, celles-ci ne remettent pas en cause la validité de la loi. o Loi 2 : L’influence d’un environnement familial partagé sur les traits psychologiques est plus faible que l’effet des gènes. Dans la plupart des cas, le Vep estimé est extrêmement faible pas rapport au Vg estimé. En pratique cela signifie que des frères ou sœurs partageant le même environnement familial et dont l’un est adopté se ressemblent beaucoup moins que des frères ou sœurs séparés à la naissance. Exemple : Si le fait d’avoir des parents agressifs prédit le fait d’avoir un enfant agressif, ce serait en fonction des gènes qu’ils partagent et non du type d’éducation ou du modèle parental. Cette loi n’implique pas que les parents psychologiques n’aient aucun rôle sur le devenir de l’enfant : outre leur rôle matériel évident, ils lui offrent des compétences, des relations et des ressources qui lui permettront de développer certains traits. Pinker: « le comportement des parents de semble pas modeler l’intelligence ou la personnalité des enfants sur le long terme ». o Loi 3 : Une grande partie de la variabilité dans les traits humains complexes ne provient ni des gènes, ni de l’environnement familial. Si h² est largement en dessous de 1 et que l’effet de Vep est si faible, cela signifie que Venp est élevée. Question 3 : D’où vient cet effet de l’environnement non partagé ? La théorie de la socialisation par le groupe Selon Harris, le groupe de pairs est l’aspect parmi l’ENP qui joue le rôle de plus déterminant dans le développement de la personnalité de l’enfant. Selon la théorie de l’auto-catégorisation de Turner (sur laquelle se fond en partie Harris), notre soi et donc notre personnalité ne sont pas stables mais varient en fonction du contexte. Nous nous définissons tantôt comme isolés, tantôt comme membre d’un groupe. Or, s’identifier à un groupe, c’est s’approprier les traits qui définissent le groupe dans son entièreté. Dans chaque situation, nous nous définissons selon des caractéristiques différentes correspondant à une insertion sociale particulière. Exemple : un garçon se qualifiera de « dur » face à un groupe de fille, comme « marrant » face à une discussion sérieuse d’adulte, etc. Selon Harris, en pénétrant dans un groupe, l’enfant s’y identifie et adopte ses normes, qui sont souvent celles qui permettront de se différencier des autres groupes. C’est en adoptant ces normes que l’enfant va façonner sa personnalité : celle-ci reflètera l’influence des types de groupes auxquels l’enfant s’est identifié tout au long de son enfance et de son adolescence. La norme des groupes enfantins participent à l’élaboration d’une véritable culture enfantine. La culture se transmettrait surtout via les enfants et non via les adultes. Une des périodes les plus cruciales est celle que l’on appelle la période de « latence » (entre 5 ans et la puberté) car c’est à ce moment que l’enfant quitte le cocon familial et s’intègre dans un ou plusieurs groupes de pairs. Mais la personnalité ne se constituerait pas uniquement à travers l’assimilation des normes du groupe de pairs (sinon, tous les enfants d’un même groupe auraient la même personnalité), mais également à travers la différenciation au sein de ces groupes. Deux processus interviennent dans cette différenciation : L’émergence de hiérarchie au sein du groupe : certains enfants sont par exemple plus appréciés ou populaires que d’autres. Les traits que les enfants vont développer vont être influencés par ce statut : le « confiant en soi », le « timide »… La comparaison sociale : les enfants se définissent par comparaison avec les autres membres du groupe. Un enfant de 9 ans se comparera avec les autres enfants de 9 ans et en fonction, il se définira comme « beau », « cool », « courageux »,… Les comparaisons sont aussi faites par les autres membres du groupe, ce qui conduira certains enfants à porter des étiquettes qui peuvent influencer leur véritable personnalité. On observe ainsi une dynamique subtile entre assimilation des normes du groupe et différenciation au sein de celui-ci. Démontrer l’influence du groupe de pairs Pour démontrer cette influence, il faut identifier les situations dans lesquelles l’environnement familial exerce une influence opposée à celle du groupe de pairs et se demander lequel l’emporte. Voici les exemples d’Harris : Exemple 1 : Cas d’enfants de parents immigrés dans un contexte dans lequel ils sont minoritaires (biélorusses en Belgique). Dans de telles situations, les enfants apprennent rapidement la langue du pays d’accueil tout en continuant à parler leur langue d’origine. Mais petit à petit, on constate que ces enfants deviennent des « petits belges », que le français ou le néerlandais se développe davantage que leur langue d’origine pour finalement la dominer. Ces enfants cherchent rarement à parler leur langue maternelle à l’école, tandis qu’ils cherchent à parler la nouvelle langue à la maison. C’est souvent avec dépit que les parents voient leurs enfants s’éloigner de leur culture d’origine. De même dans la psycholinguistique, on constate que l’accent que nous possédons n’est pas celui de nos parents mais bien des enfants que nous avons côtoyés dans notre enfance. Exemple 2 : Illustration du postulat d’une transmission de la culture par les enfants et non par les parents : la culture des sourds. On définit souvent la culture comme un ensemble de de croyances et normes qui se transmet de parents à enfants. Les sourds ont leur propre « culture » : activités, langue, normes de comportement, etc. Cette culture ne se transmet pas par les parents qui sont généralement entendants, mais bien uniquement par les enfants. Exemple 3 : Expérience de Sherif : Ce psychologue social a organisé des camps de vacances (en fait un expérience) dans lesquels il avait invité des adolescents qui ne se connaissaient pas et qu’il avait séparés en deux groupes. Il a constaté que, spontanément, chaque groupe développait ses propres normes, son nom, sa propre culture, qui se développe par différenciation vis-à-vis de l’autre groupe. Même dans un groupe artificiel se formait une identité groupale. Exemple 4 : Les enfants privilégiés envoyés dans les internats anglais ne voyaient que très peu leur père, car ils étaient élevés par des gouvernantes. Pourtant, ils devaient souvent très similaires à leur père et surtout, acquéraient le même accent « noble » anglais : les pères avaient fréquenté les mêmes écoles et avaient été confrontés à la même culture de la part de leurs pairs. Cette culture a très peu changé d’une génération à l’autre. A cela, Harris ajoute des arguments évolutifs : nos ancêtres hominidés ayant beaucoup de chances de voir, jeunes, leurs parents mourir, il était bien plus important de s’adapter à son groupe de pairs qu’au mode d’éducation des parents. Harris insiste sur le rôle du transfert d’apprentissage : ce que l’on apprend dans le contexte familial est souvent peu utile dans d’autres contextes, comme par exemple le groupe de pairs. Les études de psycho du dvpt révèlent que le comportement d’un enfant dans la famille n’est pas fort lié à son comportement en dehors de la famille. Par exemple, un enfant roi dans sa famille a peu de chance de l’être en dehors, il pourra être même très renfermé et rejeté. Il y a donc une utilité fonctionnelle à développer des personnalités différentes selon les groupes : chacune nous permettrait de faire face à des contextes sociaux différents. Harris envisage la personnalité comme étant composée de deux éléments : une base innée qui est modifiée, au cours du dvpt, par des influences environnementales. La composante génétique accompagne toujours l’individu, tandis que l’influence environnementale dépend du contexte. Ce que nous appelons « notre personnalité » est en fait liée à des insertions sociales particulières. Limites de l’approche de Harris: Hypothèse de l’équivalence des environnements Les études comparant JMZ et JDZ se basent sur le fait que les environnements de JDZ ne diffèrent pas plus que ceux de JMZ. Or, les MZ sont souvent traités de manière plus semblable et uniforme par les parents que les DZ. Nous nous trompons peut-être en attribuant les corrélations plus élevées à leur plus grande ressemblance génétique (donc à Vg) plutôt qu’à leur plus grande similarité d’environnements (donc à Ve). Certains généticiens voient dans le traitement plus semblable un effet réactif : les traits des jumeaux étant génétiquement similaires, ils ont tendance à les traiter de manière identique. Il s’agit d’une covariation entre génétique et environnement. Il est cependant possible que ce traitement similaire soit en partie dû à des raisons indépendantes des similarités réelles des enfants (leurs propres caractéristiques de personnalité, raisons culturelles…). Vg est donc surestimé mais cette surestimation ne suffit pas à expliquer totalement les corrélations plus élevées observées entre JMZ et JDZ (d’autres méthodes aboutissent à des estimations similaires d’héritabilité). Oublier les similarités Cette approche se centre uniquement sur les variations et non sur les similarités entre enfants. Or les parents peuvent influencer les caractéristiques que partagent les enfants sans affecter les différences entre eux. Une faible proportion de Ve ne signifie pas que l’environnement n’a pas d’influence sur ce trait chez l’enfant : on peut juste affirmer que les différences d’environnement expliquent peu de variation dans les traits. Considérer les influences génétiques et environnementales comme additives Les modèles utilisés tendent souvent à considérer que les variations d’un trait sont dues soit à l’environnement, soit à la génétique : c’est un modèle additif. Cependant, le lien entre génotype et phénotype résulte d’une longue série d’interactions entre gènes et environnements. Il faut distinguer : - Interaction : quand l’influence d’un facteur dépend d’un autre facteur (non additif). Par exemple, les gènes intervenant dans l’intelligence ne peuvent avoir d’influence que si l’enfant se trouve dans un contexte suffisamment stimulant. - Covariation : quand une caractéristique génétique est associée avec une caractéristique environnementale (non additif), par exemple quand le fait d’être petit est associé avec le fait de subir des moqueries. L’influence génétique ne dépend pas de l’environnement, contrairement à l’interaction. Exemple : On trouve plus de personnes prédisposées génétiquement à l’alcoolisme dans les cafés que dans d’autres lieux. Ici, il peut y avoir les deux : Interaction : On devient alcoolique su ion possède des prédispositions génétiques à l’alcoolisme et que l’on fréquente les cafés. Covariation : Les personnes ayant une prédisposition génétique à l’alcoolisme recherchent plus volontiers à fréquenter les cafés que les autres. La méthode ne prend donc pas en compte les interactions et les covariations entre gènes et environnement. Elle risque donc de surestimer Vg ou Ve. Interpréter Vep Le fait que Vep soit faible ne veut pas dire que les parents ont peu d’influence mais cela signifie que les enfants d’un même foyer ne se ressemblent pas plus parce qu’ils se trouvent dans le même foyer. Si le comportement des parents contribue à différencier les enfants, ces influences différentes vont contribuer à la variabilité du trait Vp mais ce n’est pas Vep qui l’expliquera. Bien que ces variations proviennent du mode d’éducation des parents, elle sera prise en compte dans Vg (réponse aux caractéristiques innées des enfants) ou dans Venp (réponses indépendantes des facteurs génétiques, par exemple dépoendantes de l’histoire des parents). De même, si un événement partagé touche les deux enfants de manière différente, l’influence ne sera pas comprise dans Vep, dès lors qu’elle ne contribue pas à expliquer les similarités au sein d’un même foyer. Un Vep faible n’implique pas que l’environnement familial influence peu les enfants. Interactions entre gènes Outre les interactions entre gènes et environnement, il faut aussi regarder les interactions entre les gènes eux-mêmes. Si les gènes agissent de manière indépendante, leurs effets sont sans doute additifs et on peut utiliser les techniques classiques pour calculer les degrés de similitude des JMZ et des JDZ. Mais de nombreux traits dépendent de l’interaction de plusieurs gènes et d’interactions avec l’environnement. Ils agissent en synergie et leur effet est beaucoup plus grand que la simple addition des effets de chacun d’eux. Exemple : si dix gènes contribuent en synergie à un trait, le frère d’un JMZ porteur de ces dix gènes possèdera les mêmes. En revanche, si un JDZ les possède, son frère à peu de chances d’avoir la même combinaison. Même s’il possède neuf des dix gènes de son jumeau, l’absence de l’effet synergique dû au manque du dixième gène peut entrainer une différence de trait spectaculaire. Les études de comportement chez les JMZ pourraient ainsi conduire à surestimer massivement le rôle des différences génétiques pour expliquer les différences de comportement dans la population générale. Il existe différentes formes de covariation et interaction qui sont souvent ignorées dans les études d’héritabilité. Conclusion On peut constater un rôle important des facteurs génétiques dans de nombreux phénomènes psychologiques. Cette observation remet en cause la doctrine du bon sauvage et celle de la table rase Cependant aucune estimation de l’héritabilité n’est parfaite : chaque méthode a ses limites. Ces études ne nous informent que sur les différences entre individus et non sur les traits qu’ils partagent. Plus globalement, les mesures d’héritabilité se fondent sur une approche quantitative dont les présupposés sont parfois contestables. Les critiques que nous pouvons leur adresser sont souvent en accord avec nos croyances ou nos valeurs : nous sommes effectivement tentés d’attribuer l’émergence de traits psychologiques à l’environnement (ex : les parents ont un rôle fondamental dans le dvpt de la personnalité de leurs enfants). Mais attention, il s’agit de ne pas succomber aux mêmes travers que les « eugénistes » ou « racistes » qui utilisent les données psychologiques pour étayer leurs points de vue moraux : si effectivement, les gènes jouent un rôle important dans l’émergence de nombreux traits, ignorer cette réalité parce qu’elle ne correspond pas à nos valeurs, relèverait d’un mauvais rapport à la science. D’autre part, ces études mettent en évidence le rôle relativement faible que joue l’environnement familial dans l’explication des similarités entre enfants d’un même foyer par rapport au rôle de l’environnement non partagé. Harris souligne le rôle fondamental que jouent les groupes de pairs, un facteur qui a été relativement ignoré jusqu'à présent. La question est de savoir comment l’influence génétique s’actualise et quel est son rapport à l’environnement. Plusieurs pistes semblent nécessaires : 1. La mise en œuvre d’une approche développementale. L’influence de l’environnement se fait sentir au fur et à mesure du dvpt : pour comprendre leur origine, il importe d’examiner comment les traits se construisent. 2. Une réflexion et une conceptualisation plus précises de la notion d’environnement qui reste très vague. Dans les études de génétique du comportement, l’influence de l’environnement est postulée sur base d’analyse statistique, au détriment de l’observation. Il serait important de développer une approche de terrain, plus caractéristique de la psycho du dvpt. 3. L’intégration d’autres sous-disciplines, en particulier de la psycho sociale pourrait s’avérer fort utile. Les travaux d’Harris tendent d’ailleurs à suggérer qu’au-delà des aspects génétiques, le groupe de pairs dans lequel s’insère l’enfant est déterminant dans la formation de son identité. 4. Il importe d’intégrer également les savoirs provenant de la biologie (génétique, théories de l’évolution…). Une théorie psycho ne peut être valide que si elle est plausible biologiquement. 5. Un esprit ouvert ! La question du rapport génétique-environnement est une de celles dans lesquelles les préjugés obscurcissent souvent l’interprétation des données. Chapitre V: Les différences de genres Le sexisme et les stéréotypes de genre: Préjuger : attitude négative visant les membres d’un groupe social Le sexisme est une forme de préjuger qui touche les femmes. Le sexisme comporte deux dimensions complémentaires : - Le sexisme hostile, il vise les femmes qui se démarquent des rôles traditionnels assignés à leur genre. - Le sexisme bienveillant, préjuger paternaliste, caractérisé par une affection vis-à-vis des femmes, mais aussi d’un mépris associé à leur manque de compétence. Ce stéréotype postule que les femmes sont moins compétentes dans certaines tâches bien qu’elles soient plus sociables, plus tendres que les hommes. Les différences socio-économiques entre hommes et femmes: Les femmes sont en général moins bien payées que les hommes, environ 20% de moins, cela se remarque surtout lorsqu’elles ont des enfants. Ce taux arrive à 30% lorsqu’on parle de mi-temps. Les femmes sont souvent victimes d’un phénomène appelé « plafond de verre ». Plus elles s’élèvent dans la hiérarchie, plus il est difficile d’obtenir un emploi. Elles sont également plus nombreuses à être au chômage et inégalement représentées dans les différents types d’études (lettre et philosophie plus de filles que math et sciences.) Mais comment expliquer ces différences dans la réussite sociale des hommes et des femmes ? - Des explications psychologiques, les femmes tendraient à posséder des caractéristiques différentes que les hommes, ce qui les pousseraient à choisir certaines études, à vouloir s’occuper des enfants, valoriser leur vie privée plutôt que professionnelle. Des explications sociologiques, selon lesquelles les femmes seraient victimes de discriminations déterminées par la structure de notre société, l’homme posséderait plus de pouvoir ce qui leur barreraient l’accès à certaines filières. Ces deux explications ne sont évidement pas exclusives. - Comment évaluer les différences psychologiques entre groupes ? Considérons un exemple, celui du QI. La distribution du QI au sein d’un groupe peut être décrite de différentes façons, mais à différence de moyenne égale entre deux groupes, par exemple hommes et femmes, plus le score à un test est variable moins l’appartenance au groupe peut être considérée comme un facteur important dans l’explication de cette différence. (Voir exemple, page 106 au sein de deux classes A et B) Donc, pour apprécier l’influence de l’appartenance à un groupe sur une quelconque mesure à composante psychologique, il est important de prendre en compte deux types de facteurs : - le degré auquel les deux groupes diffèrent mutuellement en moyenne. Plus la différence de moyenne entre deux groupes est élevée, plus on sera tenté d’affirmer que cette différence reflète un facteur systématique lié à l’appartenance de ces groupes, plutôt qu’un effet du au hasard. - Le degré auquel les différences entre les mesures prises au sein de chaque groupe varient autour de la moyenne de ce groupe. Plus la variation autour de la moyenne est faible, plus les différences observées entre les groupes sont susceptibles d’être due à un facteur systématique lié à l’appartenance des groupes. Pour nous aider à voir si certains indices sont importants dans la détermination d’un phénomène, un indice « d » a été inventé, c’est le rapport entre la différence de moyenne entre les deux groupes divisé par l’écart type de leur distribution au sein de chaque groupe. Formule : d = (Moyenne de G1 – Moyenne de G2) / (Ecart type G1 + Ecart type G2 / 2) Cela revient à dire que la différence entre les groupes est du même ordre que la variabilité de ceux-ci. Un d de .20 veut dire que la différence entre les groupes est 5 fois inférieure à la variabilité au sein des groupes. Si le d varie de 0 à 0.35, on parle de petite différence, par contre s’il varie de 0.66 à > 1, on parle de grande différence. Une démarche supplémentaire consiste à effectuer un inventaire aussi exhaustif que possible des recherches qui ont mesuré les différences sur une dimension particulière. On pourra ainsi calculer un indice d non pas sur base d’une recherche particulière mais sur base de l’ensemble des travaux observés. C’est ce qu’on appelle une méta-analyse. Les différences hommes-femmes : synthèse Dans cette synthèse, Hyde a déterminé une série de méta-analyses portant sur les différences hommes-femmes dans différents domaines. (Valeur de d dans un tableau, page 109) Observations : - Les différences, quand elles sont observées sont minimes, ou considérées comme petites. - Elles varient en fonction de l’âge des sujets - Elles varient en fonction du contexte dans lequel s’opère la mesure - L’indice est extrêmement sensible à l’hétérogénéité de l’échantillon étudié (Si tous les sujets proviennent d’une même région, l’écart type sera beaucoup plus faible que si les sujets proviennent différence réelle) Il n’en reste pas moins que certaines différences semblent relativement bien établies et demandent à être expliquées. Différences dans le domaine de la rotation mentale, et dans le domaine de la sexualité… Nous allons expliquer comment ces différences peuvent s’expliquer en nous fondant globalement sur deux types d’explications : celle de la psychologie évolutionniste et celle des rôles sociaux. Psychologie évolutionniste et différence hommes-femmes: Les explications d’origine génétique postulent que les différences génétiques entre hommes et femmes se traduisent par des différences en termes de traits psychologiques. Les évolutionnistes cherchent à appliquer la théorie darwinienne de la sélection sexuelle à l’explication des différences entre hommes et femmes, aussi bien physiques que biologiques. La théorie de la sélection sexuelle: Théorie de Darwin (1809-1882) qui se fonde sur l’idée que chaque individu est essentiellement différent. Une grande partie de ces différences sont déterminées par son hérédité. Les caractéristiques héréditaires des individus qui se reproduisent d’avantage sont plus susceptibles d’être représentées dans les générations suivantes. Cette transmission dépend de deux facteurs : - La sélection écologique, l’individu doit être en mesure d’échapper à des prédateurs éventuels, et doit pouvoir accéder à de la nourriture appropriée à ses - La sélection sexuelle, l’individu doit être en mesure de se reproduire, plus il parvient à donner naissance à une descendance viable, plus ses caractéristiques se reproduiront. La sélection sexuelle: Dans quelle mesure la présence d’un trait peut-elle s’expliquer par l’avantage que celui-ci offre en termes reproductifs pour l’individu? Ces traits qui font l’objet de la sélection sexuelle sont sélectionnés à travers deux voies : - la compétition intra sexuelle - la compétition intersexuelle Compétition intra sexuelle: Pour que les individus puissent se reproduire, il faut qu’ils aient accès aux partenaires de l’autre sexe, mais ils sont souvent en nombre limité. On va alors observer une compétition entre les membres du même sexe. Les caractéristiques qui permettent de gagner ce combat sont dès lors davantage susceptibles de se maintenir dans la population. Elle est d’autant plus importante lorsque le nombre de membres d’un sexe est petit. Compétition intersexuelle: Il est possible que l’accouplement soit refusé à un partenaire sexuel potentiel, ceci implique que l’accès au membre d’un sexe constitue une ressource limitée. Les mâles qui possèdent des caractéristiques favorables au choix des femelles ont davantage de chance de se reproduire que les autres. Cette compétition implique des comportements visant à séduire le partenaire et à l’amener à choisir son auteur. Mal choisir le mâle expose au risque de voir sa descendance disparaitre, c’est donc quelque chose de très important. Théorie de l’investissement sexuel: Selon cette théorie, le sexe qui investit le plus de ressources dans sa descendance devrait se montrer le plus sélectif car il aurait plus à perdre si il se « trompe ». Donc d’un point de vue reproductif, pour une femme, il peut paraître plus couteux de mal choisir son partenaire car la femme doit investir au moins 9 mois pendant la grossesse, et ensuite pendant l’allaitement, tandis que pour l’homme, seul acte sexuel suffit. C’est à cause de cette compétition intra sexuelle que l’on voit apparaitre des caractères sexuels secondaires, c'est-à-dire, caractéristiques liées au sexe de l’individu mais non directement impliquées dans la reproduction. Ces caractéristiques servent à obtenir un avantage reproductif. Par exemple, une bonne reproduction chez le paon se voit grâce à la taille de ces traines. Outre l’attrait « indicateur » ces traits peuvent avoir pour simple fonction d’attirer l’attention de la femelle. La possession d’un trait peut donc avoir des conséquences différentes sur la sélection sexuelle et la sélection écologique : un trait qui a un avantage reproductif peut constituer un désavantage en termes de sélection écologique. La présence d’un trait est donc le résultat d’un savant compromis entre les pressions écologiques et sexuelles. Sélection sexuelle et différences hommes-femmes: Dans la perspective évolutive, on doit supposer que pendant six millions d’années, des contraintes différentes ont pesé sur les hommes et les femmes, produisant par là, des traits psychologiques différents. Les hommes et les femmes qui possédaient certaines caractéristiques de personnalité auraient été plus susceptibles que d’autres de transmettre leurs gènes à leur descendance, ce qui implique que ces traits aient joué un rôle dans le choix du partenaire et que cette descendance ait été viable. Stratégie reproductive chez hommes et femmes: Buss nous dit: « Les femmes contrairement aux hommes sont particulièrement attentives aux capacités de leurs partenaires à leur apporter des ressources nécessaires à leur survie et à celle de leurs enfants, ce qui dépend de leur statut social. » Smith a montré que les hommes étaient plus attirés par des visages de femmes photographiées lorsque leur taux d’œstrogène était élevé. Expliquer la jalousie: Pour Buss, dans une perspective évolutive, ce sentiment de jalousie est susceptible d’émerger pour des raisons différentes chez les hommes et les femmes, alors que les hommes devraient être plus sensibles à des infidélités de nature purement sexuelle, les femmes devraient être plus sensible à des infidélités qui mettent en doute la capacité de leur partenaire à apporter des ressources. Expliquer l’agressivité: L’agressivité et la prise de risque sont plus susceptibles d’être utiles dans la compétition intra sexuelle, qui est plus importante chez les hommes que chez les femmes (L’accès aux femmes est plus difficile). On observe des différences grâce aux expériences de Daly et Wilson par rapport à la nature très différente des homicides, qu’ils soient commis par une femme ou par un homme. --> Ces comportements peuvent s’expliquer par une stratégie de contrôle sexuel permettant de faire face à la compétition plus importante à laquelle seraient exposés les mâles. Différences d’aptitudes cognitives entre hommes et femmes: Dans les relations sociales, les différences observées entre hommes et femmes tendent à valoriser les femmes. Par contre, les hommes obtiennent des scores plus élevés dans les tâches ou ils doivent effectuer des « rotations spatiales », ainsi que dans des tâches où ils doivent évaluer la vitesse d’un objet, viser un objet statique ou en déplacer un. Comment expliquer ces différences? Selon une interprétation populaire, celles-ci pourraient s’expliquer par la division du travail entre hommes et femmes durant la préhistoire. Les hommes se sont consacrés à la chasse et les femmes à la cueillette et à l’éducation des enfants. Pour chasser, il est important de bien détecter la trajectoire des animaux dans un espace tridimensionnel. On peut donc penser que les « bons chasseurs », donc les hommes aux capacités d’orientation spatiale plus développées, avaient davantage de chance de survivre et d’être choisi par les femmes. A l’appui de cette hypothèse, on peut considérer les éléments suivants : - L’étendue du territoire parcouru par les hommes était plus grande que celle des femmes, on constate que la distance parcourue par un individu est corrélée positivement avec ses aptitudes spatiales. - Les mâles sont plus susceptibles que les femelles à lancer des objets, les hommes auraient donc eu plus tendance à lancer des lances et autres missiles que les femmes. Attention, corrélation ne veut pas dire causalité ! Il se peut qu’un nouveau facteur ait pu jouer un rôle, celui-ci est d’ordre hormonal. Il existe une relation entre l’exposition à la testostérone et les performances spatiales. Donc indépendamment du sexe, les individus ayant plus de testostérone obtiennent des résultats supérieurs à des tests d’aptitude spatiale. (Ce qui expliquerait que les hommes soient meilleurs, vu que cette hormone est produite par eux en grande quantité) Ces différences pourraient aussi provenir de la compétition intra sexuelle entre hommes, qui aurait pu impliquer des lancers d’objets. Critique de l’approche des évolutionnistes: Quelques critiques d’ordre scientifiques: - Les interprétations sont basées sur des hypothèses qui ne peuvent pas être testables directement. - Ces interprétations présupposent aussi le fait qu’il y ait eu un seul modèle social (chasseur-cueilleur). Les évolutionnistes négligent la variété sociale qui pourrait coexister. - Ces travaux sont basés sur une vision « adaptationniste » de l’être humain, toute différence d’origine génétique reflète d’office une adaptation. - Ces travaux sont fondés sur une atomisation des traits humains. Ils supposent qu’il est pertinent d’isoler un trait particulier et de l’examiner. Or il est souvent nécessaire de comprendre un trait en relation avec d’autres traits. - Ils confondent la fonction actuelle d’un trait avec la fonction qui est à l’origine de ce trait. Par exemple, ailes d’insectes qui leurs servent maintenant à voler pouvaient leur servir à réguler la température de leur corps pendant la préhistoire… Critiques d’ordre politiques : - Certaines féministes craignent que donner une caution scientifique à ces différences justifie l’inaction face au sort des femmes dans notre société. En fait, ce ne sont pas les différences qui nous ennuient le plus, c’est la façon dont on les explique, l’idée que cette différence ait une base biologique profondément ancrée nous déplait. Du contexte à l’identité: La différence homme femme semble donc souvent déterminée par des facteurs contextuels. Cette influence du contexte suggère en outre que l’on se comporte d’autant plus volontiers comme une fille lorsqu’on est en présence de garçons. Le sexe devient une partie importante de la définition de la fille elle-même, et ce, seulement en présence masculine, cela va plus guider leur comportement. Lorsqu’elles sont uniquement entre filles, d’autres aspects de leur identité sont plus importants, ces ceux-ci qui guideront leur comportement à ce moment là. --> Les différences filles garçons ne proviennent pas de la présence d’essences distinctes qui les différencieraient fondamentalement mais bien de l’adhésion aux normes de genre. Le contexte a pour effet que le genre devient une dimension importante. Dans ce cas, les individus recourent à des comportements typiques de leur genre, à ce qu’on pourrait qualifier de « normes sociales de genre ». Ces normes sont en grande partie le produit de l’apprentissage et de la socialisation. Lorsque les différences créent des stéréotypes: Les stéréotypes servent à qualifier les membres de ces groupes et également à définir des normes quant à la façon dont ils sont censés se comporter. La menace du stéréotype: Étude de Spencer: lorsque les femmes répondent à un test en mathématique, elles se sentiraient menacées car elles seraient conscientes du stéréotype selon lequel les femmes sont moins performantes que les hommes en math. L’anxiété générée par cet état influencerait négativement leur performance. Ici le stéréotype ne découle pas de la réalité, mais contribue à le créer. En influençant l’état d’esprit des femmes préalablement à la passation d’un test, ils accentueraient les différences existantes. Les prédictions créatrices: Étude de Skrypnek et Snyder nous montre que les stéréotypes du percevant semble avoir réussi à influencer la cible jusque dans la façon dont elle-même détermine ses tâches préférées. Donc cela prouve que les stéréotypes de genre peuvent susciter des prédictions créatrices : bien que la cible n’ait rien de particulièrement stéréotypique au départ, le comportement du percevant induit la cible à s’y conformer. Les stéréotypes ne découlent pas uniquement de la réalité des différences hommesfemmes, ils semblent également participer à la production de ces différences. La théorie des rôles sociaux: Aux USA, de façon générale, les hommes auraient davantage tendance à occuper des rôles conférant du pouvoir et du statut. C’est la division des rôles sociaux entre femmes et hommes au sein d’une société qui tend à produire des différences de genre en termes de traits psychologiques. Eagly nous montre les données d’une enquête où les hommes cherchent davantage une femme « bonne ménagère » que les femmes, qui privilégient davantage un partenaire susceptible d’avoir de bonnes ressources financières. Ce résultat peut être facilement interprété selon la théorie de l’investissement, les femmes cherchent un partenaire qui pourra s’invertir davantage que les hommes. Pour Eagly, cette différence est due à un autre facteur : la plus grande précarité économique des femmes s’explique elle-même par le rôle social qu’elles occupent. Il fait une autre expérience pour le prouver, et voici le résultat : plus la société est égalitaire, moins les hommes recherchent une femme ménagère et plus ils recherchent une femme active professionnellement. Plus la société est égalitaire, moins la femme recherche un homme actif professionnellement. Annexes: CHAPITRE 7: La théorie des traits de personnalité Les conception d’Allport, Eysenck et Cattell Le concept de trait de personnalité: Trait de personnalité: Disposition à agir d’une certaine manière, illustrée par le comportement de l’individu dans un éventail de situations. De toute évidence, la personnalité ne se limite pas aux traits, mais ceux-ci occupent une place de premier plan dans l’histoire de la psychologie de la personnalité. - Qu’est-ce qu’un trait de personnalité? Les traits de personnalité se rapportent aux modes stables du comportement, des affects et de la pensée. Ils remplissent principalement trois fonctions: 1° On peut s’en servir pour résumer la conduite de quelqu’un 2° On peut s’en servir pour prévoir la conduite de quelqu’un 3° On peut s’en servir pour expliquer la conduite de quelqu’un → Il s’agit là d’une façon parcimonieuse de décrire ce qui différencie les individus. L’importance attribuée aux traits de personnalité indique que le comportement peut s’expliquer par des raisons qui relèvent de l’individu plutôt que de la situation ou de l’environnement. - Les deux hypothèses de bases: 1° Les traits sont les composantes de base de la personnalité. (mise en commun des différents auteurs et ce malgré leurs divergences d’opinion concernant la façon de déterminer les traits) 2° La personnalité est conçue comme une entité organisée en divers niveaux hiérarchiques. Les théoriciens sont tous d’avis que l’on peut organiser ces divers éléments en une hiérarchie: À son niveau le plus simple, le comportement se ramène à des réactions spécifiques. Cependant, certaines de ces réactions sont liées et forment des habitudes (notion plus générale). On constate que des habitudes se présentent souvent de manière concomitante et constituent aussi des traits. À un niveau d’organisation encore plus élevé, on peut relier divers traits pour former ce qu’EYSENCK appelle des facteurs de deuxième niveau/génériques: des superfacteurs. Superfacteur: Facteurs génériques/de deuxième niveau, représentant un niveau d’organisation des traits plus élevés que les facteurs issus de l’analyse factorielle. En somme, selon la théorie des traits de personnalité, l’individu possède des dispositions à réagir en général d’une certaine manière et la personnalité se caractérise par une organisation hiérarchique. La théorie des traits de personnalité: Gordon W. Allport (Passage de la rencontre avec Freud page 197 des annexes) ALLPORT croit que les traits constituent les éléments fondamentaux de la personnalité. Selon lui, les traits ont leur origine dans le système nerveux et leur existence ne fait aucun doute. Ils représentent des dispositions générales de la personnalité qui rendent compte de la régularité du fonctionnement sans égard au moment ou au contexte. Le concept de trait comporte trois propriétés: 1° La fréquence 2° L’intensité 3° L’éventail des situations - Les traits de personnalité, l’état d’esprit et les activités: ALLPORT et ODBERT ont défini les traits de personnalité comme « des tendances déterminantes, générales et personnalisées, des modes cohérents et stables d’adaptation à l’envorinnement ». Les traits de personnalité diffèrent donc d’une part de l’état d’esprit et d’autre part des activités; tous deux décrivent des aspects de la personnalité qui sont transitoires, brefs et provoqués par des circonstances externes. CHAPLIN, JOHN et GOLDBERG ont réparti les classifications des auteurs précédents en trois catégories: 1° Les traits 2° L’état d’esprit 3° les activités - Les trois types de traits de personnalité: Le trait s’applique au comportement habituel de l’individu dans la plupart des situations, et non à ce qu’il fera dans toutes les situations. Selon ALLPORT, il faut tenir compte à la fois du trait et de la situation pour comprendre le comportement. Le concept de traits est indispensable pour rendre compte de la constance du comportement, tandis qu’il faut se référer à la situation pour expliquer la variabilité du comportement. Trait cardinal: Concept désignant une disposition si marquée et si envahissante dans la vie d’un individu qu’elle imprègne presque tous ses actes. Trait central: Concept désignant une disposition à se comporter d’une manière donnée dans un éventail de situations. Trait secondaire: Concept désignant une disposition à se comporter d’une manière donnée dans un certain nombre de situations. → Les traits de personnalité varient en importance et en généralité. - La recherche idiographique: ALLPORT est bien connu pour avoir mis l’accent sur la singularité individuelle. La méthode idiographique s’attache à l’organisation des traits chez un individu donné bien davantage qu’aux différences entre les participants. Il existe des traits particuliers à chaque individu, traits que la science ne peut déceler. On a estimé que le fait de se concentrer sur les traits singuliers rendait impossible l’élaboration d’une science de la personnalité. Recherche idiographique: Méthode selon laquelle on s’intéresse tout particulièrement à l’étude des individus et à l’organisation des variables de la personne individuelle. En bref: - Personality: A Psychological Interpretation (ALPPORT) sera considéré pendant vingt ans comme un texte fondamental dans ce domaine. Il affirme que de nombreux traits s’expriment dans les comportements, qu’il peut exister des dispositions contradictoires chez les individus et que les traits se manifestent en partie par la manière dont la personne sélectionne les situations au lieu de simplement y réagir. La théorie des trois facteurs: Hans J. Eysenck - L’analyse factorielle et l’évaluation des traits de personnalité: Le trait sert à expliquer le comportement, et lui-même se fonde sur le concept de trait. L’analyse factorielle est une méthode statistique qui permet de délimiter des groupes, des agrégats ou des facteurs liés à des énoncés connexes. Elle repose sur l’idée que les comportements covarient chez un grand nombre de participants sont liés. Il s’agit donc d’un procédé statistique utilisé pour déterminer quels sont les comportements liés entre eux, mais indépendants d’autres comportements, et qui de ce fait délimitent les unités ou éléments naturels de la structure de la personnalité. Si des éléments (variables/réponses test/etc) sont covariants (s’ils se manifestent et disparaissent en même temps), on peut en déduire qu’ils ont en commun une caractéristique, qu’ils appartiennent au même aspect du fonctionnement de la personnalité. Analyse factorielle: Méthode statistique utilisée pour déterminer quelles sont les variables ou les réponses aux questionnaires qui sont en corrélation. Elle sert à élaborer les tests de personnalité et elle est employée dans la théorie des traits. En recourant à de nouvelles analyses factorielles, dites de deuxième niveau, EYSENCK détermine les dimensions qui se trouvent à la base des facteurs de traits mis au jour par la première série d’analyses. Ces dimensions représentent des facteurs de deuxième niveau, ou de superfacteurs. - Les trois dimensions fondamentales de la personnalité: EYSENCK cerne trois dimensions fondamentales de la personnalité: 1° L’introversion/extraversion 2° La névrosisme 3° Le psychotisme Ces dimensions ont été retrouvées dans plus d’une culture et chacune d'entre elles comporte un facteur génétique. Introversion: (l’un des pôles de la dimension intro/extraversion) L’introverti tend à être placide, réservé, réfléchi et prudent. Extraversion: (l’un des pôles de la dimension intro/extraversion) L’extraverti a tendance à être sociable, amical, impulsif et intrépide. Névrosisme: Dimension de la personnalité qui se définit par deux pôles: stabilité/faible angoisse d’une part et instabilité/grande anxiété d’autre part. Psychotisme: Dimension de la personnalité qui se définit par une propension à être solitaire/insensible d’une part et à une attitude empathique d’autre part. - La psychopathologie et le changement de comportement: Le type de symptômes ou de problèmes psychologiques que l’individu est susceptible de connaître est lié aux traits fondamentaux de la personnalité et aux principes de fonctionnement du système nerveux. Ce qui est génétiquement déterminé, ce sont les prédispositions à agir et à se comporter d’une certaine manière, dans une situation donnée. EYSENCK s’est fait le champion de la thérapie comportementale (traitement systématique du comportement anormal selon les principes de la théorie de l’apprentissage). Il a souvent critiqué la théorie de la thérapie psychanalytique en dénonçant notamment les aspects suivants: - La psychanalyse ne constitue pas une thérapie scientifique, puisqu’on ne peut pas la réfuter - Les troubles névrotiques et psychotiques représentent des dimensions distinctes plutôt que des points s’inscrivant dans un continuum - Il faut voir dans le comportement anormal des inconscients sous-jacents - Toutes les thérapies font appel volontairement ou non, aux principes d’apprentissage En bref: Voici quelques aspects positifs du dossier scientifique d'Eysenck: - Il a été collaborateur prolifique dans divers domaines. - Il a sans cesse souligné l’importance des questionnaires et de la recherche expérimentale. - Il a lié les variables de la personnalité qu’il avait dégagées à des méthodes d’évaluation, à une théorie du fonctionnement du système nerveux et de l’apprentissage ainsi qu’à une théorie connexe de la psychopathologie et de la modification du comportement. Il a cependant une tendance à rejeter les apports des autres théoriciens et à exagérer la solidité empirique de son propre point de vue. (→ manque d'objectivité) L’analyse factorielle des traits de personnalité: Raymond B. Cattell Le théoricien RAYMOND B. CATTELL propose de tenir compte d’un grand nombre de traits de personnalité, plutôt que de passer aux superfacteurs décrivant la personnalité. - La théorie de la personnalité: a) Les types de traits: Selon CATTELL, l’unité structurale de base est le trait de personnalité, défini plutôt comme une disposition. Traits d’aptitude/de tempérament/dynamiques: Englobent les principaux aspects de la personnalité. - Traits d’aptitude: Désignent les capacités/aptitudes qui permettent à l’individu d’agir avec efficacité - Traits de tempérament: Renvoient à la vie affective et au style de comportement - Traits dynamiques: Se rapportent aux motivations qui poussent l’individu à agir, aux types de buts qui lui importent, etc. Traits de surface: Comportements qui semblent aller de pair sans toutefois se trouver en corrélation Traits de source: Comportements qui varient de façon simultannée, qui forment une dimension indépendante de la personnalité et que l’analyse factorielle permet de découvrir. b) L’origine des données: biographies, questionnaires et tests objectifs En raison des difficultés que soulèvent les données biographiques et celles provenant des questionnaires, et parce que la méthode de rechercher choisie au départ exige qu’on s’appuie sur les données fournies par les tests objectifs, CATTELL en viendra à s’intéresser davantage à la structure de la personnalité qui correspond aux données fournies par les tests. Les données biographiques et celles des questionnaires aident à mettre en place des tests en miniature et à concevoir des tests objectifs qui mesureraient les traits de sources. Données biographiques: Données se rapportant au comportement dans la vie quotidienne ou à l’évaluation d’un tel comportement. Données provenant des questionnaires: Données au sujet de la personnalité qui sont tirées des questionnaires. Données fournies par les tests objectifs: Données provenant des tests objectifs ou renseignements au sujet de la personnalité fournis par l’observation du comportement dans les situations en miniature. On a établi l’existence de liens entre les trois types de données, mais pas de correspondances directes de facteur à facteur. En bref: La démarche de CATTELL que nous avons décrite précédemment peut se résumer ainsi: - Il cherche à définir la structure de la personnalité en recourant à trois types d’observation: les données biographiques, les données provenant des questionnaires et les données fournies par les tests objectifs. - En se servant des données biographiques et en les soumettant à une analyse factorielle il détermine seize traits de source. - Il élabore un questionnaire en 16 PF, comportant douze traits qui correspondent aux traits repérés grâce à l’analyse des données biographiques et quatre traits que seul le questionnaire permet de déceler. - Il discerne vingt et un traits de sources dans les données issues des tests objectifs qui semblent avoir des rapports complexes et peu corrélés avec les traits découverts au moyen de l’analyse d’autres données. Nous disposons de ce qui constitue la base du tableau des éléments en psychologie et de son système classificatoire. Les arguments prouvant l’existence des traits de personnalité: - Les résultats des analyses factorielles effectuées sur les différents types de données - Les résultats similaires obtenus dans d’autres cultures - Les résultats similaires disponibles dans tous les groupes d’âge - Leur utilité quand il s’agit de prévoir le comportement dans le milieu naturel - L’importante composante héréditaire présente dans de nombreux traits Les théoriciens: Allport, Eysenck et Cattell On peut considérer ces auteurs comme des théoriciens de la théorie des traits. Cette approche se fonde sur l’hypothèse suivante: les traits de personnalité représentent des dispositions à réagir en général d’une certaine manière, ils diffèrent grandement selon les individus. L’analyse factorielle pour déterminer le nombre et la nature des traits de personnalité est d’une importance considérable à cet égard. Allport critiquait le recours à cette méthode alors que les deux autres le prônaient. Eysenck n’a dégagé que trois grands traits de personnalité, Cattell en a pour sa part décelé au moins vingt et Allport, quant à lui, affirme que chacun d’entre nous possède des traits qui lui sont propres, ouvrant ainsi la voie d’analyse d’un nombre de traits illimité. L’étude de la motivation est envisagée de manière différente par les trois théoriciens. Eysenck n’emploie pas le concept de motivation, tandis que ses deux collègues lui font une place dans leurs théories et suggèrent que la recherche explore les rapports entre motivation et traits de personnalité. Enfin, Allport et Eysenck ont adopté une attitude très critique à l’égard de la théorie psychanalytique alors que le troisième était bien plus nuancé à ce sujet. Résumé - Le concept de trait représente une disposition générale à se comporter d’une certaine manière. On considère que les traits sont organisés en une hiérarchie allant des réactions spécifiques aux modèles généraux de fonctionnement psychologique. - ALLPORT établit une distinction entre les traits de personnalité de l’individu et les concepts de traits cardinaux, centraux et secondaires. - L’analyse factorielle est utilisée pour élaborer une classification des traits. On classe des groupes d’énoncés ou de réponses (facteurs). Les énoncés d’un groupe (facteur) étaient étroitement liés les uns aux autres et séparés de ceux d’une autre groupe (facteur). - Selon EYSENCK, les dimensions fondamentales de la personnalité sont: l’intro/extraversion, le névrosisme et le psychotisme. Il soutient que les individus ont un fondement biologique et génétique (hérédité). Cependant, il suggère aussi qu’il est possible d’effectuer des modifications importantes dans le fonctionnement de la personnalité grâce à la thérapie comportementale. - CATTELL établit une distinction entre les traits d’aptitude, les traits de tempérament et es traits dynamiques, ainsi qu’entre les traits de surface et les traits de source. (questionnaire 16 PF) - Ces différents théoriciens des traits considèrent que les dispositions constituent des éléments essentiels de la personnalité. Cependant, ils adoptent des approches différentes à sur beaucoup de sujets. Chapitre 8: La théorie des traits de personnalité - Eysenck parlera de votre comportement et de vos réalisations en fonction de ses trois superfacteurs. Cattell examinera une vingtaine de traits spécifiques Allport élaborera une interprétation idiographique très détaillée et comportant des nombreuses configuration de traits singuliers. De nombreux chercheurs (surtout de la nouvelle génération) sont aujourd’hui d’avis qu’il est utile d’organiser les traits en fonction de cinq grandes dimensions bipolaires, on les appelle les « big five », en raison de leur très haut niveau d’abstraction qui fait en sorte que chacune de ces dimensions regroupe les traits les plus importants. Le modèle à cinq facteurs: La corroboration du modèle à cinq facteurs provient surtout de trois éléments : - l’analyse factorielle de grands ensembles de traits en fonctions de la langue - la recherche interculturelle confirmant l’universalité des dimensions - la mise en rapport des questionnaires visant à évaluer les traits avec d’autres questionnaires et évaluations. Les termes utilisés pour désigner les traits de personnalité: On demande aux participants de s’autoévaluer ou d’évaluer des personnes en fonction d’un grand nombre de traits puisés dans le dictionnaire. Les résultats font ensuite l’objet d’une analyse factorielle ayant pour but de déceler les rapports de concomitance entre les traits. Lewis R. Goldberg analyse ses travaux et ceux d’autres chercheurs. Il affirme qu’il devrait être possible de soutenir que tout modèle élaboré afin de structurer les différences entre les individus devra englober à un certain niveau quelque chose qui ressemble à ces cinq grandes dimensions. Le terme « grand » se rapporte au fait que chaque facteur comprend de nombreux traits particuliers. Plusieurs termes légèrement différents ont été employés pour désigner les cinq grands, nous avons choisi d’adopter les termes de: - névrotisme - extraversion - ouverture - amabilité - esprit consciencieux La recherche interculturelle : les cinq grands sont-ils universels ? De nombreuses études ont été réalisées pour tenter de répondre à cette question mais les données n’ont pas toutes été recueillies et on se rend compte que des problèmes méthodologiques peuvent avoir influencé certains résultats. La traduction constitue un des plus grand problème, on trouve peu de traduction bijective d’une langue à l’autre et même les mots apparentés ne signifient pas nécessairement la même chose. Hofstee et al. ont repéré 126 mots qu’ils pouvaient traduire directement en anglais, néerlandais et allemand. Les résultats révèlent une congruence considérable dans les trois langues apparentées à l’exception de l’ouverture. Dans une analyse quantitative récente, on a comparé les résultats de nombreuses études européennes et on a conclu que des facteurs similaires aux cinq grands ont été décelés dans la plupart des langues mais que la démonstration est moins convaincante concernant l’ouverture qui apparaît sous diverses formes. --> Les langues et les cultures non occidentales n’ont suscité qu’un petit nombre d’études et l’ouverture présente la reproductibilité la plus faible. McCrae et Costa ont soutenu avec conviction que la structure de la personnalité obéissant aux cinq grands est universelle chez l’être humain. Cependant, d'autres chercheurs ont soutenu qu’il existe peut-être d’autres facteurs relevant de cultures particulières. On se sert d’un questionnaire très précis pour mesurer les cinq grands: L’inventaire de personnalité NEO-PI-R et sa structure hiérarchique : les facettes. En trois étapes de conception et de révision, Costa et McCrae ont mis au point un questionnaire « L’inventaire de personnalité NEO révisé » (néo pour neurotism, extraversion, openness) afin d’évaluer les cinq grands facteurs. Chacun de ces facteurs comporte six facettes, celles-ci représentent les traits ou éléments plus particuliers qui constituent chacun des cinq grands facteurs généraux. McCrae et Costa soutiennent également qu’il faut employer des questionnaires structurés en vue d’évaluer la personnalité et contestent le recours aux tests projectifs et aux entrevues cliniques qu’ils jugent peu rigoureux et susceptibles d’être imprégnés d’idées préconçues. Les facteurs d’Eysenck et de Cattel : leur intégration aux cinq grands. L’inventaire de personnalité NEO-PI-R, révèle qu’il existe des rapports cohérents sur le plan théorique avec des mesures de la personnalité recueillies par d’autres moyens. Le modèle de Murray revêt une importance particulière puisqu’il offre la possibilité d’établir des liens entre les traits et les motivations. Le modèle théorique des « cinq grands »: McCrae et Costa ont proposé un modèle théorique qu’ils ont appelé « la théorie des cinq grands ». Ils considèrent les cinq facteurs comme des tendances fondamentales ayant un fondement biologique ce qui signifie que les différences de comportement liées aux cinq grands sont représentées dans le corps en fonction des gènes, de la structure cérébrale, etc. Les traits de personnalité relèvent d’avantage de la biologie humaine que de l’expérience et le milieu n’influe pas sur le développement des tendances fondamentales. Celles-ci ont plutôt des répercussions sur la vie de l’individu, tant sur son concept de soi que sur sa façon particulière de s’adapter entre autre sur les attitudes, les objectifs personnels, la croyance en son efficacité et sur d’autres variables. Les différences attribuables à l’âge chez les adultes: Les niveaux des cinq facteurs sont-ils stables pendant la vie adulte ou y a t-il des changements généraux associés à l’âge ? L’adolescence et le début de la vingtaine sont les périodes où l’insatisfaction, l’agitation et la révolte se manifestent le plus. La baisse de l’amabilité et de l’esprit consciencieux correspond également aux résultats de recherches portant sur la délinquance qui diminue sensiblement après l’adolescence. Les différences observées peuvent être expliquées non pas par l’âge mais par la génération à laquelle on appartient et être ainsi associées au fait de grandir à une époque donnée. Les différences pourraient être attribuables à des facteurs historiques plutôt qu’à des facteurs d’âges. Les premiers résultats des recherches sur l’enfance et l’adolescence: On peut suggérer les premières caractéristiques du tempérament telles que la sociabilité. L’activité et l’émotivité se développent et mûrissent pour prendre à l’âge adulte la forme des dimensions que nous connaissons comme l’extraversion et le névrotisme. La structure de la personnalité semble alors plus complexe et moins intégrée durant l’enfance qu’à l’âge adulte. Comme on l’a considéré aux Etats-Unis, la personnalité de l’enfant comprend sept facteurs au lieu de cinq facteurs habituels. Par ailleurs, au lieu d’un seul facteur s’appliquant à l’extraversion, les chercheurs ont trouvé deux facteurs distincts, la sociabilité et l’activité. A l'identique, au lieu d’un seul facteur de névrotisme, ils ont découvert deux facteurs : l’appréhension et l’irritabilité. --> Ces résultats indiquent que la personnalité peut s’exprimer sous des formes différentes au cours du développement. La stabilité et le changement: Voici ce que les données dont nous disposons à l’heure actuelle laissent entrevoir : - la personnalité est plus stable sur de courtes périodes - la personnalité est plus stable à l’âge adulte - bien qu’on puisse démontrer qu’il existe une stabilité générale des traits, on note des différences entre les individus au cours du développement - bien qu’on puisse démontrer qu’il existe une stabilité générale des traits, on a pas encore déterminé les limites de l’influence du milieu sur le changement qui a lieu au cours de l’enfance et de l’âge adulte. Les applications du modèle: Il existe de nombreuses applications possibles du modèle et de l’inventaire de personnalité notamment pour l’orientation professionnelle, les diagnostics concernant la personnalité, les troubles mentaux, ainsi que des décisions au sujet de la thérapie. L’orientation professionnelle: Les psychologues qui s’intéressent au domaine de l’orientation professionnelle soutiennent que la personnalité est associée aux types de carrières choisies et à la façon de se comporter sur le plan professionnel. Selon le modèle des cinq facteurs, la personne très extravertie devrait préférer un travail qui la mettra en contact avec les autres. Celui qui est ouvert aux expériences nouvelles étant donné qu'il devrait préférer un travail artistique ou un travail d’enquête. --> Certains psychologues affirment que le modèle à cinq facteurs aide à prévoir quel sera le rendement au travail. La santé et la longévité: L’idée que la personnalité est liée à la santé remonte jusqu’à l’antiquité. Une étude à long terme souligne l’importance du facteur de l’esprit consciencieux dans la prévision au sujet de la longévité. Pourquoi les personnes dotées d’un caractère consciencieux vivent-elle plus longtemps? Les individus consciencieux seraient moins susceptibles de décéder d’une mort violente étant moins portés à fumer et à consommer de l’alcool en abondance, tandis que les personnes moins consciencieuses prendraient des risques qui entraineraient des accidents et des bagarres. --> Les chercheurs estiment donc que le fait d’être doté d’un caractère consciencieux a probablement des répercussions sur tout un système de comportements relatifs à la santé. Les troubles de la personnalité: Des chercheurs utilisant le modèle des cinq grands ont soutenu récemment qu’il est possible de considérer de nombreux types de comportements anormaux comme des formes accentuées des traits de personnalité normaux. Autrement dit, bien des troubles mentaux s’inscriraient dans le continuum de la personnalité normale au lieu de représenter un écart par rapport à la norme. Les tenants de ce modèle affirment qu'il se prête à de nombreuses applications fort utiles dans les domaines de l’orientation professionnelle, du diagnostic et de la thérapie. --> Le modèle se révèle aujourd’hui donc plus prometteur pour effectuer la description des divers troubles mentaux que pour les expliquer.