Analyse qualitative du vécu émotionnel des praticiens face à l’annonce d’une mauvaise nouvelle en cancérologie
Armelle DESAUW1,2, , Pascal ANTOINE1, Véronique CHRISTOPHE1,3, , Stéphane CATTAN4
1. URECA EA 1059, Université Lille 3
2. Centre Hospitalier Cambrai
3. Maison Européenne des Sciences de l’Homme et de la Société, MESHS USR CNRS 3185
4. Centre Hospitalier Régional Universitaire de Lille
Introduction : L’annonce d’une mauvaise nouvelle en cancérologie constitue une tâche complexe pour les praticiens. Alors que
des études antérieures ont analysé le vécu émotionnel des praticiens face à l’annonce de mauvaises nouvelles à l’aide de
méthodes quantitatives, [1-3], il nous parait nécessaire d’approfondir notre compréhension de l’expérience subjective des
praticiens par une approche qualitative. L’objectif de cette étude vise donc à analyser : 1) le sens que les praticiens donnent à
l’annonce de mauvaises nouvelles en cancérologie, et 2) la perception qu’ils ont de leur vécu émotionnel face à l’annonce.
Méthode : Cette étude repose sur l’analyse d’entretiens non-directifs réalisés auprès de 20 praticiens hospitaliers amenés à
annoncer des mauvaises nouvelles en cancérologie. Ces entretiens ont été enregistrés puis retranscrits. Ils ont ensuite fait l’objet
d’une analyse interprétative phénoménologique (IPA) [4].
Résultats : L’analyse des entretiens a abouti à l’émergence de 3 thèmes principaux : 1) le sens donné à l’annonce d’une
mauvaise nouvelle en cancérologie, 2) le rôle du praticien, et 3) le lien avec les patients.1) Alors que certains praticiens
perçoivent l’annonce comme un non-sens, d’autres la considèrent comme une épreuve indissociable de leur travail, à laquelle
ils vont parvenir à trouver un sens, tel que la possibilité pour le patient de préparer sa fin de vie. 2) Les praticiens se distinguent
dans la perception qu’ils ont de leur rôle au moment de l’annonce. Certains vont se fixer des objectifs irréalistes, tels que donner
un espoir de survie alors que le pronostic vital du patient est engagé, les amenant à éprouver un sentiment d’impuissance et
d’échec. A l’inverse, l’élaboration d’objectifs réalistes, tels qu’apporter un soutien au patient, est associé à une satisfaction après
l’annonce. 3) Lorsque les praticiens évoquent leur lien avec les patients, ils décrivent l’influence des émotions de leurs patients
sur leur propre vécu émotionnel. Alors que certains décrivent une mise à distance, d’autres décrivent la manière dont ils
absorbent les émotions de leurs patients, par processus d’identification.
Conclusion : Cette étude apporte un nouveau regard sur l’expérience subjective des praticiens confrontés à l’annonce de
mauvaises nouvelles en cancérologie. Au-delà du caractère négatif intrinsèque à l’annonce, c’est la représentation du praticien
de l’annonce, de son rôle et de son lien avec le patient qui détermine son vécu émotionnel de l’annonce. Au regard de
l’importance de la relation médecin-patient, ces premiers résultats nous apportent de nouveaux éléments de compréhension à
intégrer dans les programmes de formations destinés aux praticiens.
1. Cohen, L., Baile, W. F., Henninger, E., Agarwal, S. K., Kudelka, A. P., Lenzi, R., Sterner, J. & Marshall, G. D. (2003). Physiological
and psychological effects of delivering medical news using a stimulated physician-patient scenario. Journal of Behavioral
Medicine, 26(5), 459-471.
2. Tattersall, A. J., Bennett, P., & Pugh, S. (1999). Stress and coping in hospital doctors. Stress Medicine, 15, 109-113.
3. Baile, W. F., Lenzi, R., Parker, P. A., Buckman, R., & Cohen, L. (2002). Oncologists ‘attitudes toward and practices in giving bad
news: an exploratory study. Journal of Clinical Oncology, 20(8), 2189-2196.
4. Smith, J.A., & Osborn, M. (2003). Interpretative phenomenological analysis. In J. A. Smith (Ed.), Qualitative Psychology : A
practical guide to research methods (pp. 51-80). London : Sage.
Mots clés : Analyse interprétative phénoménologique, annonce de mauvaise nouvelle, cancer, praticien, vécu émotionnel