Continuité humain-animal : prises de position de deux mouvements, leurs suppositions et
contradictions.
Barbara Noske
Cet article s’intéresse aux représentations, images et traitements des animaux au sein de deux mouvements: d’une part, du
mouvement de libération, de bien-être et du droit des animaux (les pro-animaux) et, d’autre part, du mouvement des verts
et écologistes radicaux. Il s’agira plus précisément ici d’explorer leur prises de position vis à vis de la continuité naturelle
existant entre animaux et humains.
La dénomination de chaque mouvement nous importe peu, chaque définition portant en elle une forme de généralisation
assez inévitable puisque certaines personnes, parmi elles des éco féministes (Warren 1994), se définissent elles-mêmes
comme des défenseurs des animaux tout autant que de fervents écologistes.
Le réductionnisme individualiste
Les membres du mouvement pour la protection des animaux tendent à se focaliser sur les animaux comme des êtres
sensibles et ont des idées très arrêtées sur le comportement éthique que nous devrions adopter à leur égard. Pour eux, une
nature qui a évolué de manière individuelle et sensible est une nature qui peut éprouver de la douleur, du plaisir et de la
peur (Singer 1990).
Puisque beaucoup de ces défenseurs des animaux sont des citadins (Francione 1996, Montgomery 2000), les animaux
qu’ils sont amenés à rencontrer sont ceux que nous avons incorporés à nos lieux de travail et de vie : ceux des aires de
production d’animaux telles les fermes-usines, ceux utilisés comme matériel organique dans les laboratoires et ceux que
nous considérons comme des animaux de compagnie. En clair, ces citadins rencontrent des animaux soit domestiqués, soit
qui ont été créés pour vivre (et mourir) dans des structures construites par des hommes (Sabloff 2001). Ceci étant dit, les
défenseurs des animaux s’intéressent également aux animaux chassés et cela concerne les animaux sauvages plutôt que
domestiques (la chasse sportive existant de longue date, spécialement en Amérique du nord (Cartmill 1993, Flynn 2002)).
Le mouvement pro-animal s’intéresse aux racines de la sensibilité prenant en compte la continuité qui existe entre la
condition humaine et animale. La sensibilité humaine porte en elle une signification éthique et c’est par elle que nous
condamnons l’oppression, la torture et les génocides. La continuité humains-animaux implique la reconnaissance que
beaucoup d’animaux ont des corps et des systèmes nerveux semblables aux nôtres. Ainsi, si le bien-être est une notion
importante pour les humains, il doit en être de même pour les animaux. Non seulement les animaux ont des corps qui
fonctionnent comme les nôtres et leur subjectivité (leur esprit et leur vie émotionnelle) ressemble également à la nôtre.
Comme nous, les animaux sont, comme le souligne Tom Regan, des “sujets de vie” (1983). Ces similarités
humains/animaux appellent à un égal comportement éthique : notre comportement vis-à-vis des animaux ne peut pas être
radicalement différent de celui que nous pouvons avoir vis-à-vis des humains.
Beaucoup de pro-animaux sont presque indifférents à d’autres natures que la nature animale. Des formes de vie
supposément non-sensibles telles les plantes et les arbres ne sont généralement pas prises en considération ainsi d’ailleurs
que des formes ou groupes de formes de vie inorganiques comme les roches, les rivières ou les écosystèmes. En elles-
mêmes ces formes de vie ne sont pas sensibles et individuellement elles ne peuvent souffrir : le mouvement pro-animal
s’en désintéresse-t-il le plus souvent (Hay 2002).
Le mouvement de défense des animaux est très critique vis-à-vis de la notion traditionnelle d « animal machine » et
s’affirme comme étant le plus important groupe de pression au niveau mondial à condamner l’élevage intensif. En
revanche, nous n’entendons pas leur voix quand ce même mal est fait aux plantes (Dunayer 2001). Le concept de « plante
machine » et l’élevage intensif de végétaux ne provoquent pas, en effet, le même mouvement d’indignation... Ainsi, la
critique de l’objectivation et de l’exploitation reste indéfectiblement liée à la notion précédemment discutée de sensibilité.
L’objectivation du reste de la nature comme par exemple la manipulation génétique- est largement soit ignorée, soit
déniée.
Se focalisant sur les êtres sensibles, les défenseurs des animaux font abstraction de l’environnement dans lequel ces êtres
évoluent. On rencontre parfois une certaine ne parmi eux à propos des carnivores : comme si des animaux dévorant
d’autres animaux est une chose qui ne devrait idéalement pas exister. Des personnes s’intéressant aux droits des animaux
et ou en faisant partie me disent que, si cela était possible, ils aimeraient faire disparaître de telles relations proie-prédateur
ou au moins d’extraire (pour ne pas dire libérer ou sauver) la proie de cette équation mortelle.
Un autre exemple du refus d’accepter comme une nécessité zoologique le fait que des animaux se nourrissent de viande est
la tendance qu’ont les végétariens/vegan défenseurs des animaux de transformer leurs compagnons carnivores à quatre
pattes en végétariens en les nourrissant exclusivement de produits d’origine végétale souvent additionnés de compléments
alimentaires. La nourriture standard des animaux de compagnie d’Amérique du Nord prend la forme le plus souvent de
sachets ou de boîtes de conserves contrairement aux Européens qui leur préfèrent la nourriture fraîche -voire bio- que l’on
peut facilement se procurer chez le boucher du coin. Alors que beaucoup de ces personnes reconnaissent que le corps de
leur petit compagnon n’est peut-être pas fait pour être gétarien, cela ne leur pose apparemment aucun problème de
rendre la santé de leur animal dépendante de suppléments alimentaires issus de l’industrie. Malgré eux, ces gens
transforment leurs animaux en un double d’eux-mêmes, consommateurs modernes de produits manufacturés de l’ère
industrielle. Les vies animales sont humanisées et colonisées : leur aliénation est ainsi portée à un autre extrême. S’agit-il
de protéger les animaux de compagnie d’une nourriture non-éthique ou bien d’imposer une éthique humaine à l’animal?
Incidemment, la plupart des aliments manufacturés à base de produits végétaux s’avèrent être des produits de quasi rebut
provenant de monocultures de l’agriculture conventionnelle pour lesquelles l’habitat de nombreux animaux est détruit,
ces produits étant commercialisés par les mes complexes agro-industriels qui mettent sur le marché les nourritures
standard pour animaux de compagnie (Noske 1997).
Beaucoup de défenseurs des animaux semblent avoir des problèmes à accepter que le monde naturel soit un système
d’interdépendances tout a sa place et sa fonction. Les êtres vivants ont mis longtemps à construire ces relations entre
eux-mêmes et vis à vis de leur environnement. La nature est une communauté toute chose vivante vit aux dépends de
quelque chose d’autre. La nourriture, même vegan, n’est-elle pas le produit mort d’une nature qui fut autrefois vivante?
Dans le royaume zoologique cela veut dire qu’un régime à base de plantes ou à base de viande ont leur propres raisons
d’être : la prédation n’est ni une anomalie quantitativement négligeable ni une déficience éthique de l’écosystème
(Plumwood 1999).
Au risque de généraliser, je vois un manque d’attention vis à vis de l’environnement ainsi qu’une critique
environnementale dans le discours des défenseurs des animaux. L’urbanisation, l’optimisme technologique et la
survalorisation de l’espace citadin (Lemaire 2002) sont tenus pour acquis. J’ai rencontré des militants pour les droits des
animaux -de ceux qui vivent dans d’immenses blocs d’immeubles de villes nord américaines- qui se sentaient investis de
la mission de convaincre le peuple Inuit du grand nord de migrer vers le sud : abandonnant leurs terres gelées vivaient
leurs ancêtres depuis des générations, ils pensaient que ces peuplades pourraient ainsi se créer un mode de vie plus éthique
vis-à-vis des animaux et devenir végétariens (chose qu’ils ne peuvent se permettre dans leur environnement actuel)...
Je me suis également rendue dans des refuges pour animaux, de ceux dirigés selon le principe qu’on ne confie pas
d’animaux à des personnes possédant un jardin de peur que, si ces animaux s’échappaient, ils puissent se faire tuer en
traversant la route. Mais être enfermé entre quatre murs est sans doute une vie moins enviable qu’une mort accidentelle
sous les roues d’un camion...
Beaucoup de défenseurs des animaux évoluent dans un monde la technique tient la première place, l’être humain
domine et pense que cela est un dû. Par exemple, l’hégémonie de la voiture dans le monde moderne ne fait pas partie de
leurs préoccupations. Quoi que représente la voiture, ce mode de transport privé est cause de nombreux décès d’animaux.
Selon Wildecare, association pour la réintroduction de la faune sauvage à Toronto, la plupart des blessés ou des orphelins
animaux que l’on leur amène sont des victimes de la route et non victimes de prédateurs. Tandis que les voitures génèrent
de nombreuses morts et blessures, la construction de nouvelles infrastructures pour un trafic en constante augmentation
cause de manière indirecte de plus en plus de dommages à la faune (décès d’individus voire disparition de certaines
populations) par la détérioration ou destruction de leur habitat naturel. Nombreux sont les protecteurs des animaux qui
n’ont pas conscience des violences qu’impliquent le bétonnage d’une partie d’un paysage ou la construction d’une route.
Nous ne voyons pas beaucoup de traces de sang mais ces entreprises déciment des populations entières d’animaux et de
plantes (Livingston 1994).
En résumé, le mouvement pour la protection animale tend à considérer l’animal comme s’il était un être isolé, un
consommateur-citadin, vivant à l’écart de tout contexte écologique. De tels errements mènent à une forme de
réductionnisme: le réductionnisme individualiste.
Réductionisme écosystémique
Les animaux sont pour les radicaux écologistes - en tout premier lieu et avant tout- des animaux sauvages, c’est-à-dire une
faune vivant dans la nature. Ce ne sont pas les questions de sensibilité ou de cruauté qui sont centrales ici mais la nature et
l’environnement (Baird Callicott 1989). Incidemment, le mot environnement lui-même est problématique: cela signifie
littéralement ce qui nous environne et par définition, cela ne parle pas de nous. Dans le mot environnement, la séparation
entre nous et la nature est absolue (Noske 1997).
Les radicaux écologistes déconsidèrent ce qui ne touche pas à l’environnement ou ne contribue pas à l’écosystème. Ainsi,
les animaux de ferme ou les animaux de compagnie n’ont pas vraiment leurs faveurs. Leurs fondamentaux sont la nature,
les espèces et la biodiversité (Low 2001). Seuls les animaux inscrits dans un écosystème comptent à leurs yeux. Les
animaux ne sont que des représentants de leurs espèces, sont presque assimilés avec l’espèce ou l’environnement dont ils
font partie et l’animal en tant qu’individu est souvent prisé.
Les animaux non-indigènes semblent tenir le mauvais bout: ils ne font pas partie d’espèces dignes d’intérêt et ce ne sont
pas des individus qui attirent une sympathie à caractère éthique (Rolls 1969, Soulé/Lease 1995, Reads 2003). Bien
souvent, ils sont considérés comme de la vermine. Rats, chats, lapins, chiens, renards, chevaux, singes, cochons, chèvres,
buffles des animaux importés sciemment ou accidentellement par l’homme sur le continent Australien ou Américain
perturbent l’écosystème car ils menacent la biodiversité locale. Ces animaux sont susceptibles de détruire l’équilibre
originel. Ceux qui agissent en prédateurs font souvent disparaître des espèces indigènes dont les membres ne trouvent
aucune parade contre ces envahisseurs. Ces animaux herbivores rendus à l’état sauvage peuvent totalement dévaster les
habitats dont dépendent des espèces locales (Reads 2003). Bien malheureusement, cela est souvent minimisé ou ignoré
par le mouvement de protection animale.
Des verts de tendance radicale perçoivent ce type d’animaux comme appartenant à des espèces indésirables et prônent leur
destruction, par des moyens souvent inhumains. Jusqu’à présent, les parcs nationaux et les gardes de ces parcs avaient
l’habitude de tirer sur les “brumbies” (des chevaux sauvages) d’hélicoptère, massacrant indistinctement les individus,
décimant des populations et destructurant des familles entières d’animaux. Ainsi, sur le continent nord, les buffles d’eau
sont poursuivis et écrasés par des 4X4 équipés de pare-chocs anti-buffles, les lapins sont, quant à eux, à dessein
contaminés par des maladies mortelles, souvent transmises par le biais de puces infectées lâchées dans leurs terriers
(Reads 2003). Renards, chats et chiens sauvages sont tués par l’ingestion d’appâts empoisonnés. Par des cas relatés
d’empoisonnements humains (Bell 2001) et de très récents cas de nourriture empoisonnée en Chine (article de septembre
2002), nous savons les souffrances horribles qu’implique une mort par empoisonnement. Cela n’est guère différent pour
les animaux. Pour les radicaux écologistes, la souffrance des animaux sauvages et celle des animaux de ferme n’est pas
d’un grand intérêt.
Dans ce discours écologiste radical, la sensibilité est souvent traitée comme un sous-produit de la vie animale, de même
que l’individualité : nous découvrons que la sensibilité ne fait pas partie de la notion d’environnement, d’écologie ou de
nature.
Quelques radicaux écologistes tels que Aldo Leopold, Gary Snyder, Paul Shepard (cf. Leopold 1949, Shepard 1996),
présentent la chasse sportive comme un moyen d’être plus proche de la nature. Peu de radicaux verts sont critiques vis-à-
vis de la chasse sauf quand elle menace des espèces protégées et c’est alors le nombre d’animaux qui compte, plus que la
valeur des vies individuelles. Ils ne prennent pas non plus parti contre l’expérimentation animale. Mais, après tout, des
écologistes et des biologistes ne conduisent-ils pas eux-mêmes ce type d’expériences? Les expérimentateurs utilisent des
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