Chapitre 12

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FROM LES ENCLAVES
BARON MICHEL DE BRAWNEY
GRAND PRIX ACADEMIE DE PROVENCE
2002
Chapitre 13
Aux cruelles belles qui deviendront Jézabel
Aux blancs chevaliers, futurs satrapes sans sel
ITE, MISSES A L’EST
Résignés à expier leurs éhontés forfaits, nos héros
visitèrent, pour être absous, Vaurias-en-prouvencou, cité
enclavée en Drôme fantôme aux habitants fort délurés.
C’était là fief des Papes au chiffre quatre vingt quatre.
Ils logèrent chez l'habitant en ces avenants gîtes
meublés pouponnant leurs vacanciers : solution pratique,
économique, authentique qui ménage bourse et bourses en
bout de course. En prenant mieux le pouls de leur hôtesse
sexagénaire, replète maîtresse à face vultueuse, prêtresse
du sectaire, groupie de Jean et Marie.
Mais aussi celui de cette ville étrange qui se terre
en granges. Les rues, désertées à nuit tombée hiver et été,
ruent plus éthérées que Léthé. "Curieuse cité.. Un couvrefeu serait-il instauré ?" s'étonnait Asse, seul arpenteur de
ces rues orphelines où rôdait la menace de malfaiteurs
tenaces. « Apostés dans le noir avec leurs écumoires »
s'effaraient de vieilles bouilloires calfeutrées en boudoirs.
Partout ailleurs la Provence chante et danse comme
debout coq vaudou; les deniers ruissellent des escarcelles,
les caisses tintent sans discontinuer comme carillons à
Pâques fériées.
La ville était plus connue pour son attendrissant
Saint Jean que ses expositions bidons.
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Mais la fête de la lavande approchait. Bénie soit
Astarté , une vierge miss-corso allait être désignée. Arran
songea, gaillard, que quelques jolies jambes fermement
galbées allaient l'émoustiller. Il se rendit en mairie, s’offrit
juré : rien que de très banal, dans cette France estivale où
chaque semaine, dans les villes par dizaines, d’éphémères
misses de beauté sont plébiscitées par vacanciers et
notables assemblés. On l'accueillit fort bien, en grande
civilité. Et même on lui offrit deux places au défilé.
" Voilà des gens charmants, de bon tempérament"
appréciaient Asse et Arran, s'affairant pour tenir rang.
Les filles étaient admirables et pas toutes de notables.
Miss aux joues roses de joie, dauphines aux jambes bleues
de froid. La Dame de France aux élégants chapeaux reçut
carte de Provence pour signaler l'écho : elle perpétue
l’élégance, en dépit du vulgaire voté philosophie plénière
par les beaufs à glaires..
1
S'en retournant vers leur chambre par les venelles
belles, Asse et Arran devisaient quiètement. Soudain, ce
dernier, mis en verve par les misses, relata sans apprêt une
rude malice : il lui revenait en mémoire une blague
graveleuse issue d’annales anales ignominieuses. C'était
vestige de ces histoires plus usées qu'osées, narrées par les
officiers en quartiers éloignés pour égayer les dîners
ennuyeux des bourgeois sirupeux. Car à l’instant béni où
les dames se retirent- non de l'épi de l'époux en flamme
mais de la tables des sires - tous ces messieurs se bandent2,
sortent leurs cigares fumants, affûtent sans tourment leurs
blagues de régiment.
Je vous la cite ici, en vous prévenant que je suis
fort marri d’être si inconvenant. Baste, comme disaient les
1
2
Déesse phénicienne et chaldéenne de la fécondité.
De l’italien “ banda “ : s’attrouper. XIVème siècle.
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fastes ergastes3 de nouveaux Fouquets. Que les soustraits
et patentés Tartufes pas tentés me jettent sans barguigner
la première pierre. Qui me vilipenderait serait vite rabroué,
intronisé Arnulf parfait, renié par sa mâle parenté,
désavoué en Places et forteresses où se pressent en fasces
tous cocus en disgrâce.
Afin de célébrer Falstaffement4 ses éhontées noces
d’argent, une épouse infidèle recherchait ardemment un
présent fort bel, joyau extraordinaire qui ravît son ego et
l’alter. Car elle était de ces laborieuses butineuses qui
soupirent que l'homme est pire que neige : nul n'en sait le
nombre de centimètres, la tenue champêtre ou le diamètre
du col roulé, en dépit des essais de Pierre Perret.
Leurs deux prénoms, Brunehaut et Bohémond,
ayant même initiale5, un groupe de poulpes cochons
souffla un truc original, génial, à graver sur sa croupe
animale. Car elle appréciait grandement l’engouement pur
reître de son Seigneur et Maître pour ses reins engageants.
Elle se fit donc tatouer deux majestueux “ B “, un sur
chaque fesse près l'issue de détresse. Telle cette exjeunesse rebelle, belle comme clair mont sous tonnerre,
qui rendit aux hermines de ses Pères un cru hommage
fessu 6. Il fallut que ce fût armorié écu, qu’on crut rendu
plus écru dès que patiné sur sa peau satinée.
Il est donc établi sans déni que la majesté des
caractères gothiques fourre un côté sacré aux desseins
érotiques et fourbit l'élégance des armoiries de France en
offrant la faux aux faux nobliaux qui ont jeté bliaud.7
Ce ludique Hun graphique la rendit pudique. Sauf
pour le tatoueur hagard. Car la néo-fée, ex-lubrique aux
3
Esclaves prisonniers dans les antiques prisons romaines.
Sir John Falstof (1379-1459). Shakespeare en fit un débauché.
5
Brunehaut et Bohémond.
6
Authentique ; Canal +, La grande Famille, 1997.
7
Mot germanique ( XI ème siècle ). Longue blouse ample et unisexe.
4
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exotiques fellations, eût tôt fait la Sion sous sa prodige
tige qui ruait comme quadrige aiguillonné par dard en
voltige. Art oblige. Mais elle se repentit, bien tard, et déjà
repartie repoussa d’une répartie ses parties, se retira net,
satisfaite des faits du défait et de la gratuité arrachée au
pigmenteur amène. Amen.
C’était fort bel effet, apprécia le facteur qui prit
dans sa tournée un retard de deux heures pour mieux
oblitérer de son tampon encré cet écu à timbrer8. Et patiner
ces deux “B“ fluorés qui bilboquaient par à-coups sur ses
fesses à belle moue.
Soyez rassurés, le secret de l’écu armorié fut
jalousement gardé : cet écru fessu ne fut su que des élus,
jardinier, plombier, curé, maire et notaire qui
s'assemblèrent en plénières réunions pour tester de concert
si fier blason. Tant c'étaient là cinq Roberts, sain essaim à
dessein des dessins des seins ceints sous seing saint. Ces
Petits Roberts étaient plus fermes qu'homonyme
dictionnaire, précédaient La rousse en si clos pedigree.
Toute guillerette, elle acquit coquette dînette pour
repas de fête, décora plats très plats et assiettes en allusion
discrète, disposa toutes serviettes en gaufrettes, mijota
honnêtes moules ouvertes en antique recette, glaça les
bananes gaillardes " à la paillarde" sur un lit de rhubarbe.
La table fut savamment dressée : cierges effilés,
asperges entrelacées, phalliques appliques en cliques.
Le dîner fut donc idyllique malgré les exhalaisons
méphitiques de Bohémond, frénétique néphrétique. Dès
champagne bu, Brunehaut entraîna l’élu repu vers le lit
d'hallali, lalique relique joliment décorée de condoms plus
gonflés que bourses légionnaires en virée.
Cela ne manqua pas. Il la catapulta sur le grinçant
matelas, et en vaillant soldat l’honora plusieurs fois, peu
soucieux des deux gazeux renvois d'un foie d'oie sans foi
8
Héraldique : surmonté d'une couronne
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ni loi. Puis il la retourna ainsi que prévu. Lors notre
blasonnée en joie lui tendit son écu, éperdue de bonheur
devant la belle vigueur de son aimé seigneur. Que croyezvous qu’il arriva ?
Ce fut le serpent de l’amant qui creva9.
Nul cri de joie ravi préludant l’espérée sodomie.
Que nenni ! Silence curieux, furieux. Puis cet ingrat mâle
vociféra comme indécent dément, la frappa telle vile balle
sans daigner approcher de son fier trou de Baal 10.
Si vous avez compris, sachez vous taire. Sinon,
cherchez une vulvaire, faites une cure d’épures impures.11
A l'aube, ils visitèrent Simiane et la Ripert, repaire
de pairs pervers mi-vers mi-vair, épièrent le provençal en
stalle de Nazareth locale glorifiant pieux hébreux, hymnes
à la joie de Villéna. Ulcérés de n'avoir compris goutte, ils
s'allèrent en piété fraîchir sous la voûte.
Chapelle des pénitents où rôdent des impétrants,
dont la ferveur mystique rehausse les triptyques, bigotes
endimanchées, blettes bigarrées, bourgeoises chapeautées,
bannières dentelées, chevaux pommelés, boissons
gratuites, brocante, moules frites, notables à la diable,
manèges rutilants, flonflons entraînants. La fête est
permanent bonheur de Provence.
Mais pas de Templiers, Teutoniques, Maltais. Nos
aristocrates, de Malte et ordres exquis12, s'impatientaient.
Les ordres de chevalerie leurs étant familiers, ils en
savaient règle et qualité. La société médiévale se calqua
sur trois principales factions : les laboratores travaillaient
9
Libelle anonyme (Voltaire ?) sur le pédant Fréron.
Aussi appelé Trou du Diable par les hindouistes.
11
La réponse à ce rébus est B O B : non diminutif de Bohémond
12
Dénomination de certains ordres orientaux.
10
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et vivaient de la terre, les bellatores guerroyaient, les
oratores s'adonnaient à la réflexion et la prière.
Arran fit l'important et déploya ex-cathedra sa
science à Asse, confit en patience et grâce, à l'arrêt devant
les vitrines de librairies. Il avait repéré Lire et Ecrire vers
Simiane et Arcanes près le marché.
" Les ordres chevaleresques furent de trois types,
bien différents dans leurs missions altruistes, identiques
dans leurs conceptions élitistes. Il furent mythiques pour
exalter les vertus mystiques, monastiques en protection
des pèlerins, honorifiques réputés frivoles pour satisfaire
l'orgueil des néo-Savonarole et autres fols souverains.
Sans compter dans les légendes anciennes les récits
du Graal et autres prouesses individuelles dont celle de la
fameuse table Ronde plus légendaire que réelle : fausseté
nécessaire pour purifier une ère de violences intenses. En
ces rudes pays aux mœurs sauvages où la raison du plus
fort primait le droit, elle imposa des règles sages, s'opposa
aux actes de non-droit. Cela procédait du besoin confus
d'idéaliser la dualité éternelle de la nature temporelle en un
perpétuel combat du Bien et du Mal, créateur d’heur et
malheur pour Belles innocentes et Bêtes arrogantes.
" Donc Arthur, Artus, Lancelot, Galaad, le Graal sont
quête de bonheur et lutte contre les forces occultes ?"
hasarda le marquis plongé dans un essai sur la cécité.
Rendu maussade par cette lapalissade, le comte n'en
tint nul compte.
" La Table Dive de l'enchanteur Merlin était ronde
pour stricte égalité des convives. Elle procédait d'un côté
plus primairement festif que véritablement caritatif. On y
célébrait la vaillance des preux chevaliers sans jamais se
soucier des métayers. Treize sièges brossaient la scène des
apôtres en Cène. Seul le dernier, attribué à Judas Iscariote,
demeurait perpétuellement sans hôte.
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On affirme, mais c'est légende d'ancêtres assoiffés
de merveilleux, que les sièges jouissaient de pouvoirs
malicieux incrustant en grand mystère le patronyme du
titulaire et sa qualité souveraine, hors toute intervention
humaine. Cette marque s'effaçait pour faire apparaître, en
temps et heure, l'identité de l'heureux successeur adoubé,
présumé de bravoure supérieure au prédécesseur. Le cas
non échéant, une force mystérieuse rejetait le postulant.
De cette supposée épopée guerrière germa l'idée des ordres
militaires. Qui se distinguaient des ordres religieux
classiques dont la vocation était la contemplation ou
l'apostolat actif par le biais caritatif.
Leur création correspondait à une triple nécessité.
D'abord protéger les pèlerins se rendant sur le tombeau du
Christ13, sans cesse harcelés, pillés, massacrés ou réduits
en esclavage par les Musulmans. Ensuite régénérer la foi
qui se relâchait après les grandes peurs de l'an mil, de la
naissance du Christ à son incarnation, soit 33 ans
d'errements. Enfin et surtout canaliser la violence qui
enflammait l'Europe. Tant la féodalité barbare suscitait
d'innombrables conflits armés qui ravageait les provinces
et royaumes au gré des guerres entre souverains. Ou
suzerains qui battaient ban et arrière ban de leurs vassaux
pour brûler, piller, dévaster sans merci les biens de leurs
voisins prospères. Sans craindre les dommages
irréparables appauvrissant les plèbes misérables.
La Papauté détourna vers la Palestine l'outrance de
cette violence en résurgence. La codifiant et sanctifiant par
l'élan de ferveur mystique, promesse d'un au-delà
mirifique et de pillages épiques au détriment des
Musulmans hérétiques. Foi et butin joints soulevèrent des
populations entières14, l'Europe croisée se rangea sous la
13
14
Détruit en l’an 70 par Titus.
Prêches enflammés de saint Bernard et ses émules.
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sainte bannière gommant les différences ethniques, et
fusionna en belle fraternité, signe de chrétienté régénérée".
Profitant d'une grasse quinte de toux qui plia Arran
en deux, l'érudit marquis saisit son bout noueux :
" Les ordres chevaleresques hospitaliers et
militaires, aux strictes règles monastiques de pauvreté,
obéissance et chasteté, furent dédiés à la Vierge par saint
Bernard et Innocent III en concile à Troyes en l'an onze
cent vingt huit. Ce qui véhicula une erreur répandue :
Bernard n'inventa pas leur Règle. Son "Traité de la
nouvelle Milice" prouve qu'il ne la connaissait guère. Il est
seulement Père de la Règle Française.
Les ordres militaires furent créés comme les
"rabitas" musulmans, couvents-forteresses où s'empressent
les mystiques et se pressent les fanatiques de guerre sainte.
* Ordre du Temple, le seul authentiquement
guerrier depuis sa fondation.
* Ordre de Saint Jean de Jérusalem, puis de
Rhodes, enfin de Malte. Son Grand- Maître portait le titre
de " Gardien des pauvres de Jésus Christ". Car Godefroid
de Bouillon, refusant le titre de roi, n'accepta que celui
d'Asvoué du Saint Sépulchre15 .
* Ordre des Teutoniques, crée par des allemands
de Brême, qui plus tard contint les invasions barbares.
* Ordre du Saint Sépulcre pour protéger le
tombeau du Christ à la prise de Jérusalem (1099).
* Ordres de Saint Lazare, des Porte-Glaives de
Livonie, de Calatrava, d'Alcantara, de Montesa, de
Santiago, de Saint-Jacques-de-l'Epée, du Christ, d'Avis…
Les ordres honorifiques pullulèrent au gré des
volontés. Les deux plus répandus furent :
La Toison d'Or, symbole de l'orgueil triomphant,
police personnelle de la Cour de Bourgogne dont les
15
Royaume de Jérusalem, XIème siècle.
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membres avaient obligation de dénoncer tout complot
fomenté contre le prince, grand- maître de l'ordre.
L'Ordre de Saint Michel16 créé par Louis XI, en
riposte à la Toison d'Or. Il fut ultérieurement réuni à
l'Ordre du Saint Esprit créé par Henri III et dorénavant
appelés Ordres du Roi.
16
L'actuel Grand-Maître est le prince Louis de Bourbon, duc d'Anjou,
chef de nom et d'armes de la Maison.
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