Caisse unique : quel enjeu pour les soins ? Le 11 mars prochain, nous serons appelés à voter sur l’initiative pour une caisse unique. Le Comité central de l’ASI a clairement décidé de soutenir cette initiative qui touche un aspect structurel fondamental du système de santé. Toutefois, cette première étape vers une réorganisation du système doit absolument en engendrer d’autres. Pierre Théraulaz, président de l’Association des infirmières et infirmiers On connaît la thèse selon laquelle l’économie de marché vise toujours la plus grande efficience et mène donc aux meilleurs résultats. Cependant, une véritable concurrence dans le domaine de la santé ne peut exister que si les prestations et le prix sont déterminés par le marché. Dans le domaine de l’assurance obligatoire, ce n’est pas le marché, mais la LAMal qui régule les prestations et influence le prix au moyen de tarifs-cadre. Parallèlement, le cadre pour les primes est fixé par la Confédération. Par ailleurs, la demande dans ce secteur ne dépend ni des envies ni des ressources financières des consommateurs, mais bel et bien de leur état de santé. En termes de libre concurrence, les caisses n’ont que la possibilité d’aller à la chasse des bons risques. Ce qui mène à la création de caisses bon marché ou satellites. Changer chaque année de caisse n’apporte rien aux malades chroniques et aux personnes ayant besoin de soins : le travail administratif supplémentaire occasionne de nouveaux coûts qui seront répartis entre tous, patients de longue durée y compris. Comme il existe apparemment un semblant de concurrence, les caisses peuvent, sans avoir à rendre de comptes à ce sujet, utiliser à leur gré leur marge de manœuvre – au détriment des assurés. De l’assurance de base à la complémentaire Un exemple concret permettra de comprendre de quoi il en retourne. Une patiente souffrant de sclérose en plaques doit, si elle change de caisse, présenter toutes les ordonnances et garanties de remboursement. La nouvelle caisse ne craint généralement pas les démarches administratives visant à diminuer les soins requis. Autre exemple : certains assureurs maladie ont refusé d’indemniser les soins psychiatriques à domicile – jusqu’à ce qu’une décision du tribunal les y oblige. Ils s’étaient appuyés sur une interprétation erronée de l’ article 7 de l’OPAS. Ces exemples montrent les effets pervers de « la concurrence ». Tant que les assurances maladie pourront offrir des assurances de base et complémentaires et que la concurrence ne se joue pas sur l’assurance de base, l’intérêt des assureurs se situe au niveau des complémentaires. Ils essaient de déplacer le centre de prestations de l’assurance de base vers celui de l’assurance complémentaire. La nouvelle réglementation du financement des soins, adoptée par le Conseil des Etats, va clairement dans ce sens : le financement des soins de longue durée doit être basculé hors de l’assurance de base, afin que les assureurs maladie puissent ensuite l’offrir de manière lucrative via l’assurance complémentaire. Avec une caisse unique, les compagnies d’assurance privées devraient se limiter aux offres de l’assurance complémentaire, et la gestion tripartite de la caisse unique permettrait à toutes les parties concernées de prendre part à la discussion. Plus de transparence A l’heure actuelle, les négociations contractuelles sont menées pour la plupart des assureurs par santésuisse. Les résultats doivent être approuvés par chaque caisse. Santésuisse n’a toutefois pas d’influence sur les procédures administratives. Ce qui signifie que les fournisseurs de prestations établissent des décomptes pour un même patient selon des contrats différents et envoient des factures différentes aux destinataires. Les différences importantes au niveau administratif engendrent souvent des procédures de longue haleine, et le remboursement aux prestataires ou aux patients dure souvent fort longtemps. Avec la caisse unique, les systèmes de décompte seraient unifiés, ce qui simplifierait significativement les tracasseries administratives et permettrait une plus grande transparence. En finir avec l’arbitraire La situation de concurrence actuelle a pour conséquence que chaque caisse paie aussi peu que possible. Sur le plan administratif, le personnel est tenu de vérifier tout décompte pour voir s’il y a abus. Aux yeux de nombreux assureurs, les fournisseurs de prestations et les assurés ne sont pas seulement des clients, mais toujours des falsificateurs potentiels. Des critères unifiés pour l’évaluation des décomptes pourraient mettre fin à cette situation. Encore un exemple pratique : la vérification des décomptes des infirmières indépendantes a permis de constater des excès relevant du cynisme. Ainsi, le changement fréquent et coûteux d’un pansement pour un ulcère a soulevé la question suivante : est-ce qu’une amputation de la jambe ne serait pas plus économique ? Les prestations de soins ambulatoires sont remboursées par certaines caisses, mais pas par d’autres, tout dépend de la manière dont est formé le personnel des centres de prestations. L’ASI a dû mener à bien plusieurs procédures onéreuses en matière de financement des soins psychiatriques ambulatoires, puisque les plaintes doivent être déposées individuellement pour chaque caisse. Avec une caisse unique, ce problème serait simplifié. Pas de suppression de prestations La campagne des assureurs-maladie pour le « non », partiellement financée avec l’argent des primes (50 centimes par assuré), bat son plein. Le principal argument utilisé est la menace d’une réduction des postes de travail. Mais cette argumentation ne tient pas la route, parce que la caisse unique n’entraînera pas une diminution des prestations. Autrement dit, le volume de travail ne diminuera pas non plus. Il n’y aura donc pas de suppression d’emplois dans les centres de décompte des prestations, les dossiers seront simplement traités selon des critères standardisés par du personnel formé de manière uniforme. En revanche, les nombreux conseils d’administration et directions, fort coûteux, disparaîtront et bien entendu l’organisation faîtière santésuisse. On peut comprendre que ces postes à hauts revenus ne soient pas abandonnés de gaîté de cœur. Coûts de la santé et primes La Suisse dispose aujourd’hui d’un système de santé de haut niveau offrant d’excellentes prestations, et cela a son prix. Selon l’Office fédéral de la santé publique (OFSP), le système de santé coûte 50 milliards de francs, dont 33 milliards (deux tiers) sont à la charge des ménages. Mais on peut pas se baser sur l’idée que la création d’une caisse unique permettra d’influencer significativement l’évolution des coûts de la santé. L’initiative demande un changement de système en matière de financement, dans le but d’instaurer un meilleur équilibre social entre riches et pauvres. Un pas a déjà été fait dans ce sens avec le système de réduction des primes, mais celui-ci est appliqué fort différemment par les cantons. Les auteurs de l’initiative envisagent trois variantes pour le financement de la caisse unique : . une retenue sur le salaire, comme celle qui existe aujourd’hui pour l’AVS. Il s’agirait dans ce cas de prévoir un plafonnement, afin d’éviter des primes disproportionnées. . une prime par famille, déterminée proportionnellement au revenu et à la fortune du ménage et donc socialement plus juste. . un financement partiel par les collectivités publiques, notamment pour le maintien d’un système de santé public. Il appartiendra au législateur de développer un modèle de financement solidaire, respectant la situation économique des personnes assurées. En finir avec les primes par tête pour introduire des primes en fonction du revenu et de la fortune est une option pour laquelle les porte-parole des soins infirmiers se sont déjà engagés lors de l’initiative « la santé à prix abordable ». Car le système des primes par tête met aujourd’hui en question le financement des soins. Avec l’argument que faire porter les coûts des soins aux assureurs maladie, respectivement à ceux qui paient les primes, est inacceptable en raison des primes par tête. Nouvelle discussion de fond Il s’agit d’utiliser la campagne pour la caisse unique pour mettre en avant les questions de fond relatives au système de santé. Il est clair que la caisse unique ne résoudra pas tous les problèmes. Nous avons besoin d’un nouveau concept de politique de santé, qui prend en compte les quatre niveaux impliqués, à savoir les financeurs, les fournisseurs de prestations, les bénéficiaires de prestations et l’organisation structurelle. L’acceptation de l’initiative pour une caisse unique constitue un premier pas vers une réorganisation du système de santé, une étape qui devrait ébranler la discussion figée autour des réformes du système de santé.