Séance 4: Présentation des déterminants de la structure financière corporative et aperçu des politiques de dividendes. Contenu de la présentation: 1. Introduction et évidences historiques 2. Théorie de la non pertinence 3. Influence des impôts 4. Influence des coûts de détresse financière 5. Influence de la politique d’investissement 6. Influence du contenu informationnel des politiques de financement et de dividendes 7. Évidences empiriques 1- INTRODUCTION ET ÉVIDENCES HISTORIQUES Les théoriciens ont émis de nombreuses théories quant à la structure financière optimale d'une compagnie. Par contre, peu d'entre eux s'entendant sur les conclusions de leurs recherches, les marchés financiers et les dirigeants d'entreprises restent perplexes. Nous toucherons donc les principaux déterminants de la structure financière, soit le revenu (corporatif et personnel), les coûts de faillite, les problèmes de surinvestissement et l'effet de "signaling" (communément appelé le contenu informationnel des dividendes), afin de trouver celui ou ceux qui décrivent le mieux les décisions prises dans ce domaine. a) Tableau 1. Endettement et rendement en dividendes (Barclay, Smith et Watts, 1995) de 1963 à 1993. Endettement* Dividendes (Rendement )** Moyenne 25.17 % 2.35 % Écart type 17.82 % 3.44 % 25 centile 10.30 % 0.00 % Médiane 22.82 % 1.07 % 75 centile 37.47 % 3.93 % *Ratio d’endettement = valeur au livre de la dette divisé par la valeur marchande 1 de la firme. **Rendement en dividendes = dividende annuel divisé par le prix de l’action Variation significative de l'endettement: ¼ des firmes sous 10½%, ¼ des firmes audessus de 37%. Effet semblable au niveau du taux de dividendes. b) Figure 1. Ratio d’endettement et rendement en dividendes moyens de 1963-93: Relativement stable dans le temps. Les variations ponctuelles peuvent être attribuées à des variations dans la valeur marchande de la firme (on exprime l'endettement en fonction de la valeur marchande de la firme et les dividendes en fonction du prix de l'action). 1 Valeur aux livres de l'actif moins valeur au livre de l'équité plus valeur marchande de l'équité. La valeur aux livres est le plus souvent utilisée. Le choix des auteurs deviendra évident plus tard. 2- THÉORIE DE LA NON-PERTINENCE (Modigliany & Miller; 1958,1961) Sous une série d'hypothèses restrictives, ni la politique de financement, ni celle de dividendes ne devrait affecter la valeur marchande actuelle du compagnie. Seules les décisions affectant le côté droit du bilan, communément appelées la politique d'investissement, sont susceptibles d'influencer cette valeur. a) Hypothèses: Monde sans impôts (personnels et corporatifs); Coûts de réorganisation et coûts contractuels nuls (pas de coûts de faillite); Politique d’investissement fixe (donc pas d'influence des politiques et/ou des choix de financement ou de dividendes); Pas de coûts d’information et donc pas d’asymétrie d’information. b) Bien évidemment, ces hypothèses ne tiennent pas en réalité. C'est d'ailleurs en considérant leur inverse que l'on peut découvrir l'effet réel que les déterminants contenus dans ces hypothèses peuvent avoir sur les politiques de financement et de dividendes. Ainsi, en pratique, les hypothèses de ce modèle ne sont pas vérifiées. On en déduit donc que 4 facteurs sont susceptibles d’influencer les politiques de financement et de dividendes: Les impôts que paient la firme ou les investisseurs; La probabilité et les coûts de détresse financière; Les coûts associés aux flux monétaires discrétionnaires; Le contenu informationnel de ces politiques. 3- LES IMPÔTS La valeur d'une firme reflétera la valeur présente des flux monétaires provenant de ses opérations régulières avant impôts moins tout impôt sur ces flux (autant corporatifs que personnels). a) Influence sur la structure financière: Au niveau corporatif, les paiements d'intérêts sont déductibles d'impôts, alors que les dividendes ne le sont pas. M&M: La valeur d'une firme endettée est égale à la valeur d'une firme identique non endettée plus la valeur actuelle des économies d’impôt liées à l’endettement; Les revenus d’intérêts sont cependant imposables immédiatement pour les investisseurs, par opposition aux gains de capital, qui peuvent être réalisés et imposés dans des années subséquentes. Ceux-ci voulant maximiser leur rendement net d’impôt, ils exigent un rendement plus élevé sur la dette comme compensation. Ainsi: Plus de fonds propres: la firme paie plus d’impôt (coût direct); Plus de dette: la firme paie un taux de rendement plus élevé aux créanciers (coût indirect); Ceci réduit l’avantage comparatif de la dette sur les fonds propres; Plus une firme a d’échappatoires fiscaux et de crédits fiscaux, moins elle aura recours à la dette. b) Influence sur la politique de dividendes: Suivant le même raisonnement que pour la dette, les investisseurs devraient donc exiger un taux de rendement plus élevé pour les actions versant des dividendes, puisqu'ils sont imposés immédiatement sur ces derniers; La pénalité demandée devrait donc dépendre du taux marginal d’imposition des investisseurs. Comme toutes les firmes font face au même groupe d’investisseurs, elles doivent faire face aux mêmes pénalités; Il n'y a donc aucun effet sur la politique de dividendes. Par conséquent, on s’attend à ce que la politique de dividendes soit déterminée par d’autres facteurs que l’impôt. 4- INFLUENCE DES COÛTS DE DÉTRESSE FINANCIÈRE a) Théorie du compromis statique: Le ratio d’endettement optimal de la firme est fonction des bénéfices fiscaux de la dette et des coûts de détresse financière; Ce ratio d’endettement optimal est atteint lorsque l’accroissement marginal des avantages fiscaux procuré par l’addition d’un dollar de dette contrebalance tout juste l’accroissement marginal des coûts de détresse financière. b) Coûts de détresse financière: I. Directs: Il semble exister un effet d'économies d'échelles quant à ces coûts; plus une entreprise est grosse, plus ces coûts sont marginaux et donc elle devrait être plus endettée. Les coûts de détresse financière directs pondérés par la probabilité de faillite sont trop faibles pour être un facteur important dans la politique de financement. II. Indirects: Peuvent être très importants, autant pour les petites que pour les grosses compagnies; Les coûts sont rattachés aux changements de la politique d'investissement en situation de difficulté financière; Exemple de firme endettée. Ces coûts devraient affecter plus sévèrement les firmes à taux de croissance élevé (growth firms) Beaucoup d’opportunités d’investissement; Collatéral rare, la valeur de la firme résidant principalement dans ses opportunités d’investissement; il leur est donc difficile d'obtenir de la dette; Si la dette est effectivement obtenue, les coûts de détresse financière sont élevés, puisqu'ils sont reliés à des opportunités manquées. On s’attend à ce que ces firmes: a) maintiennent un ratio d’endettement2 faible afin de limiter les coûts de détresse financière qui y sont reliés; b) versent peu de dividendes afin de pouvoir investir les bénéfices réalisés dans des projets d’investissement rentables. 2 Les compagnies utilisent la valeur au livre dans ces ratios puisqu'elle représente mieux les actifs tangibles et donc elle impose des coûts plus élevés au financement d'opportunités par la dette. De leur côté, les auteurs utilisent la valeur marchande afin de mieux refléter les opportunités d'investissements. 5- INFLUENCE DE LA POLITIQUE D’INVESTISSEMENT: Coût associé au surinvestissement; le free cash flow problem. Free cash flows: des flux monétaires discrétionnaires qui ne peuvent être réinvestis de façon profitable dans la firme; problème présent chez les firmes de valeur: Entreprises matures avec peu d’opportunité d’investissement Flux monétaires discrétionnaires stables et élevés Valeur de la firme résidant principalement dans ses actifs Coûts de détresse financière moins élevés; Les gestionnaires de la firme peuvent être tentés d’utiliser les free cash flows pour continuer la croissance de la firme, soit en tentant d’augmenter leur part de marché dans un marché mature soit en diversifiant, alors qu’il serait plus rentable de distribuer ces flux aux actionnaires; Ce surinvestissement peut être réduit: En faisant converger les intérêts des gestionnaires avec ceux des actionnaires (détention d’actions par les gestionnaires). Ça réduit les coûts d'agence et augmente la concentration de l'actionnariat; En distribuant aux investisseurs les flux monétaires discrétionnaires en versant des dividendes ou en substituant du capital par de la dette (rachat d’actions financé par dette. Plus efficace, car plus de dette = plus de probabilité de faillite. Les gestionnaires évaluent mieux leurs utilisations potentielles de capital). On s’attend donc à ce que les firmes de valeur: a) maintiennent un ratio d’endettement élevé; b) versent des dividendes élevés. 6- INFLUENCE DU CONTENU INFORMATIONNEL DES POLITIQUES DE FINANCEMENT ET DE DIVIDENDES Les changements dans les politiques de dividendes ou de financement constituent de bons éléments informationnels, car le coût de communiquer une information fausse est élevé (ce qui a pour effet d'augmenter la crédibilité des gestionnaires). Contenu informationnel de la politique de financement L’émission de dette crée l’obligation d'un remboursement selon une séquence prédéterminée; L’incapacité de la firme à rencontrer ses obligations amène des coûts de détresse financière et peut causer sa faillite; L’augmentation du ratio d’endettement d’une firme est donc perçue par le marché comme un signal crédible que les dirigeants prévoient des bénéfices futurs plus élevés. Le marché réagit donc de façon positive aux transactions qui augmentent l’endettement. Contenu informationnel du dividende. Une augmentation du dividende est perçu comme un signal crédible que les dirigeants prévoient des bénéfices élevés pour les prochaines années. En effet, si la firme ne réalise pas les bénéfices espérés, les dirigeants devront couper le dividende, ce qui affectera négativement le prix de l’action. Ainsi: Le marché reconnaît qu’il y a asymétrie d’information: les dirigeants ont la meilleure information quant à la valeur réelle de la firme; Les dirigeants de la firme préfèrent émettre de la dette lorsque la valeur de la firme est sousévaluée et des fonds propres lorsqu’elle est sur évaluée; Le marché reconnaissant ceci réagit de façon positive aux transactions qui augmentent l’endettement et de façon négative à celles qui augmentent la capitalisation boursière; Le marché réagit généralement négativement à toute nouvelle émission. Cependant, il réagit moins négativement aux nouvelles émissions de dette. Théorie des préférences ordonnées ("pecking-order theory") La structure financière de l’entreprise est la somme des choix de financement passés faits par les gestionnaires. Le ratio d’endettement dépend du débalancement entre les opportunités de croissance et les flux monétaires (bénéfices non répartis) disponibles; La firme finance ses projets d’investissement par la source de fonds la moins dispendieuse; Ordre des préférences: bénéfices non répartis, dette, actions privilégiées, actions ordinaires en dernier lieu; La firme n’émet de nouvelles actions que lorsque sa capacité pour générer de la dette est épuisée; La théorie des préférences ordonnées implique donc que : Les entreprises ayant un taux de croissance élevé devraient avoir des niveaux de dette élevé; Les entreprises ayant un taux de croissance faible, des flux discrétionnaires élevés et peu d’opportunités d’investissement devraient avoir des niveaux d’endettement faibles; Conclusions opposées à celles offertes par celles des coûts de détresse financières et des coûts associés aux flux monétaires discrétionnaires. 7- ÉVIDENCES EMPIRIQUES: Barclay, Smith et Watts (1995): 6700 firmes sur 30 ans (1963-93); Des proxies sont utilisés pour représenter quantitativement les impôts, les opportunités d'investissement et le contenu informationnel; Régression pooled : les données pour les régressions en coupe et en série chronologique sont utilisées en même temps. En d'autres mots, chaque firme, à chaque année, est traitée comme une observation individuelle. En séparant la régression pooled entre régressions en série et en coupe, on peut analyser séparément (sans effet de corrélation) les différences entre les firmes à un moment précis dans le temps et les différences par firme au cours des années; Résultats préliminaires: Ensemble, les différents facteurs contribuent à expliquer de 2 à 30% des variations du levier financier. Les régressions en série chronologique ont peu de pouvoir explicatif en comparaison à celui des régressions en coupe. Variables substituts (proxy) utilisées et résultats: 1. Opportunités d’investissement: Puisque le prix des actions devrait normalement représenter le coût de ces opportunités et que ces dernières devraient être fonction de la taille de la compagnie, les auteurs utilisent le "market-to-book ratio". a) Market-to-book Rappel: Selon la théorie des coûts de la dette, plus les opportunités de croissance de la firme sont élevés, moins le niveau d’endettement et le rendement en dividendes devraient être élevés; Résultats: Relation négative significative entre ME/BE et le levier financier et entre ME/BE et le rendement en dividendes; L’augmentation de ME/BE de 0.77 (10ème rang centile) à 2.59 (90ème rang centile) est associé avec une diminution du levier financier de 14.3%; L’augmentation de ME/BE de 0.77 (10ème rang centile) à 2.59 (90ème rang centile) est associé avec une diminution du rendement en dividendes de 1.86%; En accord avec l'effet des taxes: les compagnies à au niveau de dette élevé (lowgrowth) sont plus susceptibles d'utiliser les crédits d'impôts relatifs aux paiements d'intérêts; En accord avec la théorie du compromis statique, mais en désaccord avec celle des préférences ordonnées. b) Variable “dummy” pour la réglementation Les entreprises réglementées sont moins sujettes de souffrir de sous investissement puisque le pouvoir décisionnel des gestionnaires est transféré à l'État; Plus une entreprise est réglementée, plus le niveau d’endettement et le rendement en dividendes devraient être élevés, car la stabilité des flux monétaires est assurée par l'État (et que les problèmes de sous investissement ont disparus); Résultats: Relation positive et significative avec le levier financier et le rendement en dividendes; La réglementation augmente le levier financier de 14% et le rendement en dividendes de 4.2%. 2. Impôts corporatifs: Variables “dummy” pour les impôts sur pertes reportées et pour les crédits d’impôts Les firmes ayant un taux marginal d’imposition faible et des crédits d’impôt à l’investissement élevés devraient avoir un ratio d’endettement moins élevé; On s’attend donc à une relation négative entre ces variables dummy et le niveau d’endettement; Résultats: Relation négative pour les crédits d’impôt, mais marginalement significative; Relation positive et significative avec les pertes d’impôt reportées. Ceci pourrait être expliqué par le phénomène de reverse causality. En termes simple, les crédits d'impôts liées aux pertes proviennent de pertes réelles et déclarées, ce qui a eu pour effet de diminuer la valeur marchande de ces firmes et d'augmenter leur ratio d'endettement. En résumé, les résultats des auteurs n'appuient pas l'hypothèse que les impôts ont un impact sur les décisions financières d'une firme. En réalité, les impôts sont décisifs lorsqu'ils servent de facteur décisif dans l'analyse de deux sources de financement semblables. La dette et l'équité n'étant pas comparables au niveau des coûts contractuels (contracting costs), les impôts ne peuvent donc pas aider à les départager. Tableau synthèse des résultats de BSW sur l’influence des politiques de financement et de dividendes sur la valeur de la firme Dette - théorie Résultat Dividendes - théorie Résultat BE/ME Réglementation + + + + Croissance des bénéfices + + + -* Pertes d’impôt reportées + Crédits d’impôts -* Ventes +/mixte + *marginalement significatif