Les Pyrénées romaines, la frontière, la ville et la montagne
Philippe Leveau
La communication présentée a porté sur les relations qu’entretiennent entre eux deux
paradigmes qui président à l’interprétation des données archéologiques relatives aux
Pyrénées romaines. Selon le premier, les montagnes constituent des frontières. Selon le
second, la montagne exclut la ville (romaine). Elle suggère de les abandonner.
Le point de départ est constitué par l’étude de l’historien moderniste D. Nordman sur les
frontières de la France et plus particulièrement par le chapitre où il décrit un « modèle
pyrénéen » de la frontière. L’article 42 du traité des Pyrénées disait en effet que : « les
monts Pyrénées qui avaient anciennement divisé les Gaules des Espagnes seront aussi
dorénavant la division des deux mêmes royaumes ». Les caractéristiques de cette
(prétendue) frontière étaient précisées dans une « Explication de l’article 42 du traité des
Pyrénées » rédigée par une commission qui, dominée par P. de Marca, imposa une
interprètation de l’article 42 repoussant la frontière vers le sud. Il s’agissait de construire
une « frontière historique », associant limite et frontière, deux notions distinctes
jusqu’alors. Conçue pour être une frontière de la paix, cette frontière fut en réalité une
frontière de l’hostilité. Elle apparaît donc comme une étape vers un « modéle bien
différent de ceux qui entassent des titres et des droits », celui de la « frontière naturelle »
qui, un siècle après, servit à tracer la frontière avec la Savoie.
De P. de Marca et de son époque, l’historiographie française a hérité l’idée (moderniste)
selon laquelle les Pyrénées romaines auraient été divisées par des frontières séparant deux
provinces du nord, la Narbonnaise et l’Aquitaine, et une province du sud, la Tarraconaise.
Par la suite, sur cette idée, est venue se greffer celle d’une frontière-espace constituée par
le massif pyrénéen qui serait une zone de transition. Cette proposition exploite (et
transfert) la problématique des frontières de Rome proposée par l’historien britannique,
Ch. R. Whittaker. Ce dernier a effectivement montré comment de part et d’autre du limes
romain s’étaient constitués des espaces à l’origine de nouvelles constructions territoriales.
Dans sa démonstration, il insistait sur une idée importante qui distingue sa proposition du
« front pionnier » de Turner. Ce dernier oubliant que l’Ouest américain était déjà peuplé
d’Indiens ne se souciait que des émigrants et traitait cet espace comme un territoire à
occuper, qu’il soit vide ou à vider de ses habitants. Ch. R. Whittaker présentait la
frontière comme une zone d’interaction et de confusion ethnique où la confrontation entre
Romains, indigènes romanisés et Barbares engendrait de nouvelles formations sociales.
Il faut rappeler la différence fondamentale qui existe entre la zone du limes à laquelle
s’applique à la rigueur le concept de frontière et la partie intérieure de l’Empire romain
où n’existent que des limites. Liant la notion de frontière aux formations étatiques
modernes, D. Nordman soulignait les inconvénients de son utilisation anachronique.
L’Antiquité ne connaît pas de frontières, mais seulement des limites qui sont des lignes et
non des espaces. Celles que les imperatores, Pompée puis Auguste ont tracées dans le
massif Pyrénéen sont celles des peuples et des cités dont l’assemblage en provinces ne
sanctionne pas nécessairement une appartenance ethnique. Dans le cas des Pyrénées, à
propos de Lugdunum, R. Sablayrolles a bien montré que Pompée avait créé un ensemble
« pyrénéen » en amalgamant des populations venues du versant sud des Pyrénées et des
Aquitains, puis l’avait inclus pour des raisons logistiques dans un ensemble aquitain.
Quant à la frontière entre Narbonnaise et Tarraconaise, l’historien néerlandais Ch. Ebel a
montré qu’elle ne s’impose qu’au moment de la réorganisation augustéenne. La
répartition des peuples entre les trois Provinces est conforme au projet (augustéen)
d’équilibrer les peuples aquitains. La qualification des Pyrénées comme un espace-
frontière suppose que des frontières internes auraient divisé les provinces de l’Empire,