PARTIE III: LE CONTEXTE HISTORIQUE DU 19è SIECLE COMME L'ARRIERE-FOND POUR COMPRENDRE LA PERSONNALITE ET L'ACTIVITE DON BOSCO Chap. 1: Le contexte socio-politique et ses incidences sur la vie de l'Eglise Art. 1. Les principaux problèmes 1848: c'est une année cruciale dans l'histoire de l'Italie du siècle passé. C'est le début de la divergence entre les aristocrates plus conservateurs, unis aux politiciens absolutistes de la Restauration après 1815, et la classe moyenne des libéraux, adhérents à une politique révolutionnaire, représentée par des figures telles que le Comte Cavour, Bettine Ricasoli, Urban Ratazzi, et après vers la fin de la vie de D. Bosco: France Crispi. Ce sont des hommes avec qui Don Bosco était en relation, et avec lesquels il a entretenu parfois des rapports cordiaux. Les deux classes socio-politiques opposées entraînèrent une agitation sociale et des bouleversements qui accentuèrent les divisions entre une Italie légale et une Italie réelle. Pour un homme comme Don Bosco, fortement enraciné dans la Tradition catholique, mais aussi aimant sont identité italienne, la rupture des relations entre Etat et Eglise devint une douloureuse réalité qui causa parfois un problème fondamental de conscience, spécialement là où le mouvement se tournait contre la papauté qu'il aimait ardemment. Dans les années après 1848 jusqu'en 1860, l'attitude de D. Bosco fut traditionnelle; seulement après 1860 son langage commençait à changer: la phrase habituelle "trône et autel" devint maintenant "religion et patrie", "bonnes moeurs et patrie" etc., exprimant synthétiquement comme dans une formule sa visée d'un ordre social et d'une idéologie politique idéale. C'est un fait qu'il a toujours montré du respect pour les bases constitutionnelles du nouveau régime, et qu'il a oeuvré pour la réconciliation entre Etat et Eglise, spécialement dans les dernières années. Cela contraste avec l'attitude officielle du S. Siège qui n'accepta jamais le fait accompli, et qui en 1874 interdit dans un Etat qu'on considérait "usurpateur" (le "non expedi"). Sur le plan socio-économique, l'Italie était encore bien loin d'être unifiée. L'unité politique avait beaucoup plus vite avancée que l'économie. Cela causa une crise sociale très sérieuse, et par conséquent un mouvement migratoire (vers les villes, vers d'autres pays et même vers l'Amérique). La migration est ainsi le problème social principal de ce siècle en Italie. Turin connut une énorme expansion démographique, économique et urbanistique. La population - au cours d'un siècle - devint 5 fois plus nombreuse (65000 au début du siècle et 320000 vers la fin du siècle). La révolution industrielle qui démarra après 1830, et créa des emplois nouveaux n'entraîna pas immédiatement le bien-être: les ouvriers avaient à peine le nécessaire pour vivre. Les étudiants (comme J. Bosco) qui dérivent d'une classe paysanne manquent constamment d'argent pour se payer les études, et doivent travailler à mi-temps, chercher d'obtenir des Bourses (par des concours académiques) pur continuer leurs études. Le paupérisme est le fléau social conditionné par les bas prix agricoles et les salaires de famine. P. ex. Turin, entre 1845 et 1849, furent enregistrés 33.000 mendiants ou clochards (soit 10% de la population de la ville) et la plupart n'avaient aucun logement. Note: des données intéressantes dans le livre de G.M. BRAVO, Torino Operaia. Mondo del lavoro e idee sociali nell'et à di Carlo Alberto, Torino, Fondazio et L Einaudi, 1968. Les immigrants de la ville étaient souvent des jeunes venant des villages pour un travail saisonnier: le plus souvent analphabètes. On comprend alors pourquoi l'oratoire classique (récréatif et catéchétique) était destiné à prendre la forme d'un centre d'alphabétisation et de rattrapage scolaire. Cet intérêt pour la culture et l'école populaire était d'ailleurs une préoccupation générale (le mouvement romantique avec ses pédagogues tels que Froebel, Pestalozzi, Girard); et au Piémont, il y a d'abord la législation scolaire réactionnaire du Roi Charles (1822), mais en 1848, la loi Boncompagni revendique un certain monopole de l'Etat, ce qui bouleverse la situation précédente. Cependant, l'Etat n'est pas en mesure de réaliser ses promesses, c'est-à-dire de réaliser une école publique accessible à tous. L'initiative privé resta irremplaçable. Les initiatives charitatives de D. Bosco (cours du soir et les différents atelier à partir de 1846) montrent à l'évidence combien fut rapide la réponse de D. Bosco à la condition sociologique des jeunes: il passe dans les villes, visitant les prisons, les logements des bas-quartiers, les hôpitaux, et il se rendit vite compte qui étaient ceux qui étaient les plus abandonnés et donc exposés à devenir mauvais. Il faut tenir compte du fait que dans les clergé tus étaient si enthousiastes pour entreprendre quelque chose. Non seulement c'était une situation inédite, nouvelle devant laquelle ils se trouvaient désemparés, mais plusieurs (comme Mgr. Fransoni) se méfiaient de l'instruction populaire, comme dangereuse pour l'ordre social. L'intervention de D. Bosco dans cette problématique socio-économique complexe fut d'abord de caractère charitatif et pastoral avant d'être éducatif et social. Il s'inséra dans le cadre des programmes assitentiels promus par l'Oeuvre de la Mendicité Instruite, à côté de J. Cottolengo, la famille Barolo, l'Amitié Catholique etc. Il s'agit là d'organisations philanthropiques de personnes aisées qui aidèrent directement et indirectement les établissements d'assistance sociale (à Turin une trentaine d'Instituts), mais 75% des pauvres restait en dehors de leur rayon d'action. La société de S. Vincent de Paul, crée par Frédéric Ozanam (à partir de la France 1833) cherchait à y remédier. Ce fut le premier pas vers un "mouvement social catholique" dans une période où le socialisme commençait à se développer. Ozanam était convaincu que la lutte des classes sociales pouvait être vaincu, si d'un côté les riches assumaient plus intégralement leurs responsabilités. Contre Cays (plus tard salésien) était promoteur de la Société de S.V. de Paul à Turin, fondée en 1850. On est encore loi de comprendre que l'engagement pour la justice ne peut se contenter d'ériger des caisses mutuelles, mais qu'il exige une intervention incisive et collective sur les structures de la société. Toutefois, un processus était amorcé qui sera la semence pour une prise de conscience qui aboutira avec la première encyclique d'un Pape sur l'ordre socio-économique: Rerum novarum de 1991, de pape Léon XIII. Sans s'en apercevoir très clairement, on s'éloignait progressivement d'une société basée sur les "ordres" (d'aristocratie, clergé, tiers-état) pour arriver à une société propre à une époque industrielle et tertiaire, basée sur la division des "classes" sociales. Les socialistes étaient les premiers à tirer les conséquences de ce changement; les catholiques ont suivi plus tard. L'Eglise se trouva ainsi confronté à un problème de société et de désir d'émancipation (politique - scientifique - idéologique) pour lequel elle resta malheureusement trop longtemps aveugle. Elle aima souligner les aspects négatifs ou ambigus de cette aspiration sans reconnaître suffisamment les aspects légitimes: elle condamna trop globalement le catholicisme libéral favorisé par Lamennais (Mirari vos de 1832) et ce qu'elle appela les "erreurs du siècle" (voir les documents Quanta cura et Syllabus de 1864): toute une série de libertés que l'Eglise reconnaît aujourd'hui comme "des droits de l'homme " étaient ainsi considérées condamnables. Une importance réunion d'évêques du Piémont, tenue en 1949 à Villanovetta, organisa - bien que de façon plutôt défensive - une action pastorale qui voulait intervenir positivement à créer par la presse ce qu'on peut appeler une opinion publique catholique. par la publication de journaux, livres et brochures on se rendit apte à participer au débat du moment dans les questions politiques sociales et religieuses. plus tard on arrivera à créer l'unité d'action entre les catholiques de l'Italie en organisant des Congrès annuels par une élite de laïcs devenus conscients des urgences du moment (premier Congrès à Venise en 1874). Art. 2. L'attitude générale de D. Bosco face à son temps La clef pour comprendre l'attitude de D. Bosco est celle de l'importance existentielle qu'avait chez lui sa mission sacerdotale. Il la concevait comme une tâche très vaste qui englobait tous les secteurs de ses multiples activités, y compris son engagement social, culturel et politique. Il adhéra ensuite à une vision traditionnelle et intégrale de la "société chrétienne" en donnant une nette priorité aux valeurs spirituelles comme anticipation du Royaume de Dieu. Bien sûr, il songe aussi à une société qui supprime l'ensemble des aliénations en formant des bons chrétiens et d'honnêtes citoyens. Mais, cet idéal il le voit se réaliser selon un modèle qui lui avait été inculqué dans la période de sa formation (la Restauration), un modèle donc plus tourné vers la conservation d'un passé, en concret l'Etat confessionnel avec son type de société bien stratifiée. Heureusement, son utopie (ou idéologie?) évolue un peu avec le temps. D. Bosco s'en aperçut que c'était inutile d'espérer que la société revienne encore au passé_ Il prend acte d'une certaine émancipation de la société politique face à l'Eglise en rompant avec l'idéal social de la "chrétienté". Dans son réalisme il arriva même à concevoir qu'il y a moyen de collaborer avec des personnes d'autres confessions et options politiques, au moins pour réaliser un idéal humanitaire. En collaborant avec eux et avec les institutions civiles, il revendique pourtant un espace propre selon ses options pastorales et sa conception de l'homme comme un être non seulement sacré mais destiné au salut éternel. Don Bosco se met toujours sur un plan pratique: ce qui importe ce n'est pas d'arriver à un accord idéologique avec ceux qui pensent autrement que lui mais de pouvoir conserver un terrain d'action où il peut agir comme il le conçoit; pour lui-même il ne voit pas comment un prêtre pourrait faire abstraction de sa mission sacerdotale, pastorale et éducative dans son action sociale. Don Bosco est convaincu que l'éducation a prise sur l'évolution de la société: il préconise la "régénération" de la société par l'éducation de la jeunesse. L'éducation chrétienne ne vise pas autre chose: en formant des bons chrétiens, on aura en même temps des honnêtes citoyens. Il lui est psychologiquement impossible de détacher son effort d'évangélisation (catéchèse, sacrements) de son effort pour la promotion humaine; il ne fait jamais une séparation entre les deux. Il considère ses initiatives de promotion comme plus urgentes par rapport aux pauvres (économiquement et socialement) qu'il associe très étroitement aux "abandonnés" à eux-mêmes, et donc exposés à devenir délinquants ou rebelles en mettant en danger les fondements de la société. Eduquer et civiliser, c'est donc pour lui un moyen pour prévenir des bouleversements violents. Certes, spécialement au début, il conçoit ses initiatives pour les pauvres et abandonnées selon le modèle classique de l'assistentialisme paternaliste, mais il élargira progressivement son horizon, en soulignant que l'avenir dépend beaucoup des jeunes eux-mêmes: avec l'aide provisoire des éducateurs ils deviennent graduellement des "acteurs". Il est attentif à leur restituer leur autonomie; après avoir appris un métier, après avoir acquis, après avoir acquis un diplôme, en soulignant l'importance du "devoir d'état" et l'acquisition des vertus, garantie sûre pour la réussite sociale, les jeunes sont appelés à s'insérer dans le monde ordinaire du travail. D. Bosco leur donne surtout le sens de leur dignité personnelle en tant que hommes, et de leur responsabilité pour leur propre avenir. On pourrait conclure que la "société chrétienne", d'abord conçue comme une réalité existante à maintenir de façon statique, avec les années et suite aux changements politiques intervenues, devint chez lui un idéal futur. Sa tâche est donc d'y contribuer dans la mesure de ses possibilités par une perméation et transformation de la société existante. De cette façon on peut même dire que son utopie sociale prend de plus en plus l'aspect d'un humanisme et d'un "personnalisme" chrétien. (voir P. BRAIDO, IL progetto operativo di Don Bosco e l'utopia della società cristiana, Quaderni di salesianum n°6, Roma, 1982). Nous constatons donc que l'utopie de D. Bosco d'une "société chrétienne" était pour ainsi dire un glaive à double tranchant: si d'un côté il impliquait une idéologie conservatrice (et en cela D. Bosco était déjà dépassé dans son temps), de l'autre côté, il impliquait aussi un projet opérationnel, ouvert vers l'avenir et la praxis, permettant de travailler dans n'importe quel contexte à la réalisation d'une société pétrie de christianisme, souvent sans s'afficher trop extérieurement. Art. 3. L'attitude politique de D. Bosco On se rappelle en général que D. Bosco était d'avis que dans les affaires strictement politiques il vaut mieux n'être "ni pour ni contre" (MO, pp. 216-218), ce qui lui permettait de continuer son travail d'éducation dans n'importe quelle conjoncture. La théorie du refus est en général basé sur trois faits 1°. le compte-rendu d'un colloque de D. Bosco avec Pie IX en 1867 tenu dans le contexte des négociations entre l'Etat et l'Eglise concernant les sièges épiscopaux vacants. Quand le Pape Pie IX lui demanda quels étaient ces choix politiques, sa réponse fut que sa politique était celle du Notre Père (MB 8, pp. 593-594). 2° Dans une lettre pastorale de Mgr. Bonomelli: Le clergé et la société moderne, publie en 1889, on affirme que Don Bosco, dès 1848 avait compris que s'il voulait atteindre ses objectifs apostoliques, il fallait nécessairement laisser de côté tout engagement direct dans les questions politiques. Cela, selon la lettre de l'évêque, avait permis non seulement d'éviter certains obstacles, mais encore de recevoir de l'aide et de l'appui de ceux dont on ne l'attendrait pas (MB 6, p. 688). Ce point de vue est confirmé par différents épisodes racontés par D. Bosco lui-même dans ses Mémorie dell'Oratorio par exemple là où il parle des festivités pour la promulgation de la Constitution piémontaise e 1848, et de son échec pour lancer son journal L'ami de la jeunesse. 3° Enfin, dans les Constitutions, à partir de 1864, Don Bosco établit expressément que tout engagement politique, direct ou indirect, devait être interdit dans sa Société religieuse. Bien que cette rigueur ne fut pas approuvée par Rome, Don Bosco y est revenu au cours du CG 1 en 1877, en réexprimant son désir de se tenir à l'écart de toute engagement politique. Comment interpréter son point de vue? Essayons de résumer en quelques idées l'attitude globale de D. Bosco et ses présupposés. Etre favorable (pour) à la politique gouvernementale c'était pour lui dans son temps choisir pour une conception anticléricale, révolutionnaire (= rébellion contre Dieu) et anti-papale. Le pouvoir temporel du Pape était pour lui (comme pour la majorité des catholiques de son temps) considéré comme indispensable pour préserver l'autonomie spirituelle de la tâche apostolique du Siège de Rome. Mais être "contre" c'était s'opposer à l'ordre constitutionnel légitime, qui selon les paroles du Christ en de S. Paul, doit toujours être respecté dans son autonomie propre aussi longtemps qu'il ne s'oppose pas directement contre les exigences de s Commandements de Dieu (voir p. ex. les textes du Cg 1). Don Bosco prend donc partie pour une vision pragmatique du processus politique: il faut s'adapter à l'ordre légal, exploiter ses chances positives, tirer le plus grand avantage possible de l'ordre constitué pour réaliser au maximum les propres objectifs pastoraux et éducatifs, sans s'immiscer directement dans les questions politiques (par une prise de position très nette). Fidèle à sa vision personnelle (son opinion privée) en tant que citoyen italien qui a droit d'avoir son point de vue sur la politique tout comme les autres citoyens du pays, D. Bosco a parfois manifesté sa préférence dans le climat politique serein qui régnait encore avant 1848 (un climat as encore polarisé entre un pour et un contre). Il a ainsi exprimé sa sympathie pour un néo-guelfisme modéré: le Pape serait le guide spirituel d'une Italie unifiée qui respecte son autonomie aux régions plus tard, dans un climat profondément changé, il a fait comprendre qu'il sympathisait pour une politique de conservatisme intransigeant, en refusant la doctrine de Cavour et plus encore celle de Mazzini, en montrant à l'évidence son aversion pour l'esprit révolutionnaire. Son intervention semble alors se justifier par l'intention de préserver les intérêts majeurs de la religion: en effet, il s'agit pour lui d'un dilemme ou la révolution gagne, ou bien la religion. Il ne conçoit pas qu'une révolution puisse être areligieuse ou même pro-révolutionnaire" d'ailleurs courante dans les milieux catholiques. Dans ce sens il ira jusqu'à exhorter les catholiques d'user massivement de leur droit électoral pour empêcher que la révolution supprime la religion (dans les L.C de 1854). Dans ce cas, il pensait que les valeurs éthiques et civiques (et la religion est aussi une valeur civique) ne pouvaient être sauvegardées que par l'Eglise; puisque les opposants politique s'attaquèrent aux institutions et biens de l'Eglise, 'ce qui signifiait pour lui attaquer en même temps les fondements d'une société civile), il pensait avoir le droit de protester publiquement. Il ne s'agit plus pour lui d'une simple prise de position politique mais de s'opposer à l'esprit du Mal qui exerce son emprise sur les "ennemis de l'Eglise". Mais soulignons-le: la fidélité à ses principes religieux et éthiques ne le provoque ni à une intervention proprement politique (par la polémique violente ou la contre - révolution réactionnaire) ni à des compromis un peu ambigus pour s'assurer un appui financier. Note: pour le premier cas nous pouvons citer G Margotti, ami de D. Bosco qui alla jusqu'à lancer dans son journal le slogan: (en 1857) "nè eletti, nè electtori" en exhortant les catholiques de se retirer complètement de la vie politique en forme de protestation. Pour le deuxième cas nous citons Giovanni Cocchi. Don Bosco a essayé de se frayer malgré tout un chemin dans les rapports complexes entre l'Eglise et l'Etat, prêt à servir tantôt l'un, tantôt l'autre (ou les deux) en vue d'une réconciliation ou au moins d'un modus vivendi qui permettait à l'Eglise de continuer à accomplir sa mission pastorale. Si néanmoins (presque malgré lui) il fut quand même impliqué dans des affaires politiques et des négociations concrètes, ce fut toujours dans l'optique d'un (serviteur de l'Eglise,) un médiateur et diplomate, invite ou au moins accepté dans son rôle par les deux parties en litige (l'Etat et l'Eglise) et dans le but de sauvegarder les intérêts majeurs de l'Eglise. Si parfois il est intervenu par sa propre initiative, ce fut plutôt comme un prophète religieux, non parce qu'il s'intéressait aux questions politiques comme telles mais parce qu'il était conscient que certains événements politiques entraînèrent des effets ético - religieux néfastes. Comme médiateur il put jouer un rôle providentiel pour débloquer la situation dans la nomination des évêques et dans d'autres questions connexes (voir par ex. l'article de F. MOTTO, L'azione médiatrice di Don Bosco nella questione delle sedi vescovili in Italia dal 1858 alla morte di Pio IX (1878), in Don Bosco nella Chiesa a servizion dell'umanità, pp. 251-372.) Nous risquons d'émettre ce paradoxe: objectivement parlant, Don Bosco fut impliqué dans presque toutes les grandes questions politico-religieuses de son pays et de son temps, mais subjectivement, il aurait refusé d'admettre qu'il s'agissait là d'interventions politiques. Art. 4. Les principales transformations socio-religieuses Les transformations que l'Italie a subi au siècle passé se prêtent à une répartition en deux phases, ce qui correspond grosso modo aux deux moitiés du siècle. La mentalité religieuse évolue en stricte liaison avec ses transformations. a) La première moitié du 19è siècle Pour le premier lustre du 19è siècle, P. Stella fait mention de "fentes" et de "crises religieuses" produites par des faits et des idées ayant leur origine dans les attaques du déisme, du gallicanisme et du jansénisme français. Pendant la Restauration, le climat était favorable à l'Eglise La politique de l'union du trône et de l'autel, l'extinction des frondes gallicanes et épiscopales en faveur de l'ultramontanisme le romantisme avec son anti-intellectualisme, la philosophie traditionaliste, ce sont autant de facteurs qui se lient pour favoriser une reprise de l'influence de la religion et de l'Eglise. L'Eglise catholique répond très vite à la nouvelle demande religieuse en organisant les missions populaires, en stimulant la fondation de nouvelles congrégations, en s'engageant dans l'assistance caritative et dans l'éducation de la jeunesse. Les sermons orientent les chrétiens vers la conversion à une fidélité renouvelée à l'Eglise et à la foi catholique. La Restauration avait donc comme but le renouveau de la société dont la pierre angulaire était la Religion, qui - toujours dans l'optique de sont temps - trouva son meilleur garant dans la monarchie royale. La clef de la transformation est donc à chercher dans un mouvement de conversion personnelle et de contre-révolution opposée aux idéaux de la Révolution française, conçus comme - en soi - opposés à l'esprit chrétien: il est courant de parler de "l'orgueil des lumières" et du "chaos révolutionnaire". Au contraire, on voit la Religion comme sa seule force qui a été capable de résister au pouvoir impérialiste de Napoléon. Dans les traces d'auteurs français (L. de Bonald, J. de Maîstre, F. de Lamonnais), on souligne l'impuissance humaine pour comprendre les vérités de la foi, et encore moins pour s'orienter vers le salut éternel. Il faut revenir - insistent ces auteurs - à une attitude d'obéissance à la volonté divine, conditionnée par la soumission à l'autorité de l'Eglise, seule dépositaire des vérités et des moyens de salut. Les orateurs dans leurs prédications avertissent continuellement leur public du feu révolutionnaire qui couve encore et qui pourrait s'embraser de nouveau si on n'y fait pas attention. Ils encouragent les fidèles à se tourner vers Dieu et à demander l'aide divine pour que le "hydre de la révolution" ne reprenne pas vigueur. Ses tentacules sont certes coupés, disent-ils, mais ils peuvent à tout moment repousser et d'aucuns les voient déjà en train de renaître dans sociétés secrètes, la francmaçonnerie, les carbonari et dans la Giovane Italia. L'esprit de la Restauration donne lieu à un type de pastorale où des accents de rigueur, de sévérité et de contrôle prennent la prédominance et où le sérieux de la vie chrétienne est fortement souligné. Sortie victorieux d'un combat long et épuisant, l'Eglise aura désormais à soigner ses plaies internes: ignorance et formalisme religieux, en organisant une vaste entreprise d'évangélisation. Les visites pastorales des évêques et les synodes se multiplient; des confréries et des unions pieuses renaissent. Elles portent à l'avant plan un christianisme de la "voie étroite". Le renouveau se manifeste également sur le plan des oeuvres sociales et éducatives (cfr. les noms de Petitti di Roreto - L. Valerio - G. Faletti di Barolo et d'autres encore). Brunone Lanteri et les "Amitiés" fondées par lui travaillent d'arrache-pied pour diffuser des bons livres et donc d'idées qui peuvent constituer un contrepoids aux idées illuministes. C'est dans ce milieu des Amitiés et du Convitto ecclesiastico que va naître une réaction contre le rigorisme moral et pastoral en propageant un christianisme plus optimiste, une pastorale plus clémente et indulgente, permettant d'atteindre des résultants plus satisfaisants parmi le simple peuple chrétien. Ce n'est donc pas par un esprit de relâchement ou d'un laisser-aller, mais, en considérant la participation plus facile aux moyens du salut ( et donc à la grâce de Dieu) comme le meilleur antidote contre l'affaiblissement de la foi et des bonnes moeurs, que cette attitude deviendra prédominante dans l'Eglise catholique dans la deuxième moitié du siècle. Dans le changement d'attitude pastorale joue également un rôle le romantisme religieux français, spécialement de François-René de Chateaubriand (+ 1848) bien connu en Italie parle livre : Le génie du christianisme (1802), traduit en italien en 1822: le rôle de la religion sur la société y est clairement affirmé: plus précisément le christianisme est selon lui la religion du coeur et de la fantaisie. Il réagit ainsi à une présentation aliénante de la foi catholique. Il ne cesse de faire l'éloge des effets très positifs que le christianisme a eu sur le progrès de l'histoire et de la société. Il réhabilite ainsi le christianisme aux yeux des incroyants et des libertins. Il aide puissamment à présenter un christianisme de joie et d'amabilité représenté par François d'Assise, François de Sales, Philippe Néri, Vincent de Paul, et surtout Alphonse de Liguori (béatifié en 1816; canonisé en 1836). L'influence de Chateaubriand, ensemble avec le liguorisme, aideront au prévaloir de la "bénignité" morale. b) La seconde moitié du 19è siècle L'utopie conservatrice est dépassée par le cours de l'histoire vers la moitié du siècle. Tout se concentre sur le droit d'investiture du pouvoir par le "peuple", même si en pratique le peuple n'est rien d'autre que la classe bourgeoise capitaliste qui veut se substituer à l'aristocratie terrienne. Les rapports entre l'Etat et l'Eglise deviennent tendues, portant à une opposition et parfois à une totale séparation. Le Risorgimento est avant tout un mouvement nationaliste qui forme la charnière entre la Restauration et le libéralisme triomphant (avec la disparition du pouvoir temporel des papes comme conséquence). Pour Resorgimento, les intérêts de l'Eglise et de la Nation italienne en gestation, coïncidaient. Il fallait seulement que le Pape prenne la tête du mouvement national. Pour les néo- guelfes, l'unification du pays se serait réalisée dans une confédération des différents états italiens existants sous la présidence du souverain pontife. L'exaltation du rôle social de la papauté, déjà prônée par J. de Maîstre et F. de Lamennais, trouvait son représentant principal dans la personne et les oeuvres de V. Gioberti. Le refus du Pape Pie IX à jouer ce rôle (principalement pour des raisons spirituelles liées à sa tâche de chef de la chrétienté universelle) a porté à un changement brusque d'attitude: d'un coup le Pape devint l'ennemi principal de l'Italie, à condamner comme un traître, à combattre par tous les moyens. Par ricochet, les pasteurs et aussi les laïcs (même ceux qui d'abord avaient sympathisé avec la cause nationale) étaient pressés à prendre une attitude d'intransigeance par rapport au régime nationaliste et libéral. La société italienne se trouve fatalement polarisée entre cléricalisme et anticléricalisme. L'Etat abolira graduellement tous les privilèges historiques de l'Eglise catholique, créant ainsi toujours plus d'espace pour des mouvements concurrentiels (franc-maçonnerie, Eglises protestantes (vaudois, baptistes). Le contraste entre l'adhésion à l'Eglise catholique et la cause nationale suscitera chez la classe progressiste de la société italienne, une incrédulité peut-être plus dangereuse que celle du Siècle des Lumières. On est sur le chemin de la sécularisation (laïcisation) du pouvoir politique et de toute la structure de la société (par ex. par l'introduction du mariage civil). On aboutit à la confiscation des biens de l'Eglise, à l'affirmation de la suprématie juridictionnelle de l'Etat sur l'Eglise: juridictionnalisme - (jacobinisme - régalisme). Selon l'idéologie derrière ces courants juridiques, l'autorité civile est première et antérieure à l'autorité ecclésiastique. L'Eglise, en tant que institution (réalité extérieure) survient dans l'Etat. Elle y est accueillie et grâce aux lois civiles elle y acquiert une personnalité morale et juridique. C'est donc l'Etat qui exerce une tutelle sur l'Eglise: situation inverse de celle connue pendant la Restauration, où l'Eglise exerçait une certaine tutelle sur les institutions civiles. Ce changement est d'abord interprétée par la hiérarchie catholique comme profanation, sacrilège, violation du droit naturel, renaissance de l'esprit jacobin de la Révolution française. Dans ce sens réagit aussi D. Bosco dans son almanach fort répandu parmi le peuple, et intitulé Il galantuomo. Art. 5. Interprétation des événements et réactions de l'Eglise L'aperçu, en vol d'oiseau, des transformations socio-politiques les plus importantes, nous fera mieux comprendre la réaction de l'Eglise et le pourquoi de ses prise de positions. De l'avais de beaucoup de catholiques, l' "indifférence religieuse" et la "déchristianisation" initiées au 18è siècle, allèrent en se généralisant. Elles atteignent désormais les couches populaires, au moins dans les villes. Elles aboutissent à l'apostasie, la perte totale de la foi chrétienne. 1. L'Eglise constate - vers la moitié du siècle - que ses structures ne sont plus à la hauteur du temps (par ex. son organisation paroissiale à Turin). Le facteur responsable pour cette insuffisance c'est la mobilité de la population qui - surtout parmi les jeunes prote à se détacher de la paroisse territoriale d'origine. La culture de la chrétienté traditionnelle n'a plus d'impact sur eux. Ils s'aliènent peu à peu des valeurs religieuses et morales. Issus de la familles où l'observance religieuse était inculquée par l'autorité des parents, et les traditions, ils sont livrés à un nouveau milieu et ne savent pas gérer la liberté ainsi conquise. Si les jeunes migrants participent aux pratiques religieuses, c'est souvent parce qu'ils sont attirés par l'éclat des églises urbaines. C'est en général un lent processus de désaffection qui s'amorce, une usure qui fait abdiquer se religion, le plus souvent par respect humain face aux collègues de travail qui les entraînent vers un relâchement progressif: ils voient les quelques heures libres du dimanche comme des rares occasions pour se divertir et pour oublier un bref moment leur exploitation capitaliste. 2. Le conflit Etat-Eglise, libéralisme et conservatisme, ne faisait qu'accentuer la polarisation croyant-incroyant, pratiquant - non pratiquant, en assimilant ces non-pratiquants aux "indifférents" en voie de devenir des hérétiques, incrédules ou apostats. Le développement des sciences modernes, souvent en conflit avec les idées reçues depuis de siècles (mais confondues parfois avec les vérités de la foi) emmenait une tendance agnostique et souvent ouvertement irréligieuse: c'est le début de l'athéisme contemporain et militant. Les catholique, qui en marge des institutions politiques de l'Etat italien libéral, cherchaient à réunir leurs forces dispersées dans l'Opéra dei Congressi (à partir de 1874) ne cherchaient pas au fond un rapprochement avec les libéraux (et la société moderne laïcisée) mais ils voulaient mettre sur pied une organisation confessionnelle pour préserver l'impact de l'Eglise sur les masses populaires fort influencées par la presse libérale et socialiste dans les villes (les journaux). Dans un premier temps au moins c'est plutôt une tentative pour récupérer l'impact perdu sur les masses populaires et une réaction défensive à l'émargination socio-politique. Plus tard on évoluera vers une "conscience politique" d'où naîtra la "démocratie chrétienne", et son parti. L'indifférence théorique, mais surtout pratique (de celui qui croit à une religion, mais n'en pratique pas les devoirs) est le fantôme qui épouvante les auteurs de la littérature religieuse de la seconde moitié du 19è siècle. Don Bosco aussi parle dans le même sens du "poison mortifiant de l'indifférentisme et de l'incrédulité" (dans une brochure pour célébrer un jubilé, où il fait sienne l'analyse du Pape sur les événements des années 50). Comme pasteur des jeunes D. Bosco sera constamment préoccupé d'endiguer les dégâts du phénomène de l'indifférence sur le plan de l'éducation et de l'enseignement des jeunes et du simple peuple. Les symptômes de la crise qui sont continuellement cités sont: le manque de pratique du repos dominical, la non-observance de l'assistance à la messe du dimanche (et des fêtes de précepte), la transgression du jeûne et de l'abstinence du carême, la négligence de la communion et de la confession, le manque de participation au catéchisme et aux actes de dévotion (par ex. le rosaire); c'est encore la "profanation" du dimanche par les divertissements malhonnêtes qui est souvent répétée. On dénonce aussi - et D. Bosco ne fait pas exception dans ses lectures catholiques - tous ceux qui (dans le cadre du libéralisme économique sauvage) s'enrichissent rapidement ou mènent une vie facile, en négligeant leurs devoirs religieux, oublieux de penser à leur salut éternel. Au moment où les manifestations politiques (patriotiques) et les congrès socialistes et scientifiques sont à la mode, les catholiques à leur tour, cherchent de donner un caractère plus public à leurs convictions et expressions de piété (congrès eucharistiques et marials) en donnant ainsi un témoignage social. Note bibliographique: ces quelques articles sont un résumé de quelques chapitres dune thèse de J. SCHEPENS, Pénitence et eucharistie dans la méthode éducative et pastoral de Don Bosco (UPS, Rome 1986): Première partie: Don Bosco, apôtre, éducateur et auteur d'une époque en pleine transformation. P. STELLA, Don Bosco_ Vol. II: Mentalità religiosa e spiritualità, Roma, Las, 1981 (2 éd.). Chap. 2: Le contexte ecclésiastique, pastoral et pédagogique. Eclosion d'une pédagogie préventive Art. 1. L'Eglise catholique du 19è siècle en Italie: caractéristiques générales On adresse en général deux critiques à l'Eglise de l'Italie au 19è siècle: 1° une incapacité du catholicisme en général, et de l'Italie en particulier, pour développer, en correspondance avec les besoins du temps, une action sociale adéquate, dans les sens d'une vraie justice (en non seulement d'une charité); 2° un attachement farouche à une organisation temporelle et à un statut civil dépassé. Cela lui a empêché - dit-on - de comprendre la portée universelle et foncièrement bénéfique des revendications du Risorgimento et du libéralisme qui cherchaient seulement un nouveau rapport entre l'Etat et l'Eglise; entre religions et Société. Elle aurait dû y voir une libération d'un engagement sociopolitique devenu trop lourd. Dans ce sens, on la reproche de ne pas avoir été assez animé par des préoccupations spirituelles (dans le deuxième cas) tandis que dans le premier cas, on la reproche qu'elle n'a pas su s'engager à temps dans une action sociale libératrice au-delà de l'action de charité émanante des fondateurs religieux et d'une poignée de laïcs apôtres. Qui a raison? Quoi qu'il en soit il ne faut pas généraliser trop. On a souvent sous-estimé la variété des réactions de l'Eglise dans ses diverses composantes. Avant de juger, il est nécessaire de jeter un regard sur la vie de l'Eglise comme un organisme vivant, sa vie intérieure et ses motivations. Dans ce siècle, s'effectuent pleinement et arrivent à pleine maturité de réalisation les directives spirituelles et disciplinaires du Concile de Trente: * centralisation de l'Eglise par souci d'unité ce qui nécessite un prestige croissant de la papauté (on parle de "dévotion au Pape") et des Evêques au niveau de leurs églises locales. * le développement d'une apologétique et d'une philosophie chrétienne comme réponse au besoin de défendre la foi dans une société devenue ingédule. * l'organisation des petits-séminaires et des grands-séminaires * la multiplication des oeuvres de charité. Nous constatons l'apparition d'un laïcat actif, avec une physionomie propre, ce qui est relativement nouveau dans l'histoire de l'Eglise catholique: ce laïcat commence à s'organiser et sent sa propre responsabilité pour la marche de la vie sociale, au- delà de l'oeuvre des évêques et prêtres. C'est un laïcat qui s'éveille lentement pour assumer des tâches de dirigeants; et ça et là des prêtres sensibles aux signes des temps commencent à associer directement des laïcs à l'oeuvre pastorale des prêtres (par ex. Luigi Guala et Antonio Rosmini). On constate encore un regain de prestige de la religion (surtout à l'époque de la Restauration), le sens de la Providence, l'impact du surnaturel sur l'histoire humaine. C'est un fait qu'on donne grande importance aux visions, songes, révélations, prophéties, faits extraordinaires; des offertes arrivent pour les oeuvres de charité de façon inattendue; les faits charismatiques abondent même aux milieu du monde (non seulement dans les couvents). Il y a un retour du peuple à une pratique traditionnelle de piété dans les zones rurales; les pèlerinages connaissent un grand succès. A cela aide peut-être la psychologie d' "état de siège" qui règne dans l'Eglise: on vit dans un climat de lutte, mais d'une lutte qui porte visiblement à des victoires malgré les multiples attaques du Mal. Art. 2. Les points névralgiques de la vie de l'Eglise a) Rosminianisme et giobertisme Sujet de discussion intense furent les oeuvres de A. Rosmini (1797-1855), prêtre, proclamé Serviteur de Dieu, philosophe, théologien, et fondateur d'une société religieuse "Institut de la Charité". En 1849, deux de ses oeuvres furent mises à l'index: Delle cinque piaghe della Santa Chiesa (Lugano 1848) et La Costituzione civile secondo la giustizia sociale (Milano 1848). Les maux qui affligent l'Eglise de son temps sont principalement cinq, comme les plaies de Jésus crucifié: 1) la séparation du Peuple de Dieu du clergé dans le culte public; 2) la formation insuffisante du clergé; 3) le manque d'union entre les évêques; 4) la nomination des évêques trop influencées par les pouvoir temporel; 5) l'asservissement des biens de l'Eglise au pouvoir politique. Son activité intellectuelle visait une réconciliation du christianisme avec les idéaux modernes, à travers un renouvellement tant de l'Eglise que de la Société. Selon lui, l'Eglise, libérée de compromis politique, devait s'adonner plus fortement à sa mission spirituelle. A ses idées adhéraient beaucoup d'intellectuels chrétiens de son époque, parmi eux le futur archevêque Lorenzo Gastaldi, sous l'influence de l'université de Turin. Le rosminianisme occupe sans doute une place de choix dans la vie culturelle et intellectuelle du Piémont; ce courant s'est souvent présenté comme une troisième voie pour la solution des différentes questions disputées du moment. Dans l'appréciation de l'oeuvre de Rosmini il faut distinguer la personne (l'intégrité de sa vie) et ses doctrines. La doctrine ecclésiologie et liturgique de Rosmini qui a suscité des polémiques tout au long du siècle, ne pouvait pas encore être acceptée, tellement elle devançait le temps. D. Bosco, qui se déclarait toujours incompétent pour juger sur son système philosophique et théologique, a toujours conservé une grande estime pour la personne de Rosmini, dont il avait reçu des aides économiques non négligeables. Vincenzo Gioberti, ecclésiastique lui aussi, poussa dans ses oeuvres Il gesuita moderno et Il primato morale et civile degli Italiani (1843) à l'extrême l'idée que la religion chrétienne était destinée à jouer un rôle de premier plan dans la conscience civile italienne, et qu'il fallait faire cause commune avec les aspirations politiques du moment. De cette manière, il soumettait le christianisme à n'être qu'un instrument au service d'une cause politique, de même qu'il tendait vers une "sécularisation" de l'Eglise. b) Les disputes pastorales et morales entre rigoristes et alfonsiens, probabilistes et probabilioristes Le rigorisme pastoral, craint qu'une administration trop facile (sans poser des conditions un peu exigeantes) favorise le laxisme ce qui mène à la longue à la perte du sens moral et spirituel, et enlève d'avance le goût de l'effort pour améliorer sa vie. Encore au 19è siècle, la pratique sévère pouvait être appuyée non seulement sur l'autorité d'auteurs de tendances janséniste, en général des français, mais aussi sur l'autorité de Rosmini et de Gioberti qui critiquèrent fortement la décadence introduite selon eux par le probabilisme des jésuites et la théologie morale de St. Alphonse. Mgr. Gastaldi essaya encore de réintroduire certaines formes de rigorisme. Entre 1848 en 1951 il s'occupa à faire publier en réédition le vieux manuel d'Antonio Alassia, avec quelque concession au bénignistes. Il eut un conflit avec Mgr. Bertagna, directeur des conférences morales au Convitto (depuis la mort de Cafasso), qui causa l'éloignement de ce professeur de l'enseignement en 1876. Dans la pratique du sacrement de la pénitence, l'attitude rigoriste s'exprimait souvent par un délai ou un refus de l'absolution. Les confesseurs exigeants considéraient souvent ce délai d'absolution comme une nécessité jusqu'au constat dans les confessions suivantes que le pénitent s'était effectivement corrigé en évitant au moins les situation périlleuses. On faisait grand cas de ce qu'on appela "récidivistes" ou "habitudinaires" (routiniers) qui ne donnaient pas la preuve par leur vie et leur moeurs que leur propos de se corriger était efficace. Selon ces moralistes de tendance sévère, une absolution accordée à la légère causait inévitablement le relâchement moral de l'individu. Ils s'opposèrent aussi à la communion fréquente: l'homme - selon eux - doit d'abord, avant de communier, acquérir une force intérieure qui le rend apte à recevoir l'hôte divin. Ils insistèrent non seulement sur les dispositions actuelles mais aussi habituelles, en portant comme argument qu'un seul acte de bonne volonté n'est pas suffisant à déplacer le centre de gravité spirituelle de notre vie, du mal vers le bien. La communion ne pouvait pas être distribuée à ceux qui retombaient facilement dans le péché, ou chez qui la vie morale était encore insuffisamment orientée vers la grâce. Le probabilisme tendait vers une attitude de clémence et d'indulgence (bénignisme). Les pasteurs de tendance probabiliste se croyaient autorisées de donner l'absolution sur la base d'une promesse de vouloir changer de conduite et de résister dans les occasions prochaines. Ils défendaient la validité de l'absolution, même si - au bout de quelque temps - il fallait parfois douter sur le sérieux de la promesse faite par l'un ou l'autre des pénitents. Pour eux donc, on pouvait se contenter des bonnes dispositions actuelles du pénitent. Ils étaient favorables à la communion fréquente, parce que pour eux elle était comme le pain quotidien ou l'aliment spirituel qui corrobore ceux qui sont faibles, et qui rend apte à une vie spirituelle et morale nouvelle. Le rigorisme avait eu selon eux, comme conséquence, l'éloignement des gens des sacrements et du même coup l'affaiblissement spirituel et moral dont ils trouvaient les preuves historiques dans le rationalisme, l'incrédulité montante du 18è siècle, et dans la révolution française et ses séquelles. Sur le plan plus strictement moral (et de la théologie morale), nous constatons la tension entre probabilisme et probabiliorisme. Pour St. Alphonse, une loi vraiment douteuse n'oblige pas en conscience. En matière de sacrements, il reste le défenseur d'un christianisme sérieux: la communion peut être fréquente quand il y a le vrai désir de se corriger et la volonté de progresser dans l'amour divin. Il faut qu'il y ait la disposition pour profiter de ce remède ou de cette nourriture fortifiante. Le confesseur doit se baser sur les bonnes dispositions du pénitent et quand il peut être moralement sûr que ces dispositions sont bonnes, il peut toujours donner l'absolution. Cette certitude morale, il doit la tirer des signes que donne le pénitents. Si le ministre du sacrement n'est pas sûr des dispositions du pénitent, il peut encore donner l'absolution sous condition. Au cours du 19è siècle, l'appel à l'indulgence - ayant confiance dans l'efficacité de la grâce de Dieu qui est à l'oeuvre même dans les pécheurs récidivistes, sera davantage entendu. Don Bosco y contribuera au prévaloir de cette tendance dans la théologie morale, non pas en se mêlant lui-même dans le débat théologique, mais en offrant l'occasion aux auteurs bénignistes de publier leurs opuscules dans la publication mensuelle des Lectures catholiques. Il a donné ainsi un très large espace aux idées de G. Frassinetti, qu'on a appelé "le curé d'Art italien". L. Guala et après lui, Giuseppe Cafasso (à partir de 1843), ont cherché de dépasser la situation polémique régnante. Selon D. Bosco, Guala réussit à rapprocher les extrêmes, et Cafasso fit l'étude comparée des auteurs pour faire voir qu'il y avait plusieurs opinions possibles sur une question morale. Selon lui, le probabiliorisme (il faut toujours agir selon l'opinion qui semble avoir la prépondérance quantitative et qualitative) peut être valable en principe, mais il s'évanouit souvent dans la pratique, parce qu'il est intenable tant pour le prêtre que pour le pénitent: pour le prêtre, parce qu'il lui est impossible de voir clair dans le degré de probabilité des diverses opinions de moralistes et dans la complexité de la situation du pénitent; il doit se décider à l'instant même que le pénitent est chez lui; pour le pénitent aussi la question est insoluble: il faut qu'il puisse agir et vivre en paix. C'est à dire que le probabiliorisme conduit à un doute continuel sur ce qui est à faire; on risque d'imposer des choses trop difficiles pour les gens. N.B. Cette prise de position de Cafasso et D. Bosco se comprend mieux quand on tient compte des catégories de pénitents qu'ils rencontraient dans leur pratique ministérielle: les prisonniers, des vagabonds, des abandonnés etc. Il va de soi qu'une pastorale moins rigide s'imposait pour eux. Selon le probabilisme, dans le doute (et c'est souvent le cas), il faut laisser la liberté de suivre la sentence qui jouit tout simplement d'une bonne probabilité. On n'est pas obligé d'agir selon la sentence la plus exigeante, la plus sûre. Le plus souvent d'ailleurs on ne saura jamais quelle est la sentence (norme, loi, principe) la lus sûre: dans tel ou tel cas, chez tel ou tel pénitent, même si le prêtre personnellement (subjectivement) est convaincu que c'est telle ou telle sentence qui st la meilleur théoriquement, ce n'est pas encore ainsi pour le bien du pénitent. Selon Cafasso, on doit suivre l'opinion la plus sûre (et la plus exigeante) quand il y a un danger de mettre en question les éléments fondamentaux de la foi ou quand la réception valide des sacrements est impliquée. Mais dans les autres cas, il faut voir plutôt si telle attitude (plus sévère ou plus indulgente) sera avantageuse pour le salut, le progrès et la persévérance du pénitent concret. La norme suprême devint ainsi; défendre en même temps la gloire de Dieu et le plus grand bien des âmes. Or, la gloire de Dieu c'est d'aimer au maximum le salut éternel de notre prochain. Don Bosco suivait la directive de son maître e disant: "que m'importe-t-il d'avoir un système (moral) étroit ou large? L'important c'est d'envoyer le plus grand nombre d'âmes au paradis" (rapporté par D. Ruffino, cié e STELLA, Don Bosco, vol 1, p. 94). C) les questions philosophiques et théologiques: le traditionalisme et le fidéisme - gallicanisme et ultramontanisme Sur le plan philosophique, Joseph de Maistre et Louis de Bonald se sont donnés la peine de donner une justification philosophique à la foi chrétienne sur un registre complémentaire du Génie du christianisme de Chateaubriand, qui avait montré que le foi était utile et porteuse de fruits dans tous les domaines. Les traditionalistes cherchèrent donc à prouver que la foi avait dans la vie humaine un rôle indispensable. La révélation, selon eux, comble non seulement le coeur, mais elle est à la base de la vie sociale. Pour eux, les ruines et les meurtres accumulées au nom de la liberté et de l'égalité par la Révolution, sont la preuve évidente de l'erreur de l'idéologie des Lumières. L'expérience étant la pierre de touche de la vérité, Joseph de Maistre enseigna dans sa Théorie du pouvoir politique et religieux dans la société civile, démontrée par le raisonnement et par l'histoire, que tout ce qui est nuisible en soi, est faux, comme tout ce qui est utile en soi, est vrai: les malheurs causés par la Révolution ont fourni la preuve de la fausseté du rationalisme qui en est l'inspirateur. Et il en tira alors cette conclusion: l'ordre social repose sur l'ordre moral dont Dieu est le fondement, la Révélation la source, et la tradition la norme. Avec force il souligna que les "révolutionnaires" avaient fait de la liberté une règle absolue, excluant toute loi, toute autorité et faussant l'idée même de liberté. C'est ainsi qu'on peut comprendre comment l'Eglise s'opposa (souvent sans nuance) aux "libertés publiques" tout au long du 19è siècle, au nom de la vrai liberté (chrétienne). Sur le plan dogmatique, le traditionalisme défendu par de Bonald pense que la raison individuelle est incapable de découvrir les vérités religieuses et morales indispensables à la vie humaine. Seul l'enseignement révélé peut nous fournir ces vérités. Selon lui, même des vérités si primitives et simples telles que l'existence de Dieu, la spiritualité de l'âme tout comme son immortalité, ne peuvent pas être découvertes par la raison humaine. Elle les connaît seulement à partir d'une révélation primitive qui est déposée dans le langage humain depuis la création de l'homme par Dieu. Le langage qui est l'instrument indispensable de toute opération intellectuelle constitue donc une "tradition" naturelle comme un fondement ou point de départ pour la foi chrétienne. Selon Lamennais, c'est le "sens commun" ou la raison collective qui arrive à connaître cette révélation de Dieu. Le fidéisme de Bautain va encore plus loin: on supprime le caractère essentiellement gratuit et surnaturel de la "révélation divine". Selon lui, la "révélation" est ce qui précède la raison: un aspect naturel et indispensable pour le premier développement de la raison qui est totalement impuissante par elle-même. De cette façon il retira à la foi tout appui à partir de la raison. Ces deux courants (traditionalisme et fidéisme) ont conduit à une évolution en deux sens opposés: surestimer ou sous-estimer le rôle de l'autorité et de la révélation divine (surnaturelle); pour le uns, Dieu est venu en aide à la faiblesse de la raison en nous conduisant à la vérité moyennant le Christ, l'Eglise, et les dogmes. Pour les autres, Dieu a parlé aux hommes moyennant une tradition naturelle que la raison humaine peut découvrir par elle-même; elle n'a pas besoin au fond de Jésus Christ, de l'Eglise et des dogmes. Dans ce dernier sens, on finit paradoxalement par renforcer le rationalisme qu'on voulait d'abord combattre. Ce n'est que par le Vatican I qu'on a trouvé une solution équilibrée: - Dieu, principe et fin de tout, peut être connu de façon certaine à partir des choses crées par la lumière naturelle de la raison humaine. - mais ce qui dans les choses divines n'est pas par lui-même accessible à la raison humaine, peut être connu seulement, par tous, facilement, avec certitude et sans mélange d'erreur, grâce à la Révélation divine. - la Révélation fait donc essentiellement appel à la foi, ce qui implique la soumission libre de notre intelligence et de notre volonté (l'obéissance de la foi) (voir Constitution dogmatique sur la foi catholique: Denzinger 1789 (3008). Deux autres dogmes ont été définis au cours du 19è siècle: celui de l'Immaculée Conception (8 décembre 1854) et de l'infaillibilité du Pape (1870). Le premier dogme consacre toute une tradition déjà existante au sein de l'Eglise catholique. En général, la proclamation fut accueillie en Italie avec une enthousiasme. Le deuxième fut beaucoup plus discuté. La majorité des évêques italiens était favorable (aussi Mgr. Gastaldi, qui au début avait été contraire) mais qui s'était laissé convaincre par D. Bosco selon ce qu'on dit). Les discussions avant et durant le Concile Vatican I portaient plutôt sur l'opportunité de la proclamation, sur les modalités de l'exercice de l'autorité infaillible du Pape, et non tellement sur la vérité en soi qui n'apparaissait pas une nouveauté. En effet, le Pape avait déjà exercé cette autorité infaillible sans qu'elle soit définie: par exemple dans le cas de la proclamation de l'Immaculée Conception. - Seulement jusqu'en 1870 (Vat. I) ce n'était pas encore reconnu explicitement comme un droit divin et une vérité de foi définie solennellement. Par la proclamation de l'infaillibilité l'Eglise a voulu créer une défense valable et légitime contre les déviations sur le terrain de la foi et de la discipline. N.B. Concernant l'influence de la "mentalité" traditionaliste sur D. Bosco, on peut découvrir quelques traces de cette théologie dans un des livres intitulé: Il cattolico istruito (1853). Cependant, Don Bosco a eu soin d'éliminer ces traces dans les réimpressions de ce livre postérieurs au Concile Vatican I. Quant au gallicanisme et l'ultramontanisme, il s'agit de tendances plus diffuses en rapport à l'autorité de l'Eglise. On distingue un gallicanisme royal (propre au rapport entre le Roi de France et le Pape et les questions juridiques connexes) et un gallicanisme épiscopal et presbytéral. Ce dernier s'exprime dans une certaine susceptibilité pour les décisions et enseignements venant de la Curie romaine, ou dans une certaine supériorité de l'épiscopat sur le Pape. Pour le clergé (surtout français) on constate l'empreinte de cette mentalité gallicaniste pendant la Révolution française quand on votera "la constitution civile du clergé" par l'Assemblée nationale. L'ultramontanisme (nom donné par les gallicans avec un certain mépris) prône l'idée non seulement de la suprématie du pouvoir papal sur le pouvoir épiscopal, mais sa totale indépendance à l'égard des pouvoirs temporels. Parfois, on allait vers une exaltation excessive de l'infaillibilité du Pape, entendu comme Pape-roi (cfr. le slogan de J. de Maistre et de Lamennais: sans Pape pas d'ordre social). Le Concile Vatican I a eu soin de préciser que l'infaillibilité du Pape n'est pas celle d'un monarche absolu mais celle de l'Eglise, la même qui appartient à toute l'Eglise; et - par conséquent elle n'a aucune signification politique (dans le sens d'un droit à la souveraineté sur les différents Etats). d) le rapport avec les protestants Don Bosco et les premiers salésiens ont eu affaire à deux groupes de protestants: les vaudois et les baptistes. Les vaudois étaient un mouvement qui remontait à Valdes (Lyon, au 12è siècle), à l'origine: une secte qui exalte la pauvreté. Ils étaient laïcs et se considéraient les prédicateurs d'un pur évangile. On les appelait aussi "les pauvres de Lyon". Chassés en France, ils s'établirent au nord de l'Italie et adoptèrent une organisation calviniste à l'époque de la Réforme protestante. Au 19è siècle, ils allèrent contre le rationalisme en faveur d'une piété plus grande, en s'opposant à l'Eglise ( la Religion) d'Etat. Ils adhéraient à l'expression: "Eglise libre dans un Etat libre" reprise après par Cavour et d'autres. Leur réveil et l'émancipation de 1848 (ensemble avec les juifs) ont permis de développer une action puissante de prosélytisme, aidés par la Suisse et l'Angleterre sur le plan financier. Ils se servirent de la révolution nationaliste italienne pour combattre la papauté et le catholicisme. Ils firent appel à d'autres protestants (des baptistes et des méthodistes) et à des ex-prêtres et ex-religieux catholiques (p. ex. L. Desanctis et Grignaschi) pour lancer une action qui aurait dû atteindre toute l'Italie pour établir ce qu'on appelait "la Réforme italienne". Ayant organisé une véritable offensive contre l'Eglise catholique, on comprend que les accrochages étaient parfois très durs de part et d'autre. (voir un épisode raconté dans Opere Edite vol. 38, pp. 30-32). Grâce à l'argent, ils eurent un certain succès chez les gens simples et les jeunes. Quand ils commencèrent à publier un almanach "L'ami de la maison", D. Bosco chercha de répondre du côté catholique par son almanach "Galantuomo" (le gentilhomme = homme honnête et honorable fidèle à sa parole_), dans la même année 1853. Leur expansion fut expressément favorisée par les libéraux et francs-maçons qui les appelaient dans leur région pour contrecarrer et affaiblir les catholiques. La polémique se concentrait toujours sur les mêmes points: les vaudois accusèrent les catholiques d'attachement à une série de traditions (humaines) qui ne dérivaient pas de la Révélation écrite ni de l'Eglise apostolique, et ils les reprochèrent d'être intransigeants et conservateurs sur le plan socio-politique. Les catholiques, de leur côté, voient dans le protestantisme la dégénération du christianisme authentique, la religion du caprice et de la vanité des prédicateurs, du désordre et de l'arbitraire personnel: "religion sans Credo" où chacun croit ce qui lui semble bon, sans autorité, sans sacrements. L'attraction des protestants sur les catholiques est expliquée par l'engouement pour tout ce qui est nouveau, ce qui promet liberté et des avantages matériels. N.B. C'est un fait que D. Bosco adopte un style un peu primaire dans sa polémique contre les vaudois et leurs écrits dans les années 50. Mais dans les années de maturité il a abandonné sans problème l'esprit de controverse trop rigide. Art. 3. La piété et la pratique pastorale La vie spirituelle du 19è siècle en Italie est encore fortement influencée par la spiritualité des siècles précédents, spécialement par celle de la France; La reprise catholique est très fort au temps de la Restauration sous l'impact de ce qu'on appelle les "Amitiés": une forme de sociétés secrètes pour la défense de la foi ayant des buts en même temps dévotionnels et apostoliques. Cavanis et Pavoni, formés sous l'influence des dites sociétés, auront une influence certaines sur D. Bosco, et les jeunes laïcs forés dans leurs Oratoires seront à la base des Associations de la jeunesse catholique italienne, qui naîtront dans la deuxième partie du siècle, et de là naîtra aussi en partie l'Oeuvre des Congrès et du mouvement catholique de la fin du 19è siècle. De loin cette vitalité dérive encore de l'oeuvre de S. Charles Borromée et de la présence des Ursulines fondées par S. Angela Merici. La piété est celle qui donne un grand espace au sentiment (spritualità del fervore) et au psychologisme dévot (avec cette tendance à une vigilance continuelle de soi-même pour progresser dans la vie intérieure). Le risque d'un certain sentimentalisme est réel (contre lequel Mgr. Gastaldi par ex. mettra en garde dans ces lettres pastorales). L'esprit de S. François de Sales imprègne toute la vie et la littérature spirituelle du 19è siècle de l'Italie du Nord, non moins que l'austérité et l'affectivité des écrivains ascétiques alfonsiens. Les sentences de Philippe Neri circulaient entre les mains d'éducateurs et jeunes sous forme de livrets de divulgation. Les thèses préférées étaient: la providence et la miséricorde divine, la confiance et l'abandon dans les mains de Dieu, la paix intérieure. La religion est présentée dans les milieu de Don Bosco (par exemple par Don Cafasso et le Convitto) comme un facteur de progrès et même d'utilité matérielle (cfr. aussi Léonard de Port Maurice). La fuite du monde (thème classique de la spiritualité traditionnelle) se traduit comme fuite des dangers pour la perte de la foi et de la pureté des moeurs. D'autres part, on assiste à la naissance d'un catholicisme militant (clergé et laïcs conjointement) qui veut dépasser un engagement purement caritatif pour aboutir à un engagement plus explicitement social vers la fin du siècle. Le 19è siècle n'est pas seulement le siècle où les missions populaires connaissent un développement spectaculaire pour susciter la conversion et provoquer un réveil religieux dans les villages et centres urbains, mais il y a aussi une croissante pratique des récollections mensuelles et des retraites annuelles. On continue à pratiquer les Exercices classiques de St. Ignace, mais on introduit aussi des formes plus simples praticables par des groupes de retraitants. Cette nouvelle forme consiste principalement dans un enchaînement de "méditations" et d' "instructions". Les évêques les rendent obligatoires pour le clergé, et les laïcs (cultivés) y assistent aussi parfois par leur propre initiative. Derrière l'expression devenue courante "une foi illuminée" se cache le besoin de dépasser la pure mémorisation du catéchisme et aussi l'attitude plus positive par rapport au rôle de la raison. De cela dérive probablement l'intérêt croissant pour l'apologétique et l'histoire sacrée (biblique et ecclésiastique). Les besoins des "oratoires" ont certainement stimulé une certaine créativité catéchétique. Sous la pression de la concurrence protestante, les catholiques commencent à divulguer la Bible traduite en italien (à Turin seulement ont paru 35 éditions complètes de la S. Ecriture faites par A. Martini). Le terme "charité" (cf. les "oeuvres de charité") assume un sens très dense dans ce siècle. 1) D'abord il conserve toujours son sens original: la charité chrétienne c'est fondamentalement une vertu théologale avant d'être une vertu sociale. 2) Ensuite: la charité n'est pas une forme d'amour sentimental, mais implique les "oeuvres": non seulement les oeuvres de charité corporelle (p. ex. soigner les malades) mais les oeuvres d'apostolat: le "zèle" pour le bien moral, spirituel et communautaire du prochain; c'est ainsi que Cottolengo, Rosmini, Cavanis, et Pavoni sont inspirés par la maxime: "Caritas urget nos" (la charité nous presse) 3) La charité est encore le signe et la mesure (le thermomètre) d'une saine "dévotion réglée" (dont parlait déjà avant Muratori). 4) Au 19è siècle la "charité" c'est encore ce signe distinctif et cet appui apologétique dans le contexte d'une société où commencent les premiers symptômes d'une société en voie de déchristianisation: la charité traduite en actes visibles et en oeuvres tangibles, c'est la preuve éclatante de la vitalité d'un christianisme que les indifférents et incrédules croyaient déjà mourant. C'est la preuve que le christianisme d'aujourd'hui (comme celui d'hier) continue à donner sa contribution précieuse au progrès moral et civil du pays. On se rappelle les paroles mémorables de D. Bosco au CG 1 (1877): "nous sommes maintenant dans un temps où il faut savoir travailler (oeuvrer); le monde est devenu matérialiste; pour cela, il faut travailler et faire connaître le bien qu'on fait. si quelqu'un prie jour et nuit dans sa cellule, même en faisant des miracles, le monde n'y fait pas attention et n'y croit plus. Le monde (actuel) a besoin de voir et de toucher du doigt (_) il veut voir le clergé au travail: à instruire et à éduquer (_) avec des oeuvres caritatives_" (MB 13, p. 126) Quant à la liturgie, déjà le Synode de Pistoia (avant la Révolution Française) avait voulu introduire la langue du peuple dans la liturgie, mais après la Révolution on revint aux décisions du Concile de Trente, par peur que ne s'introduise le criticisme. On craignit fortement l'esprit privé" et la révolte contre l'Eglise. Le peuple avait peu de connaissance de la richesse du mystère de l'eucharistie réduite à sa nature sacrificielle. On donnait très peu d'importance au cycle de l'année liturgique supplantée par la prolifération de toute sorte de fêtes de dévotions particulières, du culte des saints et de la Vierge Marie; Cette dernière dévotion, bien qu'essentielle, risquait parfois de prévaloir sur les grandes fêtes centrées sur le Christ. En effet, jamais auparavant on avait donné un tel élan à la dévotion mariale, spécialement dans le mois de mai qui prenait presque la place du carême e extension et intensité de participation et de ferveur. On assiste aussi à la montée d'un climat apocalyptique: des faits curieux, exceptionnels, prodigieux, miraculeux tirent continuellement l'attention des fidèles. On se livre très rapidement à des interprétations surnaturelles par rapport aux événements heureux ou tristes qui touchent l'Italie et l'Eglise. Ces événements assument alors le sens soit d'une punition, sit d'un avertissement ou d'une approbation. Les apparitions de la Vierge et les visions sont vues comme des signes précurseurs d'un triomphe imminent de la part de l'Eglise par rapport à la "tristesse des temps". Ces triomphes sont parfois conçues d'une façons trop terrestre et spectaculaire comme une victoire sur des ennemis. La dévotion au Christ est essentiellement un culte au Fils de Dieu et Rédempteur dont on reçoit les effets salutaires par la participation aux sacrements. le culte s'adressait particulièrement au "coeur sacré" de Jésus: lui qui avait tant aimé le monde, mais dont l'amour avait été bafoué par les "hérétiques, infidèles, et les mauvais chrétiens" qui se laissaient aller à l'indifférence. La "grande affaire" de la vie c'était le "salut de l'âme". Ce salut on l'atteignait - disait-on - par la conformité croissante à la volonté de Dieu. On se conforme à la volonté de Dieu par l'accomplissement de la loi divine et par une exécution exacte et persévérante du propre devoirs d'état. La sainteté est accessible à tous, répètent les écrivains spirituels après S. François de Sales. D. Bosco soulignera qu'il est même facile à devenir saint en accomplissant ses devoirs et en restant toujours joyeux en toutes circonstances. La "perfection" assume au 19è siècle un sens fortement moral (et moins mystique): c'est pratiquer les vertus, si possible héroïquement, et s'orienter dès ici-bas vers l'idéal de sainteté comme le sommet de cette vie terrestre. Le prêtre idéal de l'Italie du Nord c'est le prêtre "salésien", S. François de Sales étant proposé comme modèle des pasteurs: homme zélé, détaché des honneurs et de la carrière, pasteur qui a su conquérir les âmes avec douceur; celui qui les a nourries et guéries; qui a conservé la foi catholique contre les hérésies qui se divulguaient dans sa région; et qui a aussi contribué à "régénérer" la société de son temps. Le profil du prêtre reste assez classique: c'est celui proposé par S. Paul, S. Jean Chrysostome, S. Basile, Condren, S. Alphonse de Liguori, et spécialement par S. François de Sales ("da mihi animas, caetera tolle"). C'est un prêtre qui dérive de plus en plus de la classe paysanne et rurale. Cela facilitera l'acquisition d'un style plus populaire et simple dans les contact avec les gens. Il y avait aussi un danger que certains évêques (p. ex. Mgr. Dupanloup) faisaient remarquer: une certaine médiocrité (dans les idées et dans l'action) et une perte de contact avec les classes dirigeantes du pays (bourgeois et nobles). Les prêtres qui suivent le progrès des sciences naturelles (positives et exactes) sont rares; même les sciences théologiques (ecclésiastiques) perdent leur prestige par les nombreuses fermetures des facultés de Théologie aux Universités d'Etat. L'enseignement théologique s'appauvrit et se réduit souvent à ce qu'on peut trouver dans des manuels stéréotypes réimprimés plusieurs fois. La catéchèse en souffre aussi réduite à une transmission de connaissance assez arides résumées dans des petits "catéchismes", condensés des manuels de théologie. Les réponses étaient à enseigner telles quelles, et à apprendre par coeur.