PARTIE III: LE CONTEXTE HISTORIQUE DU 19è SIECLE COMME L

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PARTIE III: LE CONTEXTE HISTORIQUE DU 19è SIECLE COMME L'ARRIERE-FOND
POUR COMPRENDRE LA PERSONNALITE ET L'ACTIVITE DON BOSCO
Chap. 1: Le contexte socio-politique et ses incidences sur la vie de l'Eglise
Art. 1. Les principaux problèmes
1848: c'est une année cruciale dans l'histoire de l'Italie du siècle passé. C'est le début de la
divergence entre les aristocrates plus conservateurs, unis aux politiciens absolutistes de la
Restauration après 1815, et la classe moyenne des libéraux, adhérents à une politique révolutionnaire,
représentée par des figures telles que le Comte Cavour, Bettine Ricasoli, Urban Ratazzi, et après vers
la fin de la vie de D. Bosco: France Crispi. Ce sont des hommes avec qui Don Bosco était en relation,
et avec lesquels il a entretenu parfois des rapports cordiaux. Les deux classes socio-politiques
opposées entraînèrent une agitation sociale et des bouleversements qui accentuèrent les divisions entre
une Italie légale et une Italie réelle.
Pour un homme comme Don Bosco, fortement enraciné dans la Tradition catholique, mais
aussi aimant sont identité italienne, la rupture des relations entre Etat et Eglise devint une douloureuse
réalité qui causa parfois un problème fondamental de conscience, spécialement là où le mouvement se
tournait contre la papauté qu'il aimait ardemment.
Dans les années après 1848 jusqu'en 1860, l'attitude de D. Bosco fut traditionnelle; seulement
après 1860 son langage commençait à changer: la phrase habituelle "trône et autel" devint maintenant
"religion et patrie", "bonnes moeurs et patrie" etc., exprimant synthétiquement comme dans une
formule sa visée d'un ordre social et d'une idéologie politique idéale. C'est un fait qu'il a toujours
montré du respect pour les bases constitutionnelles du nouveau régime, et qu'il a oeuvré pour la
réconciliation entre Etat et Eglise, spécialement dans les dernières années. Cela contraste avec
l'attitude officielle du S. Siège qui n'accepta jamais le fait accompli, et qui en 1874 interdit dans un
Etat qu'on considérait "usurpateur" (le "non expedi").
Sur le plan socio-économique, l'Italie était encore bien loin d'être unifiée. L'unité politique
avait beaucoup plus vite avancée que l'économie. Cela causa une crise sociale très sérieuse, et par
conséquent un mouvement migratoire (vers les villes, vers d'autres pays et même vers l'Amérique). La
migration est ainsi le problème social principal de ce siècle en Italie.
Turin connut une énorme expansion démographique, économique et urbanistique. La
population - au cours d'un siècle - devint 5 fois plus nombreuse (65000 au début du siècle et 320000
vers la fin du siècle). La révolution industrielle qui démarra après 1830, et créa des emplois nouveaux
n'entraîna pas immédiatement le bien-être: les ouvriers avaient à peine le nécessaire pour vivre. Les
étudiants (comme J. Bosco) qui dérivent d'une classe paysanne manquent constamment d'argent pour
se payer les études, et doivent travailler à mi-temps, chercher d'obtenir des Bourses (par des concours
académiques) pur continuer leurs études.
Le paupérisme est le fléau social conditionné par les bas prix agricoles et les salaires de
famine. P. ex. Turin, entre 1845 et 1849, furent enregistrés 33.000 mendiants ou clochards (soit 10%
de la population de la ville) et la plupart n'avaient aucun logement.
Note: des données intéressantes dans le livre de G.M. BRAVO, Torino Operaia. Mondo del lavoro
e idee sociali nell'et à di Carlo Alberto, Torino, Fondazio et L Einaudi, 1968.
Les immigrants de la ville étaient souvent des jeunes venant des villages pour un travail
saisonnier: le plus souvent analphabètes. On comprend alors pourquoi l'oratoire classique (récréatif et
catéchétique) était destiné à prendre la forme d'un centre d'alphabétisation et de rattrapage scolaire.
Cet intérêt pour la culture et l'école populaire était d'ailleurs une préoccupation générale (le
mouvement romantique avec ses pédagogues tels que Froebel, Pestalozzi, Girard); et au Piémont, il y
a d'abord la législation scolaire réactionnaire du Roi Charles (1822), mais en 1848, la loi
Boncompagni revendique un certain monopole de l'Etat, ce qui bouleverse la situation précédente.
Cependant, l'Etat n'est pas en mesure de réaliser ses promesses, c'est-à-dire de réaliser une école
publique accessible à tous. L'initiative privé resta irremplaçable.
Les initiatives charitatives de D. Bosco (cours du soir et les différents atelier à partir de 1846)
montrent à l'évidence combien fut rapide la réponse de D. Bosco à la condition sociologique des
jeunes: il passe dans les villes, visitant les prisons, les logements des bas-quartiers, les hôpitaux, et il
se rendit vite compte qui étaient ceux qui étaient les plus abandonnés et donc exposés à devenir
mauvais. Il faut tenir compte du fait que dans les clergé tus étaient si enthousiastes pour entreprendre
quelque chose. Non seulement c'était une situation inédite, nouvelle devant laquelle ils se trouvaient
désemparés, mais plusieurs (comme Mgr. Fransoni) se méfiaient de l'instruction populaire, comme
dangereuse pour l'ordre social.
L'intervention de D. Bosco dans cette problématique socio-économique complexe fut d'abord
de caractère charitatif et pastoral avant d'être éducatif et social. Il s'inséra dans le cadre des
programmes assitentiels promus par l'Oeuvre de la Mendicité Instruite, à côté de J. Cottolengo, la
famille Barolo, l'Amitié Catholique etc. Il s'agit là d'organisations philanthropiques de personnes
aisées qui aidèrent directement et indirectement les établissements d'assistance sociale (à Turin une
trentaine d'Instituts), mais 75% des pauvres restait en dehors de leur rayon d'action. La société de S.
Vincent de Paul, crée par Frédéric Ozanam (à partir de la France 1833) cherchait à y remédier. Ce fut
le premier pas vers un "mouvement social catholique" dans une période où le socialisme commençait
à se développer. Ozanam était convaincu que la lutte des classes sociales pouvait être vaincu, si d'un
côté les riches assumaient plus intégralement leurs responsabilités. Contre Cays (plus tard salésien)
était promoteur de la Société de S.V. de Paul à Turin, fondée en 1850. On est encore loi de
comprendre que l'engagement pour la justice ne peut se contenter d'ériger des caisses mutuelles, mais
qu'il exige une intervention incisive et collective sur les structures de la société. Toutefois, un
processus était amorcé qui sera la semence pour une prise de conscience qui aboutira avec la première
encyclique d'un Pape sur l'ordre socio-économique: Rerum novarum de 1991, de pape Léon XIII.
Sans s'en apercevoir très clairement, on s'éloignait progressivement d'une société basée sur les
"ordres" (d'aristocratie, clergé, tiers-état) pour arriver à une société propre à une époque industrielle et
tertiaire, basée sur la division des "classes" sociales. Les socialistes étaient les premiers à tirer les
conséquences de ce changement; les catholiques ont suivi plus tard.
L'Eglise se trouva ainsi confronté à un problème de société et de désir d'émancipation
(politique - scientifique - idéologique) pour lequel elle resta malheureusement trop longtemps aveugle.
Elle aima souligner les aspects négatifs ou ambigus de cette aspiration sans reconnaître suffisamment
les aspects légitimes: elle condamna trop globalement le catholicisme libéral favorisé par Lamennais
(Mirari vos de 1832) et ce qu'elle appela les "erreurs du siècle" (voir les documents Quanta cura et
Syllabus de 1864): toute une série de libertés que l'Eglise reconnaît aujourd'hui comme "des droits de
l'homme " étaient ainsi considérées condamnables.
Une importance réunion d'évêques du Piémont, tenue en 1949 à Villanovetta, organisa - bien
que de façon plutôt défensive - une action pastorale qui voulait intervenir positivement à créer par la
presse ce qu'on peut appeler une opinion publique catholique. par la publication de journaux, livres et
brochures on se rendit apte à participer au débat du moment dans les questions politiques sociales et
religieuses. plus tard on arrivera à créer l'unité d'action entre les catholiques de l'Italie en organisant
des Congrès annuels par une élite de laïcs devenus conscients des urgences du moment (premier
Congrès à Venise en 1874).
Art. 2. L'attitude générale de D. Bosco face à son temps
La clef pour comprendre l'attitude de D. Bosco est celle de l'importance existentielle qu'avait
chez lui sa mission sacerdotale. Il la concevait comme une tâche très vaste qui englobait tous les
secteurs de ses multiples activités, y compris son engagement social, culturel et politique.
Il adhéra ensuite à une vision traditionnelle et intégrale de la "société chrétienne" en donnant
une nette priorité aux valeurs spirituelles comme anticipation du Royaume de Dieu. Bien sûr, il songe
aussi à une société qui supprime l'ensemble des aliénations en formant des bons chrétiens et
d'honnêtes citoyens. Mais, cet idéal il le voit se réaliser selon un modèle qui lui avait été inculqué dans
la période de sa formation (la Restauration), un modèle donc plus tourné vers la conservation d'un
passé, en concret l'Etat confessionnel avec son type de société bien stratifiée. Heureusement, son
utopie (ou idéologie?) évolue un peu avec le temps. D. Bosco s'en aperçut que c'était inutile d'espérer
que la société revienne encore au passé_ Il prend acte d'une certaine émancipation de la société
politique face à l'Eglise en rompant avec l'idéal social de la "chrétienté". Dans son réalisme il arriva
même à concevoir qu'il y a moyen de collaborer avec des personnes d'autres confessions et options
politiques, au moins pour réaliser un idéal humanitaire. En collaborant avec eux et avec les institutions
civiles, il revendique pourtant un espace propre selon ses options pastorales et sa conception de
l'homme comme un être non seulement sacré mais destiné au salut éternel.
Don Bosco se met toujours sur un plan pratique: ce qui importe ce n'est pas d'arriver à un
accord idéologique avec ceux qui pensent autrement que lui mais de pouvoir conserver un terrain
d'action où il peut agir comme il le conçoit; pour lui-même il ne voit pas comment un prêtre pourrait
faire abstraction de sa mission sacerdotale, pastorale et éducative dans son action sociale.
Don Bosco est convaincu que l'éducation a prise sur l'évolution de la société: il préconise la
"régénération" de la société par l'éducation de la jeunesse. L'éducation chrétienne ne vise pas autre
chose: en formant des bons chrétiens, on aura en même temps des honnêtes citoyens. Il lui est
psychologiquement impossible de détacher son effort d'évangélisation (catéchèse, sacrements) de son
effort pour la promotion humaine; il ne fait jamais une séparation entre les deux.
Il considère ses initiatives de promotion comme plus urgentes par rapport aux pauvres
(économiquement et socialement) qu'il associe très étroitement aux "abandonnés" à eux-mêmes, et
donc exposés à devenir délinquants ou rebelles en mettant en danger les fondements de la société.
Eduquer et civiliser, c'est donc pour lui un moyen pour prévenir des bouleversements violents. Certes,
spécialement au début, il conçoit ses initiatives pour les pauvres et abandonnées selon le modèle
classique de l'assistentialisme paternaliste, mais il élargira progressivement son horizon, en soulignant
que l'avenir dépend beaucoup des jeunes eux-mêmes: avec l'aide provisoire des éducateurs ils
deviennent graduellement des "acteurs". Il est attentif à leur restituer leur autonomie; après avoir
appris un métier, après avoir acquis, après avoir acquis un diplôme, en soulignant l'importance du
"devoir d'état" et l'acquisition des vertus, garantie sûre pour la réussite sociale, les jeunes sont appelés
à s'insérer dans le monde ordinaire du travail. D. Bosco leur donne surtout le sens de leur dignité
personnelle en tant que hommes, et de leur responsabilité pour leur propre avenir.
On pourrait conclure que la "société chrétienne", d'abord conçue comme une réalité existante à
maintenir de façon statique, avec les années et suite aux changements politiques intervenues, devint
chez lui un idéal futur. Sa tâche est donc d'y contribuer dans la mesure de ses possibilités par une
perméation et transformation de la société existante. De cette façon on peut même dire que son utopie
sociale prend de plus en plus l'aspect d'un humanisme et d'un "personnalisme" chrétien. (voir P.
BRAIDO, IL progetto operativo di Don Bosco e l'utopia della società cristiana, Quaderni di
salesianum n°6, Roma, 1982).
Nous constatons donc que l'utopie de D. Bosco d'une "société chrétienne" était pour ainsi dire
un glaive à double tranchant: si d'un côté il impliquait une idéologie conservatrice (et en cela D. Bosco
était déjà dépassé dans son temps), de l'autre côté, il impliquait aussi un projet opérationnel, ouvert
vers l'avenir et la praxis, permettant de travailler dans n'importe quel contexte à la réalisation d'une
société pétrie de christianisme, souvent sans s'afficher trop extérieurement.
Art. 3. L'attitude politique de D. Bosco
On se rappelle en général que D. Bosco était d'avis que dans les affaires strictement politiques
il vaut mieux n'être "ni pour ni contre" (MO, pp. 216-218), ce qui lui permettait de continuer son
travail d'éducation dans n'importe quelle conjoncture.
La théorie du refus est en général basé sur trois faits
1°. le compte-rendu d'un colloque de D. Bosco avec Pie IX en 1867 tenu dans le contexte des
négociations entre l'Etat et l'Eglise concernant les sièges épiscopaux vacants. Quand le Pape Pie IX lui
demanda quels étaient ces choix politiques, sa réponse fut que sa politique était celle du Notre Père
(MB 8, pp. 593-594).
2° Dans une lettre pastorale de Mgr. Bonomelli: Le clergé et la société moderne, publie en 1889, on
affirme que Don Bosco, dès 1848 avait compris que s'il voulait atteindre ses objectifs apostoliques, il
fallait nécessairement laisser de côté tout engagement direct dans les questions politiques. Cela, selon
la lettre de l'évêque, avait permis non seulement d'éviter certains obstacles, mais encore de recevoir de
l'aide et de l'appui de ceux dont on ne l'attendrait pas (MB 6, p. 688).
Ce point de vue est confirmé par différents épisodes racontés par D. Bosco lui-même dans ses
Mémorie dell'Oratorio par exemple là où il parle des festivités pour la promulgation de la Constitution
piémontaise e 1848, et de son échec pour lancer son journal L'ami de la jeunesse.
3° Enfin, dans les Constitutions, à partir de 1864, Don Bosco établit expressément que tout
engagement politique, direct ou indirect, devait être interdit dans sa Société religieuse. Bien que cette
rigueur ne fut pas approuvée par Rome, Don Bosco y est revenu au cours du CG 1 en 1877, en
réexprimant son désir de se tenir à l'écart de toute engagement politique.
Comment interpréter son point de vue? Essayons de résumer en quelques idées l'attitude
globale de D. Bosco et ses présupposés.
Etre favorable (pour) à la politique gouvernementale c'était pour lui dans son temps choisir
pour une conception anticléricale, révolutionnaire (= rébellion contre Dieu) et anti-papale. Le pouvoir
temporel du Pape était pour lui (comme pour la majorité des catholiques de son temps) considéré
comme indispensable pour préserver l'autonomie spirituelle de la tâche apostolique du Siège de Rome.
Mais être "contre" c'était s'opposer à l'ordre constitutionnel légitime, qui selon les paroles du
Christ en de S. Paul, doit toujours être respecté dans son autonomie propre aussi longtemps qu'il ne
s'oppose pas directement contre les exigences de s Commandements de Dieu (voir p. ex. les textes du
Cg 1).
Don Bosco prend donc partie pour une vision pragmatique du processus politique: il faut
s'adapter à l'ordre légal, exploiter ses chances positives, tirer le plus grand avantage possible de l'ordre
constitué pour réaliser au maximum les propres objectifs pastoraux et éducatifs, sans s'immiscer
directement dans les questions politiques (par une prise de position très nette).
Fidèle à sa vision personnelle (son opinion privée) en tant que citoyen italien qui a droit d'avoir
son point de vue sur la politique tout comme les autres citoyens du pays, D. Bosco a parfois manifesté
sa préférence dans le climat politique serein qui régnait encore avant 1848 (un climat as encore
polarisé entre un pour et un contre). Il a ainsi exprimé sa sympathie pour un néo-guelfisme modéré: le
Pape serait le guide spirituel d'une Italie unifiée qui respecte son autonomie aux régions plus tard, dans
un climat profondément changé, il a fait comprendre qu'il sympathisait pour une politique de
conservatisme intransigeant, en refusant la doctrine de Cavour et plus encore celle de Mazzini, en
montrant à l'évidence son aversion pour l'esprit révolutionnaire. Son intervention semble alors se
justifier par l'intention de préserver les intérêts majeurs de la religion: en effet, il s'agit pour lui d'un
dilemme ou la révolution gagne, ou bien la religion. Il ne conçoit pas qu'une révolution puisse être areligieuse ou même pro-révolutionnaire" d'ailleurs courante dans les milieux catholiques. Dans ce sens
il ira jusqu'à exhorter les catholiques d'user massivement de leur droit électoral pour empêcher que la
révolution supprime la religion (dans les L.C de 1854). Dans ce cas, il pensait que les valeurs éthiques
et civiques (et la religion est aussi une valeur civique) ne pouvaient être sauvegardées que par l'Eglise;
puisque les opposants politique s'attaquèrent aux institutions et biens de l'Eglise, 'ce qui signifiait pour
lui attaquer en même temps les fondements d'une société civile), il pensait avoir le droit de protester
publiquement. Il ne s'agit plus pour lui d'une simple prise de position politique mais de s'opposer à
l'esprit du Mal qui exerce son emprise sur les "ennemis de l'Eglise".
Mais soulignons-le: la fidélité à ses principes religieux et éthiques ne le provoque ni à une
intervention proprement politique (par la polémique violente ou la contre - révolution réactionnaire) ni
à des compromis un peu ambigus pour s'assurer un appui financier.
Note: pour le premier cas nous pouvons citer G Margotti, ami de D. Bosco qui alla jusqu'à lancer
dans son journal le slogan: (en 1857) "nè eletti, nè electtori" en exhortant les catholiques de se retirer
complètement de la vie politique en forme de protestation. Pour le deuxième cas nous citons Giovanni
Cocchi.
Don Bosco a essayé de se frayer malgré tout un chemin dans les rapports complexes entre
l'Eglise et l'Etat, prêt à servir tantôt l'un, tantôt l'autre (ou les deux) en vue d'une réconciliation ou au
moins d'un modus vivendi qui permettait à l'Eglise de continuer à accomplir sa mission pastorale.
Si néanmoins (presque malgré lui) il fut quand même impliqué dans des affaires politiques et
des négociations concrètes, ce fut toujours dans l'optique d'un (serviteur de l'Eglise,) un médiateur et
diplomate, invite ou au moins accepté dans son rôle par les deux parties en litige (l'Etat et l'Eglise) et
dans le but de sauvegarder les intérêts majeurs de l'Eglise. Si parfois il est intervenu par sa propre
initiative, ce fut plutôt comme un prophète religieux, non parce qu'il s'intéressait aux questions
politiques comme telles mais parce qu'il était conscient que certains événements politiques
entraînèrent des effets ético - religieux néfastes.
Comme médiateur il put jouer un rôle providentiel pour débloquer la situation dans la
nomination des évêques et dans d'autres questions connexes (voir par ex. l'article de F. MOTTO,
L'azione médiatrice di Don Bosco nella questione delle sedi vescovili in Italia dal 1858 alla morte di
Pio IX (1878), in Don Bosco nella Chiesa a servizion dell'umanità, pp. 251-372.)
Nous risquons d'émettre ce paradoxe: objectivement parlant, Don Bosco fut impliqué dans
presque toutes les grandes questions politico-religieuses de son pays et de son temps, mais
subjectivement, il aurait refusé d'admettre qu'il s'agissait là d'interventions politiques.
Art. 4. Les principales transformations socio-religieuses
Les transformations que l'Italie a subi au siècle passé se prêtent à une répartition en deux
phases, ce qui correspond grosso modo aux deux moitiés du siècle. La mentalité religieuse évolue en
stricte liaison avec ses transformations.
a) La première moitié du 19è siècle
Pour le premier lustre du 19è siècle, P. Stella fait mention de "fentes" et de "crises religieuses"
produites par des faits et des idées ayant leur origine dans les attaques du déisme, du gallicanisme et
du jansénisme français.
Pendant la Restauration, le climat était favorable à l'Eglise La politique de l'union du trône et
de l'autel, l'extinction des frondes gallicanes et épiscopales en faveur de l'ultramontanisme le
romantisme avec son anti-intellectualisme, la philosophie traditionaliste, ce sont autant de facteurs qui
se lient pour favoriser une reprise de l'influence de la religion et de l'Eglise. L'Eglise catholique répond
très vite à la nouvelle demande religieuse en organisant les missions populaires, en stimulant la
fondation de nouvelles congrégations, en s'engageant dans l'assistance caritative et dans l'éducation de
la jeunesse. Les sermons orientent les chrétiens vers la conversion à une fidélité renouvelée à l'Eglise
et à la foi catholique. La Restauration avait donc comme but le renouveau de la société dont la pierre
angulaire était la Religion, qui - toujours dans l'optique de sont temps - trouva son meilleur garant
dans la monarchie royale. La clef de la transformation est donc à chercher dans un mouvement de
conversion personnelle et de contre-révolution opposée aux idéaux de la Révolution française, conçus
comme - en soi - opposés à l'esprit chrétien: il est courant de parler de "l'orgueil des lumières" et du
"chaos révolutionnaire". Au contraire, on voit la Religion comme sa seule force qui a été capable de
résister au pouvoir impérialiste de Napoléon.
Dans les traces d'auteurs français (L. de Bonald, J. de Maîstre, F. de Lamonnais), on souligne
l'impuissance humaine pour comprendre les vérités de la foi, et encore moins pour s'orienter vers le
salut éternel. Il faut revenir - insistent ces auteurs - à une attitude d'obéissance à la volonté divine,
conditionnée par la soumission à l'autorité de l'Eglise, seule dépositaire des vérités et des moyens de
salut.
Les orateurs dans leurs prédications avertissent continuellement leur public du feu
révolutionnaire qui couve encore et qui pourrait s'embraser de nouveau si on n'y fait pas attention. Ils
encouragent les fidèles à se tourner vers Dieu et à demander l'aide divine pour que le "hydre de la
révolution" ne reprenne pas vigueur. Ses tentacules sont certes coupés, disent-ils, mais ils peuvent à
tout moment repousser et d'aucuns les voient déjà en train de renaître dans sociétés secrètes, la francmaçonnerie, les carbonari et dans la Giovane Italia.
L'esprit de la Restauration donne lieu à un type de pastorale où des accents de rigueur, de
sévérité et de contrôle prennent la prédominance et où le sérieux de la vie chrétienne est fortement
souligné. Sortie victorieux d'un combat long et épuisant, l'Eglise aura désormais à soigner ses plaies
internes: ignorance et formalisme religieux, en organisant une vaste entreprise d'évangélisation. Les
visites pastorales des évêques et les synodes se multiplient; des confréries et des unions pieuses
renaissent. Elles portent à l'avant plan un christianisme de la "voie étroite".
Le renouveau se manifeste également sur le plan des oeuvres sociales et éducatives (cfr. les
noms de Petitti di Roreto - L. Valerio - G. Faletti di Barolo et d'autres encore). Brunone Lanteri et les
"Amitiés" fondées par lui travaillent d'arrache-pied pour diffuser des bons livres et donc d'idées qui
peuvent constituer un contrepoids aux idées illuministes. C'est dans ce milieu des Amitiés et du
Convitto ecclesiastico que va naître une réaction contre le rigorisme moral et pastoral en propageant
un christianisme plus optimiste, une pastorale plus clémente et indulgente, permettant d'atteindre des
résultants plus satisfaisants parmi le simple peuple chrétien. Ce n'est donc pas par un esprit de
relâchement ou d'un laisser-aller, mais, en considérant la participation plus facile aux moyens du salut
( et donc à la grâce de Dieu) comme le meilleur antidote contre l'affaiblissement de la foi et des
bonnes moeurs, que cette attitude deviendra prédominante dans l'Eglise catholique dans la deuxième
moitié du siècle.
Dans le changement d'attitude pastorale joue également un rôle le romantisme religieux
français, spécialement de François-René de Chateaubriand (+ 1848) bien connu en Italie parle livre :
Le génie du christianisme (1802), traduit en italien en 1822: le rôle de la religion sur la société y est
clairement affirmé: plus précisément le christianisme est selon lui la religion du coeur et de la
fantaisie. Il réagit ainsi à une présentation aliénante de la foi catholique. Il ne cesse de faire l'éloge des
effets très positifs que le christianisme a eu sur le progrès de l'histoire et de la société. Il réhabilite
ainsi le christianisme aux yeux des incroyants et des libertins. Il aide puissamment à présenter un
christianisme de joie et d'amabilité représenté par François d'Assise, François de Sales, Philippe Néri,
Vincent de Paul, et surtout Alphonse de Liguori (béatifié en 1816; canonisé en 1836). L'influence de
Chateaubriand, ensemble avec le liguorisme, aideront au prévaloir de la "bénignité" morale.
b) La seconde moitié du 19è siècle
L'utopie conservatrice est dépassée par le cours de l'histoire vers la moitié du siècle. Tout se
concentre sur le droit d'investiture du pouvoir par le "peuple", même si en pratique le peuple n'est rien
d'autre que la classe bourgeoise capitaliste qui veut se substituer à l'aristocratie terrienne. Les rapports
entre l'Etat et l'Eglise deviennent tendues, portant à une opposition et parfois à une totale séparation.
Le Risorgimento est avant tout un mouvement nationaliste qui forme la charnière entre la
Restauration et le libéralisme triomphant (avec la disparition du pouvoir temporel des papes comme
conséquence). Pour Resorgimento, les intérêts de l'Eglise et de la Nation italienne en gestation,
coïncidaient. Il fallait seulement que le Pape prenne la tête du mouvement national. Pour les néo-
guelfes, l'unification du pays se serait réalisée dans une confédération des différents états italiens
existants sous la présidence du souverain pontife. L'exaltation du rôle social de la papauté, déjà prônée
par J. de Maîstre et F. de Lamennais, trouvait son représentant principal dans la personne et les
oeuvres de V. Gioberti. Le refus du Pape Pie IX à jouer ce rôle (principalement pour des raisons
spirituelles liées à sa tâche de chef de la chrétienté universelle) a porté à un changement brusque
d'attitude: d'un coup le Pape devint l'ennemi principal de l'Italie, à condamner comme un traître, à
combattre par tous les moyens. Par ricochet, les pasteurs et aussi les laïcs (même ceux qui d'abord
avaient sympathisé avec la cause nationale) étaient pressés à prendre une attitude d'intransigeance par
rapport au régime nationaliste et libéral. La société italienne se trouve fatalement polarisée entre
cléricalisme et anticléricalisme. L'Etat abolira graduellement tous les privilèges historiques de l'Eglise
catholique, créant ainsi toujours plus d'espace pour des mouvements concurrentiels (franc-maçonnerie,
Eglises protestantes (vaudois, baptistes). Le contraste entre l'adhésion à l'Eglise catholique et la cause
nationale suscitera chez la classe progressiste de la société italienne, une incrédulité peut-être plus
dangereuse que celle du Siècle des Lumières. On est sur le chemin de la sécularisation (laïcisation) du
pouvoir politique et de toute la structure de la société (par ex. par l'introduction du mariage civil). On
aboutit à la confiscation des biens de l'Eglise, à l'affirmation de la suprématie juridictionnelle de l'Etat
sur l'Eglise: juridictionnalisme - (jacobinisme - régalisme). Selon l'idéologie derrière ces courants
juridiques, l'autorité civile est première et antérieure à l'autorité ecclésiastique. L'Eglise, en tant que
institution (réalité extérieure) survient dans l'Etat. Elle y est accueillie et grâce aux lois civiles elle y
acquiert une personnalité morale et juridique. C'est donc l'Etat qui exerce une tutelle sur l'Eglise:
situation inverse de celle connue pendant la Restauration, où l'Eglise exerçait une certaine tutelle sur
les institutions civiles. Ce changement est d'abord interprétée par la hiérarchie catholique comme
profanation, sacrilège, violation du droit naturel, renaissance de l'esprit jacobin de la Révolution
française. Dans ce sens réagit aussi D. Bosco dans son almanach fort répandu parmi le peuple, et
intitulé Il galantuomo.
Art. 5. Interprétation des événements et réactions de l'Eglise
L'aperçu, en vol d'oiseau, des transformations socio-politiques les plus importantes, nous fera
mieux comprendre la réaction de l'Eglise et le pourquoi de ses prise de positions.
De l'avais de beaucoup de catholiques, l' "indifférence religieuse" et la "déchristianisation"
initiées au 18è siècle, allèrent en se généralisant. Elles atteignent désormais les couches populaires, au
moins dans les villes. Elles aboutissent à l'apostasie, la perte totale de la foi chrétienne.
1. L'Eglise constate - vers la moitié du siècle - que ses structures ne sont plus à la hauteur du
temps (par ex. son organisation paroissiale à Turin). Le facteur responsable pour cette insuffisance
c'est la mobilité de la population qui - surtout parmi les jeunes prote à se détacher de la paroisse
territoriale d'origine. La culture de la chrétienté traditionnelle n'a plus d'impact sur eux. Ils s'aliènent
peu à peu des valeurs religieuses et morales. Issus de la familles où l'observance religieuse était
inculquée par l'autorité des parents, et les traditions, ils sont livrés à un nouveau milieu et ne savent
pas gérer la liberté ainsi conquise. Si les jeunes migrants participent aux pratiques religieuses, c'est
souvent parce qu'ils sont attirés par l'éclat des églises urbaines. C'est en général un lent processus de
désaffection qui s'amorce, une usure qui fait abdiquer se religion, le plus souvent par respect humain
face aux collègues de travail qui les entraînent vers un relâchement progressif: ils voient les quelques
heures libres du dimanche comme des rares occasions pour se divertir et pour oublier un bref moment
leur exploitation capitaliste.
2. Le conflit Etat-Eglise, libéralisme et conservatisme, ne faisait qu'accentuer la polarisation
croyant-incroyant, pratiquant - non pratiquant, en assimilant ces non-pratiquants aux "indifférents" en
voie de devenir des hérétiques, incrédules ou apostats. Le développement des sciences modernes,
souvent en conflit avec les idées reçues depuis de siècles (mais confondues parfois avec les vérités de
la foi) emmenait une tendance agnostique et souvent ouvertement irréligieuse: c'est le début de
l'athéisme contemporain et militant.
Les catholique, qui en marge des institutions politiques de l'Etat italien libéral, cherchaient à
réunir leurs forces dispersées dans l'Opéra dei Congressi (à partir de 1874) ne cherchaient pas au fond
un rapprochement avec les libéraux (et la société moderne laïcisée) mais ils voulaient mettre sur pied
une organisation confessionnelle pour préserver l'impact de l'Eglise sur les masses populaires fort
influencées par la presse libérale et socialiste dans les villes (les journaux). Dans un premier temps au
moins c'est plutôt une tentative pour récupérer l'impact perdu sur les masses populaires et une réaction
défensive à l'émargination socio-politique. Plus tard on évoluera vers une "conscience politique" d'où
naîtra la "démocratie chrétienne", et son parti.
L'indifférence théorique, mais surtout pratique (de celui qui croit à une religion, mais n'en
pratique pas les devoirs) est le fantôme qui épouvante les auteurs de la littérature religieuse de la
seconde moitié du 19è siècle. Don Bosco aussi parle dans le même sens du "poison mortifiant de
l'indifférentisme et de l'incrédulité" (dans une brochure pour célébrer un jubilé, où il fait sienne
l'analyse du Pape sur les événements des années 50).
Comme pasteur des jeunes D. Bosco sera constamment préoccupé d'endiguer les dégâts du
phénomène de l'indifférence sur le plan de l'éducation et de l'enseignement des jeunes et du simple
peuple. Les symptômes de la crise qui sont continuellement cités sont: le manque de pratique du repos
dominical, la non-observance de l'assistance à la messe du dimanche (et des fêtes de précepte), la
transgression du jeûne et de l'abstinence du carême, la négligence de la communion et de la
confession, le manque de participation au catéchisme et aux actes de dévotion (par ex. le rosaire); c'est
encore la "profanation" du dimanche par les divertissements malhonnêtes qui est souvent répétée. On
dénonce aussi - et D. Bosco ne fait pas exception dans ses lectures catholiques - tous ceux qui (dans le
cadre du libéralisme économique sauvage) s'enrichissent rapidement ou mènent une vie facile, en
négligeant leurs devoirs religieux, oublieux de penser à leur salut éternel.
Au moment où les manifestations politiques (patriotiques) et les congrès socialistes et
scientifiques sont à la mode, les catholiques à leur tour, cherchent de donner un caractère plus public à
leurs convictions et expressions de piété (congrès eucharistiques et marials) en donnant ainsi un
témoignage social.
Note bibliographique: ces quelques articles sont un résumé de quelques chapitres dune thèse de J.
SCHEPENS, Pénitence et eucharistie dans la méthode éducative et pastoral de Don Bosco (UPS,
Rome 1986): Première partie: Don Bosco, apôtre, éducateur et auteur d'une époque en pleine
transformation. P. STELLA, Don Bosco_ Vol. II: Mentalità religiosa e spiritualità, Roma, Las, 1981
(2 éd.).
Chap. 2: Le contexte ecclésiastique, pastoral et pédagogique. Eclosion d'une pédagogie préventive
Art. 1. L'Eglise catholique du 19è siècle en Italie: caractéristiques générales
On adresse en général deux critiques à l'Eglise de l'Italie au 19è siècle: 1° une incapacité du
catholicisme en général, et de l'Italie en particulier, pour développer, en correspondance avec les
besoins du temps, une action sociale adéquate, dans les sens d'une vraie justice (en non seulement
d'une charité); 2° un attachement farouche à une organisation temporelle et à un statut civil dépassé.
Cela lui a empêché - dit-on - de comprendre la portée universelle et foncièrement bénéfique des
revendications du Risorgimento et du libéralisme qui cherchaient seulement un nouveau rapport entre
l'Etat et l'Eglise; entre religions et Société. Elle aurait dû y voir une libération d'un engagement sociopolitique devenu trop lourd.
Dans ce sens, on la reproche de ne pas avoir été assez animé par des préoccupations spirituelles
(dans le deuxième cas) tandis que dans le premier cas, on la reproche qu'elle n'a pas su s'engager à
temps dans une action sociale libératrice au-delà de l'action de charité émanante des fondateurs
religieux et d'une poignée de laïcs apôtres. Qui a raison? Quoi qu'il en soit il ne faut pas généraliser
trop. On a souvent sous-estimé la variété des réactions de l'Eglise dans ses diverses composantes.
Avant de juger, il est nécessaire de jeter un regard sur la vie de l'Eglise comme un organisme vivant,
sa vie intérieure et ses motivations.
Dans ce siècle, s'effectuent pleinement et arrivent à pleine maturité de réalisation les directives
spirituelles et disciplinaires du Concile de Trente:
* centralisation de l'Eglise par souci d'unité ce qui nécessite un prestige croissant de la papauté (on
parle de "dévotion au Pape") et des Evêques au niveau de leurs églises locales.
* le développement d'une apologétique et d'une philosophie chrétienne comme réponse au besoin
de défendre la foi dans une société devenue ingédule.
* l'organisation des petits-séminaires et des grands-séminaires
* la multiplication des oeuvres de charité.
Nous constatons l'apparition d'un laïcat actif, avec une physionomie propre, ce qui est
relativement nouveau dans l'histoire de l'Eglise catholique: ce laïcat commence à s'organiser et sent sa
propre responsabilité pour la marche de la vie sociale, au- delà de l'oeuvre des évêques et prêtres. C'est
un laïcat qui s'éveille lentement pour assumer des tâches de dirigeants; et ça et là des prêtres sensibles
aux signes des temps commencent à associer directement des laïcs à l'oeuvre pastorale des prêtres (par
ex. Luigi Guala et Antonio Rosmini).
On constate encore un regain de prestige de la religion (surtout à l'époque de la Restauration),
le sens de la Providence, l'impact du surnaturel sur l'histoire humaine. C'est un fait qu'on donne grande
importance aux visions, songes, révélations, prophéties, faits extraordinaires; des offertes arrivent
pour les oeuvres de charité de façon inattendue; les faits charismatiques abondent même aux milieu du
monde (non seulement dans les couvents). Il y a un retour du peuple à une pratique traditionnelle de
piété dans les zones rurales; les pèlerinages connaissent un grand succès. A cela aide peut-être la
psychologie d' "état de siège" qui règne dans l'Eglise: on vit dans un climat de lutte, mais d'une lutte
qui porte visiblement à des victoires malgré les multiples attaques du Mal.
Art. 2. Les points névralgiques de la vie de l'Eglise
a) Rosminianisme et giobertisme
Sujet de discussion intense furent les oeuvres de A. Rosmini (1797-1855), prêtre, proclamé
Serviteur de Dieu, philosophe, théologien, et fondateur d'une société religieuse "Institut de la Charité".
En 1849, deux de ses oeuvres furent mises à l'index: Delle cinque piaghe della Santa Chiesa (Lugano
1848) et La Costituzione civile secondo la giustizia sociale (Milano 1848).
Les maux qui affligent l'Eglise de son temps sont principalement cinq, comme les plaies de
Jésus crucifié: 1) la séparation du Peuple de Dieu du clergé dans le culte public; 2) la formation
insuffisante du clergé; 3) le manque d'union entre les évêques; 4) la nomination des évêques trop
influencées par les pouvoir temporel; 5) l'asservissement des biens de l'Eglise au pouvoir politique.
Son activité intellectuelle visait une réconciliation du christianisme avec les idéaux modernes,
à travers un renouvellement tant de l'Eglise que de la Société. Selon lui, l'Eglise, libérée de compromis
politique, devait s'adonner plus fortement à sa mission spirituelle.
A ses idées adhéraient beaucoup d'intellectuels chrétiens de son époque, parmi eux le futur
archevêque Lorenzo Gastaldi, sous l'influence de l'université de Turin. Le rosminianisme occupe sans
doute une place de choix dans la vie culturelle et intellectuelle du Piémont; ce courant s'est souvent
présenté comme une troisième voie pour la solution des différentes questions disputées du moment.
Dans l'appréciation de l'oeuvre de Rosmini il faut distinguer la personne (l'intégrité de sa vie)
et ses doctrines. La doctrine ecclésiologie et liturgique de Rosmini qui a suscité des polémiques tout
au long du siècle, ne pouvait pas encore être acceptée, tellement elle devançait le temps. D. Bosco, qui
se déclarait toujours incompétent pour juger sur son système philosophique et théologique, a toujours
conservé une grande estime pour la personne de Rosmini, dont il avait reçu des aides économiques
non négligeables.
Vincenzo Gioberti, ecclésiastique lui aussi, poussa dans ses oeuvres Il gesuita moderno et Il
primato morale et civile degli Italiani (1843) à l'extrême l'idée que la religion chrétienne était destinée
à jouer un rôle de premier plan dans la conscience civile italienne, et qu'il fallait faire cause commune
avec les aspirations politiques du moment. De cette manière, il soumettait le christianisme à n'être
qu'un instrument au service d'une cause politique, de même qu'il tendait vers une "sécularisation" de
l'Eglise.
b) Les disputes pastorales et morales entre rigoristes et alfonsiens, probabilistes et probabilioristes
Le rigorisme pastoral, craint qu'une administration trop facile (sans poser des conditions un
peu exigeantes) favorise le laxisme ce qui mène à la longue à la perte du sens moral et spirituel, et
enlève d'avance le goût de l'effort pour améliorer sa vie.
Encore au 19è siècle, la pratique sévère pouvait être appuyée non seulement sur l'autorité
d'auteurs de tendances janséniste, en général des français, mais aussi sur l'autorité de Rosmini et de
Gioberti qui critiquèrent fortement la décadence introduite selon eux par le probabilisme des jésuites
et la théologie morale de St. Alphonse. Mgr. Gastaldi essaya encore de réintroduire certaines formes
de rigorisme. Entre 1848 en 1951 il s'occupa à faire publier en réédition le vieux manuel d'Antonio
Alassia, avec quelque concession au bénignistes. Il eut un conflit avec Mgr. Bertagna, directeur des
conférences morales au Convitto (depuis la mort de Cafasso), qui causa l'éloignement de ce professeur
de l'enseignement en 1876.
Dans la pratique du sacrement de la pénitence, l'attitude rigoriste s'exprimait souvent par un
délai ou un refus de l'absolution. Les confesseurs exigeants considéraient souvent ce délai d'absolution
comme une nécessité jusqu'au constat dans les confessions suivantes que le pénitent s'était
effectivement corrigé en évitant au moins les situation périlleuses. On faisait grand cas de ce qu'on
appela "récidivistes" ou "habitudinaires" (routiniers) qui ne donnaient pas la preuve par leur vie et leur
moeurs que leur propos de se corriger était efficace. Selon ces moralistes de tendance sévère, une
absolution accordée à la légère causait inévitablement le relâchement moral de l'individu.
Ils s'opposèrent aussi à la communion fréquente: l'homme - selon eux - doit d'abord, avant de
communier, acquérir une force intérieure qui le rend apte à recevoir l'hôte divin. Ils insistèrent non
seulement sur les dispositions actuelles mais aussi habituelles, en portant comme argument qu'un seul
acte de bonne volonté n'est pas suffisant à déplacer le centre de gravité spirituelle de notre vie, du mal
vers le bien. La communion ne pouvait pas être distribuée à ceux qui retombaient facilement dans le
péché, ou chez qui la vie morale était encore insuffisamment orientée vers la grâce.
Le probabilisme tendait vers une attitude de clémence et d'indulgence (bénignisme). Les
pasteurs de tendance probabiliste se croyaient autorisées de donner l'absolution sur la base d'une
promesse de vouloir changer de conduite et de résister dans les occasions prochaines. Ils défendaient
la validité de l'absolution, même si - au bout de quelque temps - il fallait parfois douter sur le sérieux
de la promesse faite par l'un ou l'autre des pénitents. Pour eux donc, on pouvait se contenter des
bonnes dispositions actuelles du pénitent.
Ils étaient favorables à la communion fréquente, parce que pour eux elle était comme le pain
quotidien ou l'aliment spirituel qui corrobore ceux qui sont faibles, et qui rend apte à une vie
spirituelle et morale nouvelle. Le rigorisme avait eu selon eux, comme conséquence, l'éloignement des
gens des sacrements et du même coup l'affaiblissement spirituel et moral dont ils trouvaient les
preuves historiques dans le rationalisme, l'incrédulité montante du 18è siècle, et dans la révolution
française et ses séquelles.
Sur le plan plus strictement moral (et de la théologie morale), nous constatons la tension entre
probabilisme et probabiliorisme. Pour St. Alphonse, une loi vraiment douteuse n'oblige pas en
conscience. En matière de sacrements, il reste le défenseur d'un christianisme sérieux: la communion
peut être fréquente quand il y a le vrai désir de se corriger et la volonté de progresser dans l'amour
divin. Il faut qu'il y ait la disposition pour profiter de ce remède ou de cette nourriture fortifiante. Le
confesseur doit se baser sur les bonnes dispositions du pénitent et quand il peut être moralement sûr
que ces dispositions sont bonnes, il peut toujours donner l'absolution. Cette certitude morale, il doit la
tirer des signes que donne le pénitents. Si le ministre du sacrement n'est pas sûr des dispositions du
pénitent, il peut encore donner l'absolution sous condition.
Au cours du 19è siècle, l'appel à l'indulgence - ayant confiance dans l'efficacité de la grâce de
Dieu qui est à l'oeuvre même dans les pécheurs récidivistes, sera davantage entendu. Don Bosco y
contribuera au prévaloir de cette tendance dans la théologie morale, non pas en se mêlant lui-même
dans le débat théologique, mais en offrant l'occasion aux auteurs bénignistes de publier leurs
opuscules dans la publication mensuelle des Lectures catholiques. Il a donné ainsi un très large espace
aux idées de G. Frassinetti, qu'on a appelé "le curé d'Art italien".
L. Guala et après lui, Giuseppe Cafasso (à partir de 1843), ont cherché de dépasser la situation
polémique régnante. Selon D. Bosco, Guala réussit à rapprocher les extrêmes, et Cafasso fit l'étude
comparée des auteurs pour faire voir qu'il y avait plusieurs opinions possibles sur une question morale.
Selon lui, le probabiliorisme (il faut toujours agir selon l'opinion qui semble avoir la prépondérance
quantitative et qualitative) peut être valable en principe, mais il s'évanouit souvent dans la pratique,
parce qu'il est intenable tant pour le prêtre que pour le pénitent: pour le prêtre, parce qu'il lui est
impossible de voir clair dans le degré de probabilité des diverses opinions de moralistes et dans la
complexité de la situation du pénitent; il doit se décider à l'instant même que le pénitent est chez lui;
pour le pénitent aussi la question est insoluble: il faut qu'il puisse agir et vivre en paix. C'est à dire que
le probabiliorisme conduit à un doute continuel sur ce qui est à faire; on risque d'imposer des choses
trop difficiles pour les gens.
N.B. Cette prise de position de Cafasso et D. Bosco se comprend mieux quand on tient compte des
catégories de pénitents qu'ils rencontraient dans leur pratique ministérielle: les prisonniers, des
vagabonds, des abandonnés etc. Il va de soi qu'une pastorale moins rigide s'imposait pour eux.
Selon le probabilisme, dans le doute (et c'est souvent le cas), il faut laisser la liberté de suivre
la sentence qui jouit tout simplement d'une bonne probabilité. On n'est pas obligé d'agir selon la
sentence la plus exigeante, la plus sûre. Le plus souvent d'ailleurs on ne saura jamais quelle est la
sentence (norme, loi, principe) la lus sûre: dans tel ou tel cas, chez tel ou tel pénitent, même si le
prêtre personnellement (subjectivement) est convaincu que c'est telle ou telle sentence qui st la
meilleur théoriquement, ce n'est pas encore ainsi pour le bien du pénitent. Selon Cafasso, on doit
suivre l'opinion la plus sûre (et la plus exigeante) quand il y a un danger de mettre en question les
éléments fondamentaux de la foi ou quand la réception valide des sacrements est impliquée. Mais dans
les autres cas, il faut voir plutôt si telle attitude (plus sévère ou plus indulgente) sera avantageuse pour
le salut, le progrès et la persévérance du pénitent concret. La norme suprême devint ainsi; défendre en
même temps la gloire de Dieu et le plus grand bien des âmes. Or, la gloire de Dieu c'est d'aimer au
maximum le salut éternel de notre prochain. Don Bosco suivait la directive de son maître e disant:
"que m'importe-t-il d'avoir un système (moral) étroit ou large? L'important c'est d'envoyer le plus
grand nombre d'âmes au paradis" (rapporté par D. Ruffino, cié e STELLA, Don Bosco, vol 1, p. 94).
C) les questions philosophiques et théologiques: le traditionalisme et le fidéisme - gallicanisme et
ultramontanisme
Sur le plan philosophique, Joseph de Maistre et Louis de Bonald se sont donnés la peine de
donner une justification philosophique à la foi chrétienne sur un registre complémentaire du Génie du
christianisme de Chateaubriand, qui avait montré que le foi était utile et porteuse de fruits dans tous
les domaines. Les traditionalistes cherchèrent donc à prouver que la foi avait dans la vie humaine un
rôle indispensable. La révélation, selon eux, comble non seulement le coeur, mais elle est à la base de
la vie sociale. Pour eux, les ruines et les meurtres accumulées au nom de la liberté et de l'égalité par la
Révolution, sont la preuve évidente de l'erreur de l'idéologie des Lumières. L'expérience étant la pierre
de touche de la vérité, Joseph de Maistre enseigna dans sa Théorie du pouvoir politique et religieux
dans la société civile, démontrée par le raisonnement et par l'histoire, que tout ce qui est nuisible en
soi, est faux, comme tout ce qui est utile en soi, est vrai: les malheurs causés par la Révolution ont
fourni la preuve de la fausseté du rationalisme qui en est l'inspirateur. Et il en tira alors cette
conclusion: l'ordre social repose sur l'ordre moral dont Dieu est le fondement, la Révélation la source,
et la tradition la norme. Avec force il souligna que les "révolutionnaires" avaient fait de la liberté une
règle absolue, excluant toute loi, toute autorité et faussant l'idée même de liberté. C'est ainsi qu'on peut
comprendre comment l'Eglise s'opposa (souvent sans nuance) aux "libertés publiques" tout au long du
19è siècle, au nom de la vrai liberté (chrétienne).
Sur le plan dogmatique, le traditionalisme défendu par de Bonald pense que la raison
individuelle est incapable de découvrir les vérités religieuses et morales indispensables à la vie
humaine. Seul l'enseignement révélé peut nous fournir ces vérités. Selon lui, même des vérités si
primitives et simples telles que l'existence de Dieu, la spiritualité de l'âme tout comme son
immortalité, ne peuvent pas être découvertes par la raison humaine. Elle les connaît seulement à partir
d'une révélation primitive qui est déposée dans le langage humain depuis la création de l'homme par
Dieu. Le langage qui est l'instrument indispensable de toute opération intellectuelle constitue donc une
"tradition" naturelle comme un fondement ou point de départ pour la foi chrétienne.
Selon Lamennais, c'est le "sens commun" ou la raison collective qui arrive à connaître cette
révélation de Dieu. Le fidéisme de Bautain va encore plus loin: on supprime le caractère
essentiellement gratuit et surnaturel de la "révélation divine". Selon lui, la "révélation" est ce qui
précède la raison: un aspect naturel et indispensable pour le premier développement de la raison qui
est totalement impuissante par elle-même. De cette façon il retira à la foi tout appui à partir de la
raison.
Ces deux courants (traditionalisme et fidéisme) ont conduit à une évolution en deux sens
opposés: surestimer ou sous-estimer le rôle de l'autorité et de la révélation divine (surnaturelle); pour
le uns, Dieu est venu en aide à la faiblesse de la raison en nous conduisant à la vérité moyennant le
Christ, l'Eglise, et les dogmes. Pour les autres, Dieu a parlé aux hommes moyennant une tradition
naturelle que la raison humaine peut découvrir par elle-même; elle n'a pas besoin au fond de Jésus
Christ, de l'Eglise et des dogmes. Dans ce dernier sens, on finit paradoxalement par renforcer le
rationalisme qu'on voulait d'abord combattre.
Ce n'est que par le Vatican I qu'on a trouvé une solution équilibrée:
- Dieu, principe et fin de tout, peut être connu de façon certaine à partir des choses crées par la
lumière naturelle de la raison humaine.
- mais ce qui dans les choses divines n'est pas par lui-même accessible à la raison humaine, peut
être connu seulement, par tous, facilement, avec certitude et sans mélange d'erreur, grâce à la
Révélation divine.
- la Révélation fait donc essentiellement appel à la foi, ce qui implique la soumission libre de notre
intelligence et de notre volonté (l'obéissance de la foi) (voir Constitution dogmatique sur la foi
catholique: Denzinger 1789 (3008).
Deux autres dogmes ont été définis au cours du 19è siècle: celui de l'Immaculée Conception (8
décembre 1854) et de l'infaillibilité du Pape (1870). Le premier dogme consacre toute une tradition
déjà existante au sein de l'Eglise catholique. En général, la proclamation fut accueillie en Italie avec
une enthousiasme. Le deuxième fut beaucoup plus discuté. La majorité des évêques italiens était
favorable (aussi Mgr. Gastaldi, qui au début avait été contraire) mais qui s'était laissé convaincre par
D. Bosco selon ce qu'on dit). Les discussions avant et durant le Concile Vatican I portaient plutôt sur
l'opportunité de la proclamation, sur les modalités de l'exercice de l'autorité infaillible du Pape, et non
tellement sur la vérité en soi qui n'apparaissait pas une nouveauté. En effet, le Pape avait déjà exercé
cette autorité infaillible sans qu'elle soit définie: par exemple dans le cas de la proclamation de
l'Immaculée Conception.
- Seulement jusqu'en 1870 (Vat. I) ce n'était pas encore reconnu explicitement comme un droit
divin et une vérité de foi définie solennellement. Par la proclamation de l'infaillibilité l'Eglise a voulu
créer une défense valable et légitime contre les déviations sur le terrain de la foi et de la discipline.
N.B. Concernant l'influence de la "mentalité" traditionaliste sur D. Bosco, on peut découvrir
quelques traces de cette théologie dans un des livres intitulé: Il cattolico istruito (1853). Cependant,
Don Bosco a eu soin d'éliminer ces traces dans les réimpressions de ce livre postérieurs au Concile
Vatican I.
Quant au gallicanisme et l'ultramontanisme, il s'agit de tendances plus diffuses en rapport à
l'autorité de l'Eglise.
On distingue un gallicanisme royal (propre au rapport entre le Roi de France et le Pape et les
questions juridiques connexes) et un gallicanisme épiscopal et presbytéral. Ce dernier s'exprime dans
une certaine susceptibilité pour les décisions et enseignements venant de la Curie romaine, ou dans
une certaine supériorité de l'épiscopat sur le Pape. Pour le clergé (surtout français) on constate
l'empreinte de cette mentalité gallicaniste pendant la Révolution française quand on votera "la
constitution civile du clergé" par l'Assemblée nationale.
L'ultramontanisme (nom donné par les gallicans avec un certain mépris) prône l'idée non
seulement de la suprématie du pouvoir papal sur le pouvoir épiscopal, mais sa totale indépendance à
l'égard des pouvoirs temporels. Parfois, on allait vers une exaltation excessive de l'infaillibilité du
Pape, entendu comme Pape-roi (cfr. le slogan de J. de Maistre et de Lamennais: sans Pape pas d'ordre
social).
Le Concile Vatican I a eu soin de préciser que l'infaillibilité du Pape n'est pas celle d'un
monarche absolu mais celle de l'Eglise, la même qui appartient à toute l'Eglise; et - par conséquent elle n'a aucune signification politique (dans le sens d'un droit à la souveraineté sur les différents Etats).
d) le rapport avec les protestants
Don Bosco et les premiers salésiens ont eu affaire à deux groupes de protestants: les vaudois et
les baptistes.
Les vaudois étaient un mouvement qui remontait à Valdes (Lyon, au 12è siècle), à l'origine:
une secte qui exalte la pauvreté. Ils étaient laïcs et se considéraient les prédicateurs d'un pur évangile.
On les appelait aussi "les pauvres de Lyon". Chassés en France, ils s'établirent au nord de l'Italie et
adoptèrent une organisation calviniste à l'époque de la Réforme protestante. Au 19è siècle, ils allèrent
contre le rationalisme en faveur d'une piété plus grande, en s'opposant à l'Eglise ( la Religion) d'Etat.
Ils adhéraient à l'expression: "Eglise libre dans un Etat libre" reprise après par Cavour et d'autres. Leur
réveil et l'émancipation de 1848 (ensemble avec les juifs) ont permis de développer une action
puissante de prosélytisme, aidés par la Suisse et l'Angleterre sur le plan financier. Ils se servirent de la
révolution nationaliste italienne pour combattre la papauté et le catholicisme. Ils firent appel à d'autres
protestants (des baptistes et des méthodistes) et à des ex-prêtres et ex-religieux catholiques (p. ex. L.
Desanctis et Grignaschi) pour lancer une action qui aurait dû atteindre toute l'Italie pour établir ce
qu'on appelait "la Réforme italienne". Ayant organisé une véritable offensive contre l'Eglise
catholique, on comprend que les accrochages étaient parfois très durs de part et d'autre. (voir un
épisode raconté dans Opere Edite vol. 38, pp. 30-32).
Grâce à l'argent, ils eurent un certain succès chez les gens simples et les jeunes. Quand ils
commencèrent à publier un almanach "L'ami de la maison", D. Bosco chercha de répondre du côté
catholique par son almanach "Galantuomo" (le gentilhomme = homme honnête et honorable fidèle à
sa parole_), dans la même année 1853.
Leur expansion fut expressément favorisée par les libéraux et francs-maçons qui les appelaient
dans leur région pour contrecarrer et affaiblir les catholiques.
La polémique se concentrait toujours sur les mêmes points: les vaudois accusèrent les
catholiques d'attachement à une série de traditions (humaines) qui ne dérivaient pas de la Révélation
écrite ni de l'Eglise apostolique, et ils les reprochèrent d'être intransigeants et conservateurs sur le plan
socio-politique. Les catholiques, de leur côté, voient dans le protestantisme la dégénération du
christianisme authentique, la religion du caprice et de la vanité des prédicateurs, du désordre et de
l'arbitraire personnel: "religion sans Credo" où chacun croit ce qui lui semble bon, sans autorité, sans
sacrements. L'attraction des protestants sur les catholiques est expliquée par l'engouement pour tout ce
qui est nouveau, ce qui promet liberté et des avantages matériels.
N.B. C'est un fait que D. Bosco adopte un style un peu primaire dans sa polémique contre les
vaudois et leurs écrits dans les années 50. Mais dans les années de maturité il a abandonné sans
problème l'esprit de controverse trop rigide.
Art. 3. La piété et la pratique pastorale
La vie spirituelle du 19è siècle en Italie est encore fortement influencée par la spiritualité des
siècles précédents, spécialement par celle de la France;
La reprise catholique est très fort au temps de la Restauration sous l'impact de ce qu'on appelle
les "Amitiés": une forme de sociétés secrètes pour la défense de la foi ayant des buts en même temps
dévotionnels et apostoliques.
Cavanis et Pavoni, formés sous l'influence des dites sociétés, auront une influence certaines sur
D. Bosco, et les jeunes laïcs forés dans leurs Oratoires seront à la base des Associations de la jeunesse
catholique italienne, qui naîtront dans la deuxième partie du siècle, et de là naîtra aussi en partie
l'Oeuvre des Congrès et du mouvement catholique de la fin du 19è siècle. De loin cette vitalité dérive
encore de l'oeuvre de S. Charles Borromée et de la présence des Ursulines fondées par S. Angela
Merici.
La piété est celle qui donne un grand espace au sentiment (spritualità del fervore) et au
psychologisme dévot (avec cette tendance à une vigilance continuelle de soi-même pour progresser
dans la vie intérieure). Le risque d'un certain sentimentalisme est réel (contre lequel Mgr. Gastaldi par
ex. mettra en garde dans ces lettres pastorales). L'esprit de S. François de Sales imprègne toute la vie
et la littérature spirituelle du 19è siècle de l'Italie du Nord, non moins que l'austérité et l'affectivité des
écrivains ascétiques alfonsiens. Les sentences de Philippe Neri circulaient entre les mains d'éducateurs
et jeunes sous forme de livrets de divulgation. Les thèses préférées étaient: la providence et la
miséricorde divine, la confiance et l'abandon dans les mains de Dieu, la paix intérieure.
La religion est présentée dans les milieu de Don Bosco (par exemple par Don Cafasso et le
Convitto) comme un facteur de progrès et même d'utilité matérielle (cfr. aussi Léonard de Port
Maurice).
La fuite du monde (thème classique de la spiritualité traditionnelle) se traduit comme fuite des
dangers pour la perte de la foi et de la pureté des moeurs. D'autres part, on assiste à la naissance d'un
catholicisme militant (clergé et laïcs conjointement) qui veut dépasser un engagement purement
caritatif pour aboutir à un engagement plus explicitement social vers la fin du siècle.
Le 19è siècle n'est pas seulement le siècle où les missions populaires connaissent un
développement spectaculaire pour susciter la conversion et provoquer un réveil religieux dans les
villages et centres urbains, mais il y a aussi une croissante pratique des récollections mensuelles et des
retraites annuelles. On continue à pratiquer les Exercices classiques de St. Ignace, mais on introduit
aussi des formes plus simples praticables par des groupes de retraitants. Cette nouvelle forme consiste
principalement dans un enchaînement de "méditations" et d' "instructions". Les évêques les rendent
obligatoires pour le clergé, et les laïcs (cultivés) y assistent aussi parfois par leur propre initiative.
Derrière l'expression devenue courante "une foi illuminée" se cache le besoin de dépasser la
pure mémorisation du catéchisme et aussi l'attitude plus positive par rapport au rôle de la raison. De
cela dérive probablement l'intérêt croissant pour l'apologétique et l'histoire sacrée (biblique et
ecclésiastique). Les besoins des "oratoires" ont certainement stimulé une certaine créativité
catéchétique. Sous la pression de la concurrence protestante, les catholiques commencent à divulguer
la Bible traduite en italien (à Turin seulement ont paru 35 éditions complètes de la S. Ecriture faites
par A. Martini).
Le terme "charité" (cf. les "oeuvres de charité") assume un sens très dense dans ce siècle. 1)
D'abord il conserve toujours son sens original: la charité chrétienne c'est fondamentalement une vertu
théologale avant d'être une vertu sociale. 2) Ensuite: la charité n'est pas une forme d'amour
sentimental, mais implique les "oeuvres": non seulement les oeuvres de charité corporelle (p. ex.
soigner les malades) mais les oeuvres d'apostolat: le "zèle" pour le bien moral, spirituel et
communautaire du prochain; c'est ainsi que Cottolengo, Rosmini, Cavanis, et Pavoni sont inspirés par
la maxime: "Caritas urget nos" (la charité nous presse) 3) La charité est encore le signe et la mesure (le
thermomètre) d'une saine "dévotion réglée" (dont parlait déjà avant Muratori). 4) Au 19è siècle la
"charité" c'est encore ce signe distinctif et cet appui apologétique dans le contexte d'une société où
commencent les premiers symptômes d'une société en voie de déchristianisation: la charité traduite en
actes visibles et en oeuvres tangibles, c'est la preuve éclatante de la vitalité d'un christianisme que les
indifférents et incrédules croyaient déjà mourant. C'est la preuve que le christianisme d'aujourd'hui
(comme celui d'hier) continue à donner sa contribution précieuse au progrès moral et civil du pays. On
se rappelle les paroles mémorables de D. Bosco au CG 1 (1877): "nous sommes maintenant dans un
temps où il faut savoir travailler (oeuvrer); le monde est devenu matérialiste; pour cela, il faut
travailler et faire connaître le bien qu'on fait. si quelqu'un prie jour et nuit dans sa cellule, même en
faisant des miracles, le monde n'y fait pas attention et n'y croit plus. Le monde (actuel) a besoin de
voir et de toucher du doigt (_) il veut voir le clergé au travail: à instruire et à éduquer (_) avec des
oeuvres caritatives_" (MB 13, p. 126)
Quant à la liturgie, déjà le Synode de Pistoia (avant la Révolution Française) avait voulu
introduire la langue du peuple dans la liturgie, mais après la Révolution on revint aux décisions du
Concile de Trente, par peur que ne s'introduise le criticisme. On craignit fortement l'esprit privé" et la
révolte contre l'Eglise. Le peuple avait peu de connaissance de la richesse du mystère de l'eucharistie
réduite à sa nature sacrificielle. On donnait très peu d'importance au cycle de l'année liturgique
supplantée par la prolifération de toute sorte de fêtes de dévotions particulières, du culte des saints et
de la Vierge Marie; Cette dernière dévotion, bien qu'essentielle, risquait parfois de prévaloir sur les
grandes fêtes centrées sur le Christ. En effet, jamais auparavant on avait donné un tel élan à la
dévotion mariale, spécialement dans le mois de mai qui prenait presque la place du carême e extension
et intensité de participation et de ferveur.
On assiste aussi à la montée d'un climat apocalyptique: des faits curieux, exceptionnels,
prodigieux, miraculeux tirent continuellement l'attention des fidèles. On se livre très rapidement à des
interprétations surnaturelles par rapport aux événements heureux ou tristes qui touchent l'Italie et
l'Eglise. Ces événements assument alors le sens soit d'une punition, sit d'un avertissement ou d'une
approbation. Les apparitions de la Vierge et les visions sont vues comme des signes précurseurs d'un
triomphe imminent de la part de l'Eglise par rapport à la "tristesse des temps". Ces triomphes sont
parfois conçues d'une façons trop terrestre et spectaculaire comme une victoire sur des ennemis.
La dévotion au Christ est essentiellement un culte au Fils de Dieu et Rédempteur dont on reçoit
les effets salutaires par la participation aux sacrements. le culte s'adressait particulièrement au "coeur
sacré" de Jésus: lui qui avait tant aimé le monde, mais dont l'amour avait été bafoué par les
"hérétiques, infidèles, et les mauvais chrétiens" qui se laissaient aller à l'indifférence.
La "grande affaire" de la vie c'était le "salut de l'âme". Ce salut on l'atteignait - disait-on - par la
conformité croissante à la volonté de Dieu. On se conforme à la volonté de Dieu par
l'accomplissement de la loi divine et par une exécution exacte et persévérante du propre devoirs d'état.
La sainteté est accessible à tous, répètent les écrivains spirituels après S. François de Sales. D.
Bosco soulignera qu'il est même facile à devenir saint en accomplissant ses devoirs et en restant
toujours joyeux en toutes circonstances. La "perfection" assume au 19è siècle un sens fortement moral
(et moins mystique): c'est pratiquer les vertus, si possible héroïquement, et s'orienter dès ici-bas vers
l'idéal de sainteté comme le sommet de cette vie terrestre.
Le prêtre idéal de l'Italie du Nord c'est le prêtre "salésien", S. François de Sales étant proposé
comme modèle des pasteurs: homme zélé, détaché des honneurs et de la carrière, pasteur qui a su
conquérir les âmes avec douceur; celui qui les a nourries et guéries; qui a conservé la foi catholique
contre les hérésies qui se divulguaient dans sa région; et qui a aussi contribué à "régénérer" la société
de son temps.
Le profil du prêtre reste assez classique: c'est celui proposé par S. Paul, S. Jean Chrysostome,
S. Basile, Condren, S. Alphonse de Liguori, et spécialement par S. François de Sales ("da mihi
animas, caetera tolle").
C'est un prêtre qui dérive de plus en plus de la classe paysanne et rurale. Cela facilitera
l'acquisition d'un style plus populaire et simple dans les contact avec les gens. Il y avait aussi un
danger que certains évêques (p. ex. Mgr. Dupanloup) faisaient remarquer: une certaine médiocrité
(dans les idées et dans l'action) et une perte de contact avec les classes dirigeantes du pays (bourgeois
et nobles). Les prêtres qui suivent le progrès des sciences naturelles (positives et exactes) sont rares;
même les sciences théologiques (ecclésiastiques) perdent leur prestige par les nombreuses fermetures
des facultés de Théologie aux Universités d'Etat. L'enseignement théologique s'appauvrit et se réduit
souvent à ce qu'on peut trouver dans des manuels stéréotypes réimprimés plusieurs fois. La catéchèse
en souffre aussi réduite à une transmission de connaissance assez arides résumées dans des petits
"catéchismes", condensés des manuels de théologie. Les réponses étaient à enseigner telles quelles, et
à apprendre par coeur.
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