Entre crise et développement. La fin des Ming
au sein d’un clan. Cela montre, au passage, que rien n’est fixé immuablement par les textes, y compris
les plus anciens et les plus sacrés : ils sont matière à interprétation.
Jiajing supporte mal qu’on lui oppose résistance et, en 1524 (rappelons qu’il n’a alors que 17
ans), fait bastonner et emprisonner 134 protestataires (16 mourront de leurs blessures). Il voudrait
même qu’on transfère la dépouille de son père dans le site des tombeaux des Ming, comme s’il avait
régné. Plusieurs flagorneurs l’y poussent. Peu à peu, les lettrés, sans doute las, font des concessions, et
Jiajing finit par obtenir pas à pas ce qu’il souhaite : il obtient que ses parents soient qualifiés de huang
皇 (« impérial »), que son père soit qualifié non plus de « prince de Xian » mais d’« empereur Xian »
(sa mère étant promue impératrice Xian, comme si elle était la veuve d’un empereur), puis, en 1525-
1526, qu’on construise un temple en l’honneur de son père, mais les lettrés exigent que ce temple soit
séparé du temple des ancêtres impériaux. Jiajing ordonne aussi qu’on compile les annales du « règne »
de son défunt père (Annales du règne de l’empereur Xian).
Jiajing fait publier deux ouvrages officiels, des sortes de « livres blancs » qui entérinent les
conclusions de la Controverse en rassemblant des documents. De façon symbolique, il change le nom
de sa préfecture natale, Anlu, en Chengtian (« qui obéit au Ciel »), afin qu’elle soit sur le même pied
d’égalité que Shuntian (« qui est soumise au Ciel »), c’est-à-dire Pékin, et Yingtian (« qui se conforme
au Ciel »), c’est-à-dire Nankin.
Le gros de la Controverse est terminé… sauf pour Jiajing. En 1538, il franchit le dernier pas :
il donne à son père un nom de temple (miaohao), c’est-à-dire un nom d’ancêtre impérial, se terminant
par zong 宗 (« ancêtre ») : Ruizong. Pour l’introduire dans le temple des ancêtres impériaux, il
n’hésite pas, cette fois, à en déloger l’un des ancêtres
. Désormais, son père est dans le temple des
ancêtres. Jiajing a mis 17 ans pour y arriver ! Obstination de Jiajing dans la Controverse : parfois, il est
seul contre tous, il n’accepte qu’en apparence de se plier aux recommandations du ministère des rites
ou des grands secrétaires (il revient toujours à la charge et les fonctionnaires, las, finissent par lui faire
des concessions, c’est comme ça pendant 17 ans). Côté enfant têtu.
Le dernier épisode de cette controverse rituelle se situe à la mort de la mère de Jiajing en 1538.
Jiajing se pose la question de savoir où l’enterrer : à Pékin, avec les autres empereurs et impératrices,
ou au pays natal ? Faire venir les restes du père au Nord ou envoyer la dépouille de la mère au Sud,
aux côtés de celle du père ? Il fait même une tournée d’inspection dans son pays natal en 1539 mais
finalement, après moult hésitations et revirements, il envoie les restes de sa mère au Sud.
En marge de la Controverse sur les Grands Rites – qui concerne le statut à accorder à ses parents,
surtout à son père –, Jiajing fait réformer des rituels impériaux importants (il modifie ce qu’on appelle
les « règles des sacrifices », sidian 祀典). À chaque fois, cela provoque des polémiques érudites. En
1530 :
- il sépare les sacrifices au Ciel et à la Terre, qui depuis Hongwu étaient combinés. Un autel dans la
banlieue sud (et sacrifice au solstice d’hiver) pour le Ciel (attention : le fameux Temple du Ciel n’est
pas l’Autel du Ciel, qui se trouve en réalité à côté), un autel dans la banlieue nord (et sacrifice au
solstice d’été pour la Terre). Il y avait aussi un autel de la Lune dans la banlieue ouest et un Autel du
Soleil dans la banlieue est (aujourd’hui, tous ces autels se trouvent à l’intérieur de Pékin).
- il remet en vigueur le rituel de l’élevage des vers à soie par l’impératrice (rituel lors duquel
l’impératrice, à la tête des femmes de l’aristocratie, accomplit symboliquement les gestes de la
sériciculture). Il y voit en effet un pendant du rituel du Labourage, qui était accompli par l’empereur.
Le premier est placé sous les auspices de Xiancan, la déesse de la sériciculture, le second sous ceux de
Xiannong (ou Shennong), le dieu de l’agriculture.
- il réforme le culte de Confucius : le rabaisse au rang de Premier Maître (et non plus Roi de la
Diffusion de la Culture, car il détestait avoir à se prosterner devant un roi. Tablettes et non plus statues
ou portraits, moins de rangs de danseurs dans les sacrifices. Valable pour tout l’empire. Il fait cela car
mécontent des protestations du mandarinat confucianiste dans la Controverse.
Techniquement, il fallut donner à l’empereur délogé le statut d’« ancêtre éloigné » (éloigné dans le temps). Ces
« ancêtres éloignés », tout en étant dans le temple, n’étaient pas comptés parmi les neuf ancêtres (les plus
proches). Toutes ces manipulations, qui nous semblent aujourd’hui être de la cuisine rituelle confucianiste,
faisaient à l’époque l’objet de débats érudits. C’était le quotidien de la cour !