L’Association française des Anthropologues a le plaisir de vous inviter à participer à son séminaire : ANTHROPOLOGIE, PSYCHANALYSE ET POLITIQUE REGARDS SUR LES TERRAINS Subjectivation et globalisation En partenariat avec le CRPMS Séance du mardi 6 décembre 2016 11h-13h Maison Suger : 16 – 18 rue Suger Paris 6ème (RER Saint-Michel) Guerres civiles et subjectivités présenté par Karima Lazali : La parole oubliée (Erès, 2016) et Olivier Douville : Guerres et traumas (Dunod, 2016) Karima Lazali, La parole oubliée, Eres, 2015 Karima Lazali est psychanalyste à Paris et à Alger Ce livre tourne autour d’une question portant sur le statut de la parole en psychanalyse et pour la psychanalyse et ce, quel que soit le lieu d’effectuation de la rencontre entre un analyste et un analysant. Cependant, cette affaire comporte quelques particularités lorsque la cure s’exerce dans un contexte politique où la parole dite « libre » est exclue ou plus précisément mise à mal . L’ expérience de la psychanalyse à Alger dans un contexte où elle ne fait pas « symptôme social » pour reprendre cette formulation de Lacan, dans le sens où d’une part la psychanalyse se trouve éloignée du bain culturel dans lequel elle est née, et d’autre part où il n’existe ni tradition ni institution analytique, nous confronte à un certain nombre de questions sur les possibilités/limites de la cure.D’une manière étrange, ces questions peuvent se retrouver actuellement dans les institutions éducatives et de soins en France. En effet, une protocolarisation incessante vise à évacuer l’épaisseur de la parole et la pluralité des pratiques et des discours. Comment et en quoi ces situations rendent-elles lisibles l’étroitesse du lien entre psychanalyse et politique ? Et que révèlent-elles de l’indissiociabilité entre psychisme singulier et collectif ?La réflexion proposée là s’engage comme une ballade autour de la parole, du corps et du Politique en psychanalyse à partir de situations géographiques, linguistiques et culturelles distinctes. Peut-être que le féminin pourrait être envisagé là comme une chance face à la soif de culture et la haine du multiple et du divers. Douville O. (sous la direction) :Guerres et traumas, Paris, Dunod, 2016. Olivier Douville est Psychanalyste à Paris, Maître de conférences des Universités, Membre de l’Association française des anthropologues. Ce livre collectif est articulé de la façon suivante : Dans le chapitre 1, Olivier Douville évoque « Médecins et psychanalystes sous la première guerre mondiale – De la névrose traumatique à la folie traumatique », il propose des repères historiques sur la notion de traumatisme de guerre, dans le contexte de la Première guerre mondiale, il part de Freud et des courants psychanalytiques des deux premières années de guerre, le champ doctrinal et les conflits internes dans lesquels ils évoluent, la guerre qui s’installe, la « désillusion » et l’angoisse sociale ». L’enlisement guerrier aboutit à la fabrication industrielle de la mort. Le chapitre 2 propose « Un dispositif de soutien médico-psychologique au profit d’une unité des forces spéciales : les commandos marine » par Laurent Melchor Martinez. Cet auteur explore la place spéciale tenue par le service de psychologie de la marine (SPM), l’apport de son expertise et ses compétences. Quelles sont les qualités requises pour être recruté dans la marine ? Que peut être l’éthique du psychologue militaire ? L’auteur précise en quoi consiste le soutien psychologique des commandos de marine, la place du commandement dans les préventions du syndrome psycho-traumatique. Dans le chapitre 3 « Des cliniciens, des guerres, des collectifs ; jusqu’au dévoiement des soins ? » par Sandrine Behaghel. Il est ici question des nombreux intervenants auxquels il est fait appel dans la prise en charge de sujets souffrant des conséquences d’une guerre. Que sont ces dispositifs mis en place qui parfois entravent la possibilité de dispenser des soins appropriés ? En France par exemple, dans le secteur hospitalier somatique, des cliniciens sont touchés par la « pression du chiffre ». Les budgets alloués aux services en dépendent. Le primat de la quantité sur la qualité, la rentabilité priment sur le désir d’accompagner au mieux le patient. Dans le chapitre 4, Olivier Douville évoque l’ « Actualité clinique de Franz Fanon » et le développement que Fanon donne à la question de la guerre et du traumatisme autour de la guerre d’Algérie. Douville montre les résonnances actuelles que prennent l’œuvre et le parcours de Franz Fanon et l’étend à la pratique clinique. Il pose la question suivante qu’il va traiter : « Comment la pratique clinique peut-elle recevoir un éclairage de patients dont l’histoire, la leur ou celle de leurs ascendants, est marquée par des violences massives de mise à la casse de leur humanité brisant les fils des générations qui la constituent ? » Chapitre 5 : Henri Cohen-Solal avec « Une adolescence entre l’insouciance et la gravité. Vivre ou mourir ensemble » reprend sa réflexion portant sur l’étude du village de la tolérance qui se tenait à Beit Jalla, village arabe situé entre deux villes Jérusalem et Beit Lehem entre 2000 et 2008. Dans ce village, l’association Beit Ham accueille toute l’année dans des maisons chaleureuses des jeunes à la dérive. Il s’agit d’apprendre à vivre ensemble dans la diversité. Il est proposé une médiation interculturelle sans enjeu politique. L’enjeu est de ne pas exclure, de favoriser un climat de reconnaissance mutuelle et de tolérance. Chapitre 6 : Tania Roelens propose une « Approche de la clinique dans le conflit social armé de Colombie ». La guerre qui a frappé la Colombie depuis un demi-siècle, est l’une de plus meurtrières de la planète, l’auteure décrit l’enjeu de cette guerre et les actions destructrices entre forces officielles et groupes illégaux. Violence sociale et haut taux d’homicides, de disparitions, viols et violences contre les femmes entre autres, sont le lot quotidien des colombiens. Espérons que le traité de paix qui vient d’être signé avec les Farcs fera mentir ce que l’auteure perçoit comme impossibilité du pacte social compte tenu des déchirements connus par ces populations. Dans le chapitre 7, Olivier Douville avec « Enfants et adolescent sous la guerre. Figures modernes du meurtrier et du sorcier », propose une synthèse de plus de dix années de travail d’anthropologie clinique auprès d’enfants et d’adolescents en errance qui, pour nombre d’entre eux, ont connu la violence. Une des questions les plus pressantes qui se pose au clinicien est celle des conditions de retour de ces jeunes à une vie ordinaire. La perspective d’anthropologie clinique que propose O. Douville ouvre sur de nouveaux montages d’échanges et de subjectivations en lien avec les modifications brutales des équilibres économiques et culturels. Dans le chapitre 8 avec « Révolution, djihadisme et adolescence en Tunisie » Nédra Ben Smaïl évoque le mouvement des révolutions arabes au Moyen-Orient : en Egypte, Syrie, Lybie, Tunisie. Seule la Tunisie semble avoir trouvé des points d’appui symboliques et réels qui lui permettent de se réinventer sans s’effondrer.Des entretiens cliniques illustrent la misère psychologique dans laquelle sont maintenus certains jeunes, ils se raccrochent à une lecture littérale du Texte au détriment du sens. L’Autre étranger devient persécuteur et alimente les diverses théories du complot. L’auteure constate en dernier ressort que s’il y a un double rejet, celui de l’Occident et de son système omniscient, et celui du totalitarisme, il semble qu’il soit permis en Tunisie de croire en l’invention d’une articulation qui concilie l’identité au sens d’une réappropriation de son histoire avec la reconnaissance d’un vivre ensemble dans la pluralité des subjectivités. Argumentaire du séminaire Ce séminaire propose de repenser les dialogues et les mises à l’épreuve réciproques entre anthropologie et psychanalyse. Il s’efforce d’articuler trois lignes de questionnement : • Clinique du terrain et terrains cliniques : des anthropologues s’interrogent sur la nature des relations interpersonnelles développées durant leurs enquêtes, le sens et les modalités de leur écoute, et, corollairement, les mobiles intimes de la parole des acteurs. Les crises économiques et politiques qui bouleversent de nombreuses sociétés s’impriment, en effet, dans la situation ethnologique. De surcroît, l’ethnologue se trouve de plus en plus fréquemment en contact avec des populations en fragilisation croissante, en état de non inscription, et même d’errance. • Folie et État : on développera une réflexion croisée, d’un côté sur les effets sur les élaborations identitaires des nouvelles représentations du bien--‐être psychique, de l’autre, sur les instances de légitimation sur ce que serait une bonne santé psychique en termes de prévention, de diagnostic, de traitement et de leur évaluation. Enfin, le lien doit être souligné entre les terreurs issues de la violence de l’État et les confusions des registres du Réel, de l’Imaginaire et du Symbolique, qui font tenir l’existence singulière et les échanges sociaux. D’une certaine manière, la folie a disparu au profit de l’exclusion et de la stigmatisation des perdants. Dans les pays lointains qui ne rentrent pas dans cette industrialisation du soin, l’OMS., au contraire, préconise un retour aux dispositifs dits « traditionnels », légitimant médiums, devins et autres guérisseurs. Dans ces deux configurations du monde globalisé, les États jouent un rôle majeur, idéologique, symbolique, mais aussi institutionnalisant les corps des professionnels du soin psychique. La psychanalyse fait actuellement l’objet d’un débat social, d’autant plus aigu que c’est la singularité du sujet individuel qui est en jeu. La présence de la psychanalyse dans les institutions de soin et d’enseignement redevient l’enjeu d’une lutte, alors que la psychiatrie et la psychopathologie sont de plus en plus biologiques. • Un dernier volet : rouvrir le débat entre anthropologie et psychanalyse de l’ordre épistémique et épistémologique, à l’heure où le cognitivisme est, pour un nombre croissant d’anthropologues, un outil de validation de leurs recherches et de leurs résultats. La généralisation de l’économie de marché a eu des effets de plus en plus prononcés sur les définitions de la souffrance psychique, des troubles mentaux, leurs modes de diagnostic et leur traitement. Dans les démocraties industrielles, on constate la dominance des modélisations biologiques et neurologiques, le retour à un primat héréditaire et la mise en avant de polices de rééducation comportementaliste. Séminaire organisé par : Olivier Douville, psychanalyste, Laboratoire CRPMS Université Paris 7, [email protected] Delphine Lacombe, sociologue, MISHA, CNRS Alsace, [email protected] Julie Peghini, anthropoloque, Maître de conférences en sciences de l’information et de la communication à l’Université Paris 8, Laboratoire CEMTI, [email protected] Monique Selim, anthropologue, directrice de recherche à l’IRD [email protected]