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confirmation il suffit se reporter aux pages de  Sociologie juridique
 où il 
discute en  détail le thème de la «rationalité» ou «irrationalité» des droits 
primitifs en utilisant le langage ordinaire de la philosophie. Ces concepts 
fondamentaux des ouvrages ethnologiques de Lévy-Bruhl tels que «raison», 
«raisonnabilité»,  «rationalité»  ou  «irrationalité»  des  sociétés  primitives, 
«principe  d’identité», «schémas de  causalité indéterminée»,  «techniques», 
sont tous bien présents dans la section indiquée de Sociologie juridique et 
opèrent, presque tous, sur le fond de la recherche entière de Carbonnier.  
Carbonnier  souligne  que  ce  langage  est  utilisé  par  «beaucoup 
d’ethnologues aujourd’hui» par rapport à la présence dans ces sociétés des 
techniques - parmi  lesquelles  le  droit  -  et  à  leur  développement, fait  qui 
confère aux dites sociétés «primitives» une dimension de «raisonnabilité». 
«Dans [la] redécouverte de la rationalité des droits primitifs, quelques ethnologues 
en  arrivent  presque  à  gommer  la  différence  d’avec  les  droits  modernes.  La 
mentalité  juridique  primitive  est  raisonnable,  affirment-ils.  Cependant,  cette 
raisonnabilité  ils  la  saisissent  – et  c’est  l’originalité  da  la  thèse  -,  plutôt  qu’a 
l’hauteur de la règle de droit abstraite, dans les sinuosités du procès et du jugement. 
Non pas que les acteurs, juges et parties, y fassent profession d’être logiques. Mais, 
en fait, on les y voit discuter, en gens raisonnables, d’une conduite qu’ils essaient 
d’apprécier par référence à  ce qu’aurait fait un  homme  raisonnable  (c’est-à dire, 
concrètement, un époux, un père, un chef, etc.) dans la même situation. Ce qui 
porterait, en somme à conclure que tous les systèmes de droit, quelle que soit leurs 
position sur l’axe de l’évolution, sont équidistants d’une même raison, pour ne pas 
dire d’une même justice.»
 
La subtilité de la pensée de Carbonnier est telle qu’il arrive ainsi à 
défendre, effectivement, la thèse de Lévy-Bruhl, en la réinterprétant aussi au  
bénéfice d’une salutaire critique de la modernité juridique à la Weber : ce 
qui  relève  de l’analyse  de  la  mentalité  juridique  n’est  pas  seulement 
l’abstraction dogmatique, «logique», c’est-à-dire la règle de droit abstraite ; 
c’est plus  encore, dans l’évaluation de la «rationalité» dans son complexe, 
est le caractère concret da la conduite juridique dans le procès, la conduite 
«en gens raisonnables». La dimension «logique» du droit est alors mise en 
rapport avec le «caractère concret» de la pratique. Il fût toujours ainsi dans 
la vie du droit. 
«Rationalité et irrationalité  se mélangent toujours, quoique à doses variées […] ; 
même dans un système juridique moderne, il ne manque pas d’institutions ou de 
comportements qui soient irrationnels par quelque côté. A ce propos, on ne prend 
pas  assez  garde  que  les  différentes  parties  du  droit  moderne  sont  inégalement 
fermées à l’irrationalité ou, si l’on préfère, à la primitivité. Il est un secteur qui la 
repousse : le droit du patrimoine, dominé par le calcul économique. Mais il en est 
d’autres qui l’attirent : le droit des personnes et de la famille, où les institutions et 
les comportements doivent s’ajuster à une trame d’événements (l’union sexuelle, la 
 
 Carbonnier, Sociologie juridique, pp. 28-38. 
 Ibid., pp. 30-31.