Gournay Lucie, Université Paris 12, 2009. Le linguistique contrastiviste VS. le traductologue Etude de cas : l’expression du changement de localisation en français et en anglais. Dans la littérature de traductologie traditionnelle, on parle en des termes plus ou moins précis de l’expression du déplacement . VINAYJ.P., DALBERNET J., 1958, Stylistique comparée du Français et de l'Anglais, Paris, Ellipse, 2003. (Vinay, Dalbernet 2003 : 105) "Dans la description du réel, l'anglais suit généralement l'ordre des images, le déroulement ou si l'on veut le film de l'action. Même dans le domaine concret, le français préfère un ordre qui n'est pas nécessairement celui des sensations (…) alors que le verbe français indique le résultat. le français va tout de suite au résultat (…) ensuite il indique la façon dont l'action s'est accomplie (…). C'est là une démarche à peu près constante de l'esprit français : d'abord le résultat, ensuite le moyen. Par contre, l'anglais suit l'ordre des images (…) Il s'établit ainsi entre les deux langues un chassé-croisé. Le résultat est marqué en anglais par la particule (préposition ou postposition) occupant dans la phrase la même place que la locution adverbiale qui en français indique la modalité de l'action. Cette modalité est rendue en anglais par le verbe lui-même exemple : Elle descendit l'escalier sur la pointe des pieds/ She tiptoed down the stairs. Dans l'autre cas le chassé croisé est incomplet parce que le français omet la modalité de l'action comme allant de soi" exemple : l'accident. They drove onto the scene of the accident /Ils arrivèrent sur les lieux de DURAND., HARVEY J., 2000, Méthode et pratique du thème anglais, Paris, Nathan. (DURAND, HARVEY 2000 : 35) "Le français a tendance à omettre la modalité d'une action quand elle va de soi. Il est évident que la manière normale de se déplacer pour un avion est de voler, pour un bateau de voguer sur l'eau … On dit donc tout simplement qu'un avion traverse l'atlantique, qu'un bateau entre dans le port. Il paraîtrait redondant de préciser qu'ils le font en volant en voguant. A l'inverse, la langue anglaise éprouve le besoin d'ajouter cette précision et elle le fait grâce au verbe qui sert de support à la postposition. exemple : le navire sortit du port => the ship sailed out of the harbour. Gournay Lucie, Université Paris 12, 2009. Le verbe anglais qui précède la postposition peut au contraire fournir une véritable information sur la manière dont s'effectue le mouvement. La langue française précise d'abord le résultat de l'action, puis la façon dont elle s'est accomplie. exemple : Il descendit en titubant. He tottered down the stairs. Le point de vue des linguistes par rapport aux écrits des traductologues : 1° Le lien entre la langue et "l'esprit" peut paraître un peu naïf, mais les linguistes parlent à la place d »esprit » de représentations cognitives : chaque langue impose ses modes de représentation cognitive. La tournure « esprit français » n'est pas très heureuse (ça nous rappelle les a priori culturels) mais sur le fond il n'y a rien à dire. 2° cafouillage : qu'est-ce qui est représenté dans l'énoncé? le monde réel? cf. l'ordre des sensations, il s'agit donc d'un monde que tout locuteur peut appréhender. Ou une représentation de type filmographique déjà produit d'une interprétation cognitive? l'ordre des images. Pour le linguiste, il faut pourtant bien distinguer les deux niveaux : l'extralinguistique - le monde réel-, le domaine de l'appréhendable, de l'observable et le domaine référentiel qui est une représentation cognitive du monde réel et qui est déjà marquée culturellement. Monde réel =>(filtre)=>représentation cognitive => énoncé. L'énoncé nous donne des indications sur le domaine référentiel, la façon dont il est construit, et les informations que l'on dégage sur la représentation du domaine référentiel peuvent indirectement nous amener à l'extralinguistique. Mais l'énoncé, lui, nous donne des indications sur une représentation cognitive, c'est-à-dire le domaine référentiel, et tout ce qui nous importe, en tant que linguiste, est déjà à ce niveau. 3° interprétation des préférences énonciatives : "éprouve le besoin d'ajouter" "comme allant de soi""redondant". Tout d'abord, le phénomène des préférences énonciatives se situe audessus de tout réel choix, et de tout conscience. L'énonciateur français représente un changement de localisation sans le mode de déplacement non pas parce qu'il trouve que cela va de soi mais tout simplement parce qu'inconsciemment il ne considère pas cette donnée. 4° On remarque au passage que Vinay et D et Durand et H se placent du point de vue de la langue et de l'énonciateur (ce qui pour eux est normal puisqu'ils dégagent des généralités sur la langue, et ne considèrent pas la langue comme une suite d'énoncés en situations). Leurs conclusions portent sur une langue abstraite et non pas sur une langue parlée (repérage situationnels, relations intersubjectives, contexte). Leurs conclusions sont trop générales et ils ne vont pas assez dans les détails : le français a telle tendance. Oui, mais dans quel cas cette tendance n’est pas observée et pourquoi… En anglais, tout le monde sait que « I went in » n’a rien de surprenant, que « She entered est possible ». Alors dans quel contexte de discours la mode de déplacement n’est pas exprimé en anglais ? Question inverse pour le français. 5° Dernièrement, aucun ne distingue les statuts de verbe principal et verbe dans la subordonnée. Ils comptabilisent les informations sur l'ensemble de la phrase en prenant en compte leur ordre d'apparition, mais ils ne commentent pas sur les différences syntaxiques qui révèlent pour tout linguiste des différences énonciatives (en titubant = subordonnée, fonction qualitative, proposition secondaire). Durand et H comparent traverser en volant/ fly across comme s'il s'agissait de correspondants parfaits (faisant au passage passer les anglophones pour des maniaques de la précision).