Conférence de consensus sur le Médecin Coordinateur

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Conférence de consensus sur
"Psychopathologie et traitements actuels des auteurs d'agression sexuelle"
LE MÉDECIN COORDONNATEUR
L'article L.355 – 33 du Code de la Santé Publique, détaille les dispositions de la loi du 17 juin 1998
instaurant le suivi socio-judiciaire et précise notamment la qualité du médecin coordonnateur comme
"psychiatre ou médecin ayant suivi une formation appropriée". Dans la pratique, il est plus que
probable que les psychiatres fourniront l'essentiel de ces médecins même si on peut souhaiter que le
groupe des médecins coordonnateurs soit multidisciplinaire et accueille des gens venus d'autres
horizons, par exemple de la sexologie pour ouvrir la réflexion et la pratique.
Les relations de la psychiatrie à l'ordre public et plus encore à la défense sociale ont toujours été
complexes, empreintes de réticences et d'ambiguïté et si la réflexion psychiatrique n'a pas été tenue à
l'écart de l'élaboration de la loi du 17 juin 1998, beaucoup de psychiatre ont du mal à y inscrire leurs
options nosologiques et leurs pratiques.
Précisément, le pivot dans l'application de la nouvelle loi paraît être le Médecin Coordonnateur qui à
la fois lui donne son sens en tant que technicien authentifiant le soin dont il est fait injonction et en
tant que garant autant que faire se peut des principes qui pourraient être mis à mal par le nouveau
cadre jusqu'à invalider le soin même auquel il prétend soumettre l'auteur d'infraction à caractère
sexuel.
Il a été maintes fois signalé, jusqu'ici même dans cette conférence de consensus, quelle dérive et quelle
erreur de sens représentait l'emprise du juge et du psychiatre chacun sur le rôle de l'autre, avec le
risque inacceptable de confusion à infliger le soin comme une peine et à prescrire la peine ou au moins
la rencontre avec la loi comme un soin.
La fonction du Médecin Coordonnateur a été élaborée pour tenter de maintenir l'indépendance
indispensable du soin et de la peine, de la rencontre du juge qui juge et du médecin qui soigne.
Historiquement, cette fonction est issue à la fois de la mission judiciaire que représente l'expertise,
mission d'évaluation dans un cadre précis dont le patient doit dûment être averti, et d'expériences
antérieures établies en concertation dans certains tribunaux pour le cadre de l'obligation de soin
classique et qui préfiguraient de fait les principales dispositions de la loi de 1998.
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Le médecin qui acceptait avec le consentement du patient faisant l'objet du contrôle judiciaire de
correspondre avec l'agent de probation ou le juge d'application des peines, transmettait une
information de forme sur le traitement et non une information de fond qui pouvait se réduire dans la
plupart des cas à une information binaire : oui ou non le patient se soigne-t-il.
L'obligation de soin classique était régie par des textes suffisamment généraux pour que le flou
permette toutes les interprétations et un jeu assez souple entre psychiatre et juge qui pas plus l'un que
l'autre, ne paraissait tenu (pour la partie soin en tout cas) par la moindre perspective d'obligation de
résultat.
La position du Médecin Coordonnateur de la loi du 17 juin 1998 est autrement plus précise et plus
contraignante et les craintes et fantasmes qu'elle suscite sont sans doute à l'origine malgré la
perspective d'une rémunération qui pourra être dans certains dossiers supérieure à ce que l'on peut
attendre dans une prise en charge normale, d'une indiscutable crise des vocations qui fait que, en
novembre 2001, beaucoup de départements n'ont pu encore constituer leur liste de médecins
coordonnateurs tels que prévus par la loi.
A côté des réticences techniques, les médecins coordonnateurs potentiels redoutent que l'injonction
soit autant, voire davantage une injonction pour le psychiatre que pour le patient et beaucoup estiment
que la question de la responsabilité du médecin coordonnateur dans sa mission, notamment face à une
éventuelle récidive, n'est pas assez précisée.
Si l'on conçoit bien les difficultés de l'élaboration d'un texte spécifique qui viennent sortir la
responsabilité de cette mission particulière du cadre de l'exercice général du soin, des activités
institutionnelles ou de l'expertise, on ne peut que constater que les relations entre la justice et le corps
médical ont pu se raidir à la suite d'une nouvelle jurisprudence. S'il est bien compréhensible que soit
mise l'emphase sur la protection des patients et la réparation de leur préjudice, l'appréciation de la
responsabilité "indirecte" par les tribunaux n'est pas toujours comprise et fait redouter que des
condamnations de principe ou même "morales" viennent doubler un éventuel lynchage médiatique du
médecin coordonnateur.
Le rôle du médecin coordonnateur dans la désignation ou l'approbation du choix du patient du
thérapeute laisse aussi quelques ombres : outre le fait que la création d'une nouvelle dérogation légale
au secret médical est venue sortir la prise en charge d'un patient soumis à l'injonction de soin du suivi
socio-judiciaire hors du champ commun des thérapies (même si cette dérogation qui double quelque
peu la position du médecin coordonnateur ne fait pas obligation au médecin de dénoncer les avatars
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des soins), il y aura peut-être nécessité de recourir à des montages complexes pour avaliser des
situations pourtant courantes et efficaces en thérapeutique.
C'est notamment le cas lorsque le soin principal sera assuré dans un cadre psychothérapique par un
psychologue ou un autre intervenant non médecin (infirmier spécialisé), ce qui imposera une cothérapie. Même si cette dernière est très courante en milieu institutionnel comme en pratique de ville,
le médecin coordonnateur n'en sera pas moins amené à des jugements et des initiatives avec une
appréciation très importante de ce qu'il communiquera au magistrat de la nature et du développement
du traitement. La co-thérapie d'un psychiatre et d'un médecin d'une autre spécialité ou généraliste
assurant la prescription sera aussi fréquente.
Il va de soi que le médecin coordonnateur n'a en fait, face au secret professionnel, aucune dérogation
supplémentaire à celle du médecin traitant et on ne voit pas qu'il puisse s'affranchir du consentement
du malade pour délivrer quelque information de fond que ce soit le concernant.
Il apparaît que réglementairement et déontologiquement le conflit éventuel entre le médecin
coordonnateur et le patient à propos de la communication au juge doive être arbitré par la référence à
un expert nanti d'une mission particulière si le magistrat l'estimait nécessaire devant l'impossibilité de
communiquer du médecin coordinateur.
Le médecin coordonnateur apparaît en fait au contraire comme le garant que puisse être respecté de
façon absolue le secret professionnel dans le soin et cet aspect est non seulement incontournable en
tant qu'élément de droit, mais en tant que simple règle d'efficacité thérapeutique.
Les "éléments nécessaires au contrôle de l'injonction de soin" prévus par le décret en conseil d'état
devant être transmis par le médecin coordonnateur au juge d'application des peines pourront peut-être
se réduire à un simple certificat médical délivré à l'intéressé mais il est plus que probable que les
patients eux-mêmes, soit sous l'influence d'une pression venue du juge d'application des peines et du
contrôle judiciaire soit de leur propre initiative solliciteront le médecin coordonnateur pour développer
et s'engager au-delà d'un simple constat de la poursuite de leur rencontre avec le médecin traitant.
Cette question a déjà souvent été évoquée par les thérapeutes ayant en charge dans le cadre de
l'obligation de soin classique des patients dont le sort de réalité pouvait être influencé par le soin
(devant passer en justice ou dans le cas où une affaire civile avec par exemple le juge aux affaires
matrimoniales interfère avec le pénal) ou encore ayant en charge dans le cadre d'intervention en milieu
pénitentiaire des patients devant faire l'objet d'un aménagement de peine, avec une interrogation
éthique, qui comme toute question éthique, ne peut pas être résolue par un texte.
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Les psychiatres ainsi peuvent-ils être entendus directement aux audiences des applications des peines
ou même peuvent-ils donner des certificats de situation détaillée ? Il y a un double écueil entre
l'injustice qu'il y aurait à priver quelqu'un de la possible exploitation du bénéfice d'un traitement bien
conduit et d'un retour sur lui-même ayant amené une évolution positive (alors qu'on certifierait sans
état d'âme dans n'importe quel autre domaine somatique les résultats de la thérapeutique et le pronostic
pour laisser le malade en disposer), avec le risque évident que si le médecin accepte pour certains de
donner un certificat, l'absence de certificat pour d'autres soit interprété comme l'évidence d'une
évolution ou d'un pronostic péjoratif.
La question de la réincarcération intercurrente d'un patient qui était en liberté sous le coup d'une
mesure de suivi socio-judiciaire posera aussi au médecin coordonnateur quelques problèmes. Il n'est
pas prévu a priori qu'il intervienne auprès des médecins de l'institution pénitentiaire, nouveaux
médecins traitant du patient, mais l'expérience montre que les médecins traitants dans la plupart des
cas, en matière d'auteurs d'infraction à caractère sexuelle, n'ont pas de contact avec les médecins du
milieu pénitentiaire, soit délibérément pour maintenir le plus possible la thérapie hors des avatars de la
réalité, soit par manque d'information.
Le médecin coordonnateur devrait d'après les dispositions légales et réglementaires passer bien
davantage de temps comme partenaire du médecin traitant que comme partenaire du juge. Cela ne va
pas sans nouvelles difficultés. Ne sera-t-il pas co-thérapeute de fait ou ne risque-t-il pas de s'impliquer
à côté de sa fonction dans une espèce de deuxième écoute où le médecin traitant peut ne pas trouver
facilement sa place.
Cette question rejoint en fait celle de la "formation appropriée".
Si on peut comprendre que les instances de formation spécialisées soient associées à l'élaboration des
souhaits des autorités de tutelle concernant ces formations et leur validation, il serait trop lourd,
inefficace et très vite décourageant pour les médecins traitants et les médecins coordonnateurs que ces
formations soient de type pédagogique ou universitaire exclusivement.
Bien au contraire, l'expérience de la prise en charge des auteurs d'infraction à caractère sexuel doit
nous rendre particulièrement sensible à la perversion naturelle de la relation thérapeutique par les
phénomènes d'identification projective et les transmissions de l'excitation, par les risques de
développement de relation d'emprise ou de fascination, etc… face à ces risques thérapeutiques, la
réponse n'est pas forcément celle d'un traitement psycho-dynamique d'une quelconque obédience
idéologique mais elle ne peut en tout cas qu'être une mise en commun du vécu et des expériences : le
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but du traitement qui doit être le but de l'application de la loi du 17 juin 1998 est de ne pas laisser le
pervers seul, et de ne pas laisser non plus ni le médecin traitant, ni le médecin coordonnateur seul.
Une question reste également ambiguë, celle du refus du médecin coordonnateur d'assurer sa mission.
La lettre de la loi paraît inciter à considérer que cette mission de service public s'apparente à l'expertise
et que l'inscription sur la liste suppose implicitement l'acceptation sans la présence de raisons
impérieuses à exposer au juge. Il sera peut-être souhaitable dans le futur de revenir sur les closes
d'exclusion du médecin coordonnateur par rapport à l'expertise ou à la thérapeutique. S'il est évident
que le coordonnateur comme l'expert ne peut pas être en même temps thérapeute et évaluateur, la
plupart des psychiatres ont fait l'expérience d'une demande ultérieure d'un patient qui avait à la faveur
de la rencontre expertale vu sa situation et lui-même d'une autre façon et souhaitait, une fois réglée sa
situation judiciaire, poursuivre avec la même personne dans un autre cadre et un autre but. Des
thérapies très fructueuses ont souvent pu être conduites à partir de ce changement.
Un risque de manipulation et de demandes séductrices de changement pourrait accompagner la
reconnaissance d'une possibilité pour le médecin coordonnateur d'être un jour en position de
thérapeute, mais en revanche, le consensus de la plupart des praticiens s'établit sur le fait qu'il n'y a pas
d'objection sérieuse à écarter de la position de médecin coordonnateur un médecin qui aurait participé
aux expertises initiales du dossier et qui de ce fait, connaîtrait d'emblée la situation du patient (lequel
connaîtrait de même clairement la base de départ commune du juge et du médecin coordonnateur !) et
pourrait présenter sa mission à la personne suivie et l'accomplir sans ambiguïté.
Les relations entre le médecin coordonnateur et les parties civiles ne sont pas prévues par la loi et c'est
sans doute heureux. Mais dans la pratique, les parties civiles de plus en plus interpellent les différents
partenaires de la réponse judiciaire et sociale à la transgression et il peut être utile, dans certains cas,
que soit rétabli dans un cadre thérapeutique des relations entre les victimes et les auteurs. Il y a là peutêtre aussi un champ où le médecin coordonnateur pourra aider à la thérapeutique et à la restauration
des victimes.
Quoi qu'il en soit, il sera nécessaire de reprendre avec l'expérience la question après quelques années
de fonctionnement qui permettront, souhaitons-le, d'élaborer de nouveaux progrès pour le respect de la
personne et de l'intérêt collectif.
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