“rémunérations ”, les “impôts” et l’ “excédent brut d’exploitation ” (EBE)3 le sont du point de
vue (bourgeois) de la répartition de la valeur ajoutée, et ne signifient rien quant à l’origine de
celle-ci. Marx, au contraire, dans le cadre de sa “ critique de l’économie politique ”, se place
du point de vue de la production de la valeur, et c'est dans cette perspective qu'il distingue le
capital constant et le capital variable.
Le fait brut qu’une pierre tombe quand je la lâche prouve-t-il de près ou de loin que la
théorie de Newton est vraie et que celle d’Aristote est fausse ? Évidemment non. L’expérience
qui confirme ou infirme une théorie scientifique n’est jamais le fait brut de l’ “expérience”
immédiate. De même, le tableau présenté par Daniel Gluckstein ne confirme ni n’infirme la
théorie de Marx, pas plus que celle de Smith, celle de Walras, ou une autre. Une théorie a
pour fonction d'expliquer un ensemble de faits ; il est bien évident que, si l'on essaie de la
“vérifier” en regardant si elle “correspond” bien à tel ou tel fait individuel qu'elle a
précisément pour fonction d'expliquer, on peut être sûr de réussir, à moins que la théorie soit
absurde... En tant que tel, un fait est un fait, et il ne va pas changer selon la manière dont on
l'explique : c'est pourquoi la valeur ajoutée et l'ensemble salaires + plus-value coïncident
empiriquement. Mais l'intérêt de la théorie de Marx réside dans la façon dont il explique la
provenance de cette valeur, qui selon lui a pour unique origine le travail humain.
De même, les “observations” dont Daniel Gluckstein fait suivre son explication du
tableau, n’indiquent que ce qu’il veut a priori prouver : il affirme, en effet, que ce tableau
“confirme donc indiscutablement [!] que l’exploitation du travail salarié est la source de
toutes les richesses nouvelles et de tous les profits, sous quelque forme qu’ils se répartissent
(…)” (c’est-à-dire le profit industriel proprement dit, l’intérêt perçu par le commerçant, par le
banquier, etc.). Malheureusement, ce tableau ne prouve rien de cela non plus. Si Daniel
Gluckstein avait examiné le tableau des comptes des banques françaises, il aurait pu expliquer
également la même chose, puisqu’il aurait constaté une augmentation de la valeur ajoutée. Or
cela aurait été erroné d'un point de vue marxiste, puisque, comme il le rappelle lui-même à un
autre endroit, le secteur bancaire, pour les marxistes, ne produit pas de plus-value !
En un mot, il est complètement erroné de dire que “ce tableau confirme
indiscutablement qu' (…) il s'agit bien du mécanisme de l'exploitation capitaliste” tel que
l'explique Marx1. Pour prouver que Marx a raison, on ne peut se contenter de montrer un
tableau des comptes de l'industrie française, qui en lui-même n'explique rien.
b) En outre, selon Daniel Gluckstein, le tableau en question montrerait que “la valeur
de la force de travail a constamment baissé”. Mais la seule indication offerte par ce tableau est
que la part des profits dans la valeur ajoutée des entreprises industrielles a constamment crû
par rapport à la part des salaires. Or, premièrement, le concept de salaire ne se confond pas
avec celui de valeur de la force de travail, puisque le salaire n'est que le prix de cette
marchandise sur le “marché du travail” et que le prix ne coïncide jamais parfaitement avec la
valeur qui le détermine. Ensuite et surtout, le fait que la part des profits ait augmenté par
rapport à la part des salaires n'empêche pas, en l'occurrence, que celle-ci ait également crû de
3 Au sujet de cette notion, Daniel Gluckstein note entre parenthèses : “c'est le terme même utilisé par les
capitalistes”, voulant dire par là que ceux-ci reconnaissent eux-mêmes que l'EBE ne provient que de
l'exploitation, au sens marxiste, de la force de travail. En réalité, il n'en est rien. Dans le langage capitaliste, on ne
parle d'exploitation que pour une entreprise ou pour une terre, jamais pour le travail salarié : la bourgeoisie ne
reconnaît pas que son régime est fondé sur l'exploitation de l'homme par l'homme.
1 Soit dit en passant, Daniel Gluckstein va plus loin encore : pour lui, ce tableau mettrait “en évidence” (!) non
seulement que “nous sommes toujours (...) en régime capitaliste fondé sur l’extorsion de la plus-value par
l’exploitation des travailleurs”, mais encore que nous y sommes “même plus que jamais”. Mais de deux choses
l’une : soit nous ne sommes plus en "régime capitaliste" (ce que, d'ailleurs, personne ne dit, ni ne pense), soit
nous y sommes toujours, et dans ce dernier cas le plus ou moins grand degré d’exploitation, n’étant qu’une
différence quantitative, ne change rien à la nature du régime : qu’un ouvrier soit plus ou moins exploité ne
signifie pas qu’il soit plus ou moins “en régime capitaliste”...