Les maths de l`espace-temps qui décrivent et dépassent le cerveau

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Les maths de l’espace-temps qui décrivent et dépassent le cerveau
Deux phénomènes drastiquement différents - la trajectoire de la lumière dans l’espacetemps et l'activité neuronale dans notre cortex visuel - sont régis par les mêmes équations
mathématiques.
Les mathématiques qui décrivent l’espace-temps
La gravitation maintient les planètes en orbite autour du Soleil et fait tomber des objets au
sol dans votre salon. Sa modélisation mathématique - c’est-à-dire sa mise en équation - est
extrêmement importante. Les équations permettent en effet de faire des prédictions utiles :
quelle sera la trajectoire exacte de cet astéroïde qui semble se rapprocher de la terre ? un
bâtiment construit de cette façon va-t-il s'écrouler ?
La gravitation a été modélisée différemment au fil des années. Newton la représentait par
une force : si une pomme qui se décroche d’un arbre tombe sur la Terre, c’est qu’il y a une
force qui attire la pomme vers la Terre. Cette force s’applique sur des objets ayant une
masse, et ne s’applique donc pas à la lumière qui elle n’en a pas. Autrement dit, avec le
modèle de gravitation de Newton, la lumière devrait toujours se déplacer en ligne droite.
Plus tard, Einstein remet en question le modèle de Newton et propose de toutes nouvelles
équations dans sa théorie de la Relativité Générale. Il décrit la gravitation comme l’effet de
la déformation de l’espace-temps par la présence de masse comme une galaxie, montrée
sur l’image ci-dessous. Cette distorsion modifie la trajectoire des objets, y compris celle de
la lumière1.
Einstein prédit donc que la lumière dévie en passant près d’un astre et contredit ainsi
puissamment le modèle de Newton. En 1919, Eddington observe effectivement la déviation
de la lumière d’étoiles à son passage proche du soleil, lors de l’éclipse nommée ensuite
“Eclipse de la Relativité Générale”. La modélisation d’Einstein l’emporte donc sur celle de
Newton.
Les mathématiques sont un langage
1
Daniel Suchet. Lentilles gravitationnelles. (article). 2014.
Newton et Einstein ont donc tous les deux mis en équation la gravitation et la trajectoire de
la lumière dans l’espace-temps. Mais Einstein a utilisé une théorie plus poussée : la
géométrie riemannienne, une branche des mathématiques qui permet d'étudier la géométrie
des espaces courbes comme celle de l’espace-temps.
Des mathématiques permettent donc de formuler la physique de la gravitation. Autrement
dit, on se sert des mathématiques comme d’un langage très précis permettant de décrire
des concepts complexes.
Un même langage peut s’utiliser pour décrire des expériences différentes : nous employons
des mots de français pour raconter nos vacances à la plage ou pour décrire notre journée de
travail. De façon similaire, une même théorie mathématique peut s’utiliser pour décrire
plusieurs phénomènes, allant de la physique à la médecine.
Il paraît donc logique d’utiliser les mathématiques de la géométrie riemannienne au delà de
la gravitation : puisqu’elles ont conduit à un tel succès avec Einstein, elles devraient produire
des résultats remarquables dans d’autres domaines !
La géométrie riemannienne met en équation la trajectoire courbe de la lumière dans
l’espace-temps. Pourrait-elle mettre en équation la trajectoire physique de l’information
bioélectrique neuronale dans le cortex visuel ? Celle-ci suit les connections de neurone à
neurone et se déplace également de façon courbe dans notre cerveau ! Regardons de plus
près.
Les mathématiques qui décrivent notre cortex visuel
La vision est le procédé d’analyse des informations collectées par nos yeux. Dans ce but,
une zone spécialisée de notre cerveau est mobilisée : le cortex visuel. Comment le cortex
visuel nous permet-il de voir ?
Le cortex visuel est composé de neurones, qui jouent le rôle de détecteurs : chaque neurone
est sensible à l’intensité lumineuse d’un point particulier de notre champ visuel. Deux
neurones anatomiquement proches dans le cortex sont sensibles à des points proches dans
notre champ visuel.
Les neurones se transmettent de l’information bioélectrique pour réaliser des opérations de
perception visuelle. Prenez une photographie dont vous retirez quelques bandes, comme
sur l’image ci-dessous2. Certains neurones détectent de l’information visuelle et s’activent : il
s’agit des neurones associés aux points qui montrent une partie de la photo. D’autres ne
détectent rien : il s’agit des neurones associés aux bandes blanches.
2
Ugo Boscain. Hypoelliptic diffusion and human vision: a semi-discrete new twist. Conference au seminaire
“Geometric Model in Vision” a l’institut Poincare (slides). 2014.
Malgré l’information manquante, notre cerveau reconnaît ce qu’il y a sur la photo : on y voit
un oeil. En effet, les neurones qui ont détecté de l’information visuelle diffusent cette
information aux neurones voisins. Autrement dit, ils indiquent à leur voisins ce que ceux-ci
sont censés voir. Le cerveau complète donc l’image.
On peut mettre cette communication neuronale en équation avec la “géométrie
riemannienne”, ces mathématiques qui ont conduit au succès de la théorie d’Einstein. En
effet, la diffusion de l’information neuronale ressemble beaucoup à une diffusion de chaleur
mais dans un espace courbe !
Lorsque l’on allume un radiateur dans une pièce, la chaleur se diffuse dans toutes les
directions en ligne droite. Lorsqu’un neurone “s’allume” car il a détecté de l’information
visuelle, l’information se diffuse aux neurones qui lui sont connectés... en trajectoire courbe !
On adapte donc l'équation de diffusion de la chaleur à un espace courbe en l’exprimant avec
la géométrie riemannienne. Ce modèle décrit donc bien que l’activité neuronale suit des
trajectoires courbes dans notre cerveau !
Des mathématiques à l’informatique : un ordinateur qui voit comme l’homme
Pour vérifier ce modèle de la vision humaine, on l’a programmé dans un ordinateur. Les
mathématiques sont un langage et l’informatique en est un autre. De la même façon que l’on
peut traduire un texte du français à l’allemand, on peut traduire des équations mathématique
en langage informatique.
On a donc construit un cortex visuel virtuel en traduisant les formules mathématiques en un
code informatique, c’est-à-dire en implémentant l'équation de diffusion riemannienne dans
l’ordinateur pour propager l'intensité d’une image détériorée. L’ordinateur reconstitue alors
l’image :
Autrement dit : l’ordinateur voit ! Une même théorie mathématique a permis de décrire avec
succès deux processus complètement différents : l’espace-temps et la vision humaine !
Dépasser le cerveau : un ordinateur qui voit mieux que l’homme
L’ordinateur réalise donc une opération de perception visuelle comme le ferait le cerveau
humain. Mais peut-il dépasser notre cerveau en terme de vision ? Que se passe-t-il si l’on
couple l'équation de diffusion neuronale avec des techniques de restauration déjà utilisées
en vision par ordinateur ?
Cette modification peut se tester sur le cortex visuel implémenté dans l’ordinateur. Alors que
notre cerveau ne reconnaît pas l’image suivante, l’ordinateur avec sa vision améliorée le
peut facilement puisqu’il reconstruit l’image :
On peut donc implémenter un cortex visuel virtuel plus puissant que celui de l’humain. On
pourra même aller plus loin, et programmer un ordinateur qui voit et reconstruit des images
en 3D, c’est-à-dire qui perçoit et complète des volumes et leur intérieur3. Cela pourra servir
en imagerie médicale : les scanners et IRMs produisent naturellement des images 3D de
l'intérieur de notre corps. La reconstruction de ces images permettra d’augmenter leur
résolution, et de s’en servir à des fins thérapeutiques.
3
Nina Miolane, Xavier Pennec. A survey of mathematical structures for extending 2D neurogeometry to 3D
image processing (article). 2015.
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