ATELIER DE PHILOSOPHIE ANIMÉ PAR ALEXANDRE SCHILD SAISON 1.2 (2016-2017) « LA FIN DE LA PHILOSOPHIE » (I) LA PENSÉE DE KARL MARX ET « LA FIN DE LA PHILOSOPHIE » (II) INSTRUMENTUM II 1 ––––––––––––– 1 À considérer avec la bienveillance due aux chantiers ! Merci de me signaler les erreurs, coquilles etc. ! 2 I) ὌΡΓΑΝΟΝ A) ALPHABET GREC Majuscule Minuscule Romain Nom Α α a ἄλφα alpha Β β b βῆτα bèta Γ γ g γάμμα gamma Δ δ d δέλτα delta Ε ε é ou e* ἒπσιλον e[é]psilon Ζ ζ z ζῆτα zèta Η η è ἤτα èta Θ θ th θῆτα thèta Ι ι i ἰῶτα iôta Κ κ k κάππα kappa Λ λ l λάμβδα lambda Μ μ m μῦ mu Ν ν n νῦ nu Χ ξ x ξὶ xi Ο ο o ὀμικρόν omikron Π π p πῖ pi Ρ ρ r ou rh** ῥῶ rhô Σ σ ou ς (“s” final) s σῖγμα sigma Τ τ t ταῦ tau Υ υ u ou y*** ὐψιλόν upsilon Φ φ ph φῖ phi Χ χ kh ou ch χῖ chi Ψ ψ ps ψῖ psi Ω ω ô ὦμέγα ôméga dans les diphtongues. Ainsi, par exemple, dans ἀληθεύειν, qu’il est en effet préférable de transcrirepar « alètheuein » plutôt que « alèthéuéin ». ** Si surmonté par un « esprit [souffle] rude » : ῾ [transcrit par un “h” dit « aspiré »]. Comme dans « ῥῶ », précisément, ou dans « ῥητορική [rhètorikè] », par exemple. *** Ainsi, en caractères romains, φύσις et ψυχή peuvent être transcrits, respectivement, par « phusis » ou, comme on le fait le plus souvent, par « physis », et par « psuchè » ou « psychè [mais là non sans risque de confusion avec ce qu’en français, entre autres, on entend par « psychè »] ». * Spécialement 3 II) RÉPERTOIRE DES PRINCIPALES CITATIONS (À SUIVRE…)2 26) MARX et la philosophie 1 […] avec cette manière de voir les choses telles qu’effectivement elles sont et se sont produites [en clair : le « matérialisme historique »], […] chaque problème philosophique profond se dissout tout simplement en un fait empirique.3 27) MARX : “la tâche de la pensée” […] nous n’anticipons pas le monde dogmatiquement, […] ce n’est qu’à partir de la critique de l’ancien monde que nous voulons trouver le nouveau. […] La construction de l’avenir et en finir pour tous les temps n’étant pas notre affaire, ce que nous avons à accomplir présentement n’en est que plus certain, et j’entends : la critique sans retenue de tout ce qui est établi [die rücksichtslose Kritik alles Bestehenden], sans retenue également au sens où la critique ne craint pas ses résultats et tout aussi peu le conflit avec les forces en présence.4 28) MARX : la méthode dans l’accomplissement de la susdite “tâche de la pensée” 1. […] mes résultats ont été obtenus par une analyse complètement empirique fondée sur une étude critique de l’économie politique.5 2. […] la façon de procéder dans l’exposition [Darstellungsweise] doit se distinguer formellement de la façon de procéder dans l’investigation [Forschungsweise]. L’investigation a à s’approprier la matière dans le détail [sich den Stoff im Detail aneignen], à analyser ses différentes formes de développement et à détecter leur lien interne. Ce n’est qu’une fois ce travail accompli que le mouvement effectivement réel peut être exposé d’une manière qui lui corresponde [entsprechend dargestellt]. Cela dût-il réussir, et la vie de la matière dût-elle alors trouver à se refléter en miroir [je me permets de souligner et mettre en relief cette attestation du maintien, jusque dans Le Capital, de la conception de la pensée comme « reflet [Spiegelung] »6 ou « expression réfléchissante [abspiegelnder Ausdruck] »]7 sur le plan des idées [sich nun ideell widerspiegeln], qu’il pourrait du coup sembler qu’on ait là affaire à une construction a priori. 8 29) MARX (esquisse préalable de sa « position philosophique fondamentale », ontologie 1) […] Le soleil est l’objet de la plante, un objet qui lui est indispensable, qui garantit [bestätigend] sa vie, comme la plante est objet du soleil en tant qu’extériorisation [Äußerung] des forces du soleil qui éveillent la vie, des forces objectives constitutives de l’être [von der gegenständlichen Wesenskräfte] du soleil. Un être [Wesen] qui n’a pas sa nature [Natur] en dehors de lui, n’est pas un être naturel [kein natürliches Wesen], il ne prend [n’a] pas part [nimmt nicht Teil] à l’être de la nature [am Wesen ––––––––––––– 2 État aux alentours de la dernière séance de notre Atelier. Nota bene : au fil des séances à venir, et des aléas du cheminement de notre travail, les citations ultérieures seront insérées dans le présent document, mais après un saut de page, et cependant numérotation continue des pages. 3 Die deutsche Ideologie, in : MEW, Bd. 3, 1983 (11958) [ci-après DI], p. 43 / L’Idéologie allemande (« Conception matérialiste et critique du monde. ») 1845-1846, in : Œ III [ci-après IA], p. 1079. 4 Briefe aus den „Deutsch-Französischen Jahrbüchern”, in : MEW, Bd. 1, 1970, p. 344 / Une correspondance de 1843, in : Œ III, p. 343. 5 ÖPM, p. 467 / ÉP, p. 5. 6 Voir Zur Kritik der Hegelschen Rechtsphilosophie. Einleitung [ci-après ZKHR-E], in : MEW, Bd. 1, p. 383 / Pour une critique de la philosophie du droit de Hegel. Introduction [ci-après PCPDH-I], in : Œ III, pp. 388. 7 Voir, entre autres, ÖPM, p. 575 / ÉP, p. 127 : [Chez Hegel] l’aliénation de la conscience de soi n’est pas considérée comme l’expression, l’expression se reflétant [sich abspiegelnder Ausdruck] dans le savoir et la pensée, de l’aliénation effectivement réelle de l’être humain [des menschlichen Wesens]. 8 K. I, p. 27 / C. I, p. 558. 4 der Natur]. Un être qui n’a aucun objet [Gegenstand] en dehors de lui n’est pas un être objectif. Un être qui n’est pas lui-même objet pour un troisième être [pour un tiers, si l’on veut : für ein drittes Wesen9], n’a aucun être pour objet sien [hat kein Wesen zu seinem Gegenstand], c.-à-d. qu’il ne se comporte [verhält sich] pas objectivement, son Être n’est rien d’objectif [sein Sein ist kein gegenständliches10]. ||XXVII| Un être non objectif [ein ungegenständliches Wesen11] est un monstrueux non-être [ein Unwesen12]. Posez un être qui n’est pas lui-même objet et n’a pas plus un objet. Un tel être serait déjà [erstens13] l’être unique, il n’existerait pas d’être en dehors de lui, il existerait solitaire et tout seul [einsam und allein]. Car aussitôt qu’il y a [es gibt] des objets en dehors de moi, aussitôt que je ne suis pas tout seul, je suis quelque chose d’autre [ein andres], une autre réalité effective [Wirklichkeit14] que lui, c.-à-d. son objet. Un être qui n’est pas objet d’un autre être suppose donc qu’aucun être objectif n’existe. Aussitôt que j’ai un objet, cet objet m’a pour objet. Mais un être non-objectif est un être sans réalité effective [unwirklich], dépourvu de sensibilité [unsinnlich], c.-à-d. un être seulement imaginé [eingebildet], un être de l’abstraction. Être sensible, c.-à-d. être effectivement réel, c’est être objet du sens [des Sinns (i. e. de la faculté sensible, de sentir etc.)], être objet sensible, donc avoir des objets sensibles en dehors de soi, avoir des objets [à portée] de sa sensiblilité [Sinnlichkeit]. Être sensible, c’est être leidend.15 30) MARX (esquisse préalable de sa « position philosophique fondamentale », épistémologie 1) Denken und Sein sind […] zwar unterschieden, aber zugleich in Einheit miteinander. Pensée et être sont […] à vrai dire différents, mais tout aussi bien en [une] unité l’un avec l’autre.16 31) MARX (esquisse préalable de sa « position philosophique fondamentale », épistémologie 2) La conscience [das Bewußtsein] ne peut jamais être quelque chose d’autre que l’être conscient [das bewußte Sein], et l’être [das Sein] des hommes, c’est le processus effectivement réel de leur vie [ihr wirklicher Lebensprozess]. Où Marx résume le développement suivant : La production des idées, ou représentations, de la conscience, est d’abord immédiatement imbriquée dans l’activité matérielle et le commerce matériel [materieller Verkehr] des hommes, elle est le langage de la vie réelle. L’activité de représenter [das Vorstellen], la pensée [Denken], le commerce spirituel [geistiger Verkehr] des hommes, apparaissent […] comme découlant directement de leur comportement matériel [als direkter Ausfluß ihres materiellen Verhalten]. Et il en est de même pour la production spirituelle [geistige Produktion] qui s’expose dans le langage de la politique, des lois, de la morale, de la religion, de la métaphysique etc., d’un peuple. Ce sont les hommes qui sont les producteurs de leurs représentations, idées etc., mais les ––––––––––––– « pour autrui », traduisent inconsidérement, mais à coup sûr intentionnellement (conformément à l’interprétation “rubelienne” du « jeune Marx » comme promoteur d’« une éthique informulée parce que vécue [!!!] » ), Jean Malaquais et Claude Orsoni ! Alors que ce que Marx dit là n’est ni plus ni moins que ce qui est à proprement parler, c’est : 1) l’objet qu’est tout étant, 2) l’ensemble des objets hors de lui dont il fait partie sans pour autant être, immédiatement du moins, en rapport avec tous, et 3) l’objet hors de lui dont il se trouve être lui-même l’objet – « comme la plante est l’objet du soleil », par exemple, – condition sine qua non de son objectivité à lui ! 10 Malaquais et Orsoni : « son existence est immatérielle » ! 11 M&O insistent : « un être immatériel » ! 12 M&O se contentent de : « un monstre » ! Pour ma part, j’oserais dire, moyennant explications : « un monstre de “nonétantité” [puisque “non-substanciel”] » ! 13 On ne trouve pas de « zweitens » plus loin ! 14 M&O se contentent de : « une réalité » ! 15 ÖPM, pp. 578-579 / ÉP, pp. 129-131. 16 ÖPM, p. 539 / ÉP, p. 82. Où s’entend l’écho (médiatisé par la conception hégélienne de l’« esprit [Geist] ») du Fragment III du Poème de Parménide : « τὸ γὰρ αὐτὸ νοεῖν ἐστίν τε καὶ εἶναι [ainsi le même est penser & être]. » 9 5 hommes effectivement réels, opérants [wirkende], tels qu’ils sont conditionnés [bedingt]17 par un développement déterminé de leurs forces productives et du commerce, jusque dans ses formes les plus élevées, qui correspond à celles-ci.18 32) MARX (esquisse préalable de sa « position philosophique fondamentale », épistémologie 3) L’homme est de l’ordre du soi [selbstisch]. Son œil, son oreille etc. est de l’ordre du soi ; chacune des forces constitutives de son être a en elle la propriété d’être de l’ordre du soi [die Eigenschaft der Selbstigkeit]. Mais c’est pourquoi il est alors tout à fait faux de dire : la conscience de soi a œil, oreille, force constitutive de l’être. C’est bien plutôt la conscience de soi qui est une qualité de la nature humaine, de l’œil humain etc., et non pas la nature humaine qui est une qualité de la conscience de soi.19 33) MARX (esquisse préalable de sa « position philosophique fondamentale », épistémologie 4) [Chez Hegel] l’aliénation de la conscience de soi n’est pas considérée comme l’expression, l’expression se reflétant [sich abspiegelnder Ausdruck] dans le savoir et la pensée, de l’aliénation effectivement réelle de l’être humain [des menschlichen Wesens].20 34) MARX (esquisse préalable de sa « position philosophique fondamentale », épistémologie 5) L’élément21 de la pensée [das Denken] elle-même, le langage [die Sprache], est de nature sensible.22 Où Marx prend évidemment le contre-pied de la thèse hégélienne selon laquelle la pensée serait « l’élément » du réel que serait une « idée » initialement suprasensible23. 35) MARX (esquisse préalable de sa « position philosophique fondamentale », épistémologie 6) […] l’homme a aussi “de la conscience”. Mais […] il ne l’a pas d’emblée, comme une conscience “pure”. L’ “esprit” a d’emblée sur lui la malédiction d’être “entaché” par la matière, laquelle survient là sous la forme de couches d’air en mouvement, de sons, bref, du langage. Le langage est donc aussi ancien que la conscience – le langage est la conscience effectivement réelle pratique, qui existe aussi pour d’autres hommes, et qui n’existe qu’alors seulement pour moi-même aussi ; et le langage ne survient [entsteht], comme la conscience, que du besoin, de l’indigence qui fait la nécessité du commerce [erst aus dem Bedürfnis, der Notdurft des Verkehrs] avec d’autres hommes [Biffé dans le manuscrit : « Mon rapport [Verhältnis] avec ce qui m’entoure [Umgebung (mon « environnement », dit-on aujourd’hui, mais Merleau-Ponty en parlait encore en termes d’« entourage »)] est ma conscience]. Là où il existe un rapport, là il existe pour moi [je souligne], la bête [das Tier] ne se « rapporte [comporte] » envers rien et [ne se comporte] en somme pas du tout [„verhält” sich zu Nichts und überhaupt nicht]. Pour la bête, son rapport [Verhältnis] aux autres n’existe pas en tant que rapport [als Verhältnis]. La conscience est donc d’emblée déjà un produit social et le reste somme toute aussi longtemps que les hommes existent.24 ––––––––––––– 17 Au sens, mutatis mutandis, où Kant entend que la pensée humaine serait « bedingt », à savoir : conditionnée, certes, mais par la « sensibilité [Sinnlichkeit] » en l’occurrence, et cela au sens littéral où il reviendrait à celle-ci de la “doter”, comme le signale le préfixe be-, des « choses [Dinge] » que, faute de pouvoir les produire elle-même, il ne serait pas en son pouvoir de connaître que sous cette… condition. 18 DI, p. 26 / IA, p. 1056. 19 ÖPM, p. 575 / ÉP, p. 127. 20 Idem. 21 Au sens où l’eau est l’élément des êtres aquatiques ! 22 ÖPM, p. 544 / ÉP, p. 87. 23 Voir avant tout la définition de la logique au § 19 de l’Encyclopédie des sciences philosophiques en abrégé. 24 DI, pp. 30-31 / IA, p. 1061. NB : la suite de ce propos fait l’objet de la citation n° 43 ! 6 36) FEURBACH La réponse la plus simple et la plus générale, la plus populaire aussi, à [la] question [quelle est cette différence essentielle entre l’homme et l’animal ?] est : la conscience [das Bewußtsein] — mais conscience au sens strict ; car conscience au sens du sentiment de soi [Selbstgefühl], de la faculté de discerner par les sens, de percevoir et même de juger les choses extérieures d’après certains indices sensibles, une telle conscience ne peut être refusée aux animaux. Conscience au sens le plus strict il n’y a que là où un être a son genre [Gattung], son essentialité [Wesenheit] pour objet. L’animal est bien objet pour lui en tant qu’individu — aussi a-t-il le sentiment de soi —, mais pas en tant que genre — aussi lui manque-t-il la conscience, dont le nom dérive de science [Wissen]. Là où il y a conscience, là il y a aptitude à la science [Wissenschaft]. La science est la conscience des genres. Dans la vie, nous avons affaire à des individus, dans la science à des genres. Or, seul un être qui a son propre genre, son essentialité, pour objet, peut prendre pour objet d’autres choses ou d’autres êtres tels qu’en leur nature essentielle.25 37) MARX et la philosophie 2 Le comportement empirique, matériel, de l’homme ne peut […] pas ne serait-ce qu’être compris [verstanden] avec l’outillage théorique hérité de Hegel. Feuerbach ayant mis en évidence que le monde religieux était l’illusion du monde terrestre qui chez lui-même [?] [même chez lui ?] n’intervenait [lui-même ?] [, s’il intervenait] encore [,] plus que comme une phrase [die Illusion der bei ihm selbst nur noch als Phrase vorkommenden irdischen Welt], s’ensuivit naturellement [ergab sich von selbst], y compris pour la théorie allemande, la question à laquelle il n’avait pas répondu : comment s’est-il fait que des hommes se sont “mis” ces illusions “dans la tête” [diese Illusionen „in den Kopf setzten”] ? Cette question a, même pour les théoriciens allemands, ouvert le chemin vers une vision du monde [Anschauung der Welt] matérialiste [certes] non sans présuppositions, mais [parce qu’] observant empiriquement les présuppositions effectivement réelles, matérielles, comme telles, alors seulement effectivement critique [den Weg zur materialistischen, nicht voraussetzungslosen, sondern die wirklichen materiellen Voraussetzungen als solche beobachtenden26 und darum erst wirklich kritischen Anschauung der Welt]. Cette voie était déjà indiquée dans les Annales franco-allemandes, dans l’Introduction à la critique de la philosophie du droit de Hegel et À propos de la question juive. Parce qu’à l’époque, cela s’est encore fait dans une phraséologie philosophique, les expressions philosophiques, comme « être humain [menschliches Wesen] », « genre [Gattung] » etc., faisant là traditionnellement leur travail de sape, ont donné aux théoriciens allemands l’occasion qu’ils souhaitaient de mécomprendre l’évolution effectivement réelle et de croire qu’il ne s’agissait là derechef que d’un nouveau retournement de leur jaquette théorique usée – tout de même que le Dottore Graziano de la philosophie allemande, le Docteur Arnold Ruge27 28, lui aussi, croyait qu’il pouvait continuer à taper autour de lui avec ses membres empotés [maladroits, gauche, emprunté etc.] et porter son masque pédantement burlesque. Il faut « laisser la philosophie de côté » (Wig[and29,] p. 187, cf. Hess, Les Derniers philosophes, p. 830), il faut [man muß] en sortir en sautant hors d’elle [aus ihr herausspringen] et se vouer, comme un homme ordinaire, à l’étude de la réalité effective, pour laquelle il existe, même sur le plan littéraire, un matériel ––––––––––––– Ludwig Feuerbach, Das Wesen des Christentums, in : Sämtliche Werke, neu hrsg. von W. Bolin und F. Jodl, 6. Bd., 2. unveränd. Aufl., Stuttgart-Bad Cannstatt : Frohmann-Holzboog, 1960, pp. 1-2 / L’essence du christianisme, traduit de l’allemand par Jean-Pierre Osier […], Paris : tel Gallimard, 2015 (11992) [ci-après ECH], p. 117. 26 Celui qui « beobachtet » est… « der Beobachter », soit « L’Observateur », dût-il un jour s’appeler « Le Nouvel Observateur ». Ce qui est à relever en se rappelant que le « Völkischer Beobachter [Observateur populaire (?)] » fut l’organe de presse officiel du Nationalsozialistische Deutsche Arbeiterpartei (NSDAP) – Parti national-socialiste allemand des travailleurs (pour reprendre la traduction de Roger Bonnard, Le droit et l’État dans la doctrine nationale-socialiste, Paris : Librairie générale de droit & de jurisprudence, 1936), – de 1920 à 1945. 27 Bergen, 13 septembre 1802 – Brighton, 31 déembre 1880. 28 Voir Moses Hess (Bonn, 21 juin 1812 - Paris, 6 avril 1875), Dottore Graziano oder Doktor Arnold Ruge in Paris [?]. 29 Otto Friedrich Wigand (Göttingen, 10 août 1795 – Leipzig, 1er septembre 1870), éditeur et homme politique. 30 Moses Hess, Die letzten Philosophen, Darmstadt : C. W. Leske [Juni] 1845. 25 7 énorme naturellement inconnu des philosophes ; de sorte que si l’on se retrouve de nouveau face à des gens comme Krummacher31 ou “Stirner”32, on découvre alors qu’on les a depuis longtemps “derrière” et sous soi. La philosophie est à l’étude du monde effectivement réel ce que l’onanisme est à l’amour sexuel.33 – … en clair : de la masturbation (intellectuelle !) improductive quant à ne serait-ce que l’étude (en quel sens au juste ?), et donc, à fortiori, la connaissance, voire la science, du monde effectivement réel !34 ; et à ce propos, voir, entre autres, les deux passages ci-après, le premier de Hegel et le second de Feuerbach. 38) À propos de 37), HEGEL : “le jeu de l’amour de Dieu avec lui-même” [Das Wahre (« nicht als Substanz, sondern ebensosehr als Subjekt »)] ist das Werden seiner selbst, der Kreis, der sein Ende als seinen Zweck voraussetzt und zum Anfange hat und nur durch die Ausführung und sein Ende wirklich ist. Das Leben Gottes und das göttliche Erkennen mag also wohl als ein Spielen der Liebe mit sich selbst ausgesprochen werden. [Le vrai (« non comme substance [i. e. comme ce qui est vrai, l’étant-vrai], mais tout autant comme sujet [i. e. la pensée consciente de soi] », selon l’incipit dudit paragraphe)] est le devenir de lui-même, le cercle qui présuppose sa fin comme son but et l’a pour commencement, et qui n’est effectivement réel que moyennant son parcours complet et sa fin. La vie de Dieu et la connaissance en Dieu peut donc parfaitement être exprimé comme un jeu [au sens de l’activité de jouer] de l’amour avec lui-même.35 39) À propos de 37)(bis), FEUERBACH : de « la doctrine spéculative de Hegel, qui fait de la conscience humaine de Dieu la conscience de soi de Dieu » La personnalité de Dieu est […] le moyen par lequel l’homme fait des déterminations et représentations de sa propre essence [Wesen], des déterminations et des représentations d’un autre être [eines a n d e r n W e s e n ], d’un être extérieur [ausser] à lui. La personnalité de Dieu n’est elle-même rien d’autre que la personnalité externalisée, réduite à un objet [e n t ä u ß e r t e 36, v e r g e g e n s t ä n d l i c h t e P e r s ö n l i c h k e i t ], de l ’ h o m m e . C’est sur ce processus [Prozess] de l’externalisation de soi [Selbstentäußerung] que repose aussi la doctrine spéculative de Hegel, qui fait de la conscience humaine de Dieu la conscience de soi de Dieu. Dieu, c’est par nous qu’il est pensé, su [gedacht, gewußt]. Qu’il en vienne à être son être-pensé [Dieses sein Gedachtwerden], cela devient, suivant la spéculation [ist der Spekulation zufolge], le se-penser [Sich Denken ([…] le « se-penser-soi-même [Sich-selbst––––––––––––– Friedrich Wilhelm Krummacher (Moers-am-Rhein, 28 janvier 1796 – Potsdam, 10 décembre 1868), théologien et réputé prédicateur “réformé” (protestant). 32 Johann Kaspar Schmidt (Bayreuth, 25 octobre 1806 - Berlin, 26 juin 1856), auteur de Der Einzig und sein Eigentum [L’Unique et sa propriété], 1844 (daté de 1845). 33 DI, pp. 217-218 / IA, pp. 1199-1200. 34 S’agissant de ce passage, que nous avons raccourci de quelques lignes seulement, Rubel de commenter : 31 Voilà un geste d’autocritique bien sévère, à supposer que l’auteur de cette brutale condamnation de la philosophie soit Marx et non Engels. Feuerbach se trouve donc rejeté pour avoir légué à ses disciples le menschliches Wesen (l’essence humaine) et la Gattung (l’être générique) dont Stirner a beau jeu de se gausser. Et quelle sinistre caricature de Ruge, jadis cofondateur, avec Marx, des Deutsch-Französische Jahrbücher ! [Etc.] Ce qui permet de situer assez précisément de quoi “ma lecture” de Marx, et du “jeune Marx” pour commencer, devrait permettre de nous démarquer ! 35 G. W. H. Hegel, Phänomenologie des Geistes, in : Werke in zwanzig Bänden [ci-après WzB], Frankfurt am Main : Suhrkamp Verlag, Band 3, 11970, 1982 [ci-après PG], pp. 23-24 / La phénoménologie de l’esprit, Traduction de Jean Hyppolite, Paris : Aubier, Éditions Montaigne (Philosophie de l’esprit), T. 1 (sans date) [ci-après PE 1], p. 18. 36 J’introduis dès à présent ce que, sous la pression de la barbarie anglomaniaque de ce qui étend aujourd’hui son empire planétaire sous le nom de « management », l’évolution de la langue française nous offre désormais comme solution pour traduire distinctement ces deux termes corrélatifs que sont, chez Marx, « Entäußerung [« externalisation » (« transfert de tout ou partie d’une fonction d’une organisation, entreprise ou administration, vers un partenaire externe », selon “wiki”), dirons-nous donc] » et « Entfremdung [aliénation] ». 8 Denken] »)] de Dieu ; elle [la spéculation] unit ces deux côtés que la religion sépare l’un à part de l’autre [auseinandertrennt]. En quoi la spéculation est de loin plus profonde que la religion, car l’être-pensé [das Gedachtsein] de Dieu n’est pas comme celui d’un objet extérieur. Dieu est un être intérieur, spirituel, la pensée, la conscience, un acte intérieur, spirituel, donc l’être-pensé de Dieu le « oui » à ce que Dieu est, l’essence de Dieu confirmée comme [étant en] acte [die B e j a h u n g d e s s e n , w a s Gott ist, das Wesen Gottes a l s A k t b e t ä t i g t ].37 40) MARX et la philosophie 3 : à propos de la théorie… « allemande » versus celle des communistes Le communisme est purement inconcevable pour notre saint [Max qua Stirner], cela parce que les communistes ne font valoir ni l’égoïsme contre le sacrifice de soi [Aufopferung], ni le sacrifice de soi contre l’égoïsme, et que sur le plan théorique, ils ne saisissent pas cette contradiction sous cette forme-là, aussi sentimentale qu’exaltée, idéologique [und theoretisch38 diesen Gegensatz weder in jener gemütlichen noch in jener überschwenglichen, ideologischen Form fassen] ; ils documentent [nachweisen] bien plutôt les lieux matériels d’où elle [cette contradiction] est née [seine materielle Geburtsstätte] et avec lesquels elle est en train de disparaître [verschwindet (au présent de l’indicatif !)] de par elle-même. Les communistes ne prêchent somme toute aucune morale, [alors que c’est] ce que Stirner fait au-delà de toute mesure [im ausgedehntesten Masse]. Ils n’imposent pas aux hommes l’exigence morale : Aimezvous les uns les autres, ne soyez pas égoïstes pp. [= sur des pages et des pages?] ; ils savent au contraire très bien que dans certaines situations, l’égoïsme tout comme le sacrifice de soi est une forme nécesssaire de l’établissement [Durchsetzung39] des individus. Les communistes ne veulent donc en aucune façon, comme le croit saint Max et comme son fidèle Dottore Graziano (Arnold Ruge) ne cesse de le répéter après lui (raison pour laquelle Saint Max, Wigand, p. 192, le qualifie de « tête extraordinairement retorse et politique »), abolir « l’homme privé » en faveur de l’homme « général », celui qui se sacrifice – représentation imaginaire dont les deux auraient déjà pu aller chercher l’explication nécessaire dans les Annales franco-allemandes. Les communistes théoriciens, les seuls à avoir le temps de s’occuper de l’histoire, se distinguent précisément par ceci qu’eux seuls ont découvert que l’« intérêt général » a été créé par des individus qui tout au long de l’histoire ont été déterminés comme « hommes privés ». Ils savent que cette opposition n’est qu’apparente, parce que l’un des côtés, le prétendu « général » [das sogenannte Allgemeine], est en permanence généré [erzeugt] par l’autre, l’intérêt privé, et n’est en aucune façon, contre lui, une puissance indépendante [selbständig] avec une histoire indépendante ; que c’est donc toujours pratiquement que cette contradiction est anéantie et générée [daß also dieser Gegensatz fortwährend praktisch vernichtet und erzeugt wird]. Il ne s’agit donc pas d’une « unité négative » à la Hegel, de deux côtés d’une contradiction, mais de l’anéantissement matériellement conditionné d’un mode d’existence des individus qui jusqu’à présent aura été matériellement conditionné, et avec lequel c’est du coup cette contradiction-là qui disparaît avec son unité [um die materiell bedingte Vernichtung einer bisherigen40 materiell bedingten Daseinsweise der Individuen, mit welcher41 zugleich jener Gegensatz samt seiner Einheit verschwindet].42 41) MARX et la philosophie 4 : pensée – langage – philosophie Pour les philosophes, l’une des tâches les plus difficiles est de redescendre des hauts du monde de la pensée [Gedanke] dans le monde effectivement réel. La réalité effective immédiate de la ––––––––––––– ECH, p. 377 Rubel oublie de traduire ! 39 L’« affirmation de soi », si l’on veut (comme Rubel), mais surtout l’accession à quelque position, voire “positionnement [Setzung]”, stable – autrement dit : ne serait-ce qu’accéder à l’être de façon à se trouver en mesure d’y… « persévérer ». – 40 Question : que caractérise au juste ce « bisherig » ? 41 Question : à quoi renvoie au juste ce « welcher » ? À ladite Vernichtung (comme pour les traducteurs des Éditions sociales, p. 245), ou à ladite Daseinsweise (comme pour Rubel) ? 42 DI, p. 229 / IA, pp. 1203-1204. 37 38 9 pensée est le langage. De même que les philosophes ont rendu la pensée autonome, de même il leur a fallu faire du langage son propre empire autonome. Voilà le secret du langage philosophique, où les pensées ont en tant que mots un contenu qui leur est propre. Le problème de la redescente hors du monde des pensées dans les monde effectivement réel se transforme en problème de la redescente hors du langage dans la vie. […] tout le problème du passage de la pensée à la réalité effective, et donc du langage à la vie, n’existe que dans l’illusion philosophique, c.-à-d. qu’elle n’est justifiée que pour la conscience philosophique, à laquelle il est impossible être au clair sur la constitution et l’origine de sa séparation d’avec la vie.43 42) MARX et la philosophie 5 : le projet de L’Idéologie allemande selon la Contribution à la critique de l’économie politique de 1859 Friedrich Engels, avec qui, depuis la parution de sa géniale esquisse en vue d’une critique de l’économie politique, j’entretenais par écrit un échange d’idées permanent, était, par un autre chemin [que moi] (voir son Lage der arbeitenden Klasse in England44), parvenu avec moi [mit mir]45 au même résultat [que moi]. Et quand au printemps 1845, il s’est lui aussi établi à Bruxelles, nous décidâmes de travailler à dégager en commun ce qui oppose notre point de vue à celui, idéologique, de la philosophie allemande ; en fait, de régler son compte à notre conscience philosophique d’antan [in der Tat, mit unserm ehemaligen philosophischen Gewissen46 abzurechnen]. Le propos a été développé sous la forme d’une critique de la philosophie posthégélienne. 43) MARX et la philosophie 6 : la philosophie comme idéologie (selon L’Idéologie allemande) La conscience, naturellement, n’est d’abord qu’une conscience portant sur l’environnement sensible le plus proche [die nächste sinnliche Umgebung], et conscience de la co-dépendance [Zusammenhang] bornée avec d’autres personnes et d’autres choses en dehors de l’individu qui devient conscient de soi ; elle est en même temps conscience de la nature qui, au commencement, vient faire face aux hommes comme une puissance complètement étrangère, toute-puissante et inattaquable, envers laquelle les hommes se comportent de façon purement bestiale, par laquelle ils s’en laissent imposer comme le bétail ; et donc une conscience purement bestiale de la nature (religion de la nature). [Mais (au vu de ce qui précède comme de ce qui suit)] ce que l’on voit là est tout aussitôt que cette religion de la nature, ou ce comportement caractérisé envers la nature [dies bestimmte Verhalten zur Natur]47, est conditionné[/e] par la forme sociale [Gesellschaftsform], et inversement. Là comme partout, l’identité de la nature et de l’homme [die Identität von Natur und Mensch]48 ressort aussi de la façon suivante : le comportement borné des hommes envers la ––––––––––––– 43 DI, pp. 432 et 435 / IA, pp. 1324-1325. Die Lage der arbeitenden Klasse in England, nach eigner Anschauung und authentischen Quellen [La situation de la classe [laborieuse] des travailleurs en Angleterre. D’après un constat personnel de première main [de visu (cf. le sens de “Anschauung” chez Kant)] et des sources [documents] authentiques], Leipzig : Druck und Verlag von Otto Wigand, 1845. 45 Négligé dans la traduction de Rubel ! 46 « Gewissen » et non pas « Bewußtsein », soit la conscience, peut-être, mais de quelque impératif et, corrélativement, de quelque volonté ; et en l’occurrence la conscience que c’est philosophiquement qu’il s’agit – par nécessité ou alors par devoir (cf. la distinction kantienne), – de s’y prendre… avec le monde effectivement réel ! 47 Non pas « ce comportement déterminé » (Rubel), ni « ces rapports déterminés » (ES), mais ce qui, contrairement à ce qu’il en est chez la bête, qui ne se « rapporte [comporte] » envers rien et [ne se comporte] en somme pas du tout [„verhält” sich zu Nichts und überhaupt nicht] » (cf. citation n° 35 de l’Instrumentum), peut « assurément [bestimmt] » – du fait de cet embryon de conscience, – être considéré comme un rapport, voire des rapports, et somme toute un comportement… envers la nature ! 48 À LIRE, COMME L’ENSEMBLE DE CE PASSAGE, ET BIEN D’AUTRES, SANS MANQUER DE SE DEMANDER SI, ET LE CAS ÉCHÉANT, DANS QUELLE MESURE, COMMENT ETC., DES THÈSES, PROPOSITIONS ETC. DE CE GENRE, RÉPONDENT BIEN À L’EXIGENCE DE… « RÉGLER SON COMPTE » À QUELQUE « CONSCIENCE 44 10 nature conditionne leur comportement borné les uns envers les autres, et leur comportement borné les uns envers les autres conditionne leur comportement borné envers la nature, précisément parce que la nature n’est encore qu’à peine modifiée par l’histoire, et de l’autre côté, la conscience de la nécessité d’entrer en relation [in Verbindung zu treten, autrement dit “se lier (étroitement)”, “s’allier”49] avec les individus des alentours, le commencement de la conscience portant sur le fait [Bewußtsein darüber, daß…] qu’il [l’homme], vit en société. Ce commencement est aussi bestial que la vie sociale à ce degré-là, c’est une simple conscience grégaire, et l’homme ne se distingue du mouton que par ceci que sa conscience représente pour lui la place de l’instinct [sein Bewußtsein ihm die Stelle des Instinkts vertritt], ou que son instinct est un instinct conscient. Cette conscience moutionnière ou lignagère connaît son développement ultérieur et son édification par le truchement de la productivité accrue [gesteigerte Produktivität], de la multiplication [Vermehrung] des besoins et de la multiplication de la population qui est à la base des deux. Avec cela se développe la division du travail qui, à l’origine, n’était rien que la division du travail dans l’acte sexuel, puis la division du travail qui se fait de soi, ou “naturellement”, selon ce que permettent les dispositions naturelles (force physique par ex.), les besoins, les hasards etc. etc. . La division du travail ne devient division effectivement réelle dès l’instant [Augenblick50] où survient une division entre travail matériel et travail spirituel [Remarque de Marx en marge : « Première forme des idéologues, des prêtres, coïncide]. À partir de cet instant, la conscience peut effectivement s’imaginer qu’elle est quelque chose d’autre que la conscience de la pratique existante, qu’elle [se ]représente de façon effectivement réelle quelque chose sans [se ]représenter quelque chose d’effectivement réel [je souligne] – à partir de cet instant, la conscience est en état de s’émanciper et de verser dans la formation de la théorie “pure”, théologie, philosophie, morale etc. Mais même quand cette théorie, cette théologie, cette philosophie, cette morale etc., entrent en contradiction avec les circonstances existant en l’état [mit den bestehenden Verhältnissen], cela ne peut arriver que du fait que les relations existant en l’état sur le plan social sont entrées en contradiction avec la force productive existant en l’état […].51 44) PLATON, à propos de « la nécessité d’entrer en relation [in Verbindung zu treten, autrement dit de “se lier (étroitement)”, de “s’allier”] » et ainsi vivre « en société » selon Marx : [Socrate :] La Cité [πόλις] advient [γίγνηται] ensuite de ceci qu’il se trouve [ἐπειδὴ τυγχάνει] que chacun de nous n’est pas autarcique [αὐτάρχης], mais en manque [ἐνδεής] de beaucoup de choses. Ou bien vois-tu [Adimante] un autre principe présider à l’aménagement [οἰκίζειν] de toute Cité ? – Aucun, dit-il [Adimante]. – Ainsi donc, un autre s’adjoignant [prenant à ses côtés, “s’asssociant” à] un autre pour quelque chose d’autre [παραλαμβάνων ἄλλος ἄλλον ἐπ᾽ἄλλου], puis [s’adjoignant] untel pour les choses nécessaires à [ce ?] quelque chose d’autre [τὸν δ᾽ ἐπ᾽ἄλλου χρείᾳ], beaucoup, manquant [ainsi] de beaucoup de choses [πολλῶν δεόμενοι (de beaucoup des choses et/ou d’autres hommes ?)], se retrouvent dans une seule et même habitation à se demander et se rendre service en commun [εἰς μίαν οἴκησιν ἀγείραντες κοινωνούς τε καὶ βοηθούς] ; c’est à cette maison commune [ξυνοικία] que nous avons donné le nom de Cité.52 45) MARX et la philosophie 7, selon son Introduction de 1843/44 à ce qu’il projetait alors encore d’une Critique de la philosophie hégélienne du droit : L’arme de la critique, en tout état de cause, ne peut pas remplacer la critique des [genitivum subjetivum = par les] armes. Il faut que la force matérielle soit abattue par la force matérielle. Mais même la théorie devient une force matérielle aussitôt qu’elle capte les masses. La théorie est capable de capter les masses aussitôt qu’elle argumente [demonstriert] ad hominem, et elle ––––––––––––– PHILOSOPHIQUE » QUE CE SOIT (cf. citation 42), ET NE SERAIT-CE QU’À UNE QUELCONQUE « PHRASÉOLOGIE PHILOSOPHIQUE » (cf. citation 37) ! 49 « en communication », selon Rubel, plutôt bien inspiré pour l’occasion, mais trop “savant” ! En tout cas pas : « entrer en rapport », comme il est dit crassement dans ES. 50 Plutôt que « moment » ! 51 DI, pp. 31-32 / IA, pp, 1061-1062. 52 Rép. II, XI, 369b5-c4. 11 argumente ad hominem aussitôt qu’elle devient radicale. Être radical, c’est prendre la chose [die Sache53] à la racine. Mais la racine, pour l’homme, c’est l’homme lui-même. La preuve évidente du radicalisme de la théorie allemande [dans la configuration de la philosophie de Feuerbach, s’entend], donc de son énergie pratique, est qu’elle part de la supression décidément positive de la religion [ihr Ausgang von der entschiedenen positiven Aufhebung der Religion]. La critique de la religion prend fin avec la leçon que l’homme est l’être suprême [das höchste Wesen] pour l’homme, donc avec l’impératif catégorique d’abattre tous les rapports [sous-entendu : politiques, certes, mais avant tout sociaux, qui ont cours dans « la société civile »] où l’homme est un être rabaissé, asservi, abandonné, méprisé.54 D’où ces lignes conclusives : L’Allemagne, qui est gründlich [“portée sur le fond des choses”], ne peut pas faire la révolution [revolutieren] sans faire la révolution à partir d’un fondement [von Grund aus]. L’émacipation de l’Allemand est l’émancipation de l’homme. La tête de cette émancipation est la philosophie, son cœur le prolétariat. La philosophie ne peut se réaliser effectivement sans la supression [Aufhebung] du prolétariat, le prolétariat ne peut se supprimer sans la réalisation effective [Verwirklichung] de la philosophie. Quand toutes les conditions internes [à l’Allemagne] seront remplies, le jour de la résurrection à l’allemande sera annoncé par le chant du coq gaulois.55 47) RUBEL au sujet de la “négation-Aufhebung” de la philosophie comme condition de sa « réalisation effective [Verwirklichung] » selon la susdite Introduction : Devançant une objection attendue, Marx emprunte au maître de la dialectique les concepts de « négation » et de Aufhebung, dont la synonymie apparente dissimule une ambuïté voulue : « nier la philosophie », c’est encore « philosopher » ; « réaliser la philosophie », c’est démontrer son inanité comme spécialité professionnelle56, mais pour en faire la substance spirituelle commune nourrissant le vie de tous les êtres et la changer en raison et sagesse des relations ––––––––––––– Et non pas « les choses ». C’est presque à l’évidence qu’il s’agit là de ce que, de Platon (dans la VIIe Lettre) à Husserl en passant par Hegel, les philosophes ont appelé « la chose même », soit de ce dont il s’agit, de l’affaire en question, et c’est dire, pour Marx, qui le signale en citant la fameuse question du Hamlet de Shakespeare quelques pages plus haut : « être ou ne pas être » ! 54 Zur Kritik der Hegelschen Rechtsphilosophie. Einleitung [cité ZKHR], in : MEW, Bd. 1, 1970, p. 385 / Pour une critique de la philosophie du droit de Hegel. Introduction [PCPDH], in : Œ III, p. 390. 55 ZKHR, p. 345 / PCPDH, p. 389. 56 Ce dont il n’est pas question dans le texte de Marx ! Certes, Marx condamne vigoureusement la posture du « maître d’école [Schulmeister] ». Par quoi il y a cependant lieu d’entendre – plutôt que celle du professeur, comme le suggère Rubel quand, dans la note 4 concernant la XIe thèse ad Feuerbach (voir Œ III, p. 1717), il qualifie ladite « spécialité professionnelle » de « spécialité professorale », – celle d’un « donneur de leçons » inféodé à quelque « école ». Et il est fort possible que cette condamnation aille dans le sens de ces lignes de Feuerbach – tirées des Thèses provisoires pour la réforme de la philosophie (1842) [cité Thèses provisoires], in Manifestes philosophiques. Textes choisis (1839-1845), trad. de l’all. par Louis Althusser, Paris : PUF (Épiméthée), 21973 [cité Manifestes philosophiques], 58, p. 122, – que Rubel cite dans son Introduction à Œ III, p. LIII : 53 La nouvelle philosophie, la seule positive, est la négation de toute philosophie d’école, bien qu’elle en contienne en elle-même le vrai ; elle est la négation de la philosophie comme qualité abstraite, particulière, c’est-à-dire scolastique : elle n’a pas de schibboleth, pas de langage particulier, pas de nom particulier, pas de principe particulier ; elle est l’homme même qui pense […]. La question restant de savoir si la condamnation de Marx ne vise que cela, et surtout si elle le condamne dans une visée de ce genre (la présupposition de « l’homme qui pense » !). Le constat étant qu’en tout état de cause, il ne s’agit là en aucune façon de la philosophie « comme spécialité professionnelle », autrement dit une certaine discipline spécialement réservée à des professeurs ! Disons, à titre indicatif, que tous les “jeunes-hégéliens” – philosophes donneurs de leçons à l’école de Hegel, – auxquels il m’est avis que Marx s’en est pris dès l’époque de sa thèse de doctorat, n’étaient de loin pas tous des spécialistes professant professionnellement (académiquement)… à commencer par Arnold Ruge, éditeur et libraire (comme Otto Wigand), et Feuerbach lui-même (époux d’une riche héritière) etc. … 12 humaines quotidiennes, c’est comme si la philosophie était désormais aufgehoben – supprimée et conservée — dans une éthique informulée, parce que vécue.57 48) Le sens de l’Aufhebung dans la dialectique hégélienne selon Hegel lui-même (voir suppl. xi) : Aufheben a dans la langue [allemande] le double sens qui lui fait signifier conserver [aufbewahren], maintenir [erhalten], et en même temps faire cesser [aufhören lassen], mettre un terme [ein Ende machen]. La conservation elle-même inclut déjà en soi [in sich] le négatif qui est qu’à quelque chose est retirée son immédiateté et par là une existence [Dasein] ouverte aux actions exercées en elle de l’extérieur [äußerlichen Einwirkungen], et ce pour le maintenir. – Ainsi quelque chose d’aufgehoben est-il en même temps quelque chose de conservé, qui n’a perdu que son immédiateté, mais n’a pas pour autant [darum] été anéanti [vernichtet]. – Lexicalement, les deux déterminations [Bestimmungen] qui viennent d’être apportées peuvent être présentées comme deux significations [Bedeutungen] de ce mot. Mais on devrait là être frappé qu’une langue soit parvenue à faire usage d’un seul et même mot pour deux déterminations opposées. Pour la pensée spéculative, il est réjouissant de trouver dans la langue des mots qui ont en eux-mêmes une signification spéculative. Le double sens du latin tollere (qui a été rendu célèbre par la plaisanterie de Cicéron « tollendum esse Octavium ») ne va pas si loin, la détermination affirmative ne va que jusqu’à l’élévation [Emporheben]58. Quelque chose n’est aufgehoben [élevé] que dans la mesure où il est entré dans l’unité avec son opposé.59 ––––––––––––– Œ III, p. 1582 (note 2). Nota bene : avant d’en critiquer certains aspects et, en particulier, rectifier certaines propositions de traduction, dont certaines sont purement et simplement erronées, nous ne saurions manquer de saluer avec reconnaissance l’immense et souvent très précieux travail de M. Rubel. 58 Et l’on pourrait ajouter : la détermination négative se réduit à la pur et simple « Vernichtung [annihilation]. 59 G. W. F. Hegel, Wissenschaft der Logik I, WZB, Bd. 5, 1969, p. 114 / Science de la logique I, 1 (Premier tome. Premier livre. L’être), traduction, présentation et notes par Pierre-Jean Labarrière et Gwendoline Larczyck, Paris : Aubier Montaigne (Bibliothèque philosophique), 1972, p. 81 57 13 49) MARX et la philosophie 8, toujours selon l’Introduction de 1843/44 à la Critique de la philosophie hégélienne du droit : C’est à bon droit [mit Recht] que parti le parti politique pratique d’Allemagne exige […] la négation de la philosophie. Son tort [Unrecht] ne consiste pas dans cette exigence [Forderung], mais à s’en tenir à cette exigence qu’il n’achève ni ne peut achever sérieusement. Il croit accomplir cette négation en tournant le dos à la philosophie et en détournant la tête [pour] marmotter [marmonner] sur elle quelques phrases agressives et banales. L’étroitesse de son champ de vision fait qu’il ne se rend pas compte que la philosophie appartient justement à la sphère de la réalité effective allemande, ou il l’imagine même être au-dessous de la pratique allemande et des théories qui la servent. Vous exigez qu’on doive se rattacher à des germes de vie effectivement réels, mais vous oubliez que le germe de vie effectivement réel du peuple allemand n’a jusqu’à ici bourgeonné que sous le crâne de son cerveau. En un mot : vous ne pouvez pas supprimer la philosophie sans la réaliser effectivement.60 50) Prémices de la doctrine marxienne de la conscience-reflet dans les Carnets préparatoires à sa thèse de doctorat et un article de 1842 : […] le monde substantiel de l’effectivité est entré dans la conscience de Platon [tritt […] in das Bewußtsein Platos ein] en y étant effectivement idéalisé, mais c’est pourquoi ce monde idéal est lui-même tout aussi simplement articulé en soi que l’est le monde effectivement substantiel qui lui fait face.61 Thèse tout à fait fondamentale – puisqu’elle paraît annoncer une doctrine de la conscience-reflet qu’il y a certainement lieu de considérer comme la clef de voûte du matérialisme historique de Marx, – de la pénétration de la conscience, et de celle du philosophe, en l’occurrence, par le monde effectivement substantiel dont nous pouvons ici relever la formulation “grand public” que Marx en propose dans un passage d’un article publié en trois parties dans la Rheinische Zeitung des 10, 12 et 14 juillet 1842, où il s’en prend aux thèses avancées peu de temps avant par un certain Karl H. Hermes dans un article de la Kölnische Zeitung – voir “Der leitende Artikel in : Nr. 179 der „Kölnischen Zeitung””, MEW 1, pp. 86-104 / “L’article de tête du numéro 179 de la Kölnische Zeitung »”, Œ III, pp. 199-220, – à commencer par celles-ci (pp. 87-89 / pp. 201-202) : Répandre des opinions philosophiques et religieuses au travers des journaux ou les combattre dans les journaux nous paraît également inadmissible. […] Un parti qui se sert de ces moyens montre par là, à notre avis, qu’il ne conçoit pas cela honnêtement et qu’il lui importe moins d’instruire et d’éclairer le peuple que d’atteindre d’autres buts extérieurs. […] Tant qu’il existe encore une censure, il est de son plus urgent devoir d’élaguer ces excroissances d’une puérile turbulence qui ont ces derniers jours blessés nos yeux. À quoi Marx répond en formulant, au début de la troisième partie de sa réponse (p. 97 / pp. 211-212), et là pour introduire à ce qu’il a à dire « sur “la chose même” », la conception suivante de la philosophie : La philosophie, et avant tout la philosophie allemande, a un penchant pour la solitude, la réclusion systématique, l’introspection dépassionnée, qui d’emblée l’oppose et la rend étrangère aux journaux qui ne satisfont leur caractère polémique et tapageur que dans la communication. Saisie dans son développement systématique, la philosophie est impopulaire, son secret tissage en elle-même apparaît à l’œil profane comme un affairement aussi démesuré que peu pratique ; elle passe pour un professeur des arts de l’illusion, dont les invocations rendent un son solennel parce qu’on ne les comprend pas. La philosophie, conformément à son caractère, n’a jamais fait le premier pas pour troquer l’ascétique soutane du prêtre contre la tenue légère et conventionnelle des journaux. Seulement ––––––––––––– 60 ZKHR, p. 384 / PCPDH, pp. 388-389. Hefte zur epikureischen, stoischen und skeptischen Philosophie, in : MEW, EB 1 [ci-après Hefte], pp. 88|89 / Philosophie épicurienne (Cahiers d’étude), 1839-1840, in : Œ III [ci-après Cahiers] p. 822 . 61 14 les philosophes ne poussent pas comme des champignons, ce sont les fruits de leur temps, de leur peuple, dont les sucs les plus subtils, les plus précieux et les plus invisibles circulent dans les idées philosophiques. Le même esprit qui construit des systèmes philosophiques dans le cerveau des philosophes, construit les chemins de fer avec les mains des ouvriers. La philosophie ne se tient pas hors du monde, pas plus que le cerveau ne se tient hors de l’homme parce qu’il n’est pas dans le ventre ; mais il est vrai que c’est d’abord avec le cerveau que la philosophie se tient dans le monde, avant de se mettre debout les pieds sur le sol, tandis que beaucoup d’autres sphères humaines sont enracinées par les pieds dans la terre et cueillent des mains les fruits du monde pendant longtemps avant de soupçonner que la “tête” aussi est de ce monde ou que ce monde est le monde de la tête. D’où précisément cette nécessité d’une réalisation effective de la philosophie que Marx commence alors d’exposer en ces termes : Parce que chaque vraie philosophie est la quintessence spirituelle de son temps, il faut que vienne le temps où la philosophie entre en contact et en interaction non seulement intérieure, par son contenu [Gehalt], mais aussi extérieurement, par sa manifestation, avec le monde effectif de son temps. 15 51) Hefte, pp. 82|83 / Cahiers, p. 819 : Maintenant, c’est l’idéalité elle-même qui, dans sa forme immédiate, l’esprit subjectif62, devient le principe de la philosophie. Tandis que dans les sages grecs des débuts, la forme idéale de la substance, son identité, se révélait [sich offenbarte] contre l’habit chamarré, tissé par des peuples aux individualités diverses, de la manifestation de son effectivité [gegen das bunte, aus verschiednen Völkerindividualitäten gewirkte Gewand ihrer erscheinenden Wirklichkeit], tandis que de ce fait, ces sages, d’un côté, ne saisissent [fassen] l’absolu que dans les déterminations ontologiques les plus unilatérales, les plus générales, [et] de l’autre côté, représentent euxmêmes dans l’effectivité la manifestation de la substance renfermée en soi [anderseits selbst die Erscheinung der in : sich absgeschloßnen Substanz in : der Wirklichkeit an sich darstellen], et qu’ainsi, de même qu’ils ont des comportements d’exclusion contre les πολλοί, de même qu’ils sont le mystère parlant de leur esprit, de même, de l’autre côté, tels les effigies béatement méditantes des dieux sur les places de marché [andrerseits gleich den plastischen Göttern auf den Marktplätzen in : ihrer seligen Insichgekehrtheit], ils sont en même temps les propres parements du peuple et retombent en lui avec leur singularité, c’est maintenant l’idéalité ellemême, la pure abstraction devenue pour soi, qui vient faire face à la substance ; la subjectivité qui s’impose comme principe de la philosophie. 52) Hefte, pp. 228|229 / Cahiers, p. 851 : […] la dialectique [platonicienne] est la simple lumière intérieure, l’œil pénétrant de l’amour, l’âme intérieure qui n’est pas n’est pas accablée par le corps de la subdivision matérielle, le lieu intérieur de l’esprit. Le mythe de celle-ci est donc l’amour [mais la dialectique est aussi le fleuve qui arrache, qui brise les multitudes et leur limite, qui renverse les figures autonomes, noyant tout dans la mer, une, de l’éternité. Le mythe de celle-ci est donc la mort]. 53) Hefte, pp. 86|87 / Cahiers, p. 822-823 : Le mouvement, chez Platon, devient idéel ; de même que Socrate est le type [Bild] et l’éducateur du monde, de même les idées de Platon, son abstraction philosophique, sont les prototypes [Urbilder] de ce même monde. Dans Platon, cette détermination abstraite du bien [i. e. celle à laquelle s’en serait tenu Socrate], de la fin, se dissémine dans une philosophie extensive embrassant le monde. La fin, en tant que la détermination en soi, le vouloir effectif du philosophe, c’est la pensée, les déterminations réelles de ce bien sont les pensées immanentes. Platon envisage cela, [qui est] sa relation à l’effectivité, ainsi : un empire autonome des idées flotte au-dessus de l’effectivité (et cet au-delà est la subjectivité propre du philosophe) et se reflète obscurément en elle. Tandis que Socrate n’a découvert que le nom de l’idéalité qui s’est élevée hors de la substance pour pénétrer dans le sujet, et qu’il était encore en conscience ce mouvement, le monde substantiel de l’effectivité a ainsi pénétré [sous une forme] alors effectivement idéalisé[e] dans la conscience de Platon, mais c’est pourquoi ce monde idéal est lui-même tout aussi simplement articulé en soi que l’est le monde effectivement substantiel qui lui fait face, ce dont Aristote remarque on ne peut plus pertinemment : (Métaphys. I, chap. IX [990b4-6]) σχεδὸν γὰρ ἴσα ἢ οὐχ ἐλάττω τὰ εἴδη ἐστι τούτων περὶ ὧν ζητοῦντες τὰς αἰτίας ἐκ τούτων ἐπ᾽εκεῖνα προῆλθον [Car les idées sont presque aussi nombreuses, ou pas moins nombreuses que les choses à partir desquelles ceux qui en recherchaient les causes se sont avancés jusqu’aux idées]. Sa déterminité et son articulation en soi [i. e. du monde effectivement substantiel] est par suite un au-delà pour le philosophe lui-même, le mouvement est tombé hors de ce monde. ––––––––––––– 62 Voir citation 55. 16 καίτοι τῶν εἰδῶν ὄντων ὅμως οὐ γίγνεται τὰ μετέχοντα, ἂν μὴ τὸ κινῆσον [Et pourtant, même si les idées sont, les choses qui y ont part ne naissent pas s’il n’y a pas le moteur] Aristot. l[oc]. c[it]. [991b4-5]. Le philosophe en tant que tel, i. e. en tant que le sage, pas en tant que le mouvement de l’esprit effectif en somme, est donc la vérité transcendante [die jenseitige Wahrheit] du monde substantiel qui lui fait face. De quoi Platon s’avise de la manière la plus déterminée quand il dit qu’il faudrait ou bien que les philosophes deviennent des rois, ou bien les rois des philosophes, pour que l’État rejoigne sa destination. Il a fait lui-même une telle tentative par la position qu’il a lui-même prise auprès d’un tyran. Et son État a aussi pour ordre particulier et suprême, l’ordre des savants. 54) Hefte, pp. 214|215-216|217 / Cahiers, pp. 843-844 : Quand la philosophie s’est conclue sur un monde parachevé, total […], c’est alors dans son ensemble que la totalité du monde est disjointe [dirimiert] en elle-même […]. La disjonction du monde n’est totale que lorsque ses côtés sont des totalités. Le monde est alors un monde déchiré qui vient faire face [gegenübertritt] à une philosophie en soi totale. Et la manifestation [die Erscheinung – sous-entendu : dans le monde prétendument apparent] de l’activité de cette philosophie est donc aussi une activité déchirée et contradictoire ; son universalité objective se renverse [kehrt sich um] en formes subjectives de la conscience singulière [in subjektive Formen des einzelnen Bewußtsein] dans lesquelles elle est vivante. 55) Caractérisation hégélienne de « l’esprit subjectif » comme objets de l’anthropologie, de la phénoménologie de l’esprit et de la psychologie, au tout début de la première partie de La Philosophie de l’esprit de 1817 : L’esprit peut être appelé subjectif pour autant qu’il est dans son concept. Or, puisque le concept est en soi la réflexion de son universalité à partir de sa particularisation, le concept subjectif est donc a) l’esprit immédiat, l’esprit-nature, – l’ob-jet [Gegenstand] de ce qu’on appelle habituellement l’anthropologie, ou l’âme ; b) l’esprit en tant que réflexion identique en soimême et dans autre chose [in Anderes], acte-de-se-rapporter-à [Verhältniß] ou particularisation, – la conscience, l’ob-jet de la phénoménologie de l’esprit ; c) l’esprit qui est pour lui-même, ou l’esprit comme sujet, – l’ob-jet de ce qu’on appelle d’ordinaire la psychologie. –63 56) De l’idéalisme revendiqué d’Arnold Rugue au début des années 1840. Voir “Erinnerung aus dem äusseren Leben, von Ernst Moritz Arndt, Leipzig 1840”, Hallische Jahrbücher, 243 (9 octobre 1840), pp. 1931-1932, in : Werke und Briefe, herausgegeben von Hans-Martin Sass, Aalen : Scientia Verlag, 1988 [ci-après Werke und Briefe], Band 4 (Politische Kritiken 1838–1846), p. 84 : […] s’il se trouve qu’un nouveau combat commence entre l’idéalisme vieil-allemand et l[’idéalism]e philosophique, alors la puissance de ce dernier a maintenant doublé. Le pathos pratique [qui aurait animé le premier durant « guerres de libérations » (i. e. anti-napoléoniennes)] a non seulement été purifié [gereinigt] à l’école de la spéculation théorique, il a également été réuni [vereinigt] avec elle ; et il s’avance ainsi audacieusement comme la totalité régénérée [die wiedergeborne Totalität] de la théorie scientifique et du religieux devoir d’une action réformatrice. Quant à la revendication expresse de cet « idéalisme philosophique », voir ibidem, pp. 82-83 : La conceptualisation philosophique est le résultat essentiel de l’histoire, l’existence historique la plus prégnante, la plus riche de conséquences, le devoir vraiment justifié de l’évolution ; et ––––––––––––– Enzyklopädie der Philosophischen Wissenschaften im Grundrisse [Heidelberg : August Oßwald’s Universitätsbuchhandlung, 1817], in : Sämtliche Werke, Jubiläumsausgabe in zwanzig Bänden, […] neu hegausgegeben von Hermann Glockner, Sechster Band, Stuttgart : Friedrich Frommann Verlag / Günther Holzboog, p. 231 / Encyclopédie III, §. 307, p. 103, 63 17 personne n’aurait pu tenir cela de plus près que Hegel lui-même, dont le concept de dialectique est le seul [concept] qui, partout, et donc aussi dans la pratique de l’histoire, permet que la déterminité sur laquelle on se tient soit connu dans sa plus intime vérité. La connaissance de soi d’une étape est toujours la prochaine nouvelle étape ; un nouveau soi, un nouvel esprit, est ainsi amené à naître. Cette dialectique est idéalité, et le comportement théorique et pratique à sa mesure est l’idéalisme. L’idéalisme est religion dans la mesure où les hommes en font une affaire de cœur. Où il faut entendre « religion » au sens que Ruge lui donne dans “Über das Verhälnis von Philosophie, Politik und Religion (Kants und Hegels Accommodation). 1841”, in : Werke und Briefe, Band 2 (Philosophische Kritiken 1838-1846), p. 288, à savoir : La religion, en son concept, n’est rien d’autre que le pathos pratique pour l’idéal, pour la vérité. Elle rassemble l’idée dans le cœur [Gemüth], elle fait de la vision pure la substance du caractère et, dans cette concentration du contenu, s’oriente vers la réalisation de celui-ci. Son essence est cette pratique qui […] ne se manifeste alors qu’en supprimant les anciennes existences et en fonde de nouvelles. 57) Citation 27 complétée (où Marx s’en prend à « l’abstraction dogmatique » du communisme alors « effectivement existant » des « Cabet, Dézamy, Weitling, etc. ») : […] nous n’anticipons pas le monde dogmatiquement, […] ce n’est qu’à partir de la critique de l’ancien monde que nous voulons trouver le nouveau. Jusqu’ici les philosophes avait la solution de toutes les énigmes au fond de leur pupitre, et le monde exotérique, dans sa bêtise, n’avait qu’à ouvrir le bec pour que les alouettes de la science absolue lui tombent toutes rôties dans la bouche. La philosophie s’est faite monde [hat sich verweltlicht], et la preuve la plus frappante en est que la conscience philosophique elle-même a été entraînée dans le tourment du combat non seulement à l’extérieur, mais à l’intérieur. La construction de l’avenir et en finir pour tous les temps n’étant pas notre affaire, ce que nous avons présentement à accomplir n’en est que plus certain, et j’entends : la critique sans retenue de tout ce qui est établi [die rücksichtslose Kritik alles Bestehenden], sans retenue également au sens où la critique ne craint pas ses résultats et tout aussi peu le conflit avec les forces qui se présentent. 58) Apport et limite de la philosophie hégélienne selon Marx (1) : […] Hegel ayant saisi la négation de la négation – d’après la relation positive qui se trouve en elle, comme le véritable et le seul positif, et d’après la relation négative qui se trouve en elle, comme le seul vrai acte et auto-activation [Selbstbetätigung] de tout être64, – il n’a trouvé que l’expression abstraite, logique, spéculative, du mouvement de l’histoire, lequel n’est pas encore l’histoire effective de l’homme comme [histoire] d’un sujet présupposé, mais seulement l’acte d’engendrement [Erzeugungsakt], l’histoire de l’émergence [Enstehungsgeschichte] de l’homme.65 59) Apport et limite de la philosophie hégélienne selon Marx (2) : Ce qu’il y a de grand dans la “Phénoménologie” hégélienne et son résultat final – dans la dialectique de la négativité comme le principe de la mise en mouvement et de l’engendrement [der Negativität als dem bewegenden und erzeugenden Prinzip] – est […] que Hegel saisit [faßt] l’auto-engendrement [Selbsterzeugung] de l’homme comme un processus [Prozeß], l’objectivation [de soi] comme opposition [à soi de soi] en tant qu’objet [die ––––––––––––– P. 159 de sa traduction – la moins mauvaise de celle qui, à ma connaissance, existent à ce jour en français, à savoir : Karl Marx, Manuscrits économico-philosophiques de 1844, Traduit présentés et annotés par Frank Fischbach, Paris : Vrin (Textes & commentaires), 2007, – Fischbach oublie de traduire « alles Seins » ! 65 ÖPM, p. 570 / ÉP, p. 122. NB : il n’est précisément que ce que dans son avant-propos à ZKPÖ, p. 9, CÉP, p. 274, Marx qualifiera de « préhistoire de la société humaine ». 64 18 Vergegenständlichung als Entgegenständlichung], comme externalisation [Entäußerung] et comme dépassement [Aufhebung] de cette externalisation ; qu’il saisit donc l’essence du travail et conçoit [begreift] l’homme objectif, l’homme vrai parce qu’effectivement réel, comme résultat de son propre travail. Le comportement [Verhalten] effectivement réel, actif, de l’homme à l’égard de lui-même comme être générique [Gattungswesen] ou sa mise en action comme [mise en action] d’un être générique effectivement réel, c.-à-d. d’un être humain [menschlichen Wesens], n’est possible que parce qu’il extériorise réellement toutes ses forces génériques – ce qui n’est à son tour possible que du fait de l’action d’ensemble [Gesamtwirken] des hommes, que comme résultat de l’histoire66 – et se comporte avec elles comme avec des objets [sich zu ihnen als Gegenständen verhält], ce qui n’est également possible, d’abord, que sous la forme de l’aliénation [Entfremdung].67 Où il nous faudra bien voir qu’à vrai dire, Marx n’expose pas la pensée de Hegel, mais la sienne, sous l’égide du principe général de la dialectique établi ce dernier, et en lui reprenant quelques concepts fondamentaux – dont celui de « genre [Gattung] » ! – certes, mais en développant un certain nombres de thèses qu’il lui oppose. Ce qui devrait devenir déjà plus clair au vu des deux passages suivants. Premièrement : L’être humain [das menschliche Wesen], l’homme vaut pour Hegel = [à] conscience de soi. Toute aliénation des l’être humain n’est par suite rien d’autre que l’aliénation de la conscience de soi. L’aliénation de la conscience de soi n’équivaut pas à l’expression, l’expression se reflétant [sich abspiegelnder Ausdruck] dans le savoir et la pensée, de l’aliénation effectivement réelle de l’être humain [des menschlichen Wesens]68. Au contraire, selon son être le plus intime, qui est caché – et n’est mis au jour que par la philosophie, – l’aliénation effectivement réelle [wirklich], en tant qu’elle apparaît réellement [real (“chosalement”)], n’est rien d’autre que la manifestation apparente [die Erscheinung (le phénomène au sens platonicien)] de l’aliénation de l’être humain effectivement réel. La science qui comprend [begreift] cela s’appelle par suite phénoménologie.69 Toute réappropriation de l’être objectif aliéné [devenu objectif du fait de l’aliénation] apparaît du coup comme une incorporation [de cet être] dans la conscience de soi ; l’homme qui se rend maître [bemächtigt] de son être n’est que la conscience de soi qui se rend maître de l’être objectif. C’est pourquoi le retour de l’objet dans le Soi est la réappropriation de l’objet.70 Et deuxièmement : Parce que l’homme = [à] conscience de soi, son être objectif externalisé, ou la choséité [die Dingheit]71 (ce qui pour lui est objet, et objet, l’est véritablement pour lui ce qui lui est objet essentiel, ce qui est donc son être objectif. Mais comme n’est pas l’homme effectivement réel, et donc pas non plus la nature – l’homme est la nature humaine –, dont il est fait en tant que tel le sujet [als solcher zum Subjekt gemacht wird], mais seulement l’abstraction de l’homme, la conscience de soi, la choséité ne peut donc être que la conscience de soi externalisée) = à la conscience de soi externalisée, et la choséité est posée par cette externalisation. Qu’un être vivant, naturel, équipé et doué de forces constitutives de l’être [qui sont] objectives, i. e. matérielles, ait aussi des objets naturels effectivement réels de son être de sorte que son externalisation de soi soit tout autant la position un monde objectif effectivement réel, mais sous la forme de l’extériorité, donc [d’un monde] n’appartenant pas à son être et surpuissant, est tout ––––––––––––– Où l’on retrouve la thèse déjà articulée par Marx quelques pages plus haut et citée ci-dessus [citation 58]. ÖPM, p. 574 / ÉP, pp. 125-126. 68 Cité en note 7 de la citation 28. 69 Singulière, mais compréhensible interprétation du sens de « phénoménologie » dans le titre Phénoménologie de l’esprit ! 70 ÖPM, pp. 575-576 / ÉP, pp. 127-128. 71 À mon sens – mais nous aurons à y revenir durant nos travaux, – cette « Dingheit [« choséité » si l’on veut] » doit être entendue non pas comme l’essence au sens du “ce que c’est” de la chose en tant que chose, ou de quelque être-chose de la chose en tant que telle, mais au sens de « la chose [das Ding] » en somme, autrement dit du « chosal », de sorte qu’elle désigne dans le même temps tout ce qui est de l’ordre des choses, l’ensemble des choses ; cela à la façon d’ailleurs dont chez Marx, « Sinnlichkeit » désigne « le sensible » au sens de tout ce qui est sensible, soit perceptible par les sens. 66 67 19 à fait naturel. Il n’y a là rien d’incompréhensible ni d’énigmatique. C’est bien plutôt le contraire qui serait énigmatique. Mais qu’une conscience de soi, par son externalisation, ne puisse poser que la choséité, c.-à-d. [poser] elle-même qu’une chose abstraite, une chose de l’abstraction, est tout aussi clair. Aussi est-il clair que la choséité n’est par suite rien qui tienne de lui-même [nichts Selbständiges], qui soit à proprement parler [(nichts) Wesentliches], face à [gegen] à la conscience de soi, mais une simple création, quelque chose qui est posée par elle, et ce qui est posé, au lieu de se confirmer lui-même, n’est qu’un confirmation de l’acte de poser qui l’espace d’un instant fixe son énergie comme le produit [das Produkt (son produit)] et qui, pour l’apparence, lui concède le rôle – mais seulement pour un instant – d’un être effectivement réel tenant de lui-même. Quand l’homme effectivement réel, en chair et en os, qui se tient sur la terre ferme et bien ronde, expire et inspire toutes les forces de la nature, pose, par son externalisation, les forces objectives constitutives de son être comme des objets étrangers, alors ce n’est pas l’acte de poser [das Setzen] qui est sujet ; c’est la subjectivité de forces constitutives de l’être objectives, dont l’action est par suite nécessairement [sein muß] aussi objective. L’être objectif agit [wirkt] objectivement, et il n’agirait pas objectivement si l’objectif [das Gegenständliche] n’appartenait pas à la détermination de son être. Il ne crée [schafft], ne pose des objets que parce qu’il est posé par des objets, par qu’il est originairement [von Haus aus (de fond en comble)] nature. Dans l’acte du poser, il ne tombe hors et à partir de sa “pure activité” dans la création de l’objet, mais son produit objectif ne fait que confirmer son activité objective, son activité en tant que l’activité d’un être naturel objectif. Nous voyons ici comment le naturalisme, ou humanisme, accompli se distingue aussi bien de l’idéalisme que du matérialisme et qu’il est en même temps leur vérité qui les réunit tous deux. Nous voyons en même temps comment seul le naturalisme est capable de comprendre l’acte de l’histoire du monde.72 ––––––––––––– 72 ÖPM, pp. 576-577 / ÉP, pp. 128-130. 20 60) Critique marxienne de « la critique allemande moderne » : L’absence de conscience [Bewußtlosigkeit (« l’inconscience », si l’on veut, mais en clair : l’absence de réflexion)] – quant à la façon dont la critique moderne se rapporte [über das Verhältnis der modernen Kritik] à la philosophie hégélienne et, nommément, à la dialectique – était si grande que des critiques comme Strauss73 et Bruno Bauer […] sont, eu égard à leur potentiel du moins [wenigstens der Potenz nach], encore complètement pris dans la logique hégélienne. […] l’idéalisme trépassant [verscheidend] sous la forme de la critique ([celle] du jeunehégélianisme) [unter der Form der Kritik […] (des Junghegeltums)], il [Bruno Bauer en l’occurrence] n’a pas même exprimé serait-ce qu’une fois le pressentiment [die Ahnung] qu’il faudrait maintenant que l’on s’explique de façon critique avec sa mère, la dialectique hégélienne, n’ayant même pas su indiquer quoi que ce soit quant à son rapport critique à la dialectique de feuerbachienne [ja selbst über sein kritisches Verhältnis zur Feuerbachischen Dialektik [nichts] anzugeben gewußt. Un comportement [Verhalten] complètement non-critique envers soimême.74 61) Feuerbach selon Marx (1) : […] Feuerbach – aussi bien dans ses “Thèses” dans les Anecdotis que de façon suivie dans la “Philosophie de l’avenir”75 [–] a abattu [umgeworfen (renversé)] la vieille [die alte (« l’ancienne », si l’on veut76)] dialectique et [la vieille] philosophie jusqu’à la racine [dem Keim nach (“à partir du germe”)] […]. Feuerbach est le seul à avoir un rapport sérieux, un [rapport] critique, à la dialectique hégélienne et à avoir fait de véritables découvertes dans ce domaine, à être somme toute celui qui a vraiment surmonté la vieille philosophie [der wahre Überwinder der alten Philosophie]. La grandeur de la performance et la simplicité sans tapage avec laquelle [il] l’offre au monde se dressent dans une étonnante opposition au rapport inverse [stehn in einem wunderlichen Gegensatz zu dem umgekehrten (je souligne) Verhältnis77]. Ce que Feuerbach a fait de grand [Feuerbachs grosse Tat] est : 1. d’avoir démontré [der Beweis] que la philosophie n’est rien d’autre que la religion [im]portée dans des pensées [in Gedanken gebracht] et accomplie en [dans la] pensée [denkend ––––––––––––– 73 « David Friedrich Strauß, né à Ludwigsbourg, près de Stuttgart le 27 janvier 1808 et mort à Ludwigsburg le 8 février 1874, est un historien et théologien allemand. Son premier ouvrage est La Vie de Jésus (Das Leben Jesu), paru en 1835 et traduit en français par Émile Littré entre 1839 (tome 1) et 1853 (tome 2). Ce livre a scandalisé son époque en montrant un Jésus historique et non divin et par sa vision des évangiles comme récit inconscient des premières communautés chrétiennes. Après la publication de cet ouvrage, David Strauss fut révoqué et vécut désormais comme professeur de lycée et homme de lettres dans sa ville natale » (wikipedia). Voir la note n° 225 de Fischbach, pp. 219-220 de sa traduction des Manuscrits de 1844 – Karl Marx, Manuscrits économico-philosophiques de 1844, Traduit présentés et annotés par Frank Fischbach, Paris : Vrin (Textes & commentaires), 2007. – 74 ÖPM, pp. 568 et 569 / ÉP, pp. 119 et 120. 75 Marx renvoie là aux Anecdota Philosophica, Zürich, Wintherhur : Fröbel, 1843, ouvrage collectif qui, de Feuerbach, contenait ses Vorläufige Thesen zur Reform der Philosophie (Thèses provisoires pour la Réforme de la Philosophie) et ses Grundsätze der Philosophie der Zukunft [ci-après GPZ] (Principes de la Philosophie de l’avenir), ces mêmes Principes ayant été republiés à part la même année chez le même éditeur. 76 Mais en traduisant ainsi, on peut laisser croire que Marx aurait lui-même aspiré – comme, à sa façon, Feuerbach, – à quelque « nouvelle philosophie », ou « philosophie nouvelle », « renouvelée », … « réformée » etc. 77 Soit très précisément ce rapport à la dialectique hégélienne des Jeunes-Hégéliens dont la conséquence serait ce que, dans les alinéas 7 à 9 de la note 2 du chapitre IV de sa thèse de doctorat déjà, Marx qualifie, comme nous le savons, de « verkehrtes Verhältnis » avec le monde ! 21 ausgeführt] ; [soit] une autre forme et [un autre] mode d’exister [Daseinsweise] de l’aliénation de l’être humain ; [qu’elle est] donc également à condamner78 ; 2) d’avoir fondé [die Gründung] le vrai matérialisme et la science réelle [reelle Wissenchaft], Feuerbach faisant du même coup [ebenso] de la relation sociale “de l’homme envers l’homme” le principe fondamental79 de la théorie [zum Grundprinzip der Theorie]80 ; 3) [d’avoir] opposé à la négation de la négation qui prétend à être le positif absolu, le positif qui repose sur lui-même et qui est positivement fondé sur lui-même81. Feuerbach explique la dialectique hégélienne – (et confère par là son fondement au point de départ dans le positif, dans ce qui est certain sur le plan du Sensible [vom Sinnlich-Gewissen]) – de la manière suivante [folgendermaßen] : Hegel part de l’aliénation (sur le plan logique [logisch] : de l’infini, [du] général abstrait [(vom) abstrakt Allgemeinen]) de la substance, de l’abstraction absolue et fixée. –C.-à-d., exprimé de façon populaire, qu’il part de la religion et de la théologie. Deuxièmement : Il surmonte l’infini, pose l’effectivement réel, le sensible, le réel, le fini, le particulier (Philosophie, surmontement [Aufhebung] de la religion et de la théologie. Troisièmement : Il surmonte à nouveau le positif [hebt das Positive (soit, selon Feuerbach : « l’effectivement réel, le sensible, le réel, le fini, le particulier ») wieder auf], repose-reproduit [stellt wieder her] l’abstraction, l’infini. Reposition-reproduction [Wiederherstellung] de la religion et de la théologie.82 ––––––––––––– Où Marx paraît faire allusion, entre autres, GPZ / “Principes de la Philosophie de l’avenir (1843)”, in : Manifestes philosophiques. Textes choisis (1839-1945), Traduit de l’allemand par Louis Althusser, Paris : Presses universitaires de France (Épiméthée), 2001 (11960) [ci-après PPA], § 5 : 78 L’essence de la philosophie spéculative n’est rien d’autres que l’essence de Dieu rationalisée, réalisée, actualisée [vergegenwärtigt]. La philosophie spéculative est la vraie théologie, la théologie conséquente, la théologie rationnelle. 79 Et non pas, à mon avis du moins, « un [je souligne] principe fondamental », comme le propose Fischbach à la p. 158 de sa traduction des Manuscrits. Sur ce point, voir la première citation de Feuerbach ci-dessous. 80 Allusion de Marx à, entre autres, GPZ / PPA, § 41 : Ce sont deux hommes qui participent à l’engendrement [gehören zur Erzeugung] de l’homme – de l’homme spirituel aussi bien que de l’homme physique : la communauté [Gemeinschaft] de l’homme avec l’homme est le premier principe et le critère de la vérité [cf. ibid. § 58 (avant le § 38 cité ci-dessous) : « La vérité n’existe pas dans la pensée, dans le savoir pour lui-même. La vérité n’est que la totalité de la vie et de l’être de l’homme [die Totalität des menschlichen Lebens und Wesens]. »] et du commun en général [der Allgemeinheit (« de l’universalité », si l’on veut)]. Même la certitude [Gewissheit] de l’existence d’autres choses hors de moi est pour moi médiatisée par l’existence d’un autre homme hors de moi. Ce que je suis seul à voir, j’en doute, ce que l’autre voit aussi, cela seul est certain. Et ibid. § 59 : L’homme singulier [Der einzelne Mensch (autrement dit : l’individu)] qui est pour soi n’a l’essence de l’homme ni en soi en tant qu’être moral, ni en soi en tant qu’être pensant. L’essence de l’homme n’est contenue que dans la communauté, dans l’unité de l’homme avec l’homme – mais une unité qui ne se base [stürzt] que sur la réalité de la différence de Je et Tu [auf die Realität des Unterschiedes von Ich und Du]. 81 Allusion de Marx à, entre autres, GPZ / PPA, § 38 : Seul est vrai et divin ce qui n’a besoin d’aucune preuve, ce qui est immédiatement est certain [gewiss] de par soi-même, parle et adopte [einnimmt] immédiatement pour soi, immédiatement l’affirmation [:] qu’il est, tend vers soi [nach sich zieht] – ce qui est simplement décidé, indubitable, clair comme le jour. Mais n’est clair comme le jour que le sensible [das Sinnliche] ; ce n’est que là où il commence à y avoir de la sensibilité [wo die Sinnlichkeit anfängt] que cesse toute espèce de doute et de débat [hört aller Zweifel und Streit auf]. Le secret du savoir immédiat est la sensibilité. Tout est médiatisé, dit la philosophie de Hegel. Or, une chose [etwas] n’est vraie que si elle n’est plus du médiatisé, mais de l’immédiat. C’est pourquoi des époques historiques ne naissent [entstehen] que là où ce qui antérieurement n’était que quelque chose de pensé, de médiatisé, devient objet de certitude immédiate, sensible – donc vérité, cela qui antérieurement n’était que pensée. La scolastique est ce qui a à faire la médiation entre [Vermittlung zu] une nécessité divine et une propriété essentielle de la vérité. La nécessité n’est qu’une nécessité conditionnée; elle n’est nécessaire que là où une fausse présupposition est encore à la base, où une vérité, une doctrine, entre en contradiction avec une doctrine qui passe encore pour vraie, qui est encore respectée. La vérité qui se médiatise est la vérité encore captive de son contraire [mit ihrem Gegensatz behaftet]. On commence par le contraire; mais à partir de là, on le supprime. Mais s’il est quelque chose à supprimer, à nier, pourquoi dois-je commencer par lui, pourquoi pas tout suite par sa négation ? Un exemple. Dieu, en tant que Dieu, est un être abstrait ; il se particularise, se réalise en devant monde, homme ; c’est ainsi qu’il est concret, ainsi seulement que l’être abstrait est nié. Mais pourquoi ne dois-je alors pas tout suite commencer par le concret ? Pourquoi donc ce qui est certain et assuré de par soi-même ne doit-il pas être plus haut que ce qui est certain par la nullité de son contraire ? Qui peut alors élever la médiation au rang de nécessité, de loi de la vérité ? 82 ÖPM, pp. 569-570 / ÉP, pp. 120-121. 22 62) Feuerbach selon Marx (2) : la façon dont, selon Marx, Feuerbach “s’y prend” avec la dialectique hégélienne (suite du passage dont la première partie fait l’objet de la citation 61) : Feuerbach ne saisit donc la négation de la négation que comme la contradiction de la philosophie avec elle-même, comme la philosophie qui affirme [bejaht] la théologie (transcendance etc.) après avoir nié celle-ci, et donc l’affirme en opposition avec elle-même. La position ou [auto-]affirmation et [auto-]confirmation de soi [Selbstbejahung und Selbstbestätigung], qui [chez Hegel tel que lu par Feuerbach] fait son lit de [liegt in] la négation de la négation, en vient à être saisie [par Hegel tel que lu par Feuerbach, soit d’une certaine façon par Feuerbach lui-même] comme une position qui n’est pas encore sûre d’elle-même et donc captive de son opposé, doutant en soi d’elle-même [an sich selbst zweifelnd] et ayant donc besoin de la preuve [des Beweises (de ce qui pourrait la prouver, cette position, « d’une preuve », si l’on veut)], ne se prouvant alors pas elle-même par son existence, et [en vient] donc à ce que lui soit directement et immédiatement opposée [entgegengestellt (par Feuerbach)83] la position certaine sur le plan sensible [sinnlich gewiss], fondée sur elle-même.84 Marx ajoutant alors, en note de bas de page, cette précision concernant le rapport de Feuerbach à Hegel : Feuerbach saisit encore la négation de la négation, le concept concret, comme la pensée qui se surpasse dans la pensée [das sich im Denken überbietende] et veut être immédiatement, en tant que pensée, intuition [Anschauung (au sens kantien de la représentation sensible immédiate de quelque chose)], nature, réalité effective85.86 ––––––––––––– 83 Où Marx reprend le point 3) de la citation 61. ÖPM, p. 570 / ÉP, p. 121. 85 Où Marx fait allusion à ce que Feuerbach développe aux §§ 29-30 de ses Principes. 86 ÖPM, p. 570 / Pas traduit dans ÉP (mais intégré au corps du texte par Fischbach) ! 84 III) SUPPLÉMENTS DE TOUTES SORTES (À SUIVRE…)87 xi) La dialectique hégélienne et rôle de l’Aufhebung Formule générale : – [thèse (position) = A antithèse (position de la négation) = non-A] [contradiction : 1) thèse (positif) versus 2) antithèse (négatif) versus thèse (positif)] [contradiction : 1) thèse (positif) versus 2) antithèse (négatif) & antithèse (négatif) versus thèse (positif)] 2’) auto-négation de l’antithèse, du négatif, et re-position de la thèse, du positif, etc. (“mauvais” infini) : thèse-antithèse-thèseantithèse, etc.… à l’infini (cf. les antomies cosmologiques de la métaphysique traditionnelle selon Kant) ; ou alors 2’’) Aufhebung [3) synthèse (“bon” infini, chacun des termes de la contradiction n’étant plus affecté de l’extérieur par son contraire) : thèse & antithèse = A & non-A] = B… non-B (etc.) . Exemples (en résumé) : – [être néant] [contradiction : être versus néant & néant versus être (Platon versus Gorgias… après Parménide, etc.)] auto-négation du néant & re-position de l’être ou Aufhebung être & néant = devenir (être & ne pas être qua n’être plus sive n’être pas encore, mais pour cela… être !) – [Dieu nature (« autoposition de soi [Sichselbstsetzen] ») de Dieu comme nature (dans l’espacetemps !)] = autoposition de soi de la nature versus Dieu qua pensée consciente de soi [contradiction : Dieu versus nature & nature versus Dieu] ou Aufhebung auto-négation de la nature (vie mort) Dieu & nature = esprit (homme), – [vie qua « processus générique [Gattungsprozess] » qua « le général [das Allgemeine] »] être vivant qua individu (vivant) [contradiction : le général versus l’individu & l’individu versus le général (cf. Aristote, Schelling, Schopenhauer (Baudelaire) et Nietzsche, Stirner etc.)] autonégation de l’individu (mort) ou Aufhebung : l’individu & le général = l’homme (conscience, entendement, raison, esprit… etc.). xii) Extrait d’un ancien cours (abrégé) sur Hegel, légèrement retouché L’ACCOMPLISSEMENT HÉGÉLIEN DU PLATONISME “MODERNE” La pensée de Hegel se présente elle-même comme la tentative de surmonter la limite que Kant avait fixée au sujet comme pensée consciente de soi (cogito) quant à son pouvoir de s’assurer en toute certitude – fondée sur la certitude, inauguralement établie par Descartes, que ladite pensée a de son propre être à elle, – de cet être des choses que ce même Kant établissait alors expressément comme consistant dans l’objectivité de l’objet posé comme tel, en son objectivité même, par et pour ce sujet qu’il instituait du coup comme le fondement même de ce qui est ou de l’étant en son être. Selon Kant, en effet, le sujet – dans la mesure où, tout humain qu’il est, et fini au sens de « limité [begrenzt] », il n’a accès aux choses que par le truchement de sa « sensibilité [Sinnlichkeit en ce sens-là] », – ne saurait conférer l’objectivité, et donc l’être en ce sens, qu’aux choses telles qu’elles lui apparaissent au travers de celle-ci, soit aux « choses dans l’apparence », autrement dit aux « phénomènes », et non aux choses telles qu’elles sont en elles-mêmes, aux « choses en soi », aux « noumènes ». Ainsi Hegel fut-il amené – pourquoi ? en “raison” de quelle nécessité ? et d’ailleurs pas seul (ne pas oublier Fichte et Schelling, voire Hölderlin (1770-1843), qui aura été (fin des années 1780 – début des années 1790) le camarade de Hegel et Schelling au Stift de Tübingen, et aura, peut-être, et peut-être même des plus décisivement, contribué avec à la rédaction de Das älteste Systemprogramm des deutschen Idealismus – titre donné à ce feuillet recto/verso rédigé par Hegel (vraisemblablement vers la fin des années 1790), par Franz Rosezweig en 1914, et publié par lui en 1917)… c’est là l’un des ––––––––––––– 87 Comme le Répertoire de citations ci-dessus, ces Suppléments pourront être augmentés au fil des séances ! ii éléments saillants de notre question ! – à établir, au contraire, l’absoluité d’un sujet qu’il conçut alors comme la pensée qui, dans ce mouvement de se penser elle-même qui la caractérise en tant que pensée consciente de soi, produit du même coup, comme autant de déterminations siennes, i. e. comme autant de modes de la pensée (modi cogitandi, dirait Descartes), et, par suite, comme autant de catégories à proprement parler88, la totalité des déterminations de la chose telle qu’elle est en et par elle-même, soit la totalité des modes d’être (modi essendi) de la chose en soi. Puis à déployer explicitement cette totalité comme telle en une philosophie qui devait alors se présenter comme un système comportant, en l’occurrence – par-delà son point de départ et son assise « phénoménologique », dans cette Phénoménologie de l’Esprit qui établit l’absoluité du sujet et de la pensée à partir de « l’expérience » que la conscience humaine a et fait des choses telles qu’elles se découvrent progressivement à elle à partir d’elles-mêmes, – les trois grandes parties suivantes : 1°) Une philosophie de la logique, que Hegel définit lui-même comme « la science [je souligne] de l’idée pure, soit de l’idée dans l’élément abstrait de la pensée »89 – où l’idée doit être comprise au sens premier (pour la philosophie du moins) de l’εἶδος et ἰδέα platoniciens, et alors comme la chose ellemême en tant qu’elle manifeste, donne à « voir » (εἰδέναι, ἰδεῖν), à la pensée, ce qu’elle est en et par elle-même, i. e. son essence, cette essence qui lui confère son être ; – avec ceci toutefois que, ne pouvant subsister hors de la pensée du sujet, qui en est au contraire l’élément, cette idée est le concept, soit la détermination une et universelle de la chose en ce qu’elle est en tant que produit de la pensée consciente de soi du sujet (de son « activité mentale pure », dirait Descartes définissant ce qu’il appelle « l’intuition ») ; mais alors le concept en tant qu’il se sait être lui-même la chose elle-même telle qu’en son être même. Philosophie de la logique qui, comme telle, se trouve avoir pour tâche de décrire le processus, progressif, au travers duquel la pensée produit, une à une, dans l’immanence de l’élément qu’elle constitue pour elles, toutes les déterminations de la chose elle-même ou de l’étant en son être même, tout en se reconnaissant elle-même en celles-ci, en y reconnaissant ses propres déterminations à elle, et qui finit ainsi par contenir « la pensée en tant que cette pensée est tout aussi bien la chose en soi-même ou la chose en soi-même en tant que celle-ci est tout aussi bien la pensée pure », soit, plus précisément, « le développement de […] la conscience de soi que l’étant en et pour soi est le concept su et que le concept comme tel est l’étant en et pour soi »90 ; développement au terme duquel la pensée est alors, au titre de ce que Hegel appelle « l’idée absolue », le savoir de soi dudit processus, ou plutôt ce processus lui-même une fois parvenu au savoir de soi, et c’est dire : la méthode ; méthode dont on soulignera encore que, comme telle, elle n’est rien d’autre que le mouvement et le principe mêmes, l’« âme »91, du processus de l’autoproduction de la pensée produisant par là-même la totalité de l’étant en son être ; telle étant au demeurant toute la dialectique, spéculative, de Hegel92. À propos de laquelle il vaut la peine de prendre bonne note du commentaire de Heidegger : La dialectique spéculative, Hegel l’appelle aussi tout simplement « la méthode ». Par ce terme, il ne désigne ni un instrument de la représentation, ni une façon particulière d’avancer en philosophie. « La méthode » est le mouvement le plus intime de la subjectivité, « l’âme de l’être », le processus de production par lequel le tissu de la réalité effective de l’absolu dans son tout est ouvré. « La méthode » : « l’âme de l’être » – nous voilà en pleine fantasmagorie. On ––––––––––––– Au sens originel grec, aristotélicien en l’occurrence, des divers modes de la manifestation “logique” – à la faveur et au sein même du langage, et de l’énoncé prédicatif ou proposition (logos) en particulier, – de l’étant en son être même. 89 Enzyklopädie der philosophischen Wissenschaften im Grundrisse (1830), [cit. E], § 19. NB : cela à la différence de la pensée comme élément concret de l’idée, c.-à-d. comme esprit. 90 Wissenschaft der Logik (1812), in : G. W. F. HEGEL, Werke in zwanzig Bänden, Frankfurt a. M. : Suhrkamp [cit. WzB], Bd. 5, 1969, p. 43. 91 Voir, entre autres, Encyclopédie […], § 243 : « […] la méthode […] est l’âme du contenu » – où Hegel se conforme évidemment à la caractérisation aristotélicienne de l’âme comme principe de ce mouvement de passer de par soi-même (kath’hauto) du non-être à l’être, de ce mouvement d’autoproduction donc, qu’est la vie. 92 Telle qu’elle est conçue par Hegel, la dialectique est en effet le processus de l’autoproduction de la pensée en ses propres déterminations à elle en tant qu’il est du coup le cheminement de cette pensée au travers (dia-) des déterminations de l’étant en son être (logoi) que sont tout aussi bien ces déterminations siennes, et en tant que chacune de ces déterminations de la pensée en même temps que de l’étant lui-même est tout aussi bien la négation d’une autre. Et cette dialectique est spéculative au sens où, dans tout ce processus, la pensée se découvre progressivement elle-même dans les déterminations de l’étant qu’elle produit ainsi comme son propre miroir (speculum) en produisant ses propres déterminations à elle. 88 iii s’imagine que notre temps a dépassé de tels égarements de la spéculation. Mais nous vivons au beau milieu de cette prétendue fantasmagorie.93 Non sans bien préciser : 1) la méthode (selon Hegel, s’entend !) n’est pas un instrument, un outil, dont la pensée se servirait dans sa démarche en quête de la connaissance, du savoir, de la science et… de la vérité ; elle est le chemin et le cheminement que constitue le déploiement même de la pensée dans la production de ses propres déterminations comme autant de déterminations de l’étant en tant que tel ; et comme telle, elle est « l’âme de l’être », et c’est dire, conformément à la définition grecque de l’âme (psuchè) comme principe de la vie, le principe de ce processus de la production de l’être comme vie. 2) la méthode est dialectique en un sens qui rassemble les deux sens traditionnels du mot, à savoir : a) le sens platonicien : la dialectique est le parcours de la pensée à travers (dia-) le logos en tant qu’il manifeste l’étant en son être, soit l’idée, et alors au travers (dia-) des idées dans toute l’extension de leurs rapports “rationnels” (logoï), où la dialectique s’identifie finalement avec la sagesse à laquelle tend la philosophie. b) le sens aristotélicien (qu’on retrouve dans la “dialectique transcendantale” de la Critique de la raison pure de Kant) : la dialectique est le parcours de la pensée au travers (dia-) des énoncés (logoi) opposés, voire contradictoires, que l’opinion est amenée à soutenir sur tout ce qui pas de l’ordre de la nécessité, et qu’il s’agit de confronter, dans une perspective critique, afin d’en révéler les limites respectives. c) telle que la conçoit Hegel, la méthode est précisément dialectique en ceci que 1) le processus, nécessaire, lui, de l’autoproduction de la pensée en ses propres déterminations à elle est précisément cheminement de cette pensée au travers des déterminations de l’étant en son être que sont tout aussi bien ses propres déterminations à elle, et 2) ce processus est tel que chaque détermination de la pensée est tout aussi bien la négation d’une autre, de telle sorte qu’elles sont toutes deux également limitées l’une par rapport à l’autre, mais finalement « surmontée [aufgehoben] » (voir suppl. xi). 3) cette dialectique, enfin, est spéculative au sens où, dans tout ce processus, la pensée se découvre progressivement elle-même dans les déterminations de l’étant qu’elle produit ainsi comme son propre miroir (speculum), en produisant ses propres déterminations à elle. 2°) Une philosophie de la nature, qui décrit cette nature et la totalité de ses déterminations comme le résultat du processus progressif de l’« autoposition de soi » (Sichselbstsetzen) de la pensée du sujet comme idée dans l’autre auquel elle donne lieu dès lors que, se pensant elle-même, elle se déploie en ses propres déterminations à elle, et qu’elle pose en son être, comme être-autre, en se posant ellemême en lui – où “position” (Setzung, par quoi Kant a traduit le grec θήσις = positio) a le sens originel, grec, de l’établissement de quelque chose en son être, et, conformément à l’interprétation kantienne de cet être lui-même comme objectivité, celui de son objectivation. – 3°) Une philosophie de l’esprit, enfin, qui décrit le processus au travers duquel la pensée du sujet comme idée se ressaisit elle-même dans cet autre objectif qu’est alors pour elle la nature, s’y reconnaît elle-même comme cela même qui l’a produit en s’y posant soi-même, y devient ainsi « pour soi » (für sich) ce qu’elle y était déjà « en soi » (an sich) et s’y retrouve finalement elle-même « chez soi auprès de soi » (bei sich) ; cela, en l’occurrence, en tant que cet « esprit » (Geist) qui, comme âme, entendement, conscience et raison de l’homme, et en un processus qui fait l’essence même de l’histoire, conquiert progressivement sa liberté par rapport à la nature, puis se produit, se pose dans cette même nature en produisant progressivement tout un « monde » objectif dans lequel il finit par se reconnaître lui-même comme ce qui l’a produit. Au terme de quoi la pensée, se sachant alors en toute certitude être elle-même toute la réalité objective telle qu’en son être même – savoir certain de soi de la pensée comme totalité de l’étant en son être qu’expose justement la philosophie systématique de Hegel, – trouve du coup à s’accomplir comme cette science de l’étant en son être même à laquelle, depuis Platon, toute la tradition a vu la philosophie ne pouvoir faire autre chose qu’aspirer, tendre, sur le mode de cet « amour » (φιλία) entendu comme « désir » (ἐπιθυμία) que le français du XVIIe siècle ––––––––––––– 93 Martin HEIDEGGER, “Hegel et les Grecs”, in : Questions II, Paris : Gallimard, p. 51. iv appelait encore « l’étude » ; ce que Hegel, dans la Préface à sa Phénoménologie de l’esprit, annonçait d’ailleurs lui-même, programmatiquement, en ces termes : Contribuer à ce que la philosophie se rapproche de la forme de la science – dans le but qu’elle puisse déposer son nom d’amour pour le savoir et être savoir effectif , – c’est là ce que je me suis proposé.94 Cela de telle sorte que serait alors enfin accomplie la tâche de la philosophie qu’Aristote avait formulée en ces termes (cit. 19) : Ce qui et jadis, et maintenant, et toujours, est recherché, et toujours sans issue [aporétique], qu’est l’étant [sous-entendu : qu’est(-)ce qui est proprement étant… (en tant que proprement étant)] ? cela c’est : qu’est l’οὐσία [l’être, le séjour (à demeure) dans l’être] ? LA « RESCENDANCE » DU PLATONISME DANS LES PHILOSOPHIES POST-HÉGÉLIENNES Si le propos de ce cours était d’introduire à la pensée contemporaine, l’on pourrait considérer que c’est chose faite avec la présentation de la position philosophique fondamentale de Hegel selon laquelle l’étant à proprement parler n’est rien d’autre que le sujet absolu dans le processus de son autoproduction comme la totalité consciente de soi de cet étant tel qu’en son être même. Car comme le dit Martin Heidegger dans un recueil de notes des années 1936 à 1946 sur la question de la métaphysique95 : En dépit des banalités que l’on débite sur l’effondrement de la philosophie hégélienne, le fait subsiste qu’au XIXe siècle cette philosophie a été la seule à déterminer la réalité, non pas sans doute sous la forme extérieure d’une doctrine acceptée et suivie, mais comme métaphysique, comme domination de l’étantité au sens de la certitude. Les mouvements de riposte à cette métaphysique font partie d’elle-même. Depuis la mort de Hegel (1831), les mouvements de riposte occupent toute la scène, non seulement en Allemagne, mais aussi en Europe. Avec ceci que, pour Heidegger, ces mouvements de riposte à la philosophie hégélienne ont, dans leur ensemble, le caractère de ce qu’il lui est arrivé d’appeler la « rescendance » (hapax ?) ; terme construit sur le mot “transcendance” pour désigner le mouvement de la pensée qui, contrairement à la métaphysique – laquelle part de l’étant tel qu’il se présente de lui-même à partir de lui-même, soit par nature, pour remonter, au-delà de cet étant lui-même, à ce qui fait le fondement de son être même, – présuppose à l’inverse ce qui a été conquis par cette métaphysique pour alors le plonger dans l’étant, en le considérant comme une détermination immanente de cet étant lui-même. C’est là ce qui pourrait être repéré, entre autres, dans ces trois pensées qui vont orienter de façon déterminante le plus grand pan de la pensée du XXe siècle, savoir : les pensées de a) Søren Kierkegaard (1813-1855), b) Karl Marx (1818-1883) et c) Friedrich Nietzsche (1844-1900), lesquelles établissent respectivement les bases a’) des pensées de l’existence (dans une certaine mesure la pensée de Heidegger, puis les existentialismes – dont celui de Sartre, – ou encore la pensée de l’absurde de Camus), b’) des marxismes et néo-marxismes (dont celui de l’École de Francfort) et c’) de toutes sortes pensées contemporaines, telles celles de Foucault, Deleuze, Derrida et Vattimo, sans parler de Freud. Voilà en tout cas, présenté grosso modo et dans ses lignes directrices seulement, l’essentiel du corpus auquel, aujourd’hui encore, devrait se confronter quiconque prétendrait sinon philosopher – philosopher n’est jamais qu’un mode de penser parmi d’autres (encore que cela même, il faudrait déjà pouvoir le montrer !), – du moins se prononcer sérieusement sur la philosophie (et donc, ainsi, sur ce mode-là, continuer « quand même », « malgré tout », comme dirait notre C. F. Ramuz, à… philosopher !). C’est en tout cas ce qu’ont fait ceux qui ont prétendu se libérer de la philosophie ––––––––––––– 94 95 Phänomenologie des Geistes, WzB, Bd. 3, 1970, p. 14. “Dépassement [Überwindung] de la métaphysique”, in : Essais et conférences, Paris : Gallimard, 1958, § VI. v traditionnelle (de la métaphysique traditionnelle), voire de la philosophie en somme. – Ainsi, entre autres exemples, Kierkegaard : la philosophie comme prétention abusive à une synthèse du réel et de l’idéel qui serait impossible en dehors de la foi en Jésus-Christ ; Marx : « la philosophie comme idéologie » collaborant à l’aliénation de l’homme par l’homme ; et Nietzsche : le philosophe comme « le plus grand criminel » contre la vie. Nous héritons, nous, aujourd’hui, en ce début du XXIe siècle, des pensées articulées durant les XIXe et XXe siècles, la question de savoir si et, le cas échéant, dans quelle mesure, et alors comment… et d’ailleurs pourquoi, somme toute, il faudrait, à supposer que cela soit somme toute possible, nous libérer, soit libérer notre pensée, et par suite nos actions comme notre langage lui-même, de la philosophie traditionnelle, sinon de la philosophie en somme. Tâchons donc d’être à la hauteur de cette question… et donc déjà de la pensée de ceux-là mêmes qui l’ont posée : à savoir, au-delà des Kierkegaard, Marx et Nietzsche déjà mentionnés : Freud, Wittgenstein, Husserl, Heidegger, Sartre, Merleau-Ponty, Camus, Lévinas, Foucault, Deleuze, Derrida et d’autres encore, à commencer par le positivisme des sciences (Auguste Comte, Ernst Mach, etc.) et le positivisme logique (Bertrand Russel et al.) ! Mais sans perdre de vue la question de ce qui a pu prendre l’être humain d’adopter cette tournure-là de la pensée : celle de la philosophie ! Et donc l’histoire de celle-ci… dûment méditée sous l’égide de cette question ! xiii) Karl MARX, Différence de la philosophie démocritéenne et épicurienne de la nature, première partie, chapitre IV (perdu), note 2 (extraits)96 [1 …] s’agissant de Hegel, c’est par simple ignorance que ses élèves expliquent telle ou telle détermination de son système par l’accommodation ou une chose de ce genre, d’un mot : moralement. Ils oublient qu’en un temps qui vient à peine de passer, ils étaient, comme on peut le leur démontrer de manière évidente à partir de leurs propres écrits, suspendus avec enthousiasme à tout ce qu’il a d’unilatéral. [2] Étaient-ils vraiment à tel point contaminés par la science reçue toute prête qu’ils s’y sont adonnés avec une confiance naïve et non critique : quel manque de conscience que de reprocher au maître de cacher une intention [Absicht] secrète derrière son intelligence des choses [Einsicht 97], pour qui la science n’était nullement reçue, mais en devenir, et faisait affluer le sang de son esprit le plus intime du cœur jusqu’aux confins de la périphérie. C’est bien plus sur eux-mêmes qu’ils jettent ainsi le soupçon, comme pour dire qu’ils n’ont pas pris cela au sérieux avant, et c’est leur propre état d’avant qu’ils combattent de telle sorte qu’ils l’imputent à Hegel, mais oublient ce faisant qu’il se tenait, lui, dans un rapport immédiat substantiel, eux dans un rapport de réflexion à son système. [3] Il est concevable qu’un philosophe soit amené à telle ou telle inconséquence apparente à la suite de tel ou tel accommodement ; lui-même peut en être conscient. Mais ce qu’il n’a pas dans sa conscience, c’est que la possibilité de ces apparents accommodements ait sa racine la plus profonde [innerste Wurzel] dans une insuffisance ou une conception [Fassung] insuffisante de son principe même [seines Prinzips selber 98]. Donc, un philosophe se serait-il effectivement accommodé : ce que ses élèves ont alors à expliquer, et cela à partir de sa conscience essentielle intérieure [aus seinem innern wesentlichen Bewußtsein], c’est ce qui, pour lui-même, avait la forme d’une conscience exotérique. C’est de cette manière que ce qui paraît être un progrès de la conscience morale [des Gewissens] est en même temps un progrès du savoir [des Wissens]. Ce n’est plus la conscience morale ––––––––––––– 96 Differenz der demokritischen und epikureischen Naturphilosophie nebst einem Anhange, in : Karl Marx, Friedrich Engels, Werke, Berlin Dietz Verlag [cité MEW] Ergänzungsband 1, 1981, pp. 326|327-330|331 / Différence de la philosophie naturelle chez Démocrite et chez Épicure, avec un appendice, 1841, in : Karl Marx, Œuvres, Paris : Gallimard (Bibliothèque de la Pléiade), III (Philosophie) [cité Œ III], 1982, pp. 83-87 (traduction entièrement revue !). 97 Jeux de mots intraduisible. 98 Où il est grammaticalement possible qu’il s’agisse du principe de la conscience du philosophe – i. e. de l’« êtreessentiel » de celle-ci vs. la « conscience apparente » ou « conscience phénoménologique » du philosophe, – mais il est plus que probable que ce que Marx vise là soit le « principe même » de la philosophie dudit philosophe, sous-entendu : de la philosophie de Hegel lui-même. vi particulière du philosophe qu’on suspecte, mais c’est la forme essentielle de sa conscience qu’on construit, élève à une figure et une signification déterminées, et c’est dans le même temps ainsi qu’on s’en sort en passant par-dessus [und (es wird) damit zugleich darüber hinausgegangen]. [4] Pour le reste, je considère ce revirement non philosophique d’une grande partie de l’école hégélienne comme un phénomène qui accompagnera toujours le passage de la discipline à la liberté. [5] C’est une loi psychologique que l’esprit théorique devenu en soi libre [der in sich frei gewordene Geist], devienne énergie pratique [zur praktischen Energie wird], que s’extrayant en tant que volonté du royaume des ombres de l’Amenti, il se tourne contre l’effectivité du monde qui se trouve là sans lui [sich gegen die weltliche, ohne ihn vorhandene Wirklichkeit kehrt]. […] Seulement, la praxis de la philosophie est elle-même théorique. C’est la critique, qui mesure l’existence singulière à l’aune de l’essence, l’effectivité particulière à l’aune de l’idée. Seulement, cette réalisation immédiate de la philosophie est, de par son être-essentiel le plus intérieur, affectée de contradictions, et cet êtreessentiel sien prend forme dans l’apparence et lui imprime son sceau. [6] Quand la philosophie sort d’elle pour se tourner, en tant que volonté, contre le monde apparent [sich gegen die erscheinende Welt heraus kehrt], le système est réduit à une totalité abstraite, c.-à-d. qu’il est devenu un côté du monde auquel un autre côté fait face. Son rapport [Verhältnis] au monde est un rapport de réflexion. Spirituellement animé par la tendance [Begeistet mit dem Trieb] à se réaliser effectivement, il entre en conflit contre autre chose [gegen anderes]. L’autosuffisance et la complétude intérieures sont brisées. Ce qui était lumière au-dedans devient une flamme dévorante qui se tourne vers le dehors. En résulte ainsi la conséquence que le devenir-philosophique du monde [das Philosophisch-Werden der Welt] est en même temps un devenir-mondain [Weltlich-Werden] de la philosophie, que sa réalisation effective [celle de la philosophie] est en même temps sa perte [Verlust], que ce qu’elle combat au dehors est son propre manque intérieur, que c’est précisément dans le combat qu’elle tombe elle-même dans les défauts qu’elle combat chez la partie adverse, et qu’elle ne surmonte [aufhebt] ces défauts qu’en tombant dans ceux-ci. Ce qui vient à son encontre et ce qu’elle combat est toujours cela même qu’elle est, seulement avec des facteurs inversés. [7] C’est là l’un des côtés, si nous envisageons la chose de manière purement objective, comme la réalisation immédiate de la philosophie. Seulement, elle [la chose] a aussi, et ce n’en est qu’une autre forme, une forme subjective. C’est le rapport du système philosophique en passe d’être effectivement réalisé à ses supports spirituels, aux consciences de soi singulières à même lesquelles apparaît son progrès. Il résulte du rapport [de la philosophie à ses supports spirituels, aux consciences de soi singulières] – ce qui, même dans la réalisation de la philosophie, se trouve face au monde, – que ces consciences de soi singulières ont toujours une exigence [Forderung] à deux tranchants, dont l’un se tourne contre le monde, l’autre contre la philosophie elle-même. Car ce qui se manifeste [erscheint 99] à même la chose comme un rapport en lui-même inversé [ein in sich selbst verkehrtes Verhältnis] se manifeste en elles comme une double exigence et action [Handlung] se contredisant en elle-même. Leur action de libérer [Freimachung] le monde de la non-philosophie est en même temps leur propre libération [Befreiung] de la philosophie qui, en tant qu’un système déterminé, les a jetées aux fers. Parce qu’elles ne sont elles-mêmes comprises que dans l’acte [Akt] et l’énergie immédiate du développement, et que, d’un point de vue théorique [in theoretischer Hinsicht], elles ne sont donc pas encore sorties [noch nicht hinausgekommen sind] de ce système, elles perçoivent seulement la contradiction avec la sculpturale égalité-à-soi-même [mit der plastischen Sich-selbst-Gleichheit] du système et ne savent pas qu’en se retournant contre celui-ci, elle ne font que réaliser effectivement ses moments singuliers. [8] Finalement, cet être-dédoublé [Gedoppeltheit] de la conscience de soi philosophique se présente [tritt auf 100] comme une double orientation poussant son face-à-face à l’extrême [als eine doppelte, sich auf das extremste gegenüberstehende Richtung], dont la première, que nous pouvons désigner de manière générale comme le parti libéral, retient, comme détermination principale, le concept et le principe de la philosophie, l’autre son non-concept [Nichtbegriff], le moment de la réalité. Cette ––––––––––––– À entendre en effet, ici comme ci-dessous, au sens d’une manifestation extérieure auxdites consciences de soi, i. e. objective. 100 Où « auftreten » a certainement le sens d’« entrer en scène » (sur la scène de l’histoire). 99 vii seconde direction est la philosophie positive. L’action [Die Tat (l’acte)] de la première est la critique, soit précisément le tournement de la philosophie vers le dehors [das Sich-nach-außen-wenden der Philosophie], l’action de la seconde est de chercher à philosopher [der Versuch zu philosophieren], soit le tournement en soi de la philosophie [das In-sich-Wenden-der-Philosophie], parce qu’elle sait le manque comme immanent à la philosophie, tandis que la première le conçoit comme manque du monde qu’il s’agit de rendre philosophique. Chacun de ces partis fait exactement ce que l’autre veut faire et ce qu’il ne veut pas faire lui-même. Mais le premier, dans sa contradiction interne, est en général conscient du principe et de son but. Dans le second, l’inversion [Verkehrtheit], pour ainsi dire la folie [Verrücktheit], se manifeste en tant que telle. Sur le fond, seul le parti libéral, parce qu’il est le parti du concept, conduit à des progrès réels, tandis que la philosophie positive n’est en état de conduire qu’à des exigences et des orientations [Tendenzen] dont la forme contredit la signification. [9] Ce qui donc apparaît [erscheint] en premier lieu comme un rapport inversé et une disjonction hostile de la philosophie d’avec le monde, devient en second lieu une rupture de la conscience de soi philosophique singulière en elle-même, et apparaît finalement comme une séparation extérieure et un être-dédoublé [Gedoppeltheit] de la philosophie, comme deux directions philosophiques opposées. […]101. ––––––––––––– S’agissant desdites « directions », Marx annonce, dans le dixième et dernier alinéa, qu’il entreprendra « à un autre endroit » d’« expliciter complètement le rapport qu’elles ont d’une part entre elles, d’autre part avec la philosophie hégélienne, et les moments historiques singuliers dans lesquels ce développement s’expose ». 101 viii xiv) pour “raccrocher” après une éventuelle absence à la séance du 05.12.2016 ! [Éléments de compréhension de la condamnation de la philosophie par “le Marx” de L’Idéologie allemande (1845/46) et de son appel à une « Aufhebung de la philosophie en tant philosophie » dans l’Introduction à la Critique de la philosophie hégélienne du droit (1843/44) : la conception de la philosophie “du tout jeune Marx”, celui de l’époque de sa thèse de doctorat] Résumé de la “problématique” (d’après ce qui a été évoqué lors des séances précédentes) Dans son Introduction de 1843/44 à ce qu’il projetait alors encore d’une Critique de la philosophie hégélienne du droit, Marx en appelle à une « Aufhebung » de la philosophie qu’il caractérise alors précisément comme « la négation […] de la philosophie en tant que philosophie [je souligne] »102, et cela tout uniment avec la négation-Aufhebung de la religion et la négation-Aufhebung du prolétariat (la « déperdition achevée de l’homme [völliger Verlust des Menschen] »103)… dans la perspective d’une « révolution radicale » n’impliquant à ses yeux rien de moins qu’au premier chef « la négation de la propriété privée », et par ce biais, somme toute, « la dissolution de ce qu’a été l’ordre du monde jusque-là [die Auflösung der bisherigen Weltordnung] ». Or, il paraît évident que dans cette perspective-là, la négation-Aufhebung de la religion ne saurait en aucune façon conserver quoi que ce soit de l’ordre de la religion en tant que religion. Que cette négation-Aufhebung de la religion consiste bel et bien en une suppression pure et simple de la religion comme telle. Idem pour la négationAufhebung du prolétariat ! Il y va de la suppression pure et simple de celui-ci. Idem encore pour la négation la propriété privée. Et idem encore pour… la philosophie ! Ce qui n’est pas sans faire difficulté ! Cela soulève en effet la question de savoir pourquoi et surtout comment, en quel sens, s’agissant de cette suppression pure et simple de la religion, de la philosophie et du prolétariat comme de la propriété privée etc., Marx a pourtant, et sans doute sciemment, recouru au concept d’Aufhebung tel qu’entendu par Hegel – lequel comprend pourtant la conservation de ce que celle-ci supprime via son élévation dans une unité avec son contraire elle supérieure à la contradiction « immédiate » des deux104. – Et cela d’autant plus que dans le même texte, Marx en appelle également, contre ceux qui pensent pouvoir nier la philosophie « en [lui] tournant le dos », à « la réalisation effective de la philosophie »105 ! C’est ainsi que s’agissant, pour le moment, de la seule philosophie, se pose la question de savoir ce que là même où il y a appelé (dans la susdite Introduction), Marx pouvait voir consister au juste 1) la philosophie en tant que telle, 2) sa négation en tant que telle, 3) sa réalisation effective en tant que ce moyennant quoi seulement pourrait s’opérer cette négation, et 4) ce qui en serait cependant conservé. Mais précisément, il se trouve que ni là ni ailleurs, Marx ne répond expressément à ces quatre questions. Cela étant, il est vrai que la réponse qu’il a bien fallu qu’il leur apporte dans son fors intérieur, pourrait être dégagée (“extraite aux forceps”, à vrai dire !) des développements ultérieurs de sa pensée. Mais il m’est avis que ces développements eux-mêmes pourraient gagner en intelligibilité d’être envisagés eu égard à d’éventuels présupposés qui, parce qu’ils auraient conduit Marx à juger que la réalisation effective de la philosophie impliquerait nécessairement la négation de celle-ci en tant que telle, et inversement, pourraient éclairer par l’amont ce que, fin 1843, Marx y voit… “concrètement”. Pour comprendre la thèse marxienne de la nécessité d’une négation-Aufhebung de la philosophie comme « négation […] de la philosophie en tant que philosophie » (à l’instar de l’Aufhebung de la religion, de « l’ordre actuel du monde », de la propriété privée et du prolétariat) dans la perspective ––––––––––––– Voir ZKHR, p. 384 / PCPDH, p. 389 (où l’on trouve : « la philosophie en tant que telle » !). Voir ZKHR, p. 390 / PCPDH, p. 396. 104 Voir citation 48 et supplément xi. 105 Voir citation 45 et 49. 102 103 ix d’une « révolution radicale » au sens où nous pressentons que Marx la conçoit au vu et su du fameux adage : « Être radical, c’est prendre la chose à la racine. Mais la racine, pour l’homme, c’est l’homme lui-même. »106 Disons-le d’entrée de jeu, cette thèse de Marx devrait se révéler être sa réponse à une question qui ne pouvait manquer de se poser à lui au sujet d’une réalisation effective de la philosophie dont les « Jeunes-Hégéliens » – tous plus ou moins tributaires des Prolégomènes à l’historiosophie et autres écrits d’August von Cieszkowski107, – s’étaient mis à débattre vers la fin des années 1830 dans l’idée qu’eu égard à cette histoire de l’esprit dont elle aurait elle-même mis en lumière le principe sous le nom de « dialectique », la philosophie de Hegel pourrait et devrait donc connaître, au-delà du « maître » lui-même, des développements qu’en raison de ses « accommodements [Akkommodationen] »108, comme ils disaient, avec le monde, et spécialement l’État prussien de son temps, celui-ci n’aurait pas su promouvoir… à commencer par la critique de la religion chrétienne (Bruno Bauer et Ludwig Feuerbach) et/ou une philosophie activement engagée dans la construction de l’avenir (Cieszkowski, Arnold Ruge et Moses Hess). Or justement, il se trouve que la question d’un possible développement de la philosophie hégélienne après Hegel fait l’objet de réflexions que Marx développe dans plusieurs morceaux des Cahiers d’étude109 qu’il rédige vers 1840 en vue de sa thèse de doctorat sur la Différence de la philosophie démocritéenne et épicurienne de la nature110. Et que Marx en traite expressément en termes de « réalisation effective de la philosophie » dans la note 2 du chapitre IV – chapitre perdu dont le titre pourrait avoir été Différence générale de principe entre la philosophie de la nature de Démocrite et celle d’Épicure (Allgemeine prinzipielle Differenz zwischen demokritischer und epikureischer Naturphilosophie), – de la première partie de cette thèse (déposée sous forme manuscrite en avril 1841)111. Autant de textes dont je ne puis proposer ici qu’un bref aperçu sous la forme de quelques thèses articulées autour de ladite Note. À la différence des Hégéliens de son temps, Marx, dans cette Note, n’établit pas en quoi devrait à ses yeux consister la réalisation effective de la philosophie après Hegel – et c’est-dire, dans son esprit comme dans le leur : de la philosophie hégélienne elle-même en tant que la philosophie en somme, – mais laisse entendre que ce qu’il en a sous les yeux, soit la façon dont elle serait déjà engagée par lesdits Hégéliens, ne saurait constituer qu’un premier moment seulement de ce processus cependant nécessaire : un moment encore contradictoire qu’il s’agirait de dépasser en en surmontant les contradictions (Widersprüche) d’une manière qui n’exigerait rien de moins que de « (se) sortir » (hinausgehen, hinauskommen), comme Marx le laisse entendre par deux fois (voir les alinéas 3 et 7 de la Note – supplément xiii), de la philosophie hégélienne « d’un point de vue théorique » ! Envisageant donc manifestement – et ce qui suit le confirmera, – ledit processus dans une perspective historico-critique, Marx le conçoit cependant en des termes, une « phraséologie », qu’il reprend de la philosophie hégélienne de l’esprit ; et spécialement de cette « psychologie » où Hegel expose le nécessaire développement d’un « esprit théorique » devenu « libre » « en soi », sous la forme d’un « esprit pratique »112 qui seul pourrait faire accéder l’« esprit subjectif »113 dont ils relèveraient ––––––––––––– 106 Voir citation 45. Prolegomena zur Historiosophie, Hamburg : Meiner, 1981 (11838) / Prolégomènes à l’historiosophie, traduction de l’allemand par Michel Jacob, Paris : Champ Libre, 1973. 108 Voir le 1er alinéa du passage cité dans le supplément xiii. 109 Hefte zur epikureischen, stoischen und skeptischen Philosophie, in : MEW, EB 1 [cité Hefte] / Philosophie épicurienne (Cahiers d’étude), 1839-1840, in : Œ III [cité Cahiers]. 110 Voir Differenz der demokritischen und epikureischen Naturphilosophie nebst einem Anhange, in : MEW, EB 1 [cité Doktordissertation] / Différence de la philosophie naturelle chez Démocrite et chez Épicure, avec un appendice, 1841, in : Œ III [cité Démocrite et Épicure]. 111 Doktordissertation, pp. 326|327-330|331 / Démocrite et Épicure, pp. 83-87. Voir le passage cité comme supplément xiii. 112 Voir plus spécialement les derniers paragraphes (§§ 465-468) de la première partie intitulée (L’esprit théorique), de cette psychologie, dans Enzyklopädie der philosophischen Wissenschaften im Grundrisse (1830), Dritter Teil : Die Philosophie des Geistes. Mit mündlichen Zusätzen [cité Enzyklopädie III], in : WZB, 10, pp. 283-290 / Encyclopédie des sciences philosophiques en abrégé, III. – Philosophie de l’esprit, texte intégral présenté, traduit et annoté par Bernard 107 x tous deux, au « vouloir effectif » d’un esprit alors effectivement libre, mais auquel il resterait encore à déployer sa « liberté effective » sous la forme de « l’esprit objectif », et c’est dire : au sein même d’un monde effectif qu’il rencontrerait tout d’abord comme un monde extérieur lui faisant face – soit dans le monde existant objectivement 1) du « droit » (Recht) moyennant lequel l’esprit, en tant que « personne », donnerait à sa liberté déjà effective, mais encore subjective, l’existence objective de la « propriété » (Eigentum)114, 2) de la « moralité » (Moralität) où l’existence objective de la liberté de la personne dans la propriété serait réfléchie dans l’existence subjective de la liberté d’un sujet sachant et voulant ce qui serait alors proprement son « activité » (Handlung), et 3) de l’« éthicité » (Sittlichkeit) où l’unité de l’existence objective et de l’existence subjective de la liberté trouve[rait] à se réaliser effectivement dans a) la famille, b) la société civile et c) l’État 115. – La philosophie hégélienne serait en effet elle-même cet « esprit théorique devenu en soi libre » (alinéa 5 de la Note) qui, comme tel – et à l’instar, mutatis mutandis, de l’esprit théorique tel que conçu par Hegel, – serait, conformément à une « loi » que Marx qualifie justement de « psychologique », « spirituellement animé par la tendance [begeistet mit dem Trieb] à se réaliser effectivement ». Quant à la philosophie post-hégélienne (celle des Hégéliens, s’entend), elle en serait le nécessaire devenir-pratique en vue de sa réalisation effective dans « l’effectivité du monde » (alinéa 5) –devenir-pratique dont le premier moment se trouverait être ce mode encore théorique de la pratique, et donc ce mode encore « immédiat » de la réalisation effective de la philosophie, que serait la critique. – S’agissant maintenant des contradictions qui seraient inhérentes à ce processus, Marx les voit découler de ce qu’il appelle « ein verkehrtes Verhältnis » avec le monde (alinéas 7 et 9). Par quoi il donne à entendre que la philosophie post-hégélienne s’y prendrait « à l’envers » – quand ce ne serait pas d’une manière « absurde » qui pourrait d’ailleurs confiner à la « folie » (alinéa 8) ! – Cherchant à réaliser effectivement la philosophie hégélienne dans l’effectivité d’un monde que, parce qu’elle le mesurerait « à l’aune de l’idée », elle ne saurait voir que comme un « monde apparent » (erscheinende Welt), elle ne pourrait en effet que « se tourner en tant que volonté contre » (als Wille sich gegen […] kehren) ce monde afin de le « rendre philosophique » (alinéas 5-6). Maintenant, reste à voir en quoi cette « disjonction hostile [feindliche Diremtion] de la philosophie avec le monde » pourrait bien constituer une « contradiction ». Or cela, la Note le laisse certes pressentir. Mais ce n’est que dans les Cahiers d’étude que nous pouvons en trouver l’explication. Deux passages de ces Cahiers sont particulièrement éclairants sur ce point : un substantiel morceau du deuxième cahier où Marx esquisse à grands traits l’histoire de la philosophie grecque de Thalès à Platon 116, et un passage du septième cahier où il précise la tâche de « l’historiographie de la philosophie » (die philosophischen Geschichtschreibung) – pour le dire d’un trait : dégager, sous la « conscience phénoménologique » des philosophes au sens du « savoir apparent » que chacun a de son propre « système », dégager leur « conscience essentielle », ou « l’être-essentiel » (Wesen) de cette conscience par le truchement de laquelle seulement ils auraient pu prendre part au processus historique que constituerait la progression de « la taupe du savoir philosophique effectif ». –117 Ces deux textes laissent en effet transparaître plus clairement que d’autres le présupposé fondamental de Marx dans toute cette affaire – mais auquel, conformément à la disposition de fond en comble historico-critique de la pensée qu’il se trouve être en train de fonder, Marx ne consacrera toutefois aucun développement particulier. – Présupposé qui n’est autre que la thèse de l’unité processuelle – et pour tout dire dialectique, – de « l’esprit » comme quoi se présenterait la pensée en raison même de cette unité, et de l’être en tant que cette « substance libre », au sens où elle ne serait soumise à aucune détermination par ––––––––––––– Bourgeois, Paris : Librairie philosophique J. Vrin (Bibliothèque des textes philosophiques), 1988 [cité Encyclopédie III], pp. 264 sqq. et, pour les « additions » (Zusätze), pp. 561 sqq. En particulier citation 55. 113 Voir citation 55 ! 114 À distinguer comme telle, i. e. en tant qu’objectivation de la volonté libre du sujet – autrement dit : de l’esprit pratique, – dans l’effectivité existante, de la simple « possession » (Besitz). Voir à ce propos l’article de Peter Trawny, “Die Armut der Geschichte. Zur Frage nach der Vollendung und Verwandlung der Philosophie bei Heidegger”, Zeitschrift für philosophische Forschung, 1999 (Band 53, Heft 3). 115 Sur ces derniers développements, voir avant tout le § 487 de Enzyklopädie III, p. 306 / Encyclopédie III, pp. 284-285. 116 Voir Hefte, pp. 76|77-88|99 / Cahiers, pp. 816-823. 117 Voir Hefte, pp. 246|247-248|249 / Cahiers, pp. 859-860. xi quelque instance autre qu’elle hors d’elle, et « idéale », au sens où elle aurait en elle-même « sa propre idéalité », que le monde serait en soi en tant que « monde substantiel de l’effectivité » (substanziale Welt der Wirklichkeit) ou « monde effectivement substantiel » (wirklich substanziale Welt). Laquelle unité serait concrètement assurée par les consciences singulières tout uniment substantielles et spirituelles des individus en tant qu’elles seraient « le réceptacle » (der Behälter) dans quoi la substance en soi idéale dudit monde trouverait à « pénétrer » (eintreten)118, et constitueraient à ce titre le « support » (Träger) – et le « sujet » en ce sens 119, – de toute pensée, y compris philosophique. D’où justement le caractère contradictoire d’un éventuel retournement de celle-ci contre un monde qui la déterminerait donc de fond en comble. Cela étant, différents passages des Cahiers font apparaître qu’aux yeux de Marx, un tel retournement, loin de n’être qu’une éventualité, serait un moment nécessaire et proprement constitutif du processus historique dont relèverait le développement de la philosophie elle-même, à savoir : le « progrès » de l’esprit en somme en tant que progrès du « savoir philosophique effectif ». Processus qu’en suivant ––––––––––––– 118 Voir entre autres, Hefte, pp. 88|89 / Cahiers, p. 822 [citation 50] : […] le monde substantiel de l’effectivité est entré dans la conscience de Platon [tritt […] in das Bewußtsein Platos ein] en y étant effectivement idéalisé, mais c’est pourquoi ce monde idéal est lui-même tout aussi simplement articulé en soi que l’est le monde effectivement substantiel qui lui fait face. Thèse tout à fait fondamentale – puisqu’elle paraît annoncer une doctrine de la conscience-reflet qu’il y a certainement lieu de considérer comme la clef de voûte du matérialisme historique de Marx, – de la pénétration de la conscience, et de celle du philosophe, en l’occurrence, par le monde effectivement substantiel dont nous pouvons ici relever la formulation “grand public” que Marx en propose dans un passage d’un article publié en trois parties dans la Rheinische Zeitung des 10, 12 et 14 juillet 1842, où il s’en prend aux thèses avancées peu de temps avant par un certain Karl H. Hermes dans un article de la Kölnische Zeitung – voir “Der leitende Artikel in : Nr. 179 der „Kölnischen Zeitung””, in : MEW 1, pp. 86-104 / “L’article de tête du numéro 179 de la Kölnische Zeitung »”, Œ III, pp. 199-220, – à commencer par celles-ci (pp. 87-89 / pp. 201202) : Répandre des opinions philosophiques et religieuses au travers des journaux ou les combattre dans les journaux nous paraît également inadmissible. […] Un parti qui se sert de ces moyens montre par là, à notre avis, qu’il ne conçoit pas cela honnêtement et qu’il lui importe moins d’instruire et d’éclairer le peuple que d’atteindre d’autres buts extérieurs. […] Tant qu’il existe encore une censure, il est de son plus urgent devoir d’élaguer ces excroissances d’une puérile turbulence qui ont ces derniers jours blessés nos yeux. Ce qui amène Marx à formuler, au début de la troisième partie de sa réponse (p. 97 / pp. 211-212), et là pour introduire à ce qu’il a à dire « sur “la chose même” », la conception suivante de la philosophie : La philosophie, et avant tout la philosophie allemande, a un penchant pour la solitude, la réclusion systématique, l’introspection dépassionnée, qui d’emblée l’oppose et la rend étrangère aux journaux qui ne satisfont leur caractère polémique et tapageur que dans la communication. Saisie dans son développement systématique, la philosophie est impopulaire, son secret tissage en ellemême apparaît à l’œil profane comme un affairement aussi démesuré que peu pratique ; elle passe pour un professeur des arts de l’illusion, dont les invocations rendent un son solennel parce qu’on ne les comprend pas. La philosophie, conformément à son caractère, n’a jamais fait le premier pas pour troquer l’ascétique soutane du prêtre contre la tenue légère et conventionnelle des journaux. Seulement les philosophes ne poussent pas comme des champignons, ce sont les fruits de leur temps, de leur peuple, dont les sucs les plus subtils, les plus précieux et les plus invisibles circulent dans les idées philosophiques. Le même esprit qui construit des systèmes philosophiques dans le cerveau des philosophes, construit les chemins de fer avec les mains des ouvriers. La philosophie ne se tient pas hors du monde, pas plus que le cerveau ne se tient hors de l’homme parce qu’il n’est pas dans le ventre ; mais il est vrai que c’est d’abord avec le cerveau que la philosophie se tient dans le monde, avant de se mettre debout les pieds sur le sol, tandis que beaucoup d’autres sphères humaines sont enracinées par les pieds dans la terre et cueillent des mains les fruits du monde pendant longtemps avant de soupçonner que la “tête” aussi est de ce monde ou que ce monde est le monde de la tête. D’où précisément cette nécessité d’une réalisation effective de la philosophie que Marx commence alors d’exposer en ces termes : Parce que chaque vraie philosophie est la quintessence spirituelle de son temps, il faut que vienne le temps où la philosophie entre en contact et en interaction non seulement intérieure, par son contenu [Gehalt], mais aussi extérieurement, par sa manifestation, avec le monde effectif de son temps. Ce que j’ajoute au vu du rôle que la notion de « Träger » (porteur, support) viendra jouer dans la Critique de la philosophie du droit de Hegel à laquelle Marx travaillera à la fin de 1843. Voir avant tout Zur Kritik der Hegelschen Rechtsphilosophie – [Kritik der Hegelschen Staatsrechts (§§ 261-313)], in : MEW, Bd. 1, p. 224 sqq. / Critique de la philosophie politique de Hegel (1843), in : Œ III, pp. 893-894, où cette notion s’articule autour de la thèse, d’ailleurs également présente chez Feuerbach, qui consiste à poser, contre Hegel, non pas l’idée (« l’idée mystique », comme dit Marx), mais au contraire « l’ens réel (ὑποκείμνον, sujet) », soit l’homme lui-même en tant que « reelles Ens », i. e. « étant » (ens) qui serait lui-même de l’ordre de la « chose » (res), comme le Träger – et donc précisément comme le sujet au sens de ce ὑποκείμνον dont le nom latin s’est trouvé être « subjectum », – des attributs qui seraient en l’occurrence les siens, à commencer par (dans le domaine du droit, s’entend) la personnalité, la propriété, la souveraineté, etc. 119 xii plus spécialement le morceau susmentionné du deuxième cahier 120, nous pouvons retracer à très grands traits comme suit. – L’esprit se serait initialement déployé comme « esprit substantiel », et c’est dire : comme ce « vivant esprit-du-peuple » (lebendiger Volksgeist) qui n’aurait alors jamais fait qu’un avec une substance en soi idéale et encore tout uniment spirituelle et substantielle. – Dans la Grèce des VIIe et VIe siècles, cet esprit substantiel aurait cependant trouvé à s’exprimer sous une certaine « forme idéale de la substance », mais encore « sous la forme de la substance » ellemême, car moyennant l’« incarnation », « plastiquement poétique », de ladite substance idéale dans ces « œuvres d’art vivantes » comme quoi le peuple aurait alors vu se présenter à lui, et à chaque fois en tant que « cette personne-ci », ces « premiers sages grecs » dont les « sentences », où ils auraient poétiquement élevé « l’énergie naturelle [i. e. l’être-en-acte de la nature (cf. Aristote)] dans l’idéalité », n’auraient cependant pu être « vérité pour le peuple » que dans la mesure où elles seraient restées « la voix de la théorie propre au peuple ». – Or, dit Marx, « la chose se retourne » (die Sache kehrt sich um) dans la Grèce, et plus précisément l’Athènes du Ve siècle, avec Anaxagore, les Sophistes, Socrate et Platon… [à suivre] ––––––––––––– 120 Voir Hefte, pp. 82|83- 90|91/ Cahiers, pp. 816-823. xiii xv) pour “raccrocher” après une éventuelle absence à la séance du 20.02.2017 ! [suite du supplément xiv] – Or, dit Marx, « la chose se retourne » (die Sache kehrt sich um) dans la Grèce et précisément l’Athènes du Ve siècle, avec Anaxagore, les Sophistes, Socrate et Platon. Via les consciences singulières dans lesquelles l’esprit aurait trouvé à se faire « esprit subjectif ». Par quoi il faut entendre l’esprit qui, tout en demeurant, comme dans les σοφοί d’avant, « le réceptacle de la substance », serait cependant parvenu, en se l’appropriant par le truchement desdites conscience singulières, par penser (croire) « avoir […] en lui-même » cette idéalité immanente à la substance qui s’y serait alors retrouvée sous cette « forme immédiate » où elle serait, certes, « devenue pour soi », mais comme une « pure abstraction »121 venant en retour « faire face » à une substance corrélativement « dégradée en une masse d’existences et d’institutions accidentelles, limitées ». Cela en tant que « le déterminé » sur le plan de ce seul « concept » où cet esprit subjectif aurait été pour le coup amené à reconnaître, avec « la mesure du singulier » à la singularité même duquel le monde effectivement substantiel se serait ainsi trouvé réduit, « la fin » (das Zweck) à laquelle les « esprits individuels » non moins que ce monde en somme se devraient de tendre ; autrement dit ce « bien » qui se serait alors imposé « objectivement » comme un « devoir » (Sollen) et « subjectivement » comme une « aspiration » (Streben). – Après quoi la philosophie dont ce même esprit subjectif se serait ainsi fait « le principe », aurait connu un développement consistant pour l’essentiel, soit sur le plan du concept et du savoir « en soi », « immédiat », dans un mouvement dont la philosophie platonicienne aurait ainsi fourni le prototype, à savoir : le mouvement de faire passer dans l’idéalité qu’elle aurait ainsi commencé par en abstraire, le monde effectivement substantiel lui-même tel qu’en ses déterminations propres, et donc ce mouvement d’abstraction de son idéalité qui serait alors lui aussi tombé « hors de ce monde ». Mouvement qu’à la différence de Socrate qui l’aurait incarné en tant que personne pratiquement confrontée au monde (le « monde effectivement substantiel »), Platon aurait en effet été le premier à idéaliser en le concevant, sous le nom de « dialectique » [voir citations 52-53], comme une élévation tout intérieure de l’esprit (en direction des idées). À quoi la philosophie serait parvenue à quelques reprises au cours de son histoire – et déjà avec Aristote, – mais justement de telle manière que ses rapports effectifs avec le monde (encore et toujours, dans ce qui suit : le « monde effectivement substantiel ») se seraient à chaque fois retrouvés affectés par une contradiction dont le cinquième cahier122 fournit la formulation suivante [citation 54] : Quand la philosophie s’est conclue sur un monde parachevé, total [… avec Aristote puis, mutatis mutandis, Hegel], c’est alors dans son ensemble que la totalité du monde est disjointe [dirimiert] en elle-même […]. La disjonction du monde n’est totale que lorsque ses côtés sont des totalités. Le monde est alors un monde déchiré qui vient faire face [gegenübertritt] à une philosophie en soi totale. Et la manifestation [die Erscheinung – sous-entendu : dans le monde apparent] de l’activité de cette philosophie est donc aussi une activité déchirée et contradictoire ; son universalité objective se retourne [kehrt sich um] en formes subjectives de la conscience singulière [in subjektive Formen des einzelnen Bewußtsein] dans lesquelles elle est vivante.123 À ceci près qu’ainsi que le laisse entendre notre Note, cette disjonction contradictoire, puisque qu’interne au monde (effectivement substantiel) lui-même, entre la totalité de celui-ci et un esprit subjectif trouvant à se déployer en son sein sous la forme de telle ou telle « philosophie totale », aurait justement été surmontée – via la critique de Kant (de sa philosophie et logique de l’« entendement [Verstand] » versus la « raison [Vernunft] »), – par ledit esprit subjectif dans une philosophie de Hegel où il serait alors devenu « esprit théorique ». Cela en s’avisant de son unité processuelle avec la ––––––––––––– 121 Voir Hefte, pp. 82|83 / Cahiers, p. 819 [citation 51]. Selon la numérotation de Rubel, mais le sixième selon les MEW. 123 Hefte, pp. 214|215-216|217 / Cahiers, pp. 843-844. 122 xiv substance en soi idéale du monde au titre de l’instance immanente à celle-ci de « la réflexion »124 progressive via laquelle ce monde et lui seraient tout uniment devenus pour soi ce qu’ils auraient commencé par n’être qu’en soi. Mais de manière encore subjective, à l’intérieur de lui-même seulement, et sur le seul plan de la théorie. Et en posant par suite son contenu – l’unité processuelle de la substance en soi idéale du monde et de sa réflexion en lui, – sous la forme abstraitement idéale d’un certain moment de ce qu’avec et proprement dans Hegel, cet esprit théorique aurait ainsi été amené à concevoir comme le processus de l’autoposition de soi de « l’idée »125 dans la totalité des déterminations tant physico-matérielles (objet de la philosophie de la nature) que logico-formelles (objet de la science de la logique) et anthropologico-spirituelles (objet de la philosophie de l’esprit) d’un monde à cet égard-là conçu comme tout uniment substantiel et spirituel. Avec ceci qu’ayant alors été amené à se concevoir lui-même comme l’aboutissement du processus de l’autoréflexion de cette idée au et du sein même du monde où elle aurait commencé par se poser comme nature, et ayant ainsi su s’approprier le libre développement de l’unité processuelle de la substance en soi idéale du monde et de sa réflexion en lui, il serait « devenu libre ». Mais précisément : « en soi » seulement et, puisque sous la forme abstraitement idéale de la liberté de l’idée, en maintenant donc sa disjonction contradictoire d’avec ce monde sur le plan de la réalité effective ou effectivité. Contradiction qui trouverait précisément à se manifester sur ce plan dès lors qu’avec les Hégéliens, il entrerait « dans un rapport de réflexion » avec lui-même, et c’est dire : avec la philosophie d’un Hegel qui, lui, se serait encore tenu « dans un rapport immédiat, substantiel », avec elle (alinéa 2). Se sachant réfléchir et avoir ainsi en lui-même, sous la forme abstraitement idéale de la liberté de l’idée, le libre déploiement de l’unité processuelle de la substance en soi idéale du monde et de sa réflexion en lui, l’esprit théorique en soi libre auquel la philosophie hégélienne aurait donné forme, se retrouverait nécessairement – conformément à une nécessité dont nous comprenons maintenant qu’aux yeux de Marx, elle ne serait pas moins historique que psychologique, – animé par la tendance à se réaliser effectivement dans un monde qui, parce qu’il le mesurerait encore « à l’aune de l’idée », ne lui paraîtrait en effet pas moins apparent qu’à Platon. Mais avec ceci qu’à l’aune de l’idée “hégélienne”, ce même monde (le monde effectivement substantiel) lui apparaîtrait non plus seulement comme un monde de singularités accidentelles, mais comme ce qu’il n’aurait été jusque-là qu’en soi et deviendrait du coup pour soi, à savoir : comme un monde toujours plus « disjoint » (et proprement « déchiré ») par la contradiction entre son côté spirituel et son côté substantiel ; et, par suite 1) sur son côté substantiel, la contradiction entre son idéalité et sa substantialité, et donc l’universel, ou plutôt « le général [das Allgemeine] » et le singulier, etc. (voir à ce propos le « processus générique [Gattungsprozess] » de la vie), et 2) sur son côté spirituel, la contradiction entre un esprit subjectif toujours plus unilatéralement réduit à la théorie et un esprit substantiel, ou esprit-du-peuple, corrélativement réduit à la pratique, et puis aussi 3) la contradiction entre sa libre processualité et une inertie conservatrice (et comme telle réactionnaire) que se trouverait incarner, entre autres… la Prusse des années 1840126 ! De telle sorte que l’esprit se verrait une nouvelle fois (après Socrate, Platon et quelques autres) devoir et ne pouvoir dès lors que vouloir – affaire de morale, s’il en est ! –se ––––––––––––– 124 À ce propos, voir, dans Enzyklopädie der Philosophischen Wissenschaften im Grundrisse [Heidelberg : August Oßwald’s Universitätsbuchhandlung, 1817], in : Sämtliche Werke, Jubiläumsausgabe in zwanzig Bänden, […] neu hegausgegeben von Hermann Glockner, Sechster Band, Stuttgart : Friedrich Frommann Verlag / Günther Holzboog, p. 231 / Encyclopédie III, §. 307, p. 103, cette caractérisation de « l’esprit subjectif » au tout début de la première partie de La Philosophie de l’esprit de 1817 [citation 55] : L’esprit peut être appelé subjectif pour autant qu’il est dans son concept. Or, puisque le concept est en soi la réflexion de son universalité à partir de sa particularisation, le concept subjectif est donc a) l’esprit immédiat, l’esprit-nature, – l’ob-jet [Gegenstand] de ce qu’on appelle habituellement l’anthropologie, ou l’âme ; b) l’esprit en tant que réflexion identique en soimême et dans autre chose [in Anderes], acte-de-se-rapporter-à [Verhältniß] ou particularisation, – la conscience, l’ob-jet de la phénoménologie de l’esprit ; c) l’esprit qui est pour lui-même, ou l’esprit comme sujet, – l’ob-jet de ce qu’on appelle d’ordinaire la psychologie. – Concernant l’“idée” selon Hegel, voir plus haut L’ACCOMPLISSEMENT HÉGÉLIEN DU PLATONISME “MODERNE”, suppl. xii) 126 C’est en 1840 que, succédant à son père Friedrich-Wilhelm III, Friedrich-Wilhelm IV monte sur le trône d’une Prusse bureaucratiquement conservatrice qu’au grand dam des libéraux qui avaient placé quelque espoir en lui, il entreprend très vite de transformer en un État chrétien d’orientation plutôt piétiste – celle d’un Ernst Moritz Arndt, en particulier, – et promis à être toujours plus arbitrairement soumis à ses vélléités de… bien faire. 125 xv retourner contre ce monde, mais en ayant cette fois à y réaliser effectivement ladite idée, et c’est dire : à y réaliser effectivement, jusque dans sa libre processualité, l’unité processuelle de l’esprit et du monde et, partant, de l’idéalité et de la substantialité, de l’universel et du singulier, etc., ainsi que de l’esprit subjectif et du substantiel esprit-du-peuple, de la théorie et de la pratique, etc. (de l’art, de la religion et de la science philosophique, par exemple) – tel étant d’ailleurs, mutantis mutandis, le mouvement en quoi Hegel lui-même a pour sa part vu devoir consister le devenir-objectif d’un esprit subjectif devenu effectivement libre en tant qu’esprit pratique, à savoir : l’acte de « s’érige[r] un monde de sa liberté et, ce faisant, donne[r] à son vrai contenu un être-là subsistant-par-soi [ein selbstständiges Dasein] ». Or, il apparaît à Marx que cette démarche elle-même ne saurait échapper à la susdite contradiction127 [voir à nouveau supplément xiii]. Et cela du fait, sommes-nous maintenant en mesure de comprendre, de ce qu’il nous faut alors bien appeler son idéalisme. Un idéalisme d’ailleurs expressément revendiqué jusque chez les plus “activistes” des partisans de la Gauche hégélienne. Comme chez ce Ruge, par exemple, qui croyait en une possible « totalité de la théorie scientifique et du religieux devoir [je “sursouligne” ce concept « moral »] d’une action réformatrice »128. Mais idéalisme qui serait constitutif de la philosophie depuis qu’y étant devenu subjectif, l’esprit qui en serait alors devenu le principe s’y serait abstraitement approprié une idéalité immanente au monde tout uniment effectivement substantiel & idéal qu’il se serait par suite vu devoir réaliser effectivement dans celui-ci. Ce qui, selon Marx toujours, serait s’y prendre à l’envers et rester ainsi voué à la contradiction. ––––––––––––– Contradiction dont Marx décrit les principales formes qu’elle aurait alors revêtues aux alinéas 6 à 8 de sa Note – à savoir : 1) une forme immédiatement objective (alinéa 6), puis 2) une forme subjective (alinéa 7) et finalement 3) la forme objective de cette forme subjective elle-même (alinéa 8), – avant de les présenter synthétiquement, à l’alinéa 9, comme suit : 127 Ce qui donc se manifeste [erscheint] en premier lieu comme un rapport inversé et une disjonction hostile de la philosophie d’avec le monde, devient en second lieu une rupture de la conscience de soi philosophique singulière en elle-même, et se manifeste finalement comme une séparation extérieure et un être-dédoublé [Gedoppeltheit] de la philosophie, comme deux directions philosophiques opposées. […] Voir “Erinnerung aus dem äusseren Leben, von Ernst Moritz Arndt, Leipzig 1840”, Hallische Jahrbücher, 243 (9 octobre 1840), pp. 1931-1932, in : Werke und Briefe, herausgegeben von Hans-Martin Sass, Aalen : Scientia Verlag, 1988 [ci-après Werke und Briefe], Band 4 (Politische Kritiken 1838–1846), p. 84 [citation 56] : 128 […] s’il se trouve qu’un nouveau combat commence entre l’idéalisme vieil-allemand et l[‘idéalism]e philosophique, alors la puissance de ce dernier a maintenant doublé. Le pathos pratique [qui aurait animé le premier durant « guerres de libérations » (i. e. anti-napoléoniennes)] a non seulement été purifié [gereinigt] à l’école de la spéculation théorique, il a également été réuni [vereinigt] avec elle ; et il s’avance ainsi audacieusement comme la totalité régénérée [die wiedergeborne Totalität] de la théorie scientifique et du religieux devoir d’une action réformatrice. Quant à la revendication expresse de cet « idéalisme philosophique », voir ibidem, pp. 82-83 : La conceptualisation philosophique est le résultat essentiel de l’histoire, l’existence historique la plus prégnante, la plus riche de conséquences, le devoir vraiment justifié de l’évolution ; et personne n’aurait pu tenir cela de plus près que Hegel lui-même, dont le concept de dialectique est le seul [concept] qui, partout, et donc aussi dans la pratique de l’histoire, permet que la déterminité sur laquelle on se tient soit connu dans sa plus intime vérité. La connaissance de soi d’une étape est toujours la prochaine nouvelle étape ; un nouveau soi, un nouvel esprit, est ainsi amené à naître. Cette dialectique est idéalité, et le comportement théorique et pratique à sa mesure est l’idéalisme. L’idéalisme est religion dans la mesure où les hommes en font une affaire de cœur. Où il faut entendre « religion » au sens que Ruge lui donne dans “Über das Verhälnis von Philosophie, Politik und Religion (Kants und Hegels Accommodation). 1841”, in : Werke und Briefe, Band 2 (Philosophische Kritiken 1838-1846), p. 288, à savoir : La religion, en son concept, n’est rien d’autre que le pathos pratique pour l’idéal, pour la vérité. Elle rassemble l’idée dans le cœur [Gemüth], elle fait de la vision pure la substance du caractère et, dans cette concentration du contenu, s’oriente vers la réalisation de celui-ci. Son essence est cette pratique qui […] ne se manifeste alors qu’en supprimant les anciennes existences et en fonde de nouvelles. xvi xvi) Récapitulation “d’un seul jet”, “dans le bon ordre”, et complétée, de l’exposé par Marx, dans les Manuscrits de 1844, de l’explication de Feuerbach de et avec la dialectique hégélienne [citations 61, 62 et 58], avec ce qui, à mon sens, constitue à tout le moins l’amorce de la critique “radicale” qu’il lui opposera déjà dans la suite desdits Manuscrits (avant que ce ne soit dans la Sainte famille et L’idéologie allemande) : 129 […] Feuerbach – aussi bien dans ses “Thèses” dans les Anecdotis que de façon suivie dans la “Philosophie de l’avenir” [–] a abattu [umgeworfen (renversé)] la vieille [die alte (« l’ancienne », si l’on veut)] dialectique et [la vieille] philosophie jusqu’à la racine [dem Keim nach (“à partir du germe”)] […]. Feuerbach est le seul à avoir un rapport sérieux, un [rapport] critique, à la dialectique hégélienne et à avoir fait de véritables découvertes dans ce domaine, à être somme toute celui qui a vraiment surmonté la vieille philosophie [der wahre Überwinder der alten Philosophie]. La grandeur de la performance et la simplicité sans tapage avec laquelle [il] l’offre au monde se dressent dans une étonnante opposition au rapport inverse [stehn in einem wunderlichen Gegensatz zu dem umgekehrten (je souligne) Verhältnis]. Ce que Feuerbach a fait de grand [Feuerbachs grosse Tat] est : 1. d’avoir démontré [der Beweis] que la philosophie n’est rien d’autre que la religion [im]portée dans des pensées [in Gedanken gebracht] et accomplie en [dans la] pensée [denkend ausgeführt] ; [soit] une autre forme et [un autre] mode d’exister [Daseinsweise] de l’aliénation de l’être humain ; [qu’elle est] donc également à condamner ; 2) d’avoir fondé [die Gründung] le vrai matérialisme et la science réelle [reelle Wissenchaft], Feuerbach faisant du même coup [ebenso] de la relation sociale “de l’homme envers l’homme” le principe fondamental de la théorie [zum Grundprinzip der Theorie] ; 3) [d’avoir] opposé à la négation de la négation qui prétend à être le positif absolu, le positif qui repose sur lui-même et qui est positivement fondé sur lui-même. Feuerbach explique la dialectique hégélienne – (et confère par là son fondement au point de départ dans le positif, dans ce qui est certain sur le plan du Sensible [vom Sinnlich-Gewissen]) – de la manière suivante [folgendermaßen] : Hegel part de l’aliénation (sur le plan logique [logisch] : de l’infini, [du] général abstrait [(vom) abstrakt Allgemeinen]) de la substance, de l’abstraction absolue et fixée. –C.-à-d., exprimé de façon populaire, qu’il part de la religion et de la théologie. Deuxièmement : Il surmonte l’infini, pose l’effectivement réel, le sensible, le réel, le fini, le particulier (Philosophie, surmontement [Aufhebung] de la religion et de la théologie. Troisièmement : Il surmonte à nouveau le positif [hebt das Positive (soit, selon Feuerbach : « l’effectivement réel, le sensible, le réel, le fini, le particulier ») wieder auf], repose-reproduit [stellt wieder her] l’abstraction, l’infini. Reposition-reproduction [Wiederherstellung] de la religion et de la théologie. 130 Feuerbach ne saisit donc la négation de la négation que comme la contradiction de la philosophie avec elle-même, comme la philosophie qui affirme [bejaht] la théologie (transcendance etc.) après avoir nié celle-ci, et donc l’affirme en opposition avec elle-même. La position ou [auto-]affirmation et [auto-]confirmation de soi [Selbstbejahung und Selbstbestätigung], qui [chez Hegel tel que lu par Feuerbach] fait son lit de [liegt in] la négation de la négation, en vient à être saisie [par Hegel tel que lu par Feuerbach, soit d’une certaine façon par Feuerbach lui-même] comme une position qui n’est pas encore sûre d’elle-même et donc captive de son opposé, doutant en soi d’elle-même [an sich selbst zweifelnd] et ayant donc besoin de la preuve [des Beweises (de ce qui pourrait la prouver, cette position, « d’une preuve », si l’on veut)], ne se prouvant alors pas elle-même par son existence, et [en vient] donc à ce que lui soit directement et immédiatement opposée [entgegengestellt (par Feuerbach)] la position certaine sur le plan sensible [sinnlich gewiss], fondée sur elle-même. ––––––––––––– 129 130 Citation 61. Citation 62 (“homogénéisée” : note de bas de page intégrée dans le corps du texte). xvii Feuerbach saisit encore la négation de la négation, le concept concret, comme la pensée qui se surpasse dans la pensée [das sich im Denken überbietende] et veut être immédiatement, en tant que pensée, intuition [Anschauung (au sens kantien de la représentation sensible immédiate de quelque chose)], nature, réalité effective. La position ou [auto-]affirmation et [auto-]confirmation de soi [Selbstbejahung und Selbstbestätigung], qui [chez Hegel tel que lu par Feuerbach] fait son lit de [liegt in] la négation de la négation, en vient à être saisie [par Hegel tel que lu par Feuerbach, soit d’une certaine façon par Feuerbach lui-même] comme une position qui n’est pas encore sûre d’elle-même et donc captive de son opposé, doutant en soi d’elle-même [an sich selbst zweifelnd] et ayant donc besoin de la preuve [des Beweises (de ce qui pourrait la prouver, cette position, « d’une preuve », si l’on veut)], ne se prouvant alors pas elle-même par son existence, et [en vient] donc à ce que lui soit directement et immédiatement opposée [entgegengestellt (par Feuerbach)] la position certaine sur le plan sensible [sinnlich gewiss], fondée sur elle-même. 131 Mais [je souligne] Hegel ayant saisi la négation de la négation – [et cela] d’après la relation positive qui se trouve en elle, comme le véritable et le seul positif, et d’après la relation négative qui se trouve en elle, comme le seul vrai acte et auto-activation [Selbstbetätigung] de tout être, – il n’a trouvé que l’expression abstraite, logique, spéculative, du mouvement de l’histoire, lequel n’est pas encore l’histoire effective de l’homme comme [histoire] d’un sujet présupposé, mais seulement l’acte d’engendrement [Erzeugungsakt], l’histoire de l’émergence [Enstehungs-geschichte] de l’homme. – Nous [je souligne] allons expliquer aussi bien la forme [Form] abstraite de ce mouvement chez Hegel que la différence qui le [ce mouvement tel qu’abstraitement pensé par Hegel] le place à l’opposé de la critique moderne, du même processus dans “L’Essence du christianisme” [Sowohl die abstrakte Form werden wir (je souligne) erklären, als den Unterschied, den diese Bewegung bei Hegel im Gegensatz zur modernen Kritik,132 zu demselben Prozeß in Feuerbachs „Wesen des Christentums” hat] [,] ou plutôt [oder vielmehr] l’aspect critique [die kritische Gestalt] de [ce mouvement (dieser)] qui chez Hegel est encore non-critique [noch unkritisch]. –—— [Jetons] un coup d’œil sur le système de hégélien. Il faut [Man muß] commencer par la Phénoménologie de Hegel, le vrai lieu de naissance et le secret de la philosophie hégélienne. Phénoménologie [etc.] ––––––––––––– 131 Citation 58 (complétée). La virgule se trouve dans la MEGA2, mais pas dans les MEW, le sens de la phrase s’en trouvant évidemment modifié. Il faudrait voir le manuscrit ! Mais en me fiant aux traductions canoniques de Bottigelli (celle des Éditions sociales, Paris, 1972), Malaquais et Orsoni, et finalement Fischbach, j’ai tenu compte de cette virgule. 132