Rencontres du REF, Université de Genève, 18-19 septembre 2002 Texte de cadrage du symposium n° 1 Pédagogie de la coopération : rencontres et perspectives Coordination : Yviane Rouiller Barbey et Katia Lehraus Mai 2003 Les approches pédagogiques favorisant la coopération entre apprenants suscitent de plus en plus d’intérêt auprès des acteurs de l’éducation dans les milieux francophones ces dernières années. Par ailleurs, de nombreuses théories et recherches sous-tendent cette évolution. Nous pouvons citer, par exemple, les perspectives théoriques élaborées sur la base des travaux de Vygotsky et/ou ceux de Piaget (Bruner, 1996 ; Gilly, 1988 ; Perret-Clermont & Nicolet, 1988 ; Resnick, 1991), les études conduites en psychologie sociale (Doise & Mugny, 1997), dans le champ des apprentissages situés (Brown, Collins & Duguid, 1989) ou de la cognition distribuée (Brown & Campione, 1995; Pea, 1993 ; Perkins, 1995). Tous ces courants soulignent l’importance de la dimension sociale au sein des processus d’apprentissage. Ce symposium vise premièrement à offrir un lieu de rencontre entre des chercheurs et formateurs d’horizons différents aux conceptions variées en relation avec cette problématique. Il devrait permettre - de clarifier les finalités de diverses approches pédagogiques coopératives, les filiations entre les unes et les autres, leurs points communs et leurs différences, - d’établir un état de situation, voire une typologie, des cadres conceptuels, des recherches et des pratiques valorisés dans les différents courants ayant pour objet la coopération entre apprenants, - d’étudier l’articulation entre les savoirs de recherche et les savoirs d’expérience constitutifs de toute pédagogie, - de dégager des perspectives au niveau de la recherche, de l’enseignement et de la formation. Définition préliminaire Le terme de pédagogie de la coopération, pris dans un sens générique, peut désigner l’ensemble des approches pédagogiques exploitant d’une manière ou d’une autre la coopération entre apprenants. Nos réflexions nous amènent toutefois à envisager une approche privilégiée de la coopération entre apprenants : la pédagogie coopérative1 . Cette approche a la double visée d’apprendre à coopérer et de coopérer pour apprendre et se fonde sur les principes du cooperative learning selon Johnson, Johnson et Holubec (1994) : 1) l’interdépendance positive entre les membres des équipes, 2) la responsabilisation individuelle et collective face à la tâche, 3) le développement systématique d’habiletés de coopération, 4) la promotion d’interactions simultanées en groupes hétérogènes restreints, 5) une réflexion critique sur les processus à l’œuvre dans les groupes. 1 1 Traduction du concept de cooperative learning que nous préférons à apprentissage coopératif car elle met davantage en évidence l'importante composante d'enseignement constitutive de l'approche (cf. Louis, 1995 ; Howden & Kopiec 2000). 1 Nous avons choisi de mettre la pédagogie coopérative au centre de nos réflexions pour les raisons suivantes : - cette approche vise à la fois l’apprentissage de la coopération et l’exploitation de celleci en vue de favoriser des apprentissages de qualité, - toute activité, démarche, structure mise en œuvre dans des situations interactives d’apprentissage peut être analysée à l’aide des principes qui définissent cette approche, - de nombreuses recherches ont mis en évidence ses bénéfices sur l’estime de soi, les compétences académiques, la motivation des élèves, etc. (Johnson, Maruyama, Johnson, Nelson & Skon, 1981 ; Johnson, Johnson & Stanne, 2000 ; Slavin, 1983) - il s’agit d’une pédagogie, donc d’un ensemble de valeurs, de stratégies, de méthodes, de connaissances issues de la recherche et de l’expérience, susceptibles d’être actualisées en situation d’enseignement/apprentissage et de fonder les choix quotidiens de l’enseignant. Ces orientations constituent une base de travail commune. Elles seront discutées et ajustées en fonction des conceptions des différents intervenants de ce symposium. Orientation conceptuelle du symposium Pour structurer la réflexion, une modélisation, est proposée en figure 1. Elle cherche à mettre en évidence les niveaux sur lesquels pourront s’articuler nos contributions : d’une part le type d’organisation des situations d’apprentissage et/ou le fonctionnement du groupe et de ses membres et d’autre part, par une approche des pratiques de formation ou de démarches de recherche. Nos travaux devraient tester la pertinence de cette figure, la préciser et/ou remettre en question ses composantes et leur articulation. Invitation à participer au symposium Pour parvenir à nos objectifs, nous avons tenté de rassembler des personnes représentatives à nos yeux de différentes approches, pour la plupart explicitement en lien avec la pédagogie coopérative, puisque ce concept est central dans nos réflexions. Certaines d’entre elles présenteront donc des résultats de recherches récentes aux méthodologies variées, alors que d’autres articuleront pratiques actuelles et perspectives d’enseignement et de formation. La contribution de Michael Baker (France), basée sur une analyse des paradigmes de recherche sur l’apprentissage coopérant, proposera deux modélisations (statique et dynamique) visant à appréhender la nature complexe des relations entre situation, interaction et connaissances, ceci dans des situations de résolution coopérative de problèmes. Céline Buchs (France et Suisse) partagera les résultats d’une recherche concernant l’impact de l’in(ter)dépendance des ressources dans une situation d’apprentissage, au niveau universitaire, sur les interactions entre les étudiants, ainsi que les relations entre ces interactions et les performances des étudiants. Anne-Marie Fontaine (originaire de Belgique, travaillant à Porto) et Nuno Bessa feront part d’une recherche au niveau post-obligatoire, étudiant l’effet d’une structure de coopération (STAD) sur le niveau académique des étudiants, en cherchant plus particulièrement à explorer les conditions qui déterminent l’efficacité de l’apprentissage. 2 Figure 1 Orientation conceptuelle Principes généraux d’organisation des situations d’apprentissage en coopération Valeurs l’entraide, l’engagement, l’ouverture aux autres, l’égalité, la solidarité, la confiance, … Pratiques d’enseignement et de formation interactions simultanées en groupes hétérogènes restreints interdépendance responsabilisation habiletés coopératives réflexion critique Démarches de recherche représentations pratiques formations Fonctionnement du groupe et de ses membres Compétences sociales cognitives … Fonctionnement coopération collaboration co-construction négociation, conflit… … 3 problématiques méthodes instruments Benoit Galand (Belgique) proposera les résultats d’une recherche concernant l'évaluation d'une réforme de programme basée sur l'introduction de l'apprentissage par problème (APP), pour lequel les étudiants travaillent par groupe de huit ; ses préoccupation concerneront notamment les rôles respectifs de l’apprentissage coopératif et de l’apprentissage par problème dans l’engagement des étudiants. Jim Howden (Québec) proposera une réflexion sur l’importance des valeurs dans la pédagogie de la coopération et sur les impacts d’un enseignement implicite versus explicite des valeurs coopératives ; il traitera également des outils susceptibles de favoriser l’intégration des valeurs coopératives. Marie-Anne Hugon (France) présentera des réflexions sur la mise en œuvre d’une pédagogie interactive en collège et en lycée ; ses préoccupations pourraient être centrées sur les moyens mis en œuvre pour vérifier les effets des expérimentations conduites en classe et/ou sur une comparaison de plusieurs conceptions de la coopération en classe Fernand Ouellet (Québec) proposera dans sa contribution une réflexion sur les points de rencontre entre l’apprentissage en coopération, l’apprentissage en collaboration et le socioconstructivisme ; il s’intéressera notamment à la notion de réacculturation à une nouvelle communauté de savoir dans le cadre de l’enseignement collégial et universitaire. Claude Roshier (Suisse) proposera les résultats d’une étude sur les réussites et les difficultés, les freins et les moteurs rencontrés par les enseignants dans la mise en oeuvre de la coopération en classe. Yviane Rouiller Barbey (Suisse) présentera une étude du fonctionnement d’équipes d’élèves à l’école primaire en fonction d’une variable encore à déterminer. Martine Sabourin (Québec) et Katia Lehraus (Suisse) ont toutes deux formé des enseignants à la pédagogie de la coopération et mené une enquête sur l’appropriation et la mise en pratique de l’approche par les professionnels ; c’est sur ces bases communes qu’elles élaboreront une étude comparative concernant leurs deux contextes : l’enseignement primaire à Montréal (Québec) et à Genève (Suisse). Serge Terwagne (Belgique) fera part d’une recherche étudiant les interactions entre élèves de 8 à 12 ans au sein de groupes de discussion mis en place dans des séquences de « cercles de lecture », en s’intéressant notamment à l’articulation entre l’engagement des élèves dans des projets de lecture complexes et l’enseignement de stratégies de compréhension et d’interprétation. Orientation des contributions Plusieurs axes de questionnements sont proposés: un premier axe est lié directement à l’objet d’étude de ce symposium, un second axe se rattache au « fil rouge », commun aux divers symposiums du REF 2003, qui convie à s’interroger sur les liens entre savoirs de recherche et savoirs d’expérience. 4 1) Premier axe : les approches pédagogiques favorisant la coopération entre apprenants Pour tenter de circonscrire ce champ, d’en préciser les frontières et d’en spécifier les caractéristiques, nous proposons de chercher, à travers chaque contribution, a. à expliciter la conception de la coopération en classe de chaque auteur, ses finalités, objets d’étude et cadres conceptuels. (En ce qui concerne les finalités et objets d’étude, la figure 1 peut offrir des repères favorisant une réflexion commune.) b. à dégager des perspectives pour l’enseignement, la recherche et la formation. 2) Deuxième axe : liens entre savoirs de recherche et savoirs d’expérience Au carrefour entre des besoins effectifs du terrain et un champ de recherche reconnu, la pédagogie de la coopération se prête bien à une réflexion sur les liens entre ces deux types de savoirs. Comment les pratiques et les recherches dans le domaine de la coopération entre apprenants intègrent-elles dans leur construction savoirs de la recherche et savoirs d’expérience ? Deux manières complémentaires de traiter du fil rouge commun aux divers symposiums sont proposées : a. En intégrant dans les contributions un certain nombre de réflexions liées à cette problématique. Par exemple : Dans quelle mesure la recherche s’intéresse-t-elle à des questions préoccupantes aux yeux des praticiens et/ou intègre-t-elle les savoirs d’expérience, par exemple dans l’élaboration des situations ou dans l’interprétation des résultats ? A l’inverse, dans quelle mesure les praticiens intègrent-ils des apports de la recherche à leurs réflexions ? Peut-on dégager une évolution dans ces interactions au cours des années ? Comment ces savoirs coexistent, se complètent, s’ignorent voire se nuisent dans les pratiques de formation initiale et continue ? b. En nous penchant toutes et tous sur un même corpus de données, par exemple un extrait d’interactions entre élèves, pour en dire quelque chose, chacun à sa manière, en utilisant ses outils d’analyse ou de réflexion. Cette opération permettrait de renforcer la cohérence de nos travaux et d’approfondir nos échanges. Conclusion Ces propositions ne constituent qu’un outil de travail. Les orientations ci-dessus sont relativement précises pour susciter les remarques, les réflexions, mettre à la disposition de toutes et tous un lieu d’échange et offrir le plus possible de chance à nos travaux de clarifier la situation existante et de construire ensemble un objet cohérent, que cela soit par l’articulation ou la non articulation des approches représentées par les uns ou les autres. Références bibliographiques Bruner, J.S. (1996, 1ère édition 1983). Le développement de l’enfant : Savoir faire, savoir dire. Paris : Presses Universitaires de France. Brown, J. S., Collins, A., & Duguid, P. (1989). Situated cognition and the culture of learning. Educational Researcher, 18(1), 32-42. Brown, A. L., & Campione, J. C. (1995). Concevoir une communauté de jeunes élèves: Leçons théoriques et pratiques. Revue Française de Pédagogie, 11-34. Doise, W. & Mugny, G. (1997). Psychologie sociale et développement cognitif. Paris : Armand Colin. Gilly, M. (1988). Interactions entre pairs et constructions cognitives : Modèles explicatifs. In A.-N. PerretClermont & M. Nicolet (Ed.), Interagir et connaître : Enjeux et régulations sociales dans le développement cognitif (pp. 19-28). Cousset (Fribourg) : DelVal. 5 Howden, J. & Kopiec, M. (2000). Ajouter aux compétences : Enseigner, coopérer et apprendre au postsecondaire. Montréal-Toronto : La Chenelière/McGraw-Hill. Johnson, D.W., Johnson, R.T. & Holubec, E.J. (1994). Cooperative Learning in the Classroom. Alexandria : ASCD. Johnson, D. W., Johnson, R. T. & Stanne, M.B. (2000). Cooperative Learning Methods : A Meta-Analysis. Abstract de : http://www.clcrc.com/pages/cl-methods.html. Johnson, D.W., Maruyama, G., Johnson, R.T., Nelson, D. & Skon, L. (1981). Effects of Cooperative, Competitive, and Individualistic Goal Structures on Achievement : A Meta-Analysis. Psychological Bulletin, 89(1), 47-62. Louis, R. (1995). Les facteurs qui influent sur l’adoption par les enseignants d’une nouvelle approche pédagogique : le cas de la pédagogie coopérative. Vie pédagogique, 96, 47-50. Pea, R. (1993). Practices of distributed intelligence and designs for education. In G. Salomon (Ed.), Distributed cognitions. New-York: Cambridge University Press. Perkins, D. N. (1995). L'individu-plus. Une vision distribuée de la pensée et de l'apprentissage. Revue Française de Pédagogie, 57-72. Perret-Clermont, A.-N. & Nicolet, M. (1988) (Ed.). Interagir et connaître : Enjeux et régulations sociales dans le développement cognitif. Cousset (Fribourg) : DelVal. Resnick, L.B. (1991). Shared cognition: Thinking as social practice. In L.B. Resnick, J.M. Levine & S.D. Teasley (Ed.), Perspectives on socially shared cognition (pp. 1-20). Washington: American Psychological Association. Slavin, R.E. (1983). When Does Cooperative Learning Increase Student Achievement ? Psychological Bulletin, 94(3), 429-445. 6