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L'atelier d'écriture, un outil fructueux en STT Sylvie Cordesse Marot
Professeur d'économie et gestion
Lycée Comte de Foix Andorre
Les médias se font parfois l'écho d'ateliers d'écriture : des prisonniers, des malades du sida,
des exclus de l'emploi témoignent de la confiance en eux retrouvée, de leur image d'eux-
mêmes qui s'est reconstruite en découvrant la jubilation de l'écrit.
Les capacités d'écriture conquises dans ces ateliers concernent souvent le domaine
autobiographique ou poétique. Ces quences sont en général animées par des militants
engagés contre l'exclusion et décidés à montrer que tous les hommes et toutes les femmes
sont capables de penser et d'enrichir la collectivité de leur réflexion spécifique.
Enseignant en 1ère et terminale STT, je constate fréquemment que mes élèves bloquent
dans l'activité d'écriture : "je ne suis pas inspiré", "je n'ai pas d'idées", "je n'ai rien à dire" sont
souvent les explications qu'ils apportent a posteriori à une question non traitée. J'entends
souvent dire par des collègues : "j'ai beau rabâcher les élèves de STT ne comprennent
toujours pas". Ces lycéens mettraient tellement de temps à apprendre ou à faire (enregistrer
des opérations comptables, restituer des définitions, etc.) qu'il ne resterait plus de temps en
cours pour des phases d'analyse. Amputés d'une partie de leur sens les cours de droit et
d'économie ne "passeraient plus". On peut essayer d'inverser le problème.
Est-il possible d'intégrer au sein d'une même dynamique l'apprentissage des concepts
et leur critique ? Et comment ? Dans cette perspective, l'atelier d'écriture peut-il
constituer un détour pédagogique efficace ?
La pratique des ateliers d'écriture en classe n'est certainement pas la panacée. C'est une
piste de recherche dont les objectifs sont :
* débloquer l'écriture individuelle et ils organisent l'écriture collective de la classe.
* faciliter la conceptualisation critique.
Parmi de nombreuses tentatives intéressantes effectuées en classe, j'ai sélectionné trois
ateliers présentés en annexe. Ces dispositifs me paraissent imparfaits mais fructueux. Ils
concernent trois domaines différents :
1) L'amorce ou la dynamisation de la rédaction de dossiers d'épreuve pratique en terminale
STT ACC (annexe 1).
2) La définition d'un concept de droit : la règle de droit (annexe 2).
3) L'introduction au cours d'économie : le problème économique (annexe 3). Ce dispositif est
une transposition de celui d'ACC.
Dans une première partie nous réfléchirons sur la place de ces trois ateliers en classe de
STT. Ensuite nous nous demanderons en quoi ces ateliers impliquent des ruptures dans
l'approche dominante de l'écriture et de sa pratique en classe. Enfin la troisième partie
propose de se questionner sur le regard porté sur l'activité et les productions des élèves.
I Ecrire en STT :
Ces ateliers ne sont pas des produits finis à utiliser clés en mains. Ils ont eu le mérite à un
moment précis de bien "faire avancer" la classe.
I a Amorcer l'écriture de dossiers d'épreuve pratique en TSTT ACC
Confrontés à la nécessité de rédiger leurs dossiers d'épreuve pratique, les lycéens sont
souvent désarmés. Construire une pensée, la rédiger est une activité réellement difficile
par sa nature même. On ne devient pas l'auteur d'un texte en faisant l'économie d'une
implication forte qui met la personne entière en mouvement.
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Les moments de doute, d'hésitations et même de paralysie sont aussi fréquents que
déstabilisants
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.
Les contraintes de l'examen et des programmes ne laissent pas de plages pour ces périodes
d'improductiviapparente. Il m'est déjà arrivé de voir une classe entière composée d'élèves
de bonne volonté décidés à "bien avancer parce que l'année de terminale passe si vite",
ayant déjà élaboré avec intérêt le thème de leur dossier, les concepts à y défendre et la
répartition du travail entre eux occuper une séquence de plusieurs heures de façon
totalement stérile. Ces épisodes je me sens totalement impuissante sont très
décourageants. Je dois résister alors à la tentation autoritaire ("je mettrai des zéros à ceux
qui n'auront rien écrit"), ou démagogique ("je vais leur donner un plan détaillé qu'ils n'auront
plus qu'à compléter") en me rappelant ces moments pénibles moi-même je ne parviens
pas à rédiger l'article que j'ai en tête.
Le dispositif de l'annexe 1 peut être un accélérateur à un moment la réflexion des élèves
piétine et où leur découragement risque de devenir excessif. Il a pour objectif de faire
construire par les élèves et en petits groupes un texte de base qui sera affiné et retravaillé
par la suite. Son point fort est qu'il permet de débloquer l'écriture de tous les élèves.
Son point faible est que les concepts ne sont pas construits par les élèves mais apportés par
le professeur comme éclairage des propositions des élèves.
I b Mettre en jeu l'imaginaire pour construire la notion de "règle de droit"
Ce dispositif de l'annexe 2 fait élaborer aux élèves la notion et les caractéristiques de la règle
de droit donc de construire un concept. C'est une introduction à l'ensemble de mon cours
de droit de 1ère. Il met en évidence le droit comme nécessité pour la structuration sociale. Il
s'inspire très largement d'une démarche inventée par le secteur philo du GFEN
2
. La
sollicitation de l'Imaginaire permet ici de s'approprier du Savoir….. En inventant une société
sans droit, les lycéens découvrent le rôle et la nécessité des règles juridiques.
Les textes élaborés donnent du sens (par la négative) à la notion de droit. Ils créent un
contexte à ce concept. On dit parfois que "la pratique" motive les élèves de STT. Dans cet
atelier, la réflexion se construit dans l'Abstrait et les lycéens sont intellectuellement très
actifs.
I c Ecrire pour penser l'économie comme une représentation du monde
En début d'année scolaire, il me semble important de présenter aux élèves le contenu et
les contraintes de leur programme d'étude afin qu'ils se sentent partenaires de leur
formation. Cette démarche introduit le premier chapitre qui porte sur "le problème
économique".
L'atelier d'écriture permet ici de lire rapidement un texte long et plutôt rébarbatif. Voir
annexe 3.
L'entrée choisie dans ce programme est la question : "A quoi sert l'économie ?" La
formulation de cette question permet d’éviter que les élèves aient la tentation de recopier le
premier chapitre de leur manuel intitulé le problème économique.
Pour connaître un programme d'économie, il faut se construire une représentation provisoire
de ce qu'on va apprendre et de soi-même par rapport à ce qu'on va apprendre. La science
économique, comme les autres sciences (biologie, physique, etc.) tente de construire une
représentation du monde qui soit cohérente et qui permette une intervention sur le Réel. A
travers la lecture rapide des programmes et un travail d'écriture, les élèves amorcent une
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« Il faut bien de l'audace pour entreprendre non pas même un chef-d'œuvre, mais simplement une œuvre... »
Jean Sarrut
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Groupe français d'éducation nouvelle, 6, avenue Spinoza, 94200 Ivry Tél 01 46 72 53 17
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réflexion sur ce qu'ils vont étudier et en même temps, ils construisent une représentation de
ce Réel.
Ici, il faut que les élèves acceptent de dire "faux", c'est à dire d'écrire sur une notion
qu'ils ne maîtrisent pas (la science économique). Ils vont essayer de construire une
cohérence dans leur raisonnement. Cette activité est une amorce pour la suite du cours :
elle va faire émerger des questionnements qui favoriseront par la suite les apprentissages.
II Ces ateliers impliquent des ruptures dans l'approche dominante de l'écriture
et de sa pratique en classe.
L'écriture est-elle un simple outil de transmission de la pensée ? Faut-il dans un premier temps
apprendre la technique de la rédaction pour être capable de s'exprimer ensuite ?
II a Renverser son approche de l'écriture : il ne s'agit pas de mettre à plat une pensée,
mais de construire cette pensée.
"Je pense encore qu'on pense à partir de ce qu'on écrit et pas le contraire" Aragon
"C'est même pour savoir quel roman j'écris que je l'écris." Philippe Djian
L'approche dominante consiste à supposer que chacun écrit ce qu'il pense. En harmonie
avec l'approche de certains écrivains
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, l'atelier d'écriture se base sur la conception inverse :
la pensée se construit grâce à l'écriture. Les dispositifs commencent généralement par la
production de mots ou la sélection de mots dans des textes proposés. "Lorsque les mots
nous manquent, c'est le sens que nous tentons de donner au monde qui s'obscurcit"
4
.
Le travail apparemment automatique facilite et produit des matériaux pour la suite de
l'écriture.
Par exemple, dans les dispositifs décrits en annexe on demande parfois de produire une liste
de mots, puis d'établir la liste de leurs contraires. Cette consigne va induire une écriture
prenant en compte les limites et les paradoxes de l'idée en construction.
A d'autres phases, on trace des chaînes entre les mots ce qui permet de travailler les
associations possibles entre eux. Les phrases rédigées à partir de ces schémas recréeront
ces mises en relation.
On peut aussi distribuer des connecteurs logiques (en effet, par contre, cependant, pourtant,
de même …) et imposer leur utilisation. L'élève va alors travailler davantage la mise en
cohérence des fragments de sa pensée.
II b Inciter les élèves à écrire en réfléchissant aux techniques d'écriture
Pour animer un atelier, le professeur doit obtenir l'accord des élèves. Les lycéens risquent
d'avoir des réactions agressives contre ce mode de travail parce que la tâche leur paraît soit
trop facile soit trop difficile pour eux.
En effet, ils peuvent avoir l'impression que le professeur veut les faire jouer, leur faire écrire
n'importe quoi. En STT en particulier, ils se méfient de la démagogie. S'ils pensent qu'on
leur propose une activité particulière parce qu'ils sont mauvais ils se sentent dévalorisés ou
manipulés et leur refus se traduira par du chahut ou une apparence de "paresse".
Inversement lorsque l'expression de l'idée devient difficile et même douloureuse, le
professeur doit entendre leur rejet. Il faut les encourager, leur montrer que leur angoisse
est de même nature que celle que connaissent les écrivains.
Pour convaincre les élèves que l'atelier n'est ni démagogique ni hors de leur portée, le
professeur doit présenter systématiquement les objectifs poursuivis. Il doit expliquer qu'il
propose un dispositif où élèves et professeur sont en situation de recherche.
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Jean-Louis Ezine : "C'est abstrait l'écriture ?"
Philippe Djian : "Je ne crois pas. C'est concret, palpable, tangible… C'est au niveau des mots, ce sont les mots
entre eux qui vont produire l'énergie. Qu'est-ce qui fait qu'entre deux mots, placés l'un à coté de l'autre, frottés
d'une certaine manière, il va se produire une étincelle ? Je me sens comme un homme préhistorique devant ce
prodige. Les mots sont des silex et les écrivains des voleurs de feu…
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De l'illettrisme en général et de l'école en particulier Alain Bentolilla
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Il peut introduire l'atelier d'écriture par une justification théorique rapide comme celle
développée plus haut. Personnellement je note au tableau les citations présentées dans cet
article. Pendant le déroulement, les avertir très simplement sur le sens des consignes les
rassure et les implique plus fortement parce qu'ils comprennent mieux ce qu'on attend d'eux.
L'instruction donnée perd ainsi sa puissance manipulatoire. Par exemple, il les préviendra :
"nous allons faire un liste de mots parce que la pensée se fabrique comme un mur à partir de
matériaux". Etc.
En définitive, l'élève effectue deux tâches en parallèle : d'une part il produit un texte,
d'autre part, il réfléchit à sa technique d'écriture. Il travaille à la fois la cognition (les
savoirs) et la méta cognition (la façon d'apprendre).
Les moments d'euphorie et de jubilation sont des récompenses magnifiques pour le
professeur comme pour les élèves.
III Quel regard porter sur les productions des élèves.
Lire le positif dans les textes d'élèves, organiser l'écriture collective n'est ni spontané ni facile
pour les enseignants. Nous pensons trop souvent que chacun doit écrire seul et qu'il faut
montrer constamment ses erreurs à l'élève pour qu'il les corrige. Lors de mes premières
expériences d'enseignement sous forme de démarches de construction du savoir, j'étais
terrifiée à l'idée que les élèves pouvaient produire des idées fausses ! Je les incite
maintenant à oser les erreurs pour se permettre de penser.
III a Distinguer les phases d'apprentissage on favorise l'expression de l'erreur et
les phases d'évaluation où il faut respecter des normes.
Les séquences décrites en annexe sont au cœur de phases d'apprentissage. Elles
permettent d'élaborer des pensées, de construire des raisonnements. Elles demandent aux
lycéens d'aller puiser des ressources au plus profond d'eux-mêmes. L'atelier ne cherche pas
à travailler sur le subconscient, mais celui-ci est de toute façon sollicité.
La distinction entre le faux et le juste ne marche pas ici. Par exemple, lorsque les lycéens
réalisent une liste de mots évoqués par le sens ou le son du mot DROIT le professeur doit
tout écrire au tableau sans porter aucune critique. Souvent un mot paraît décalé par rapport
à la consigne (exemple, journaliste), et le texte produit finalement est enrichi par ce terme.
Parfois, les élèves créent des associations d'idées qui nous paraissent incompréhensibles
mais qui ont du sens pour eux. Le rôle des consignes est de faire produire du texte.
Elles peuvent être détournées sans cesser d'être productives.
L'objectif de ces ateliers n'est pas de faire penser juste, mais de permettre la réflexion. La
peur de faire faux bloque son émergence. Souvent, les lycéens orientés en STT manquent
de confiance en leurs capacités intellectuelles ; ils cherchent la rentabili en termes de
notes. Au lieu de réfléchir, ils essaient de deviner ce que le professeur attend d'eux pour se
conformer à ce modèle. Cette phase de travail est formative ; dans l'immédiat elle est
incompatible avec une approche normative.
Par la suite, les textes produits peuvent être remis en travail ; on cherchera les
incohérences, les erreurs, les fautes d'orthographe ou de syntaxe pour les corriger. Le travail
en projet peut prendre le relais et donner un sens puissant à la réécriture. Préparer une
intervention pour une radio locale, rédiger une page web ou élaborer un dossier d'épreuve
pratique destiné à emporter l'adhésion d'un jury. Corriger un texte à titre d'exercice est
ennuyeux, le perfectionner pour le socialiser permet de se construire soi-même. La norme
n'est pas forcément la note de l'enseignant, c'est la possibilité de rendre un texte
lisible par d'autres.
III b Encourager l'échange des textes, la réécriture du texte de l'autre, le pillage
Utiliser les mots des autres, s'emparer des textes des copains pour les déformer, les
prolonger, les détourner sont des jeux passionnants : on ne pense pas seul, mais en relation
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avec les autres. Dans un atelier la juxtaposition des textes produits crée une richesse
collective souvent jubilatoire.
La logique de l'atelier d'écriture encourage le partage : la lecture à haute voix d'un texte par
un élève est un don prodigieux de la part d'un adolescents. Il accepte de s'exposer devant
ses pairs. Dans ce contexte, il n'y a pas de compétition possible. Les lycéens apprennent le
regard positif sur les productions d'autrui.
La pratique de l'atelier d'écriture argumentative n'en est qu'à ses balbutiements.
Ce n'est pas un outil pédagogique neutre ; il s'appuie sur une vision positive et progressiste
de l'élève et de ses apprentissages.
L'atelier d'écriture a une place intéressante à prendre dans nos enseignements d'économie
et gestion parce que c'est une technique qui développe la capacité de penser et de
conceptualiser de nos élèves. Il les initie au bonheur d'écrire.
Il n'est ni un aboutissement, ni une fin en soi. Son objectif final n'est-il pas que chaque élève
se construise des stratégies d'écriture qui rendent le dispositif inutile ?
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