Rencontre Internationale de la Francophonie Economique : Québec les 16 et 20 mai Contraintes externes et avantages compétitifs dans l’espace francophone. Par Professeur Moustapha Kassé Introduction L’OIF va bientôt avoir plus de quatre décennies d’existence pendant lesquelles elle aura mis en place de multiples organisations qui, de l’aveu de beaucoup de ses responsables, ont produit des résultats mitigés voire assez médiocres. La preuve cette déclaration du Secrétaire général de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF), le Président Abdou Diouf, dans une tribune publiée dans Le Monde daté du 20 mars. Il observait avec justesse : « je ne parviens toujours pas à m’expliquer, ni à expliquer aux francophones militants qui vivent sur d’autres rivages, le désamour des Français pour la francophonie ». Il aurait pu y ajouter des canadiens, des québéquois et des citoyens des ACP qui sont les trois composantes de son organisation. Plusieurs analystes et chercheurs reconnaissent un malaise existentiel persistant et un déclin manifeste de l'intérêt de la classe politique à l'égard de la Francophonie. Malgré ses initiatives multiformes, ses différentes assises et ses généreuses et percutantes déclarations, elle n'a jamais réussi à s'imposer comme un espace économique et une priorité diplomatique pour l’ensemble de ses membres. Cette communication tente de répondre à deux interrogations : Pourquoi en est-il ainsi ? Cette question renvoie à une analyse sans conteste du contexte et des contraintes. Qu’est ce qu’il importe de faire valoriser nos atouts en vue d’une meilleure insertion dans une mondialisation à la fois darwiniste et incontournable. I/ Analyse du contexte et des contraintes de l’OIF Cela veut dire très concrètement trois réalités absolument intangibles que je vais citer très clairement La première réalité est qu’aucune des trois composantes de l’OIF ne peut et ne veut échapper aux modes de fonctionnement de la mondialisation à la fois libérale et compétitive : plus précisément aucun des Etats ne peut déroger aux règles organisationnelles et de gouvernance qui régissent la mondialisation. Elles signifient concrètement : multinationalisation de la production, libre circulation des de tous les biens et services, et déréglementions et décloisonnement des systèmes financiers. Gardiennage de cet ordre fortement inégalitaire par des gendarmes et des médecins dont tout le monde reconnaît leur inefficacité par le fait majeur qu’elles fonctionnent au profit quasi exclusif de leurs partenaires les plus puissants ce qui leur vaut d’être très fortement contesté. Il s’agit de l’OMC dont les Cycles sont en panne et aux arrêts, de la Banque mondiale en mal 1 de projets pertinents de développement et du FMI totalement incapable de gouverner l’architecture financière mondiale et de maîtriser les crises et les risques. La deuxième réalité intangible est constituée de trois faits auxquels l’OIF qui sont des contraintes majeures à savoir : premièrement que l’OIF dans son ensemble ne peut être en dehors de la mondialisation avec, en clair, le respect scrupuleux des règles de fonctionnement libérales et compétitives de l’ordre mondial au double plan économique et politique ; deuxièmement que la France ne peut ni sortir ni déroger aux règles de fonctionnement de l’Union Européenne et prochainement de l’Organisation de la Méditerranée en voie de formation. Il en va de même pour le Canada membre de l’ALENA et troisièmement que les ACP ne peuvent échapper à la grande offensive des nouveaux partenariats agressifs, efficaces et mutuellement avantageux que sont le « Plan d’Action de Beijing » avec la Chine, « l’AGOA » avec les Etats-Unis et d’autres en construction avec respectivement l’inde et le Brésil. Dans la perspective ces trois blocs domineront le monde économiquement politiquement dans un futur presque immédiat. Le troisième fait est l’unification ou au moins l’harmonisation, sous hégémonie anglo-saxonne, des modes de production et de consommation de tous les biens et à l’échelle planétaire. Cela ne sert à rien de continuer d’opérer des analyses, certes généreuses, mais qui à l’expérience vont s’avérer irréalistes et inefficaces du fait certainement de leur impertinence et de leur manque de robustesse analytique. L’époque actuelle est marquée par une mondialisation multipolaire et complexe dominée par la formation de puissants blocs de haute compétition. La Francophonie peut et doit y occuper une place centrale. II/ La francophonie comme vecteur économique : à partir des contraintes et des atouts comment construire des avantages compétitifs. Très clairement la priorité doit être donnée à l’économie sans laquelle rien n'est possible. Manifestement la Francophonie dans sa composition et ses formes actuelles d’organisation dispose de plusieurs atouts déterminants à partir desquels, il faudrait construire des avantages susceptibles de profiter aux divers partenaires. Cette partie va traiter de deux questions : - Quels sont les atouts majeurs qui constituent alors les données tangibles ? - Quels sont alors les chantiers économiques en relation avec les contraintes et les atouts ? 1. Les atouts tangibles de la Francophonie Tous les analystes insistent sur trois atouts qui sont en définitive déterminants pour la vie et la pérennité de la francophonie: Le premier atout est d’ordre économique : le poids économique est appréciable : un espace de 800 millions d’habitants, une surface commerciale comprenant 18,9 % des exportations et 19 % des importations mondiales 19 % du commerce mondial de marchandises. Les Échanges commerciaux entre les pays francophones se montent à 688,40 milliards $US. Les Investissements s’élèvent à 170,56 milliards $US (soit 26 % du total des investissements mondiaux). Deux grandes puissances économiques et financières membres du G8. 2 Le second atout est relatif à la densité politique présentée par 68 Etats membres soit plus du tiers des Nations Unies. La francophonie doit peser dans les affaires politiques du monde si elle s’en donne les moyens Le troisième atout est relatif à son vecteur d’unification ou d’harmonisation de l’espace : la langue commune de communication a une triple valeur culturelle, économique et sociale. Elle permet une meilleure harmonisation des modèles culturels donc une meilleure compréhension entre les acteurs. Ces aspects sont déterminants pour la production et les échanges de biens et de valeurs. Ce sont là des atouts remarquables à partir desquels, il faut bâtir un espace capable d’installer un jeu gagnant dans le système mondial. 2. La construction des avantages compétitifs dans l’espace francophone. Le premier axe est relatif aux orientations et aux options : Que voulons et que pouvons nous faire ensemble au regard des contraintes évoquées plus haut et des atouts que recèle l’espace ? Comment construire des avantages compétitifs c’est-à-dire fabriquer de bons produits, à de bons prix et pour accéder sur de bons marchés. Pour ce faire, trois investissements indispensables qui vont créer une série d’externalités positives et lancer une dynamique de croissance soutenue: des Investissements massifs dans les ressources humaines, des investissements dans le capital physique et les infrastructures de base et dans les TIC. Ces investissements créeront sans conteste les bases d’une véritable compétitivité. Le deuxième axe concerne les acteurs et les secteurs c’est-à-dire l’Etat et le secteur privé : ils doivent évoluer dans une parfaite synergie le premier faisant ce que le second ne peut faire. L’Etat doit être un Etat de qualité capable de faire fonctionner un système politique démocratique et de bonne gouvernance et des Entreprises innovantes doivent être au cœur des mutations c’est-à-dire savoir concevoir et produire dans des conditions très contraignantes de flexibilité, de qualité, de coûts et de délai en vue de pouvoir saisir toutes les opportunités qui lui sont offertes. Le troisième axe concerne les mécanismes institutionnels intégrateurs de mise en œuvre des actions retenues. Au-delà d’une politique de saupoudrage consistant à faire fonctionner une foultitude d’organismes sous-optimaux, l’OIF doit choisir de créer des institutions et des mécanismes pertinents et performants. En conclusion : Que doit faire la francophonie pour marquer sa présence sur la scène mondiale Ce n’est qu’en étant compétitive que la Francophonie peut affirmer une présence profitable dans la mondialisation. Partant de ses atouts assez substantiels, elle ne peut gagner qu’en développant ce qu’elle fait mieux que les autres acteurs du jeu mondial. Tout le monde s’accorde pour reconnaître que nous embrassons trop et conséquemment nous étreignons mal. Le monde d’aujourd’hui ne supporte ni l’ameteurisme, ni l’impréparation. Alors préparons les acteurs qui peuvent nous faire gagner : l’Etat, le Secteur Privé et les Acteurs locaux 3 Repenser l’économie francophone, suite aux analyses développées plus haut dans ce texte, appelle trois principes d’organisation et la mise en place d’institutions fonctionnelles et non bureaucratiques de mise en œuvre et de gestion des principes fondateurs. D’abord s’accorder sur des principes fondateurs robustes qui sont au nombre de trois : Préparer les acteurs et l’environnement à la compétition mondiale pour une insertion gagnante dans ce système ce qui suppose 4 options /actions : Le choix de son terrain La connaissance de ses aptitudes Le choix de ses acteurs Savoir les préparer. Développer et promouvoir des entreprises conjointes et leur donner les moyens nécessaires pour affronter la compétition et valoriser ou exploiter les atouts de l’espace francophone. Inscrire toutes les actions dans une dynamique d’intégration et d’élargissement de l’espace. En clair, il faut partir à l’assaut des communautés régionales, duNEPAD et des organisations similaires. Ensuite, créer des institutions multinationales en harmonie, en conformité avec ces principes et qui seraient tournées exclusivement vers leur mise en œuvre. Ces Institutions sont de trois ordres : Une Institution de Régulation et d’harmonisation de l’espace francophone. Une Institution d’Appui à la compétitivité des acteurs qui prendrait en charge la formation des ressources humaines, le renforcement des capacités et l’économie du savoir et de l’intelligence, Une Institution de financement donc de mobilisation de ressources pour les acteurs. Enfin l’indispensable restructuration qui, en dehors du Secrétariat général maintenu dans ses fonctions globales de Coordination et d’Impulsion, devrait instaurer une nouvelle cohérence, une nouvelle dynamique en relation avec la place que l’espace dans la configuration actuelle de la mondialisation. Pour terminer, jetons un énorme pavé dans la mare, la CFD française et de l’ACDI canadienne ne pourraient-elles ou ne devraient-elles pas rejoindre un système institutionnel francophone réorienté et rénové. Ces deux institutions n’auront jamais ni les ressources financières, ni la même efficacité institutionnelle, ni la surface d’intervention que l’USAID dont elles prétendaient être l’interface. 4