téléchargement - SVT Académie d`Orléans

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Les Théories de l'Evolution
L'idée d'évolution biologique est largement admise par les scientifiques : les espèces animales et
végétales actuelles sont issues d'autres espèces.
Au sein du monde vivant coexistent des groupes d'animaux, de végétaux très diversifiés mais aussi des
groupes très ressemblants. Par ailleurs, tous possèdent un même code génétique et une même unité de
structure et de fonctionnement : la cellule .
Comment expliquer cette diversité, ces ressemblances et cette unité ?
I - Les théories ignorant la génétique et la géochronologie
Elles ignorent Mendel ( et la génétique ) et la géochronologie ( stratigraphie,radiochronologie ).
A - Le créationnisme
1) Carl von LINNE ( 1707-1778 ) et la création unique
Il travaille sur le vivant et ignore les fossiles; c'est un classificateur ( père de la systématique ) et l'inventeur
de la nomenclature binominale.
Selon LINNE, les espèces sont le fruit d'une création unique par l'Etre suprème et ces espèces sont
définitivement fixées dès l'origine ( fixité des espèces).
2) Georges CUVIER ( 1769-1832 ) et les créations successives
Il étudie les Vertébrés fossiles, note que des espèces se sont éteintes et l'existence de faunes disparues
successives.
Il envisage ainsi des extinctions suivies de nouvelles créations et attribue les extinctions à des
cataclysmes à répétition ( " cataclysmisme", "catastrophisme" ); chaque création est d'essence divine et
les espèces sont ainsi définitivement fixées dès l'origine ( " fixisme " ).
Poussé à l'extrème, ce raisonnement conduit d'ORBIGNY à envisager la répétition de créations
successives.
Jusqu'au XIXème siècle, le créationnisme est la conception dominante; ses fondements sont
religieux
( création divine ). L'âge de la Terre est fixé à 6000 ans sur des bases bibliques.
Cette théorie est encore défendue par des fondamentalistes actifs aux USA .
Georges-Louis Leclerc, comte de BUFFON ( 1707- 1788 ) refuse ces théories catastrophiques et
privilégie les
" causes lentes " :
* en géologie : il estime à 75000 ans l’âge de la Terre mais ses écrits mentionnent 3 millions
d’années ;
* en biologie : il rassemble des espèces voisines en familles issues par diversification d’une
espèce unique.
B - L'évolutionnisme
Ce courant de pensée scientifique recherche des explications ( pourquoi et comment se déroule
l'évolution biologique ? ) qu'il soumet dans le meilleur des cas à l'épreuve des observations, de
l'expérimentation et de la critique.
1) Jean-Baptiste de LAMARCK ( 1744-1829 ) et le transformisme ( " lamarckisme " )
Principaux écrits
* Philosophie zoologique ( 1809 )
* Histoire naturelle des animaux sans vertèbres ( 1815 )
Observations de base
* existence de variations individuelles au sein de l'espèce;
* séries phylétiques de Mollusques fossiles montrant des modifications graduelles.
Principes de la théorie de Lamarck
* les êtres vivants sont adaptés à leur milieu;
* face à des variations durables de leur milieu de vie, les êtres vivants se transforment
( principe de transformation ) mais selon Lamarck, les espèces ne disparaissent jamais ( il n’y a ni
extinction ni bifurcation ) : elles se transforment en d’autres espèces;
* la transformation est réalisée par modification du corps;
( c'est le principe d'usage et de non-usage - les organes utiles se développent , les organes inutiles
s'atrophient - principe exprimé par " la fonction crée l'organe " );
* les transformations sont graduelles et difficilement perceptibles;
* les transformations acquises par l'individu sont transmises à la descendance
( principe de l'hérédité des caractères acquis ) et s’additionnent au fil du temps;
* l'évolution va dans le sens d'une complexification des êtres vivants.
Exemples célèbres
* l'atrophie des yeux de la Taupe vivant dans l'obscurité;
* l'allongement du cou de la Girafe forcée de brouter les feuilles à la cime des arbres lors des
périodes de sécheresse. La girafe voulant allonger son cou pour atteindre la cime des arbres a
provoqué le développement de celui-ci par l'usage et a transmis ce caractère à sa descendance.
En résumé - Il y a auto-adaptation active des organismes grâce à une " volonté interne " ou " force
interne " et en réponse aux variations durables du milieu; le milieu et ses variations ont un rôle essentiel
car ils induisent les transformations des individus ( " à nouveau milieu , nouveaux besoins " ). Les acquis
de l'individu sont transmis à la descendance.
NB : la " volonté interne " impliquée par Lamarck ne recouvre ici en rien un effort conscient de l’individu.
Objections et critiques
* les variations des individus au sein de l'espèce ne sont pas forcément adaptatives;
* l'hérédité des caractères acquis n'a jamais été démontrée; il en est de même pour...
* les mécanismes de la transformation sous l'influence déterminante du milieu;
* l'argumentation de Lamarck, purement intellectuelle, ne repose sur aucune base expérimentale.
Un héritage du lamarckisme : le " finalisme "
On dit " l'animal a évolué pour......."
alors que l'on doit dire et penser
" chez cet animal, L'EVOLUTION A EU POUR EFFET DE...... "
Chez Etienne Geoffroy SAINT-HILAIRE ( 1772-1844 ), l’idée de transformation des espèces s’appuie sur
de solides observations d’anatomie :
* les organes conservent toujours entre eux les mêmes relations ( loi des corrélations
anatomiques ), aucun organe nouveau ne se crée ( loi de permanence ) et un organe ne peut se
développer qu’au détriment d’un autre ( loi du balancement ) ;
* l’unité des plans d’organisation des animaux suggère que des espèces peuvent provenir d’une
espèce primitive par développement d’un organe au dépens d’un autre ;
* les monstres humains et animaux résultent de la transformation imparfaite et accidentelle de
l’individu.
2) Charles DARWIN ( 1809 -1882 ) et le darwinisme
Principaux écrits
* L'origine des espèces ( 1859 )
* De la descendance de l'Homme ( 1871 )
Bases du darwinisme
* des observations rigoureuses ( voyage autour du Monde sur le Beagle, pinsons des Galapagos,
faune et flore de Patagonie );
* les travaux des cultivateurs et des éleveurs : par sélection artificielle ( tri orienté ), les variétés
domestiques ont été obtenues à partir des espèces sauvages ( bétail, chien, poule, pigeon ).
Principes de la théorie de Darwin
Certains sont des emprunts à Lamarck et à Malthus mais Darwin y ajoute les siens constituant ainsi un
ensemble véritablement cohérent .
* Les individus d'une même espèce manifestent une variabilité ( cf. Lamarck ) et cette variabilité
est héréditaire ( transmise des géniteurs à la descendance );
* la variabilité au sein de l'espèce est le matériau du changement évolutif;
* les ressources du milieu de vie limitent l'excédent des populations ( cf. Malthus );
Mécanismes évolutifs proposés par Darwin
* les ressources du milieu ( aliments, gîtes ) étant limitées, il y a compétition entre individus d'une
espèce et, de même, entre espèces;
* la compétition conduit à la sélection naturelle des individus les plus aptes à vivre dans un milieu
donné aux ressources limitées et ainsi l’adaptation des espèces à leur milieu de vie est expliquée par la
sélection naturelle;
* les individus sélectionnés se reproduisent , assurent la continuité de l'espèce et transmettent à
leur descendance leurs caractères favorables ( cf. hérédité des caractères acquis chère à Lamarck );
* il en résulte une évolution par transformation lente et graduelle de l'espèce
( cf. transformisme déjà énoncé par Lamarck );
* les espèces qui se ressemblent dérivent probablement d'un ancètre commun.
* A la sélection naturelle, Darwin ajoute une sélection sexuelle responsable de la transmission à la
descendance d'attributs plus ou moins spectaculaires, plus ou moins attractifs pour le partenaire, plus ou
moins efficaces dans les rivalités ( plumage des oiseaux, queue du paon, ergots du coq, bois des
Cervidés).
Exemple célèbre : l'allongement du cou de la Girafe selon Darwin
Au sein d'une population de girafes, le cou présente des variations de longueur. Quand les feuillages se
font rares ou clairsemés ( période de sécheresse ), les individus aux cous les plus longs peuvent atteindre
les feuilles inaccessibles aux autres et ont donc plus de chance de survivre et de transmettre leur
caractère.
En résumé - Pour Darwin, l'élément déterminant de l'évolution est la compétition ( " struggle for life " )
entre individus d'une espèce douée de variabilité; le milieu de vie à un rôle de sélection ( survie des plus
aptes ) .
Objections et critiques sur 2 points fondamentaux :
* Darwin ne fournit aucune explication à la variation et à la variabilité ( aptitude à varier ) des
espèces.
* Comme Lamarck, il ne donne pas d’explication satisfaisante de l’hérédité et ne démontre pas
l'hérédité des caractères acquis .
Cependant, le darwinisme apparaît comme la première théorie scientifique de l'Evolution car basée sur
des observations rigoureuses, une expérimentation personnelle, l'analyse critique des travaux des
éleveurs ( qui pratiquent une " sélection artificielle " orientée ).
3) Auguste WEISSMANN ( 1834 -1914 ) et le " darwinisme épuré "
Cette version du darwinisme voit le jour en 1883 quand Weissmann reprend des idées de Darwin (
sélection naturelle, compétition ) tout en rejetant le dogme de l'hérédité des caractères acquis.
Il montre que les cellules de la lignée germinale (germen) s'isolent très précocement des cellules de la
lignée somatique (soma ); le soma étant seul susceptible d'acquérir des caractères, ceux-ci ne peuvent
pas être transmis aux descendants via les cellules germinales.
Il est également célèbre pour ses expériences sur des générations de souris amputées de la queue : ce
caractère " acquis "
( perte de la queue ) n'est jamais transmis à la descendance.
Cette version du darwinisme ne retient donc comme mécanisme de l'évolution que la sélection naturelle .
Important - Même si Weissmann ne parle pas encore de lignée germinale, on lui doit la théorie du "
plasme germinatif " et la distinction soma / germen . Le plasme germinatif immortel est transmis de
génération en génération et il assure la transmission des caractères au fil des générations.....La notion de
lignée germinale est sous-jacente et Weismann apparaît ainsi comme le précurseur direct de la théorie
chromosomique de l'hérédité ( Morgan ).
4) Hugo de VRIES ( 1848 -1935 ) et le mutationnisme
Bases : Les mutations sont percues dès le XVIIIème siecle par Maupertuis puis Lamarck et Darwin mais
de Vries, le premier, les nomme et les définit comme de brusques transformations spontanées et
héréditaires i.e. transmises à la descendance .
Principes de la théorie de de Vries
Selon la théorie mutationniste de l'évolution, les nouvelles espèces apparaissent brusquement
sans formes intermédiaires par macro-mutations ( c’est à dire par de grosses variations héréditaires entre
parents et descendants ) et sont immédiatement stables. La sélection naturelle ne retiendra que ce qui est
adapté au milieu.
Ceci va à l'encontre du transformisme graduel et lent cher à Lamarck et Darwin
Exemple célèbre : l'allongement du cou de la Girafe selon de Vries
Dans des populations de girafes à petit cou sont apparus spontanément et indépendamment du
milieu des individus à long cou. Ces individus, bien adaptés [ ils peuvent atteindre les feuilles inaccessibles
aux autres en période de sécheresse ] furent à l'origine d'une nouvelle espèce de girafe à long cou.
II - Les théories intégrant la génétique et la durée des temps géologiques
Les lois de Mendel (re)découvertes en 1900 chez les animaux et les végétaux donnent son essor à la
génétique
( science de l'hérédité ).
A - La génétique généalogique selon MORGAN ( 1900 )
Un élément nouveau : Les gènes localisés dans le noyau sur les chromosomes sont les supports de
l'hérédité . Des relations sont connues entre gènes et caractères et des cartes de distribution des gènes
sur les chromosomes sont établies.
Des bases expérimentales : Transmission héréditaire étudiée sur des élevages de Drosophile avec une
attention particulière pour les mutations.
Mécanismes du changement évolutif :
* La mutation et uniquement la mutation
La sélection naturelle chère à Darwin n'est pas prise en compte ; il n'y a pas ici d'orientation de l'évolution
sous l'influence du milieu .
* Niveau d'application : la mutation est considérée à l'échelle du couple de géniteurs et de sa
descendance; à l'extrème, il suffit d'un couple avec individu(s) muté(s) pour qu'apparaisse une nouvelle
espèce.
En résumé - " c'est du mutationnisme ( H. de Vries ) sans la sélection naturelle et avec un support et une
explication à l'hérédité ".
La critique :
Elle vient des zoologistes et surtout des paléontologistes. Les mutations sont des phénomènes
aléatoires et brusques or la paléontologie et la zoologie révèlent des lignées . Ces lignées montrent des
transformations progressives [ ce qui va à l'encontre de la brutalité des mutations ] et des directions de
transformation maintenues sur de longues périodes dans de longues lignées [ ce qui va à l'encontre du
caractère aléatoire des mutations ].
La conciliation avec la sélection naturelle est difficile : la génétique généalogique est centrée sur la
transmission des caractères existants et donc leur maintien ; les individus issus de mutations sont
d’emblée adaptés à leur milieu et non soumis à la sélection.
B - La génétique évolutive des populations ( # 1920 ): les généticiens
néo-darwiniens
Fischer et Haldane ( Grande Bretagne ), Wright ( U.S.A. ), L'Héritier et Teissier ( France )
* Ils situent le problème à l'échelle des populations .
Au départ est déterminée la fréquence de tel allèle au sein d'une population ; les variations de cette
fréquence sont suivies au fil des générations successives.
Tout changement évolutif réside dans les variations de fréquence allélique et celles-ci sont influencées
par l'environnement , le milieu de vie par le biais de la sélection naturelle ( cf. Darwin ).
En résumé : les processus évolutifs sont ramenés à des changements de fréquence allélique.
* Les critiques viennent des naturalistes, systématiciens et paléontologistes : où se situe le lien
entre les changements de fréquence allélique au sein des populations et les faits évolutifs
( évolution des espèces, apparition de nouvelles espèces, apparition de nouveaux taxons ) ?
C - La théorie synthétique ( # 1940 ) ou néo-darwinisme
Julian Huxley, Ernst Mayr, Théodosius Dobzansky, George Gaylord Simpson
En 1942, J. Huxley crée le terme de synthèse évolutive pour cette théorie qui unit les connaissances de
toute la biologie [ biochimie, biochimie de l'hérédité, génétique généalogique et génétique des populations,
cytologie, physiologie du développement, biologies animale et végétale, écologie, éthologie,
biogéographie, paléontologie, systématique ], de la géologie [ en particulier la radiochronologie et la
tectonique globale] et l'analyse mathématique.
Présentée ainsi, la théorie synthétique de l'évolution n'est pas un dogme mais un instrument de travail
susceptible d'évoluer en intégrant sans cesse les derniers progrès et découvertes.
Principes de la Théorie synthétique
1) principe prenant en compte le temps à l'échelle géologique :
* la structure de l'espèce est restée identique du passé à l'actuel ( cf. définition de E. Mayr );
* les mécanismes actuels de l'évolution sont les mêmes que ceux ayant agi dans le passé.
[ " c'est l'actualisme appliqué à l'évolution " ]
2) l'unité évolutive : la population
* l'espèce, constituée de populations, manifeste une variabilité héréditaire;
* l'unité évolutive n'est pas l'individu ni le couple de géniteurs et sa descendance mais la population
[ la génétique généalogique mendélienne s'efface derrière la génétique des populations ].
3) le changement évolutif :
La théorie synthétique reconnait l'existence de 2 modalités évolutives: anagènèse et cladogènèse.
L'anagènèse correspond à l'évolution temporelle d'une lignée unique ( transformation discrète, graduelle
et irréversible : la transformation évolutive ne peut pas être ici une transformation radicale majeure - i.e.
totale, immédiate et de grande amplitude - car elle romprait l'adaptation de l'individu à son milieu ). Dans
ce cas , une lignée descendante remplace une lignée ancestrale dans la continuité.
La cladogènèse correspond à la scission d'une lignée ancestrale en 2 lignées descendantes.
Le gradualisme phylétique postule une évolution lente, progressive par sommations de petits
changements
( micro-évolution ).
4) mécanisme du changement évolutif :
Les transformations évolutives sont dues à des changements génétiques élémentaires aléatoires et
brusques
( mutations ponctuelles, géniques et chromosomiques ====> ou mutation au sens large ).
5) orientation du changement évolutif : la sélection naturelle
A toute mutation s.l. ( et à la transformation correspondante ) peut être attribuée une valeur adaptative et
sélective
* valeur positive si elle procure un avantage par rapport aux individus non mutants;
* valeur négative dans le cas inverse.
Ces transformations sont triées par le milieu via la sélection naturelle: un allèle est retenu ou éliminé en
fonction de sa valeur adaptative.
La sélection naturelle ne doit pas être abordée sous l'angle négatif de l'élimination de l'individu le plus
faible mais sous l'angle positif d'une population qui s'adapte au milieu de vie grâce à la transmission aux
descendants des allèles avantageux pour l'espèce dans ce milieu.
La théorie synthétique concilie la sélection naturelle et la génétique mendélienne.
6) l'effet amplificateur du temps.
Si une ( ou des ) mutation(s) favorable(s) se produi(sen)t en grand nombre dans une population et si
elles se répète(nt) sur plusieurs générations, alors les mutants favorisés envahissent la population qui
évolue naturellement vers une autre espèce. Les processus évolutifs sont ramenés à des changements de
fréquence allélique au sein des populations.
Avec le temps, au fil des générations, et par addition / répétition de changements minimes (
micro-évolution ) se produisent des transformations majeures ( macro-évolution ) .
[ voir l'exemple de " L'origine et la radiation des Mammifères "]
Remarques : la théorie synthétique présente des aspects darwiniens tels que
* la variabilité des espèces,
* la transformation lente et graduelle ( déjà énoncée par Lamarck ),
* la sélection naturelle .
Critiques des paléontologistes, systématiciens embryologistes :
quel est le lien entre les changements de fréquence allélique et les changements évolutifs ou encore le
lien entre les changements de fréquence allélique et les changements de phénotype?
La solution réside dans la prise en compte de la génétique du développement en plein essor . En effet, la
théorie synthétique a ignoré la génétique du développement passant directement du gène à l'organisme
soumis au contraintes de l'environnement .
III - Les controverses : débats récents ou actuels
A - Dans le cadre de la spéciation
1) le problème de la définition de l'espèce
* L'espèce biologique, selon E. MAYR, donne la primauté au critère naturel d'interfécondité.
L'espèce est un groupement de populations interfécondes ( interfécondité réelle ou potentielle ) entre elles
et reproductivement isolées ( non interfécondité ) des groupements voisins. Une espèce occupe une niche
écologique particulière.
* Pour l'espèce paléontologique , seul peut être retenu le critère morphologique puisque l'interfécondité ne
peut pas être prise en compte.
* La définition de l'espèce selon le paléontologue J.CHALINE intégre les 2 dimensions : Espace et
Temps . L'espèce est un continuum spatio-temporel entre des populations naturelles qui, à chaque instant
de ce continuum sont interfécondes entre elles et isolées sur le plan reproductif de tout autre groupe
analogue.
Discussion
* La prise en compte de la seule morphologie est à éviter car il existe des animaux qui ne peuvent être
morphologiquement distingués et font pourtant partie d'espèces différentes ( non interfécondité ). Il existe
à l'inverse des espèces où les individus sont très différents sur le plan morphologique ( dimorphisme
sexuel, espèces parasites ) . Enfin, il existe des espèces polytypiques telle que la mésange charbonnière (
Parus major ) identique de la Bretagne au Kamchatka mais avec une sous-espèce en Iran ( P.m.major ) et
une en Inde/Indochine ( P.m.minor ).
* Prise en compte de la morphologie au cours du temps : comment tracer les limites d'une espèce au
cours du temps ?
Exemple de Musca domestica - A l'automne les mouches disparaissent sauf quelques unes qui
hibernent et sont à l'origine des générations de l'année suivante. Le lien d'interfécondité existe mais
peut-on l'étendre entre les générations de Musca domestica de 1789 et 1968 ? Les documents (
iconographie, collection ) indiquent que la morphologie est restée inchangée .... Le lien morphologique
devient alors décisif.
Cas des espèces paléontologiques - Un dépot sédimentaire renferme des coquilles d'apparence
identique qui sont rassemblées en une même espèce or entre 2 coquilles situées à quelques centimètres,
décimètres ou mètres d'écart de cote d'altitude, plusieurs milliers ou millions d'années se sont écoulés.
Pour établir qu'il s'agit de la même espèce ( populations reliées par interfécondité ), des analyses
biométriques et statistiques très fines sont nécessaires mais là encore l'interfécondité est déduite de la
morphologie.
2) la spéciation : de l'interfécondité initiale à l'isolement reproducteur
a) spéciation allopatrique
# C'est la formation d'espèces par isolement géographique : la rupture de l'aire de répartition de l'espèce
scinde celle-ci en populations géographiquement disjointes; des barrières empèchent les échanges entre
ces populations isolées.
- Exemples de barrières : - érection d'une chaîne de montagnes,
- extension d'un bras de mer,
- développement d'une zone climatique défavorable
( désert, forêt tropicale humide ).
- La spéciation allopatrique est fortement liée à la dynamique des masses continentales et à
l'eustatisme.
# Les modèles de spéciation allopatrique et leur aspects génétiques
- modèle symétrique ( ou en haltère ):
l'espèce se trouve ici scindée en 2 ensembles à peu près équivalents et chaque ensemble évolue en une
nouvelle espèce différente de la souche et de son vis à vis du fait de la rupture du flux de gènes qui
maintenait l'unité de l'espèce souche.
- modèle asymétrique ( étranglement spatial des effectifs et isolats périphériques ):
L'espèce souche est ici scindée en 2 ensembles numériquement très différents. La population isolée en
périphérie est peu nombreuse [ quelques individus et , à l'extrème, un seul individu dit " individu fondateur
" ] . Les populations isolées les plus distantes de la souche en sont aussi les plus différentes. Sur le plan
génétique, l'isolat périphérique présente une chute considérable de sa variabilité ( il ne présente qu'une
faible part du pool génétique de la souche ) et des variations aléatoires de la fréquence des allèles ( dérive
génique ) : certains allèles rares dans la souche peuvent devenir prédominants ou être complètement
éliminés. De plus, l'effectif réduit renforce fortement la consanguinité et l'homozygotie et donc les chances
de fixer un caractère nouveau.
Généralement, ces isolats s'éteignent d'autant plus vite qu'ils se trouvent placés dans des conditions
écologiques limites pour la souche , mais si ils survivent, ils sont à l'origine d'une nouvelle espèce inféodée
à une nouvelle niche écologique.
b) spéciation sympatrique
# C'est la formation d'espèces sans isolement géographique.
Autrefois attribuée à des mutations de grande ampleur, l'apparition de grands types morphologiques
nouveaux peut relever de la modification du scénario du développement : décalage chronologique des
différentes phases du développement illustré par l'exemple imaginaire des " loups à cornes ".
Dans le cas des végétaux, des espèces nouvelles proviennent souvent de de la multiplication brutale du
nombre de chromosomes ( polyploïdisation ).
Les exemples naturels actuels montrent la prédominance de la spéciation allopatrique à partir d'isolats
périphériques ( ex: Pouillot de l'Himalaya Phylloscopus trochiloïdes ).
B - Que deviennent les espèces après leur apparition ?
1) le gradualisme phylétique ( = gradualisme = spéciation phylétique )
SIMPSON ( 1940 )
Principe du gradualisme : tout changement évolutif , quelle que soit son ampleur, ne peut s'opérer que par
l'addition de changements élémentaires tous orientés dans le même sens. Ainsi, dès son individualisation,
l'espèce montre une transformation lente et progressive ( i.e. graduelle ) au cours du temps (anagènèse )
entrecoupée de ramifications sources de nouvelles lignées ( cladogènèse ).
- Exemples paléontologiques : ils sont issus de cas favorables où des fossiles, en populations
numériquement nombreuses, proviennent d'un gisement bien circonscrit couvrant, par le nombre de
strates occupées, une large tranche de temps ( longue durée stratigraphique ).
L'étude consiste en une analyse biométrique et statistique fine de la variabilité .
- Ammonites telles que Zugokosmoceras ( Callovien ),
- Oursins du genre Micraster,
- Foraminifères, Radiolaires,
- Madréporaires du genre Zaphrentis
- Equidés.
- Exemples actuels : Mammifères tels que rats taupiers ( Campagnols = genre Arvicola )
- Caractéristiques :
* il existe de longues périodes caractérisées par la " dérive " de la moyenne de la population ;
* au sein des populations échantillonnées, on note la modification des fréquences des divers phénotypes;
* de nouveaux types numériquement modestes au départ deviennent dominants puis régressent et
disparaissent;
* assez rares et brèves phases de cladogènèse souvent explosives.
Pour les défenseurs du gradualisme, il y a 2 modalités évolutives: l'anagènèse - source de progrès - et la
cladogènèse - source de diversité.
2) le saltationnisme
A l'idée d'évolution graduelle, GOLDSCHMIDT et SCHINDEWOLF opposent une possibilité d'évolution
discontinue par sauts morphologiques ( "saltationnisme" ) permettant le passage d'une organisation à
une autre sans le passage par des formes, stades ou étapes intermédiaires.
De tels sauts seraient déclenchés par des mutations impliquant des remaniements de grande ampleur
du programme génétique et conduisant à l'apparition de " monstres prometteurs " à l'origine de nouvelles
lignées.
3) les équilibres ponctués ( = équilibres intermittents ) selon ELDREDGE et GOULD (
1972 )
a) la remise en cause du gradualisme :
Dans les séries fossiles manquent fréquemment les formes intermédiaires: pourquoi ?
Pour les partisans du gradualisme, cela est dû aux lacunes de sédimentation, à une sédimentation ne
permettant pas de bonnes conditions de fossilisation, à des modifications des caractéristiques écologiques
entrainant la disparition locale ( mort ) ou la migration des formes intermédiaires.
Eldredge et Gould contestent le gradualisme du fait même de la rareté de ces formes intermédiaires
( = transiants ) entre les extrèmes d'une même lignée et du fait de la stabilité des espèces au cours du
temps
[ la stabilité de certaines espèces est un des faits de base de la stratigraphie ].
A ces arguments paléontologiques, ils ajoutent que la prépondérance de la spéciation allopatrique (
E.Mayr ) à partir d'isolats périphériques ne va pas dans le sens du gradualisme.
b) le modèle des équilibres ponctués :
Modèle fondé sur la formation des espèces selon le mode allopatrique de E. Mayr, il considère qu'une fois
formées, les espèces montrent de longues périodes de stabilité et de brèves périodes de variation brutale
( périodes brèves quasi instantanées à l'échelle géologique ) au cours desquelles elles donnent naissance
à de nouvelles espèces.
- Exemples : trilobite Phacops rana, mollusques des Bermudes
On y observe dans un niveau inférieur une espèce ancestrale et dans un niveau supérieur une espèce
descendante mais pas de formes intermédiaires dans les niveaux moyens ( comme le gradualisme le
laisse espérer ). De plus, l'espèce descendante montre parfois des différences marquées avec l'espèce
ancestrale . Eldredge et Gould n'attribuent pas cela à l'imperfection des archives paléontologiques mais à
une spéciation par isolement géographique d'une population à effectif réduit.
- Généralisation :
* un groupe réduit d'individus s'isole géographiquement ( " isolat " ) d'une espèce souche;
* l'isolat montre une évolution différente de celle de la population souche ( dérive génique );
* à terme, cet isolat peut conduire à une nouvelle espèce ;
* cette nouvelle espèce peut étendre son territoire et envahir celui de la population souche qui s'éteint plus
ou moins rapidement car supplantée par l'espèce fille plus compétitive.....i.e exploitant mieux le dit
territoire.
Ce modèle explique le remplacement brutal d'une espèce par une autre dans les archives
paléontologiques.
- Implications pour Eldredge et Gould :
L'évolution n'est pas lente et régulière mais faite d'évènements rares et complexes qui brisent la stabilité,
l'équilibre des espèces [ d'où le terme d'équilibres ponctués ] . La vraie anagènèse ( transformation
graduelle d'une espèce ) est rare .
- Retour à un exemple célèbre : la Girafe selon Eldredge et Gould
Un groupe réduit de girafes s'isole géographiquement ( " isolat " ) de l'espèce souche ( girafes à cou de
longueur modeste ). L'isolat, par dérive génique, évolue en une nouvelle espèce ( girafe à long cou ) qui
envahit le territoire de l'espèce souche et l'y supplante. Ce scénario est séduisant mais il est difficile d'y
ranger les espèces fossiles de girafe dont le cou dépasse en longueur celui des girafes actuelles.
Conclusion et synthèse : la coexistence du gradualisme et des équilibres ponctués
Eldredge et Gould ne nient pas le gradualisme mais ils en contestent l'universalité; les 2 modèles ne
s'excluent pas et sont bien démontrés en tant que modalités évolutives des lignées.
C - Dans le cadre de la sélection
1) structure génétique des populations
a) le modèle classique ( = hypothèse classique ou théorie classique )
Modèle défendu par H.J.MULLER ( 1950 ) et s'appuyant sur les travaux de Morgan ( Drosophile existence de gènes létaux, évolution de populations artificielles en vase clos )
* On appellera " pool génique " d'une population l'ensemble des génotypes individuels de la population ,
considérés pour tous les locus.
* Selon le modèle classique, la population possède comme pool génique :
- un allèle sauvage ( + ) à chaque locus,
- l'allèle sauvage a une fréquence proche de 1,
- les individus homozygotes ( + / + ) pour chaque locus sont prédominants,
- des allèles mutants m existent pour chaque locus mais leurs fréquences dans la population
sont très
faibles de sorte que
- les individus hétérozygotes ( m / + ) sont très rares,
- les différences entre individus tiennent au fait qu'ils sont hétérozygotes pour des locus différents,
- l'individu idéal est donc homozygote ( + / + ) pour tous ses locus.
* Selon ce modèle,
1) les individus ne diffèrent que par quelques locus pour lesquels ils sont hétérozygotes,
2) les populations sont génétiquement peu variées et les variations n'existent qu'entre populations
géographiquement différentes,
3) les allèles mutants m défavorisés sont régulièrement éliminés par voie de sélection ( sélection
épuratrice de l'allèle mutant m et conservatrice de l'allèle sauvage + ),
4) la population ne peut évoluer que par l'apparition d'un allèle mutant plus bénéfique que l'allèle
sauvage; ce nouvel allèle finit par éliminer l'allèle qui le précédait au locus ( sélection novatrice: élimination
de l'ex-allèle sauvage; l'allèle mutant plus bénéfique devient à son tour l'allèle sauvage ) .
Contestation du modèle classique :
1) de nombreux allèles existent pour un même locus avec des fréquences non négligeables
( polymorphisme génique ...... confirmé, entre autres, par le polymorphisme enzymatique ),
2) les hétérozygotes pour de très nombreux locus sont très fréquents dans les populations
( poymorphisme génétique des populations ) et ne sont pas désavantagés ( hétérosis ) ,
3) les allèles mutants défavorables ne disparaissent pas mais se maintiennent avec des
fréquences très faibles au sein des populations ( cf. hétérozygotie : allèles récessifs masqués chez les
hétérozygotes ).
b) le modèle balancé ( = hypothèse balancée ou théorie balancée )
Modèle reposant sur les travaux de DOBZANSKY ( 1937 ) et FORD ( 1955 et 1964 ) et portant sur des
populations naturelles.
Selon ce modèle:
* Il n'existe pas de populations naturelles génétiquement homogènes ;
au contraire, les populations naturelles montrent un très fort polymorphisme génétique.
* Il n'existe pas un type sauvage ou normal et prédominant;
au contraire, pour de nombreux loci, il existe au sein de la population plusieurs allèles ayant des
fréquences intermédiaires ( polymorphisme génique ).
* Un individu typique est hétérozygote pour de nombreux loci et tous les individus diffèrent pour de
nombreux loci; il n'y a pas d'haplotype ni de génotype idéal.
* Le polymorphisme génique ( allélique ) se maintient au fil des générations car la valeur sélective du
porteur d'un allèle X donné dépend :
- de l'allèle X lui même mais aussi
- des allèles voisins présents aux autres loci,
- du milieu de vie de l'individu porteur........
* La sélection, dans un milieu donné, ne s'exerce pas sur un allèle X donné mais sur une association
d'allèles
( allèle X et allèles voisins )...dans un milieu donné d'où le terme de sélection balancée.
* La sélection balancée contribue au maintien du polymorphisme génétique des populations et ce
polymorphisme génétique offre à l'espèce de fortes possibilités d'adaptations quand changent les
conditions environnementales.
Résumé
Modèle classique
* pour chaque locus : allèle + , f # 1 et allèle - , f # 0
* individus + / - très rares et individus + / + très fréquents
Modèle balancé
* pour chaque locus : existence de très nombreux allèles a1, a2, a3,
ai,
an avec 0 < f an < 1
* individus majoritairement aiaj pour de très nombreux loci
Problème
Sait-on déterminer les associations alléliques avantageuses dans un milieu donné où lors d'un
changement des conditions environnementales ?
2) la controverse " sélectionnisme - neutralisme "
Pour les sélectionnistes: la plupart des ( allèles nouveaux apparus par ) mutations se fixent dans les
populations ( et les espèces constituées de ces populations ) parce qu'elles sont avantageuses pour les
porteurs dans le milieu où ils vivent ( sélection darwinienne ) . La sélection est donc ici positive.
Pour les neutralistes( Motoo KIMURA - 1968, 1983 )
Les travaux de M. Kimura portent sur les enzymes et l'évolution au niveau moléculaire.
Selon cette école, l'effet de la sélection est inexistant
* les allèles sont sélectivement neutres ( pour un locus donné, tous les allèles ont une valeur
sélective ou adaptative identique ) [ sur le plan biochimique, le remplacement de certains nucléotides au
locus du gène aboutit bien au remplacement d'acides aminés dans les molécules enzymatiques mais, ces
molécules ayant une efficacité identique, la sélection n'a pas de prise sur ces allèles.... Ceci est sans
doute exact dans de nombreux cas mais des contre-exemples sont connus tels que des déshydrogénases
chez Drosophila melanogaster ]
* les mutations apparues se fixent au hasard;
seules les mutations délétères ( létales ) sont éliminées mais pour les autres, le milieu n'a aucun rôle
sélectif car ces nouveaux allèles sont sélectivement neutres ( i.e. ni avantageux ni désavantageux ) dans
le milieu où vivent les porteurs. Le milieu est ici non contraignant et la sélection est inopérante .
* La dérive génique, associée à la spéciation allopatrique, devient la composante majeure de
l'évolution mais, comme elle conduit les populations à l'homozygotie, le polymorphisme génétique est
maintenu par les mutations et les migrations.
Les neutralistes ne nient pas l'existence de mutations favorables mais ils en réduisent l'impact car ils
considèrent qu'elles sont trop rares pour avoir un impact déterminant à long terme dans l'évolution . De ce
fait, ils réduisent l'importance de la sélection positive darwinienne.
Quelle est la place de la sexualité dans tout cela ?
La reproduction sexuée fait intervenir méiose ( intégrée à la gamétogénèse chez les Métazoaires
) et fécondation . Les brassages intrachromosomique [ crossing-over ] et interchromosomiques [
séparation aléatoire des homologues ] lors de la méiose sont à l'origine de la pureté et de la diversité
génétique des gamètes......... Il n'y a pas production de 2 gamètes identiques génétiquement au cours de
la vie d'un géniteur !
L'appariement des gamètes lors de la fécondation aboutit donc à un zygote puis un individu singulier ou
original sur le plan génétique [ sauf cas de jumeaux vrais ].
La sexualité est donc " une machine à faire du différent " (cf. A. Jacquard ) ou encore une " machine à
faire de la variabilité ". Or la variabilité des espèces est la condition indispensable à leur évolution.
Didier GRANDPERRIN
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