Les origines de l'homme – Pascal Picq 20 mars 2007 page 2/4
3. Ainsi commencent des collections d'organismes vivants, de roches, de fossiles : les "curiosités de la
nature". Charles Linné publie en 1758 "Le système de la nature ", il cherche à trouver des lois dans la
nature comme on a trouvé des lois dans la mécanique céleste. Il crée l'ordre des primates et de l'Homo
sapiens. Avec les voyages on connaît les singes, ils arrivent en Europe. En 1798, la dissection de l'un
d'eux montre qu'il ressemble plus à l'homme qu'aux autres singes. Apparaît alors la notion de "grands
singes". Montesquieu, Diderot, Rousseau se posent la question de l'appartenance de ces grands singes au
"genre humain". Ils inspirent une réelle fascination, Diderot va jusqu'à imaginer un hybride entre une
femme et un orang-outan ! Le XVIIIe siècle était extrêmement ouvert sur la place de l'homme dans la
nature. Cela ne pose pas de problème pour la religion car il est admis que Dieu a ainsi réalisé la création,
et que celle-ci n'a pas évolué.
4. Les choses vont changer avec Jean-Baptiste de Lamarck, disciple de Buffon. Il est le premier à
interpréter cette ressemblance comme une relation généalogique. C'est le "transformisme" avec l'idée que
les espèces peuvent se modifier. Il dresse l'échelle naturelle des espèces dans laquelle la ressemblance est
une relation d'ancêtre à descendant. L'idée, que l'on retrouve en philosophie, est que le singe va devoir
sortir de la forêt car la savane avance, qu'il va se redresser, devenant "homme".
5. Charles Darwin (1859) et Thomas Huxley (1863) vont tout bouleverser : "l'homme et les grands singes,
et en particulier les gorilles et les chimpanzés, se ressemblent beaucoup plus entre eux qu'ils ne
ressemblent aux autres singes". Effectivement les singes sont des mammifères, ils ont 5 doigts tous
terminés par des ongles (un doigt s'écarte pour attraper les branches) au bout des mains et des pieds, un
gros cerveau avec une face en retrait, des yeux juste de part et d'autre de la racine d'un vrai nez, 32 dents
comme l'homme, et un centre du visage dépourvu de poil. Les grands singes (chimpanzés, gorilles,
orangs-outans, bonobos) ont tout cela, plus une cage thoracique d'avant en arrière, et des omoplates dans
le dos qui permettent la suspension. Or la suspension, c'est découvrir le monde verticalement, c'est donc
la porte ouverte à la marche debout ! Tout cela sera confirmé un siècle plus tard avec la génétique.
Mais le singe devient la honte des origines : "Mon Dieu, l'homme descend du singe, pourvu que cela ne
soit pas vrai, mais si cela l'était, prions pour que le peuple ne le sache pas "(reine Victoria).
À partir de la fin du XIXe siècle, l'idée de l'évolution de l'homme est acquise, tout le problème va
être de savoir comment s'est faite cette évolution.
6. Vers 1870, cette nouvelle science, l'"anthropologie", va déclencher un immense mouvement de recherche.
L'idée de chercher les origines de l'homme entraîne un extraordinaire engouement. On cherche les signes
de nos origines d'abord en Europe, puis en Asie, en fait partout sauf en Afrique. Le XIXe siècle invente le
concept que l'homme blanc puisse être supérieur aux autres et que cela peut être démontré par la science.
Au début du XXe siècle, l'Europe domine le monde, elle est colonisatrice, impérialiste : l'homme blanc est
au sommet de l'évolution. On évacue les grands singes, et à la place de ceux-ci on va mettre d'autres
populations humaines : l'anthropologie va inventer le racisme. Ernst Heckel traduit Darwin et pense que
l'évolution est dirigée toute droite selon l'échelle naturelle des espèces, dans l'ordre croissant : le
chimpanzé, le gorille, l'orang-outan, le Negro et l'homme blanc.
On va chercher les origines d'abord en Europe qui se considère au sommet de l'évolution. En France, on
trouve l'Homme de Cro-Magnon (1868), l'Homme de Neandertal ; l'Allemagne, la Belgique, l'Espagne
ont aussi leur Homme de Neandertal. Les Anglais, qui ne trouvent rien, créent en 1911 la fraude (dénoncée
seulement en 1954) de l'Homme de Piltdown qui a un crâne d'homme et une mâchoire d'orang-outan.
7. En 1929 l'Abbé Breuil, qui crée la première chaire de la préhistoire au Collège de France, propose
d'aller en Asie. Ce sera la découverte du Pithécanthrope de Java puis de l'Homme de Pékin (1927). Dans
les années 1980, de nombreuses recherches se font ainsi en Asie. En 1982, Yves Coppens expose des
fossiles de Sivapithèques (ancêtre présumé de l'orang-outan) et de Ramapithèques (ancêtre présumé de
l'homme). En fait, il sera ultérieurement démontré que les Ramapithèques étaient les femelles des
Sivapithèques, ancêtre de l'orang-outan actuel ! Il y avait erreur, et ce parce que nous n'avions pas les
bons modèles de classification.
Les chercheurs ont mis du temps à aller en Afrique, pour des raisons scientifiques et idéologiques.
Linné : les grands singes nous ressemblent plus que les autres, mais on est dans un monde fixe.
Lamarck : l'homme descend du grand singe.