Le narrateur semble offrir à son lecteur une visite guidée de la maison : chaque pièce
est mentionnée, et chaque passage consacré à la description de chacune d’elles.
Le narrateur se livre à une énumération des pièces comme s’il faisait un état des lieux :
« un vestibule » (l.11), « la cuisine » et « la salle » (l.12), les « chambres » (l.18 à 20), « le
salon » (l.20) et enfin « le corridor ». On trouve des adjectifs et des compléments du nom
relatifs à la couleur, à la matière (« de paille » (l.13) ; « d’acajou » (l.13) ; « en marbre jaune »
(l.15) ; « de tapisserie » (l.14)). Néanmoins, une bonne partie des possessions de Mme Aubain,
bien que de qualité (le « piano » (l.13) ; la « pendule représentant le temple de Vesta » (l.15-
16), les « gravures d’Audran » (l.24) », sont usées par le temps : elles sont le symbole « d’un
luxe évanoui » (l.24-25). Le caractère défraîchi de l’ensemble est mis en évidence par les
mots appartenant au champ lexical de la décrépitude « moisi » (l.16),», « vieux » (l.13),
« pâles » (l.19). La description est très minutieuse puisqu’il s’agit de permettre au lecteur de
se figurer avec précision les lieux et les personnages, et donc d’accentuer l’« effet de réel »
de cet incipit réaliste.
Cette description n’est pas sans rappeler le portrait physique de Félicité, très rapidement
brossé. La servante a un visage « maigre » (à mettre en relation avec l’étroitesse du
vestibule, ligne 11) et une voix « aiguë » (l.35), son corps a perdu de sa jeunesse, de sa
fraîcheur juvénile. La physionomie de cette servante paraît vieillie, à tel point qu'à « vingt-
cinq ans, on lui en donnait quarante » (l.35). Ce corps fatigué, marqué par le labeur et donc
prématurément vieilli tout comme la maison qui a perdu sa chaleur d’antan. Le parallèle avec la
servante est également induit par la personnification de « cette maison, revêtue d’ardoises »
(ligne 10). Dès le début de l’évocation, Flaubert entend conférer à la maison un statut de
personnage.
De plus, la description des pièces de la maison n’est pas sans rappeler celle des deux
personnages féminins. En effet, le narrateur accorde beaucoup d’importance au personnage
de Mme. Aubain : si le deuxième paragraphe relate son passé, les deux suivants répertorient
tout ce qui lui appartient. La superficie de sa chambre est soulignée par l’adverbe « très »
dans l’expression « très grande » et une description est faite de sa décoration. L’importance
de Mme Aubain et de son mari est accentuée de manière ironique par le « Madame » et le
« Monsieur » mis entre guillemets. Félicité, quant à elle, possède une chambre très simple,
sans décoration. La banalité de cette pièce est soulignée par la construction de la phrase la
décrivant ((l.25) « Une lucarne, au second étage, éclairait la chambre de Félicité, ayant vue
sur les prairies »: le groupe nominal « la chambre de Félicité » est complément de la phrase,
la position de sujet aurait sans doute donné trop d’importance à cette pièce.
Enfin, les chambres de Mme Aubain et Félicité ne sont pas au même étage : celle de la
servante est au « second étage » (l.25), celle de « Madame » est au « premier étage » (l.18).
La description de la maison se montre ainsi comme le reflet de la différence sociale existant
entre Mme Aubain et Félicité : la maîtresse se trouvant mieux placée que sa servante dans la
hiérarchie sociale.