Dans un premier temps, il sera intéressant d’étudier l’éloge de Félicité notamment en évoquant ses qualités et son portrait moral. Félicité est donc présentée comme une servante parfaite à travers son travail. La première chose que l’on remarque dans ce portrait est l’utilisation du champ lexical des tâches ménagères. On remarque des noms comme « cuisine », « ménage », « vaisselle », « propreté », mais aussi une accumulation de verbes conjugués à l’imparfait « cousait, lavait, repassait, travaillait ». L’utilisation de ce champ lexical souligne la polyvalence et le courage de Félicité. Ensuite, le narrateur insiste également sur la longueur de ses journées grâce à l’expression « travaillait jusqu’au soir », cela montre que Félicité est assidue dans son travail. La servante garde ses seuls moments de libre pour aller à la messe. Félicité est pieuse et dévote comme le prouve la présence des noms « messe » (l.26) et « rosaire » (l.28) : c’est aussi une des qualités de l’héroïne. De plus, la propreté et l’ordre qu’elle fait régner chez Mme Aubain la qualifient, encore une fois, comme une servante parfaite. Ces deux qualités que possède Félicité sont mises en avant par différents procédés de style : « Quant à la propreté » placé en tête de phrase annonce l’hyperbole : « le poli de ses casseroles faisait le désespoir des autres servantes » car il est exagéré de la part de Flaubert de parler de « désespoir ». Sa tenue vestimentaire « comme les infirmières d’hôpital » a elle aussi une connotation avec la propreté, l’hygiène ; Félicité s’applique tellement en faisant le ménage qu’elle est comparée à une infirmière. La tenue vestimentaire de Félicité, très détaillée, est simple et révèle ses origines très modestes. L’énumération des qualités de Félicité et de ses actions quotidiennes permet de comprendre à quoi ressemble sa vie mais aussi de mesurer les économies que Mme Aubain réalise en l’employant juste « pour cent francs par an » (l.2), justifiant ainsi la première phrase du texte : « les bourgeoises de Pont-l’Evêque envièrent à Mme Aubain sa servante Félicité ». D’autant plus que l’une des qualités de Félicité est son souci d’économie. En effet, l’adjectif « économe » est mis en évidence en début de phrase : « Econome, elle mangeait avec lenteur » (l.30). Enfin, les mots « économe » (l.30), « recueillait » (l.30), « durait » (l.31) appartenant au champ lexical de l’économie montrent une fois encore que Félicité limite les dépenses. Pour finir, l’emploi de l’imparfait itératif (d’habitude) marque ici la routine qui s’est installée dans la vie de la servante : toutes ses journées se déroulent de la même façon et elle reproduit les mêmes gestes comme un rituel. C’est ainsi que le narrateur la compare à « une femme en bois » dont la « manière automatique » (l.37) de travailler rappelle celle d’un robot : Flaubert donne ainsi l’image d’une Félicité semblable à un pantin de bois, un automate qui répète sans arrêt les mêmes gestes. Félicité est donc essentiellement définie par son travail, ses compétences, ainsi signalées comme étant ce qui compte chez elle. Après cet éloge, vient ensuite la description de la maison de Mme Aubain. Le narrateur semble offrir à son lecteur une visite guidée de la maison : chaque pièce est mentionnée, et chaque passage consacré à la description de chacune d’elles. Le narrateur se livre à une énumération des pièces comme s’il faisait un état des lieux : « un vestibule » (l.11), « la cuisine » et « la salle » (l.12), les « chambres » (l.18 à 20), « le salon » (l.20) et enfin « le corridor ». On trouve des adjectifs et des compléments du nom relatifs à la couleur, à la matière (« de paille » (l.13) ; « d’acajou » (l.13) ; « en marbre jaune » (l.15) ; « de tapisserie » (l.14)). Néanmoins, une bonne partie des possessions de Mme Aubain, bien que de qualité (le « piano » (l.13) ; la « pendule représentant le temple de Vesta » (l.1516), les « gravures d’Audran » (l.24) », sont usées par le temps : elles sont le symbole « d’un luxe évanoui » (l.24-25). Le caractère défraîchi de l’ensemble est mis en évidence par les mots appartenant au champ lexical de la décrépitude « moisi » (l.16),», « vieux » (l.13), « pâles » (l.19). La description est très minutieuse puisqu’il s’agit de permettre au lecteur de se figurer avec précision les lieux et les personnages, et donc d’accentuer l’« effet de réel » de cet incipit réaliste. Cette description n’est pas sans rappeler le portrait physique de Félicité, très rapidement brossé. La servante a un visage « maigre » (à mettre en relation avec l’étroitesse du vestibule, ligne 11) et une voix « aiguë » (l.35), son corps a perdu de sa jeunesse, de sa fraîcheur juvénile. La physionomie de cette servante paraît vieillie, à tel point qu'à « vingtcinq ans, on lui en donnait quarante » (l.35). Ce corps fatigué, marqué par le labeur et donc prématurément vieilli tout comme la maison qui a perdu sa chaleur d’antan. Le parallèle avec la servante est également induit par la personnification de « cette maison, revêtue d’ardoises » (ligne 10). Dès le début de l’évocation, Flaubert entend conférer à la maison un statut de personnage. De plus, la description des pièces de la maison n’est pas sans rappeler celle des deux personnages féminins. En effet, le narrateur accorde beaucoup d’importance au personnage de Mme. Aubain : si le deuxième paragraphe relate son passé, les deux suivants répertorient tout ce qui lui appartient. La superficie de sa chambre est soulignée par l’adverbe « très » dans l’expression « très grande » et une description est faite de sa décoration. L’importance de Mme Aubain et de son mari est accentuée de manière ironique par le « Madame » et le « Monsieur » mis entre guillemets. Félicité, quant à elle, possède une chambre très simple, sans décoration. La banalité de cette pièce est soulignée par la construction de la phrase la décrivant ((l.25) « Une lucarne, au second étage, éclairait la chambre de Félicité, ayant vue sur les prairies »: le groupe nominal « la chambre de Félicité » est complément de la phrase, la position de sujet aurait sans doute donné trop d’importance à cette pièce. Enfin, les chambres de Mme Aubain et Félicité ne sont pas au même étage : celle de la servante est au « second étage » (l.25), celle de « Madame » est au « premier étage » (l.18). La description de la maison se montre ainsi comme le reflet de la différence sociale existant entre Mme Aubain et Félicité : la maîtresse se trouvant mieux placée que sa servante dans la hiérarchie sociale. Pour conclure, Félicité est décrite par ses activités comme le montre son éloge, Mme Aubain par ses possessions, puisque l’une est servante et l’autre rentière. Les qualités de Félicité sont donc relatives à son travail : multiplicité des compétences, endurance, persévérance ; celles de Mme Aubain sont relatives à ses biens. Alors que Félicité n’a qu’un prénom, Mme Aubain n’a qu’un nom de famille : Flaubert souligne ainsi la différence de leurs conditions sociales. Il insiste sur cette inégalité dans la description même de la maison fondant ainsi ses personnages dans leur milieu. Félicité, pourtant personnage central de ce conte, vit dans l’ombre de sa maîtresse comme l’annonce clairement cet incipit annonciateur de la suite.