Schopenhauer prend chez Kant l`opposition entre le monde

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Le sang versé
du sacrifice
Gérard RABAT
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« croyez-vous que Jésus-Christ soit notre sauveur
et que par son sang il ait purgé nos péchés ».
Injonction du pasteur calviniste à la Reine de
Navarre mourante, le vendredi 6 juin 1572.
Qui ne se souvient du « minuit chrétien » de son enfance où l’on chantait que le Christ
s’était offert en sacrifice pour apaiser le courroux de son Père. Le même pasteur cité en
exergue fait réciter cette prière à la mère d’Henri IV agonisante :
« Seigneur Nostre Dieu, nous recoignoissons devant ta face que nous sommes indignes
de tes grandes miséricordes. Seigneur, nous recognoissons que toutes nos afflictions
viennent de ta main qui est juste juge parce que nous t’avons instamment provoqué à
courroux. Si est-ce, Seigneur, qu’il y a miséricorde vers toy, puisque tu es nostre Père
et que tu ne veux la mort du pécheur mais qu’il se convertisse et qu’il vive. Qu’il te
plaise accepter le mérite de Jésus-Christ ton filz notre Seigneur pour qu’estant appaisé
nous sentions quelques allégements en nos maux …. »
C’est clair, les hommes sont pécheurs et dieu, les punissant, est responsable de la
souffrance qu’ils endurent si ce n’était le Christ qui seul peut les soulager en effaçant
leurs péchés par son sacrifice et apaiser ainsi le courroux divin. Tout comme Abraham,
« serviteur de Dieu », est cet avocat de la défense qui essaie de sauver les habitants de
Sodome et Gomorre de la colère vengeresse de dieu, le Christ comme « super serviteur de
Dieu » puisqu’il est son propre fils est celui qui, dans la lignée des prophètes de l’Ancien
Testament, est le « sauveur par excellence ». Mais pourquoi devait-il se sacrifier puisque ni
Noé, ni Abraham ne l’ont fait ? Parce qu’il n’y a que le sacrifice qui puisse, comme le
disait aussi saint Thomas d’Aquin au XIIIe siècle, apaiser vraiment la colère de dieu. C’est
au fondement de toutes les religions sur toute la surface de la terre et depuis l’origine de
l’humanité. Le sacré c’est le sacrificiel puisque c’est le sacrifice qui rend « sacré » et
celui-ci, comme le montrait Rudolf Otto, renvoie à « l’Orgè Théou » (colère de dieu) et à
la « Tremenda majestas ». Mais si le « Roi-Prêtre ancien » sacrifie au Dieu pour apaiser sa
colère et se le rendre bienveillant, on sait aussi que dans nombre de mythologies et de
religions, c’est le roi lui-même qui doit se sacrifier pour que reviennent la fécondité des
femmes et des champs, la victoire à la guerre, la guérison d’une épidémie, etc.. c’est à
dire l’harmonie dans l’ordre cosmique et social. Nombre de cosmogonies montre un auto-
sacrifice de la divinité au commencement de la création du monde et Mircea Eliade a bien
montré que tout rituel religieux consistait en une re-présentation d’un événement
primordial créateur permettant de réactualiser l’efficacité positive de l’acte primordial.
Souvent les forces magiques bienveillantes, source de grâces et de bénédictions, s’étant
étiolées, le rite permet de retrouver les vertus bénéfiques de l’acte primordial dit
« archétypique ». Le rituel chrétien de la messe ne déroge pas à ce principe et on sait que
le Concile de Trente (1545 1563) définissait ainsi la messe catholique : « La messe est un
sacrifice par lequel le sauveur continue d’appliquer la vertu salvatrice de sa mort à la
rémission des péchés ». Que la mort par sacrifice, source de grâces et de bénédictions, soit
universelle, on n’a qu’à s’intéresser à l’Histoire des religions. Dans l’Athènes de la Grèce
ancienne, on choisissait un pauvre bougre de la plèbe que l’on traitait comme un roi
pendant une certaine période pour ensuite l’immoler sous le nom du « pharmakos » ; ce
sacrifice servant de « remède » contre les maux et les désordres de la cité. En Egypte
comme l’explique la Bible, face aux fléaux envoyés par Dieu, on tuait un mouton et le sang
badigeonné sur le devant des maisons protégait de la colère de Dieu. Toujours dans la
Bible, on voit Aaron utilisait le rituel du « bouc émissaire » qui consistait à charger un bouc
des péchés de la tribu pour l’envoyer mourir au désert pour permettre de retrouver la
bienveillance de Dieu.
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Selon nous, les Evangiles, les synoptiques plus que celui de saint Jean, se composent de
deux aspects. Le premier aspect expose les paroles, les faits et les gestes du Christ, en soi
son enseignement et l’autre aspect, raconte en l’interprétant la Passion du Christ. Pour
l’exemple, l’apocryphe Evangile de Thomas ne fait que citer des logias du Galiléen sans
aborder la tragédie de sa Passion. Or de notre point de vue, les paroles et les gestes du
Christ sont subversifs concernant la conception de la divinité qui n’est plus une divinité
vengeresse puisque qu’il dit que Dieu est bon pour les méchants (Luc 6 : 35). Par contre,
de manière contradictoire, ces mêmes rédacteurs des Evangiles interprètent sa Passion
selon le paradigme du « juste souffrant » du second Isaïe qui est, en fait, un « bouc
émissaire » qui, prenant sur lui les péchés des hommes, apaise la colère de dieu et le rend
plus bienveillant. Et c’est à cause de cette référence à ce paradigme du « juste souffrant »
du second Isaïe que les rédacteurs des Evangiles canoniques n’ont eu de cesse de s’en
référer à l’Ancien Testament en contradiction avec la parabole christique du vin nouveau
que l’on ne doit pas mettre dans de vieilles outres. Certes, le Christ se situe à la suite de
l’Ancien Testament et il ne remet pas en cause le « décalogue » (les dix commandements)
et la loi morale propre à la révélation mosaïque mais concernant la conception de la
divinité, la rupture est radicale et en rejetant la divinité vengeresse, il rejette
radicalement le sacrificiel qui n’a de sens que d’apaiser la colère divine. Pas de sacrificiel
sans la colère de dieu. Concernant cette conception archaïque de la divinité punitive,
l’Ancien Testament n’est pas différent des autres religions païennes de la planète. Il n’est
donc pas question pour nous de rejeter entièrement tout l’Ancien Testament à la manière
de Marcion pour déboucher sur un manichéisme où le dieu de l’Ancien Testament serait un
Dieu méchant à l’opposé du Dieu christique qui serait un Dieu de pure bonté. On verra que
cela est plus complexe et que la solution est venue, dans un premier temps, par l’entrée
en scène de Satan comme on le voit déjà dans le livre de Job et dans un second temps
dans l’affirmation origénienne et augustinienne du mal conçu comme une « privatio boni ».
De toute façon, les dires du pasteur huguenot envoyé par Genève au chevet de la Reine de
Navarre comme quoi c’est de la main de dieu que provient toutes nos afflictions sont
contredits par les dires mêmes du Christ qui, au sujet de l’épisode de l’effondrement de la
tour de Siloé (Luc 13 : 4), détrompent ses contemporains en leur disant que les pauvres
bougres écrasés sous les décombres ne sont en rien punis par dieu au regard de soi-disant
péchés. Bien entendu, le Christ n’est pas un rationaliste scientiste comme nous le sommes
devenus à notre époque et pour lui, le malheur est le fait du mal et s’il est venu pour nous
en libérer, ce n’est pas pour apaiser la violence coléreuse de son père qui, pour lui, n’est
que pure bonté. En fait, concernant cette conception de la divinité juge et punitive, les
positions luthérienne et calviniste ne sont en rien antagonistes à celle de la Contre-
réforme et du Concile de Trente. Ce sont uniquement les « dissenters » de Luther, les
Caspar Schwenckfeld, Valentin Weigel ou surtout Sébastien Franck qui s’opposeront
ouvertement au sacrificiel et à la divinité punitive :
« … rien n’est plus absurde [la thèse prédestinationaliste] que supposer un Dieu
créant des hommes qu’il voue lui-même à la damnation. Une cruauté pareille serait
indigne d’un animal féroce. L’humanité n’est pas une massa perditionis comme
l’affirme Luther. […] Faudrait-il donc admettre que Dieu ait été réellement courroucé ?
qu’il fallait un sacrifice pour apaiser sa colère ? Quelle ineptie ! Dieu est bon, il est
l’amour. […] Non, Dieu n’a jamais eu besoin de cette victime sanglante – c’est nous
tout au plus qui en avons eu besoin. En effet, l’homme pécheur s’imagine que dieu le
condamne; à l’homme charnel (adamique), dieu apparaît – faussement comme
courroucé ; et c’est pour détruire cette erreur, cette illusion de l’homme que le Christ
est venu nous révéler l’amour du Père céleste, nous enseigner la vraie foi en Dieu …. ».
A. Koyré Mystiques, spirituels et alchimistes au XVIe siècle allemand
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Or cette conception tridentine de la messe liée au sacrificiel fut au fondement de la
dogmatique catholique jusqu’au concile de Vatican II qui, timidement, tenta de s’en
dégager au grand dam des traditionalistes qui reviennent en force à notre époque.
Le 3 avril 1969, le pape Paul VI signait la constitution apostolique Missale romanum, dont
le titre disait qu'elle "promulguait le Missel romain restauré sur l'ordre du deuxième
concile oecuménique du Vatican". La nouvelle messe était née et elle entraîna une vive
réaction des Cardinaux Ottaviani et Bacci :
"Le nouvel Ordo Missae, si l'on considère les éléments nouveaux, susceptibles
d'appréciations fort diverses, qui y paraissent sous-entendus ou impliqués, s'éloigne de
façon impressionnante, dans l'ensemble comme dans le détail, de la théologie
catholique de la sainte messe, telle qu'elle a été formulée à la XXème session du
Concile de Trente, lequel, en fixant définitivement les "canons" du rite, éleva une
barrière infranchissable contre toute hérésie qui pourrait porter atteinte à l'intégrité
du mystère".
Pour les traditionalistes, le nouveau rite sur la base d'une théologie hérétique tend à
effacer les dogmes de foi qui fonde proprement la messe : c’est à dire l’oblation et
l’immolation du Christ et le pouvoir sacramentel ministériel du prêtre. C’est à dire ce
qu’est le rite sacrificiel dans toutes les religions les plus archaïques de la planète. Témoin
pour l’exemple, un des rituels des aztèques, peuple particulièrement fascinés par le sang
et les sacrifices humains destinés à assurer l’ordre et l’harmonie sociale et cosmique. Le
rituel se dénomme Teoqualo, « la manducation du dieu » retranscrit par le frère
Bernardino de Sahagun lequel était missionnaire au Mexique, huit ans après la prise de
Mexico en 1529 :
« L’autre matin, le corps [ de pâte du dieu ] Uitzilopochtli a été sacrifié.
Le prêtre qui représentait [ le dieu ] Quetzalcoatl l’a tué,
Il l’a tué avec une lance dont la pointe était une pierre à feu
Et il la lui a plantée dans le cœur.
Il a été sacrifié en présence du roi Montézuma
Et du grand prêtre avec lequel Uitzilopochtli parlait
Et après qu’il fut mort, ils ont découpé son corps de pâte.
Le cœur est revenu à Montézuma
Et les autres parties cylindriques qui formaient pour ainsi dire ses os
ont été partagées entre les assistants .
[…] Chaque année ils mangent le corps
et quand ils répartissent entre eux le corps pétri en pâte,
chacun d’eux reçoit seulement un tout petit morceau.
De jeunes guerriers le mangent.
Et le manger ainsi s’appelle « manger le dieu »
Et ceux qui l’ont mangé sont appelés « gardiens du dieu ».
Pour nos traditionalistes, la nouvelle messe de Paul VI inverse les fins de toute liturgie en
donnant le primat à la parole et à l’apostolat sur le culte divin qui seul en lui-même
apporte grâces et bénédictions. L’adoption de la langue vernaculaire à la place du latin,
l’extension de la « liturgie de la parole » et la célébration face au peuple, caractéristiques
de la nouvelle messe, prouvent cette inversion. Enfin et pas des moindres, l’ouverture à
l’œcuménisme voulant adapter la liturgie aux besoins de l’union des Eglises impliquerait
une dérive vers l’hérésie et une trahison de la messe de saint Pie V, seule conforme aux
« canons » catholiques définitivement fixés par le Concile de Trente. Actuellement, il
existe dans l’église catholique, un conflit concernant ces deux messes et la curie romaine,
dans un but politique d’apaisement et de réintégration des schismatiques lefevristes,
propose une co-existence pacifique entre la messe ordinaire, celle de Vatican II et la
messe extraordinaire, celle de saint Pie V mais c’est une dérobade au regard de la vérité
car elles ne sont pas conciliables, ce que pensent avec raison les traditionalistes qui, plus
logiques et plus cohérents, ne veulent rien savoir de la nouvelle messe de Vatican II.
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D’un autre coté, la messe tridentine se situe à l’aboutissement d’une élaboration qui
prend sa source dans les Evangiles eux-mêmes qui comprennent la Passion du Christ au
regard du « juste souffrant » du second Isaïe, un « bouc émissaire » qui prend sur lui les
péchés du groupe, « justifie » les hommes et les sauve de la colère divine :
Méprisé et abandonné des hommes,
Homme de douleur et habitué à la souffrance,
Semblable à celui dont on détourne le visage,
Nous l’avons dédaigné, nous n’avons fait de lui aucun cas.
Cependant, ce sont nos souffrances qu’il a portées,
C’est de nos douleurs qu’il s’est chargé ;
Et nous l’avons considéré comme puni, frappé de dieu, et humilié.
Mais il était blessé pour nos péchés, brisé pour nos iniquités ;
Le châtiment qui nous donne la paix est tombé sur lui,
Et c’est par ses meurtrissures que nous sommes guéris.
Et l’Eternel a fait retomber sur lui l’iniquité de nous tous.
Il a été maltraité et opprimé et il n’a point ouvert la bouche,
Semblable à un agneau qu’on mène à la boucherie,
A une brebis muette devant ceux qui la tondent ;
Il n’a point ouvert la bouche.
Il a été enlevé par l’angoisse et le châtiment ;
Et parmi ceux de sa génération qui a cru
Qu’il était retranché de la terre des vivants
Et frappé pour les péchés de mon peuple.
Quoiqu’il n’eût point eu de fraude dans sa bouche
Il a plu à l’Eternel de le briser par la souffrance …
Après avoir livré sa vie en sacrifice pour le péché,
Il verra une postérité et prolongera ses jours ;
Et l‘œuvre de l’Eternel prospérera entre ses mains.
A cause du travail de son âme, il rassasiera ses regards ;
Par sa connaissance mon serviteur juste justifiera beaucoup d’hommes,
Et il se chargera de leur iniquités.
C’est pourquoi je lui donnerai sa part avec les grands ;
Il partagera le butin avec les puissants,
Parce qu’il s’est livré lui-même à la mort,
Et qu’il a été mis au nombre des malfaiteurs,
Parce qu’il a porté les péchés de beaucoup d’hommes,
Et qu’il a intercédé pour les coupables. Isaïe 53, 3
Dans les Actes des Apôtres, le diacre Philippe convertit le juif éthiopien qui revenait de
faire ses Pâques à Jérusalem en lui faisant comprendre que le Christ est ce « juste
souffrant » prophétisé par le second Isaïe. La « première Epître de Clément », datée de 88,
cite en entier dans son chapitre 16 le texte du second Isaïe sur le « juste souffrant »
identifié au Christ tandis que l’Epître de Barnabé, datée de 130, contient encore, dans son
chapitre 5,1, cette même référence au « juste souffrant » du second Isaïe. Or le « juste
souffrant » est un « bouc émissaire » qui s’inscrit dans toute la phénoménologie
sacrificielle qui n’a d’autres buts que de rendre bienveillant les âmes des morts, les
ancêtres mythiques ou les divinités.
Le sacrifice du « bouc émissaire » qui prend sur lui les péchés du groupe, les lave et les
justifie, apaise le courroux des divinités vengeresses, responsables des fléaux et des
malheurs du groupe. La colère de Dieu n’est pas uniquement le fait du Dieu juge de
l’Ancien Testament car on le retrouve dans toutes les religions de la planète et également
chez le philosophe grec présocratiques Héraclite :
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