Diarrhée chronique (303) - 1 - Question 303 Orientation diagnostique devant une diarrhée chronique Devant une diarrhée chronique, argumenter les principales hypothèses diagnostiques et justifier les examens complémentaires pertinents Il est indispensable de relire les chapitres du poly de physiologie portant sur la digestion, l’absorption, la sécrétion biliaire, le pancréas exocrine, la sécrétion gastrique (pour l’absorption de la vitamine B12). I - Définition Dans les pays occidentaux, les sujets ont pour la plupart une à deux selles moulées quotidiennes de 100 à 200 g/24h. La diarrhée est définie par l'émission de selles d’un poids moyen supérieur à 300 g/24 h (mesure faite sur 3 jours consécutifs). Le plus souvent les selles sont molles ou liquides, en nombre supérieur ou égal à 3 par jour. C’est en pratique, sur ces derniers critères que l’on pose le diagnostic de diarrhée. La diarrhée est chronique quand elle dure plus de 4 semaines, qu’elle soit continue ou intermittente. II - Enquête diagnostique devant une diarrhée chronique La diarrhée chronique pose surtout le problème du diagnostic étiologique. La cause est le plus souvent fonctionnelle (syndrome de l’intestin irritable). Très souvent, la diarrhée n’est qu’un symptôme parmi d’autres et c’est l’association des différents symptômes et le contexte qui permettront d’avancer dans l’enquête diagnostique. La démarche diagnostique doit être rigoureuse et suit généralement 3 étapes : Une enquête clinique initiale, d’importance capitale car elle permet souvent d’évoquer d’emblée le diagnostic. Elle est associée à la prescription d’un minimum d’examens biologiques. Elle oriente le choix des examens complémentaires ultérieurs Une étape d’explorations morphologiques et biologiques dont le choix est guidé par l’étape précédente Des examens biochimiques des selles et des explorations fonctionnelles, voire d’autres examens, en l’absence de réponse à l’étape précédente. A- Enquête clinique 1- Interrogatoire Il faut affirmer la diarrhée et son caractère chronique et éliminer d’emblée les 2 causes de fausse diarrhée que sont : 1. La fausse diarrhée du constipé (extrêmement fréquente) : présence, au sein de selles liquides, de matières dures et desséchées (hypersécrétion de la muqueuse colique irritée par les matières). Au toucher rectal (TR) on note des selles souvent dures dans le rectum (cf poly constipation). L’alternance diarrhée-constipation est souvent entretenue par la prise de ralentisseurs du transit en phase de diarrhée et, à l’inverse, la prise de laxatifs en phase de constipation. 2. L’incontinence anale (très fréquente): évoquée à l’interrogatoire et au TR. Attention, l’association vraie diarrhée et incontinence (qui en majorera l’expression) est possible. Diarrhée chronique (303) - 2 - a- Caractères de la diarrhée Installation brutale ou progressive Ancienneté Caractère continu ou rémissions spontanées Fréquence des selles au cours et en dehors des poussées Horaire des exonérations (nocturnes, « réveil-matin », post-prandiales) Impériosité ou non Incontinence ou suintements anaux Aspect des selles : fécales, afécales, grasses, décolorées, mousseuses, présence d’aliments non digérés et ingérés le jour même, glaires, pus, sang Facteurs déclenchants ou aggravants (aliments, stress, médicaments, tisanes) Efficacité des ralentisseurs du transit ou d’autres médicaments (antibiotiques, corticoïdes…) b- Signes fonctionnels digestifs associés Douleurs abdominales et ses caractéristiques : crampes, brûlures, pyrosis, coliques, épreintes, Koenig, continues ou non, siège, douleurs localisées ou non Douleurs anorectales Ballonnement abdominal, borborygmes, émissions rectales de gaz jugées trop abondantes Nausées, vomissements, anorexie, polyphagie c- Signes généraux et systémiques Asthénie Amaigrissement Signes de carence en vitamines ou sels minéraux Manifestations des maladies inflammatoires chroniques de l’intestin (MICI) (fièvre, arthrites, signes oculaires, lésions cutanées, aphtes …) ou de l’exceptionnelle maladie de Whipple Flushes et autres manifestations du syndrome carcinoïde : bronchospasme, insuffisance cardiaque droite, souffle d’insuffisance tricuspidienne ou pulmonaire Prurit, ictère d- Antécédents personnels Chirurgie digestive (vagotomie, gastrectomie, résection du grêle ou du côlon) Radiothérapie avec irradiation abdominale et pelvienne Polypes et cancers coliques, autres cancers Contexte pathologique : hépato-biliaire, endocrinien, vasculaire, neurologique, psychiatrique, maladie de système, vascularite … Diabète Facteurs de risque pour le VIH : homosexualité masculine, toxicomanie, hémophilie, transfusions Origine ethnique et géographique, séjours à l’étranger (pays visités …) Intolérance au lait, prise d’aliments et boissons « sans sucre » Alcoolisme chronique Liste des médicaments Principaux médicaments responsables de diarrhée Veinotoniques Antimitotiques Digitaliques Diarrhée chronique (303) - 3 - Quinidiniques Hormones thyroïdiennes Hypolipémiants Biguanides Aspartame Antiacides Prostaglandines Laxatifs Antibiotiques AINS Colchicine Fer, magnésium, vitamine C Acétylcystéine e- Antécédents familiaux Terrain génétique prédisposant : Pathologie thyroïdienne Maladie cœliaque MICI Diabète insulino-dépendant Polypes ou cancers colorectaux Maladies à transmission génétique : Polypose adénomateuse familiale et syndrome de Lynch Néoplasie endocrine multiple (types 1 ou 2) 2- Examen physique En fonction du diagnostic, la rentabilité de l’examen physique est plus ou moins importante. L’examen complet est indispensable. a- Etat général Poids, taille +++ Signes de dénutrition +++ Signes de déshydratation +++ Pâleur Oedèmes b- Examen systémique Examen cutanéo-muqueux : Ictère Lésions cutanées (érythème noueux, pyoderma gangrenosum, bulles, vésicules, purpura, signes de la sclérodermie, hyperpigmentation) Buccales : aphtes, glossite, cheilite Génitales : aphtes Examen ostéoarticulaire Articulations périphériques Axe pelvi-rachidien Examen neurologique Diarrhée chronique (303) - 4 - Neuropathie périphérique Syndrome pyramidal Hypotension orthostatique Examen de la thyroïde +++ Examen des aires ganglionnaires +++ Examen cardio-vasculaire Souffle cardiaque (insuffisance tricuspidienne) Signes d’athérome diffus (abolition des pouls, souffle vasculaire…) Examen oculaire : rougeur, iritis, uvéite, épisclérite c- Examen digestif Météorisme, cicatrice abdominale Masse abdominale inflammatoire, tumorale ou vasculaire Souffle abdominal Hépatomégalie tumorale ou non Splénomégalie Examen de la marge anale : fissure, fistule anale +++ Toucher rectal +++: Tonicité et contraction sphinctérienne Ampoule rectale : tumeur, fécalome, nodules dans le cul de sac de Douglas Examen du doigtier au retrait (aspect des selles) 3- Examens complémentaires de routine Ces examens sont faits systématiquement sauf si le diagnostic étiologique est évident cliniquement, auquel cas on fera directement l’exploration permettant d’affirmer le diagnostic suspecté (exemples : en cas de suspicion de cancer colorectal, on fera directement une coloscopie ; en cas de suspicion de maladie coeliaque, on fera directement la gastroscopie avec biopsies duodénales). Recherche d’un syndrome inflammatoire : VS, protéine C réactive Examen parasitologique des selles 3 jours de suite (coproculture généralement sans intérêt en cas de diarrhée chronique car il n’y a pas d’infection bactérienne pouvant l’expliquer) Recherche de stigmates de carences ou d’un retentissement hydroélectrolytique de la diarrhée: NFS plaquettes, ionogramme sanguin avec kaliémie, créatininémie, calcémie, temps de Quick, protidémie, électrophorèse des protides TSH à la recherche d’une hyperthyroïdie Glycémie à la recherche d’un diabète B- Synthèse de l’enquête clinique Au terme de cette première étape, le diagnostic ou le mécanisme de la diarrhée peut être fortement suspecté. En général, des explorations orientées permettront d’aboutir au diagnostic. En l’absence d’orientation clinique, les examens morphologiques de première intention (en pratique faits avant les examens de selles ou les épreuves fonctionnelles) sont la gastroscopie avec biopsies duodénales et l’iléo-coloscopie avec biopsies iléales et coliques. Si une cause biliaire ou pancréatique ou tumorale est suspectée, on fera ensuite une échographie abdominale éventuellement complétée par un scanner selon les résultats de l’échographie. Si une atteinte de l’intestin grêle est Diarrhée chronique (303) - 5 - suspectée, on fera ensuite un transit du grêle et parfois un scanner. A ce stade, le diagnostic est fait dans plus de 90% des cas. Les principaux diagnostics qui auront été faits sont les suivants: cancer colorectal (coloscopie): le cancer n’est responsable d’une diarrhée que s’il est sténosant (sténose incomplète), donc à un stade avancé avec une altération de l’état général, des douleurs abdominales, une alternance diarrhée-constipation, parfois des métastases (foie, Troisier, carcinose péritonéale) (très fréquent) diabète (glycémie) (mais le mécanisme précis de la diarrhée doit parfois être étudié par d’autres examens) (cf plus loin) (très fréquent) causes médicamenteuses (très fréquent): de façon générale, les médicaments susceptibles d’induire une diarrhée et non indispensables doivent être arrêtés (cf liste) ; toutefois le mécanisme de la diarrhée doit parfois être étudié : par exemple colite microscopique induite par les veinotoniques, colite pseudomembraneuse induite par les antibiotiques hyperthyroïdie (TSH) (fréquent) tumeur villeuse rectosigmoïdienne étendue (coloscopie): émission de grandes quantités de mucus, hypokaliémie (très rare) maladie inflammatoire de l’intestin (Crohn, RCH) (iléocoloscopie) (assez fréquent) colite microscopique (lymphocytaire, collagène) (biopsies coliques) (rare) maladie cœliaque (biopsies duodénales) : première cause de diarrhée par malabsorption (cf plus loin) (rare) amibiase intestinale (examen parasitologique des selles), lambliase (parasites vus sur l’analyse anatomopathologique des biopsies duodénales) (rare) pancréatite chronique et cancer du pancréas (échographie et scanner du pancréas) (assez fréquent) consommation excessive d’alcool (très fréquent): suffit à elle seule à expliquer une diarrhée, car cesse à l’arrêt, mais d’autres maladies induites par une consommation excessive d’alcool sont souvent en cause (pancréatite chronique). Compte tenu de la fréquence de la consommation excessive d’alcool, on doit se méfier de ne pas passer à côté d’une maladie sans lien avec l’alcool conséquences de la chirurgie abdominale (interrogatoire, analyse des antécédents), mais le mécanisme précis de la diarrhée doit parfois être étudié par d’autres examens (rare) troubles fonctionnels intestinaux (diagnostic le plus fréquent) : c’est un diagnostic d’élimination, mais que l’on suspecte d’emblée à l’interrogatoire Ces différents examens de base permettront également de faire ou de suspecter la plupart des autres diagnostics (rares ou exceptionnels) des maladies digestives responsables de lésions macroscopiques ou microscopiques du tube digestif accessibles aux explorations endoscopiques standard (gastroscopie avec biopsies duodénales et iléo-coloscopie avec biopsies iléales et coliques) : Whipple, amylose, infections parasitaires, mycobactériose ou infections virales (cytomégalovirus) des immunodéprimés (SIDA), lymphome. III- Approche diagnostique physiopathologique Nous allons maintenant détailler les différentes causes de diarrhée chronique en fonction des mécanismes physiopathologiques. Les principales causes de diarrhée déjà citées vont être reclassées selon leur mécanisme. Les principaux examens fonctionnels pratiqués si la cause n’est pas évidente ou si on désire connaître le mécanisme physiopathologique de la diarrhée sont : le test au rouge carmin : le malade ingère le matin au petit déjeuner du rouge carmin et surveille l’aspect des selles. Le temps d’apparition du carmin dans les selles mesure la vitesse du transit oro-anal. On considère qu’il y a accélération du transit si ce temps est inférieur à 8 h (en général il est inférieur à 5-6 h dans les diarrhées motrices). Attention à arrêter les médicaments ralentisseurs du transit avant le test. Facile à faire, mais n’est pas disponible partout. Diarrhée chronique (303) - 6 - dosage des graisses fécales sur la totalité des selles émises pendant 3 jours consécutifs : normal inférieur à 6 g/24 h sous un apport minimal de 100 g de lipides par jour (en pratique, régime normal + surcharge avec 50 g de beurre les 3 j qui précèdent le recueil et pendant le recueil). mesure de la clairance de l’1 antitrypsine dans les selles : l’1 antitrypsine est une protéine non absorbée par le tube digestif et non dégradée dont l’élimination reflète la sécrétion ou les pertes de protéines dans la lumière digestive. Une clairance élevée (> 20 ml/mn) indique une entéropathie exsudative. Ce dosage est rarement fait en pratique. test au D-xylose : ce test mesure l’absorption au niveau du grêle proximal, mais n’est pratiquement plus pratiqué. test de Schilling avec facteur intrinsèque : il mesure l’absorption de la vitamine B12 au niveau de l’iléon terminal avant et après administration per os de facteur intrinsèque. Il sert d’une part à rechercher une carence en facteur intrinsèque (maladie de Biermer avec malabsorption de la vitamine B12 corrigée par l’administration de FI) et d’autre part une atteinte de l’iléon terminal responsable d’une malabsorption de la vitamine B12 à ce niveau, les test montrant l’absence de correction de la malabsorption malgré l’apport de FI. Ce test est rarement fait. ionogramme des selles : mesure Na et K, et mesure de l’osmolarité et du pH. Uniquement dans des laboratoires spécialisés. Le trou osmotique est calculé de la façon suivante : 290 – [Na + K] x 2 (normale < 50 mOsm/kg). L’épreuve de jeûne de 48h qui réduit normalement à 0 le poids de selles à J2, sauf en cas de diarrhée sécrétoire. A- Diarrhée motrice 1- Caractéristiques de la diarrhée motrice : Selles souvent nombreuses ( 5/24h), mais de petit volume ( 500 g/24h) ++ Selles d’allure hydrique Présence dans les selles de résidus alimentaires ingérés le jour même +++ Horaire matinal et post-prandial précoce des selles, rareté des selles nocturnes +++ Besoins d’exonération impérieux, fausse incontinence +++ Borborygmes Absence habituelle de douleurs abdominales Amélioration lors de la prise de ralentisseurs du transit (lopéramide, codéine …) +++ Aggravation par le stress Conservation de l’état général ++ (sauf si la maladie causale entraîne par elle-même une altération de l’état général ; l’hyperthyroïdie fait maigrir) Absence de déshydratation et de troubles de l’équilibre hydroélectrolytique Absence de signes de carence spécifique (malabsorption) Le test au rouge carmin montre que la première selle rouge (colorée par le carmin) est évacuée moins de 8 h après son absorption (en général 5-6 h). Il peut y avoir une stéatorrhée modérée, car l’accélération du transit induit une malabsorption des graisses. 2- Principales causes Troubles fonctionnels intestinaux (cause la plus fréquente, mais diagnostic d’élimination) Causes hormonales : - hyperthyroïdie (TSH) (fréquent) +++, - cancer médullaire de la thyroïde (très rare, mais de diagnostic facile en dosant la thyrocalcitonine), - carcinoïde (5- hydroxyindolacétique - 5 HIAA urinaires) (très rare): le syndrome carcinoïde est lié à la sécrétion de peptides et d’amines par des métastases mésentériques ou hépatiques d’une tumeur endocrine le plus souvent située dans l’iléon ou à partir d’une tumeur primitive bronchique. Il existe des flushs (bouffées vaso-motrices du visage) et plus rarement une atteinte cardiaque (insuffisance Diarrhée chronique (303) - 7 - tricuspidienne) ou un bronchospasme. Les 5-HIAA, dérivés urinaires de la sérotonine sécrétée par la tumeur, sont élevés. Causes nerveuses : - vagotomie tronculaire ou sélective - neuropathie diabétique - syndrome de Shy-Drager et (exceptionnel) hypotension orthostatique primitive Lésions organiques ou fonctionnelles du tube digestif : - gastrectomisés - lésions iléales terminales < 1 m (entéropathies choléréiques : l’accélération du transit est en partie liée à l’effet laxatif - sécrétoire - des sels biliaires non absorbés sur le côlon) : résection intestinale, Crohn Le traitement est celui de la cause. Les ralentisseurs du transit, en particulier le lopéramide (Imodium, Arestal) et la codéine sont très efficaces. Le Questran, chélateur des sels biliaires est utile en cas de résection iléale courte B- Diarrhée par malabsorption 1- Caractéristiques de la diarrhée par malabsorption (avec entre parenthèses leur origine biologique) : Diarrhée graisseuse ou hydrique Douleurs abdominales inconstantes Amaigrissement, maigreur Asthénie Oedèmes, anasarque (hypoprotidémie, hypoalbuminémie) Aménorrhée, retard pubertaire Syndrome anémique (carence fer, folates, vitamine B12) Syndrome ostéomalacique, douleurs osseuses (vit D, calcium, élévation des phosphatases alcalines) Tétanie (vit D, calcium, Mg) Syndrome hémorragique (vit K) Glossite (folates, vit B12) Les symptômes dépendent de la cause et de son importance ou étendue. Le niveau d’atteinte dans le tube digestif détermine le type de nutriments malabsorbés : exemples : fer, folates, calcium, vitamines liposolubles (D, K, A, E) dans le grêle proximal, vitamine B12 dans le grêle distal. Les conséquences biologiques les plus fréquentes sont l’hypoalbuminémie, l’hypoprotidémie, l’anémie microcytaire par carence martiale, l’anémie macrocytaire par carence en vit B12, l’anémie macrocytaire par carence en folates (l’anémie peut être normocytaire si il y a une carence à la fois en fer et en folates), l’hypocalcémie par malabsorption du calcium et de la vitamine D. La stéatorrhée (> 6 g/24h) peut se voir dans toutes les causes de malabsorption. Une stéatorrhée modérée (jusqu’à 10-12 g/24h) peut accompagner une diarrhée hydrique (motrice ou sécrétoire), par « manque de temps ». Une anomalie du test au D-xylose (chez l’adulte, xylosémie 2 h après ingestion de 25 g de D-xylose dans 250 ml d’eau, normale > 0,25 g/l) suggère une malabsorption du grêle proximal (rarement fait en pratique). Une anomalie du test de Schilling avec facteur intrinsèque traduit une atteinte de l’iléon terminal ou une colonisation bactérienne chronique du grêle (cf plus loin). Diarrhée chronique (303) - 8 - 2- Principales causes de la diarrhée par malabsorption a- Malabsorption d’origine pariétale intestinale Atrophies villositaires : maladie coeliaque +++ (cf plus loin), les autres causes d’atrophie sont exceptionnelles : sprue tropicale, certaines carences globales en immunoglobulines, médicaments (néomycine, anticancéreux), lambliase (souvent dans le cadre d’un déficit global ou sélectif en immunoglobulines), radiothérapie abdominale. Lésions pariétales autres : maladie de Crohn, maladie de Whipple, tuberculose intestinale, lymphomes extensifs du grêle, amylose, grêle radique. La maladie de Whipple (exceptionnelle) est liée à une infection par une bactérie Tropheryma whippelii. Le diagnostic est fait sur les biopsies duodénales qui mettent en évidence des macrophages colorés par le PAS (acide périodique Schiff). La bactérie peut être mise en évidence par PCR à partir des biopsies duodénales. Il existe une diarrhée, un amaigrissement, des douleurs abdominales et des symptômes extradigestifs : polyarthrite séro-négative et signes neurologiques (démence, ophtalmoplégie, myoclonies), plus rarement fièvre, mélanodermie, épanchement divers (péricardite, ascite, pleurésie). Parasitoses : lambliase, certaines parasitoses en cas de SIDA (coccidioses, cryptosporidiose, microsporidiose) Post-chirurgicaux : résections étendues du grêle Colonisation bactérienne chronique du grêle (cf plus loin) Insuffisance artérielle mésentérique chronique b- Malabsorption d’origine pancréatique et biliaire Insuffisance pancréatique exocrine : pancréatite chronique, cancer de la tête du pancréas, résection pancréatique, mucoviscidose Insuffisance en sels biliaires : cholestase chronique, atteintes iléales > 1 m (carence en sels biliaires) Le traitement est celui de la cause avec compensation des carences. C- Diarrhée osmotique Elle est due à l’ingestion de solutés partiellement ou non absorbables qui entraînent un appel osmotique d’eau et d’électrolytes dans le grêle. Dans les selles, il peut exister un trou osmotique représenté par le soluté malabsorbé (le plus souvent > 125 mOsm/kg). Il s’agit soit de sucres, soit d’ions divalents (Mg, SO4). Les symptômes sont : Selles d’allure hydrique, mousseuses en cas d’ingestion d’un agent fermentescible malabsorbé Nombre, volume et horaires des selles dépendent de l’agent responsable Cessation immédiate à l’arrêt de l’ingestion de l’agent responsable (en particulier en cas de jeûne) Coliques abdominales, borborygmes, excès de gaz, irritation anale en cas d’ingestion d’agent fermentescible malabsorbé Pas de retentissement sur l’état général Diarrhée chronique (303) - 9 - Les principales causes sont les suivantes : Déficit en lactase : très fréquent, mais exceptionnellement responsable de symptômes, déficit en d’autres enzymes (saccharase-isomaltase) Laxatifs osmotiques +++ : mannitol, sorbitol, lactulose, lactilol, macrogol (PEG), sulfate de magnésium, phosphate de soude Antiacides à base de magnésium Confiseries, chewing-gum « sans sucre » +++ Le traitement est l’arrêt du produit en cause et l’exclusion du sucre en cause en cas de déficit enzymatique. Dans certains cas, la prise de substances osmotiques est « cachée » (contexte psychiatrique). La recherche d’un trou osmotique dans les selles devient alors un élément du diagnostic. D- Diarrhée sécrétoire (rare) Généralement abondante (> 500 g/24h) Ne cède pas au jeûne Pas de trou osmotique Si abondante : risque de déshydratation, insuffisance rénale fonctionnelle, hypokaliémie, acidose métabolique Les principales causes sont : Laxatifs irritants : anthraquinones, bisacodyl, phénolphtaléine (Attention, prise cachée possible dans un contexte psychiatrique : laxatifs à rechercher alors dans les urines) Médicaments : biguanide, colchicine, digitaliques … Résections iléales < 1 m (effet choléréique) Lésions organiques coliques : polypose adénomateuse familiale, tumeurs villeuses hypersécrétantes, colite microscopique (collagène ou lymphocytaire, parfois d’origine médicamenteuse), sténoses coliques incomplètes, MICI Infections : lambliase, amibiase et, en cas de SIDA : cryptosporidiose, microsporidiose, CMV Tumeurs endocrines : VIPome, mastocytose systémique E- Diarrhée volumogénique (exceptionnelle) Elles sont dues à l’inondation de l’intestin par une augmentation considérable des sécrétions digestives hautes, habituellement une hypersécrétion gastrique acide. La diarrhée est rarement le signe prédominant. La cause principale est l’exceptionnel syndrome de Zollinger-Ellison lié à une (des) tumeurs endocrines sécrétant de la gastrine, situées dans la paroi duodénale ou la tête du pancréas. Les symptômes sont les douleurs épigastriques liés à des ulcères duodénaux (souvent compliqués), une œsophagite, des vomissements de liquide clair, acide, un amaigrissement et une diarrhée qui cède sous traitement par inhibiteurs de la pompe à protons. Biologiquement hypersécrétion acide et hypergastrinémie. F- Entéropathie exsudative Les entéropathies exsudatives sont caractérisées par une fuite protéique dans la lumière intestinale. Elles peuvent résulter soit d’une altération de l’épithélium intestinal (ulcérations de causes divers, MICI, cancer …), soit d’un obstacle au retour lymphatique (adénopathies intra-abdominales métastatiques, tuberculeuses, obstruction primitive (exceptionnelle) = maladie de Waldmann ou lymphangiectasies primitives intestinales), péricardite, hyperpression dans les cavités cardiaques Diarrhée chronique (303) - 10 - droites). Les symptômes dépendent de la cause. Il existe le plus souvent une hypoprotidémie avec hypoalbuminémie et donc des oedèmes. Le diagnostic d’entéropathie exsudative est fait par la mesure de la clairance de l’alpha-1-antitrypsine dans les selles. Cette mesure n’est faite que dans les formes de diarrhées inexpliquées compatibles avec un mécanisme d’entéropathie exsudative et n’est pas faite quand le diagnostic étiologique est fait (par exemple, MICI, cancer, adénopathies tumorales évidentes …). Le diagnostic étiologique des entéropathies exsudatives liées à un obstacle au retour lymphatique est parfois difficile. IV- Situations particulières A- Colonisation bactérienne chronique du grêle (= pullulation microbienne) Elle est définie par la présence en quantité anormale de bactéries dans l’intestin grêle, généralement liée à la stagnation et donc la pullulation dans un segment digestif qui s’évacue mal. Elle est souvent asymptomatique, mais elle peut être responsable d’une diarrhée chronique et/ou d’une malabsorption parfois sévère. Les bactéries déconjuguent les sels biliaires ce qui les rend absorbables dans le jéjunum. Il en résulte une diminution de la concentration intraluminale en acides biliaires, pouvant descendre en dessous du seuil critique de formation des micelles et ainsi entraîner une malabsorption des graisses, donc une stéatorrhée. Les acides biliaires déconjugués et les acides gras non absorbés sont susceptibles d’exercer des effets sécrétoires sur le côlon et une diarrhée d’allure hydroélectrolytique. Les bactéries peuvent également induire des anomalies de l’épithélium intestinal avec rarement une atrophie partielle. Ceci peut avoir une incidence sur l’activité disaccharidase de la bordure en brosse et éventuellement contribuer à la diarrhée en augmentant la charge osmotique. La malabsorption des vitamines liposolubles est liée à la maldigestion des lipides. On peut noter une diminution des taux de vitamine B12 car les bactéries en excès captent le complexe cobalaminefacteur intrinsèque. Le catabolisme bactérien peut entraîner une malnutrition protéique. Les causes les plus fréquentes de colonisation bactérienne chronique du grêle sont : Défaut de clairance intestinale causes anatomiques : syndrome de l’anse afférente après gastrectomie partielle syndrome de l’anse borgne stagnante court-circuits intestinaux (chirurgicaux ou fistule) diverticulose du grêle obstruction chronique (sténose inflammatoire, radique, tumorale) causes fonctionnelles : pseudo-obstruction intestinale chronique primitive ou secondaire (diabète, sclérodermie …) Déficits des défenses antibactériennes gastrite atrophique fundique gastrectomie, vagotomie Reflux colo-grêlique résection de la valvule iléo-cæcale fistules entre le côlon et le grêle Le diagnostic est fait par le test respiratoire au D-glucose ou le test thérapeutique aux antibiotiques (réduction de la diarrhée après réduction de la quantité de bactéries). Le traitement repose sur l’antibiothérapie par cures, à moins qu’une correction chirurgicale puisse être effectuée. Diarrhée chronique (303) - 11 - B- Causes de diarrhée chez le diabétique (transversalité …) Anomalies attribuées au diabète Diarrhée motrice par dysautonomie (neuropathie végétative) Colonisation bactérienne du grêle secondaire aux troubles moteurs Fausse diarrhée par incontinence sphinctérienne Maladies associées ou cause du diabète Affections pancréatiques (pancréatite chronique, cancer) Maladie cœliaque Colite microscopique, notamment collagène Médicaments hypoglycémiants (biguanides, inhibiteurs de l’alpha-glucosidase) C- Maladie cœliaque (MCA) +++ C’est la première cause de diarrhée par malabsorption. Elle associe un syndrome clinique et/ou biologique de malabsorption du grêle, une atrophie villositaire totale ou subtotale et la régression habituelle des signes anatomiques par le régime sans gluten. La MCA est une maladie du grêle auto-immune induite par l’ingestion de gluten, survenant chez des sujets génétiquement prédisposés. Elle touche l’enfant et l’adulte de tout âge. On estime maintenant que la prévalence est élevée, environ 1 pour 300 en Europe et aux USA, mais les formes symptomatiques diagnostiquées sont en fait rares (prévalence 1 pour 2 500 en France). La prévalence de la MCA chez les parents au premier degré de sujets avec MCA est de 10%. Les lésions histologiques du grêle caractéristiques, toujours duodénales ou duodéno-jéjunales et parfois plus étendue jusque l’iléon, associent (cf. poly anapath): 1- une atrophie villositaire totale ou subtotale, 2- des altérations épithéliales avec une augmentation du nombre des lymphocytes dans l’épithélium (important car un des premiers signes de la maladie) et des anomalies des entérocytes (immatures, dystrophiques, irréguliers, moins hauts que normalement) et 3- une hypertrophie des cryptes. Dans les formes précoces ou mineures, tous les signes histologiques peuvent ne pas être présents (s’aider alors du dosage des anticorps). Il existe de plus un infiltrat lympho-plasmocytaire du chorion. La MCA est liée au complexe majeur d’histocompatibilité, surtout aux gènes HLA de classe II. Le gluten est un constituant complexe des farines de céréales (seigle, avoine, blé, orge – « SABO »). La gliadine, une des protéines du gluten, est la molécule toxique responsable de la MCA. Les symptômes typiques : diarrhée, douleurs abdominales et syndrome de malabsorption du grêle ne se voient que chez 20% des malades. La malabsorption touche surtout le grêle proximal : graisses (stéatorrhée), fer (anémie), folates (anémie), calcium et vitamine D (hypocalcémie, tétanie, ostéoporose/ostéomalacie), protéines (hypoalbuminémie). Actuellement, la MCA est le plus souvent suspectée devant une anémie par carence en fer isolée ou associée à de vagues troubles digestifs très atypiques (dont certains peuvent évoquer des troubles fonctionnels intestinaux) ou des signes extradigestifs (ostéoporose, polyarthralgies, avortements à répétition, hypotrophie fœtale) ou des signes biologiques tels qu’une élévation inexpliquée des transaminases. La MCA serait la cause de 5% des anémies ferriprives inexpliquées, d’où la nécessité de toujours faire une gastroscopie avec biopsies duodénales en cas d’anémie ferriprive. La MCA serait aussi présente chez 5% des malades ayant des TFI. De multiples maladies peuvent être associées à la MCA et peuvent être un mode de révélation : diabète de type 1, déficit sélectif en IgA, dermatite herpétiforme, cirrhose biliaire primitive. Diarrhée chronique (303) - 12 - Enfin, la maladie peut être révélée par une complication (lymphome malin non-hodgkinien de type T) (cf plus loin), ostéoporose/ostéomalacie +++. Le diagnostic de MCA est affirmé par la présence des signes histologiques caractéristiques sur les biopsies duodénales. Il y a quelques aspects endoscopiques caractéristiques de l’atrophie villositaire au niveau du duodénum, mais pas toujours. Ce qui compte est l’analyse histologique. Il existe des anticorps sériques qu’il faut rechercher, soit dans les situations de dépistage familial ou individuel (en cas d’association à une maladie connue comme pouvant être associée à la MCA), soit en cas de doute si l’analyse histologique est atypique, soit quand le diagnostic de MCA est porté. Dans ce cas, le suivi des anticorps est un reflet du suivi du régime sans gluten. Les anticorps anti-endomysium de type IgA (en l’absence de déficit sélectif en IgA) sont très sensibles et très spécifiques (> 99%), les anticorps anti-gliadine totaux ou IgA ont une sensibilité et une spécificité un peu plus faibles (> 80%). L’intérêt des anticorps anti-transglutaminase n’est pas encore démontré. La recherche d’une ostéopénie ou d’une ostéoporose par ostéo-densitométrie doit être systématique au même titre que la recherche biologique des diverses carences. La MCA prédispose au lymphome malin non-hodgkinien de type T (risque augmenté d’un facteur 40 à 100), mais cette maladie reste rare. On pense que le risque de lymphome est très réduit si le régime sans gluten est bien suivi. Les autres complications de la MCA sont surtout les conséquences nutritionnelles dont l’ostéoporose/ostéomalacie +++, d’autres cancers (ORL, œsophage, grêle) et la résistance au régime sans gluten. Le traitement repose sur l’exclusion à vie du gluten dans l’alimentation (et dans les médicaments dont l’excipient peut contenir du gluten) et la correction des carences. Le régime est lourd (exclusion de tous les dérivés du seigle, de l’avoine, du blé et de l’orge). Les malades doivent être aidés par des diététiciennes motivées et, si possible, adhérer à une association de malades (soutien, informations en particulier nutritionnelles). Un suivi gastroentérologique (clinique, biologique, histologique) est nécessaire.