Des interactions complexes en milieu naturel
LE MONDE | 05.04.01 | 13h40
DANS LE RÔLE de la plante, prenons la plus connue des
crucifères : le chou, à la culture duquel sont consacrés, rien qu'en
Bretagne, quelque 40 000 hectares. Dans le rôle de l'insecte
herbivore : précisément la mouche du chou (Delia radicum),
ravageur principal des crucifères des régions légumières de l'ouest
de la France. Les parasitoïdes, eux, sont au nombre de trois : une
petite guêpe (Trybliographa rapae) et deux petits coléoptères au
corps allongé, des staphylins (Aleochara bilineata et
A. bipustulata).
Tels sont les acteurs de l'écosystème breton qui permettent aux
chercheurs de l'université Rennes-I (laboratoire d'écobiologie des
insectes parasitoïdes) de parfaire leurs connaissances sur la lutte
biologique appliquée aux crucifères. Et, surtout, de tenter
d'accroître les défenses naturelles du chou contre son principal
prédateur.
"Dans de nombreux cas de lutte biologique, on se sert d'un parasite
venant d'une autre région : l'introduction du parasitoïde pour lutter
contre un ravageur est une gageure qui consiste à estimer que
celui-ci sera capable de s'adapter dans le nouveau milieu, et on fait
l'impasse sur l'impact qu'aura cette introduction sur les équilibres
en place", rappelle Etienne Brunel, chercheur au laboratoire de
zoologie de l'INRA (Le Rheu, Ille-et-Vilaine) qui, grâce aux moyens
accordés par le conseil régional de Bretagne dans le cadre du GIS
"Lutte biologique et intégrée dans l'Ouest", travaille sur le même
projet. Ainsi que l'exposait le mensuel Réus- sir fruits et légumes
(numéro d'avril 1999), on a ici adopté le parti pris selon lequel la
nature faisait bien les choses. Plutôt qu'aller les chercher ailleurs,
on a donc privilégié des parasitoïdes locaux de la mouche du chou -
précisément la guêpe et les deux staphylins.
"L'adulte du staphylin Aleochara est prédateur. Il s'alimente des
œufs de mouche et peut s'attaquer aux larves. Les femelles
déposent leurs œufs dans le sol ; à l'éclosion, les jeunes larves
recherchent des pupes pour y pénétrer", précise le zoologue.
L'adulte peut donc être utilisé pour une action curative, puisqu'en
mangeant les œufs de mouche il en réduira les attaques. De plus,
son action ne s'arrêtera pas là : les œufs pondus à proximi
permettront aux jeunes larves de parasiter les pupes qui auront pu
se former, ce qui, chez la mouche, réduira d'autant la génération
suivante.
"UN DÉFI INTÉRESSANT"
Cette double action pour un même auxiliaire n'a jusqu'alors été que
peu utilisée. Selon Etienne Brunel, elle constitue donc "un défi
intéressant à relever". Des essais en conditions naturelles ont été
mis en œuvre au cours de ces dernières années, dont les résultats
sont en cours d'évaluation.
"Les étapes suivantes concerneront la poursuite des travaux de
recherche sur l'interaction compétitive entre le staphylin et sa
proie, sur l'écologie comportementale pour comprendre les
modalités de ponte des femelles et sur la détermination des
capacités prédatrices de chaque espèce", ajoute Etienne Brunel.
Sur le plan fondamental, il reste également à la science un défi
d'importance : comprendre dans le détail les conséquences - la
"raison d'être", si l'on ose dire - que peut avoir pour les plantes
l'émission de ces signaux chimiques de détresse. Une réflexion à
laquelle s'est récemment livrée la revue scientifique américaine
Science (datée du 16 mars), dans un commentaire signé de trois
chercheurs de l'université d'Amsterdam. Selon M. W. Sabelis,
A. Janssen et M. R. Kant, les expériences menées jusqu'à présent
suggèrent que ces "composés chimiques informatifs" pourraient
intervenir de diverses manières. "Les plantes pourraient utiliser des
signaux chimiques volatils pour alerter d'autres herbivores affamés
qu'elles sont déjà attaquées, et qu'il leur faudrait affronter la
concurrence s'ils décidaient de s'en mêler", suggèrent-ils, en
ajoutant que "les signaux pourraient également informer les
herbivores que les défenses directes de la plante sont activées pour
repousser les assaillants". Les plantes pourraient aussi utiliser ces
signaux pour appâter les prédateurs des herbivores. De même, la
présence même de leurs ennemis pourrait signifier aux herbivores
que les végétaux qu'ils convoitent sont des forteresses bien
gardées. Enfin, concluent les chercheurs, il est tout à fait possible
que "ces quatre possibilités agissent de concert".
Mais au fait : est-on bien certain que ces messages rendent
vraiment service aux plantes qui les émettent ? "Après tout, les
signaux volatils chimiques provoqués par la présence d'herbivores
peuvent non seulement appâter les prédateurs, mais également
attirer des herbivores compétitivement supérieurs, des prédateurs
qui mangent également des plantes, des superprédateurs ou même
des superparasites", estiment les trois chercheurs d'Amsterdam.
Pour découvrir pourquoi la sélection naturelle favorise des plantes
qui émettent des signaux lorsqu'elles sont attaquées, les
scientifiques devront déterminer au plus près les avantages et les
inconvénients de ce dispositif, "en analysant le réseau alimentaire
tout entier". Autant dire qu'il faut mener des études à long terme,
dans des zones de végétation plus denses et plus variées que celles
retenues aujourd'hui.
Catherine Vincent
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