Introduction au droit musulman, Maisonneuve et Larose, Paris, 1983

SCHACHT Joseph, (Traduit de l’nggais par KEMPF et Abdel Magid TURKI),
Introduction au droit musulman, Maisonneuve et Larose, Paris, 1983
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de Kûfa reflètent respectivement les situations sociales du Hedjaz et de l'Irak, et
la société irakienne apparaît moins archaïque et plus différenciée, mais aussi
d'une structure plus rigide que la société du Hedjaz.
2. Un caractère important de l'activité des anciennes écoles de droit réside dans
le fait que, pour la première fois, elles prenaient au sérieux les gles
coraniques. Par opposition avec ce qui s'était passé au i^ siècle de l'Islam, des
conclusions formelles étaient désormais tirées de l'ensemble, intrinsèquement
religieux et moral, des maximes du Coran, non seulement pour le droit familial,
pour celui des successions et, bien entendu, pour les rites et les règles de piété,
mais aussi pour tuas les domaines qui n'étaient pas traités en détail par la
législation coranique. L'apogée de la reprise des règles coraniques par le droit
islamique primitif coïncide avec l'expansion des anciennes écoles de droit au
début du ne siècle de l'Islam.
3. Les anciennes écoles de droit partageaient non seulement une attitude
commune a l'égard des pratiques omeyyades et un ensemble considérable de
lois religieuses, mais aussi les traits essentiels de la théorie juridique, qui
n'étaient pas tous évidents du point de vue historique et qui n'allaient pas for-
cément de soi. L'idée centrale de cette théorie était la « tradition vivante de
l'école.» représentée par la doctrine constante de ses représentants qualifiés.
Cette idée domina l'évolution de l'enseignement juridique pendant tout le ne
siècle de l'Islam. Elle se présente sous deux aspects : rétrospectif et synchroni-
que. Rétrospectivement, elle apparaît en tant que sunna, ou « pratique » ('amal),
ou' « précédent bien établi » (sunna mâdiya), ou « pratique ancienne » (amr
gadîm). Cette « pratique » représente en partie la coutume réelle de la
communauté locale, mais contient également un aspect théorique ou idéal, de
sorte qu'elle en arrive à être une sunna normative; l'usage tel qu'il devrait être.
Cette, pratique idéale, qui était supposée immuable, quoiqu'elle évoluât au fur
et à mesure de la domination du domaine du droit par les idées islamiques, se
trouva dans la doctrine unanime des savants religieux représentatifs de chaque
centre, dans l'enseignement dispensé par ceux « que le peuple de chaque ion
reconnaissait pour ses spécialistes compétents en législation religieuse, dont les
opinions étaient admises, et aux décisions desquels on se soumettait ».
C'est seulement l'opinion de la majorité qui compte; des petites communautés
de savants étaient négligées. Ce « consensus » (ijmâ) des savants, représentant
le dénominateur commun de la doctrine à laquelle chaque génération était
arrivée, exprime l'aspect synchronique de la tradition vivante de chaque école.
Le fonctionnement de ce consensus est décrit par un ancien savant de Bassorah
dans les termes suivants :
« Toutes les fois que je rencontre dans un lieu d'études une génération d'érudits
qui, dans leur majorité, soutiennent la même opinion, je l'appelle consensus,
que leurs prédécesseurs aient été ou non d'accord avec eux sur ce point, car la
majorité ne s'accorder4it pas sur quelque point en ignorant la doctrine de ses
prédécesseurs et car elle abandonnerait la doctrine antérieure uniquement en
raison d'une abrogation (tirée par exemple du Coran et négligée par ses
prédécesseurs) ou parce qu'elle se serait avisée de quelque argument meilleur,
même si elle ne les mentionne pas. » Dans la pratique, la décision sur ce qui
doit devenir la norme est laissée à la dernière génération des représentants de
chaque école de droit.
Le consensus des savants diffère du consensus des Musulmans sur les points
essentiels. Ce dernier, par la force des choses, couvre l'ensemble du monde
islamique, mais il est vague et général, alors que le consensus des savants est
limité géographiquement au siège de l'école considérée, est précis et détaillé,
mais aussi tolérant et sans exclusives, reconnaissant l'existence d'autres
doctrines dans d'autres centres. Les deux genres de consensus sont37
reconnus comme des arguments finitifs, dans les anciennes écoles de droit,
encore que le consensus des savants ait une importance pratique bien supérieure
et soit à la base de leur enseignement. Il est tout à fait normal que le consensus
des Musulmans doive être considéré comme à l'abri de l'erreur. Que le
consensus des savants le soit également n'est pas aussi évident, et toute cette
conception hautement élaborée semble avoir été influencée de l'étranger.
4. Al originele consensus des savants était anonyme, en ce sens qu il était
l'opinion moyenne des représentants d'une école valable, et non la doctrine
particulière des savants les plus éminents. La tradition vivante des anciennes
écoles conserva ce caractère essentiellement anonyme en pleine deuxième
moitié du ne siècle de l'Islam. Néanmoins, l'idée de continuité inhérente à la
notion même de sunna, la pratique idéalisée, en même temps que le besoin de
créer une sorte de justification théorique à ce qui avait été jusqu'alors la
confiance instinctive dans les opinions de la majorité, amena, à partir des pre-
mières décennies du u siècle, à la projection dans le passé de la tradition
vante 'et à son attribution à certains grands personnages du passé. Les fians,
furent les premiers à attribuer la doctrine de leur école à Ibrâhîm alNakha'f
quoique ce corps de doctrine juridique élémentaire eût très peu de rapports avec
les quelques opinions authentiques du véritable Ibrâh'un. Il représente plutôt le
stade d'enseignement juridique atteint au temps de j-Iammâd ibn Abî Sulaymân
(m. 120/738), le premier juriste de fa dont la doctrine puisse être considérée
comme pleinement authentique. En vertu d'une convention littéraire, qui
rencontra une faveur particulière en Irak, il était normal pour un érudit ou pour
un auteur de mettre ses oeuvres sous l'égide qle son maître. A Médine, on fit de
même et les écrivains attribuèrent leur propre doctrine à un certain nombre
d'anciennes autorités qui étaient mortes dans les dernières années du siècle,
ou dans les toutes premières du nt : Plus tard, sept d'entre eux furent choisis
comme particulièrement représentatifs. Ils furent appelés: « les sept juristes de
Médine ». Ce sont îd ibn alMusayyib, 'Urwa ibn al-Zubayr, Abû Bakr ibn
'Abd al-Rabmân, `Ubaid Allâh ibn 'Abd-Allâh ibn 'Utba, Khârija ibn Zaïd ibn
Thâbit, Sulaymân ibn Yasâr et Qâsim ibn Muhammad ibn Abî Bakr. Peu des
opinions attribuées à ces anciens auteurs peuvent être tenues pour authentiques.
La transmission de la doctrine juridique au Hedjaz peut être historiquement
tenue pour certaine à peu près à la même époque qu'en Irak, avec Zuhrî (m.
124/742) et avec son presque contemporain Rabï a ibn Abî 'Abd al-Rabmân en
ce qui concerne Médine et avec 'Atâ' ibn Abî Rabâh pour La Mecque.
Le procédé qui consistait à remonter dans le passé pour trouver le fondement
théorique du droit religieux islamique tel qu'il était enseigné dans les anciennes
écoles ne s'arrêta pas avec ces auteurs relativement tardifs. A l'époque même où
la doctrine de l'école de Kûfa était attribuée à Ibrâhîm al. Nakhâ î et peut-être
même un peu plus tôt, cette doctrine et la pratique idéalisée qui en fin de
compte en était la base étaient directement reliées aux débuts de l'Islam à Kûfa,
débuts associés à Ibn Mas'ûd, un compagnon du Prophète. Ce n'était toutefois
pas à Ibn Mas'ûd lui-même qu'on se référait d'abord, mais à un groupe imprécis
de « compagnons d'Ibn Mas'ûd » qui étaient, de manière générale, choisis pour
garantir la tradition authentique et ininterrompue de la doctrine correcte et des
pratiques correctes à Kûfa. Plus tard, la référence générale aux compagnons
d'Ibn Mas'ûd donna naissance à une référence précise et explicite à Ibn Mas'ûd
lui-même, et une part très importante de la doctrine primitive de Kûfa lui fut
attribuéè. Quoique cet ensemble doctrinal différât sur. bien des détails de
l'enseignement néral de l'école de Kûfa qui se fit sous le nom d'Ibrâhîm al-
Nakha'î, Ibrâhîm apparaît comme le principal interprète de la doctrine d'Ibn
Mas'ûd, et bien des opinions furent projetées en arrière, au-delà d'Ibrâhîm,
jusqu'à Ibn Mas'ûd. Le véritable Ibrâhîni n'avait eu aucun contact personnel
avec le véritable Ibn Mas'ûd, mais quelques-uns des
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générale, les pouvoirs publics sont réduits à des droits ou à des devoirs de type
privé, par exemple le droit de donner un amân valide, ou un sauf-conduit, le
devoir de payer le zakkt, ou taxe des pauvres, ou les droits et les
devoirs des personnes qui nommant un individu coi
droits et les devoirs de ces derniers, fait d'autant 1
gue arabe possède un terme abstrait pour « autori
gouverner e avec le mot su1(dn, mot qui n'en vint à qupartir du ive/xe siècle;
mais le droit islamiqu cept juridique correspondant. Pour la même raisin les• de
l'État islamique sont conçues, non comme 1
sauté des croyants comme telles, mais comme des
ment par un nombre suffisant d'individus dispem plir;.en fait, tout le concept
d'institution manque.
et ceux
me là, au centre du droit s'il s'agissait de la plaine de procureur public est
de mu/jtasib, mais il est
catégorie mêlant les droits civil et pénal, que le droit islamique a consecvo la
loi de l'Arabie pré-islamique, elle était un phénomène archnlgue, certes,
mais aucunement exceptionnel. (V. ci-dessus, pp. 17, 125, 135, 148-9). Le droit
de l'Arabie pré-islamique avait déjà insisté sur l'aspect civile et il en est de
même du droit. islamique (5). Ici, le concept de culpabilité criminelle existe
àpeine, et, à part l'expiation'reliigieuse de la kaf fâra, et, notamment, la 4tgûba
des mâlikites il n'y a aucun sanction fixée pour une. atteinte quelcontlué, aux
droits d'un être humain, à l'inviolabilité de sa personne ou de ses biens, mais
seulement la réparation exacte du dommagecausé; les amendes pécuniaires sont
inconnues. De même l'exécution du jugement dans ce domaine est, en principe,
l'affaire de la partie en faveur de laquelle il a été rendu. Ces deux grandes
divisions de ce que la terminologie moderne appelle rait le droit pénal de
l'Islam correspondent étroitement aux deux sources è partir' desquelles la
sociologie du droit fait découler tout le droit pénal.
Le ta zîr recouvre les deux domaines le gâ4îpeut punir tout acte à sa dis-
rétion si, à Mn avis, cet acte appelle un châtiment, qu'il aille à l'encontre des
roits d'Allah ou de ceux d'êtres humains. Le ta'zîr appartient donc à la loi étiole
elle-même, mais même ici, le droit islamique n'a pas envisagé l'intposi' ion
d'amendes. D'un point de vue sociologique, le ta'zîr est indépendant, et a ussi
une histoire distincte. Il n'appartientni àl'ancien droit coutumier d'Araie qui fit
ratifié par l'Islam, ni à une législation islamique qui apparut dans Coran ou les
Traditions du Prophète. Ce furent les premiers a44fs musul-
crétioni tontes sortes dictes qui menaçaient l'existence pacifique de la nouvelle
société islamique en train de naître. Les sanctions pénales maposées par les
califes de Médine dans la première moitié du te' siècle de l'Islam répon'
dament an même besoin; dans la mesure où elles survécurent comme règles
reconnues, elles furent incorporées dans la législation islamique; dans la mesure
elles ne survécurent pas de la sorte, elles durent être interprétées comme
ta'zfr parla théorie du droit islamique. Le ta'zfr, extension du domaine
(5) Le droit islamique distingue, cependant, la responsab{lité civile pour un fart
corsé et la responsabilité civile résultant d'une rupture de contrat
primitif du droit pénal proprement dit, correspondait à un bpin pratique- ment
ressenti, et ressenti suffisamment tôt pour que les premiers spécialistes du droit
religieux islamique l'incorporassent dans leur doctrine officielle. Mais les
besoins de la société islamique ne se bornèrent pas à cela; les développements
ultérieurs du droit pénal, et la création d'institutions chargées de les appliquer,
comme la iisba et le nazar jil-mazdlim, devinrent iné`i-
tables. Toutefois, à l'époque les spécialistesavaient t déjà furent oentgés 'eu
tenir compte, les grandes lignes du système que ur ce rées, et c'est pourquoi la
stricte théorie ne pouvait les admettre q encorelleencorele
qu'ils étaient, cest-3•dire de simples tolérances- D pÎétemment ignorés plus
tardifs, comme les s nflmeg ottomans, cete partie de la réalité du droit parla
doctrine. Le caractère r sociologique i ue sa place dans la théorie offi-
pénal de l'Islam est demeuré Pass étéét rme.
delle du droit islamique méthodes par lesque
8-La sociologie a e du droit montre qu'il y chut t la méthode analytique
domaine juridique est construit en système dernier type de
et la méthode analogique. Le droit islamique représente ce juridiques la
structure bien déveloP- système dans toute sapureté.emiL'existence ét.hod
concept
, pasplu que la méthode ~asms
tique n'est pas typique de second q m.
tique nesttyptgqqu de la seconde. Mais aussi bien uanq emonrent elap
ue islamique procède par parataxe et association isla ique, ques de st typiqu
que e nature de sa méthode casuisuque montrent ue a p méthode jode d du
droit islmniqu mode
estture purement ana ogi dl s gces ca #mtssont dés maanifestanons d'un mode
estensée t typique qui Tou
e l'ensemble du droit islamique.
de pensée typique er me du droit positif, la sociologie jure
En ce qui concerne le caractère formel en dernière analyse diqsee propose deux
cas extrêmes. L'un estancei i droits droit objectif qui garas fit les droits •
subjectifs des individus; de tous les individus.la sommé d
la somme totale des privilèges Pers appartient sop remis
est celui d'un droit qui se réduit à l'a oit isltration, qui a~ctuau du dro
toutes les obligations individuelles- Le droit islamiquei t te. Ca
type, et ceci concorde avec ce que montra l'examen p de 1
« public . islamique. En résulte tout son caractère dére dans le au prug
quelque importante qu'air été la place accordée on estfaibless sociale
p me
de réforme sociale et d'amélioration de la situationcbntque, este soc+
arlant, le. droit islamique, dans sa structure c e du droit sucre
individualiste comme en témoigne, par exemple, par laquelle chaq
soral (par opposition aux effets sociaux de sa part individuelle, nus
héritier devient 11 meatatc,u°' -
l'institution du wagt, dont les conséquences sort es mais qui, par son r81e
technique, est strictement end+ mesure des dispositions prises par le
fondateur ont ft islamique, comme dans d'autres droits, il faut distinguer
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