Le capital humain
Fondée par Theodore Schultz (1902-1998, prix Nobel d’économie en 1979) et développée
par Gary Becker (né en1930, prix Nobel d’économie en 1992 pour ses travaux qui élargissent
l’analyse économique à celle des comportements humains), la théorie du capital humain
constitue une extension de la théorie néo-classique de l’investissement au domaine de la
formation des hommes. Elle ambitionne d’expliquer des phénomènes comme les écarts de
salaires, les politiques de gestion du personnel des entreprises, ou encore les comportements
des jeunes face aux études.
définition : capacités physiques ou intellectuelles d’un individu ou d’un groupe d’individus
favorisant la production d’un revenu (monétaire ou extra-monétaire). La formation constitue
une forme d’investissement en capital humain.
Le Capital humain, une analyse théorique et empirique (Human Capital, A
theoretical and Empirical Analysis), Gary Stanley Becker, 1964
Becker définit le capital humain comme un stock de ressources productives incorporées aux
individus eux-mêmes, constitué d’éléments aussi divers que le niveau d’éducation, de
formation et d’expérience professionnelle, l’état de santé ou la connaissance du système
économique. Toute forme d’activité susceptible d’affecter ce stock (poursuivre ses études, se
soigner, etc.) est définie comme un investissement.
L’hypothèse fondamentale de Becker est que les inégalités de salaires reflètent les
productivités différentes des salariés. Ces dernières sont elles-mêmes dues à une détention
inégale de capital humain. Un investissement en capital humain trouve donc une
compensation dans le flux de revenus futurs qu’il engendre. L’analyse de la formation du
capital humain passe par l’étude d’un choix intertemporel : l’individu détermine le montant et
la nature des investissements qu’il doit effectuer pour maximiser son revenu ou son utilité
intertemporels.
De cette analyse théorique, Becker tire plusieurs séries de conclusions. D’une part, les
différences de salaires dans l’espace, dans le temps et entre les individus sont expliquées et
justifiées puisqu’elles sont le fruit d’investissements individuels différents effectués au cours
des périodes antérieures. D’autre part, l’analyse pose indirectement la question des modalités
de financement des investissements en capital humain par les individus. Certains
investissements efficaces peuvent ne pas être effectués, en raison de l’impossibilité pour
« l’individu-investisseur » de trouver des fonds (c’est le cas lorsque le marché des capitaux
fonctionne mal par exemple).
La seconde partie de cet ouvrage, fondée sur des données américaines des années 1940, est
une application empirique de ce cadre théorique au domaine de l’éducation. La principale
difficulté est d’évaluer le taux de rendement monétaire des investissements en éducation et
donc de faire apparaître empiriquement la liaison entre capital humain et revenus futurs
(chapitre IV et VI). Becker tente alors de déterminer s’il y a un sous-investissement en
éducation, qui entraîne une perte pour la société dans son ensemble, du fait de difficultés à
financer ces investissements. Il s’attache ensuite à l’explication des différences de salaires
entre groupes d’individus en termes de capital humain ; pour ce faire, il compare les profils
intertemporels de revenu de catégories d’individus différemment pourvus en capital humain,
évalué au nombre d’années d’étude.
L’analyse de Becker est fondée sur deux postulats. D’une part, les inégalités salariales
résultent des inégalités en capital humain. Des développements théoriques ultérieurs
remettront en question cette détermination du salaire par le seul capital humain. Les théories
du signal, par exemple, insistent sur les difficultés pour le salarié à faire reconnaître la vraie
valeur de son capital humain. D’autre part, les inégalités en capital humain résultent elles-
mêmes des comportements individuels. Mais cette justification des inégalités repose sur une
hypothèse forte : les individus ont une information parfaite et anticipent donc parfaitement les
rendements futurs de leurs investissements. Par ailleurs, les tentatives d’application empirique
de la théorie butent sur des difficultés à évaluer le capital humain, en raison notamment de
l’inexistence d’un marché où ce capital s’échangerait directement.
L’une des applications de la théorie du capital humain fut la distinction entre l’éducation
générale, qui élève le niveau de compétence des individus dans de nombreux secteurs
d’activités, et la formation professionnelle, qui augmente la productivité de l’individu surtout
au bénéfice de son employeur. Becker considère alors l’éducation générale comme un bien
collectif fourni par l’État ou directement payé par l’individu, alors que la formation
professionnelle peut être procurée par l’entreprise puisque celle-ci pourra récupérer le fruit de
l’investissement que constitue la formation. Cette théorie, bien que critiquée, a permis de
mettre au point des outils de gestion des ressources humaines au niveau de l’entreprise et de la
nation.
Le capital humain et le capital technique
Le capital humain constitue un facteur de production cumulable. Son stock est
essentiellement immatériel, composé d’acquis mentaux, indissociable de son détenteur. Il doit
donc être distingué du progrès technique, même si ces deux facteurs de la croissance
entretiennent des liens étroits.
Le progrès technique fournit d’une certaine façon la matière première à l’accumulation de
capital humain. Mais l’apparition et la diffusion du progrès technique semblent de plus en
plus dépendantes d’un haut niveau de capital humain. Au départ, les innovations relevaient de
modifications mineures opérées par des artisans sans formation spécifique ; elles ne
requéraient aucune qualification de la part des travailleurs qui étaient, le plus souvent,
illettrés. La sophistication croissante des biens d’équipement exige dorénavant une
qualification de plus en plus importante de la part des travailleurs, à la fois pour produire de
nouvelles connaissances dans le secteur de la recherche et pour utiliser ces nouveaux biens
d’équipements dans le secteur productif traditionnel.
Le capital humain et la croissance
Accumulation du capital physique et accumulation du capital humain produisent des effets
entraînants l’un sur l’autre, chacun augmentant les ressources nécessaires aux investissements
de l’autre. Robert Lucas montre ainsi théoriquement (en 1988) que la croissance peut être
soutenue uniquement par l’accumulation de ces deux types de capital. Il suffit que les
rendements d’échelle soient constants en ce qui concerne ces deux stocks : leur accumulation
en parallèle permet d’augmenter de façon proportionnelle la production. Dans ce cas, il ne
serait pas nécessaire de prendre en compte l’existence du progrès technique pour expliquer la
croissance de la production par tête. Mais les faits invalident cette vision de la croissance. En
effet, l’augmentation de la part des ressources consacrées à l’accumulation du stock de capital
humain au cours du XXe siècle ne s’est pas traduite par une augmentation du taux de
croissance moyen.
En revanche, Mankiw, Romer et Weil (1992) montrent qu’une augmentation du taux
d’investissement dans le capital humain (part de la production consacrée à son accumulation)
peut expliquer une élévation permanente du niveau du revenu par tête et une augmentation
temporaire de son taux de croissance. Les disparités entre pays dans le monde peuvent donc
s’expliquer en partie par des niveaux de capital humain différents. Même si les innovations
technologiques sont librement disponibles ou transférables dans les pays pauvres, le niveau
moyen des qualifications des travailleurs est certainement insuffisant pour les utiliser
pleinement. Si les pays asiatiques ont su élever leur niveau d’accumulation, c’est qu’ils
jouissaient aussi d’un niveau d’éducation relativement élevé.
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