Coommunication interculturelle 9
Protéger la face du partenaire et la
communication interculturelle
跨文化交际第九讲
救面子与跨文化交际
1. INTRODUCTION
Je viens d'analyser, au chapitre 5, le répertoire des réactions
possibles de l'acteur, confronté à diverses situations menaçantes, afin
de protéger sa propre face. Cela donne peut-être à penser que l'acteur
peut réussir seul à résoudre ces difficultés. En réalité, dans une
interaction de face à face, chacun se trouve placé dans une étroite
relation d'interdépendance. Pour un acteur, les stratégies visant à
protéger sa propre face ont pour contrepartie l'attitude intuitive qui
conduit le public, ainsi que les co-acteurs, à adopter un comportement
protecteur à son égard. Le fait que, dans une interaction, on risque de
perdre la face est donc réel aussi bien pour notre acteur que pour ses
partenaires.
Les stratégies de politesse que Brown et Levinson ont traitées
consistent à ne pas faire perdre la face au partenaire. En fait, à mon
avis, la protection de la face du partenaire nécessiterait, au delà de ces
stratégies, une intervention tactique de l'acteur qui devrait, même sans
le moindre acte menaçant de sa part, aider son partenaire soit à
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sauvegarder le spectacle, soit à sauver sa face perdue, soit encore à se
défendre contre toute menace en provenance d'une tierce personne. En
effet, dans le jeu interactionnel, l'intérêt mutuel fait que tous les
acteurs doivent compter les uns sur les autres et coopérer pour utiliser
"des techniques visant à sauvegarder le spectacle, que ce soit en
évitant les risques de rupture, ou bien en remédiant aux ruptures qu'on
n'a pu éviter, ou bien encore en donnant aux autres la possibilité de le
faire" (GOFFMAN, 1973a : 226).
2. NE PAS FAIRE PERDRE LA FACE AU PARTENAIRE
Il s'agit donc ici d'un ensemble de stratégies correspondant
approximativement à celles de politesse dont parlent Brown et
Levinson et consistant, d'une part, à éviter de commettre, à l'égard du
partenaire, une "offense virtuelle", définie par Goffman comme "une
ou plusieurs interprétations de l'acte qui en exacerbent le caractère
offensant ou les implications avilissantes" (1973b : 113) et d'autre part,
à en minimiser la menace, lorsqu'on n'a pas su éviter cette offense, soit
en l'atténuant, soit en la compensant par un acte satisfaisant la face du
partenaire. Toutes ces stratégies concourent à montrer au partenaire
que l'on accorde une grande considération à sa face.
2.1. Eviter de commettre une offense virtuelle
Les stratégies appliquées pour éviter de commettre une "offense
virtuelle" sont en fait de la même nature que celles dont le but est
d'éviter de perdre sa propre face, analysées au chapitre précédent, à
cette différence près que les dernières sont centrées sur l'acteur lui-
même, alors que les premières le sont sur le partenaire.
Il est possible, en l'occurrence, de distinguer deux cas d'offense
virtuelle: l'empiétement sur le "moi privé" du partenaire, c'est-à-dire
sur son "territoire personnel", ou bien une atteinte sur son "moi
public", lié à son image sociale. La réputation étant la base de
l'existence sociale d'un individu (cf. chapitre 2), un acteur prudent
devrait savoir traiter l'image publique de son partenaire avec autant de
soin qu'il le fait pour la sienne. Il lui faudrait éviter de commettre des
actes susceptibles de menacer directement l'image de l'autre, actes tels
que la critique, l'insulte, la révélation d'un secret, etc.. Ces actes seront
d'autant plus graves qu'ils seront accomplis en public. Nous aurons
l'occasion d'examiner plusieurs stratégies concernant le soin qu'il faut
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apporter à l'image publique du partenaire. Dans cette partie, je
voudrais me concentrer sur les précautions à prendre par l'acteur
relativement au "territoire personnel" de l'autre.
La notion de "territoire personnel" est empruntée à Goffman qui
la considère comme fondamentale dans une interaction de face à face:
"Une fois placés dans la présence immédiate des autres, les individus
se heurtent à des contraintes de territoire personnel. Par définition,
nous ne pouvons participer à des situations sociales que si nous
amenons nos corps et leurs accoutrements avec nous, et cet
équipement est vulnérable vis-à-vis des objets que les autres amènent
avec leur corps" (1988 : 195). Souvent, on limite le territoire
personnel au domaine spatial (de caractère stable comme une maison,
des terrains; situationnel comme une place ou les espaces qui
environnent un individu). D'après Goffman, "l'étude de la collectivité
sera plus facile... si nous étendons la notion de territorialité à des
objets non spatiaux, mais territoriaux par leur fonction" (1973b : 44).
On peut penser par exemple aux réserves d'informations et aux
domaines privés de la conversation, qui font partie du territoire
spirituel d'un acteur.
Beaucoup de chercheurs ont fait remarquer que, pour les Chinois,
la notion de territoire personnel n'était pas importante: "Une des
tendances des Chinois, c'est de se passer de 'l'état privé' -- c'est-à-dire
d'un espace personnel, d'un temps disponible pour soi-même, d'une
activité individuelle" (SUN, 1983 : 219). En effet, dans une culture où
domine l'esprit synthétique et "dans le moi, il y a du toi et dans le
toi, il y a du moi", la morale veut qu'on ne sépare pas clairement le
"toi" et le "moi". Or, on aurait tort de croire que les Chinois n'ont pas
de revendications par rapport à cette notion de territoire personnel.
Seulement, ils font la distinction entre les gens appartenant à leur
réseau familial et social et ceux considérés comme "du dehors" et ils
adoptent des attitudes différentes à l'égard des uns et à l'égard des
autres. C'est ainsi qu'on dit en chinois: "内外有别" ([en M] nei wai
you bie: distinguer l'intérieur de l'extérieur). On ne cherche pas à se
fondre avec ceux qui se trouvent hors de leur réseau relationnel, mais
plutôt à s'en écarter. Cet esprit des Chinois s'illustre parfaitement dans
leur style architectural traditionnel: une maison dite "四合院" ([en M]
si he yuan) était souvent construite de la façon suivante: quatre hauts
murs encerclent la maison et la séparent de l'extérieur; une grande
porte donne accès à l'immeuble toutes les pièces donnent sur une
cour intérieure et communiquent entre elles.
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La notion de territoire personnel, qui devrait être universelle, est
sujette, comme on le verra, à des spécificités culturelles.
Stratégie 1 Eviter toute offense territoriale
Compte tenu de l'importance de son territoire pour un individu,
un acteur discret doit savoir contrôler son accès aux divers territoires
du moi de son partenaire. A mon avis, un empiétement qui, en
apparence, n'affecte que le moi privé du partenaire, menace en fait son
moi public, c'est-à-dire sa face, étant donné qu'il implique un non-
respect de l'autre et présuppose qu'on le considère comme une non-
personne ou comme quelqu'un d'insignifiant. On peut alors distinguer
plusieurs types de violation: la position écologique du corps, le corps
lui-même (y compris les mains), le regard, les interférences sonores,
les adresses verbales, les excréments corporels, etc. (GOFFMAN,
1973b : 57-62).
Un moyen de respecter le territoire personnel du partenaire, c'est
d'éviter de se comporter en "intrus". Agir en "intrus", c'est envahir ce
territoire sans en avoir le droit, ou le contaminer de toute autre façon.
Prenons par exemple la prudence qui doit accompagner le regard. Par
exemple, un serveur doit éviter de fixer le décolleté d'une cliente bien
qu'il puisse convoquer discrètement toute une troupe de serveurs pour
l'admirer. Il convient de noter qu'une intrusion est parfois non
intentionnelle ou bien qu'elle est la conséquence secondaire d'un autre
acte. Les Français enseignant en Chine se plaignaient souvent du fait
que leurs collègues et leurs étudiants venaient les voir chez eux sans
avoir pris rendez-vous, et souvent à un moment inopportun. En réalité,
cette intrusion relevait seulement d'une différence culturelle. En Chine,
les visites amicales ne se font pas sur rendez-vous, ce qui leur
donnerait un aspect officiel, et une visite-surprise fait toujours plaisir.
Il est d'ailleurs adéquat, pour l'hôte, d'exprimer sa joie et sa surprise,
par exemple: "Ah, quel bon vent vous amène!". Une fois, la direction
de mon université a décidé qu'il fallait prendre rendez-vous pour
rencontrer les dirigeants de l'établissement. Peu de temps après, cette
décision a dû être annulée, car les doyens des départements et les
professeurs avaient protesté contre ce style bureaucratique et non-
démocratique.
Les informations confidentielles faisant partie du territoire
personnel, un acteur circonspect doit non seulement éviter de se
montrer trop curieux à propos de ce que disent les autres, mais aussi
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s'éloigner volontairement d'une conversation à laquelle il n'est pas
convié.
Un acteur discret, lorsqu'il est invité à pénétrer sur le territoire de
son partenaire, doit veiller à respecter ce territoire, sinon sa conduite
risquerait d'être interprétée comme une forme d'intrusion. Un Chinois
qui rend visite à un ami ou à des parents, soigne sa tenue non
seulement pour sauvegarder sa propre face, mais aussi par égard pour
la personne visitée (cf. Ex. 12). Pour se défendre contre une ingérence
indésirable ou incorrecte, certains lieux publics (restaurants, hôtels,
par exemple) ou religieux (églises, par exemple) refusent
officiellement l'entrée aux personnes dont la tenue est inconvenante.
Dans notre restaurant, les serveurs détestent les clients, qui, par
malveillance, ont mis n'importe quoi dans la soucoupe de l'addition au
lieu d'y mettre un pourboire. Cette soucoupe où le serveur espère
recevoir une récompense de son service est considérée par lui comme
faisant partie de son territoire.
Les différentes techniques que je viens d'analyser sont plutôt de
caractère général, c'est-à-dire qu'elles devraient exister dans toutes les
cultures. L'important, d'après moi, c'est de prendre soigneusement en
compte les différences culturelles dans ce domaine. Si deux cultures,
chinoise et occidentale, possèdent, l'une comme l'autre, la notion de
territoire personnel, elles peuvent différer sur les critères de distinction
concernant le domaine privé ou le domaine public, et un acte
considéré comme appartenant au domaine privé dans une culture peut
ne pas l'être dans l'autre.
Dans une étude effectuée par questionnaire auprès de lycéens
japonais et américains, D.C. Barnlund a présenté aux sujets des
diagrammes représentant le corps humain divisé en différentes parties et
leur a demandé d'indiquer les parties le plus fréquemment soumises au
contact physique. Voici le résultat des réponses (BARNLUND, 1975 :
446):
Touché Amis du Amis du mère père
par sexe opposé même sexe
1 / 57 100%
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