Introduction (notions évoquées par les mots en gras à maîtriser)
Il s’agit d’une chanson écrite et composée par Jean Ferrat en 1963, en mémoire des victimes des
camps de concentration nazis de la Seconde Guerre mondiale ; chanson qui lui a valu le grand prix du
disque de l'Académie Charles-Cros.
Le chanteur est fortement marqué par l'occupation allemande. Il a onze ans lorsque son père, juif non
pratiquant communiste, est enlevé aux siens, séquestré au camp de Drancy, puis déporté le 30 septembre
1942 à Auschwitz, dans le cadre de la Solution finale. L'enfant, avant d’être évacué avec sa famille en zone
libre, est caché un moment par des militants communistes, ce qui expliquera son compagnonnage avec le
PCF sa vie durant.
Jean Ferrat, né Jean Tenenbaum le 26 décembre 1930 à Vaucresson (Seine-et-Oise) et mort le
13 mars 2010 à Aubenas (Ardèche), est un auteur de chansons à textes, compositeur et interprète français.
Jean Ferrat est voisin des idées communistes et restera proche du PCF dont il critique cependant
l’allégeance à l'URSS. Bien que boycotté pour cela par les médias et malgré une retraite à quarante-deux
ans, il connaît un grand succès critique et populaire, fondé sur la qualité de ses compositions poétiques et
mélodiques, sur sa voix si particulière et sur ses prises de positions humanistes.
Description et analyse
Le poème se compose de neuf quatrains d’alexandrins, sans refrain. Les rimes sont
suivies/croisées, deux fois, puis croisées, deux fois et suivies, trois fois, ce qui casse légèrement la grande
régularité du rythme dû aux césures, généralement placées à l’hémistiche, à quatre exceptions près.
Les trois premiers quatrains suivent les milliers de déportés le long de leur voyage vers la
déshumanisation ou la mort.
Au fil des trois quatrains suivants, le poète leur rend leur nom, leurs croyances et évoque l’existence des
rares survivants des camps d’extermination dont il esquisse en quelques mots l’atmosphère sinistre.
Les deux quatrains suivants sont consacrés à la justification du devoir de mémoire qu’il accomplit en
écrivant cet hommage.
Enfin le dernier quatrain est une reprise du premier, à l’énonciation près : au début, Ferrat rapporte des faits
lointains, à la troisième personne – énoncé coupé de la situation d’énonciation – ; à la fin, Ferrat s’adresse
directement à ces ombres qu’il vient de ramener à la vie de nos mémoires, à la deuxième personne – énoncé
ancré dans la situation d’énonciation –.
Les paroles Ils étaient vingt et cent est un hommage rendu au leitmotiv Ils étaient vingt et trois du
poème L’affiche rouge2 d’Aragon mis en musique et interprété par Léo Ferré. Mais Ferrat a poussé plus loin
l’hommage avec l’homophonie du vin de l’eucharistie figurant le sang du Christ, dont le sacrifice aurait dû
sauver l’humanité : les victimes de l’holocauste ont été exterminées et on ne doit pas les oublier.
Interprétation
L’accompagnement, au tempo moyennement rapide, est à la fois mélodique et rythmique.
À chaque couplet se rajoute un instrument : d’abord les percussions, martèlement des bottes des soldats ou
roulement des trains ou battements des cœurs des condamnés, lancinant et solennel ; ensuite la guitare ; puis
les instruments à vents ; les violons ; enfin les cuivres ; crescendo.
Ils disparaissent ensuite dans le même ordre pour finir comme cela avait commencé, par les percussions qui
finissent par se taire alors qu’elles ont scandé tout le texte sur le mode ostinato : les camps se remplissaient
et se vidaient, puis se remplissaient, se vidaient, inexorablement, au rythme des convois.
Cette mise en scène instrumentale permet une grande puissance d’évocation et un fort potentiel émotionnel.
La voix soliste est celle de Jean Ferrat. Sa technique vocale est rodée mais son interprétation peut
paraître manquer de pudeur car les effets sont un peu trop appuyés : diminuendo, détachement de certains
mots, nuances marquées dans la voix. Cependant, son timbre profond de baryton, son style lyrique et sa
diction inspirée servent un univers à la fois poétique et engagé, porteur d’une grande force émotionnelle.
Conclusion
L’art, même dit mineur parce que populaire, a aussi une fonction sociale : il permet d’atteindre le cœur du
plus grand nombre en rendant hommage aux victimes de la Shoah pour qu'elles ne soient jamais oubliées.
2. L’affiche rouge : s'inspirant de la dernière lettre de Manouchian à sa femme avant son exécution, Aragon écrit Strophes pour se souvenir en 1955 ; mis en
musique et chanté par Léo Ferré en 1959 sous le titre L’affiche rouge. Voir le clip sur http://www.youtube.com/watch?v=6HLB_EVtJK4