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L’Espagne face à la crise économique : pays d’émigration ou
d’immigration ? – Leila DELEZENNE
Depuis deux ans, l'image du départ en masse des travailleurs vers
d'autres latitudes s'est installée dans les médias
espagnols en
remplaçant celle de l’effet d’appel précédant la crise économique.
De même, dans le domaine académique, on a considéré le cycle
migratoire comme terminé ; il avait commencé au cours de la deuxième
moitié du XXème siècle et s'était achevé dans les années quatre-vingt,
après la crise économique internationale du début des années soixantequatorze4. L'émigration en tant qu'objet de recherche, occupait alors
une place marginale, alors que les études sur immigration
représentaient une d'industrie relativement prospère.
En réalité, le panorama migratoire espagnol est devenu bien plus
complexe. La période comprise entre 1975 et 1995 se présentait comme
une étape transitoire. Au milieu des années quatre-vingt, le pays avait
atteint un demi-million d'immigrants. C'est-à-dire, qu'il coexistait un
très grand nombre d’émigrants à l'étranger avec des immigrants déjà
établis et d'autres, qui voyaient l’ économie espagnole comme un pont
vers d'autres destinations européennes. Par ailleurs, la coexistence était
déjà pertinente dans le marché de l'emploi de l'émigration et de
l'immigration. Dans ce contexte, la structure de l'Institut Espagnol de
l'Émigration (INE) ne permettait pas d'aborder la nouvelle et complexe
réalité migratoire, ce qui fait que l'on procéda tout d'abord à sa
restructuration et ensuite à sa disparition définitive1.
Ce ne fut pas avant le début de la crise, en 2008 ou 2009, mais plus
récemment quand, à chaque Communiqué de presse de l'INE, les
médias nous offraient l’image d'une émigration de masse. Par exemple,
Adecco émit le 23 janvier 2012 un communiqué de presse dans lequel
on faisant référence aux plus de 300 000 espagnols qui avaient émigré à
la recherche d'un emploi, à cause de la crise2.
Cette idée provenait fréquemment de données partielles, d'avancées ou
de projections à long terme. De même, un archétype s'est créé: ceux qui
émigrent sont de jeunes espagnols hautement qualifiés et les jeunes des
deux sexes partent en Allemagne. Pour souligner le côté dramatique de
María José FERNÁNDEZ VICENTE, “La evolución del organigrama migratorio
español: el papel del IEE”, in VV.AA., Historia del Instituto Español de Emigración,
Madrid, Ministerio de Trabajo, 2009, pp. 35-63.
1
2
www.adecco.es/_data/NotasPrensa/pdf/334.pdf
2
ce que les médias et certains considèrent comme une émigration de
masse, le terme exil économique ou exil professionnel est apparu. Ce qui
rappelle la tragédie de 1939, quand les vaincus de la Guerre Civile
durent fuir le pays. Il s'agit d'une image forment ancrée dans la
mémoire de la société espagnole3.
Ce nouvel imaginaire social part, de toute évidence, d'une série de
phénomènes migratoires en cours, mais, quelle est la portée de ces
phénomènes ? Il n'est pas facile de répondre à cette question. Au niveau
historique, les données sur l'émigration et l'immigration ont montré
certaines limites et ont souvent impliqué des informations cachées.
Actuellement, les données les plus fiables sont celles de l'INE.
Cependant, toutes les personnes qui partent de l’Espagne ne se
désinscrivent pas automatiquement des registres consulaires à partir
desquels on élabore le Recensement des Espagnols Résidents à
l'Étranger (PERE).
C'est ainsi, dans la mesure où le fait de s'inscrire au Consulat ne suppose
pas de grands avantages, sauf pour renouveler le passeport ou exercer le
droit de vote, la plupart des migrants n’effectue pas cette démarche
lorsqu’ils prévoient des courts séjours. Quand le séjour se prolonge,
l'inscription est retardée pendant des mois voire pendant des années 4.
En même temps, dans la mesure où l'inscription pour le Recensement
ne garantit plus le libre accès à la protection sanitaire, les immigrants
irréguliers ne sont pas motivés pour s'inscrire. De plus, toutes les
données n'apparaissent pas simultanément. Le Recensement a été
actualisé le premier janvier 2013, alors que le 16 avril 2012, on a publié
les données de la série 2010-2011 de ce que l'on appelle les flux estimés
d'émigration et d'immigration. Tout ceci fait que le taux émigration, à
partir de 2010 ou 2011, est le double que celui estimé. De cette façon, il
faut informer dès le début que les données relatives aux migrations
doivent être considérées avec prudence. En fait, plus que des chiffres qui
reflètent avec exactitude la réalité, il s'agit plutôt d'indicateurs généraux
d'une tendance déterminée.
En 2009, 633 750 espagnols étaient résidants en étant nés en Espagne.
Par exemple:
http://elpais.com/diario/2011/12/11/eps/1323588415_850215.html.
También Juventud sin Futuro habla de exilio laboral en
http://www.nonosvamosnosechan.net
3
Amparo GONZÁLEZ FERRER, “¿Se van los españoles? Si, y deberíamos
preocuparnos”, eldiario.es, 8 octobre 2012,
http://www.eldiario.es/piedrasdepapel/crisis-emigracion_6_55704437.html
4
3
En 2013, on en a enregistré 673 662. Cela signifie une augmentation de
39 912 personnes au cours de ces quatre dernières années. Il s'agit d'une
donnée qui donne une image d'un panorama très différent de celui qui
est établi, à travers les médias dans l'imaginaire collectif de la société
espagnole. Il existe plus de données de caractère général, qui montrent
le départ des étrangers, mais qui montrent en même temps qu'ils vivent
toujours en Espagne et plus qu'en 2000. En effet, selon le Recensement,
le 1er janvier 2013, il y avait 216 125 résidents étrangers de moins en
Espagne par rapport au 1er janvier de l'année précédente. Nonobstant,
des 5 520 133 qui résidaient au 1er janvier 2013, il y en a 251 371 de plus
par rapport à 2008.
En d'autres mots, bien qu'il existe un départ important d'étrangers, ils
continuent d'arriver, de façon que la présence d'immigrants en Espagne
est un phénomène structurel. D'autre part, dans une moindre mesure
par rapport à ce que l'on imagine, il semblerait que l'Espagne joue à
nouveau le rôle de pays exportateur de travailleurs, notamment vers le
Maroc. L’Exportation de main d’œuvre était l’une des caractéristiques
de l’Espagne au cours du dernier quart du XIXème siècle jusqu'au début
des années soixante-dix au XXème siècle. L'augmentation de l'émigration
s'est produite à cause de la crise de 2008, due au chômage élevé et
croissant. Cependant, il est nécessaire de tenir compte du fait qu'en
même temps, l'installation et la consolidation de la population
étrangère, les processus de regroupements familiaux, la création
d'emplois relatifs aux soins des personnes dépendantes, des enfants et
des personnes âgées ou le vieillissement démographique
conditionneront l'immigration future. Ainsi, certaines prévisions
prévoient, dans les quarante années à venir, des chiffres indiquant le
vieillissement de la société espagnole et qu’elle sera, tôt ou tard plus
plurielle ; elle redeviendra une terre accueil pour les immigrants5.
Le contexte critique de l'économie et le centralisme de
l'emploi
Le départ des étrangers et des nationaux à la recherche d'un nouvel
emploi est étroitement lié à la grave crise économique qui est apparue
en 2008 et aux politiques d'austérité initiées dans l'UE et en Espagne à
partir du mois de mai 2010. Ces politiques d'austérité, qui incluent les
réformes de l'emploi des gouvernements du Parti Socialiste (PSOE) de
2010 et du Parti Conservateur (PP) en 2012, n'ont fait qu'aggraver la
crise et la prolonger.
La crise et l'austérité au donné lieu à des taux de chômage démesurés et
à l'augmentation alarmante de la pauvreté en Espagne. Le premier
5
Joaquín ARANGO, “Un futuro gris”, El País, 20 noviembre 2012.
4
trimestre 2013 indique un taux de chômage en Espagne qui dépasse
27,16 %, avec plus de 6,2 millions de chômeurs. Pendant que le taux de
chômage de la population active espagnole se situe entre 25,11 %, celui
de la population étrangère atteint 39,21 %; c'est-à-dire, plus de 14 points
de différence.
Malgré le fait que la population étrangère subit un taux de chômage plus
élevé, son taux d'activité est de même plus élevé -75,19 %- que celui de
la population espagnole -57,65 %-. L'INE lui-même explique cette
divergence en fonction des différentes structures d'âge entre les deux
populations. Finalement, parmi les plus de 6,2 millions de chômeurs au
cours du premier trimestre 2013, plus de 960 000 sont des jeunes de
moins de 25 ans et plus de 577 000 ont plus de 55 ans6.
En même temps, la réforme de l'emploi de 2012 (Décret royal 3/2012) a
eu un effet négatif sur l'emploi, en renforçant sa destruction. De sorte
que pour chaque dixième de chute du PIB, la destruction de l'emploi
dans l'ensemble des personnes actives a augmenté de 186 % en 2012 par
rapport à 2009, cette année étant la dernière année de récession, mais
sans réforme de l'emploi7.
Entre 2008 et 2012, trois millions de postes de travail ont été
supprimés. Le taux de chômage espagnol est le plus élevé de l'UE et le
taux de chômage des jeunes de moins de 25 ans est en deuxième place,
après les grecs8. Néanmoins, le chômage a augmenté pour toutes les
tranches âge au long de la période 2008 — 2012. Le chômage a eu un
plus grand impact sur la population étrangère que la population
espagnole, ainsi que sur les personnes sans qualification. Au niveau
territorial, les taux de chômages les plus élevés ont été enregistrés en
Estrémadure, aux Canaries, en Andalousie et dans une moindre mesure
au Pays Basque9.
INE, Notas de prensa. Madrid, 25 avril 2013.
http://www.ine.es/daco/daco42/daco4211/epa0113.pdf
6
José Manuel LAGO PEÑAS, Un análisis cuantificado de los efectos de la
reforma laboral sobre el empleo. Madrid, Fundación 1o de Mayo, Colección
Estudios, no 61, 2013
7
Fernando ROCHA, El desempleo juvenil en España. Situaciones y
recomendaciones políticas, Madrid, Fundación 1o de Mayo, Colección Informes,
no 50, 2012
8
Fernando ROCHA et Jorge ARAGÓN, La crisis económica y sus efectos sobre el
empleo en España, Madrid, Fundación 1o de Mayo, Colección Informes, no 55,
2012
9
5
Un aspect central du chômage est la protection des chômeurs. Le
nombre moyen de bénéficiaires du système de protection en cas de
chômage a augmenté en 2009 et 2010, en atteignant son point
culminant cette dernière année. Ensuite, en 2011 il a commencé à
chuter, essentiellement à cause de la fin du droit aux allocations de
chômage. En ce qui concerne le taux de couverture sociale, selon les
données du Service Public pour l'Emploi, il s'est produit une
augmentation au cours des premières années de la crise jusqu'à
atteindre son niveau maximum en 2010. Ensuite, il s'est produit une
chute continue dudit taux jusqu'à atteindre 66,5 % en 2012, à cause de
l'augmentation de la proportion de personnes qui n’avaient plus le droit
de toucher les prestations. Il s'agit d'un phénomène grave, car il
implique qu'une part de plus en plus grande de chômeurs ne perçoit pas
les faibles revenus attribués par prestations sociales10.
Dans ce contexte, il n'est pas étrange de constater l'augmentation de la
pauvreté en Espagne, ce qui est lié au fait que 476 000 membres de
familles étaient au chômage en 2012. Entre 2004 et 2011, le taux de
pauvreté a augmenté de trois points jusqu'à 21,8 %. Ceci en tenant
compte que le niveau qui signale le seuil de pauvreté a été réduit, ce qui
implique que les pauvres sont encore plus pauvres, bien que leur
nombre et proportion sur l'ensemble de la population progresse plus
lentement dans le temps11.
La situation de l'économie explique l'arrivée ou le départ des émigrants,
comme facteur d'attraction ou d'expulsion. Ainsi, dans une situation de
croissance, l'offre d'emplois qui se génère exerce un facteur d'attraction
et, au contraire, la récession réduit les emplois, détruit les emplois
existants et fait augmenter le chômage, en provoquant le départ des
travailleurs12. Dans ce cas, les étrangers maintiennent difficilement leurs
postes de travail, il y a moins d'arrivées d'immigrants et certains
abandonnent le pays. À leur tour, comme cela arrive maintenant, les
travailleurs espagnols émigrent. Cependant, il faut également prendre
en considération les profils sociologiques et culturels des travailleurs et
leurs attentes quant au style de vie auquel ils aspirent. Ainsi, si le facteur
économique est décisif, d'autres éléments stimulent également ce qu'on
appelle la nouvelle mobilité. Par exemple, dans le cas d'un groupe
Ibid
Servicio de Estudios de la Fundación 10 de Mayo, Empobrecimiento de la
población en España. Encuesta de condiciones de vida, Madrid, Fundación 1o
de Mayo, Colección Informes, no 53, 2012
10
11
Javier SILVESTRE RODRÍGUEZ, “Las emigraciones interiores en España, 18602007”, Historia y Politica, 2010, no 23, pp. 113-134
12
6
déterminé de travailleurs hautement qualifiés comme les chercheurs,
des facteurs existent comme la recherche d'environnements différents:
plus sains, moins de congestion au niveau de la population, des taux de
criminalité faibles, une meilleure qualité de vie, la réalisation
personnelle et l’ascension sociale ou disposer de meilleures
infrastructures pour l'activité de la recherche ; mais même dans ces cas,
il existe souvent un arrière-plan économique13.
Qu'est devenue l'immigration ?
L'étape de l'Espagne comme pays d’accueil des immigrants est brève,
elle s’étend à partir de la deuxième moitié des années quatre-vingt du
XXème siècle, en coïncidant avec l'entrée de l'Espagne dans la
Communauté Économique Européenne, jusqu'a 2007. Cette année
marque un point d'inflexion dans cette brève histoire, dans laquelle
nous identifions trois phases.
La phase initiale a commencé dans la deuxième moitié des années
quatre-vingt et s'est achevée peu avant la fin du XXème siècle. Alors,
l'immigration représentait à peine 2,5 % de la population et ne dépassait
pas le million de personnes. La deuxième phase s'est appelée la décade
prodigieuse de l'immigration et elle va de 1999 à 2008.
Voyons quelques données: en 2009 le nombre de personnes nées à
l'étranger était d'environ six millions et demi, qui vivaient avec 40,3
millions de natifs. La proportion d'immigrants atteignait presque 14 %
de la population, un taux qui avait été atteint tout au long d'une décade.
Le rythme des arrivées atteint son point culminant entre 2001 et 2004,
bien qu'en termes absolus, les entrées de 2007 furent les plus
nombreuses. Ce fut une période de croissance soutenue et imprévue de
la population immigrante, qui se termina avec la crise. On l'explique par
les caractéristiques de l'économie espagnole, très intensive au niveau de
la main œuvre, en plus de l'importance des secteurs enclins à accueillir
des immigrants comme la construction, le service domestique, les soins
des personnes dépendantes, l'hôtellerie, l'agriculture intensive et la
récolte des fruits et légumes.
La troisième phase a commencé à partir de 2008, quand l'arrivée des
étrangers s'est ralentie et que la population immigrante déjà établie
faisait face à la crise à travers différentes stratégies. Les effets de la crise
sur l'immigration se sont manifestés à partir du dernier trimestre 2008,
Antonio ALAMILLOS, María Carmen ALBERT et Óscar SANTACREU, “La
movilidad social de los emigrantes españoles en Europa”, Revista Española de
Investigaciones Sociológica (Reis), 2012, no 129, pp. 13-35
13
7
avec l'augmentation du chômage, la réduction de la population
immigrante, la perte des permis de travail et de résidence –à cause du
chômage de longue durée- et l'entrée des immigrants dans le marché
noir14.
Ainsi, face à la crise économique, l’Espagne est-elle davantage un pays
d’émigration ou d’immigration ? Ces résultats nous signalent deux
phénomènes. En premier lieu, que l'émigration dans sa grande majorité
est un phénomène des immigrants étrangers qui, soit retournent dans
leurs pays de destination, soit émigrent à nouveau dans des pays tiers à
la recherche d'un emploi, à cause de la crise. En deuxième lieu, nous
avons vu que parmi les étrangers, le solde migratoire négatif ne se
produit pas avant 2011, ce qui indique une grande capacité de résistance
du collectif face à la crise, malgré le fait qu'il soit particulièrement
frappé par le chômage.
Le fait qu'un pourcentage supérieur d'immigrants par rapport aux
espagnols émigre au cours de cette situation de crise est lié, au moins, à
trois facteurs. Le premier est que seulement une petite partie des
immigrants au chômage a cotisé suffisamment pour avoir le droit de
toucher l'allocation chômage. Le deuxième facteur est que l'importance
des réseaux de relations n'est pas un phénomène constant, mais
variable, qu'il dépend des sociétés et des circonstances historiques
mobiles. Dans ce cadre, il semble évident que le capital constitué par les
relations sociales est très important s'il s'agit de personnes qui sont en
situation d'immigration. Cela a même plus d'importance lorsque les
personnes font face à d'autres circonstances. Cependant, à l'heure
actuelle, il est évident que le réseau de relations des immigrants en
Espagne n'est pas trop étendu et que ces relations ne reposent pas sur
un réseau familial avec des ressources suffisantes pour maintenir ou
aider des personnes adultes au chômage. Le troisième facteur, et il est
fondamental, est l'impact brutal du chômage sur les populations
immigrantes. Il faut tenir compte que la situation professionnelle des
immigrants a toujours été caractérisée par le côté temporaire et instable
des emplois. Or, cet aspect temporaire a des répercussions différentes
dans une situation de croissance économique ou de crise.
Joaquín ARANGO , “Después del gran boom: la inmigración en la bisagra del
cambio”, in Eliseo Aja, Joaquín Arango et Josep Oliver Alonso (eds.), La
inmigración en tiempos de crisis, Anuario de la Inmigración en España, edición
2009. Barcelona: CIDOB Edicions, pp. 52-73
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