génération apparaît : les jeunes générations seraient plus habituées et donc ouvertes à
des spectacles en langue étrangère (peut-être aussi grâce à leur pratique du cinéma en
VO). Les spectateurs concernés sont aussi sensibles à l’opportunité d’entendre la
musicalité de la langue – y compris au détriment d’une compréhension exhaustive –
mais on rencontre alors l’exigence, peut-être surprenante, d’acteurs natifs ou au moins
très « courants » dans la langue, de manière à en apprécier pleinement la dimension
sonore, et la beauté – qui serait un absolu transmissible uniquement par des locuteurs
« authentiques ». Ils sont aussi plus attentifs au jeu des comédiens – qui reste toutefois
une exigence : un spectacle en langue originale n’a d’intérêt que si le plaisir est
« complet ». D’ailleurs, une spectatrice fait remarquer que la présence sur des scènes
françaises de troupes étrangères est censée être un gage de qualité et qu’elle va voir ces
spectacles non pour la langue mais pour la réputation du metteur en scène et des acteurs.
Par rapport à la question des surtitres et de la compréhension du texte, une spectatrice
rappelle qu’il faut également « accepter de ne pas tout saisir » dans le texte et de voir
autre chose que la langue. Globalement, le théâtre en langue étrangère semble mieux
perçu par les amateurs éclairés, habitués à voir des spectacles et non attachés de manière
scolaire au texte. Le théâtre est d’ailleurs présenté par une spectatrice comme « une
langue étrangère en soi », qu’il faut savoir comprendre, et dans le cadre de laquelle les
surtitres sont une convention parmi d’autres, convention à laquelle il faut adhérer.
2. Quelle communauté théâtrale ?
Ces divergences de perception mettent en avant la permanence des clivages au théâtre,
et un spectateur rappelle que le théâtre traduit est plus accessible, donc plus
démocratique. Faut-il renoncer au théâtre en langue étrangère comme moyen de créer
une communauté ? Car c’est bien la question de la communauté, et donc de la
démocratie, qui est posée par le théâtre en langue étrangère. Ici, il a volontairement été
question « des spectateurs », mais on peut se demander comment le théâtre en langue
étrangère peut générer « un public », et comment dépasser des clivages de manière à
former une communauté théâtrale.
Le théâtre en langue bretonne illustre de manière aigue cette problématique. Ceux qui
le pratiquent disent le faire parce que ce théâtre représente « la » culture, tandis que les
institutions et un certain nombre de spectateurs non-bretonnants estiment qu’il s’agit
d’une pratique communautariste. Avant tout, il est à signaler que la plupart de ces
troupes sont des troupes d’amateurs, qui travaillent dans le cadre associatif, avec très
peu ou pas de subventions publiques – ce qui est perçu par elles comme un déni. Or, les
spectacles en breton ne sont pas nécessairement fondés sur des textes originaux en
breton ou relatifs à la culture bretonne. La programmation de la Maison du théâtre
propose une pièce anglaise traduite en breton, The Gardener de Mike Kenny. Une
troupe amateur monte Musée haut musée bas de Jean-Michel Ribes traduit en breton.
Ainsi, la volonté d’« ouverture » est mise en avant. Mais, notamment en raison du
caractère limité des moyens financiers, la majorité de ces troupes ne surtitrent pas leurs
spectacles. Elles avancent que leur objectif est de « faire entendre du breton », et
d’ouvrir sur le jeu, au lieu de se focaliser sur le texte – moyen de revenir à la langue par
le détour du spectacle. Loin de constituer un facteur de difficulté, cette configuration les
contraint à être plus inventives : ainsi, Mat Ar Jeu met en place des dispositifs