Chapitre 1

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« Je connais le monde, le monde m’appartient »
Balzac
Introduction générale
La guerre du savoir a commencé, écrivait Baumard (1999 :61). Les organisations
se différencient désormais par leur capacité à créer de nouvelles connaissances et
à mobiliser l’intelligence et l’imagination de leurs ressources humaines (Parent et
al., 2007). Leur avantage concurrentiel est tributaire de leur aptitude à se
construire des savoirs et des savoir-faire distinctifs, à renouveler leurs idées et
pratiques au regard d’un environnement continuellement en mouvement. Dans
un marché marqué par la compétition où le changement est devenu la règle et la
stabilité l’exception, la connaissance est considérée aujourd’hui, pour l’ensemble
des théoriciens et des praticiens du management, comme la ressource refuge ; un
levier de développement essentiel. Pour Jacob et Pariat (2000 : 7), elle est « le
carburant de la nouvelle économie » et pour nombreux experts, c’est le seul
véritable avantage compétitif qu’une organisation peut s’approprier face à ses
concurrents.
La connaissance est ainsi devenue non seulement une capacité pour entamer les
difficultés et résoudre les problèmes rencontrés mais aussi un substrat crucial
pour l’efficience et le développement de l’entreprise. Objet, à la fois, productif et
de production, la connaissance se déploie et en même temps se renforce et
s’enrichit. Dans un procès dynamique, elle autorise la production et se reproduit.
L’exploitation du savoir devient ainsi source de création de richesse et
d’expansion. De nouvelles approches de connaissance voient le jour, de
nouvelles manières de faire apparaissent. Aujourd’hui, l’économie du savoir est
une activité économique à part entière. Dans cette nouvelle économie, la
connaissance y est prépondérante et parmi les facteurs de production : capital et
travail, elle est la ressource la plus prometteuse ; la plus féconde. Dans les
entreprises à haute valeur immatérielle, en effet, « la part du capital intangible
dépasse celle du capital tangible dans le stock réel de capital » écrivait Foray
(2000 : 3).
L’avènement de l’économie de la connaissance et son importance grandissante
dans la création de la valeur ont suscité, tout au long des deux dernières
décennies, l’intérêt de nombreux analystes et fait l’objet de plusieurs recherches
et investigations. Les premières conceptualisations de cette nouvelle économie
ont été toutes marquées par les questions afférentes à la production et
l’acquisition du savoir. Elles ont été entreprises essentiellement par les grandes
1
institutions de recherche et d’éducation. Depuis, la recherche sur l’économie de
la connaissance se trouve progressivement élargie pour intégrer d’autres
dimensions en rapport plus ou moins direct ou indirect avec son développement
et les conditions de son renforcement. Ainsi, plusieurs recherches prennent
aujourd’hui pour analyse diverses questions telles que les processus
d’apprentissage, la formalisation et la conservation des savoirs, les méthodes de
leur transfert, la détection des meilleures expertises et pratiques, la protection et
le développement des compétences, etc. Plusieurs, parmi ces recherches,
voulaient voir les rapports d’interférence entre le contexte organisationnel et
l’ensemble des savoirs produits et partagés. Comment au sein d’une organisation
donnée, les acteurs, à travers leurs interactions quotidiennes, s’échangent-ils
leurs expériences et mettent-ils en partage leurs expertises ? Une telle orientation
a donné lieu à une abondante littérature portant sur l’apprentissage
organisationnel, l’organisation apprenante et plus récemment la gestion des
connaissances.
L’avènement et le développement de l’économie du savoir ont poussé les
organisations à focaliser leurs intérêts sur leurs activités immatérielles et à
structurer leurs fonctions pour servir et tirer profit de leurs richesses
immatérielles. L’entreprise doit ainsi chercher à développer et protéger ses
connaissances ; à favoriser les mises en réseau pour créer une dynamique
d’innovation, bref, la gestion des connaissances est devenue pour plusieurs
entreprises, une pratique managériale déterminante. Ainsi, toutes «les pratiques
visant la création, l’acquisition, le partage et l’application des savoirs afin
d’autoriser l’apprentissage et la performance des organisations » (Scarbrough,
1999 : 18) sont devenues des maîtres mots pour les entreprises et des principes de
conduite incontournables pour les gestionnaires. Appliquer les connaissances au
travail, accéder aux nouvelles connaissances, les mettre à la disposition de tous
les utilisateurs, les actualiser et les améliorer constamment…, telles sont les
principales actions nécessaires pour entamer et réussir une gestion des
connaissances1.
Outre son importance dans l’équation de la compétitivité, la gestion des
connaissances serait aussi en mesure de remédier aux dysfonctionnements en
matière de gestion du capital intellectuel. Une gestion efficiente des savoirs
présume que les organisations, pour ne pas se retrouver contraintes à les
réinventer continuellement, doivent pouvoir les sauvegarder et les mettre, à
chaque fois qu’il est nécessaire, à la disposition de l’ensemble des utilisateurs.
Sans une gestion adéquate, l’entreprise sera dans l’obligation de recourir à des
expertises externes ou à retracer le parcours historique de leur fonctionnement.
Les termes de gestion des connaissances, gestion des savoirs, management des connaissances et
knowledge management renvoient à la même signification. Nous les utilisons de manière
indifférenciée.
1
2
La déperdition des expertises par oubli ou simplement en raison de
comportements claniques et territoriaux chez certains experts, serait source de
dépense et de gaspillage (Jacob et Pariat, 2000).
L’adoption de la gestion des connaissances par les organisations s’est faite selon
des perspectives très diverses. Dans certains cas, la gestion des connaissances est
mobilisée pour identifier les ressources porteuses d’expertise dans l’organisation.
Plusieurs organisations de grande taille éprouvent en effet du mal à les identifier
et les préciser. Elles s’en trouvent ainsi privées d’un capital d’intelligence qui
échappe à leur contrôle et qui peut être copié ou encore spolié par les concurrents
(O’Dell et Grayson, 1998 ; Ballay, 2003). Face à de tels risques, la gestion des
connaissances intervient pour cartographier les savoirs et les sources d’expertises
internes, en les formalisant, les stockant en vue d’assurer leur protection.
Dans d’autres entreprises, le management des connaissances vise à développer
simultanément les capacités de partage et de création des connaissances. En
intervenant sur les deux plans, en même temps, les organisations espèrent
motiver leurs collaborateurs à partager horizontalement leurs connaissances et
expertises. En deuxième lieu, elles cherchent à développer les capacités
d’innovation de l’entreprise en structurant les processus de création des savoirs.
A ce niveau, l’entreprise tente de réunir les conditions techniques et humaines
nécessaires pour permettre l’extériorisation des connaissances tacites des
membres de l’entreprise et leur mise en commun afin de déclencher une
dynamique d’innovation collective (Geisler, 2007).
Enfin, certaines entreprises considèrent que les pratiques de gestion des
connaissances sont l’une des solutions possibles aux problèmes de perte de
compétences et d’expertises. Confrontées à des phénomènes de turnover
fréquents sous l’effet conjugué des pratiques de downsizing et de la mobilité
croissante des travailleurs intellectuels, plusieurs organisations se voient
incapables de retenir les porteurs d’expertises parfois cruciales et choisissent
d’orienter leurs pratiques de gestion des connaissances vers la pérennisation du
capital intellectuel acquis (Aramburu et Saenz, 2007).
La connaissance et les tentatives d’un enracinement techniciste
La pertinence de la question du knowledge management pour les théoriciens et
pour les managers sur le terrain est aujourd’hui évidente. Depuis la publication
en 1991 de l’article fondateur du japonais Ikujiro Nonaka sur l’entreprise
créatrice de savoir, la recherche sur le management des connaissances s’est
constamment enrichie par de nombreux travaux conceptuels et diverses
investigations sur le terrain. Le management des connaissances est devenu un
3
objet de recherche central et une problématique constamment sollicitée dans les
sciences de gestion.
Cependant, en dépit de l’intérêt constant pour cette thématique, la lecture de
l’ensemble de la production théorique révèle une orientation plutôt techniciste de
la recherche. La littérature sur le knowledge management foisonne d’ouvrages et
de discours dont l’empreinte est, à notre avis, essentiellement instrumentale.
Dans la plupart de ces écrits, l’intérêt a été souvent focalisé sur l’importance des
systèmes d’information et des technologies de communication sur la production
et le développement des connaissances, sur leurs répercussions « salutaires » sur
la conduite et le contrôle des organisations. Dopées par une industrie du conseil
en pleine euphorie, les organisations se laissent rapidement séduire par
l’introduction et la mise en place d’outils techniques et de démarches formalisées
pour gérer leurs connaissances. Les systèmes informatiques, les répertoires
électroniques, les pages jaunes, les dispositifs de retour d’expériences, les
référentiels normatifs et bien d’autres procédures et instruments ont vu le jour
avec pour seule fin la codification et le stockage des informations et des
expertises de l’organisation.
L’approche techniciste, formée par l’ensemble des outils, instruments,
procédures formelles et systèmes informatiques, considère que c’est la
formalisation qui autorise l’utilisation et le développement des connaissances.
Cette approche est représentée par trois écoles : l’école des systèmes, l’école de la
cartographie et l’école de l’ingénierie de la connaissance. L’ensemble des adeptes
de ces écoles considère que les TIC sont essentielles à l’acquisition de nouvelles
expertises et à l’enrichissement des expertises individuelles et collectives. Ainsi,
la connaissance n’est plus l’apanage des humains et de leur mise en organisation,
elle est principalement l’œuvre des systèmes. « Le paradigme de l’ordinateur »,
selon l’expression de Varela (1989 : 12), devient aujourd’hui une réalité de plus
en plus probante. Par le biais de l’intelligence artificielle et des systèmes experts,
la « machine » est désormais capable de simuler des raisonnements complexes et
pertinents, d’accroître les connaissances et d’aider à la prise de décision, soutient
Pirat (1987).
Problématique et question de recherche
En dépit de l’importance cruciale de l’informatique et son développement
extraordinaire dans le domaine du knowledge management, plusieurs voix
s’élèvent aujourd’hui, dans un mouvement de balancier de plus en plus fort,
pour rappeler les multiples écueils d’une telle approche et les nombreux échecs
qu’ont connu les démarches technicistes de la gestion des savoirs (Grimand,
2006 ; Christensen, 2007). De plus en plus de décideurs sont déçus par les faibles
retours sur investissements que les techniques et systèmes de gestion des
4
connaissances ont finalement généré (Mc Dermott, 1999). Par delà les pétitions de
principe et l’évocation consommée de success stories, les retours d’expérience
restent souvent décevants : intranets ou portails de connaissances sous-exploités,
forums de discussion désespérément vides, réticence des experts à partager leur
savoir-faire et prégnance des logiques de territoire, désintérêt pour les
connaissances acquises et mises en commun, etc. (Grimand, 2006). Dans ce
mouvement de questionnement critique, plusieurs auteurs se demandent si cet
excès de « technicisation » de la gestion des connaissances n’a pas en définitive
porté préjudice à la connaissance ? Si le formatage des savoirs et le partage
canonisé des savoir-faire ne sont à l’origine d’une véritable désaffection à l’égard
d’une telle gestion ?
L’enracinement du management des connaissances dans un registre techniciste
est porteur d’écueils pour son développement et d’inefficience dans ses résultats
et finalités. Selon la logique techniciste, l’outil serait investi d’une force
autonome ; il n’a besoin ni d’être contextualisé, ni d’être approprié par les
opérateurs. Il traduit ainsi sa propre volonté. Ses injonctions sont atemporelles et
son mode de faire décontextualisé. L’acteur est simplement utilisateur. Il est
autre et entretient avec l’instrument un rapport d’extériorité. Etranger à son
travail, ses comportements sont le produit d’une prescription extérieure. C’est un
acteur désincarné, sans désirs, buts ou stratégies. L’ordre techniciste uniformise
les différences et conforme les agir. Il inhibe toute alternative de faire autrement,
de modifier la trajectoire de l’action.
La logique instrumentale évacue dans les procès de gestion des savoirs toutes les
questions relatives au vécu social, à la coopération, au pouvoir, aux interactions,
bref à la gestion des ressources humaines, à la structuration des facteurs et au
contexte de l’action. Pourtant, la connaissance est une production sociale. Son
déploiement et ses mouvements s’inscrivent totalement dans les rapports inter
sociaux. Evacuer les ressources humaines et le contexte de leur action porterait
préjudicie à la connaissance et son devenir.
Parce que la connaissance est le produit renouvelé d’acteurs sociaux situés, le
management de la connaissance, loin de se contenter des approches et
instruments technicistes, doit principalement tenir compte des acteurs et de leur
mise au travail. De la manière de les commander, organiser, conduire et
contrôler. Dans ce cadre, notre question de recherche sera posée comme suit.
La gestion des ressources humaines est-elle un levier essentiel dans la gestion
des connaissances ?
Autrement formulée, nous chercherons à voir dans ce travail si la manière de
manager les RH a de l’effet sur les processus de création, de partage et
5
d’application des connaissances ? L’objectif est de démontrer que la gestion des
savoirs et des savoir-faire de l’entreprise est fortement dépendante de sa manière
de gérer ses ressources humaines.
A travers cette problématique, nous sérions, en outre, appelés à apporter des
éclairages sur plusieurs questions connexes dont notamment les trois dimensions
suivantes :

Au regard des nombreuses insuffisances conceptuelles associées à la
recherche sur le management des connaissances, nous nous donnons
comme sous objectif la réhabilitation des dimensions sociale, humaine et
culturelle du management des connaissances.

En dépit de l’importance des ressources humaines dans la création de la
richesse de l’entreprise, l’insuffisance de fondements théoriques et la
rareté de confirmations empiriques rendent difficile l’évaluation de sa
contribution dans l’aboutissement de la gestion de la connaissance. Une
seconde ambition de cette thèse est de proposer un cadre conceptuel
intégratif qui permet d’apprécier le rôle des pratiques de GRH dans le
développement des habiletés et des savoirs circulants dans l’entreprise.

Outre le cadre conceptuel que nous chercherons à élucider à travers la
recherche théorique, notre travail se veut aussi pratique. Nous nous
intéressons au concret réel des entreprises tunisiennes et nous
investiguons leurs méthodes et manières de gérer leur potentiel
immatériel. L’analyse d’un contexte spécifique nous permettra de dégager
des enseignements spécifiques et d’annoncer, le cas échéant, des
recommandations de nature à promouvoir de nouvelles pratiques de
gestion des expertises.
Tel est l’axe mobilisateur de notre recherche. Au regard de celui et à la lumière
des questionnements et des ambitions que nous nous sommes donnés, nous
organisons notre analyse de manière conséquente.
Organisation de la thèse
Pour répondre à notre question centrale et aux trois ambitions retenues, nous
adoptons le plan de travail suivant :
La première partie est réservée à la spécification du cadre théorique de l’étude.
Le chapitre 1 a pour objectif de définir la gestion des connaissances ainsi que ses
différents soubassements théoriques. La valeur fonctionnelle des processus de
6
gestion des connaissances y est également discutée. Thème nouveau et
relativement peu exploré dans les milieux de l’entreprise et de la recherche en
Tunisie, le management des connaissances est analysé dans ses principales
facettes.
Le chapitre 2 poursuit plusieurs objectifs. Il ambitionne de dévoiler les multiples
insuffisances inhérentes au cadre conceptuel actuel. A travers une lecture critique
de la littérature, ce chapitre cherche à dépasser les impasses résultant du
réductionnisme technique qui marque les travaux actuels sur le knowledge
management. L’importance de la construction d’un cadre théorique renouvelé
est démontrée. Face à la nécessité de développer les capacités de gestion des
connaissances, la recherche ne peut pas se permettre de faire l’économie d’une
réflexion sur l’importance de la dimension organisationnelle. La mobilisation des
apports de la théorie de l’encastrement social (Grannovetter, 1985 ; 1992) permet
d’apprécier l’importance du capital humain et du climat d’apprentissage dans
l’amélioration des capacités d’appropriation des connaissances par les
organisations.
Le chapitre 3 propose l’intégration de la gestion des connaissances dans une
problématique de gestion des ressources humaines. Il permet d’apprécier
l’importance, sur les plans théorique et pratique, de considérer des stratégies et
des pratiques de GRH comme levier de gestion des savoirs. Nous y spécifions les
choix définitionnels de la recherche, en particulier celui se rapportant aux
pratiques de GRH censées favoriser le knowledge management. Ce chapitre sera
focalisé sur la modélisation des liens entre la GRH, le capital humain, le climat
d’apprentissage et les processus de gestion des connaissances. Les hypothèses de
recherche sont alors présentées.
La seconde partie de cette recherche comporte la validation empirique du
modèle construit.
Le chapitre 4 est consacré à une discussion des choix méthodologiques. Si cette
thèse se positionne dans l’épistémologie positiviste, l’appareil méthodologique
qu’elle mobilise consacre ouvertement le principe de la complémentarité des
paradigmes. Approche qualitative et quantitative sont ainsi combinées de
manière à permettre de cerner au mieux toutes les composantes rendues
nécessaires par la problématique de recherche. Exploratoire, notre enquête se
base essentiellement sur une analyse d’entretiens auprès des DRH et des cadres
opérationnels d’exploitation. L’analyse de contenu est choisie comme mode
d’interprétation des données.
Le chapitre 5 propose dans un premier temps de tester l’évaluation de la fiabilité
et de la validité de l’instrument de mesure utilisé. A l’aide d’outils statistiques,
en l’occurrence par le recours aux méthodes de régression, nous apprécions
ensuite le modèle de recherche. Les résultats de cette recherche sont enfin
7
discutés et confrontés aux résultats disponibles. Dans la mesure du possible, les
données issues de l’analyse de contenu des entretiens exploratoires seront
utilisées pour discuter les résultats de la recherche quantitative. Au regard des
informations collectées, des comparaisons seront établies et par référence aux
apports théoriques, nous chercherons à dégager des enseignements
« actionnables » quant aux pratiques de GRH à même de favoriser la
construction et le développement des connaissances.
Figure 0-1. Schéma général de la recherche
Introduction générale : contexte de l’étude, problématique, objectifs de la recherche et
organisation générale de la thèse.
Première partie
Le management des connaissances revisité : pertinence et apports d’une lecture par le rôle de
la GRH
Introduction
Chapitre 1 : pour une meilleure compréhension du management des connaissances :
soubassements théoriques, contextes d’entreprises et principes structurants.
Chapitre 2 : réhabilitation de la dimension « organisationnelle » du management des
connaissances : rôle du capital humain et de la structure organisationnelle.
Chapitre 3 : contribution à la perspective organisationnelle : production d’un modèle théorique
sur le rôle de la GRH dans la gestion des connaissances.
Deuxième partie
Mise en œuvre d’un modèle sur le rôle de la GRH dans les processus de gestion des
connaissances : exploration et validation dans le contexte tunisien.
Introduction
Chapitre 4: spécification du cadre opérationnel de la recherche : une étude qualitative
exploratoire et conception du questionnaire de recherche
Chapitre 5 : vers une meilleure compréhension du rôle de la GRH dans le management des
savoirs : validation empirique du modèle théorique.
Conclusion générale : apports théoriques et empiriques de la recherche, limites conceptuelles et
méthodologiques et perspectives de recherche.
8
Première partie
Le management des connaissances revisité :
pertinence et apports théoriques d’une lecture par le
rôle de la gestion des ressources humaines.
9
Introduction de la première partie
La gestion des savoirs paraît s’inscrire dans un déterminisme techniciste assez
réducteur. Selon les protagonistes technicistes, la connaissance serait plutôt un
objet désincarné ; une production tout à fait extérieure, à la fois, aux acteurs
impliqués et au contexte de son déploiement. Le savoir serait un bien neutre, un
ensemble d’informations codifiées et formatées mis à la disposition de tous les
utilisateurs pour s’en servir et le développer sans crainte d’altération ou une
quelconque appropriation ou interprétation possibles. Ainsi instrumentalisé, le
management des connaissances fait l’économie d’une réflexion nécessaire sur les
questions relatives aux acteurs connaissants, aux ressources humaines et au
contexte social de leur interaction.
L’objectif de cette recherche est l’intégration du management des connaissances
dans une problématique de gestion des ressources humaines. Ce qui nécessite
préalablement une véritable remise en question de la recherche présente sur cette
question et un réexamen de ses hypothèses et ses conclusions. Après avoir défini
le management des connaissances dans toutes ses dimensions, nous procédons à
une lecture critique de la littérature dominante. Cette déconstruction théorique
du corpus devrait permettre de pointer les insuffisances conceptuelles
actuellement en circulation. Une telle lecture permettra aussi de jeter les bases
d’une approche « organisationnelle » du management des connaissances.
En outre, la mobilisation des apports de la théorie sociologique de l’encastrement
social constitue l’une des principales options conceptuelles de notre recherche.
La théorie de l’encastrement social est mobilisée comme « théorie heuristique »
qui permet surtout d’apprécier l’importance de la prise en compte du contexte
social du knowledge management. Elle sert ainsi indirectement à l’intégration du
rôle de la gestion des ressources humaines dans la question de gestion des
connaissances.
L’apport de la théorie de l’encastrement social est surtout perçu quand on intègre
dans l’analyse du knowledge management des variables comme le capital
humain et le climat organisationnel. Selon la construction théorique suivie dans
cette première partie, la génération, le partage et l’application des savoirs sont
tributaires de deux éléments : les compétences des individus et le degré auquel le
« climat organisationnel » semble favoriser l’apprentissage. Ces choix
conceptuels justifient la prise en compte et l’analyse du rôle de la gestion des
ressources humaines dans l’amélioration des capacités de gestion des
connaissances.
10
Orientée vers l’analyse du rôle de la GRH, la problématique posée nous
fournirait au moins deux apports théoriques essentiels. D’abord, elle enrichit le
corpus sur le knowledge management en proposant une approche renouvelée de
la question. L’approche organisationnelle est très peu explorée quand il s’agit de
la gestion des connaissances. Cette analyse devrait permettre d’en esquisser une
conceptualisation significative. Ensuite, elle présente un intérêt probant pour le
champ du management stratégique des RH. En effet, notre problématique serait
opportune pour montrer la contribution de la GRH à la performance
organisationnelle.
11
Chapitre 1
Pour une meilleure compréhension du management des
connaissances : soubassements théoriques, contextes
d’entreprises et principes structurants.
La gestion des connaissances s’inscrit dans le champ des nouvelles
problématiques organisationnelles. Elle incarne la réponse managériale aux
nouveaux postulats d’une économie fondée sur les connaissances (Foray, 2000).
Le savoir, cette ressource immatérielle à grande valeur ajoutée, est aujourd’hui à
l’œuvre dans les principales problématiques qui lui sont familières : l’innovation,
le changement organisationnel, le management de la qualité totale, la veille
stratégique, le renouvellement du management des ressources humaines et le
développement durable. Le management des connaissances devient un thème de
recherche fortement sollicité en sciences de gestion. Les écrits spécialisés à ce
sujet sont nombreux et extrêmement variés. Cependant, une première lecture de
la production théorique permet de repérer certaines insuffisances. La première
de ces insuffisances découle du flou sémantique de la notion de connaissance.
Souvent indifférenciée de l’information, la connaissance est appréhendée par
plusieurs chercheurs comme une somme organisée d’informations. La deuxième
insuffisance est directement attribuable à l’idée selon laquelle le management des
connaissances est une problématique principalement opérationnelle et
mécanique. Dans le prolongement de cette idée, plusieurs auteurs dénoncent le
faible ancrage théorique du management des connaissances et le considèrent
simplement comme une mode de management (Swan et al, 2000 ; 2001). Une telle
assertion semble occulter deux faits importants: d’abord, l’enracinement
théoriques du management des connaissances dans l’approche par les ressources
et les connaissances; ensuite, la valeur stratégique que représentent les activités
de gestion des connaissances pour l’entreprise.
Ce premier chapitre vise à définir ce qu’est au juste le management des
connaissances. Cela nécessite dans un premier temps d’expliciter le cadre
conceptuel relatif à la notion de connaissance (Section I). En deuxième lieu, il est
indispensable de revenir sur les implications théoriques du management des
connaissances. Les développements de l’approche par les ressources et les
connaissances permettent d’illustrer l’importance stratégique du management
des connaissances. Une telle importance est souvent critiquée et mise en
difficulté dans la littérature (section II). Enfin, dans la section III, nous
rappellerons comment les processus de gestion des connaissances sont
12
différemment mobilisés par les entreprises et comment se déploie sa démarche
au concret-réel.
13
Section I : la notion de connaissance dans les sciences de gestion : les
nécessaires clarifications conceptuelles
La connaissance n’est pas une notion nouvelle. Qu’il s’agisse du domaine de
l’école, de la société ou du travail, la connaissance a fait l’objet d’importants
écrits et ce, depuis la Grèce antique. Ce qui est nouveau dans la connaissance,
c’est qu’elle est de plus en plus présente dans la littérature économique et
gestionnaire. De plus en plus de recherches en management portent sur la notion
de connaissance. Cet intérêt ne peut être dissocié des discours actuels sur
l’économie fondée sur le savoir (Foray, 2000)2. Les chercheurs comme les
praticiens y voient une nouvelle ressource organisationnelle qui contribuerait à
la performance de l’entreprise. Oubliée pendant un siècle et demi
d’industrialisation, la connaissance est aujourd’hui considérée comme une
ressource vitale pour les organisations qui évoluent dans des environnements
hypercompétitifs.
L’examen de la littérature spécialisée montre que la connaissance a été analysée
selon différentes perspectives. Ainsi, il n’existe pas une définition complète et
unanimement acceptée de cette notion. Ce flou sémantique est renforcé par le
nombre croissant de typologies proposées par les théoriciens de la connaissance.
De telles typologies ne sont pas forcément complémentaires car elles sont
développées dans des contextes de recherche particuliers. Elles construisent
également leurs hypothèses sur des travaux qui ne sont pas forcément
convergents. Ceci renforce les difficultés à cerner la portée de la notion de
connaissance et à en apprécier l’utilité à la fois gestionnaire et théorique. Pour
certains, cette pluralité de perspectives est importante pour la richesse du
concept et pour une meilleure compréhension de ses dimensions. Ceci est vrai
dans le sens où le champ de la théorie de la firme basée sur la connaissance est en
plein développement.
Afin d’améliorer notre compréhension de la notion de connaissance, nous
proposons de revenir dans le cadre de cette section sur l’ensemble des travaux
relatifs à cette notion et de les prendre en analyse. Une attention particulière sera
accordée à la distinction, capitale et utile, entre les notions de connaissance et
d’information.
A titre d’exemple, l’Union Européenne s’est donné, depuis Mars 2000 à l’occasion du sommet
économique et social de Lisbonne, un nouvel objectif stratégique pour la première décennie du
millénaire : « Devenir l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique,
capable d’une croissance économique durable accompagnée d’une amélioration quantitative et
qualitative de l’emploi et d’une plus grande cohésion sociale. »
2
14
I.1 Définitions de la connaissance
La connaissance a été définie de plusieurs manières et suivant différentes
perspectives. Les définitions que nous avons puisées dans la littérature ne sont
pas forcément convergentes. Il est généralement difficile de voir un lien solide
entre une définition et une autre. Cette multiplicité de définitions pourrait
s’expliquer par le fait que le champ du management des connaissances est
actuellement en pleine constitution. Des divergences au niveau sémantique sont
acceptées à cette phase. Toutefois, le rythme de diffusion de ces définitions est
très poussé sans qu’un effort d’harmonisation de l’ensemble des perspectives ne
soit entrepris au niveau de la communauté des chercheurs. L’on aboutit ainsi à
une sorte de tintamarre sémantique qui creuse les divergences et empêche de
voir les possibilités de synergie et de complémentarité entre les définitions. En
effet, il s’avère difficile de pouvoir ramener les définitions de la connaissance à
des écoles particulières et d’en dresser une typologie stable. Egalement, il n’est
pas difficile de remarquer que quasiment aucun article n’a été jusque là consacré
à la confrontation des différentes définitions du concept de connaissance. Même
les travaux sur la théorie de la firme centrée sur la connaissance3 ne semblent pas
partager une définition claire et stable de la notion de connaissance.
Ikujiro Nonaka, pionnier de l’approche centrée sur la connaissance, remarque
que le discours sur la connaissance a fait couler beaucoup d’encre. Selon l’auteur,
« l’histoire de la philosophie depuis la Grèce antique peut être regardée comme
une recherche infinie du sens du concept de connaissance » (Nonaka, 1994: 15).
L’approche suivie par Nonaka considère la connaissance comme une croyance
personnelle qu’il faut justifier.
De leur coté, Bollinger et Smith définissent la connaissance comme étant la
compréhension, la conscience ou la familiarité acquises par l’étude,
l’investigation, l’observation ou l’expérience à travers le temps (Bollinger et
Smith, 2001). Cette définition met l’accent sur le caractère dynamique de la
connaissance. Celle-ci évolue avec l’expérience des individus et s’enrichit de
leurs réflexions. Ces auteurs rejoignent l’idée de Schulz selon laquelle la notion
de connaissance ne peut être dissociée de l’apprentissage des individus dans
l’organisation (Schulz, 2001). Pour Schulz, la connaissance évolue au travers
d’infinis processus d’apprentissage, des expériences et des problèmes rencontrés.
En effet, plus l’individu rencontre des situations problématiques, plus il
capitalise des savoirs et savoir-faire propres à améliorer ses capacités de
résolution des problèmes. La connaissance pour Schulz consiste en un ensemble
d’hypothèses sur les problèmes et leurs solutions. Cette définition met en avant
3
Knowledge-based theory of the firm.
15
une caractéristique fondamentale de la connaissance. Celle-ci n’évolue que par
l’action. La connaissance n’est pas un stock détenu d’une manière définitive par
l’individu. Elle est le plus souvent le fruit d’apprentissages et d’enseignements
tirés des expériences passées.
Une autre perspective de la connaissance permet de l’examiner comme étape
dans le processus de transformation de l’information. Ainsi pour Bollinger et
Smith, la connaissance serait aussi une interprétation individuelle de
l’information qui se base sur les expériences, les talents et les compétences
personnelles (Bollinger et Smith, 2001). Afin de développer sa théorie de la firme
basée sur la connaissance, Julia Liebeskind définit la connaissance comme « de
l’information dont la validité a été établie à travers des tests et des preuves »
(Liebeskind, 1996: 94). A l’origine donc, la connaissance est définie par
Liebeskind comme essentiellement de l’information. Une telle acception, nous le
verrons ultérieurement, n’est pas exempte de limites. Cependant, ce qui semble
original dans cette définition, c’est la volonté de l’auteur de distinguer la
connaissance comme information prouvée et testée des opinions, spéculations,
croyances ou autres types d’informations non prouvées.
Une première comparaison entre l’idée de Nonaka et celle de Liebeskind
s’impose ici. Alors que Nonaka définit la connaissance comme processus
dynamique de justification des croyances personnelles, Liebeskind y voit un état
fini d’une information prouvée et testée. Le niveau d’analyse des deux auteurs
n’est donc pas le même. Les conséquences de cette différence sont importantes
pour les développements théoriques des deux auteurs. C’est ainsi que Nonaka
s’engage dans une réflexion sur la création de nouvelles connaissances
(caractéristique dynamique), alors que Liebeskind fonde sa théorie de la firme
sur les capacités de protection de la connaissance (état fini de la connaissance qui
existe et qui attend à être protégée).
I.2 Connaissance et information : des différences significatives
Pour plusieurs auteurs, la connaissance et l’information sont simplement
synonymes. Pour Mayère (1995), « la société de l’information » et « la société du
savoir » signifient la même chose… Pourtant, la connaissance, dans sa substance,
ses procès d’acquisition et dans sa démarche n’est pas l’information. Elle ne
procède pas de la même logique et ne présume pas les mêmes trajectoires et
conditions. Connaître est une « opération active qui suppose des capacités de
mémorisation (…), des mécanismes de raisonnement applicables aux
connaissances mémorisées » (Gallaire, 1987 : 267). Résultat d’un flux
continu d’expériences, de praxis, de raisonnement et d’ouverture sur
l’environnement et sur les expertises circulantes, la connaissance serait une
aptitude en mue, un potentiel d’apprentissage, une capacité cognitive à même
16
d’inférer de nouvelles informations et connaissances. Dans un procès continu
d’assimilation- accommodation suivi à chaque fois par une équilibration au
niveau perceptif, l’individu change de significations et de modes d’action
(Piaget, 1967). La prise d’une nouvelle connaissance (co-naissance) serait pour
l’individu connaissant équivalente à une nouvelle naissance.
Si le connaître est un procès poïétique, c'est-à-dire, qu’il est à la fois « formatif »
et « productif », informer serait simplement une action visant à donner une
forme aux données recueillies. C’est un procès de formatage et d’organisation
d’un ensemble de signaux souvent « inertes ou inactifs, ne pouvant par euxmêmes engendrer de nouvelles informations » (Foray, 2000 : 9) et dont la
signification serait plutôt « codépendante et construite, plutôt que (…)
représentationnelle et instructive » (Varela, 1989 : 12). Ainsi, prendre
connaissance d’une information, c’est chercher à la traduire au regard d’une
sensibilité construite, d’une perception préalable. A partir de sa représentation,
ces « cadres d’interprétation du réel, de repérage pour l’action » (Jodelet 1984 :
26), l’individu forme ses significations et décide de ses choix. Ainsi, comme le
précisait Piaget, l’important n’est pas le signal reçu, le stimulus, « mais la
sensibilité au stimulus et celle-ci dépend naturellement la capacité de donner une
réponse » (Piaget, 1967 : 63). La connaissance serait une capacité de réponse, le
produit d’informations « travaillées », pensées et traduites en fonction d’une
structure cognitive d’accueil et à la lumière des pratiques et des interactions
quotidiennes. Cette connaissance n’est jamais définitive. En s’informant, l’acteur
re-forme ses schèmes et change de sensibilité ; il comprend autrement les
informations recueillies. Le plus essentiel n’est donc pas dans l’utilisation, la
duplication et la transmission des informations mais plutôt dans la construction
des sensibilités, des cadres cognitifs. Des sensibilités à construire par des
apprentissages appropriés. Pour tirer profit des informations circulantes et des
TI, le savoir apprendre est crucial pour développer l’intelligence de chacun et
renforcer sa capacité d’analyse et son imagination. Un savoir apprendre à même
de retoucher les structures d’accueil donnant ainsi sens et affinement aux
informations collectées. Sans un tel savoir apprendre appuyé par un
management des ressources humaines idoine, les informations collectées et
l’ensemble des technologies de l’information ne seraient que d’un apport
marginal. Plusieurs enquêtes et analyses l’affirment.
En analysant les échecs des projets de gestion des connaissances à vocation
technologique, McDermott (1999) focalise sur la nécessaire distinction entre
informations et connaissances. Il présente six caractéristiques qui différencient
les deux concepts.
 La connaissance est un acte humain
 La connaissance est le résultat de la réflexion
 La connaissance est créée dans l’ici et le maintenant
 La connaissance appartient aux communautés
17


La connaissance circule entre les communautés de manières différentes
La connaissance nouvelle est créée à la frontière de l’ancienne.
De leur coté, Fahey et Prusak sont parmi les auteurs les plus attachés à l’idée
d’une différenciation entre donnée, information et connaissance. Selon eux, cette
différenciation conditionne la réussite ou l’échec de la gestion des connaissances
dans l’organisation. Pour ces auteurs “si la connaissance continue à être assimilée
à une donnée ou à une information, alors le management des connaissances ne
nous apportera rien de nouveau” (Fahey et Prusak, 1998: 265). Selon ces deux
auteurs, une donnée est une représentation discrète et objective qui découle le
plus souvent d’une observation. Il n’existe pas de sens et de contexte inhérents à
une donnée. Pour un décideur, une donnée ne porte pas en elle même une
grande signification. Si elle peut servir à quelque chose dans la compréhension
du phénomène, elle ne peut toutefois pas servir de base à la décision.
L’information est par contre subjective. Elle obéit à une intention de la part de
l’émetteur. L’information est une collection de données organisées pour donner
forme à un message sous une forme visible, imagée, écrite ou orale (Mack, 1995).
Bhatt affirme quant à lui que la distinction entre données, informations et
connaissances est quelque peu difficile (Bhatt, 2001). L’information est considérée
comme un ensemble organisé de données alors que la connaissance est
considérée comme une information qui inclut du sens. Le sens inhérent au
concept de connaissance lui ajoute une dimension contingente et contextuelle
dans la mesure où le sens découle d’une certaine interprétation de l’information.
Cette interprétation est elle-même sujette aux compétences et expériences des
individus (Bollinger et Smith, 2001) et se fait en référence à un schéma mental
particulier. Ceci suppose que pour une même information, plusieurs
interprétations peuvent être faites et des connaissances différentes peuvent être
inférées. La connaissance semble donc être individuelle. Pour parler de
connaissance de groupe ou d’organisation, il faut qu’il y ait un modèle
d’interprétation commun, un référentiel organisationnel public d’analyse et de
traitement des informations. Il faut qu’il y ait une cognition collective dans
l’organisation. Pour y voir plus clair, nous reprenons ici un exemple développé
par Jacob et Pariat (2000). Dans cette illustration pédagogique, les auteurs
avancent que la connaissance est une étape dans la chaîne de transformation des
données brutes en une forme d’intelligence pratique, qu’il qualifie ensuite de
compétence.
18
Tableau 1.1- Connaissance et concepts voisins
Niveau
Définition
Exemple
Des faits non reliés entre Prix d’une action d’une société à la clôture
Données
eux
des transactions.
Données reliées entre Augmentation de 10% du prix de l’action
Informations
elles
d’une société sur une semaine.
Informations intégrées Intégration de la tendance du prix de l’action
Connaissances dans
un
contexte face aux variations de prix des autres actions
spécifique
dans un portefeuille de placement.
Connaissances
Décision de vendre ou de conserver les
Compétences
appliquées aux décisions actions d’une société dans un portefeuille de
placements.
Source : Jacob et Pariat (2000 :7)
Mais en dépit de ces différences, les quatre concepts peuvent se rejoindre. Ainsi,
données, informations et connaissances ne sont pas mutuellement exclusives.
Bien plus, elles semblent se construire en véritable chaîne de transformation. Les
données deviennent de l’information via un mécanisme d’organisation, alors que
l’information devient de la connaissance via des mécanismes d’interprétation.
Les mécanismes d’organisation font intervenir les capacités de l’organisation,
plus précisément celles de son système de traitement des données.
L’interprétation, elle, fait intervenir les individus, leurs croyances, leurs modèles
mentaux et leurs compétences personnelles (Nonaka, 1994; Bollinger et Smith,
2001). Bhatt (2001) défend la thèse selon laquelle la relation entre les trois
concepts est récursive et dépend largement des degrés d’organisation et
d’interprétation. Il affirme cette relation en définissent l’information comme ce
bien qui est capable de produire du savoir. Ce que le signal d’une information
nous montre est exactement ce que l’on peut en apprendre, dit-il. Ce que ces
auteurs ne précisent pas cependant, c’est comment ces séquences de
transformation (données  informations  connaissance) peuvent être
récursives. En d’autres termes, comment la connaissance pourrait-elle devenir
information? Et comment l’information peut-elle devenir donnée? Par quels
mécanismes ce processus de « dégradation » du savoir et des informations peutil avoir lieu? Le silence de la littérature s’étend également aux processus
d’organisation des données et d’interprétation des informations. Peu d’analyses
sont fournies à ce niveau et le lecteur est laissé aux évidences proposées par les
auteurs.
Comme cette brève revue de la littérature le montre, une certaine divergence
caractérise les écrits sur le concept de connaissance. Si les uns le voient comme
une étape dans la chaîne de transformation des données et des informations,
d’autres y voient l’aboutissement d’un processus d’apprentissage. Pour d’autres,
c’est simplement des vérités absolues alors que certains y voient des croyances
19
personnelles cherchant à être justifiées. Cette divergence ne doit pas nous
surprendre. Le concept a toujours intrigué les grands penseurs du monde de
Platon à Popper et peu de consensus est remarqué.
La littérature contemporaine semble prendre conscience de l’ardeur de la tâche
quand il s’agit de proposer une définition stable et unanimement acceptée au
concept de connaissance. La littérature s’oriente actuellement vers la proposition
de typologies de connaissance. Les auteurs cherchent à comprendre la
connaissance non en tant que concept abstrait, mais plutôt en tant que construit à
niveaux multiples. La communauté de chercheurs sur la connaissance opte ainsi
pour une approche pluraliste en postulant qu’il n’existe pas un seul type de
savoir. Une telle approche se base sur le constat implicite que la connaissance est
un concept polymorphe, complexe et multidimensionnel.
I.3 Approches typologiques de la connaissance
La communauté de chercheurs sur les connaissances a adopté une approche
pluraliste en postulant l’existence d’une multitude de types de connaissances.
Les typologies présentes dans la littérature spécialisée prennent en charge
l’analyse des différentes dimensions afférentes à la connaissance, concept
complexe comme nous l’avons déjà souligné. Le recours aux typologies est quasisystématique dans les travaux sur la connaissance. Ceci se justifie, à notre avis,
par le fait que les typologies permettent de « scinder» le thème en un ensemble
de dimensions étroitement reliées et facilitent ainsi sa manipulation empirique.
L’analyse des connaissances doit reconnaître qu’il existe différentes formes de
savoir qu’il convient de distinguer (Reix, 1995). En effet, chaque dimension et
type de connaissance a ses implications sur la stratégie des organisations
(Narasimha, 2000). Nous relevons dans la foison des travaux sur la connaissance
un ensemble de typologies largement sollicitées. Nonaka (1994) distingue par
exemple les connaissances tacites des connaissances explicites. Cette distinction
est à la base de sa théorie dynamique de création du savoir où l’oeuvre de
création de nouvelles connaissances se modélise à travers un processus de
conversion sociale entre connaissances tacites et explicites. D’autres auteurs
analysent conjointement les connaissances individuelles et organisationnelles
(Cook et Brown, 1999; Von Krogh et al, 1994; Spender, 1996).
Ces deux axes de distinction (tacite/explicite et individuel/organisationnel)
feront l’objet d’un intérêt particulier dans cette section. Ce sont en effet ces
approches qui ont généré le plus de réflexion dans la littérature. Il est ainsi rare
de trouver un article sur la gestion des connaissances qui ne fait pas référence
aux travaux de Nonaka (1994) sur les connaissances tacites et explicites ou ne
construit pas (explicitement ou implicitement) sur la distinction entre
connaissances individuelles et connaissances collectives (ou organisationnelles).
20
I.3.1 Connaissances tacites / connaissances explicites
La distinction entre connaissances tacites et explicites revient aux travaux
fondateurs du chimiste et philosophe Hongrois Michael Polany qui affirme “We
can know more than we can tell” (Polanyi, 1983). Ceci suppose l’existence de deux
types de connaissance. La première est une connaissance que l’on peut expliquer
aux autres, articulable en des termes clairs et concrets. C’est la connaissance
explicite. La seconde est différente. Elle est difficilement articulable et ne peut
être transmise via le verbe. C’est la connaissance tacite.
Cette typologie a été largement reprise dans la littérature sur la gestion de la
connaissance. Un intérêt particulier a été accordé à la notion de savoir tacite,
considéré par les entreprises comme source majeure d’innovation (Nonaka et
Takeuchi, 1995; Leonard et Sensiper, 1998). Le savoir explicite est associé aux
informations, potentiellement transférables et faciles à imiter par les concurrents.
Sa valeur stratégique est souvent remise en cause.

Le savoir explicite:
La connaissance explicite est abstraite, partagée, codifiée et communicable par
les symboles. Est explicite toute connaissance pouvant être exprimée en termes
concrets. Cette connaissance se partage sous forme d’informations, de formules
scientifiques, de procédures écrites…etc. La connaissance explicite renvoie au
« know-what », le savoir théorique abstrait qui relève du domaine du public.
Étant codifiée, elle est facilement partageable et communicable dans une
organisation. Elle circule aussi facilement en dehors de l’organisation et peut être
aisément copiée par les concurrents. La question de la protection des savoirs ne
se pose pas pour la connaissance explicite puisqu’elle est par définition sujette à
toutes les imitations.
La connaissance explicite peut revêtir des formes différentes. Ainsi, Zack (1999)
distingue la connaissance déclarative qui s’attache à décrire quelque chose, la
connaissance procédurale qui explique comment les choses et tâches se réalisent
dans l’entreprise et la connaissance causale qui explique pourquoi les choses sont
telles qu’elles sont. Cette dernière forme de connaissances se transmet dans
l’entreprise sous forme d’histoires et de narration.
L’importance du savoir explicite pour l’organisation ne doit pas être sousestimée comme semble être le cas dans le corpus. Toute organisation a besoin de
savoirs codifiés et connus par tous. Ces savoirs validés, reconnus et utilisés par
tous forment les routines de l’organisation. Sans de telles routines qui assoient
les règles de production et de fonctionnement, il est difficile d’imaginer un ordre
ou un équilibre organisationnel. Dans des environnements hypercompétitifs,
21
toute organisation aura certainement besoin d’une certaine flexibilité et une
remise en question de ses savoirs et savoir-faire afin d’innover et de s’adapter
aux stratégies externes. Mais une telle gestation ne doit déboucher sur une
refonte chaotique des mécanismes de fonctionnement et des savoirs procéduraux
existants. Le savoir explicite et codifié représente ainsi le noyau dur de
l’organisation sans lequel il ne peut y avoir ordre et stabilité. Son importance
pour l’avenir de l’organisation est équivalente à celle du savoir tacite.
Dans une perspective sociétale, Cook et Brown (1999) affirment que les
organisations occidentales sont fondées sur le savoir de type explicite. En
cherchant à objectiver, codifier et neutraliser le savoir porté par les employés, ces
organisations assoient le rôle des règles formelles et écrites et s’approprient le
contrôle des activités, des processus et des compétences dans le travail. Au
contraire, les organisations japonaises sont fondées sur le savoir de type tacite.
Encourageant l’accumulation des talents, des tours de mains et des savoir-faire
individuels, ces organisations font des individus, et non des processus et
procédures, la vraie force d’innovation dans l’organisation.

Le savoir tacite:
La connaissance tacite est définie comme étant contextuelle, personnelle, non
codifiée et communicable seulement à travers l’activité. Pour Nonaka (1999), la
connaissance tacite n’est pas facile à exprimer. Elle est difficilement formalisable
et donc à transmettre aux autres. La connaissance tacite revêt deux dimensions:
la première est faite de compétences techniques, difficiles à définir et à
formaliser. Ces compétences renvoient à une expertise particulière et à un savoirfaire propre aux individus et à l’organisation. L’autre dimension est cognitive. La
connaissance tacite est en effet faite de croyances, d’idéaux, de valeurs, de
schémas et de modèles mentaux profondément ancrés dans l’esprit des
individus.
Dostaler et Boiral (2000) distinguent quatre propriétés relatives à ce type de
connaissances, à savoir leur caractère personnel, leur caractère implicite, la
difficulté de leur formalisation et leur pertinence opérationnelle.
En premier lieu, la connaissance tacite est personnelle. Cette connaissance
appartient aux individus. Elle fait partie intégrante de leurs vécus et expériences.
L’acquisition de ces connaissances relève d’une expérience propre à l’individu,
d’une appropriation singulière de la réalité. Cette idée est soutenue par
Davenport et Prusak (1997) selon qui la connaissance tacite est majoritairement
faite de résultats d’apprentissages individuels passés. L’encastrement du savoir
tacite dans l’apprentissage individuel rend difficile, voire impossible la
séparation de ce savoir de la manière avec laquelle l’individu agit dans
22
l’organisation. Cette première propriété semble être mise en difficulté car certains
travaux tendent à montrer que la connaissance tacite peut également être
collective ou organisationnelle. Ainsi, et en se basant sur la théorie évolutionniste
de la firme de Nelson et Winter (1982), Spender définit l’organisation comme un
corps de règles, implicites et explicites, encastrées dans les routines qui guident
l’action des individus et restreignent leurs comportements discrétionnaires
(Spender, 1996). Les savoirs tacites collectifs font donc partie intégrante des
routines de l’organisation. La culture de l’entreprise représente l’exemple type de
ces savoirs.
En deuxième lieu, le développement des connaissances tacites se fait
essentiellement par apprentissage de type implicite. En observant son maître à
l’œuvre, l’apprenti assimile de manière vicariante les routines, savoirs et savoirfaire relatifs à son métier. La connaissance tacite ne se révèle que dans l’action et
la pratique. Elle est souvent le fruit des expériences et enseignements tirés des
situations passées. Le savoir tacite semble se former en deux temps. Il s’agit
d’abord de “mettre la main dans la pâte”, de vivre l’expérience telle qu’elle est.
Ensuite, un processus implicite de retour sur l’expérience se déclenche. Cette
forme de réflexivité permet de purifier l’expérience de la subjectivité de son
contexte et d’en déduire un savoir particulier. Le processus de transformation de
l’expérience en savoir, permis par ce retour réflexif, est donc entièrement
implicite. Il en résulte que le savoir tacite est indissociable des individus qui le
construisent à partir de l’interprétation de l’expérience propre.
La difficulté de leur formalisation représente la troisième caractéristique des
connaissances tacites. Celles-ci sont en effet profondément inscrites dans l’action
et dans l’engagement individuel. Elles ne sont pas faciles à exprimer et ne
peuvent être aisément transmises. Etant donné leur valeur stratégique pour
l’entreprise, la codification et la diffusion de ces savoirs subjectifs et personnels
représentent des défis majeurs pour les entreprises. Cependant, les tentatives
d’explicitation des savoirs tacites se heurtent le plus souvent à plusieurs
barrières. Ces barrières sont d’abord relatives à la nature même de cette
connaissance: difficile à séparer de son porteur, parfois insaisissable même pour
son porteur4 et non inscrite dans des formes verbales. Elles sont ensuite d’ordre
motivationnel dans le sens où les individus refusent de partager leurs savoirs
tacites. Stenmark (2001) affirme que les employés n’ont pas intérêt à partager
leurs savoirs tacites avec leurs collègues à partir du moment où ils en tirent un
avantage compétitif dans leurs organisations. Toujours dans cette perspective
En effet, si Polanyi (1983) affirmait que “nous savons plus que nous pouvons dire”, Leonard et
Sensiper (1998), en étudiant l’influence de la connaissance tacite sur l’innovation des groupes
vont plus loin et affirment que “nous savons plus que nous ne pouvons réaliser”. Ainsi, l’existence et
la valeur de certains savoirs tacites peuvent échapper même à leur porteur.
4
23
individuelle, rien ne motive l’explicitation du savoir tacite quand ses porteurs
sont en mesure de l’utiliser dans des situations de production réelles. De telles
contraintes ajoutées à des facteurs culturels et structuraux sont des freins au
partage des connaissances tacites dans l’organisation.
En dernier lieu, la pertinence opérationnelle est une caractéristique de la
connaissance tacite. Celle-ci résulte en effet d’un apprentissage localisé et
contingent. Elle répond à un souci d’expertise dans l’accomplissement d’une
tâche particulière (Reigner, 1995). La connaissance tacite s’exprime dans l’action.
Elle est souvent observable par le résultat des actions des individus. Pour
mesurer cette connaissance, il faudrait mesurer son impact sur l’activité et ses
résultats directs.
La connaissance tacite est d’une importance stratégique pour l’organisation.
D’abord, elle supporte l’innovation entreprise par les acteurs organisationnels
dans le sens où la créativité nécessaire à toute innovation émane le plus souvent
de ces réservoirs d’expertise invisibles et informels. Ensuite, le caractère tacite et
peu formalisable rend difficile l’accès des concurrents aux savoirs de l’entreprise.
Mais ce même caractère inhibe en quelque sorte le potentiel de création
d’avantages compétitifs. Le transfert interne de ces connaissances étant difficile à
réaliser, l’organisation ne bénéficiera véritablement que d’une proportion faible
de ces savoirs (Narasimha, 2000).
La distinction entre connaissance tacite et explicite a été comprise, à tort, comme
étant l’argument que ces deux connaissances sont différentes, voire exclusives5.
Ceci doit être nuancé autant que faire se peut car, comme l’affirmait Polanyi, les
connaissances tacites et explicites sont mutuellement fondées (Polanyi, 1983).
Cook et Brown (1999) pensent à cet effet que les connaissances explicites ne
peuvent être construites qu’en se basant sur un référentiel de connaissances
tacites. Toujours dans cet esprit de continuité, Spender (1996) affirme que les
frontières entre connaissances tacites et explicites sont floues et poreuses et qu’un
va et vient entre ces deux connaissances existe. Nelson et Winter adoptent une
position évolutionniste de la théorie de la firme qui s’appuie entre autre sur cette
idée de co-existence des connaissances explicites et tacites. Selon ces auteurs, la
firme fournit un contexte spécial dans lequel les connaissances tacites et
explicites sont sélectionnées via l’interaction avec la réalité économique externe
et sont ensuite emmagasinées dans les routines de l’organisation qui seront
disponibles pour les prochaines générations d’employés (Nelson et Winter,
1982). Mais les développements les plus conséquents dans ce sens viennent des
Dans plusieurs recherches récentes, on explique comment la connaissance tacite, contrairement
à l’explicite, participe à l’innovation et à la création d’avantages compétitifs durables.
5
24
travaux de Nonaka et ses collègues sur la théorie de la firme créatrice de savoir
(Nonaka, 1994; Nonaka et Takeuchi, 1995; Nonaka et Konno, 1998). Leur
hypothèse centrale, comme celle de Polanyi, affirme que l’origine de toute
connaissance est l’intuition individuelle. Ainsi, leur théorie s’intéresse à la
transformation et à la communication du savoir qui existe déjà chez les
employés6. La connaissance organisationnelle est l’ensemble des savoirs partagés
par les membres de l’organisation. Dans ce processus de partage, la connaissance
individuelle est amplifiée et améliorée.
I.3.2 Connaissances individuelles / connaissances organisationnelles
Deux écoles de pensée s’affrontent sur l’aspect individuel ou collectif de la
connaissance. Pour certains, la connaissance est avant tout individuelle. Ces
auteurs n’envisagent pas d’étendre les concepts de « connaissance »,
« apprentissage », « mémoire » ou encore « cerveau » au niveau collectif. Pour
eux, les organisations n’ont ni mémoires ni connaissances et ne peuvent
apprendre comme le font les individus. D’autres auteurs souscrivent à la thèse
contraire et estiment que les organisations ont des connaissances qui leur sont
propres et peuvent apprendre au même titre que les individus.
Nous examinons successivement ces deux types de connaissance. Nous nous
arrêterons cependant au niveau de la connaissance organisationnelle (ou
collective) pour mieux saisir ses différentes implications.
 La connaissance individuelle
La vision cartésienne suppose que l’individu est sinon l’exclusif, du moins le
premier dépositaire et manipulateur de la connaissance. Cet intérêt porté à
l’individu comme ultime porteur du savoir est reflété dans les propos de Simon
« …all learning takes place inside the heads of individuals »7. Ceci est vrai si l’on
assume que toute nouvelle innovation commence par une idée implicite qui se
niche dans la tête de l’individu.
La personne qui détient une connaissance spécifique peut ne pas la divulguer,
s’abstenir à la partager ou encore renforcer son caractère tacite et individuel.
Cette situation est problématique pour l’organisation. Le départ de ces
personnes, pour une raison ou une autre, pose le défi de remplacer ce savoir
« isolé » et méconnu pour le collectif. L’entreprise est alors appelée à adopter une
La théorie de la firme créatrice de savoir de Nonaka et ses collègues s’intéresse à la manière avec
laquelle les employés apprennent ce qu’un autre individu a déjà découvert. Elle est de ce fait
différente de l’approche de Nelson et Winter (1982) qui stipule que l’apprentissage se fait au
niveau de la firme elle même à travers l’acquisition de meilleures routines.
6
7
Cité par Cook et Brown (1999 : 385).
25
position proactive en imaginant des modèles de management de la connaissance
individuelle pour assurer sa pérennité au départ de l’individu qui la possède.
 La connaissance organisationnelle
Les individus possèdent un savoir « privé » qui peut être rapidement converti en
savoir organisationnel. La narration, la discussion et la négociation sont autant
de moyens permettant le partage de la connaissance. Pour assurer ce partage,
l’organisation est appelée à favoriser l’émergence d’une infrastructure
communicationnelle où les individus peuvent discuter, échanger des avis et faire
émerger des savoirs pluriels (Qureshi et Hlupic, 2000). Les groupes projets, les
cercles de qualité ou encore les espaces virtuels de communication sont autant de
variantes de cette infrastructure.
La connaissance organisationnelle se développe dans des communautés de
pratique (Brown et Duguid, 1998 ; Cook et Brown, 1999). Ces communautés
regroupent des personnes s’investissant dans un même domaine ou relativement
à un même contexte et interagissant pour donner lieu à un produit ou service
final. A travers l’expérience, et au fur et à mesure que l’action progresse, des
normes sont créées, des savoirs communs sont discutés, négociés construits et
reconstruits pour donner lieu à un savoir organisationnel. La connaissance
organisationnelle se développe donc au travers des communautés de pratique.
Elle résulte d’une construction sociale qui lui confère un caractère contextuel,
tacite et ambigu qui affaiblit les tentatives d’imitation par les concurrents. Le rôle
central de la connaissance collective tacite n’est plus à prouver. En effet, si la
connaissance est d’abord individuelle, celle qui permet l’innovation et la création
d’avantages compétitifs résulte de l’action et de l’expérimentation des groupes.
La connaissance tacite collective est partagée par les acteurs de l’organisation.
Souvent d’ailleurs elle s’exprime dans leurs représentations communes et les
schémas d’action qu’ils mettent en œuvre dans l’entreprise. Cependant, elle
demeure implicite, ambiguë, complexe et inaccessible pour les groupes externes.
Elle tire donc toute son importance de cette capacité à constituer à la fois un
centre mobilisateur et un mécanisme isolant.
26
Section II : la dynamique de compétition par les connaissances : les
fondements théoriques
La réussite d’une organisation dépend grandement de la qualité de ses actifs
immatériels. A l’ère où les ressources physiques de l’entreprise ne permettent
plus de renouveler l’offre de l’entreprise et d’améliorer sa performance, la
connaissance s’impose comme le nouvel actif stratégique de l’entreprise
(Bounfour, 2000), son « nerf de guerre » pour affronter la compétition (Barney,
1991 ; Bollinger et Smith, 2001). Nonaka (1999) affirme à cet effet que les
organisations performantes sont celles qui détiennent une expertise et des
connaissances difficilement imitables et entretiennent un climat organisationnel
qui favorise l’innovation, la créativité et le renouvellement. Afin de se forger des
capacités compétitives, l’entreprise doit faire de l’innovation son lubrifiant de
performance. L’innovation permet le renouvellement de l’organisation et la mise
en place de nouvelles stratégies, sans cesse remaniées, rediscutées et réajustées
selon les circonstances de l’environnement externe. Pour innover, les
organisations sont appelées à mobiliser et mettre en commun les connaissances
de leurs employés afin de créer une intelligence collective. Les idées, les
intuitions, les savoirs procéduraux, les savoir-faire, les expertises et les tours de
main sont autant de types de connaissances qui se révèlent dans des situations de
travail concrètes. Certaines d’entre elles sont explicites. Elles permettent de créer
des références, des codes communs qui définissent les actions et renforcent le
contrôle dans l’organisation. D’autres sont tacites. Elles restent la propriété de
leurs porteurs et demeurent difficilement exploitables par l’organisation. Elles
sont cependant centrales dans les démarches d’innovation car souvent faites
d’intuitions, d’idées originales découlant d’une expérience nouvelle et singulière
(Leonard et Sensiper, 1998).
La scène de la compétition sur les marchés est entrain de glisser vers le modèle
de l’immatériel où les organisations les plus performantes seraient celles qui
investissent dans leurs richesses immatérielles. L’avènement des technologies
d’information et de communication et leur démocratisation au niveau des
entreprises est sans doute l’un des facteurs clefs expliquant l’émergence du
paradigme de l’immatériel. Cependant, les TIC, et en dépit de leur importance
stratégique, ne peuvent expliquer à elles seules une telle ascension. Le paradigme
de l’immatériel se base de plus en plus sur la révision des processus internes et la
reconfiguration de l’organisation (reconfiguration de la structure, du travail, du
relationnel et du social) dans un sens à favoriser la création de nouveaux savoirs
et à en assurer le partage par les membres de l’organisation. Le management des
flux de savoirs qui circulent dans l’organisation et leur adaptation à la stratégie et
à l’offre de l’organisation représentent l’essentiel de la gestion dans l’ère de
l’immatériel. Ainsi, la gestion des actifs intangibles, et plus particulièrement le
27
savoir devient aujourd’hui source de richesse et de performance. Sans une telle
capacité, l’organisation ne pourrait innover et rivaliser sur le marché.
L’objectif de cette section est d’analyser les fondements théoriques de la
compétition par les connaissances. Dans un premier temps, nous nous appuyons
sur les postulats de l’approche par les ressources pour expliquer la valeur
stratégique de la connaissance pour l’entreprise. Les développements relatifs à la
théorie de la firme basée sur la connaissance seront exposés dans une seconde
partie de cette section.
II.1 La connaissance comme actif stratégique
L’analyse de la connaissance comme actif stratégique s’explique sur le plan
théorique par la courant de l’approche par les ressources8(Resource-Based View).
L’examen des travaux du courant de recherche « resource-based », en
l’occurrence ceux de Barney (1991), Teece, Pisano et Shuen (1997) et Foss (1997),
montre la prédominance du thème de l’avantage compétitif de la firme dans sa
relation avec ses ressources, capacités et compétences spécifiques. L’idée axe de
cette approche par les ressources est la suivante: l’avantage concurrentiel de la
firme se construit principalement en interne. A partir de ses ressources rares
(qu’elle est la seule en mesure de posséder) et inimitables (c'est-à-dire qui
demeurent largement tacites, ambiguës et donc difficilement copiables), la firme
peut créer des produits et services nouveaux, de qualité supérieure dont
l’imitation serait difficile pour les concurrents.
Une telle démarche de construction d’un leadership durable sur le marché prend
le contre-pied d’une vision « éco-logique »de la stratégie fondée soumise aux
exigences de l’environnement et aux contraintes structurelles de l’économie telles
que développées par Porter (1980, 1985). L’approche « resource-based » opère
une refonte de la construction de l’avantage concurrentiel. Celui-ci serait moins
lié à la structure de l’industrie et du marché (facteurs clés de succès, tickets à
l’entrée sur un marché, nature de la concurrence) qu’à la capacité de l’entreprise
à engager un processus original d’accumulation, de consolidation et de
combinaison de ses ressources et compétences clefs (Grimand, 1999).
L’approche par les ressources renvoie au second plan les analyses fondées sur
l’environnement. Elle réhabilite le rôle des ressources de l’entreprise dans sa
réflexion stratégique et dans la construction d’un avantage concurrentiel durable.
Par extension, cette approche appréhende l’organisation comme un portefeuille
Certaines contributions dans le champ de la RBV haussent ce courant au rang d’une théorie.
Ceci a été critiqué par Foss (1997) selon qui les développements actuels ne permettent pas de
parler d’une théorie. Des inconsistances internes relatives au concept central, en l’occurrence les
ressources, existent encore.
8
28
de ressources spécifiques (Wright et al, 1995; Tarondeau, 1998). Elle jette ainsi les
bases d’une nouvelle approche de la firme où les compétences, capacités et
connaissances clefs de l’entreprise fonderont l’action des acteurs et orienteront le
système d’offre (Mayère, 1995).
L’approche par les ressources stipule l’existence de deux types d’actifs ou
ressources: stratégiques et non stratégiques. Les ressources non stratégiques ne
contribuent pas à la performance dans le long terme. Celles considérées
stratégiques permettent, au contraire, de soutenir durablement l’innovation et la
différenciation par rapport aux concurrents sur un marché donné. Dans un
article fondateur, Barney (1991) propose quatre conditions à partir desquelles
une ressource devient stratégique. Ces conditions sont: la valeur, la rareté,
l’imitabilité imparfaite et la non substituabilité. Avec ces quatre propriétés, deux
conditions doivent être vérifiées pour aboutir à un avantage compétitif: la
concurrence limitée ex-ante et la concurrence limitée ex-post. La première veut
dire que les configurations de ressources permettant d’établir un avantage
compétitif ne sont pas connaissables a priori. La seconde stipule que les
ressources que les concurrents peuvent facilement copier ne peuvent pas générer
un avantage compétitif durable. Les entreprises doivent en effet compter sur des
combinaisons de ressources inimitables. L’exemple des processus et routines
organisationnels semble intéressant. Ces processus et routines sont difficilement
reproductibles car construits socialement par les différents acteurs de
l’organisation. Ces constructions sociales demeurent largement tacites et
constituent par voie de conséquence une sorte de mécanisme isolant qui
empêche les concurrents de reproduire la stratégie gagnante ou d’en limiter les
gains (Tywoniak, 1997).
La valeur d’une ressource peut être expliquée par sa capacité à exploiter une ou
plusieurs opportunités sur le marché ou à neutraliser une menace. La rareté tient
au fait que la ressource est détenue par peu d’entreprises dans une même
industrie. La rente qui en découle sera également exploitée par peu d’entreprises
sur le marché. Par ailleurs, l’imitabilité imparfaite tient au fait que la ressource et
les revenus qui en découlent peuvent être exploités longtemps sans qu’un
concurrent ne puisse les copier intégralement. Enfin, la non substituabilité des
ressources suppose qu’elles n’ont pas d’équivalents stratégiques.
Les chercheurs dans le courant de l’approche par les ressources semblent
unanimes quant au fait que la connaissance constitue l’actif stratégique clef de
l’organisation (Barney, 1991 ; Bollinger et Smith, 2001). En effet, Bollinger et
Smith montrent que la connaissance est la seule ressource organisationnelle qui
peut satisfaire les quatre conditions énoncées par Barney (Bollinger et Smith,
2001). Cependant, il ne s’agit pas de la connaissance détenue par les individus,
mais plutôt de la connaissance organisationnelle, c’est à dire celle qui est
29
encastrée dans les routines, la culture et les processus de production de
l’entreprise. La connaissance individuelle ne peut pas être stratégique. La
mobilité du capital humain est en effet une première caractéristique qui s’oppose
aux propriétés de l’imitabilité imparfaite et de la rareté des ressources
stratégiques (Handy, 1996). Seul le savoir collectif, organisationnel peut être
source d’avantage compétitif. Ce savoir, appelé aussi capital organisationnel, ne
rentre pas le soir à la maison. Il est incorporé dans les routines, dans les schémas
de fonctionnement collectif, dans les relations avec les clients et les parties
prenantes et dans la culture de l’entreprise. Il est socialement construit et donc
complexe. Il se forme à travers une histoire particulière et transcende les
individus pour se « nicher » dans les processus de l’organisation. Cette
complexité du savoir en fait une ressource dont l’imitation et la substitution sont
difficiles. La rareté de la connaissance revient au fait qu’elle est le fruit d’une
combinaison de l’ensemble des savoirs et savoir-faire des employés. Enfin, la non
substituabilité découle des trois premières propriétés.
II.2 La dynamique de compétition par les connaissances: vers une
nouvelle théorie de la firme
La compétition par les connaissances appelle l’organisation à s’investir dans la
construction et l’élargissement de son répertoire de savoirs. Cette compétition
engendre en effet une dynamique interne de questionnement incessant des
routines et compétences existantes. Plus encore, les fondements même de la
firme, à savoir sa raison d’être, ses frontières et sa structuration interne se
trouvent largement affectés par le nouveau “paradigme de la connaissance”. La
compétition par les connaissances appelle ainsi à renouveler le cadre de réflexion
sur la théorie de la firme.
L’idée d’une nouvelle théorie de la firme qui succède à la théorie des coûts de
transaction prend aujourd’hui chemin et trouve appui dans les communautés du
management stratégique et de l’économie des organisations. La nouvelle théorie,
encore en phase d’émergence, il faut le signaler, fera de la connaissance la raison
d’être des organisations modernes.
La théorie de la firme centrée sur la connaissance a fait l’objet d’un intérêt
croissant depuis 1992, date de publication des premiers travaux fondateurs de
Bruce Kogut et Udo Zander sur la question. Les développements théoriques qui
s’en suivent ont investi les trois questions fondamentales quand il s’agit d’une
théorie de la firme: L’existence de la firme (pourquoi la firme existe-t-elle?), les
limites de la firme (quelles sont les frontières de la firme?) et la structuration
interne (Quels sont les mécanismes de structuration et d’organisation internes à
l’organisation?). Dans la présente section, nous synthétisons et analysons les
principaux apports de cette théorie en nous référant aux principaux travaux
30
actuels. Les trois questions précédemment citées constituent notre axe d’analyse.
Cependant, nous commencerons par expliquer le contexte théorique
d’émergence de la nouvelle théorie.
II.2.1 Origines théoriques de la théorie de la firme centrée sur la connaissance
La théorie de la firme centrée sur la connaissance s’est voulue avant tout
différente (pour certains, elle est complémentaire) de la théorie des coûts de
transaction. Cette dernière considère l’existence de la firme en termes
d’optimisation des coûts de transaction9. Les auteurs de la knowledge-based ont
critiqué cette théorie sur deux niveaux. Le premier est relatif à son incapacité à
expliquer l’hétérogénéité de la performance de la firme. Le second est relatif à la
manière avec laquelle le concept de la connaissance est utilisé. Ces faiblesses ont
été reprises par certains auteurs de la knowledge-based pour construire leurs
propres hypothèses (Grant, 1996; Liebeskind, 1996). Ceci montre qu’une certaine
complémentarité peut exister entre les deux théories.
La théorie de la firme centrée sur les connaissances s’est également inspirée des
travaux de l’approche par les ressources. L’idée est que la connaissance peut être
vue comme une ressource susceptible de produire un avantage compétitif
durable sur le marché. Selon Barney (1991), les connaissances des individus et les
capabilités10 de l’organisation sont encastrées dans l’histoire et les routines de
l’organisation et des individus. Elles sont de ce fait socialement complexes,
difficiles à copier pour les concurrents et sont donc susceptibles de générer une
position compétitive sur le marché.
La théorie des organisations a également influencé la théorie de la firme centrée
sur la connaissance. Plus précisément, l’idée de la rationalité limitée des
individus (March et Simon, 1958) était “pour quelque chose” dans la définition
du concept de connaissance tacite et de la cognition distribuée (Kaplan et al,
2003). Dans la lignée des premiers travaux de March et Simon (1958), Williamson
(1975) affirme que la rationalité des individus est limitée à deux niveaux: le
premier est neurophysiologique. Les individus sont limités par la quantité
restreinte d’informations qu’ils peuvent recevoir, stocker et travailler sans
erreurs. Le second est linguistique. Les limites du langage font en sorte que
l’individu est incapable d’articuler tout son savoir ou ses sensations. La
Certaines divergences existent quant à la nature du mécanisme spécifique. Ainsi pour Coase
(1937), la firme existe parce qu’elle est plus efficiente que le marché dans l’utilisation des
mécanismes de prix pour découvrir l’information pertinente et négocier les contrats. De plus, il
suggère que les firmes font valoir des coûts inférieurs parce que l’autorité de l’entrepreneur
permet de mieux diriger les ressources et contrôler les termes des contrats. Williamson (1975)
explique à son tour que les firmes sont plus efficientes que les marchés parce qu’elles contrôlent
l’opportunisme associé à la spécificité des actifs.
10
Le terme “capabilité” est une traduction libre du terme anglais “capability”.
9
31
connaissance que les individus expriment n’est donc pas théoriquement tout ce
qu’ils possèdent ou connaissent. Polanyi (1983 :6) affirmait à ce niveau que “
nous connaissons plus que ce que nous pouvons dire ou énoncer”. Ajoutant une
dimension d’inconscience, Leonard et Sensiper (1998) vont plus loin en postulant
que “nous connaissons plus que nous pouvons réaliser”. Ces deux affirmations
renforcent la perspective choisie par Conner et Prahalad (1996) selon laquelle les
limites linguistiques permettent la formation du savoir tacite. Nous aboutissons
ainsi à la distinction entre connaissance tacite et connaissance explicite,
hypothèse centrale de la knowledge-based. Cette distinction représente pour
certains auteurs la première différence entre les connaissances et les autres
ressources de la firme (Kogut et Zander, 1992).
II.2.2 La question de l’existence de la firme
Le constat que l’on peut faire ici est qu’il n’existe pas de consensus sur la raison
de l’existence de la firme dans cette théorie. Si toutes les explications tournent
autour du concept de connaissance, chaque auteur a essayé de donner une
perspective nouvelle et qui semble parfois contredire les précédentes. Dans les
développements suivants, nous reprenons l’essentiel de ces différentes
acceptions.
Grant (1996) considère les firmes comme des institutions qui produisent des
biens et services parce qu’elles peuvent créer des conditions à partir desquelles
plusieurs individus peuvent intégrer leurs savoirs spécialisés. Il emprunte aux
arguments des auteurs évolutionnistes selon qui la production requiert la
coordination des efforts de plusieurs individus qui possèdent des savoirs et des
expertises différents. Pour ces deux auteurs, les firmes existent parce qu’elles
permettent mieux que le marché de résoudre ces deux problèmes: l’immobilisme
de la connaissance tacite et le risque de l’expropriation de la connaissance
explicite par les acheteurs11. Il faut aussi voir dans la question de l’intégration
des savoirs individuels une hypothèse faite par les deux auteurs que le savoir est
la propriété des individus et non de l’organisation. Grant affirme à ce niveau ce
qui suit “my approach is distinguished by two assumptions: first, that knowledge
creation is an individual activity; second that the primary role of the firm is the
application of the existing knowledge to the production of goods and services11” (Grant,
1996:112).
L’organisation peut gérer l’immobilisme de la connaissance tacite (Celle-ci est en effet
largement encastrée dans les modes d’action et les schémas mentaux des individus et est
difficilement transférable) en mettant en place des mécanismes d’intégration. Elle peut également
protéger le savoir explicite des individus à travers les contrats qu’elle passe avec ses employés.
11
32
Spender (1996) et Nonaka (1994) adoptent une autre perspective. Ils pensent en
effet que le rôle premier de la firme n’est pas d’intégrer le savoir spécialisé des
individus comme le supposent Grant (1996) et Grant et Baden-Fuller (1995), mais
plutôt de créer le savoir organisationnel. Spender définit l’organisation comme
un corps de connaissances sur les circonstances, les ressources, les mécanismes
causaux, les objectifs, les attitudes et les politiques de l’organisation. De sa part,
Nonaka (1994) considère la création de la connaissance comme le rôle premier de
la firme. Cette création se réalise à travers un processus social de conversion
entre les savoirs tacites et explicites.
D’autres hypothèses sur l’existence de la firme existent et méritent d’être
mentionnées. Kogut et Zander (1992) pensent par exemple que la firme existe
parce qu’elle permet, mieux que le marché, d’organiser la combinaison des
différentes connaissances. Parce qu’elle est essentiellement une communauté
sociale ayant développé une identité propre, l’organisation atteint cet objectif en
réduisant les coûts de la communication et de coordination.
Liebeskind (1996) s’intéresse, quant à elle, à la question de la protection des
savoirs comme raison d’être de la firme. Dans cette perspective, plus que la
création et l’intégration, ce sont les mécanismes d’isolation et de protection du
savoir contre l’expropriation externe qui prévalent. La firme existe parce qu’elle
permettrait mieux que le marché de protéger les connaissances stratégiques.
L’auteur remarque dans cet esprit que les dispositifs juridiques de protection des
savoirs (brevets, marques déposées, trade secrets…) ne permettent qu’une
protection partielle et fragile du savoir-faire des organisations. La solution serait
donc de développer cette compétence collective de l’interne.
II.2.3 La question des frontières de la firme
Cette question est peu étudiée dans la littérature. Certains s’intéressent aux
frontières de la firme avec son environnement. D’autres mettent l’accent sur les
frontières internes de la firme. Tarondeau (1998) s’intéresse dans ce sens aux
frontières entre les différentes fonctions de l’entreprise. Ces frontières nuisent au
partage et à l’intégration des savoirs spécialisés. Elles créent l’hostilité au
“réseautage” des expertises et renforcent les comportements claniques. Ces
frontières internes sont donc appelées à disparaître au profit de structures moins
verticales et plus flexibles, temporaires et communautaires (Nonaka, 1994;
Hedlund, 1994).
II.2.4 La question de la structuration interne de la firme
Une gestion des savoirs efficace suppose une certaine structuration de
l’organisation. La discussion théorique a porté sur le rôle des structures
33
hiérarchiques dans le développement, l’intégration et la protection des savoirs.
Conner et Prahalad (1996) affirment que l’hiérarchie peut fournir des moyens qui
autorisent la coordination des savoirs locaux et spécialisés. Grant et Baden-fuller
(1995) estiment qu’elle requiert la définition de règles et de directives qui
autorisent l’intégration des savoirs spécialisés. D’autres auteurs rejettent la
structure hiérarchique et défendent des modes d’organisation flexibles,
transversaux et temporaires. Tarondeau (1998) affirme par exemple qu’une
gestion des savoirs efficace s’appuierait sur une organisation transversale où les
processus et les flux et non les fonctions et les divisions classiques assurent la
coordination des différentes expertises. Hedlund (1994) et Nonaka et Konno
(1998) considèrent les structures temporaires (équipes multifonctionnelles,
groupes projets…) comme de véritables mécanismes qui assurent la création et
l’intégration des connaissances.
Au bout de cette analyse, il ressort que la dynamique de la compétition par les
connaissances a favorisé l’éclosion d’une nouvelle théorie de la firme. Cette
théorie, comme le montrent les développements précédents, est encore en quête
d’harmonie et d’équilibre. C’est pourquoi certains auteurs comme Kaplan et al
(2003) développent des approches intégratives afin de réduire les divergences
théoriques actuelles.
34
Section III : Pour une compréhension améliorée de la gestion des
connaissances : définitions, processus clefs, contextes et stratégies de
savoir
III.1 De l’économie des connaissances à la gestion des connaissances
« L’économie de la connaissance se développe quand se met en place
progressivement une économie dans laquelle la part de l’emploi intensif en
connaissances s’accroît considérablement, le poids économique des secteurs
d’information devient déterminant et la part du capital intangible dépasse celle
du capital tangible dans le stock réel de capital ». C’est dans ces termes que
Dominique Foray définit l’économie fondée sur la connaissance (Foray, 2000 :3).
Historiquement, l’avènement d’une telle économie s’explique par deux
phénomènes concomitants : d’une part une tendance longue, relative à
l’augmentation des ressources consacrées à la production et à la transmission des
connaissances (R&D, éducation, formation…) et d’autre part l’avènement des
technologies de l’information et de la communication. Les effets de l’économie
fondée sur la connaissance se produisent dans de nombreuses activités
économiques, notamment la recherche scientifique, les services, l’éducation,
l’industrie, la culture et la santé. La science et la technologie jouent un rôle
fondamental dans cette économie. En effet, les secteurs qui exercent un effet
d’entraînement sont caractérisés par la centralité des technologies et de la
science : recherche pharmaceutique et médicale, technologies de l’information,
aéronautique et autres services.
Les premières conceptualisations de l’économie fondée sur la connaissance sont
marquées par la centralité des questions de production et d’acquisition des
savoirs par les grandes institutions de recherche et d’éducation. Cependant, la
notion d’économie de connaissance se trouve aujourd’hui progressivement
élargie pour intégrer les processus d’apprentissage et de développement des
compétences individuelles et collectives mobilisés par les organisations. Il s’agit
de prendre en compte les situations où les savoirs sont produits, distribués et mis
en application dans le cadre des opérations régulières des entreprises. Ainsi l’état
de santé d’une économie fondée sur la connaissance dépendra grandement de la
capacité des entreprises faisant partie de cette économie à s’engager durablement
dans des processus de création, de transfert et de mise en application des
connaissances. De tels processus ne sont pas isolés puisqu’ils sont naturellement
incorporés dans les activités régulières de l’entreprise, c’est à dire dans ses
routines de production, pour citer Nelson et Winter (1982), pères de la théorie
évolutionniste de la firme.
35
Plus que jamais, l’avènement d’une économie fondée sur la connaissance appelle
les entreprises à développer des compétences distinctives en matière de gestion
des connaissances. La gestion des connaissances est un investissement lourd, un
projet fondamentalement transformateur qui vise à charpenter l’organisation
autour de ses richesses immatérielles. La démarche s’inscrit forcément dans la
durée car les retours sur investissements se réalisent généralement à moyen et
long termes (Bally, 2003). Les flux de production, les relations entre acteurs de
l’organisation et les pratiques de management doivent de ce fait être revus de
manière à soutenir la dynamique de gestion des connaissances dans l’entreprise.
Le projet de gestion des connaissances est particulièrement délicat car au delà
des reconversions organisationnelles et humaines qu’il nécessite, il fait intervenir
directement la capacité de l’entreprise à contrôler des actifs intangibles
difficilement observables, difficilement maniables et quelque fois même
inexplorés par celui ou celle qui les possède. L’aspect crucial de la gestion des
connaissances est qu’elle est porteuse de projet de changement pour
l’organisation. Au delà des compétences techniques liées aux TIC, l’entreprise
qui opte pour une stratégie de gestion des connaissances doit être en mesure de
mobiliser des compétences d’adaptation au changement programmé et parfois
même de destruction créative.
En termes économiques, toute démarche de gestion des connaissances doit être
soumise à l’analyse du coût d’opportunité. Les bénéfices qui en découlent sont
importants (III.5). Les coûts de création, de transmission et d’application le sont
également. Cela appelle l’entreprise à opérer des choix judicieux en matière de
gestion de ses connaissances qui permettrait d’optimiser la démarche. Le premier
choix se rapporte au contexte du projet. A partir d’une autoévaluation critique en
matière de connaissance et de capital intellectuel, l’entreprise se prononcera
clairement sur ses besoins spécifiques en matière de gestion des connaissances.
Ces besoins doivent être traduits en objectifs opérationnels, c’est à dire des
problématiques de terrain (III.2). Le deuxième choix consiste à focaliser l’action
sur des processus clefs. Directement lié au premier, ce choix permet
d’opérationnaliser la démarche de gestion des savoirs choisie par l’entreprise
(III.3). Enfin, le troisième choix est relatif à la stratégie de connaissance à mettre
en place (III.4). Il s’agit de décider du mode d’apprentissage à promouvoir et à
valoriser dans l’entreprise.
III.2 Définitions et objectifs du management des connaissances
Aujourd’hui, définir le management des connaissances se fait au regard de
plusieurs variables : les objectifs visés par la mise en place de tel projet, les
processus de mise en œuvre de la gestion du savoir et l’infrastructure qui
autorise ce management. L’examen de la littérature sur le management des
connaissances fait ressortir une multitude de définitions. Chacune essaye de
36
montrer la pertinence opérationnelle du thème ainsi que sa philosophie et raison
d’être.
Nous cherchons dans ce qui suit à définir le management des connaissances.
Pour ce faire, nous présentons quelques définitions relevées au niveau de la
littérature spécialisée, celles que nous jugeons les plus pertinentes. En suite, au
regard de ces définitions nous dégagerons des traits caractéristiques du concept.
Par cela, nous ne cherchons pas à présenter une nouvelle définition du concept.
Notre objectif est de pouvoir en définir les caractéristiques centrales. Dans un
deuxième temps, nous nous intéresserons aux différents objectifs et contextes
relatifs aux projets de gestion des connaissances.
III.2.1 Examen de quelques définitions
Bouteiller (1999) définit le management des connaissances comme une nouvelle
science visant à réorganiser l’entreprise autour de sa richesse immatérielle. Si le
concept « science » semble être quelque peu « léger » et porteur d’une
exagération, l’idée de la réorganisation de l’entreprise est à retenir. En effet, la
gestion des connaissances s’inscrit dans une vision plus large de l’organisation
comme un système apprenant. Cette logique appelle à une rupture importante
(d’autres diront fondamentale) avec le paradigme de l’entreprise physique. La
richesse immatérielle, représentée dans l’intelligence et la connaissance des
employés, et les actifs tangibles procèdent de manières différentes. La gestion des
connaissances fait intervenir nécessairement des changements au niveau des
modes d’organisation et de design du travail.
D’autre part, Amidon (1999) définit le management des connaissances comme
une compétence centrale que les entreprises doivent développer pour réussir
dans l’environnement de demain. Le management des savoirs est donc source
de démarcation pour les entreprises et permet la création de positions
concurrentielles favorables. Ceci rejoint notre analyse relative à la dimension
stratégique du knowledge management.
Bassi (1997 :26) présente la définition suivante: « c’est le processus qui vise
l’identification, le repérage et l’utilisation des connaissances afin d’améliorer la
performance de l’organisation ». Cette définition met l’accent sur les processus
de gestion des connaissances.
Les experts du groupe de consulting international Ernst & Young (1997) 12
définissent le management des connaissances comme le modèle ou le système
créé par les entreprises en vue d’identifier, générer, et utiliser le savoir
12
Cité par Jacob et Pariat, 2000 : 22.
37
organisationnel dans le processus de prise de décisions. Cette définition pointe
un autre objectif du management des savoirs. La construction des savoirs répond
en effet à un besoin de prise de décision dans l’entreprise. Aujourd’hui, dans un
environnement caractérisé par l’imprévisibilité et l’émergence de modèles
d’affaires dits de rupture, les décisions managériales sont prises sous deux
contraintes : l’urgence et l’incertitude. Face à de telles situations, la construction
de nouveaux savoirs et l’identification de nouvelles sources d’informations
semblent être deux priorités de tout système de management des connaissances.
Wharton13 définit le management des connaissances comme l’amélioration
systématique des informations et expertises afin de perfectionner les capacités
d’innovation, de réponse et d’apprentissage de l’organisation. Cette définition
met l’accent sur deux éléments. D’abord, la gestion des connaissances prend en
compte deux types de savoirs : le savoir explicite, codifié et représenté
essentiellement dans les informations ; et le savoir tacite, subjectif inscrit dans les
actions, expertises et compétences relatives aux groupes et aux individus. En
effet, le management des connaissances ne se limite pas à la gestion des seules
informations et connaissances explicites. Il doit aussi faire remonter à la surface
les savoirs obliques, parallèles et souvent de hautes valeur et pertinence
opérationnelles. La deuxième implication de cette définition s’intéresse aux
finalités du management des connaissances. L’amélioration des compétences
individuelles et collectives permet aux membres de l’entreprise d’entreprendre
des actions d’innovation. Entretenir un climat d’innovation permet à la longue
de générer des gains de productivité dus à la réduction des cycles d’innovation.
Enfin, avec une culture d’innovation, l’entreprise sera mieux outillée, en termes
de compétences et de savoirs, pour faire face aux sollicitations incessantes de ses
partenaires externes, en particulier ses clients.
Swan et al. (1999) appréhendent le management des connaissances comme un
ensemble de processus organisationnels portant sur la création, l’acquisition,
l’identification, le partage et l’utilisation des connaissances, des talents et des
expertises. La gestion des savoirs s’articule autour de certains processus susidentifiés. Il va de soi que chaque organisation choisit ses propres processus et ce,
au regard de sa position, ses objectifs et ses propres ressources. La gestion des
savoirs obéit à plusieurs variables de situation. La mise en place du projet est
donc indissociable d’une réflexion sur les différentes variables de contingence
propres à l’entreprise.
Dans une perspective d’apprentissage organisationnel, Scarbrough et al. (1999)
définissent le management des connaissances comme étant tout processus ou
pratique visant la création, l’acquisition, le partage et l’utilisation des
13
Idem.
38
connaissances
organisations.
afin
d’autoriser
l’apprentissage
et
la
performance
des
En s’appuyant sur les travaux de March sur l’apprentissage organisationnel
(March, 1991), il est possible de définir le management des connaissances comme
une démarche visant à la fois l’exploitation des savoirs circulants et l’exploration
de nouvelles idées et pratiques. Dans toute organisation, cet équilibre dynamique
entre les activités d’exploitation et d’exploration est nécessaire pour produire au
quotidien et pour faire des prévisions. Le fait de privilégier l’exploitation au
détriment de l’exploration fait courir à l’entreprise le risque de la rigidité et de
l’autodestruction. Par contre, s’inscrire uniquement dans l’exploration peut
perturber l’ordre organisationnel nécessaire aux activités de production. Prise
dans ce dilemme, la gestion des connaissances « doit s’inscrire, en même temps,
dans la stabilité et dans le mouvement » (Gaha et Mansour, 2004 : 19).
Ainsi, au terme de cette analyse, il est possible de synthétiser les principales
caractéristiques du management des connaissances dans l’encadré suivant.
Encadré 1.1- Propriétés du management des connaissances
S’insère dans une stratégie organisationnelle de compétitivité centrée sur le capital en
connaissances.
S’inscrit dans une logique d’apprentissage et de performance organisationnelle.
Compose avec des savoirs de sources et de natures différentes (individuels et collectifs /
explicites et tacites).
S’articule autour de processus clefs. En effet, toutes les définitions font appel à la notion de
processus comme moyen de gérer ce projet. Les principaux processus sont : la création des
savoirs, la codification et le transfert des savoirs et meilleures pratiques (best practices) et
l’utilisation des savoirs créés dans de nouveaux produits et services ou encore dans la prise de
décisions.
Appelle à la mise en place d’une véritable infrastructure organisationnelle. Une telle
infrastructure permettra la création d’outils et de contextes favorables à la production, au
transfert et à l’utilisation effective des savoirs.
Nécessite une approche qui prend en considération les variables situationnelles et les facteurs de
contingence propres à l’entreprise.
Ce sont donc là les principales caractéristiques et dimensions afférentes au
management des connaissances. Ensemble, elles forment une sorte de KM-MIX ;
c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés qui interviennent dans la mise
en œuvre d’une gestion des connaissances. Notons cependant que l’importance
de ces dimensions varie d’une entreprise à une autre. Si les unes préfèrent par
exemple axer le projet sur l’infrastructure accompagnante, d’autres s’attachent à
la mise en action du système selon des processus clairement identifiés sans pour
autant se soucier du rôle et de l’importance de l’infrastructure organisationnelle
qui va avec. Toutes ces différences au niveau de la pratique du management des
connaissances en font un thème riche, ouvert et « à découvrir au cas par cas ».
39
III.2.2 Contextes et objectifs du management des connaissances
Plusieurs questions se posent à ce niveau de l’analyse : Comment pourra-t-on
expliquer ces différences de pratiques de knowledge management ? Pourquoi les
entreprises éprouvent-elles des besoins différents en matière de connaissance ?
Enfin, si la connaissance devient la seule source d’avantage compétitif, aux dires
de Drucker (1999), comment les entreprises construisent et perçoivent réellement
cet avantage ? Ces questions sont importantes car elles nous renvoient aux
substrats du KM, à sa raison d’être pour chaque entreprise. En effet, nous
pensons qu’au-delà de la relation, désormais reconnue, entre connaissance et
avantage compétitif, il y a lieu de dire que la montée du management des savoirs
s’explique par des contextes relativement différenciés. Si la préoccupation
stratégique de compétitivité reste la raison majeure, d’autres motifs d’ordre
beaucoup plus « terre à terre » et témoignant de soucis opérationnels sont
relevés. En effet, la connaissance est à l’œuvre dans toutes les questions qui lui
sont familières : l’innovation, la veille stratégique, la gestion des compétences et
du capital intellectuel, la qualité totale, la gestion des relations clients…etc.
D’abord, les organisations gèrent leurs connaissances pour faire face à
l’explosion du flux de connaissances qui y circulent. Face à ce problème, le
management des savoirs intervient pour structurer la richesse immatérielle de
l’entreprise. Il s’agit de répertorier, capitaliser, traiter, distribuer et utiliser les
connaissances nécessaires à la décision. En deuxième lieu, gérer les
connaissances est une réponse aux problèmes de pertes de mémoires et d’érosion
des compétences. Plusieurs organisations, notamment celles dans le secteur des
hautes technologies, souffrent de problèmes de départ volontaire de leurs
employés clefs. Elles perdent de la pratique, de l’expertise et une mémoire de
choix. La gestion des connaissances intervient dans une logique proactive afin de
réduire ou de neutraliser les effets de ces départs. Ensuite, la gestion des
connaissances peut être un vecteur d’innovation. Elle permet de créer de
nouvelles connaissances et de les intégrer dans les produits ou les décisions de
l’organisation (Byosière et Ingham, 2001). Enfin, le knowledge management est
une solution au problème de la roue réinventée. En effet, plusieurs organisations
ont du mal à identifier les savoirs détenus dans leurs différentes unités. Les
structures fonctionnelles et divisionnelles ont renforcé cette myopie et cette
incapacité à s’ouvrir sur le savoir de l’autre. Souvent des ressources colossales
sont investies dans une tâche particulière, alors qu’elle est déjà développée,
testée et validée dans un autre département. Le management des connaissances
intervient ici en deux temps : en premier lieu, développer des moyens
d’identification et de repérage des connaissances ; en second lieu, permettre le
partage des connaissances entre les unités et les individus. Le premier s’appuie
sur les outils technologiques, le second a trait à la culture et aux comportements.
40
Cette recension d’objectifs de gestion des connaissances ne peut pas être
complète. Il existe autant de projets que de besoins organisationnels. La
littérature empirique sur le thème est très riche. Elle révèle la diversité des
approches et méthodes de gestion des savoirs mobilisées par les organisations.
L’idée de la diversité d’approches est très importante et doit être prise en compte
dans cette recherche. En effet, l’étude des processus de gestion des connaissances
dans plusieurs entreprises nécessite la prise en compte des spécificités
managériales, culturelles et structurelles de chacune d’elles. D’autre part, faire
une « bonne » recherche sur le management des connaissances dans des
entreprises tunisiennes passera par la restitution de la dynamique de
management propre à ces organisations. Il sera ainsi très utile de distinguer les
approches de management des connaissances fortement structurées dans les
entreprises occidentales de celles actuellement à l’œuvre dans les entreprises
tunisiennes, marquées par leur faible ancrage dans la culture et les pratiques de
management des entreprises (Ben Hamouda, 2001).
III.3 Analyse des processus clefs de gestion des connaissances
Le management des connaissances ne peut se réduire à une intention ou vision
stratégique exprimée par la direction générale. Il n’est pas seulement un
ensemble d’idéaux qui gouvernent la vie d’une entreprise comme ceux qui
caractérisent le concept d’organisation apprenante. Loin d’être une utopie et une
philosophie d’ordre général, le management des savoirs est un projet
organisationnel réel et concret. Il se traduit donc par et dans l’action.
Foncièrement, le management des savoirs est un processus dynamique articulé
autour de capacités clefs. Comme nous l’avons souligné, de telles capacités
obéissent à des spécificités et contingences relatives aux entreprises. Mais, les
auteurs sont unanimes quant à l’existence d’un certain nombre de capacités
fondamentales qui constituent ainsi le noyau dur du management des
connaissances. L’examen de la littérature nous permet de retenir trois travaux
importants. Ils seront respectivement discutés. Ensuite, une synthèse de ces
travaux sera présentée. Son objectif est de retenir les capacités de gestion des
connaissances les plus importantes pour notre recherche.
III.3.1 L’approche de Sarvary (1999)
Le modèle de Sarvary considère le management des connaissances comme un
processus managérial qui permet à l’entreprise de créer et d’utiliser à des fins
stratégiques son savoir collectif ou institutionnel. Ce modèle considère la
connaissance comme un élément ultime dans la chaîne de transformation de
l’information. Il s’inscrit dans une approche information de la connaissance. Le
management des connaissances inclut ici trois capacités clefs :
41



L’apprentissage organisationnel : c’est le processus à travers lequel
l’entreprise acquiert de nouvelles informations.
La production des connaissances : c’est le processus qui permet aux
membres de l’entreprise de transformer l’information brute en
connaissances organisationnelles. Ceci se fait au moyen d’analyse et de
croisement de plusieurs informations.
La distribution des connaissances : c’est le processus qui autorise aux
membres de l’organisation l’accès aux connaissances collectives de la
firme et leur utilisation.
III.3.2 L’approche de Gupta et Govindarajan (2000)
Gupta et Govindarajan considèrent que le capital intellectuel d’une organisation
est fonction de deux éléments : le stock de connaissances accumulé par les
individus et les différentes unités de l’entreprise et le degré auquel les
connaissances sont mobilisées et partagées. Partant de cette équation, leur
modèle de management des connaissances s’appuie sur deux capacités :
l’accumulation et la mobilisation des savoirs :
 Les capacités d’accumulation des connaissances sont analysées en trois
sous capacités. D’abord, la création des connaissances. C’est
l’apprentissage par le faire et l’expérimentation qui autorisent une telle
création. Ensuite, l’acquisition des connaissances : elle passe par
l’internalisation du savoir externe. Enfin, la rétention du savoir interne
peut minimiser les déperditions.
 Les capacités de mobilisation des connaissances créées peuvent être
subdivisées en trois sous capacités, à savoir : motiver les transmetteurs
potentiels du savoir au partage, construire des canaux efficients de
transmission des savoirs et motiver les destinataires potentiels de la
connaissance transférée à l’intégrer dans leurs schémas de réflexion et
d’action.
III.3.3 L’approche de Gold, Malhotra et Segars (2001)
Le modèle développé par Gold, Malhotra et Segars est l’un des plus cités dans la
littérature. Il s’articule autour de quatre capacités clefs.
 La capacité d’acquisition : elle s’oriente vers l’accumulation des savoirs.
L’innovation est une forme particulière de création et d’acquisition de
nouveaux savoirs en s’appuyant, entre autres, sur les savoirs déjà existant
dans l’entreprise. Le benchmarking et la collaboration sont cités par les
auteurs comme exemples types illustrant des processus d’acquisition des
connaissances.
42
A travers le benchmarking, une entreprise identifie les meilleures
pratiques chez les concurrents, compare ces pratiques avec les siennes et
porte l’action sur les écarts identifiés et mesurés. Ainsi, à travers un effort
de surveillance et d’analyse, elle arrive à créer et acquérir de nouveaux
savoirs. Nous l’avons déjà mentionné : le savoir est à l’œuvre dans les
grandes problématiques qui lui sont familières. L’intelligence économique
et la veille concurrentielle en font partie.


La création de connaissances passe aussi par la collaboration. Il s’agit de
favoriser le partage et la dissémination des savoirs et des expertises
personnelles. La collaboration peut se situer sur deux niveaux : dans
l’organisation et entre celle-ci et ses partenaires.
Dans une organisation, la collaboration entre les individus est à la base de
ce que Nonaka (1999) et Nonaka et Konno (1998) appellent la socialisation
du savoir, c'est-à-dire le passage des connaissances tacites et des
expertises d’un état individuel à une sphère collective.
En collaborant avec ses partenaires externes, l’entreprise arrive aussi à
créer des interfaces de savoir. En expérimentant en permanence avec ses
clients, ses fournisseurs voire avec ses concurrents, l’entreprise intègre de
nouveaux savoirs et élargit ainsi son portefeuille connaissances.
La capacité de conversion : La capacité de conversion vise essentiellement
à rendre utilisables et exploitables (donc utiles) les connaissances créées
dans l’entreprise. Comment l’organisation peut-elle arriver à rendre utiles
ses savoirs ? Certains appellent à organiser les connaissances de
l’entreprise de manière à ce qu’elles soient destinées à une forme
particulière d’utilisation (Davenport et Klahar, 1998 ; Brown et Duguid,
1998). D’autres appellent, dans une logique métier, à la combinaison et
l’intégration des différents savoirs organisationnels de manière à
construire des groupes de savoirs homogènes reliés à une fonction ou
activité particulière de l’entreprise (Hamel et Prahalad, 1990). Malgré leurs
différentes approches, les deux courants semblent unanimes quant à la
nécessité de rendre utiles les connaissances créées. Plusieurs entreprises
excellent en effet dans l’acquisition des savoirs, mais elles éprouvent du
mal à les intégrer dans leurs produits ou dans leurs décisions (Garvin,
1993). Leur potentiel d’innovation et leur compétitivité se trouvent par
suite sérieusement affectés.
La capacité d’application : cette capacité concerne la mise en place des
moyens permettant l’utilisation des savoirs. Ceci passe d’abord par le
transfert des connaissances dans l’organisation. Ensuite, il s’agit de
réfléchir sur la manière de mettre ces savoirs en action. L’entreprise peut
améliorer « l’utilisabilité » de ses connaissances en identifiant dès le
départ les connaissances cruciales qu’elle veut construire. Construire un
savoir obéit à une intention, une finalité stratégique exprimée par
43

l’entreprise. Ce n’est guère un acte gratuit. Partant de là, l’identification
des savoirs à construire devient un impératif et un préalable nécessaire à
tout management des savoirs. Ceci deviendra certainement plus aisé en
inculquant aux gens dans l’organisation une vision stratégique. Celle-ci
leur permettra de comprendre les grandes orientations de l’entreprise et
les types de connaissances qui vont avec.
La capacité de protection : une telle capacité devrait permettre la
sécurisation des savoirs et savoir-faire de l’entreprise. En effet, pour que la
connaissance génère une rente stratégique, elle doit être protégée contre
les tentatives d’imitation et de reproduction (Couret et Calvo, 1995 ;
Liebeskind, 1996). Aujourd’hui, il semble que les brevets, les marques et
les copyrights- longtemps considérés comme des moyens légaux de
protection des savoirs- ne sont plus en mesure d’assurer convenablement
cette protection. Gold, Malhotra et Segars proposent une autre solution. Il
s’agit de concevoir dans l’entreprise un mécanisme isolant permettant de
protéger ses savoirs contre l’expropriation. Dans ce sens, les organisations
s’orientent de plus en plus vers la mise en place de pratiques
organisationnelles qui atténueraient l’hémorragie du savoir de l’entreprise
dans l’environnement. Le système de rémunération, le code de conduite
des employés et le design du travail sont autant d’exemples de ces
pratiques cités par ces auteurs. Liebeskind s’inscrit dans la même logique
organisationnelle et considère l’action sur le contenu et la coordination du
travail comme mécanismes primordiaux et suffisants de protection des
savoirs (Liebeskind, 1996).
Les travaux présentés montrent la multiplicité des approches qui ont traité la
question des capacités de gestion des connaissances. Afin de les synthétiser, nous
présentons le tableau suivant où nous retenons les principales capacités. Celles-ci
seront utilisées ultérieurement dans notre recherche.
44
Tableau 1.2- Capacités clefs de gestion des connaissances : une synthèse des principaux travaux
Capacités
Description
Identification
Repérer et cartographier l’ensemble des savoirs appartenant aux individus et à l’organisation. Aussi, il faut identifier
les individus qui construisent les savoirs et les lieux de construction (Ballay, 2003) . L’identification des connaissances
permet à l’organisation d’éviter le syndrome de la roue réinventée. Elle lui permet d’imaginer les moyens de transférer
les savoirs entre les unités et les individus et de protéger les savoirs de l’organisation en cas de perte de collaborateurs
clefs.
Création
C’est la capacité à combiner deux connaissances différentes pour produire un output dont la valeur est supérieure à la
somme des inputs (Teece, 1998). La création des connaissances aboutit à l’innovation. Selon Nonaka (1994), la création
se fait à travers la conversion entre connaissances explicites et tacites. Quatre modes de conversion existent alors. Le
premier est appelé socialisation (de la connaissance tacite vers la connaissance tacite). Le second est appelé combinaison
(de la connaissance explicite vers l’explicite). Le troisième est l’externalisation (du tacite vers l’explicite). Le dernier est
l’internalisation (de l’explicite vers le tacite). Ces quatre modes forment le modèle SECI de création des connaissances.
Pour Nonaka, la création des connaissances a lieu lors de l’externalisation et l’internalisation, c’est à dire lors de
l’échange entre connaissances tacites et explicites.
Intégration
Absorption
Transfert
Partage
L’intégration des connaissances se fait aux niveaux interne et externe. En interne, il s’agit de créer des mécanismes
d’intégration et de coordination qui permettent d’intégrer les connaissances individuelles fortement spécialisées à
cause de la division du travail (Grant, 1996). La structure hiérarchique permet de coordonner les différents savoirs
spécialisés. Au plan externe, les organisations cherchent à intégrer les connaissances et les expertises de leurs
partenaires dans les alliances de même que celles de leurs filiales sœurs pour les multinationales (Grant et BadenFuller, 2000). Au niveau externe, l’intégration des savoirs suppose également une capacité d’absorption (Cohen et
Levinthal, 1990), c’est à dire que la firme doit avoir une base de connaissance suffisamment riche et variée pour
pouvoir absorber le savoir des partenaires.
C’est la capacité de l’organisation ou d’une unité à susciter chez les individus une volonté de transférer leurs
connaissances et de les partager avec leurs collègues. Les démarches technologiques dédiées à cette finalité aboutissent
souvent à de piètres performances. Les capacités de transfert des connaissances butent sur un ensemble de barrières
organisationnelles, contextuelles et humaines. Selon Szulanski (1996), ces barrières sont de quatre types: des barrières
relatives aux expertises et connaissances transférées, des barrières émanant de l’émetteur, d’autres émanant du
récepteur et enfin des barrières de contexte. Pour une meilleure compréhension de ces barrières, voir chapitre trois.
45
Utilisation
C’est la capacité à appliquer dans des schémas de production concrets les connaissances créées et partagées par les
individus. L’organisation est appelée à encastrer la connaissance nouvelle dans les nouveaux produits, services ou
décisions (Garvin, 1993).
Protection /
Rétention
C’est la sécurisation des savoirs et savoir-faire de l’entreprise. En effet, pour que la connaissance génère une rente
stratégique, elle doit être protégée contre les tentatives d’imitation et de reproduction (Couret et Calvo, 1995 ;
Liebeskind, 1996). La protection passe par la mise en place de dispositifs légaux. Ceux-ci n’étant plus efficaces
aujourd’hui, l’organisation doit mettre en place des dispositifs internes de protection des savoirs.
46
III.4 Choix organisationnels et stratégies de connaissance
La théorie de la firme centrée sur la connaissance stipule que le premier rôle de
l’entreprise est de créer, partager et utiliser des connaissances afin d’améliorer
ses capacités d’apprentissage et sa performance. Mais étant donné le fait que
chaque organisation a ses propres visions, objectifs, ressources et contexte; les
stratégies de déploiement des connaissances ne sont pas identiques d’une
entreprise à une autre. Une stratégie de connaissance14 est définie par les
principes et les activités choisis par une entreprise afin d’exploiter sa richesse
immatérielle et rentabiliser l’apprentissage de ses employés et ce, au regard de
ses compétences distinctives et l’environnement dans lequel elle opère.
Dans la course effrénée à l’innovation et l’exploitation des richesses
intellectuelles, les gestionnaires sont appelés à prendre des décisions quant au
déploiement des connaissances de l’organisation. Ces décisions ne sont pas
aisées car, contrairement aux autres ressources de l’organisation, la connaissance
est difficile à repérer, à évaluer et à partager. Elle est inextricablement liée aux
individus qui la portent et au contexte social dans lequel elle est « encastrée ». En
outre, étant donné que les stratégies de connaissances engagent la ressource clef
de l’entreprise, des « calculs stratégiques » doivent être mis au point par les
organisations afin de sécuriser cette ressource contre les tentatives
d’expropriation. Les contraintes pesant sur le choix d’une stratégie de
connaissances sont donc multiples. Seule une prise en compte de l’ensemble de
ces variables permettra la formulation d’une stratégie « sur-mesure » permettant
d’améliorer les capacités d’apprentissage de l’entreprise.
Appliquée au management des connaissances, la théorie de la contingence nous
apprend que chaque organisation est appelée à identifier sa propre stratégie de
connaissance. Au regard de son métier, de ses propres compétences et de la
situation de son industrie, l’organisation peut opter pour une stratégie ou pour
une autre. Les décideurs de l’entreprise disposent d’un ensemble de critères qui
peuvent aider à la formulation d’une stratégie de savoir. Ces critères regroupent
la nature de la connaissance stratégique de l’organisation (explicite ou tacite), la
source d’apprentissage (interne ou externe) et la vitesse d’apprentissage (radical
ou incrémental). Ces différentes stratégies seront présentées, synthétisées et
commentées dans les développements suivants.
Bierly et Chakrabarti (1996) ont analysé les stratégies de connaissance dans 21
groupes pharmaceutiques américains entre 1977 et 1991. L’objectif de leur
recherche était d’identifier des groupes d’entreprises avec des stratégies de
Certains auteurs utilisent le concept de stratégie d’apprentissage au lieu de connaissances. Il
n’existe pas de différences entre les deux concepts puisque la finalité est la même: rentabiliser la
richesse immatérielle de l’entreprise pour améliorer la performance.
14
47
connaissances similaires. En s’appuyant sur une revue extensive de la littérature
sur l’apprentissage organisationnel, Bierly et Chakrabarti (1996) postulent qu’une
stratégie de connaissance se définit en répondant de manière collective aux
quatre exigences suivantes: (1) trouver l’équilibre entre l’apprentissage interne et
l’apprentissage externe15, (2) focaliser sur l’apprentissage incrémental ou
radical16, (3) décider de la vitesse optimale de l’apprentissage17 et (4) trouver
l’équilibre entre la largeur et la profondeur de la base de connaissance de
l’entreprise18. L’analyse typologique menée par les auteurs a révélé l’existence de
quatre groupes d’entreprises ayant chacun sa propre stratégie de connaissance.
Le premier groupe est dit groupe des innovateurs. Les entreprises appartenant à
ce groupe adoptent une stratégie de connaissance agressive. Elles ont des
niveaux d’apprentissage interne et externe élevés. Elles focalisent sur
l’apprentissage radical et incrémental et apprennent rapidement. Le deuxième
groupe est Celui des isolés. Ce sont des entreprises qui se concentrent sur des
savoirs spécifiques et qui ne sont pas capables d’intégrer leurs savoirs. Aussi,
elles sont lentes au niveau de l’application des nouveaux savoirs. Le troisième est
un groupe d’exploiteurs. Ce sont des entreprises qui focalisent sur l’apprentissage
et utilisent généralement des connaissances externes. Le dernier groupe est celui
des explorateurs. Ce sont des entreprises qui jouent sur l’exploration sans occulter
l’exploitation.
De leur coté, Hansen, Nohria et Tierney (1999) ont analysé les stratégies de
connaissances dans les grandes entreprises de conseil aux Etats Unis. Ils
distinguent entre la stratégie de codification et celle de personnalisation. La
première stratégie a pour objectif de codifier le savoir détenu par les meilleurs
employés afin de le stocker et de le réutiliser. Dans cette logique, le management
exproprie le savoir et l’expertise des employés clefs et les utilise dans des
L’apprentissage interne se réalise quand les nouvelles connaissances sont développées dans
l’entreprise. L’externe a lieu via l’acquisition ou l’imitation des savoirs externes. L’apprentissage
interne permet à l’entreprise de développer ses propres compétences centrales et de s’approprier
plus de profits. L’externe permet cependant d’élargir la base de connaissance de l’organisation et
d’augmenter son degré de flexibilité. Les deux types d’apprentissage ne sont pas mutuellement
exclusifs. Selon Bierly et Chakrabarti, il y a un sorte de va-et-vient entre les deux.
16 Il s’agit ici du degré de radicalité du processus d’apprentissage et non du produit final (quoi
qu’ils se rejoignent parfaitement). L’entreprise doit choisir entre l’apprentissage qui transforme
radicalement ses routines et hypothèses centrales et celui qui change graduellement sa base de
connaissance (Argyris et Schon réfèrent au premier par apprentissage en boucle double, le second
est en boucle simple).
17 Cette décision rejoint celle relative à l’apprentissage interne ou externe. L’apprentissage interne
est plus rapide. L’externe est lent dans la mesure où il faut développer des capacités d’absorption
(Cohen et Levinthal, 1990) et faire face au syndrome du Not Invented Here (Jacob et Pariat, 2000).
18 La base de connaissance doit être suffisamment large pour pouvoir combiner l’ensemble des
ressources de l’entreprise de manière complexe et qui rend impossible toute tentative d’imitation
pour les concurrents (Reed et Defilippi, 1990). Dans certains cas, elle doit être étroite afin de se
concentrer sur quelques compétences spécifiques (surtout en cas de ressources limitées).
15
48
situations différentes. C’est une approche “people-to-document” qui est largement
utilisée chez l’ex-géant du consulting international Arthur Andersen (Hansen et
al, 1999). La codification permet de construire une base de connaissances, un
référentiel de meilleures pratiques qui peut servir dans des situations futures.
Cependant, son premier atout est de renforcer le contrôle du management sur les
compétences et connaissances spécifiques de l’entreprise. Le départ de personnes
clefs n’aura que de conséquences légères puisque leurs savoirs et savoir-faire
sont déjà codifiés et stockés dans l’organisation. En d’autres termes, la
codification assure le passage du « capital humain », qui demeure la propriété de
l’individu, au capital organisationnel, propriété de l’entreprise (Legnick-hall et
Legnick-hall, 2003). Elle permet de remédier aux effets négatifs sur la mémoire
de l’entreprise de la forte mobilité géographique du capital humain.
Au contraire, une entreprise de conseil comme McKinsey opte pour une stratégie
de personnalisation des connaissances. Elle met l’accent sur le dialogue et la
narration comme moyen de développement des savoirs. L’approche se base plus
sur une culture de partage, de dialogue et de confiance (Von Krogh, 1998) que
sur l’infrastructure technologique et les bases de données. La personnalisation ne
veut pas dire l’appropriation complète des savoirs par le consultant. En effet, ces
derniers sont encouragés via des mécanismes d’incitation appropriés et un climat
organisationnel propice à partager avec leurs collègues les connaissances
développées dans les missions de conseil.
D’autre part, Schulz et Jobe (2001) identifient quatre stratégies de connaissances
déployées par les entreprises multinationales. Ces quatre stratégies sont
déterminées en fonction de deux critères : le degré de codification des
connaissances et le degré de focalisation de la stratégie.
La stratégie de codification, comme expliquée ci-dessus, s’appuie sur un stockage
et un partage des connaissances dans l’entreprise. Dans le cas d’une
multinationale, la codification permet d’améliorer le flux de connaissances qui
circule entre les différentes filiales dispersées géographiquement. La mise en
connexion de savoirs géographiquement dispersés est facilitée par l’arsenal
technologique dont disposent de telles organisations (Intranets, bases de données
partagées, groupware…). La technologie devient le mécanisme de codification le
mieux prisé aujourd’hui.
Dans le cas d’une multinationale, les bénéfices d’une stratégie de codification
sont multiples. L’environnement international actuel exige un partage rapide des
connaissances entre les différentes filiales. La réponse stratégique à cette exigence
est donc de “…codifier une bonne partie des connaissances de l’organisation afin de les
rendre facilement transférables” (Schulz et Jobe, 2001: 143).
49
Mais la stratégie de codification présente certaines limites. Kogut et Zander
(1992) affirment que la codification du savoir augmente le risque de son imitation
par les concurrents de l’entreprise. La connaissance ne pourrait dans ce cas
générer une position concurrentielle favorable. C’est pour cette raison que
plusieurs multinationales préfèrent la deuxième stratégie, celle de la tacité. La
stratégie de tacité s’appuie sur cet argument cher à la théorie évolutionniste de la
firme selon lequel le savoir tacite est difficilement imitable par les concurrents de
l’entreprise et qu’il peut être à lui seul source d’avantage compétitif durable.
Certaines multinationales préfèrent garder secrets leurs savoirs et les maintenir
dans “ les têtes de leurs employés”. Procéder par stratégie de tacité permet à
l’entreprise de maintenir le savoir tacite en état de “gestation fluide” (Schulz et
Jobe, 2001: 144). Le savoir tacite renforce en effet la créativité des individus et
crée des réponses nouvelles (Leonard et Sensiper, 1998).
La stratégie de focalisation permet quant à elle, de mieux repérer les types de
connaissances à codifier et celles qui seront conservées à l’état tacite (par
exemple: codifier toutes les connaissances en étude de marché et laisser tacites
toutes les connaissances relatives à la négociation avec les partenaires locaux
pour le cas d’une multinationale). La stratégie de focalisation apporte de la
restriction aux choix de codification et de tacité. Contrairement, la stratégie de
non focalisation permet d’augmenter au maximum le degré de codification et
d’augmenter aussi au maximum le degré de tacité.
III.5 Management des connaissances, innovation et apprentissage:
l’apport de la gestion des savoirs à l’organisation
L’avènement d’une économie fondée sur les connaissances opère une refonte de
la notion de compétition. En effet, de plus en plus, les entreprises sont appelées à
faire preuve d’apprentissage et à développer de nouveaux savoirs.
L’apprentissage organisationnel devient une préoccupation centrale dans la
mesure où il améliore les capacités de l’organisation à reformuler son offre et à
construire de nouvelles stratégies. Apprendre est synonyme de performance.
Sans cette capacité à aller explorer de nouveaux horizons et à mobiliser
l’intelligence collective autour de l’innovation, la survie dans un environnement
hypercompétitif est impossible. Sans la volonté de s’engager dans des révisions
des stratégies de fonctionnement actuelles, qu’elles soient mineures ou majeures;
il n’est point possible de survivre. La question de l’apprentissage est
inextricablement liée à celle de connaissance. L’objectif de tout processus
d’apprentissage- qu’il soit programmé ou émergent, individuel ou collectif, par
exploration ou par exploration- est de développer et pouvoir mobiliser des
connaissances dans un champ d’action donné. Dans cette perspective, le
management des connaissances peut être appréhendé comme « le versant
opérationnel » de la théorie de l’organisation apprenante. Développée et
50
popularisée par Peter Senge en 1990, la théorie de l’organisation apprenante a
cruellement manqué de réalisme. Ses détracteurs n’ont pas tardé de signaler son
caractère philosophique, utopique et difficilement « opérationnalisable ».
L’intérêt accordé par les chercheurs au management des connaissances,
seulement quelques années après les premiers travaux sur l’organisation
apprenante, peut être compris comme une tentative d’opérationnaliser la notion
d’organisation apprenante à travers la focalisation sur des processus et des
stratégies d’affaires centrés sur la connaissance et qui soient parfaitement
identifiables et mesurables.
Par ailleurs, le management des connaissances est indissociable d’une réflexion
sur les processus d’innovation dans l’entreprise. L’importance de l’innovation
dans le développement des organisations est aujourd’hui incontestable (Hamel,
1998; Roberts, 1998). Pour les économistes, elle est considérée comme élément
critique de toute politique de croissance. L’une des questions centrales quand on
aborde la problématique de l’innovation est la suivante: Que peut-on faire pour
améliorer notre potentiel d’innovation? La réponse à cette question semble
aujourd’hui s’appuyer de plus en plus sur les capacités de gestion des savoirs
dans les organisations. La création, le transfert et l’utilisation des savoirs exercent
en effet une influence positive sur les capacités d’innovation dans l’organisation.
Dans une recherche récente, Darroch et McNaughton (2002) ont essayé de
mesurer empiriquement la relation de causalité entre les activités de gestion des
savoirs et deux types d’innovation: incrémentale et radicale. Malgré le fait que
leurs hypothèses étaient partiellement confirmées, les résultats ne manquent pas
de pertinence et leur apport pour la recherche est certain. Ces résultats stipulent
que certaines pratiques de gestion des connaissances étaient en mesure
d’améliorer le potentiel innovation incrémentale de l’organisation. Ces pratiques
sont essentiellement: l’ouverture de la base de savoir de l’organisation à toutes
les connaissances fonctionnelles, l’acquisition des informations sur le
changement des attitudes des consommateurs sur le marché et l’acquisition des
nouvelles technologies et des nouveaux savoir-faire. Il s’agit ainsi d’activités
d’acquisition de savoirs externes et de documentation des savoirs internes. Leur
effet se limite à l’innovation incrémentale. Par ailleurs, les auteurs ont trouvé que
deux stratégies de gestion des connaissances influent sur l’innovation radicale.
Ces activités sont la conclusion de partenariats et d’alliances internationaux et
l’investissement intensif en capital humain. La première permet d’acquérir des
savoirs et savoir-faire non existants sur le marché de l’entreprise et augmente les
chances de construire des compétences originales, nouvelles et d’aboutir à des
innovations radicales (qu’elles soient au niveau des processus internes ou au
niveau des produits et services offerts). La seconde permet de construire un
capital humain innovateur, doté des compétences et comportements nécessaires
pour s’investir dans des processus d’apprentissage et d’innovation radicaux.
51
Le management des connaissances permet également de renouveler l’avantage
compétitif de l’organisation. En effet, toute organisation est appelée à renouveler
son avantage compétitif quand il ne peut plus lui fournir la position et la
performance escomptées sur le marché. Elle doit ainsi s’engager dans un
processus de destruction/reconstruction. Ce processus, dit également de
renouvellement organisationnel, permet de reconfigurer les savoir-clefs de
l’entreprise et de reconstruire ses compétences distinctives. Une telle dynamique
innovatrice prend place à travers des activités de création de connaissances et de
reconversion des savoirs tacites détenus par des employés clefs en savoirs
déclaratifs et articulables (Nonaka et Takeuchi, 1995). Le tableau suivant résume
les principaux travaux sur les effets de la gestion des savoirs sur l’innovation et
la performance de l’entreprise.
Tableau 1.3- Gestion des savoirs, innovation et performance: principaux travaux
Les processus de création des connaissances influencent positivement les capacités
d’innovation des entreprises. Egalement, la gestion des savoirs tacites dans les
groupes permet de renforcer le niveau d’innovation, notamment en procédant aux
décryptages et au transfert systématiques des savoirs détenus par les individus.
-Nonaka (1994)
-Leonard et Sensiper
(1998)
La documentation des savoirs internes et l’acquisition de nouvelles informations sur
le marché renforcent l’innovation de type incrémental dans l’organisation. Par
ailleurs, le partage des savoirs avec des alliés internationaux et l’investissement
intensif en capital humain permettent l’innovation radicale.
-Darroch et
McNaughton (2002)
Le management conjoint des connaissances tacites et explicites est une fonction
managériale vitale quand il s’agit de développer un nouveau produit. En effet, le
nouveau produit est fait de la combinaison originale et unique d’un ensemble de
savoir-faire pratiques et de savoirs procéduraux. Un tel processus appelle à la
mobilisation des savoirs et des idées des individus autour d’un objectif commun. La
gestion des connaissances ne doit pas adopter une approche d’expropriation des
savoirs tacites des individus pour renforcer le contrôle managérial. Elle doit plutôt
adopter une démarche mobilisatrice et intégrative.
- Leonard et Sensiper
(1998)
Le design de processus d’acquisition et de développement des connaissances fiables
permet à l’organisation d’apprendre plus vite et d’accroître ses capacités de réponse
aux évènements externes. La gestion des savoirs influe sur l’agilité de l’entreprise.
- Dove (1999)
52
-Kreiner (2002)
Conclusion
L’objectif de ce chapitre était d’améliorer notre compréhension du cadre
conceptuel et théorique du management des connaissances. Le savoir, nourri de
soubassements théoriques solides et mis à l’épreuve du terrain des entreprises,
est à l’œuvre dans de nombreux contextes et dans les principaux enjeux
stratégiques et opérationnels des organisations. Le management des
connaissances est cette capacité organisationnelle capitale qui permet à
l’entreprise de structurer, organiser, créer, partager et mobiliser différents types
de savoirs relativement à des projets et contextes organisationnels spécifiques. A
qui appartient le savoir ? Quelle relation entretient-il avec l’information et les
données ? Pourquoi le considère-t-on aujourd’hui comme actif stratégique ?
Quels sont les processus et les stratégies de savoir ? Telles sont les principales
questions auxquelles nous avons essayé d’apporter des éléments de réponse
dans ce premier chapitre. Loin d’être une simple compilation d’informations
puisées dans la littérature, ce chapitre a cherché en premier lieu à clarifier les
principes qui structurent le concept de management des connaissances.
Une telle problématique doit désormais être lue dans une double logique
stratégique et de changement. Stratégique d’abord parce qu’elle traite
directement de la performance et de la compétitivité de l’entreprise à travers la
structuration et la gestion efficace de ses ressources immatérielles ; relative au
changement parce qu’elle interpelle les capacités de l’entreprise à favoriser le
contexte nécessaire au déploiement de ses différents processus. Les implications
de cette double perspective sont importantes. D’un côté, l’entreprise ne doit plus
considérer la gestion des savoirs comme un luxe. De l’autre, elle doit développer
en interne un ensemble de compétences associées au management de ses savoirs.
Découlant d’une intention stratégique et réclamant la mobilisation de plusieurs
compétences organisationnelles, le management des connaissances ne peut se
limiter, comme c’est le cas aujourd’hui chez plusieurs entreprises, à la mise en
place de moyens technologiques dédiés à la codification et au transfert des
connaissances. De telles démarches montrent aujourd’hui toutes leurs limites et
semblent être inefficaces. Elles seront examinées dans le cadre du deuxième
chapitre. En procédant à une lecture critique des approches actuelles au
management des connaissances, nous plaiderons dans le chapitre suivant en
faveur du renouvellement du cadre d’analyse du management des savoirs. La
perspective « organisationnelle » au management des connaissances sera alors
présentée.
53
Chapitre 2
Rétablissement de la dimension « organisationnelle » du
management des connaissances : rôle du capital humain et
du climat organisationnel
La recherche sur le management des connaissances s’inscrit en droite ligne dans
le champ des problématiques associées à l’apprentissage et au renouvellement
organisationnel. Enjeu fondamental du développement et de la pérennité de
l’entreprise, la gestion des connaissances est aujourd’hui placée au centre des
débats sur le management des organisations. En dépit de cette importance,
plusieurs insuffisances semblent se dégager. La première concerne le taux
d’échec assez élevé que connaissent les projets de gestion des connaissances
initiés par les entreprises au cours des dix dernières années (Mc Dermott, 1999).
La deuxième insuffisance découle de la prééminence des approches technicistes
dans le domaine du management des connaissances. Souvent normative et
réductrice, l’approche techniciste opère une confusion entre les notions
d’information et de connaissance. Une telle approche réduit la gestion des
connaissances à une logique « stock d’informations », ce qui empêche de fonder
une recherche conceptuellement rigoureuse sur la gestion des connaissances.
Afin de dépasser ces insuffisances, une lecture critique de la littérature s’impose.
Cette lecture serait d’un grand apport. En effet, elle permettrait de mieux fonder
l’analyse de cette problématique. La critique concerne surtout le déterminisme
techniciste dans lequel s’enlise la recherche (et la pratique) sur le knowledge
management. Il s’agit de révéler les insuffisances conceptuelles et pratiques ainsi
que les multiples impasses sur lesquelles bute l’approche techniciste au
knowledge management. Les apports théoriques utilisés, notamment la théorie
de l’encastrement social de Grannovetter (1992) et la conception
« représentationniste » définie par Lorino (2002), permettent alors de soutenir
une idée-force de cette thèse selon laquelle la production, le partage et
l’utilisation des connaissances relèvent d’un processus fondamentalement social.
Une telle assertion plaide en faveur d’un renouveau de la recherche dans un sens
qui permet d’explorer davantage le versant organisationnel du knowledge
management.
Par la réflexion critique, ce chapitre vise à démontrer les impasses d’une
instrumentation excessive des technologies de l’information et de
communication dans la gestion des connaissances. En effet, la persistance d’une
54
conception mécaniste du knowledge management enferme l’analyse dans la
recherche de nouvelles « technologies managériales », simples et bien marketées,
c’est-à-dire des manières de faire efficaces de type « One Best Way » (Grimand,
2006). Notre positionnement critique appelle donc à rétablir l’importance de la
dimension organisationnelle dans la gestion des connaissances. Notre objectif
ultime est de montrer que la recherche sur le management des connaissances ne
peut faire l’économie d’une réflexion nécessaire sur le contexte organisationnel
dans lequel ses processus clefs prennent lieu. Cela suppose les trois conditions
suivantes :
- La nécessité de comprendre le phénomène techniciste rattaché à la gestion des
savoirs et de situer ses principales limites (section I). Nous verrons plus
particulièrement comment la logique dominante évacue « dangereusement » les
dimensions sociales inhérentes aux processus de l’apprentissage comme le
phénomène de la coopération, le rôle des acteurs, la question du pouvoir ou
encore la dimension culturelle sous-jacente à cette problématique.
- L’intégration des apports de la théorie de l’encastrement social (Grannovetter,
1985 ; 1992) dans la problématique de gestion des connaissances (Section II). Les
échecs subis par les entreprises et les insuffisances théoriques mentionnées
relèvent d’une lecture naïve du savoir organisationnel. Les apports de la théorie
de l’encastrement social permettraient de recadrer cette question et de situer la
production de la connaissance dans son contexte humain, social et culturel.
- La focalisation sur le rôle que jouent respectivement le capital humain de
l’entreprise et le climat organisationnel « d’apprentissage » dans la promotion
d’un environnement favorable à la gestion efficace des connaissances (Sections III
et IV).
55
Section I : Réflexion critique sur le management des connaissances :
pour une remise en cause des lectures technicistes
I.1 Le management des connaissances quinze ans après : expliciter les
termes du débat
Depuis le début des années 90, on assiste à un intérêt grandissant pour la notion
de gestion des connaissances. Dès 1991, Nonaka estimait que les organisations
performantes seraient celles qui créeraient le plus de connaissances et qui
réussiraient leur application dans leurs schémas de production et d’innovation.
Quinze ans après ses débuts, la gestion des connaissances anime des débats
passionnants entre les chercheurs en sciences de gestion. Les auteurs qui ont
travaillé sur ce thème se sont intéressés à diverses problématiques, parmi
lesquelles : pourquoi les entreprises décident de gérer leurs connaissances ?
Quels sont les types de connaissances à l’œuvre dans l’entreprise ? Quelles sont
les démarches de mise en application de la gestion des connaissances ? En quoi la
connaissance peut-elle constituer une source d’avantage concurrentiel pour
l’entreprise ? Quelles sont les conditions préalables à la gestion des
connaissances ? Comment organiser le transfert et l’intégration des
connaissances dans l’entreprise?...Tous ces questionnements ont débouché sur
une meilleure compréhension de la problématique du savoir dans l’organisation.
L’analyse de ces différentes contributions laisse paraître la co-existence de trois
« paradigmes » concurrents. Le premier est technologique. Comme nous le
montrerons dans les prochains développements, ce paradigme est dominant. Les
travaux s’inscrivant dans ce genre d’approche ont mis en évidence le rôle central
des technologies d’information et de communication et les systèmes
d’information dans les activités de gestion des connaissances. La connaissance
est approchée comme phénomène cognitif, un objet qu’il est possible de
cartographier, d’extraire, de stocker et d’utiliser au moyen de technologies
appropriées. La gestion des connaissances serait dans cette logique une affaire
techniciste, une question de logiciels, de base de données, d’intranets et de
systèmes de communication. Pourtant, des auteurs comme Fahey et Prusak
insistaient dès 1998 sur les dérives d’une approche technologique de la
connaissance et mettaient en lumière ses incidences néfastes sur la réussite des
démarches de gestion des connaissances. Le deuxième paradigme est stratégique.
Il construit sur les travaux fondateurs de Coase (1937), Planyi (1983) et Barney
(1991) pour proposer une théorie de la firme basée sur les connaissances. Dans ce
cadre, Grant (1996), Liebeskind (1996) et Spender (1996) estiment que la
connaissance est un actif intangible spécifique. La gestion des connaissances
devrait donc renforcer les propriétés stratégiques de cet actif. En particulier, elle
doit permettre d’en dégager de la valeur. La gestion des connaissances s’oriente
56
également vers la protection du savoir contre les tentatives externes
d’expropriation. Bien que différente de la première, l’approche stratégique
partage la même vision cognitive du savoir en tant qu’actif pouvant être stocké,
mesuré et transféré. Le dernier paradigme est organisationnel. Son influence
académique reste moins importante que les deux autres écoles et ses
développements pratiques sont encore faiblement pris en charge par les
managers sur le terrain. Le paradigme organisationnel s’appuie sur une vision
dynamique du savoir. La connaissance serait encastrée dans la tête des individus
et dans les relations sociales qu’ils établissent et maintiennent dans l’organisation
(Tsoukas, 1996 ; Von Krogh, 1998 ; Cook et Brown, 1999). Les auteurs de cette
école accordent une grande importance aux notions de capital humain et capital
social comme leviers fondamentaux de management du savoir dans l’entreprise.
Parler d’approches de gestion des connaissances signifie donc, pour une large
part, discuter des postulats, des apports et des limites de chacun des trois
courants de recherche mentionnés. Mais il s’agit aussi de décrypter les incidences
pratiques de ces différentes approches sur le déploiement opérationnel des
processus de gestion des connaissances dans les organisations. De ce point de
vue, les approches et pratiques de gestion des connaissances varieraient
fortement en fonction de telle ou telle approche retenue par l’entreprise. Les
stratégies de savoir s’en trouvent également affectées. A titre d’exemple, le choix
d’une option techniciste appelle l’entreprise à se focaliser sur une stratégie de
codification des savoirs alors que l’option organisationnelle mettrait davantage
l’accent sur la stratégie de personnalisation. Nous réservons une bonne partie de
ce chapitre à l’analyse des principales orientations des théories sur la gestion des
connaissances en mettant en avant l’hégémonie manifeste des approches
technicistes. Mais dans le dessein de clarifier davantage les termes du débat en
gestion des connaissances, nous présentons deux tableaux qui permettent
respectivement de synthétiser les trois approches évoquées ci-dessus et de mettre
en relief leurs apports et limites.
57
Tableau 2.1- Les trois paradigmes du management des connaissances
Paradigme
techniciste
Statut
savoir
stock
du
Processus de
gestion
extraction
stockage
utilisation
Stratégie de
savoir
codification
des savoirs
Acteurs
clefs
systèmes
d’information.
Littérature
restituée
importante
stratégique
actif
spécifique.
stock
capitalisation
stockage
protection
utilisation
protection
valorisation
Equipe
dirigeante.
moyenne
organisationnel
flux
dynamique
création
partage
intégration
Utilisation
rôle
des
personnes
capital humain
et social.
Communautés
de pratiques.
faible
Tableau 2.2- Apports et limites des trois paradigmes du management des savoirs
Paradigme
Techniciste
stratégique
organisationnel
Apports
- permet de profiter des
opportunités qu’offrent les TIC
- démarche facile à mettre en
œuvre
- démarche largement sollicitée
par les entreprises
- place la connaissance au centre
de la stratégie de l’entreprise
- contribue au développement
d’une théorie de la firme basée
sur les connaissances
- prolonge les travaux de
l’approche par les ressources
- explore les mécanismes de
création de valeur à travers la
connaissance.
- considère la connaissance
comme un flux dynamique
- met l’accent sur le caractère
« socialement
encastré »
du
savoir et réhabilite ainsi le rôle de
l’individu et du contexte social.
- rompt avec la « facilité » des
solutions technicistes et replace la
connaissance au cœur du système
social de l’organisation
58
Limites
- considère, à tort, que le savoir est un
stock d’informations
- ignore toute la dimension humaine et
sociale de la connaissance en postulant
implicitement le consensus autour du
projet.
- connaît un taux d’échec assez élevé
- considère la connaissance comme un
stock
- absence de consensus sur les
processus stratégiques clefs de gestion
des savoirs
- confine le projet de gestion des
savoirs au sommet de la hiérarchie de
l’entreprise.
- ignore les possibilités que les TIC sont
en mesure d’offrir
- complexité d’analyse due à la
multiplicité des variables en jeu :
capital humain, social, réseaux sociaux,
pouvoir,
culture,
comportements,
pratiques de GRH…
- approches d’analyse centrées sur
l’infrastructure et n’explorant que
partiellement
les
processus
opérationnels de gestion des savoirs.
I.2 Un déterminisme techniciste réducteur…
Dans deux recherches successives, Swan, Newell et Robertson (2000) et Swan,
Robertson et Brensen (2001) ont analysé la littérature sur le management des
connaissances et l’ont comparée à celle relative à l’apprentissage organisationnel.
Les résultats auxquels aboutissent les auteurs confirment l’idée que la littérature
sur le knowledge management est envahie par des approches centrées sur les
technologies et les systèmes d’information. Les auteurs trouvent que le domaine
du management des connaissances devient depuis 1996 un sujet de publication
fortement sollicité avec plus que 150 articles publiés en 1998. Parallèlement à
cette ascension, le domaine de l’organisation apprenante connaît une baisse
notoire de la quantité d’articles publiés. Les publications passent en effet de 95
articles publiés en 1995 à moins de trente publiés en 1998. Cette baisse peut être
expliquée en partie par le fait que l’intérêt des chercheurs s’est orienté vers le
management des connaissances. Les résultats les plus importants sont relatifs
aux centres d’intérêt des chercheurs sur le management des connaissances (les
publications parues en 1998). Toujours dans une perspective de comparaison
avec l’organisation apprenante (les publications parues en 1993), les auteurs ont
mis en évidence les différences fondamentales entre les préoccupations de
chaque communauté de chercheurs. Le tableau suivant reprend les résultats de
ces recherches.
Tableau 2.3- Thèmes de recherche en KM et apprentissage organisationnel
Thèmes de l’organisation
apprenante (1993)
Prescriptions managériales
générales
Formation
Qualité et MQT
Leadership
Ressources humaines
Systèmes
d’information,
NTIC
Contexte sociétal
Nombre
%
Thèmes du management
des connaissances (1998)
Nombre
%
17
39
Technologies d’information
73
40
7
6
4
3
2
16
14
9
7
5
Systèmes d’information
Management stratégique
Ressources humaines
Consulting
Autres: comptabilité,
marketing…etc.
51
35
9
8
8
28
19
5
4
4
2
5
Source : Swan, Newell et Robertson (2000 :3)
En premier lieu, il ressort de ce tableau que l’axe des TIC et des systèmes
d’information ne concerne que 5% de la littérature sur l’organisation
apprenante ; ce même axe s’accapare 70% des publications dans le domaine du
management des connaissances. Ceci montre à quel point ce domaine de
recherche se développe au rythme des nouvelles technologies. La première
conséquence de cette situation est le peu d’intérêt accordé aux dimensions
humaine et sociale du management des savoirs. Avec seulement 5% des
publications, l’axe humain semble être le « parent pauvre » de la recherche sur la
59
gestion des connaissances. Peut-on conclure que la dimension humaine et
technologique sont mutuellement exclusives? En effet, et sans fournir des
réponses hâtives, nous pensons que la faiblesse des approches humaines et
sociales de manière générale, est expliquée par la représentation même de la
notion de connaissance: peu d’attention est en effet accordée à la dimension
sociale du savoir et aux mécanismes humains et sociaux de création des
connaissances.
L’approche
“traitement
d’information”
domine
les
représentations actuelles de la notion de connaissance (Malhotra, 1998).
Swan et al (2000; 2001) réfèrent à cette situation par le concept de colonisation.
En effet, la communauté de chercheurs en TIC/SI colonise le terrain de recherche
et essaye de perpétuer sa propre logique. De plus, il semble qu’il y ait conflit
entre les discours des différentes communautés de recherche (TIC, GRH,
stratégie, comptabilité…); peu de perspectives communes et intégratives sont
ainsi proposées dans la littérature (Swan, Robertson et Brensen, 2001). Selon ces
auteurs, la colonisation du knowledge management par la communauté
technologique est l’un des signaux forts que le champ ne peut pas évoluer, vu les
insuffisances inhérentes aux TIC. C’est d’ailleurs l’une des raisons fortes pour
laquelle certains commencent à voir le management des connaissances comme
une mode managériale éphémère (Swan, Robertson et Brensen, 2001)19.
I.3 La gestion des connaissances « au pays de la technologie » : état des
lieux
L’adoption des technologies d’information et de communication est sans doute le
phénomène majeur qui a marqué la vie des organisation dans ce début de
millénaire (Granstrand, 1998). A l’origine des multiples reconversions
organisationnelles, les TIC ont révolutionné les processus d’organisation, changé
les modes de travail, renforcé la collaboration inter-entreprises et refaçonné les
relations et les liens sociaux dans le monde du travail. Le modèle d’organisation
centré sur les notions d’emploi, de poste et d’opérations cède le pas, sous l’effet
des TIC, à la proximité électronique et à la collaboration virtuelle dans des
Dans leur analyse de la littérature, Swan et al (2000 et 2001) utilisent la théorie des modes du
management développée par Abrahamson (1996) pour montrer que le knowledge management
n’est autre qu’une de ces modes du management. En effet, le management des savoirs en tant que
pratique des organisations et champ de recherche académique présente les caractéristiques d’une
mode managériale. Ces caractéristiques sont les suivantes: l’ambiguité du concept, discours
normatif, large recours aux TIC et aux solutions pratiques mises en oeuvre par des groupes de
consulting et enfin (plus important dans le sens de Abrahamson), la publication sur le knowledge
management suit une courbe en cloche avec une certaine baisse dans l’intérêt accordé par la
communauté au thème depuis l’an 2000. D’autre part, les auteurs soulignent que le knowledge
management est une mode de gestion qui a émergé aux frontières d’une autre, en l’occurrence le
Business Process Reengineering (BPR).
19
60
espaces de travails atypiques, éclatés et nomades. Internet et ses produits dérivés
offrent aux organisations de nombreux services permettant la circulation
d’innombrables transactions économiques, financières, informationnelles et
idéologiques. Sous l’effet de cette ouverture électronique, les frontières classiques
des organisations se trouvent aujourd’hui progressivement démantelées, ce qui
permet l’émergence de nouveaux types d’organisations dits virtuels ou sans
frontières.
Les TIC n’ont pas tardé à prendre en main l’affaire de gestion des connaissances
dans l’entreprise. Aujourd’hui, elles sont au centre des pratiques d’acquisition,
de transfert et d’utilisation des savoirs dans l’organisation. Pour certains, elles
sont même à l’origine du nouveau paradigme de l’immatériel et de la société du
savoir. Pour les managers comme pour plusieurs chercheurs, ces nouvelles
technologies sont les leviers fondamentaux de toute activité de partage des
connaissances (Anand et al, 1998). Elles sont au centre des préoccupations
managériales et académiques. Cet engouement pour les TIC n’est pas sans
explication. Deux raisons peuvent l’étayer. La première est empirique. Elle tient
au fait que le champ du knowledge management s’est particulièrement
développé au travers de démarches pragmatiques menées par des consultants en
organisation, ce qui explique la domination de la perspective techniciste
(Barthèlme-Trapp et Vincent, 2001). La seconde est conceptuelle et tient au flou
sémantique qui entoure les notions de connaissance et d’information. La gestion
des connaissances est réduite dans cette logique à la gestion des bases de
données et des systèmes d’informations. Les capacités technologiques de
l’entreprise deviennent de ce fait les principaux leviers de création, de partage et
de mise en application des connaissances dans l’entreprise.
Le recours aux TIC dans les démarches de gestion des connaissances se fait
généralement sous le concept de système de gestion des connaissances. Un
système de gestion des connaissances englobe l’ensemble des outils et systèmes
d’information développés par une entreprise afin de faciliter l’acquisition et le
partage des connaissances (Alavi et Leidner, 1999). Les recherches portant sur le
rôle des TIC dans la gestion des savoirs poursuivent deux objectifs majeurs: le
premier est d’expliciter au mieux les types de technologies les plus à même de
provoquer un meilleur partage des connaissances; le second est de mesurer, de
manière qualitative et quantitative l’apport des TIC à la gestion des
connaissances et la performance de l’entreprise. Ces deux objectifs constituent
l’essentiel des recherches qui souscrivent aujourd’hui à la thèse d’un
management des connaissances techniciste. Les développements suivants
permettront de revenir sur leurs principaux résultats.
61
Dans une recherche menée auprès de 50 responsables d’entreprises ayant mis en
place un système de gestion des connaissances (tel que défini ci-dessus), Alavi et
Leidner (1999) ont abouti aux résultats suivants:



Trois perspectives sur le knowledge management ont émergé: une
perspective centrée sur l’information (les responsables pensent que le
premier objectif de la gestion des connaissances est de permettre de
stocker et filtrer les quantités faramineuses d’informations recueillies
chaque jour), une perspective centrée sur la technologie (qui associe la
gestion des connaissances à des outils technologiques : Intranets, Data
warehousing, systèmes experts. Les responsables interrogés pensent
même que la gestion des connaissances vise à promouvoir une
infrastructure technologique puissante dans l’organisation). La dernière
perspective est centrée sur la culture. Certains responsables pensent que
les dimensions de la communication et de l’apprentissage sont
fondamentales dans un projet de gestion des connaissances. Ce premier
résultat montre l’importance que requièrent les dimensions centrées sur
les technologies de l’information pour les responsables des entreprises.
Afin d’asseoir sa gestion des connaissances, l’entreprise doit développer
deux compétences clefs. La première est relative à la construction et la
mise en place de l’infrastructure technologique adéquate. La seconde doit
permettre d’améliorer la sécurité des données.
L’intranet représente l’outil premier de transfert et de partage des savoirs
chez les entreprises interrogées.
Dans l’esprit de la recherche de Alavi et Leidner (1999), Ruggles (1998) rend
compte d’une recherche menée par le group Ernst & Young auprès de 413
entreprises américaines et européennes. Les résultats de la recherche montrent
que les organisations concernées considèrent la production, l’accès et l’utilisation
des connaissances comme leurs préoccupations centrales. Elles utilisent toutes
des moyens technologiques importants afin de réaliser leurs objectifs. L’intranet
et les data warehouse sont les outils les plus utilisés. L’intranet est souvent
introduit dans le but de faciliter l’accès aux connaissances et le partage des
expertises. Ce système fonctionne par mot de passe pour des raisons de sécurité.
Il est également interne à l’entreprise. Cependant dans certains cas, certains
partenaires externes (clients et fournisseurs) sont autorisés à utiliser ces réseaux
internes et bénéficier du savoir de l’entreprise.
Les data warehouse ou encore les dépôts de connaissances sont des lieux de
stockage des connaissances explicites des employés. L’accès à ces connaissances
suppose ensuite une capacité de leur donner du sens afin de pouvoir les utiliser
dans d’autres situations. C’est pourquoi les formes actuelles de stockage des
données cherchent à identifier le contexte des connaissances et des expertises afin
62
de pouvoir les consigner. La recherche s’est également intéressée aux objectifs
futurs des entreprises en termes de gestion des savoirs. Selon les résultats, la
priorité sera donnée à la création de moyens de travail collaboratifs. L’objectif est
de mettre en réseau l’ensemble des employés et de promouvoir le travail en
équipes. Dans cet ordre d’idée, les entreprises comptent recourir au groupware
comme outil de travail collaboratif. Cet outil a toujours été considéré comme
moyen de partage des idées et donc de génération de nouveaux savoirs. Il
autorise une circulation des savoirs plus libre et moins formelle que les data
warehouse (Ruggles, 1998).
Plus récemment, Sher et Lee (2003) ont mené une recherche dans le contexte de
l’entreprise taiwanaise. Leur préoccupation centrale était de savoir si l’utilisation
des TIC pour des fins de gestion des connaissances (identification, partage,
intégration des savoirs) permettrait d’améliorer les capacités dynamiques de
l’entreprise au sens de Teece et al (1997). Les résultats montrent que les TIC
permettent de modérer la relation entre la gestion des connaissances et les
capacités dynamiques de l’entreprise. Elles sont considérées comme variable clef
dans une démarche de management des savoirs.
L’approche techniciste considère que ce sont les outils et méthodes informatiques
qui autorisent et permettent le développement des connaissances. Un effort de
synthèse de la littérature nous permet de considérer que cette approche est
représentée par trois écoles essentielles : l’école des systèmes, de la cartographie
et de l’ingénierie de la connaissance. La première s’intéresse à la mise en place de
systèmes formels de management des connaissances. Par la construction d’un
ensemble de technologies spécifiques, elle cherche à codifier les savoirs tacites en
vue de les rendre explicites et transférables. La deuxième école s’intéresse à la
cartographie des savoirs. Sa finalité est « la fabrication d’une carte cognitive à
partir de représentations discursives » (Cossette, 2003 : 37). Enfin, la troisième
école s’appuie sur l’ingénierie des processus. Elle s’intéresse aux outils et
mécanismes de transfert des connaissances dans l’organisation. Son but est
d’établir des capacités de transfert des savoirs. Les adeptes de l’école techniciste
reconnaissent la centralité des TIC dans toute œuvre visant à développer de
nouvelles expertises et à enrichir l’intelligence individuelle et collective. Grâce à
ces techniques, plusieurs avancées spectaculaires sont réalisées et la connaissance
n’est plus, aujourd’hui, l’apanage des humains. « Le paradigme de l’ordinateur »
selon l’expression de Varela (1989 : 12) est présentement une réalité probante. Par
le biais de l’intelligence artificielle et les systèmes experts, « la machine » est de
nos jours capable de simuler des raisonnements complexes et pertinents,
d’accroître la connaissance et d’aider à la prise de décision (Pirat, 1987).
L’idée qui sous-tend les approches technologiques du management des
connaissances est qu’il est possible de construire des bases de données, des
63
mémoires et des systèmes d’information qui fourniraient rapidement des
réponses aux problèmes de l’organisation. De telles réponses sont puisées dans
les bases de meilleures pratiques de l’entreprise. La construction de telles bases
permet d’améliorer le benchmarking des pratiques internes gagnantes et
améliore le transfert des connaissances. Le management des connaissances à
dominante technologique vise donc le stockage des informations et des
meilleures expertises et autorise leur utilisation rapide en cas de besoin.
En guise de synthèse, le tableau suivant (tableau 2.4) permet de comprendre les
objectifs et les processus de management des connaissances sous l’approche
technologique. Il est suivi par un encadré (encadré 2.1) qui expose les principales
technologies utilisées dans les projets de gestion des connaissances
Tableau 2.4- La dimension technologique du management des savoirs
Le management des connaissances porte sur la recherche intelligente, la catégorisation, et l’accès aux
données. Il s’agit aussi de s’assurer que les données emmagasinées sont pertinentes.
En général, le management des connaissances cherche à organiser et rendre disponibles les
savoir-faire importants au bon moment et au bon endroit. Ceci inclut les processus, les
procédures, les références, les formules et les meilleures pratiques. Les Intranets, les groupware,
les data warehouse, les réseaux…sont autant d’outils technologiques qui autorisent la
distribution de l’intelligence dans l’organisation.
Le knowledge management est défini comme le processus de collecte, d’organisation, de
classification et de distribution des informations dans l’organisation.
C’est l’identification des types de connaissances nécessaires pour la stratégie d’ensemble et le
renouvellement des bases de connaissances obsolètes.
C’est l’organisation et l’analyse des informations stockées dans les bases de données de
l’entreprise pour faciliter le transfert et le partage dans toute l’organisation.
Cartographier les sources d’informations et de connaissances, former les utilisateurs à la
manipulation des cartes de connaissances.
Source : adapté de Malhotra (1998 :3)
Encadré 2.1 Les technologies de communication du knowledge management
* E-mail: pour la communication quotidienne et le transfert des documents.
* Courrier vocal: moyen de communication audio asynchronique
* Téléconférences: des discussions téléphoniques entre plus de deux personnes.
* Vidéoconférences: réunion de groupe d’individus géographiquement dispersés.
* Listes de discussion: L’information peut se partager à travers des séquences question-réponse,
encourageant ainsi la codification des expertises portées par les employés clefs de l’entreprise.
* Bases de données et d’informations: servent à emmagasiner les données et les informations
nécessaires et autorisent l’accès de chaque membre de l’entreprise.
* Groupware: devient de plus en plus commun aujourd’hui (Lotus notes…) et inclut l’ensemble
des technologies citées ci-dessus.
Source: adapté de Roberts (2000 :437)
64
I.4 Les impasses multiples du réductionnisme techniciste
I.4.1: Un ensemble de mythes leurrant
L’approche technologique offre une vision particulière sur les problématiques
de la connaissance dans l’entreprise. Partant de l’hypothèse que le savoir est un
objet qui se prête facilement à la codification et au stockage, cette perspective met
l’accent sur le rôle de l’infrastructure technologique dont dispose l’entreprise
pour maîtriser les processus de gestion des connaissances. Dans cet ordre d’idée,
l’organisation doit être en mesure de construire des systèmes d’information et
d’emmagasinage qui autorisent la consignation et le transfert des expertises et
des meilleures pratiques entre les différents départements et les individus dans
l’entreprise. Les autres dimensions de l’organisation comme la culture, la
structure ou le système de management sont tout simplement occultées sous
cette approche. Tout en reconnaissant la centralité fonctionnelle des TIC dans les
activités de « ramassage » et de traitement des informations, il serait légitime de
se poser des questions sur l’apport d’une approche strictement technologique au
management des savoirs. L’un des objectifs assignés à cette thèse est de nuancer
cette coloration technologique en expliquant d’abord en quoi elle peut être
leurrante et en proposant une approche alternative qui mettrait davantage
l’accent sur le contexte organisationnel de gestion du savoir. L’idée qui sous-tend
un tel positionnement est que les TIC ne peuvent à elles seules donner lieu à un
apprentissage significatif qu’il soit individuel ou organisationnel. Cette
incapacité tient essentiellement à deux facteurs : l’insuffisante inhérente à ces
outils et la complexité de la problématique de la connaissance qui ne peut être
prise en charge qu’à travers une meilleure compréhension du contexte général de
sa mise en oeuvre. Dans la continuité de la perspective critique que nous
choisissons d’adopter, il serait utile d’identifier l’ensemble de mythes qui ont été
construits autour du « tout TIC » et d’expliquer les leurres sur lesquels butent les
prosélytes d’un management des connaissances à « coloration technologique ».
Le premier de ces mythes est la capacité des nouvelles technologies à soutenir
tous les processus de gestion des connaissances. Une telle affirmation nous
semble leurrante dans la mesure où de telles technologies n’offrent que des
possibilités de stockage de données et de transfert des informations. Or, le
management des connaissances est bien plus complexe et riche puisqu’il se
structure autour de plusieurs capacités clefs: l’identification, la création, le
partage, l’intégration et la protection des connaissances. Ce que les TIC
permettent, c’est seulement le transfert des connaissances. D’ailleurs, même cette
mission semble difficile à réaliser puisqu’elle suppose une certaine proximité
physique et une communication face-à-face.
65
Le deuxième mythe autour des technologies d’information et de communication
est qu’elles sont valables en tous temps et lieux, dans tous les types
d’environnements. Malhotra (1998) et Lang (1999) insistent cependant sur l’idée
que les TIC ne sont pas compatibles avec l’environnement d’aujourd’hui, en
mouvance perpétuelle et caractérisé par des changements radicaux dans les
modèles de stratégie. En effet, aujourd’hui, les organisations sont constamment
appelées à renouveler leurs bases de connaissances pour anticiper les surprises,
innover et être performantes et viables. Les TIC, qui servent essentiellement à
stocker les informations et permettre leur transfert ne peuvent à l’évidence
composer avec une telle dynamique de questionnement des connaissances
actuelles et de renouvellement de la base de savoirs de l’organisation. Les TIC
renforcent uniquement les capacités d’utilisation des informations, elles n’en
permettent pas l’enrichissement. Elles améliorent l’exploitation de l’existant et ne
peuvent autoriser l’exploration de ce qui est en devenir.
Enfin, les TIC véhiculent implicitement l’idée du consensus dans l’organisation.
En construisant des bases de données et en encourageant le transfert des
connaissances et le benchmarking des meilleures pratiques, elles tendent à faire
converger les idées et les pratiques dans l’organisation vers un one best way. Ceci
occulte toute la dimension conflictuelle, dialectique et critique des rapports interindividuels et leurs impacts sur les capacités de partage et de création des
connaissances. Comme il sera analysé plus loin dans ce travail, la question de
gestion des connaissances est inséparable d’une réflexion sur la structure du
pouvoir, la confiance et la coopération entre les acteurs de l’entreprise.
I.4.2 Une logique « stock » qui affaiblit les capacités d’exploration
Les limites d’une approche strictement techniciste soulevées dans les deux
paragraphes précédents viennent lubrifier notre scepticisme quant à la capacité
des outils technologiques à assurer une gestion efficace du capital connaissances.
Dans les développements suivants, nous mettons en lumière l’ensemble des
dangers que fait recourir à l’entreprise l’adoption d’une approche strictement
technologique pour gérer les savoirs. Nous parlons de dangers parce que
plusieurs auteurs restituent aujourd’hui à travers des études de cas d’entreprises,
l’échec cuisant de plusieurs expériences centrées sur l’unique dimension
technologique et les coûts exorbitants que supportent les entreprises (Mc
Dermott, 1999 ; Bhatt, 2001) . Le prix à payer semble être fort élevé et parfois la
compétitivité de l’entreprise s’en trouve affectée. Deux grands dangers peuvent
être identifiés. D’abord, la réduction du knowledge management à une logique
stock plutôt que flux. Ensuite, l’affaiblissement des capacités d’innovation et
d’exploration dans l’entreprise.
66
Les approches technicistes réduisent la gestion des savoirs à une logique stock,
c’est à dire que l’objectif central est de capter les connaissances des employés et
de les stocker dans des bases de données afin de permettre l’accès rapide aux
meilleures pratiques et aux solutions de l’entreprise. C’est là une vision
réductionniste car la gestion des connaissances suppose d’abord une capacité à
créer de nouvelles connaissances et assurer leur application et protection
(Garvin, 1993; Nonaka, 1994; Liebeskind, 1996). Malheureusement, sous une
logique technologique, il ne serait pas possible de favoriser la création des
connaissances. Ceci requiert des interactions sociales continues, une fertilisation
croisée des connaissances, de la discussion, du dialogue et de la critique
constructive. La communication face-à-face est inévitable et la proximité
physique est plus que nécessaire. Les TIC n’offrent pas à l’évidence
l’infrastructure sociale nécessaire à la création des savoirs. Dans cet ordre d’idée,
le danger pour l’entreprise est de voir ses capacités de création de nouvelles
connaissances s’affaiblir.
Le deuxième danger des TIC est leur focalisation excessive sur le transfert des
meilleures pratiques dans l’entreprise (Szulanski, 1996; O’Dell et Grayson, 1998).
En amenant les individus à “benchmarker” les meilleures pratiques en circulation,
l’entreprise instaure une logique de one best way qui fait perpétuer les pratiques
anciennes qui ont déjà fait leurs preuves. On dépasse ici le stade de la
routinisation des savoirs (qui est nécessaire pour toute activité de production) au
stade d’uniformisation de l’agir et du penser organisationnels. Ce monisme
intellectuel englue l’organisation dans une pure logique d’exploitation des
savoirs, certainement bénéfique à court terme puisqu’elle permet de faire
l’économie de la recherche et de l’innovation, mais dangereuse à long terme
puisqu’elle fossilise le savoir et réduit le dynamisme de l’entreprise. Le
benchmarking des meilleures pratiques, notamment par le recours aux bases de
connaissances, asphyxie les capacités d’innovation et atrophie la créativité des
individus. Il aboutit à une apathie collective et inhibe toute tentative d’explorer,
de mieux faire et de dépasser les modes de fonctionnement à l’oeuvre et la
théorie à l’usage dans l’organisation (Argyris et Schon, 1978; March, 1991).
Toujours dans cette ligne critique, Grant se pose la question si le transfert des
connaissances est réellement ce dont les entreprises ont besoin aujourd’hui
(Grant, 1996). Le transfert des savoirs, qui représente l’essence et l’objectif de
l’approche TIC, ne permet pas d’enrichir le capital connaissances. Ce dont les
entreprises ont besoin, c’est une capacité d’intégration, de mise en interface et de
fertilisation croisée des expertises de chacun (Grant, 1996), chose que les
systèmes d’information ne peuvent garantir.
67
I.4.3 une « objectivation » du savoir et un réductionnisme techniciste qui
débouchent sur l’exclusion de l’acteur
L’approche technologique du knowledge management procède d’une logique
instrumentaliste : la connaissance y est « naturalisée », posée et définie comme
une réalité préexistante, traitée comme un objet, un bien de consommation
abondant qui peut gagner ou perdre en substance. Hildreth et Kimble (2002 :4)
posent la question en ces termes « plusieurs projets de gestion des connaissances
évoquent explicitement des connaissances qui peuvent être quantifiées,
canonisées, extraites, codifiées et archivées ; une approche qui mérite davantage
l’appellation de management de l’information ». Dans ce genre d’approches, les
répertoires électroniques, les pages jaunes, les dispositifs de retour d’expérience,
les référentiels normatifs…participent d’une même démarche qui vise à expliciter
et codifier les savoirs de l’organisation. Notre objectif dans cette recherche n’est
pas de diaboliser ce genre d’approche qui trouve sa légitimité dans la volonté des
organisations de normaliser certains modes de faire et comportements et de
stabiliser leur fonctionnement. Néanmoins, il est tout à fait légitime de
questionner l’épistémologie de « possession » (Cook et Brown, 1999) qui soustend la logique techniciste. Ancrée dans une philosophie gestionnaire résolument
instrumentale, la logique techniciste débouche sur une lecture objectivante du
savoir qui ignore et rejette l’acteur organisationnel comme sujet connaissant, ce
dernier étant vu comme source d’erreurs et facteurs d’aléas (Lorino, 2002.
Grimand, 2006). De fait, la confusion entre information et connaissance peut être
expliquée à la lumière de cette volonté affichée de dissocier la connaissance de
son détenteur et de réduire la dépendance de l’organisation à l’égard des
individus.
Lorino (2002 :5) considère que cette approche procède d’une conception
« représentationniste » des outils de gestion dont il nous fournit les principes
structurants :


L’efficacité de l’outil dépend de sa capacité à répliquer le réel. En d’autres
termes, les propriétés intrinsèques de l’outil, la qualité de son design
suffiraient à le définir. La connaissance est dans l’outil. Cette conception
conduit inéluctablement à faire porter aux systèmes d’information une
responsabilité qui les dépasse, celle d’encapsuler la connaissance. Or les
systèmes d’information ne sauraient déterminer les comportements ou les
schèmes interprétatifs des acteurs de même qu’un archet de violon ne
détermine le geste que l’on va exécuter en le brandissant.
L’outil est investi d’une force autonome ; il n’a besoin ni d’être
contextualisé, ni d’être approprié puisqu’il s’impose à l’acteur. L’acteur
lui-même entretient un rapport d’extériorité totale à l’outil. C’est un acteur
désincarné, sans désirs, buts ou stratégies. La logique technologique
68
conduit donc à expulser hors de l’action toute interprétation par l’acteur
susceptible de modifier la nature de l’action. Elle occulte par ailleurs la
question du pouvoir, comme si l’acte de codification des savoirs pourrait
se faire selon une « génération spontanée » et indépendamment du cadre
politique qui caractérise toute cellule sociale.
De cette analyse, on retiendra que l’approche technologique débouche sur une
objectivation de la connaissance en particulier et de l’activité humaine en général.
La logique techniciste procède d’une philosophie gestionnaire qui relègue au
second plan le rôle de l’acteur. Plusieurs auteurs avancent ces arguments pour
expliquer le bilan en demi-teinte que présentent aujourd’hui la recherche et la
pratique du management des connaissances (Swan et al, 2001 ; Lorino, 2002 ;
Grimand, 2006). Ainsi, il serait judicieux d’explorer l’apport possible de
l’approche organisationnelle au management des connaissances. Contrastant
avec la philosophie techniciste, l’approche organisationnelle s’inscrit dans une
logique de construction sociale du savoir où les acteurs organisationnels ainsi
que le contexte social dans lequel ils agissent seraient de véritables leviers
d’apprentissage dans l’entreprise.
I.4.4 Une évacuation de la dimension « politique » du knowledge management
L’une des insuffisances majeures dont souffre l’approche techniciste est qu’elle
pose implicitement l’hypothèse du consensus organisationnel, en occultant les
conflits de pouvoir qui risquent d’éclater dans des organisations où la maîtrise de
la connaissance et ses procès de production « rapporte gros » pour son détenteur.
L’approche représentationniste, décrite par Lorino (2002), suppose en effet que la
connaissance est encapsulée dans l’outil et que l’acteur ne peut exercer aucune
action allant dans le sens de l’appropriation de cette dernière. Dissociée de son
porteur, la connaissance est ainsi considérée comme un bien public, neutre, qui
ne peut faire l’objet de transactions internes, de marchandage et qui ne peut
suivre une logique d’offre et de demande. Critiquant une telle approche,
Davenport et Prusak (1998) préfèrent voir l’organisation comme un véritable
marché de connaissances. Un marché où des offreurs de savoir maîtrisent des
informations, des expertises et des connaissances stratégiques que des
demandeurs (d’autres personnes ou départements) sont prêts à acquérir via un
mécanisme de prix déterminé. Nous croyons que cette logique transactionnelle
de type « marché » cadre mieux avec la nature des organisations du savoir.
Plutôt que les décrire comme étant des entités de consensus et de convergence,
ces organisations devraient être considérées comme des lieux où l’apprentissage
et le développement des connaissances s’inscrivent, entre autre, dans un registre
politique particulier. L’approche informatique, il faut le mentionner, reste
largement incapable de restituer toute la richesse caractérisant le registre
politique (pouvoir, conflit, coopération) activement à l’œuvre dans les procès de
69
développement et de partage des connaissances. De ce fait, la description des
processus d’apprentissage qu’elle offre demeure unidirectionnelle et forcément
naïve.
Plusieurs auteurs associent aujourd’hui la maîtrise de la connaissance au
phénomène de pouvoir. Nous devons une telle idée au travail déjà classique de
Crozier et Friedberg (1977). Ces deux auteurs nous ont livré une description très
fine de la problématique du pouvoir dans les organisations, celles-ci étant
appréhendées comme un espace politique. Pour ces auteurs, le pouvoir est
d’abord une question de ressources. Ainsi, la connaissance que détient une
personne est une de ces ressources quand elle permet de maîtriser un aléa, une
incertitude qui compte pour d’autres. L’importance de cette ressource augmente
s’il dépend de son détenteur de la donner ou non aux autres. Pour Bailly et al.
(2006 :225), « La capacité d’ouvrir des portes, d’assurer de bonnes relations avec
des interfaces importantes pour l’organisation (clients, gouvernements) est une
ressource importante pour l’employé qui la maîtrise. La direction de
l’organisation dispose également d’un ensemble de ressources, allocation de
moyens ou de gratifications, capacité de fixer certaines règles du jeu, de
sanctionner. Ainsi se nouent entre les divers acteurs organisationnels, entre
direction et employés, des rapports de force. Il appartient ensuite à chacun de
monnayer ses ressources, d’être plus ou moins fin stratège, pour atteindre ses
propres buts : servir au mieux l’organisation et atteindre ses objectifs, ou encore
accéder à un revenu ou à une position sociale plus élevés, disposer d’un meilleur
confort au travail, etc. Qu’on le veuille ou non, nous disent Crozier et Friedberg,
chacun est pris dans ces jeux de pouvoir. Même s’il ne cherche pas à maximiser
ce pouvoir, il est amené à en jouer pour se défendre des intrusions des autres.
Comme le soutient Coopey (1996), la question du pouvoir a été insuffisamment
traitée dans la littérature sur l’apprentissage et la gestion des connaissances. Sous
l’emprise des approches fonctionnelles et instrumentales, dont l’approche
techniciste, les auteurs ont adopté une vision consensuelle de l’organisation
oubliant que les individus diffèrent, parfois fondamentalement, dans leur
manière de concevoir le dialogue, la confiance et la coopération dans le travail.
Adoptant une épistémologie critique, Blackler et McDonald (2000) s’appuient sur
les travaux de Coopey pour renforcer l’idée que la maîtrise des connaissances
clefs dans une organisation particulière renforce la « maîtrise » qu’a son
détenteur des processus organisationnels. Les auteurs estiment que le pouvoir
est un construit social dont la configuration et la portée évoluent constamment
en fonction des interactions sociales qui prennent lieu dans une communauté
donnée. Mais ils pensent aussi que l’exercice de ce pouvoir fait partie intégrante
de l’activité collective au sein de l’organisation et qu’il façonne en bonne partie
les résultats de cette activité. Ainsi, le pouvoir, dans les organisations du savoir,
semble être à la fois un produit et un phénomène structurant qui se laisse
70
façonner et façonne les interrelations sociales au sein de l’entreprise. C’est dire ici
l’importance que revêt ce phénomène et la nécessité de le prendre en analyse
lorsqu’il s’agit d’aborder l’apprentissage dans l’organisation.
Cette question de pouvoir est d’autant plus importante que le travail dans les
organisations du savoir fait nécessairement appel à la combinaison de
compétences individuelles (créativité des individus, expertises accumulées dans
le temps, sagesse des seniors, etc.) et de compétences collectives (coopération
entre acteurs, confrontation constructive, compétences de travail en équipe,
réseautage des savoirs, etc.). Dans ce cas, la question de la coopération et du
conflit se pose avec acuité. Comment amener des experts à partager des
expertises fortement prisées qu’ils ont développées au fil des années avec des
collègues embarqués dans un même projet ? Comment persuader des individus
affichant et défendant des identités professionnelles différentes à éviter les
conflits « identitaires » et coopérer » pour le bien de l’organisation ? Comment
faire en sorte que les employés s’engagent dans des processus stables de
génération de la créativité collective ? Comment développer les compétences
« politiques » associées à la culture projet dans l’entreprise ? Autant de questions
se posent. Elles nous renvoient toutes à cette idée selon laquelle le travail dans les
organisations du savoir est inextricablement mêlé aux questions de pouvoir, de
maîtrise d’expertises et de coopération. Nous retenons aussi de ces questions que
l’analyse pertinente de la gestion des connaissances doit nécessairement prendre
en considération la présence de ce registre politique. L’approche
organisationnelle que nous tenterons d’introduire dans cette recherche intègre
explicitement cette dimension dans les analyses qu’elle présente. Nous y
reviendrons dans la dernière section de ce chapitre.
71
Section II : Réhabiliter la dimension organisationnelle du
management des connaissances : les apports d’une logique
d’encastrement social de la connaissance
II.1 Regard général sur l’approche organisationnelle
En dépit de l’importance cruciale de l’informatique et de son développement
extraordinaire, plusieurs auteurs soutiennent aujourd’hui que les outils
technologiques ne permettent pas à eux seuls de soutenir la gestion des
connaissances. Ils appellent les managers à prendre en compte le rôle que le
contexte organisationnel est susceptible de jouer dans la mise en œuvre de la
gestion des connaissances. A cet effet, les rôles de la structure, comme cadre
d’organisation du travail et d’agencement des compétences, ainsi que sa culture
ont été particulièrement analysés. Pour les tenants de cette approche, le système
de valeurs ambiant et la structure de l’entreprise sont deux dimensions centrales
pouvant influer sur l’efficacité des processus de management des connaissances.
En effet, la manière de concevoir le travail, de penser la communication et la
coopération dans et en dehors l’entreprise et de répartir les responsabilités peut
stimuler ou, au contraire, freiner la création, le transfert et la protection des
connaissances de l’entreprise (Hedlund, 1994 ; Tarondeau, 1998 ; Gold et al,
2001 ; Métais et Moingeon, 2001). L’importance accordée par ces auteurs à la
structure de l’entreprise ne doit pas nous surprendre. La connaissance de
l’entreprise est en effet dynamique. Elle se construit dans les réseaux de
coopération et les flux d’interaction que les individus, les groupes et les
communautés de pratique établissent et maintiennent dans l’organisation
(Brown et Duguid, 1998; Swan et al, 1999). A partir de là, le rôle de la structure,
comme moyen de design du travail et des relations, devient déterminant dans la
production et le partage des connaissances (Mansour et Gaha, 2003).
Tarondeau (1998) affirme que les structures fonctionnelles et divisionnelles ne
fournissent pas les conditions nécessaires à la gestion des connaissances. Dans de
telles structures, le principe de division des savoirs est à l’œuvre. La logique de
spécialisation régit les règles et les relations. Il s’ensuit un cloisonnement des
savoirs de l’entreprise. Le transfert des connaissances et des expertises tacites
devient délicat, voire irréalisable. Ces deux types de structures finissent par créer
des « silos » qui ne partagent pas horizontalement leurs savoirs (Jacob et Pariat,
2000). Une telle situation hypothèque les possibilités d’apprentissage et affaiblit
le potentiel innovateur de l’entreprise.
72
La structure qui favorise le knowledge management sera souple, ouverte et
démocratique. Organisation transversale, structure fondée sur les projets,
entreprises réseaux… les termes ne manquent pas pour qualifier les structures
apprenantes. Le modèle de structure en N de Hedlund (1994) permet d’intégrer
l’ensemble de ces nouvelles configurations de travail. Selon l’auteur, cette
structure est la mieux adaptée aux exigences de la gestion des connaissances. Elle
s’articule autour du principe de la combinaison des connaissances au lieu de la
division (qui caractérise les structures fonctionnelles et divisionnelles). Dans cette
structure, le travail se fait dans des équipes temporaires et flexibles (équipes
projets, équipes multifonctionnelles, équipes de résolution des problèmes…etc.),
la communication sera fluide et horizontale et l’encadrement intermédiaire sera
la vraie courroie de transmission et d’intégration des connaissances (Nonaka,
1999).
Outre l’aspect structure, l’approche organisationnelle du management des
connaissances s’intéresse à la culture d’entreprise comme facteur de réussite du
management des connaissances. La variable culturelle suscite de plus en plus
d’attention et s’est construite une légitimité dans les milieux gestionnaires. Elle
est aujourd’hui considérée comme un facteur de performance et comme variable
essentielle dans l’analyse stratégique (Hachiche, 2001). La culture de l’entreprise
est définie comme un système de représentation et de valeurs partagées par tous
les membres de l’entreprise (Lemaître, 1984). Dans le management des
connaissances, la variable culturelle joue un rôle central. Favoriser un contexte
culturel d’innovation, de partage et de transfert des connaissances conditionne
pour une large part la réussite du projet de management des connaissances
(Davenport et klahr, 1998 ; Nonaka, 1999). Une culture marquée par la confiance,
la discussion et l’ouverture serait favorable aux échanges et à l’apprentissage. Par
contre, une culture caractérisée par l’évitement, le silence et le mépris fait
obstacle à l’apprentissage et au changement (Argyris et Schon 1978). March
(1991) montre ainsi qu’il peut être avantageux pour une entreprise de ne pas
converger trop vite vers une homogénéisation des savoirs et des pratiques et de
favoriser une culture de déviance contrôlée. Une telle culture encouragerait la
présence d’individus qui rentrent moins vite que les autres dans le processus de
socialisation (slow learners) car si les croyances et les perceptions de l’organisation
et des individus convergent trop vite, les opportunités d’amélioration déclinent
rapidement et l’équilibre ainsi atteint reste inchangé (March, 1991). Une telle
culture risque d’alourdir davantage les mécanismes de coordination, mais elle va
certainement dans le sens d’un apprentissage réel (Roux-Dufort, 2002).
Ainsi, pour les tenants de l’approche organisationnelle, l’exploitation et le
développement des savoirs et des pratiques seraient dépendants de la
structuration mise en place et de la culture organisationnelle. Les connaissances
seraient davantage le produit des échanges et des relations entre les acteurs que
73
le produit des TIC. Le management des connaissances serait plutôt le résultat
d’une stratégie de mise en ordre, de la qualité de gouvernance et de
commandement que le résultat immédiat d’une quelconque technologie.
Au delà des conditions structurelles et organisationnelles, Lam (1998) montre
combien la formation et le développement des connaissances tacites au sein des
organisations embarquées dans des joint-ventures internationales dépendent
intimement des contextes sociétaux et institutionnels dans lesquels elles sont
inscrites. Le système éducatif et le marché du travail sont considérés par l’auteur
comme les deux institutions phares dont la qualité affecte grandement les
modalités de formation et de transfert des savoirs tacites au sein des
organisations. Nous retenons de l’analyse faite par Lam (1998) que le système
éducatif affecte la configuration du savoir organisationnel selon que les formes
d’acquisition des connaissances acquises par les individus se fondent sur du
savoir théorique abstrait ou sur une expérience concrète des problèmes.
Dans ce même cadre d’analyse, Ben Hamouda (2001) explique qu’en raison de
certaines particularités sociétales, notamment la structure de l’économie et le
faible ancrage des traditions de gestion, les entreprises tunisiennes, y compris
celles opérant dans le privé, semblent peu préparées aux implications
gestionnaires des mutations de la société du savoir. L’auteur estime qu’une
adaptation des théories de l’apprentissage au contexte de l’entreprise tunisienne
devrait passer par une lecture sociétale qui mettrait l’accent sur le degré de
réceptivité des institutions de l’économie quant aux pratiques de gestion
associées aux démarches d’apprentissage et de gestion des connaissances.
Au terme de cette analyse, il est clair que le débat sur les leviers du management
des connaissances marque actuellement la littérature spécialisée. Entre les
protagonistes des nouvelles technologies menés par les consultants en
organisations d’une part, et les protagonistes des approches centrées sur la
culture et la structure de l’autre, le débat sur la gestion des connaissances semble
passionnant, ouvert et susceptible d’enrichir le corpus et les pratiques en place.
Le choix opéré dans cette thèse porte sur la dimension organisationnelle du
management des connaissances. A partir d’un questionnement critique de
l’approche techniciste, nous avons révélé la nécessité d’une lecture qui prend en
considération le caractère social du savoir. Seule une approche organisationnelle
qui prendrait en considération le rôle des acteurs et du contexte organisationnel
de l’apprentissage serait en mesure de nous fournir des éclaircissements sur la
problématique posée dans cette thèse.
74
II.2. La théorie de l’encastrement social comme fondement théorique à
l’approche organisationnelle
La dimension technologique du knowledge management considère la
connaissance comme une donne neutre, objective et externe à son porteur. Les
stratégies de codification et de transfert du savoir s’appuient largement sur ce
genre d’idée (Hansen et al, 1999). En effet, les organisations cherchent à codifier
le savoir de leurs employés et à le consigner dans des bases de données et dans
des systèmes experts. Leur objectif est de faciliter le transfert de ce savoir et de le
garder dans l’entreprise, réduisant de la sorte leur dépendance vis-à-vis de leurs
employés clefs20. De telles pratiques montrent aujourd’hui leurs insuffisances
(Lang, 2001 ; Roberts, 2000). En effet, les manœuvres de codification, aussi
sophistiquées soient-elles, ne peuvent restituer toute la richesse de la
connaissance et de l’expertise humaines. Les procédés de codification ne
permettent pas de capter, dans leur dynamique, le contexte, les relations et les
multiples formes d’encastrement de la connaissance. Bref, seule la partie visible
de l’iceberg sera accessible aux membres de l’organisation.
S’inscrivant ouvertement dans le cadre du paradigme organisationnel, cette
recherche ne peut faire l’économie d’une approche qui prend en compte le
caractère socialement encastré du savoir. C’est que la connaissance, loin d’être
une donne neutre, a-contextuelle, apolitique et exogène, est avant tout le produit
de situations organisationnelles dans lesquelles interagissent des acteurs ayant
des apports variés et différents en matière de compétences, d’attentes, d’attitudes
et d’intérêts. Une analyse par l’encastrement social doit alors prendre en
considération, et de manière simultanée, le rôle des acteurs de l’entreprise dans
leur singularité ainsi que l’ensemble de leurs interactions, qu’elles soient
coopératrices, conflictuelles ou conciliatrices. La discussion sur l’apport de la
théorie de l’encastrement social nous permettra dans un premier temps de
définir l’essence et le périmètre de cette théorie. Il sera ensuite question
d’analyser la question de la connaissance sous les postulats de cette théorie.
Enfin, nous engageons la réflexion sur les implications théoriques d’une
approche par l’encastrement social pour la recherche en gestion des
connaissances. L’accent sera particulièrement mis sur deux éléments centraux : le
capital humain et le climat d’apprentissage.
Le savoir qui repose dans les bases de données de l’entreprise et dans les systèmes experts
qu’elle construit est appelé capital organisationnel. C’est le savoir qui ne rentre pas le soir. Ce savoir
est donc la propriété de l’organisation et non celle de l’individu ou du groupe. En développant
leur capital organisationnel, les entreprises essayent de renforcer leur contrôle sur leur savoir et
leur expertise. Elles cherchent également à réduire leur dépendance et leur vulnérabilité vis-à-vis
de leurs knowledge workers, ceux qui détiennent l’expertise spécifique et donc le pouvoir dans
l’organisation (Elakremi et Trabelsi, 2003).
20
75
II.2.1: Essence de la théorie de l’encastrement social
Le sociologue et économiste américain Marc Grannovetter est sans doute le père
fondateur de la théorie de l’encastrement social (social embeddedness). Pour
Grannovetter (1985, 1992), l’encastrement renvoie au fait que les institutions, les
individus et les comportements sont en permanence contraints par les relations
sociales. Des relations encastrées signifient, pour l’auteur, l’existence de modèles
d’interaction permanents qui sont basés sur la coopération et la confiance.
L’encastrement social en tant que théorie d’analyse du comportement humain et
institutionnel s’appuie sur les postulats de la théorie du traitement de
l’information sociale. Selon cette théorie, les individus seraient majoritairement
influencés par ceux avec qui ils manifestent une proximité en termes d’attitudes,
de comportements, de capacités de jugement et de perception. Leur
comportement est également influencé par le contexte culturel et social dans
lequel ils s’inscrivent. Dans des relations socialement encastrées (ou inscrites), les
individus tendent à influencer les gens avec qui ils interagissent fréquemment. A
travers de telles interactions, les acteurs partagent leurs connaissances et leur
« sagesse », ce qui pourrait conduire, au delà de la simple valeur
communicationnelle, à développer une forme de « croyance collective » partagée
par les différents acteurs. Selon la théorie de l’encastrement social, plus ces
interactions (appelées liens ou tuyaux) sont denses, mieux sera la capacité de
l’organisation à partager et intégrer les différents savoirs individuels.
Les travaux sur l’encastrement social ont fourni le substrat théorique à plusieurs
recherches en sciences de gestion, notamment celles portant sur l’apprentissage
intra et inter-organisationnel, le développement des connaissances, la gestion des
équipes de travail, le développement des réseaux sociaux et le capital social.
Ayant opté dans cette recherche pour une approche organisationnelle du
management des connaissances, nous jugeons pertinent et utile de mobiliser les
apports de la théorie de l’encastrement social dans le cadre de cette
problématique. Les développements suivants permettront de situer la vision que
nous offre cette théorie sur la question de la connaissance dans l’entreprise.
II.2.2 La question de la connaissance selon la théorie de l’encastrement social
La théorie de l’encastrement social (Granovetter, 1992) nous offre ici une
nouvelle perspective sur la connaissance. Plus qu’une donnée neutre,
atemporelle et a-contextuelle, la connaissance serait davantage socialement
encastrée. Elle serait singulièrement le produit d’acteurs situés, d’une
intersubjectivité distribuée. Les implications de la théorie de l’encastrement
social sont fortes. Sous cette logique, la connaissance de l’entreprise serait
dépendante du contexte social dans le cadre duquel elle est développée. Elle
serait le fruit de la variabilité qui marque les échanges entre les acteurs, de leurs
positions, attentes, motivations, aspirations et prédispositions à s’engager dans
76
des processus de coopération. Vue sous l’angle de l’encastrement social, la
question de la connaissance s’inscrirait principalement dans une lecture
organisationnelle qui rompt avantageusement avec les lectures simplificatrices
du savoir associées au prisme technologique. Toute connaissance explicite aurait
inéluctablement un versant tacite, socialement encastrée, enchâssée dans un flux
complexe de relations, de jugements personnels et de situations professionnelles.
L’analyse faite par Tsoukas et Vladimirou (2001) et reprise par Grimand (2006)
montre à quel point les connaissances mobilisées par des télévendeurs dans un
centre d’appel grec revêtent une dimension de construction sociale. L’essentiel
du cas est repris ici dans l’encadré 2.2.
Encadré 2.2. L’inscription sociale du savoir dans un centre d’appel
L’étude de cas concerne un centre d’appel, en charge du service à la clientèle de Panafon, leader
grec de la téléphonie mobile. La majorité des demandes est susceptible de trouver une réponse
dans les bases électroniques de connaissances à la disposition des opérateurs du centre d’appel.
Cette possibilité ne préjuge cependant pas de la rapidité de la réponse, critère essentiel pour la
qualité de service. Pour se conformer à cette exigence, les opérateurs expérimentés mobilisent
ainsi deux catégories de ressources, résistibles à la codification :
Un réseau relationnel au travail, les opérateurs échangeant fréquemment avec leurs collègues au
cours même de leur activité sur des problèmes inconnus de leur part. Les pauses sont également
l’occasion de renforcer les liens de la communauté, de consolider la mémoire collective, de
faciliter l’apprentissage individuel, notamment par la circulation et la mise en commun de récits
évoquant des demandes inattendues, non répertoriées ou le cas de clients étrangers.
Une capacité à discerner derrière la demande officielle l’état émotionnel du client et à adopter le
comportement adéquat. Les opérateurs expérimentés ont ainsi développé des capacités
perceptuelles leur permettant d’intégrer toute une palette de nuances dans la tonalité de la voix
du client et d’agir en conséquence (pacifier un client agressif, faire preuve de pédagogie à l’égard
d’un client déconcerté…). Un tel savoir est par essence tacite et extrêmement difficile à verbaliser.
La connaissance tacite des opérateurs possède ainsi indéniablement une dimension de
construction sociale, et parait fortement encastrée dans une pratique, un réseau relationnel. Dès
lors, toute tentative d’abstraire cette connaissance du contexte pour en faire une information
« stockable » parait vouée à l’échec.
Les implications de la théorie de l’encastrement social de la connaissance sont
essentiellement au nombre de trois. La connaissance est d’abord socialement
distribuée. Elle est ensuite un ensemble de flux dynamiques. Enfin, sa production
prend vraisemblablement place dans le cadre de communautés de pratiques plus
ou moins structurées.
II.2.2.1 La connaissance est socialement distribuée
Dans deux articles fondateurs, Tsoukas (1996) et Tsoukas et Vladimirou (2001)
s’appuient sur la théorie de l’encastrement social afin de développer l’idée de la
firme comme un système de connaissances distribuées. Ils avancent l’idée que le
savoir de l’entreprise est distribué dans plusieurs sens. Le savoir est distribué
dans la mesure où il est impossible de restituer toutes les dimensions spatio77
temporelles de la connaissance. Ce qui est plus important cependant, c’est que le
savoir est distribué dans le sens où il est foncièrement indéterminé. Pour
Tsoukas, « …more radically, a firm’s knowledge is distributed in the sense that it is
inherently indeterminate: nobody knows in advance what knowledge is or need be. Firms
are faced with radical uncertainty: they do not they cannot know what they need to know.
Viewed this way, firms are not only distributed, but decentered systems-they lack the
cognitive equivalent of a control room » (Tsoukas, 1996: 22). L’idée à retenir est que
la connaissance ne peut être une donnée garantie, qui existe ex ante et attend tout
simplement à être découverte. Elle est un produit social en devenir, et jamais
achevé. Selon Tsoukas, la connaissance serait d’abord encastrée dans l’esprit des
acteurs de l’entreprise. Ceux-ci apportent de la complexité à la situation de
production de savoir. Cette complexité tient à leurs hypothèses antérieures, leurs
attentes, leurs expériences et leurs dispositions (Berger et Luckmann, 1966). Cette
idée est soutenue par les travaux de Nonaka et Takeuchi (1995) qui estiment
qu’une bonne partie de la connaissance repose dans la tête des individus, dans
leurs compétences et leurs modèles mentaux. Le deuxième niveau
d’encastrement est organisationnel ou social. Dans cette logique, la connaissance
serait un construit social qui se développe dans les réseaux de coopération et les
flux de d’interaction que les individus, les groupes et les communautés de
pratique construisent et maintiennent dans l’organisation (Brown et Duguid,
1998 ; Leeman et Whymark, 2001). Le troisième niveau d’encastrement est
sociétal. La connaissance est partiellement inférée du contexte industriel et de
l’environnement dans lequel l’entreprise évolue (Lam, 1998). Le milieu culturel
influe également sur les valeurs de l’organisation et sur ses représentations.
L’effet de ces variables sociétales sur le processus de production sociale des
connaissances, s’il est bien reconnu, est cependant difficilement identifiable.
II.2.2.2 La connaissance est un flux dynamique
Contrairement à l’information qui peut être facilement stockée dans des bases de
données, la connaissance est difficile à saisir du fait qu’elle n’obéit pas à cette
logique stock. La connaissance est un flux qui se construit dans l’action. C’est un
construit dynamique en construction et enrichissement permanents. Elle ne peut
être tout simplement extraite des bases de données. Elle est fluctuante, fluide et
résulte de situations d’interactions complexes. Le flux de connaissances appelle à
une vision dynamique du travail dans l’entreprise. Un flux implique plusieurs
acteurs, des relations sociales intenses, des feed-back et une persistance dans le
temps qui ne veut pas dire une sclérose, mais plutôt un renouvellement constant.
Sous la logique flux, la connaissance est molle, ambiguë et transcende parfois les
frontières de l’entreprise. Elle est difficile à localiser et à cerner avec précision.
C’est pourquoi il est difficile pour le management de l’entreprise d’exercer un
contrôle parfait sur ces flux de savoirs. Egalement, les flux de connaissances sont
influencés par les positions et les représentations des acteurs, par l’histoire de
78
l’entreprise, sa stratégie et les caractéristiques de son environnement. Le flux de
connaissances est une notion complexe, contingente et dynamique.
Selon Roberts (2000), le caractère dynamique et fluctuant de la connaissance met
en évidence l’incapacité des TIC à jouer un rôle moteur dans le développement et
l’exploitation des savoirs de l’organisation. Ce sont donc les structures sociales
de l’apprentissage qui seraient les catalyseurs de la création des savoirs. Dans
leur livre pionnier, Nonaka et Takeuchi (1995) focalisent sur cette idée de
connaissances dynamiques en montrant que la connaissance tacite et explicite
interagissant et s’inter-échangent dans le cadre des activités créatives des
individus. Par ailleurs, Lundvall et Johnson (1994) considèrent qu’il existe quatre
types de connaissances: le know-what (le savoir-quoi), le know-why (le savoirpourquoi), le know-who (le savoir-qui) et le know-how (le savoir-comment). Les
deux premières formes sont de nature explicite. Elles peuvent être emmagasinées
dans des dépôts de connaissances. Par contre, le savoir-qui est inscrit dans les
réseaux de relations professionnelles des individus et ne peut faire l’objet d’une
classification systématique. Egalement, le savoir-comment renvoie aux pratiques et
à la maîtrise professionnelles des individus qui sont encastrées dans des
contextes particuliers (Dostarel et Boiral, 2002).
II.2.2.3 Les communautés de pratiques comme lieux de construction du savoir
Dans la logique de l’encastrement social, le chercheur s’intéresse à la
compréhension des processus sociaux et des structures sociales qui permettent la
création et le partage des savoirs (McAdam et McCreedy, 1999). De telles
structures encouragent en effet les processus d’inter-échange social et permettent
la création, le partage et l’implantation de nouvelles manières de produire et de
réfléchir (Demarest, 1997). Les travaux pionniers de Wenger, de Brown et de
Duguid présentent les communautés de pratiques comme des lieux privilégiés de
production des connaissances (Wenger, 1998; Brown et Duguid, 1998; Brown et
Duguid, 2000). Une communauté de pratique est une constellation d’individus
qui, de manière collective, créent et partagent du savoir à travers des pratiques
partagées. Une communauté de pratique est également dotée d’une identité
propre; elle a sa propre histoire, sa propre culture et ses propres repères et modes
de fonctionnement. C’est une structure vivante dans laquelle les individus
peuvent innover.
Ces communautés ne sont pas des lieux de cohésion, de consensus et de
convergence totale des idées. Le partage des expertises qui prend lieu dans ces
communautés ne doit pas être confondu au transfert des informations qui
caractérise les approches TIC. En effet, selon Fong (2003), le partage des savoirs
79
est une étape dans le travail résolutoire de ces communautés21. Typiquement, la
création des connaissances dans ces communautés peut être analysée comme un
processus s’articulant autour de cinq phases: décloisonnement des frontières
fonctionnelles et mentales entre les individus, partage des idées et des
perspectives, génération de nouvelles perspectives, intégration des idées dans
une nouvelle connaissance et enfin apprentissage collectif des membres de la
communauté via la mise en action du nouveau savoir. Cette perspective sociconstructiviste montre encore une fois que la connaissance est une entité
complexe qui ne peut être tout simplement extraite des dépôts technologiques de
l’entreprise. L’intégration des différentes idées et perspectives dans une
communauté de pratique ne se fait pas sans douleurs. Le travail du savoir est en
effet dominé par la communication, la discussion, la narration, l’argumentation,
le débat et la négociation (Lang, 1999). Construire une nouvelle connaissance,
c’est réussir l’intégration d’expériences et de positions différentes. C’est
également gérer des tensions inévitables entre des acteurs ayant chacun ses
propres intérêts, dispositions et attentes. Cette complexité sociale s’ajoute à la
complexité de la connaissance, dynamique et fluide et qui doit être sans cesse
renouvelée et réajustée.
Dans un processus de construction de savoir, une attention particulière doit être
accordée à la communication interpersonnelle. Le langage et la conversation sont
considérés comme des moyens d’échange importants. La narration (story telling)
et le dialogue sont selon Nonaka (1994) des mécanismes à l’origine du partage
des connaissances. Webber (1993) mentionne que les conversations sont les
moyens par lesquels les travailleurs du savoir découvrent ce qu’ils connaissent et
le partagent avec leurs collègues. Dans la conversation face-à-face, il y a
nécessairement alignement cognitif sur l’interlocuteur. Une situation de
communication sociale saine appelle les parties prenantes à faire preuve d’une
certaine décentration. Goleman (1985) définit la conversation comme la calibration
de nos propres modèles mentaux vis-à-vis de ceux des autres interlocuteurs. C’est
donc à travers cette ruée vers l’autre qu’émerge la connaissance collective. Deetz
avait raison de dire que la connaissance n’est pas communiquée, mais qu’elle est
plutôt un produit social critique accompli dans la communication (Deetz, 1992). Il
ressort de cette analyse l’importance de la conversation et la communication
comme mécanismes sociaux de partage et de développement des savoirs. De tels
mécanismes ne peuvent avoir lieu et produire leurs effets en dehors d’une
structure sociale appropriée qui leur donne naissance et les encourage.
La construction et le partage des connaissances dans les communautés de
pratiques sont des processus sociaux complexes qui font intervenir
nécessairement les représentations des individus et les mécanismes de
Fong (2003) prend l’exemple des équipes projets comme communautés de pratiques
spécifiques. Ce choix nous semble judicieux dans la mesure où ces équipes ont les mêmes
propriétés que les communautés de pratiques.
21
80
construction de sens (sensmaking). Le sensmaking renvoie à cette nécessité de
comprendre comment les individus construisent ce qu’ils construisent, pourquoi
ils le font et avec quels effets (Weick, 1995). Il tient à l’idée que la réalité est une
construction en devenir qui émerge des efforts des individus à créer de l’ordre et
créer un sens rétrospectif des événements (Weick, 1993). En donnant un sens à
leur contexte et à leur action et en enactant une partie de leur environnement, les
acteurs vont créer leurs propres identités et vont exprimer leurs connaissances.
Leurs représentations entrent également en jeu. Leurs cadres d’interprétation
traduisent le contexte et donnent du sens (Jodelet, 1984). La connaissance serait
alors une inférence, une production des représentations collectives.
81
Section III : Au cœur de la perspective organisationnelle : capital
humain et dynamique de l’apprentissage
L’importance de reconnaître la dimension organisationnelle du management des
connaissances est postulée par plusieurs auteurs (Von Krogh, 1998 ; Tsoukas et
Vladimirou, 2001). La mobilisation de ressources technologiques et d’excédents
financiers n’est toujours pas suffisante pour instaurer une dynamique
d’apprentissage au sein de l’organisation. Des conditions organisationnelles
permissives doivent ainsi exister afin de soutenir les processus de création, de
partage et de mise en application des connaissances. Les notions de capital
humain et de climat organisationnel découlent directement de l’idée défendue
dans cette thèse selon laquelle la connaissance est socialement inscrite et que son
management dépend des acteurs (essentiellement leurs compétences et
engagement dans l’apprentissage) et du contexte organisationnel dans lequel
leurs multiples interactions prennent place. Ces notions permettent de
comprendre comment les acteurs détenant des compétences spécifiques et
agissant dans un cadre organisationnel orienté vers l’apprentissage seraient des
leviers fondamentaux dans tout procès de gestion des connaissances. Les
individus (entendu dans le sens capital humain) peuvent donc avoir un effet
important et durable sur les situations d’apprentissage dans l’organisation
(Stenmark, 2001). En mobilisant des compétences hautement spécifiques, ils
apporteront de la valeur aux processus innovateurs. En s’appuyant sur les
postulats de l’approche par les ressources (Resource-Based View), Bowman et
Swart (2006) ont démontré que le capital humain dans les organisations du
savoir, et notamment dans les firmes spécialisées dans le conseil, est créateur de
valeur et de performance pour l’entreprise. Les consultants mobilisent des
connaissances qui sont hautement spécifiques leur permettant de différencier
leur offre et de créer de la valeur pour l’organisation. Plusieurs autres recherches
sont venues nous fournir des preuves sur l’importance de considérer le capital
humain de l’entreprise comme levier d’apprentissage dans l’organisation.
Largement immatériel et inséparable de son détenteur, le capital humain
bouleverse les logiques de gestion des personnes dans les organisations. Devenu
aussi vital que le capital financier, il doit faire l’objet d’un management
spécifique.
L’objet de cette section est de montrer l’importance du capital humain dans une
lecture organisationnelle du management des connaissances. Pour ce faire, nous
revenons d’abord sur la genèse du concept et notamment ses racines
économiques. Il sera ensuite question d’analyser l’intégration du concept dans la
stratégie de l’entreprise, ce que certains appellent la perspective gestionnaire.
L’apport de ce concept aux questions d’apprentissage et de gestion des savoirs
sera débattu en fin de section.
82
III.1 Capital humain : généalogie du concept et intérêt d’une lecture
« stratégique »
III.1.1: l’approche économique du capital humain : apports et limites
Les chercheurs en gestion sont de plus en plus enclins à utiliser le concept de
capital humain pour designer les hommes et les femmes qui travaillent dans
l’entreprise. Pour Autier (2006 :63), « les promoteurs de cette analogie postulent
que capital humain capture, mieux que ressources humaines, l’idée que les
compétences des salariés constituent un capital clef pour le développement et la
différenciation de l’entreprise. Ils indiquent aux directions des entreprises que
désormais tout doit être fait pour attirer, développer et retenir cette forme vitale
de capital. Ils anticipent qu’elle sera valorisante et qu’elle devrait être perçue
comme telle par les salariés, qui se voient ainsi élevés au rang de capital vital, au
même titre que le capital financier ».
Toutefois, le concept de capital humain a été d’abord développé dans le champ
de l’économie. Deux chercheurs américains sont à l’origine de ce concept :
Theodore Schultz et Gary Becker. Le premier, prix Nobel de l’économie en 1979,
affirme que les savoirs, l’expérience, les talents, mais aussi l’aptitude des
individus à résister aux maladies peuvent être considérés comme un capital en ce
sens que les investissements opérés donnent lieu à un retour sur investissement
qui peut être mesuré. Ce concept sera ensuite précisé par le deuxième, Gary
Becker (1964, 1976), connu pour ses tentatives de vouloir élargir le champ de la
micro-économie aux comportements humains. Tout comme le capital physique
ou financier, le capital humain peut être acquis (par l’éducation par exemple),
développé (la formation, la prévention contre les maladies) et rentabilisé (à
travers l’augmentation de la productivité de son détenteur). Ce concept a servi
de base solide pour le développement de l’économie du développement, de
l’économie de l’éducation et récemment de l’économie du savoir.
Dans ses premiers développements économiques, le concept de capital humain
était «posé» par les chercheurs afin de répondre à une question simple : quel est
le rendement d’un investissement en éducation pour un individu donné ? Afin
d’évaluer ce retour sur investissement, les économistes ont tout d’abord cerné le
coût afférent à l’investissement en formation. Le bénéfice attendu se mesure
quant à lui par le surcroit de rémunération que l’apprenant peut obtenir sur le
marché du travail tout au long de sa vie active. Ainsi, en investissant dans
l’éducation et la formation, les individus augmentent leur « capital humain », ce
qui leur permet d’occuper des emplois plus rémunérateurs. La perspective
économique du capital humain focalise donc exclusivement sur l’individu et
relègue au second plan le rôle de la firme dans le management de ce capital. Elle
examine le concept du point de vue de l’offre et reste distancée des approches
qui étudient la manière avec laquelle le marché du travail recherche ce type de
compétences, les intègre dans l’économie et les rémunère. En outre, elle ne
permet de définir les conditions organisationnelles qu’il faudrait réunir afin de
83
permettre à ce capital de se développer et de générer les retours sur
investissements escomptés. Pierre Louart (1996 :3) résume les insuffisances de
l’approche économique du capital humain comme suit « Quand on le réduit à un
facteur de production, l’homme n’est plus un partenaire de l’action collective
mais un effectif contrôlé par surveillance, contrat ou idéologie. Au mieux, c’est
un actif à entretenir et à gérer dans la logique beckerienne du capital humain. Cet
actif a une valeur monétaire caractérisée par l’ensemble de ses aptitudes, de ses
connaissances et de ses savoir-faire. Son acquisition et son adaptation entrainent
des investissements qu’il faut compenser en résultats productifs. Dans cette
vision objectivante, les dysfonctionnements sociaux sont vus comme des risques
à prévenir ou à anticiper, au même titre qu’une perte de compétences. »
L’approche économique est également mise à mal par des recherches qui ont
montré que les différences de performance dans une même industrie sont plus
importantes que les différences intersectorielles. Bounfour (2000) n’hésite pas
ainsi à attribuer ces différences aux types de combinaison de ressources plutôt
qu’à la structure du marché. On retrouve ici les idées de l’approche par les
ressources qui focalise sur la dynamique de constitution de l’avantage
concurrentiel de l’entreprise à partir de sa configuration distinctive de ressources
et de compétences.
III.1.2: L’approche gestionnaire et l’intégration du concept dans la stratégie
III.1.2.1 L’approche par les ressources et le capital humain
L’approche économique, qui sert de substrat théorique au concept, a été
rapidement reléguée au second plan par d’autres approches. Ces nouvelles
approches sont centrées sur la stratégie interne de l’entreprise. C’est le cas de
l’approche par les ressources et les compétences qui fournit un nouveau cadre
théorique pour analyser le capital humain de l’entreprise. Le développement
remarquable de cette nouvelle approche a permis de recentrer l’analyse du
capital humain sur la dimension stratégique. Les travaux fondateurs de Barney
(1991) sur les conditions de formation de l’avantage compétitif durable ont
influencé les nouvelles approches sur le capital humain. Dans le cadre de cette
synthèse, nous proposons de revenir sur les trois principaux développements
qu’a connus le concept de capital humain, toujours dans cette nouvelle
perspective centrée sur les ressources et les compétences.

L’approche KSAOs (Knowledge, Skills, Abilities and others)
Dans cette approche, le capital humain est défini comme la somme de plusieurs
variables, à savoir : la connaissance, le talent, l’expertise et d’autres éléments
incluant le comportement, les valeurs et les croyances. Selon Edvinsson
et Malone (1997), le capital humain peut être représenté par les capacités
individuelles, la connaissance, le talent et l’expérience des employés et des
managers de l’entreprise. Dess et Pickens (1999) estiment que le capital humain
84
se compose des éléments suivants : les différentes formes de talents, l’expérience
qui découle des expérimentations passées, le savoir, les compétences sociales
telle que la capacité à travailler en groupe, à coordonner ses activités avec les
autres et enfin les valeurs, les croyances et les attitudes qui donnent une forme à
la perception des individus et en dernier degré à leurs performances dans leurs
postes.
L’approche KSAOs a le mérite de recentrer l’analyse du capital humain sur des
dimensions internes qui sont relatives à l’emploi des individus, aux expertises
qu’ils développent dans leurs postes et à leurs attitudes. Elle rejette donc les
anciennes formes de mesure du capital humain centrées sur les diplômes et le
niveau d’éducation. Dans la nouvelle approche, le capital humain n’est pas
appréhendé dans cette logique « éducation », qui est d’abord statique mais qui
est surtout externe aux situations de travail et à la réalité de l’entreprise. Il est
plutôt analysé dans une logique d’emploi et de compétences.
Mais l’approche KSAOs semble souffrir d’une limite importante. En effet, cette
approche peut paraître restrictive dans le sens où elle renvoie à la performance
locale des individus et uniquement par rapport à leurs postes de travail et les
opérations qui leur sont assignées (Lengnick-Hall et Lengnick-Hall, 2003). Ceci
s’explique historiquement par le contexte dans lequel cette approche a été forgée.
Ce contexte se caractérise par une focalisation totale sur les notions de poste,
d’emploi, d’opération et de performance individuelle. Aujourd’hui, il est difficile
de continuer à utiliser l’approche KSAOs comme cadre d’analyse du capital
humain. Les considérations sont multiples. D’abord, le contexte change. Le cadre
stable et relativement intensif en travail dans lequel cette approche a été
développée n’est plus d’actualité aujourd’hui. Ensuite, le travail dans
l’organisation change de manière rapide et radicale. Les situations de travail
individuel sont de moins en moins rares. Le travail se fait le plus souvent de
manière collaborative dans le cadre de communautés de pratiques. Il devient
aussi intensif en connaissances. Enfin, la gestion du travail devient fortement
ancrée dans la stratégie d’ensemble de l’entreprise, ce qui donne aux impératifs
stratégiques (et non aux postes de travail) la force de définir et de façonner le
capital humain.

Le modèle VRIO comme cadre d’analyse du capital humain
Le modèle VRIO (Barney et Wright, 1998) s’inspire largement des travaux de
Barney (1991) sur les conditions de formation de l’avantage compétitif dans
l’entreprise. Il stipule que le capital humain est une source importante
d’avantage compétitif et de démarcation pour l’entreprise. Le modèle place donc
l’analyse du capital humain dans une dimension stratégique. L’idée de base du
modèle est la suivante : afin de contribuer à la compétitivité de l’entreprise, le
capital humain doit répondre aux quatre conditions suivantes : être de valeur,
85
être rare, inimitable et être soutenu par une gestion efficace. Les auteurs avancent
également que l’avantage compétitif provient des compétences spécifiques à la
firme et non des compétences génériques. Les compétences spécifiques à la firme
ne peuvent être appliquées ailleurs. Elles sont généralement développées dans
l’organisation. Les connaissances génériques sont importantes, mais elles ne
permettent pas la construction d’un avantage compétitif propre à l’entreprise.
Une telle idée peut être critiquée. En effet les connaissances génériques peuvent
comporter les connaissances spécifiques à l’industrie par exemple. Dans la
logique du modèle VRIO, de telles connaissances ne sont pas en mesure de
contribuer à la démarcation par rapport aux concurrents. Ceci est critiquable
dans la mesure où les managers sont appelés à assimiler toutes les connaissances
qui circulent dans l’industrie afin de mieux comprendre le cadre général de la
concurrence. D’autre part, Mohrman (2003) affirme que les employés doivent
développer des compétences génériques (relatives à l’industrie par exemple) et
spécifiques. Cette multiplicité de compétences leur permettra de mieux travailler
dans les groupes multifonctionnels et de mieux intégrer les connaissances de
leurs collègues dans d’autres départements.

L’approche architecturale : l’unicité et la valeur du capital humain
L’approche architecturale a été introduite dans les travaux de Lepak et Snell
(1999), Snell, Lepak et Youndt (1999) et Lepak et Snell (2002). Les auteurs sont
partis de l’hypothèse que le capital humain de l’entreprise n’est pas une entité
homogène et que les compétences et les connaissances détenues par les individus
diffèrent selon leur valeur stratégique pour l’organisation. En centrant l’analyse
du capital humain sur deux dimensions : l’unicité et la valeur ; ils définissent
quatre modes d’emploi, à savoir : le développement interne, l’acquisition, le
contrat et l’alliance. A chaque mode d’emploi, les auteurs associent une relation
d’emploi particulière. Ils définissent également des modes de gestion du capital
humain différents d’une catégorie à l’autre ; l’idée étant toujours que les
employés doivent être gérés différemment dans l’entreprise (Lepak et Snell,
2002). Les concepts d’unicité et de valeur sont centraux à l’approche
architecturale. Il convient alors de mieux les comprendre.
L’unicité du capital humain signifie qu’il est spécifique à l’entreprise. Les auteurs
de la théorie des coûts de transaction stipulent que les ressources
idiosyncrasiques sont essentielles à la compétitivité de l’entreprise (Williamson,
1975 ). L’avantage compétitif découle de la détention d’un capital humain
spécifique à la firme et qu’il est difficile d’imiter par les concurrents. Ainsi, plus
le capital humain de l’entreprise devient unique, plus l’entreprise a intérêt à
investir dans sa gestion et capitaliser sur son potentiel (Perez et De Pablos, 2003).
Selon Lepak et Snell (1999), l’unicité du capital humain exerce une influence sur
les coûts de transaction ce qui pousse à penser qu’elle influence également la
décision d’internaliser le mode d’emploi. Plusieurs facteurs peuvent expliquer
86
pourquoi le capital humain est unique. Par exemple, lorsque les compétences des
individus s’expriment dans un contexte particulier ou dans des arrangements
particuliers, il serait impossible de les transposer à d’autres situations ou
contextes. Lepak et Snell (1999) affirment à cet effet que l’organisation de la
production dans des équipes permet d’augmenter l’ambiguïté causale et la
complexité sociale. Dans ce genre de configurations organisationnelles, les
compétences des individus sont extrêmement encastrées dans les modes
d’interaction de l’équipe. Elles sont par conséquent hautement uniques. De
manière générale, plus le capital humain de l’entreprise est spécifique, plus il est
en mesure de contribuer à la construction de compétences stratégiques
inimitables et donc sources d’avantage compétitif durable. Mais des auteurs
montrent que la question de l’unicité du capital humain risque de poser des
problèmes de gestion plutôt que d’aboutir à des rentes stratégiques (Roos et
Roos, 1997). Selon eux, plus le capital humain est unique, plus il est encastré dans
les expériences des individus et leurs savoirs tacites. A la base, le capital humain
est détenu par les individus et non par la firme. Ceci pose le problème du
contrôle relatif au capital humain. Coff (1997) analyse ce problème particulier et
montre que si le capital humain est la propriété des individus et non celle de
l’organisation, celle-ci va devoir faire face à une incertitude élevée en essayant de
prédire les comportements, la performance et le degré d’engagement de ses
employés.
La valeur du capital humain, quant à elle, découle de sa capacité à ajouter de la
valeur pour l’entreprise, à améliorer l’efficience et l’efficacité, à exploiter de
nouvelles opportunités sur le marché et à neutraliser des menaces potentielles
(Ulrich et Lake, 1991 ; Wright et McMahan, 1992 ; Lepak et Snell, 1999 ). Selon
Snell et Dean (1992), la valeur du capital humain peut être influencée par
plusieurs facteurs. Les plus importants sont l’implantation d’une technologie
avancée et la stratégie choisie par l’entreprise. D’autres facteurs peuvent exercer
une influence sur la valeur du capital humain. Il s’agit de l’organisation du
travail, de la politique de formation et de développement des compétences et
plus généralement des politiques de GRH mises en place dans l’entreprise.
Le modèle développé par Lepak et Snell (1999) s’appuie sur les degrés d’unicité
et de valeur du capital humain. Il résulte de la juxtaposition de ces deux
variables, une matrice avec quatre quadrants. Quatre relations et modes d’emploi
sont déterminés. D’autre part, des configurations (ou systèmes) de pratiques de
GRH ont été associées à chaque type de relation et de mode d’emploi. L’idée qui
soutient cette architecture est que le capital humain n’est pas une entité
homogène et qu’il est possible de concevoir autant de systèmes de GRH dans
l’entreprise. Le modèle est présenté et analysé dans les développements qui
suivent.
87
Unicité faible
Quadrant 4
* Mode d’emploi : Alliance
* Relation d’emploi : partenariat
* Configuration RH : centrée sur la
collaboration
Quadrant 1
* Mode d’emploi : développement
interne
* Relation d’emploi : focalisée sur
l’organisation
* Configuration RH : centrée sur
l’engagement (commitment-oriented)
Quadrant 3
* Mode d’emploi : contractuel
* Relation d’emploi : transactionnelle
* Configuration RH : Conformité
Quadrant 2
* Mode d’emploi : acquisition
* Relation d’emploi : symbiotique
* Configuration RH : centrée sur le
marché
Valeur élevée du capital humain
Unicité
élevée
Unicité forte
Figure 2.1- L’architecture du capital humain
Valeur faible du capital humain
Source : Lepak et Snell (1999 :34)
Le quadrant 1 met en évidence un capital humain de valeur élevée et hautement
spécifique à l’entreprise. Ce genre de ressources est susceptible d’améliorer la
performance opérationnelle et stratégique de l’entreprise. Les organisations
fondées sur le savoir cherchent à recruter de tels profils, valeureux et uniques et
donc susceptibles d’améliorer la dynamique d’innovation propre à l’entreprise et
de lui fournir les raisons de son succès. Préserver de telles compétences est une
priorité pour les entreprises. C’est pourquoi le mode d’emploi tend à focaliser
sur le développement interne. En investissant dans la création et le maintien de
ces compétences, les organisations s’offrent une compétence spécifique qui
pourrait les démarquer de leurs concurrents. La relation d’emploi qui relie ces
employés à l’entreprise est focalisée sur l’organisation. Selon Rousseau (1995), ce
type de relation exprime un engagement mutuel de la part de l’employeur et
l’employé pour développer les compétences critiques de la firme. Il s’agit donc
d’une relation à long terme où l’organisation, via des mécanismes d’incitation
spécifiques provoque des comportements positifs chez les employés. Dans une
telle relation d’emploi, les entreprises tendront à adopter des systèmes de GRH
tournés vers l’engagement et l’implication organisationnelle (Arthur, 1992). De
tels système se composent des politiques de partage des informations, de
développement des compétences, de mise en réseau des individus,
d’empowerment et de rémunération selon les performances (Huselid, 1995 ; Mac
Duffie, 1995 ; Becker et Huselid, 1998).
Le quadrant 2 porte sur le capital humain ayant une valeur élevée, mais qui n’est
pas spécifique à la firme, c’est à dire largement présent sur le marché du travail.
La haute valeur de ce capital humain peut inciter l’entreprise à investir dans son
développement interne. Mais sa faible unicité pose le problème de sa
transférabilité potentielle vers d’autres entreprises, ce qui décourage les
managers à investir dans l’option du développement interne. Afin de résoudre ce
88
dilemme, les entreprises choisissent l’option de l’acquisition. L’entreprise peut
acheter sur le marché de l’emploi les compétences qui ne nécessitent pas une
formation supplémentaire significative. L’atout d’une telle option est la
possibilité pour l’entreprise de profiter des compétences qui ont été développées
ailleurs. La relation d’emploi proposée pour ce genre de capital humain est du
type symbiotique. Elle est basée sur cette idée de l’utilitarité respective. Tant que
les deux parties continuent à bénéficier de leur relation, la relation d’emploi a
tendance à s’allonger. Concernant les dispositifs de GRH associés à ce genre de
capital humain, Lepak et Snell (1999) estiment que la configuration GRH tend à
être du type centré sur le marché. En effet, une telle catégorie de capital humain
ne peut bénéficier d’actions de formations et de développement extensives. A la
différence de la relation basée sur l’engagement à long terme, la relation de type
symbiotique s’appuie sur une sélection rigoureuse des individus visant à tirer
profit de leurs compétences dans l’immédiat. Nous sommes donc dans une
logique d’acquisition (buy) et non de développement interne (make).
Contrairement aux quadrants 1 et 2, le quadrant 3 focalise sur l’externalisation de
la relation d’emploi. Il représente le capital humain qui, techniquement parlant,
peut rester en dehors de l’entreprise (Lepak et Snell, 1999). L’organisation n’a pas
intérêt à investir dans l’acquisition ou le développement interne des compétences
qui sont à la fois génériques et sans valeur ajoutée réelle. Le contrat semble être le
mode d’emploi privilégié avec ce type de capital humain. D’autre part, la relation
d’emploi qui les relie à l’entreprise est du type transactionnel, c'est-à-dire qu’elle
focalise sur l’échange économique à court terme. Dans cette logique, la
configuration GRH ne doit pas accorder d’importance à la formation et au
développement des compétences. Aussi, la rémunération et l’appréciation des
performances ne portent que sur les transactions exécutées et n’englobent pas les
compétences acquises.
Enfin, le quadrant 4 rend compte d’un capital humain unique mais de faible
valeur ajoutée pour l’entreprise. Faudrait-il alors internaliser ou externaliser ce
genre de capital humain ? La solution à ce paradoxe est qu’il est possible
d’établir un mode d’emploi du type alliance. La collaboration imprègne les
relations entre les parties alliées aussi bien au niveau de la relation d’emploi que
des dispositifs de GRH à mettre en place.
Les auteurs reconnaissent la complexité de l’architecture présentée et mettent
l’accent sur la dynamique qui relie ses différentes composantes. En dépit du fait
que certaines de ses hypothèses peuvent être questionnées, l’architecture du
capital humain développée par Lepak et Snell a le mérite de mettre l’accent sur la
dimension stratégique du capital humain tout en l’inscrivant dans les
problématiques de gestion des ressources humaines et des relations d’emploi.
L’architecture, qui s’appuie sur les concepts d’unicité et de valeur du capital
89
humain, fait avancer notre compréhension de la problématique du capital
humain dans l’entreprise. L’enseignement majeur est que la création d’un capital
humain source de démarcation et de leadership durables sur le marché passe par
l’amélioration substantielle de l’unicité et de la valeur des individus qui
s’investissent dans l’entreprise. Les dimensions de l’unicité et de la valeur
renforcent l’acception stratégique du capital humain.
III.2 Pertinence du capital humain dans une problématique de gestion
des connaissances
Selon l’approche stratégique, le capital humain renvoie aux compétences
spécifiques et de valeur que détiennent les ressources humaines de l’entreprise.
Dans les organisations du savoir, ce capital est souvent appelé knowledge
workers ou travailleurs du savoir. Ce sont en effet les hauts potentiels de
l’organisation, les individus dont les compétences spécifiques participent à
l’innovation organisationnelle et à l’enrichissement de la base des connaissances
de l’entreprise (Starbuck, 1992 ; Alvesson, 1995). La logique de compétition des
organisations du savoir (knowledge-based organizations) est fortement basée sur
la créativité des individus, c’est à dire sur leurs capacités à s’engager dans des
processus créatifs de production des connaissances (Oldham, 2003). Aussi, elle
suppose une capacité de l’organisation à assurer le partage et le transfert des
connaissances et des expertises. Ces nouvelles exigences s’ajoutent à la
complexité de la gestion du nouveau contrat psychologique. En effet, la relation
d’emploi dans l’entreprise fondée sur le savoir est particulière. Ces entreprises
cherchent à conserver leurs travailleurs intellectuels et pérenniser leurs
connaissances alors que ces derniers, volatiles et conscients de leur valeur
marchande, préfèrent le nomadisme aux carrières stables. Par ailleurs, il faut
rappeler que le travail intensif en savoir est différent du travail au sens classique
(industriel) du terme. Centré sur la résolution des problèmes plutôt que sur une
routinisation des tâches et des opérations, le travail du savoir est complexe,
dynamique et résolutoire. Contrairement au modèle industriel de l’organisation,
le travail du savoir opère une rupture quasi-totale avec les notions d’emplois, de
postes et d’opérations. Les flux et les processus se substituent aux opérations
routinières. La gestion du travail devient sous cette logique ambiguë, floue et
complexe.
Le capital humain de l’entreprise (ou les travailleurs du savoir) renferme
essentiellement les connaissances tacites des individus, développées dans le
cadre de leurs activités professionnelles. Ce sont ces connaissances qui servent de
base à la création de nouvelles connaissances dans l’organisation (Nonaka, 1994).
Les entreprises qui réussissent sont généralement celles qui arrivent à entretenir
ce capital de manière à l’impliquer durablement dans le développement de
nouvelles connaissances hautement spécifiques aux activités et à
90
l’environnement de l’organisation. L’apprentissage des organisations commence
d’abord par celui des individus. Plus le capital humain de l’entreprise renferme
de la valeur intrinsèque, mieux seront ses chances de négocier les processus
d’apprentissage et de développement des connaissances.
Dans une étude sur les organisations dynamiques, Dyer et Shafer (2003) ont
montré que la spécificité du capital humain et la valeur qu’il recèle sont deux
variables qui améliorent considérablement les capacités d’apprentissage de
l’organisation et sa position sur le marché. La valeur du capital humain permet
de renforcer la qualité des services offerts par l’organisation. L’unicité joue
cependant un autre rôle. Elle renforce les compétences spécifiques de
l’organisation dans la mesure où les employés mettent en œuvre des
compétences particulières et inimitables. L’unicité et la valeur, comme deux
dimensions fondamentales du capital humain, contribuent ainsi à la
différenciation de l’entreprise en terme d’offre et améliorent substantiellement
ses compétences distinctives sur des marchés de plus en plus
hyperconcurrentiels (Teece, Pisano et Shuen, 1997 ; Teece, 1998).
Le capital humain de valeur se déploierait mieux dans des organisations
dynamiques caractérisées par le changement continu, l’adaptabilité, l’exploration
et l’innovation. Dans pareil contexte de travail, les individus compétents auront
suffisamment de mobiles pour s’engager durablement dans des processus
d’apprentissage continu.
91
Section IV : Culture d’entreprise, « climat d’apprentissage » et gestion
des connaissances : Repérage des liens
La position adoptée dans cette recherche inscrit le savoir dans sa perspective
organisationnelle. La théorie de l’encastrement social discutée précédemment
permet de rendre compte de la richesse d’une telle option épistémologique. Vue
à travers la théorie de l’encastrement social, la problématique du knowledge
management semble fondamentalement reliée au contexte organisationnel dans
lequel les processus de création, de partage et d’utilisation des connaissances
sont inscrits. Au delà des questions de technologie et de structure,
l’apprentissage de l’organisation appelle à la mobilisation d’un registre culturel
favorable au développement et à la dissémination des connaissances dans
l’entreprise. Ainsi, la problématique de gestion des connaissances, vue comme
relevant fondamentalement d’un registre social, est indissociable d’une réflexion
sur la culture de l’entreprise, notamment dans sa dimension orientée vers
l’apprentissage. Schein (1985) et Kettinger et Grover (1995) n’affirmaient-ils pas
que la culture de l’entreprise influence considérablement ses capacités à partager
les informations, à prendre les bonnes décisions et à apprendre de manière
significative ?
L’objectif de cette section est de montrer l’importance de considérer la
perspective culturelle quand on évoque la dimension organisationnelle du
management des connaissances. Il sera question d’analyser le concept de culture
dans le cadre des théories de l’apprentissage. Le croisement de ces deux champs
donne naissance au concept de « climat d’apprentissage ». Ce concept constitue,
à côté du capital humain, la seconde variante permettant d’opérationnaliser
l’approche organisationnelle du knowledge management.
IV.1 De la culture de l’entreprise au climat organisationnel
IV.1.1 Culture de l’entreprise et contrôlabilité de l’organisation
La culture de l’entreprise est aujourd’hui un concept central dans les sciences de
gestion. C’est pourtant en anthropologie que le concept fut d’abord développé.
Tyler (1871) était le premier à en donner une définition claire. Le concept renvoie
selon l’auteur à cette entité complexe qui regroupe les connaissances, les
croyances, les valeurs morales, les lois, les coutumes et toutes autres capacités
acquises par les Hommes dans leurs activités sociales. La culture est un concept
multidisciplinaire. Il a fait l’objet de recherches intensives en anthropologie, en
sociologie et en archéologie. Dans leur étude désormais classique, Kroeber et
Kluckhohn (1952) ont recensé environ 164 définitions du concept « culture » dans
la littérature sur l’anthropologie et la sociologie. En dépit de leurs différences, ces
92
définitions évoquent souvent les concepts de traditions, valeurs, de rites et de
partage. Ces mots devraient façonner par la suite l’acception managériale du
concept de culture.
Comme plusieurs autres construits théoriques, le concept de culture a été
d’abord développé dans un champ disciplinaire différent puis transposé dans le
champ des sciences de gestion. Au milieu des années quatre-vingt, le concept
avait le vent en poupe et la culture d’entreprise jouissait de statut de panacée
comme en témoigne le « best seller » de Peters et Waterman, le prix de
l’excellence. Mais au delà de ce phénomène de mode, par ailleurs largement
questionné dans la littérature managériale critique, la variable culturelle semble
susciter de plus en plus d’attention et s’est progressivement construite de la
légitimité dans les milieux gestionnaires. Elle est aujourd’hui considérée comme
un facteur de performance et comme variable essentielle dans l’analyse
stratégique. La culture de l’entreprise est désormais un levier de performance
majeur que les chefs d’entreprises n’hésitent pas à mobiliser dans l’espoir de
« cimenter » le corps organisationnel et créer la cohésion humaine à l’ère des
grandes ruptures humaines, économiques et sociales.
Dans la littérature managériale, la culture de l’entreprise est souvent définie
comme l’ensemble des valeurs partagées par les membres d’une entreprise, les
hypothèses de base de l’organisation, les normes professionnelles et morales à
l’usage ainsi que les traditions, les habitudes, les rites et rituels qui y prennent
lieu. Définie ainsi, la culture de l’entreprise est censée être le ciment qui colle les
parties de l’organisation, le système de valeur autour duquel l’entreprise mène
ses activités.
Pour comprendre les mécanismes qui sont à la base de la formation des cultures
organisationnelles, il est nécessaire de retourner aux fondements théoriques du
concept même de l’organisation. Celle-ci étant tantôt définie comme un système
social, tantôt comme un système politique. En tant que système social,
l’organisation réunit des personnes qui s’acquittent de responsabilités différentes
selon un ordre hiérarchique particulier. La structure de l’organisation, qu’elle
soit mécaniste ou organique, distribue les rôles entre les acteurs, produit des
règles de fonctionnement et contribue à la création de valeurs spécifiques à
l’entreprise. Parallèlement, les individus s’organisent selon une structure
émergente, un ordre social informel et produisent des valeurs qui ne sont pas
forcément compatibles avec les valeurs produites par la structure formelle.
En tant que système politique, l’organisation est conçue comme un lieu de
pouvoir, de négociation et de rapports de forces qui favorisent certains
(individus ou groupes) par rapport à d’autres au sens où ils peuvent faire
prévaloir leurs propres valeurs et faire de leur culture la « culture
93
organisationnelle dominante ». Le système politique de l’organisation renvoie,
selon Jarniou, au choix d’un système de normes qui déterminent l’ensemble des
actions, décisions et relations mises en œuvre par l’organisation en son sein ou
dans ses rapports avec l’environnement. Cependant, si la politique oriente
l’action, elle est fondée en même temps sur les grandes orientations qui
expriment les valeurs dominantes, lorsque certains groupes qui composent
l’organisation sont en mesure de les faire prévaloir, ou les compromis nécessaires
dans un système de pouvoir partagé ou instable.
L’instrumentation de la culture dans le domaine de la gestion peut être expliquée
par deux facteurs principaux. D’abord, les avancées faites dans le domaine de la
sociologie des organisations qui a mis en valeur l’existence d’un système de
codes et de symboles régissant la vie sociale au sein des organisations. Ensuite,
l’engouement pour le modèle de gestion japonais qui accorde une place de choix
aux valeurs de cohésion et d’engagement affectif envers l’organisation, une sorte
de patriotisme d’entreprise. Cet ensemble de croyances et d’idéaux
organisationnels ainsi que les comportements qui s’en suivent représentent pour
l’entreprise des leviers de performance dans la mesure où ils favorisent
l’émergence de comportements professionnels « extra-rôles » animés par le souci
de la réussite de l’entreprise et orientés vers la productivité du travail. On est
donc porté à croire que le succès des organisation dépend en bonne partie de sa
capacité à élaborer des valeurs culturelles orientées vers la performance et
l’engagement durable des collaborateurs (l’un des huit commandements de
Peters et Waterman). Cela signifie que la culture de l’entreprise représente pour
les managers un levier majeur permettant d’assurer la contrôlabilité du
fonctionnement organisationnel. Elle oriente les comportements individuels et
collectifs vers les priorités de l’organisation. Le slogan « chez nous, le client est
roi », par exemple, agit de manière directe sur les représentations et les
comportements des vendeurs de l’entreprise. Son intériorisation par les salariés
de l’entreprise permet de façonner des comportements « types » allant dans un
sens de satisfaction et de fidélisation de la clientèle. Cette conviction que la
culture permet de « contrôler » et de « prévenir » les comportements des
individus dans l’entreprise était d’une grande importance dans le
développement des pratiques de gestion des cultures organisationnelles. Dayan
(1999 :114) explique que « de là est venue l’idée de gérer les cultures
organisationnelles de manière à développer chez les employés des
représentations, des formes de pensée susceptibles de générer des
comportements performants. Cela revient à réaliser une sorte de socialisation des
membres de l’organisation aboutissant à l’intériorisation d’un ensemble de
valeurs, de croyances, de normes de comportements, toutes orientées vers la
réalisation des objectifs de l’organisation ».
94
En dépit des critiques sévères qui ont été adressées aux approches
fonctionnalistes et instrumentales de la culture de l’entreprise, cette lecture nous
parait encore d’actualité et suffisamment légitime. En effet, et sans tomber dans
le piège de la facilité avec laquelle certains consultants manipulent le concept, il
est tout à fait légitime de postuler que l’organisation peut, et devrait, élaborer des
valeurs culturelles « maison », compatibles avec sa philosophie gestionnaire et
les contraintes de son environnement et orientées vers la réalisation de ses
objectifs spécifiques. Dans cette perspective, la structure de l’entreprise semble
être un facteur déterminant dans le choix de la « stratégie culturelle » de
l’entreprise. Les organisations virtuelles développent par exemple des valeurs
culturelles basées sur la confiance car leurs membres communiquent sur des
bases uniquement électroniques. Les organisations basées sur les projets, quant à
elles, forment leurs collaborateurs aux compétences de la transversalité et à la
culture du travail en projet. Les structures bureaucratiques génèrent la culture de
la rationalité, de la previsibilité et de l’optimisation de l’emploi des ressources,
etc. Les différences en termes de cultures peuvent êtres dues aux différences au
niveau des métiers. Dans les organisations, il y a plusieurs cultures de métiers,
des cultures qui font perpétuer des traditions, des valeurs et des modes de faire
propres à des activités professionnelles spécifiques. De telles cultures forgent et
renforcent des identités professionnelles multiples, souvent d’ailleurs sources de
conflits mais aussi de variété pour les organisations. Nous retenons de tout cela
que le sous-système culturel de l’organisation gagnerait à être inscrit dans une
logique de contingence : structurelle, stratégique, technologique, etc. Une logique
qui en fait une variable hautement spécifique à chaque organisation et parfois
même source de démarcation concurrentielle sur le marché. Nous verrons dans
les prochains développements de cette section comment il est possible d’intégrer
la problématique culturelle de l’organisation dans une logique d’apprentissage et
de management des connaissances. Nous nous poserons alors des questions sur
la faisabilité et la pertinence d’une telle option et nous nous efforcerons de
clarifier son concept central : le climat d’apprentissage (learning climate).
IV.1.2 Le climat organisationnel : définition et relation avec la culture
Comme construit générique, il est possible de définir le climat organisationnel
comme une « description individuelle psychologique claire et logique de
l’environnement du travail » (James et Jones, 1976 ; Jones et James, 1979). Selon
Campbell et al., (1970 :390), « le climat organisationnel est un ensemble
d’attributs propres à une organisation particulière qui peut être appréhendé en
fonction de la manière avec laquelle l’organisation compose avec ses membres et
son environnement. Pour l’employé, le climat organisationnel prend la forme
d’un ensemble d’attentes concernant les comportements individuels et leurs
résultats ». Le climat organisationnel consacre la congruence individuorganisation. En effet, il est également défini comme étant un ensemble de
perceptions qu’ont les individus sur les questions de confiance, d’autonomie, de
95
cohésion, de soutien, de reconnaissance et de justice dans l’organisation (Moran
et Wolkwein, 1992). Le climat organisationnel ne signifie pas « l’environnement
du travail » au sens strict du terme, mais plutôt la manière avec laquelle les
employés perçoivent cet environnement et lui apportent des réponses cognitives
et affectives. Il est en quelque sorte, le « medium perceptuel » à travers lequel la
culture de l’entreprise et les caractéristiques du travail influencent les
comportements des individus dans l’entreprise.
La notion de climat organisationnel s’inscrit, théoriquement, dans la lignée des
travaux sur la culture de l’entreprise. En effet, les deux concepts se rejoignent
dans le sens où ils s’intéressent à l’analyse du « contexte organisationnel du
travail ». D’ailleurs, ils sont parfois utilisés de façon indifférenciée par les
auteurs. Pourtant, l’examen minutieux des deux concepts laisse entrevoir
quelques différences qu’il y a lieu d’identifier et de prendre en considération. En
effet la culture diffère du climat organisationnel dans le sens où le premier
concept renvoie à des valeurs et croyances partagées à l’échelle de l’organisation
entière ; alors que le deuxième concerne « des perceptions et des interprétations »
individuelles de l’environnement du travail dans l’entreprise (Reichers et
Schneider, 1990). En effet, le climat organisationnel émerge de ces aspects du
contexte organisationnel que les individus perçoivent comme importants, voire
déterminants pour la réalisation de leur travail. Pour cette raison, on est tenté de
croire que le climat organisationnel est un phénomène façonné par la culture de
l’entreprise, étant donné que les valeurs culturelles de l’organisation donnent
lieu à des interprétations, des attentes et des perceptions différentes du contexte
général du travail. Il est donc possible, sur un plan théorique, de dire que le
climat organisationnel entretient des relations solides avec la culture de
l’entreprise. Dans tous les cas, les deux concepts semblent extrêmement utiles
pour l’analyse des phénomènes organisationnels, notamment ceux reliés aux
problématiques de l’apprentissage et du développement organisationnel
(Reichers et Schneider, 1990).
De manière générale, les chercheurs reconnaissent que le climat organisationnel
est un phénomène psychologique, multidimensionnel et complexe qui exerce de
l’effet sur le turnover des individus, la satisfaction au travail, l’apprentissage et la
performance de l’organisation (McMurray, Scott et Pace, 2004). Les recherches
menées jusque-là ont essayé de montrer le lien entre le climat organisationnel et
certaines variables de performance organisationnelle et humaine. Le climat
organisationnel y est considéré comme un antécédent du succès organisationnel.
Le tableau suivant reprend rapidement les principales recherches menées dans
cette perspective ainsi que les résultats auxquels les auteurs ont abouti. Il est
important de remarquer l’absence d’un consensus sur les dimensions clefs du
climat organisationnel. Ce construit semble être défini et opérationnalisé par les
chercheurs en fonction des objectifs spécifiques de chaque recherche. Cette
96
approche « contingente » est, certes, utile pour mieux apprécier le concept dans
le champ de l’étude, mais elle nuit aussi à l’essence même du construit puisque
ce dernier ne semble pas posséder une définition stable et unanimement
reconnue.
Tableau 2.5- Synthèse des recherches sur le climat organisationnel
Objectifs de la
recherche
Dimensions du
climat
Résultats
Auteurs
Relation entre le
climat organisationnel
et l’engagement
organisationnel des
employés
- Autonomie
Relation significative
et positive entre ces
trois dimensions et
l’engagement
organisationnel des
employés.
- Wallace, Hunt et
Richards (1996)
- Soutien du chef
- Cohésion du groupe
Relation entre climat
organisationnel et
satisfaction et
engagement
professionnel
- Autonomie
Relation entre climat
organisationnel et
indicateurs de
performance dans
l’entreprise
- Confiance dans le
management de
l’entreprise
Impact de
l’engagement
organisationnel sur le
climat organisationnel
dans l’industrie
manufacturière en
Australie
- Autonomie
Impact du climat
organisationnel
sur
l’apprentissage
coopératif dans des
entreprises
- Benson (1996)
- Buchanan (1974).
Steers (1977).
- Une relation
- Golembiewski (1986)
significative avec le
développement et la
performance
- Culbert et Mc
Donough (1986).
- Confiance
Relations
significatives et
positives entre le
climat organisationnel
et la satisfaction et
l’engagement
professionnel.
Relations significative
et positive entre les
construits
- Reconnaissance
- McMurray, Scott et
Pace (2004).
- Soutien du chef
- Confiance
-Risque
(encouragement des
activités d’exploration
Relation positive et
significative entre les
deux construits
- Reconnaissance
97
Janz
Prasarnphanich
(2003).
et
américaines de hightech basées sur les
projets
- Chaleur du climat
(degré auquel le
climat est bon enfant)
- Soutien de
l’organisation
Rôle de variable
intermédiaire que
joue le climat
organisationnel entre
la culture
d’apprentissage et
l’innovation
organisationnelle
- Le ratio
Effort/Performances
Analyse de la relation
entre la GRH, les
attitudes
d’apprentissage et le
climat de
renouvellement
organisationnel
- Innovation
La culture
d’apprentissage
détermine le climat
organisationnel. Ce
dernier est un
antécédent de
l’innovation.
- L’ouverture au
changement
- Les feedbacks du
chef
Les pratiques de GRH
innovantes
influencent
positivement les
attitudes
d’apprentissage qui, à
leur tour, favorisent
un climat de
renouvellement
organisationnel.
- Ouverture
- Coopération
- Discipline
- Confrontation
constructive
- Bates et Khasawneh
(2005).
- Jaw et Liu (2003)
IV.2 « Climat d’apprentissage » et gestion des connaissances
Comme précisé auparavant, l’utilisation du concept de climat organisationnel
dans les sciences de gestion a suivi une logique de contingence. Cela veut dire
que les dimensions de ce construit varient en fonction du champ de l’étude dans
lequel on l’intègre. Appliquée aux questions de l’apprentissage organisationnel
et de management des connaissances, cette notion donne lieu au concept de
climat d’apprentissage. L’idée défendue dans ce chapitre est que la recherche sur
la gestion des connaissances gagnerait à considérer le rôle du climat
d’apprentissage dans le succès des pratiques de gestion des connaissances. Nous
poursuivons ainsi les deux objectifs suivants : d’abord définir brièvement le
climat d’apprentissage ; ensuite analyser sa contribution aux différents processus
de gestion des connaissances.
Selon Janz et Prasarnphanich (2003 : 353), un climat d’apprentissage se définit
comme « un ensemble de croyances détenues par employés sur la capacité du
contexte du travail à dynamiser, ou au contraire freiner, l’apprentissage des
98
individus et de l’organisation ». La littérature sur le climat d’apprentissage met
en évidence l’existence de certaines dimensions du contexte du travail qui
facilitent l’apprentissage organisationnel (Slater et Narver, 1995 ; Mikkelsen et
Gronhaug, 1999). En effet, le climat d’apprentissage semble jouer un rôle
déterminant dans le succès des pratiques de création, de partage et de mise en
application des connaissances dans l’entreprise dans le sens où il détermine les
valeurs d’apprentissage de l’organisation et permet de structurer un
environnement propice au déroulement des différents processus de gestion des
connaissances (Leonard, 1995 ; Gold, Malhotra et Segars, 2001). La littérature sur
l’innovation organisationnelle et la création des connaissances accorde, en effet,
un intérêt particulier au climat d’apprentissage. Kotter et Heskett (1992)
affirment dans ce cadre que la présence d’un climat d’apprentissage adaptatif
dans l’organisation est fondamentale pour les entreprises qui s’inscrivent dans
une stratégie d’innovation à long terme. Ce type de climat permet l’anticipation
et l’adaptation de l’entreprise aux multiples changements de son environnement
interne et externe.
La question qui se pose concernant le climat d’apprentissage est de définir ses
dimensions clefs. En effet, et au delà des considérations générales sur les cultures
d’apprentissage, il est utile de pouvoir stabiliser le concept de climat
d’apprentissage en définissant ses composants, sachant que c’est un concept
multidimensionnel. Le constat relevé lors de l’analyse de la littérature est tout
simplement l’absence d’un consensus sur la question. Il est cependant possible
de recenser certaines dimensions clefs qui font l’unanimité des chercheurs et que
nous prendrons en analyse dans les développements suivants.
L’une de ces dimensions concerne l’autonomie au travail. Selon la théorie des
caractéristiques du travail (Hackman et Oldham, 1980), des niveaux d’autonomie
supérieurs améliorent considérablement le niveau de satisfaction des employés
et leurs niveaux de performance opérationnelle (productivité, qualité du travail,
etc.). Il existe deux formes d’autonomie. Une autonomie psychique d’abord, qui
consiste pour l’individu à être capable de penser par soi-même, pour s’orienter
dans la vie. La deuxième est l’autonomie de l’action qui renvoie à la capacité
d’agir de façon libre, compte tenu des contraintes de l’organisation. Cela suppose
bien sûr de disposer des marges de manœuvres nécessaires permettant de faire
des choix entre plusieurs alternatives, sans pour autant empiéter sur la liberté
des autres, ni sur les règles communes de l’organisation. Selon Nonaka (1999) et
Garvin (19993), L’autonomie opérationnelle dont bénéficient les acteurs de
l’organisation contribue à décloisonner l’espace organisationnel en facilitant la
migration des flux de savoirs entre les personnes ou les différents départements
de l’organisation. Une culture organisationnelle favorisant l’autonomie incite
également les acteurs à expérimenter de nouvelles manières de faire, ce qui
pourrait déboucher sur la construction d’une nouvelle connaissance
99
organisationnelle. L’autonomie des individus, si elle est bien dosée, pour
reprendre Handy (1996), permet à l’organisation de tirer profit de toute la
créativité que recèlent ses ressources humaines. De plus, l’autonomie se
répercute généralement de manière positive sur la prise de décision, c’est à dire
sur le processus de mis en œuvre des savoirs dans l’organisation.
Une autre dimension du climat d’apprentissage concerne l’échange et
l’interaction intensive. Cette propriété découle de l’idée même de
l’apprentissage qui n’a de sens que s’il est partagé par tous les membres de
l’organisation. Les valeurs de partage et d’échange sont ainsi fondamentales
pour réduire d’abord l’hostilité des employés à partager leurs connaissances avec
leurs collègues et former ensuite cette compétence collective en matière de travail
collaboratif. L’échange et l’interaction sont importants parce que le management
des connaissances est un processus fondamentalement social. Si les idées
originales commencent d’abord dans la tête des individus, elles ne deviennent
cependant du savoir organisationnel utile qu’à travers leur dissémination. Les
théories sur le passage du savoir individuel au savoir organisationnel ont
toujours mis en valeur le rôle de la coopération et de l’interaction dans la
promotion de l’apprentissage collectif (Spender, 1996 ; Floyd et Lane, 2000). Les
processus interactifs prennent place dans un cadre de travail qui encourage la
communication ouverte et intensive. A cet effet, l’organisation doit focaliser sur
le langage et les conversations comme leviers principaux de communication
interpersonnelle. Dans la littérature sur l’apprentissage organisationnel, la
narration (story telling) et le dialogue sont appréhendés comme des mécanismes
pouvant être à l’origine de comportements positifs en termes de partage de
connaissances (Nonaka, 1994). Dans cette même perspective, Webber (1993)
mentionne que les conversations sont les moyens par lesquels les travailleurs du
savoir découvrent ce qu’ils connaissent et le partagent avec leurs collègues.
Goleman (1985) définit la conversation comme la calibration de nos propres
modèles mentaux vis-à-vis de ceux des autres interlocuteurs. C’est donc à travers
la communication ouverte, cette forme de ruée vers l’autre et d’alignement
cognitif, voire émotionnel, qu’émerge la connaissance collective dans
l’organisation. Deetz (1992) avait raison de dire que la connaissance n’est pas
communiquée, mais qu’elle est plutôt un produit social critique accompli dans la
communication.
Au delà de la communication, les échanges intensifs entre acteurs appellent ces
derniers à s’imprégner d’une culture d’ouverture et de confrontation
constructive. L’ouverture est l’une des caractéristiques des entreprises qui ont ce
potentiel d’auto-renouvellement. Elle signifie que l’organisation tolère les idées
nouvelles, originales et qui remettent en question les certitudes à l’œuvre dans
l’entreprise. Dans ce genre d’organisation, les comportements innovatifs et
parfois déviants sont à la fois encouragés et bien encadrés. Dans sa théorie sur
100
l’apprentissage par exploitation/exploration, March (1991) insistait sur l’idée que
certaines personnes entrent moins vite que d’autres dans les processus
d’apprentissage organisationnel du fait de leur attitude souvent critique et
caractérisée par la prise de recul. Ces apprenants « lents » représentent, selon
l’auteur, une immense source de richesse pour l’organisation. Dans ce même
registre, l’analyse faite par Beer et al., (1990) sur les conditions critiques du
renouvellement organisationnel a révélé l’importance que revêtent les idées des
« minorités » professionnelles dans les organisations apprenantes. De telles idées,
souvent incompatibles avec la logique dominante de l’organisation, doivent être
acceptées et discutées avec ouverture d’esprit et responsabilité par tous les
membres de l’organisation. Elles peuvent assurer la coordination de positions
intellectuelles et d’activités complexes entre les différents groupes constituant
l’organisation (Argyris, 1994). On retiendra de ces recherches qu’un climat
d’apprentissage doit consciemment permettre les contradictions et les paradoxes.
Ainsi, la confrontation stérile, de type conflits d’identité ou d’intérêts, cèderait
avantageusement la place à une confrontation constructive où l’opposition de
certaines membres organisationnels pourrait contribuer au développement de
nouvelles connaissances, ce qui devrait permettre d’ajuster certains choix de
stratégies, jusque-là pris pour irrépréhensibles.
Au terme de cette analyse, il est utile de rappeler que l’objectif était de mettre en
valeur la contribution du climat d’apprentissage dans le management des
connaissances. La coopération, l’autonomie, l’interaction, l’échange, la
confrontation constructive et l’ouverture sont considérés comme des valeurs
culturelles fondamentales pour promouvoir la gestion des connaissances et
l’apprentissage de l’organisation.
101
Conclusion
Afin de mieux situer le débat sur la gestion des connaissances, un
renouvellement du cadre d’analyse s’est imposé. Ce renouvellement implique
surtout un retour sur la notion de connaissance ; celle-ci est désormais définie
comme relevant d’un processus social. Les apports de la théorie de
l’encastrement social ont permis d’apprécier l’importance de considérer la
gestion des connaissances dans son contexte humain, social et culturel. La
connaissance est inextricablement encastrée dans des processus sociaux
d’échange, de coopération et d’innovation. Cette option conceptuelle a contribué
à démontrer l’importance de la dimension organisationnelle du management des
connaissances. L’objectif principal assigné à ce chapitre était ainsi de réhabiliter
cette dimension organisationnelle, ce qui devrait permettre d’élargir le cadre de
réflexion sur la gestion des savoirs à une sphère jusque-là peu explorée par les
chercheurs.
Les travaux respectifs sur le capital humain et le climat organisationnel ont servi
l’analyse de cette dimension organisationnelle. Ils démontrent que le succès des
stratégies de création, de partage et d’utilisation des connaissances appelle
l’entreprise à s’approprier un capital humain unique et diversifié et à
promouvoir un climat de travail orienté vers d’apprentissage. Ce sont donc le
développement des compétences humaines et la création de conditions
favorables à leur mobilisation qui deviennent l’outil managérial générateur d’un
potentiel d’apprentissage. Une telle assertion ne tardera pas à démontrer le rôle
fondamental que la gestion des ressources humaines est susceptible de jouer
dans l’amélioration des capacités de gestion des connaissances dans l’entreprise.
Les pratiques de GRH peuvent, en effet, contribuer au développement des
capacités organisationnelles de gestion des savoirs en intervenant sur deux plans.
Au premier plan, il s’agit de promouvoir la création et l’enrichissement continu
d’un répertoire diversifié de compétences chez les employés de l’entreprise. Cela
devrait permettre de soutenir activement les processus de création et de mise en
application de nouvelles connaissances dans l’entreprise. Au second plan,
l’objectif est de constituer une “infrastructure culturelle apprenante” qui permet
d’accroître l’autonomie, de responsabiliser et d’encourager les salariés à mettre
en pratique leur créativité et leur potentiel d’innovation et à s’engager dans des
processus de partage de connaissances et d’expertises (Cooke, 1994).
Ainsi, le renouvellement du cadre d’analyse du knowledge management devrait
contribuer à placer la GRH, et non les TIC, au centre des débats sur les facteurs
clefs de succès du knowledge management. Le prochain chapitre aura
logiquement pour objectif de proposer une modélisation fiable des liens
102
potentiels entre la gestion des ressources humaines et la gestion des
connaissances. Le capital humain et le climat d’apprentissage, dont les contours
ont été balisés dans ce deuxième chapitre, seront alors considérés comme deux
variables médiatrices dans cette relation.
103
Chapitre trois
Contribution à la perspective organisationnelle :
construction d’un modèle théorique sur le rôle de la GRH
dans la gestion des connaissances.
En définissant la connaissance comme relevant d’un processus d’encastrement
social, l’objectif, dans les deux premiers chapitres, était de mettre l’accent sur la
nature dynamique et socialement complexe du management des connaissances.
Considérer la connaissance selon une logique de construction sociale fournit un
certain nombre d’apports. D’une part, cela permet de remettre en cause les
travers des modèles technicistes du knowledge management et de montrer leurs
limites intrinsèques et extrinsèques. De l’autre, pareil positionnement encourage
l’exploration de la dimension organisationnelle des processus de gestion des
connaissances. Selon les choix opérés dans les deux premiers chapitres, ce sont
surtout les ressources humaines de l’entreprise et le contexte organisationnel de
leur action qui influenceraient les capacités de création, de partage et de mise en
application des connaissances dans l’entreprise. Le fait que la connaissance soit le
produit d’acteurs organisationnels situés dans un cadre spatio-temporel donné
implique la nécessité de comprendre les mécanismes à travers lesquels les
individus interagissent, échangent des connaissances et développent les
capacités d’apprendre de l’organisation.
Bien que la GRH ne soit pas le seul domaine susceptible d’influencer les
capacités de gestion des connaissances dans l’entreprise, l’importance croissante
des ressources humaines est justifiée, d’une part, lorsque le management des
connaissances et défini comme un processus foncièrement social, et d’autre part
lorsque la réussite des initiatives de gestion des savoirs repose sur les
compétences des salariés et leur volonté à faire preuve d’initiative et de
coopération, et à mobiliser leurs savoirs et savoir-faire individuels et leurs
capacités intellectuelles dans les situations de travail. L’importance de la gestion
des ressources humaines pour le knowledge management découle de sa
contribution à la création et au développement à la fois des compétences
humaines solides, inimitables et diversifiées, et des conditions organisationnelles
qui permettent aux acteurs d’intégrer, de coordonner et de mobiliser leurs
104
connaissances. La question qui se pose alors est de savoir dans quelle mesure les
pratiques de GRH peuvent contribuer à soutenir les processus de gestion des
connaissances.
En dépit de l'importance des ressources humaines dans les activités associées au
knowledge management, il semble surprenant que très peu de recherches aient
explicité le rôle de la GRH dans ce domaine. Dans les quelques travaux dédiés à
cette problématique, l’intérêt reste souvent limité à la description générique de
l’apport de telle ou telle pratique de GRH à un processus spécifique de gestion
des savoirs (Mansour et Gaha, 2004). Par ailleurs, les validations empiriques sont
plutôt rares. Peu de recherches ont analysé empiriquement en profondeur
l’impact de la GRH sur la gestion des connaissances. Partant de ces insuffisances,
ce chapitre propose l’intégration de la GRH dans une problématique de gestion
des connaissances. Transcender les lectures partielles et limitées de cette question
suppose un approfondissement de l’analyse qui permet d’intégrer divers facteurs
organisationnels et individuels. Ainsi, dans l’esprit de ce chapitre, les pratiques
de GRH censées favoriser la gestion des connaissances devraient influencer
d’une part, le répertoire des compétences des employés en l’enrichissant
davantage, et d’autre part, le contexte organisationnel en favorisant l’émergence
d’un climat d’apprentissage qui stimule la coopération et l’échange constructif.
Dans le cadre de ce chapitre, l’objectif est de produire un modèle de recherche
qui explicite le rôle de la GRH dans la gestion des connaissances. Pour ce faire, il
serait d'abord important d’inscrire la contribution de la GRH dans sa dimension
désormais stratégique (section I). En outre, une lecture ciblée de la littérature
devrait permettre d'expliciter les multiples approches d'analyse associées à cette
problématique et de repérer tous les liens possibles (section II). Sur la base de ces
lectures, nous définirons les options conceptuelles de base de cette recherche.
Enfin, une analyse approfondie de la question permettrait une modélisation
théorique de la problématique étudiée et la formulation des hypothèses de
recherche (section III).
105
Section I : La tendance stratégique de la GRH
La gestion des ressources humaines est la fonction de l’organisation qui a en
charge la conduite des travailleurs et leur développement socio-professionnel.
Son objectif et ses attributions ont évolué avec l’évolution des contextes
économiques et sociaux et sa contribution aux activités de l’entreprise est passée
par des étapes historiquement distinctes. Il y a un consensus dans la
communauté GRH que la fonction est passée au cours du siècle précédent par
trois phases de développement. La première correspond à l’administration du
personnel. L’organisation, marquée par un contrôle strict et une séparation entre
les ingénieurs qui pensent et les travailleurs qui exécutent, a adopté les principes
et les postulats de l’école classique en organisation. La division scientifique du
travail réduit la contribution des individus à l’entreprise à quelques tâches
répétitives et la production était standardisée. Dans cet environnement statique,
la structure fonctionnelle permettait de répartir les responsabilités entre les
différents départements de l’entreprise. La gestion en général et celle des
individus en particulier portent sur les dimensions administratives, c’est à dire la
composante juridique et disciplinaire du travail. La deuxième phase est relancée
par les investissements technologiques importants qui caractérisent les trente
années glorieuses (1945-1973). Sur le plan théorique, l’école systémique et
l’approche socio-technique de l’organisation commencent à focaliser l’attention
sur les dimensions sociales de l’organisation. On reconnaît l’importance de
l’individu dans l’organisation, mais toujours autour du système technique qui est
supposé donner à l’organisation sa rationalité et lui fournir les raisons de sa
survie. Avec un environnement marqué par des mouvements de libéralisation
des économies et l’apparition des conséquences néfastes du taylorisme-fordisme,
la gestion des personnes s’est orientée vers la satisfaction et l’épanouissement
des individus. La motivation dans le travail, l’élargissement et l’enrichissement
des tâches, les cercles de qualité sont de nouveaux concepts dans la gestion des
individus. Les premières formes d’actionnariat salarié commencent à émerger
aussi. Enfin, la troisième étape marque des changements importants dans les
lieux du travail, avec l’apparition de nouvelles formes de travail et de
structuration des entreprises. La rémunération au mérite prend place dans les
dispositifs de GRH. Celle-ci devient de plus en plus individualisée, tournée vers
les besoins spécifiques des individus, désormais considérés les clients internes de
l’entreprise. La GRH devient individualisée, mais surtout éclatée et partagée par
les différentes fonctions de l’entreprise. Elle joue un rôle de conseil auprès de la
direction générale de l’entreprise. On reconnaît également l’importance de la
dimension culturelle des organisations. Les services RH sont ainsi pleinement
impliqués dans les processus d’élaboration et de diffusion des valeurs de base de
l’organisation. Mais une telle période est également marquée par l’essoufflement
des modèles classiques de l’emploi à vie, entrainant ainsi des mouvements de
106
licenciements collectifs colossaux. Ce qui ne tarde pas à plonger les partenaires
sociaux, à l’échelle de la planète, dans des conflits sans cesse renouvelés.
I.1. Aux origines des mutations profondes de la GRH
Ce bref retour sur l’historique de la GRH montre que sa genèse est fortement
influencée par les multiples reconversions à la fois internes et externes qui ont eu
lieu au cours du siècle précédent et qui continuent aujourd’hui à changer la vie
des organisations. Pour mieux comprendre les mutations de la GRH, il est
impératif d’opter pour une pensée systémique. Selon les postulats de base de
cette école de pensée, la GRH en tant que fonction organisationnelle fait partie
d’un système d’entreprise plus large qui l’englobe et délimite ses mouvements. Il
est donc logique que la GRH se trouve influencée par les mouvements internes
des autres sous-systèmes. Egalement, comme tout système est nécessairement
ouvert, la GRH se trouve sous l’effet des reconversions externes qui transforment
l’environnement de l’entreprise. Soumise à des tensions à la fois internes et
externes, la gestion des ressources humaines est au carrefour de multiples
reconversions qui s’avèrent aujourd’hui de plus en plus soutenues et rapides.
Son adaptation aux transformations en question est nécessaire pour assurer sa
pérennité et gagner une légitimité dans l’organisation.
Il est important, avant de s’interroger sur les nouveaux rôles et défis de la gestion
des ressources humaines, de comprendre les forces externes et internes qui
gouvernent ses principes et accélèrent sa métamorphose. Nous devons
cependant comprendre ces forces dans leur dynamique actuelle puis qu’elles
aussi sont sujettes à des transformations rapides. Pour simplifier cette analyse,
nous distinguons deux forces majeures : la première est relative aux
transformations environnementales, la seconde traite du renouvellement
organisationnel.
I.1.1 Changements de l’environnement externe
Plusieurs composantes de l’environnement des entreprises ont connu des
transformations majeures qui ont affecté les modes d’organisation en place et
plus particulièrement les modes de gestion des personnes. Ces changements sont
relatifs à l’avancée technologique réalisée grâce aux TIC, à la globalisation et à
l’avènement de nouvelles formes de compétition sur des marchés atypiques et de
plus en plus hyper-compétitifs.
I.1.1.1 L’avancée technologique
La démocratisation et la diffusion sur une large échelle des technologies
d’information et de communication ont opéré des transformations majeures dans
la manière avec laquelle une organisation est gérée. En réduisant les handicaps
géographiques, les TIC ont permis aux entreprises et à leurs employés de
107
construire des réseaux de collaboration trans-natioanux et de profiter
d’expertises, de savoirs et d’informations géographiquement dispersées, jadis
inaccessibles. Dans l’organisation, la technologie affecte la manière avec laquelle
le travail est fait. En effet, la mise en communication électronique de l’ensemble
des travailleurs permet de réduire les temps de travail, d’augmenter la
coopération et de transcender les barrières culturelles et fonctionnelles au
partage des informations et des connaissances. Au delà de cette fonction de
partage, les nouvelles technologies affectent le lieu du travail : les espaces de
travail deviennent de plus en plus virtuels et le travail à domicile devient une
nouvelle composante de la vie des organisations.
Les gestionnaires des ressources humaines voient dans les mutations
technologiques une opportunité réelle permettant de gérer autrement les
employés. Le système d’information ressources humaines, matérialisé par des
bases de données exhaustives sur les compétences et la valeur des individus, est
un outil précieux entre les mains des gestionnaires du personnel pour évaluer le
potentiel humain de l’organisation et permettre son évolution en fonction des
mouvements stratégiques de l’entreprise. Il permet également de repérer les
individus externes à l’organisation porteurs de connaissances stratégiques. Une
gestion efficace de cet outil autorise un meilleur management des recrutements
dans une époque marquée par une véritable guerre pour l’acquisition des talents
et des hauts potentiels. D’autre part, les TIC permettent l’intégration des
informations fonctionnelles dans des combinaisons originales et uniques. En
servant de support électronique pour la discussion et le dialogue, les TIC
participent au décloisonnement des silos et des poches d’informations. Il
demeure entendu que l’efficacité des outils technologiques est conditionnée par
la présence de valeurs culturelles et sociales de partage, de coopération, de
courage et de confiance (Von Krogh, 1998). Sans cette dualité sociotechnologique, il serait difficile d'imaginer un quelconque changement des
attitudes au travail.
I.1.1.2 Le rôle de la globalisation
La globalisation signifie entre autres la compression des contraintes spatiotemporelles pour les organisations. La présence globale des organisations a
certainement des bénéfices importants. Elle permet d’élargir le marché, d’offrir
des gammes de produits et de services variées et de réaliser des économies
d’échelles substantielles. Une présence globale requiert cependant des
compétences organisationnelles importantes. En effet, le premier souci est la
complexité des processus de coordination entre les différentes filiales et la
maison mère. Quel mécanisme de coordination faut-il mettre en place pour
veiller à la cohérence globale de la stratégie de l’entreprise tout en prenant en
considération les contingences locales de chaque filiale ? Egalement, la présence
globale requiert de gérer une main d’œuvre différente d’un pays à un autre.
Cette diversité est de nature à faire varier les pratiques de gestion des personnes
108
selon les spécificités sociétales de chaque pays. Un défi pour la GRH serait alors
de mettre en place des dispositifs variés tout en préservant une cohérence interne
(entre les différentes pratiques de gestion des personnes) et externe (avec la
stratégie locale adoptée par la filiale).
I.1.1.3 La nouvelle donne concurrentielle
Les transformations de la concurrence peuvent être analysées sur deux niveaux :
celui des facteurs de succès et celui de la vitesse avec laquelle ces transformations
prennent lieu. Ensemble, ils bouleversent les modes de concurrence en place. Les
facteurs de succès des stratégies de l’organisation ne sont plus les mêmes
aujourd’hui. Dans un environnement stable, les organisations excellent grâce à
leurs capacités à produire plus que les concurrents et à offrir des prix
concurrentiels. Aujourd’hui, la compétition des entreprises se fait surtout par
rapport aux ressources internes dont elles disposent. La régulation externe du
marché n’est plus le premier, voire le seul, déterminant du succès. Celui-ci se
mesure par la nature des ressources développées dans l’entreprise et des
compétences qu’elle construit. Afin de renforcer leurs positions compétitives sur
les marchés, les entreprises doivent se doter de compétences stratégiques
distinctives, c’est à dire des compétences que les concurrents ne peuvent imiter
ou développer. De telles compétences doivent être dynamiques et changeantes
(Teece, Pisano et Shuen, 1997). Parce que le positionnement des entreprises est de
plus en plus aléatoire et changeant, les compétences développées à l’interne
doivent être suffisamment flexibles pour autoriser un ajustement rapide et
efficace aux données externes. Pour l’organisation, ces exigences de
« compétences flexibles » appellent au développement des compétences et des
connaissances des employés pour faire face à ces deux impératifs. La compétence
de l’organisation, celle à caractère stratégique, se forme par la combinaison
originale et unique des apprentissages des individus et des ressources
technologiques (Hamel et Prahalad, 1990). Les individus doivent alors
développer des compétences à la fois spécifiques et génériques afin de pouvoir
intégrer leurs expertises avec celles de leurs collègues.
La concurrence change également de vitesse. Les modèles de compétition mis en
place par les entreprises ne sont plus les mêmes. Le facteur surprise fait
désormais partie intégrante de toute stratégie compétitive. De plus en plus
d’entreprises optent aujourd’hui pour des modèles de rupture qui opèrent des
changements radicaux dans leurs manières de produire et d’offrir leurs biens et
services. C’est par exemple le cas des entreprises qui changent leurs modèles
d’affaires du « business to business » au « business to consummer ». Des
changements aussi radicaux posent des défis énormes pour la gestion des
ressources humaines. Cette dernière doit être en mesure d’ancrer cette culture de
changement dans les valeurs des individus. Pareillement, toutes les pratiques de
GRH doivent être tournées vers cette capacité à changer rapidement et de
109
manière efficiente. Le design du travail doit par exemple intégrer des dimensions
de flexibilité et de changement. La politique de recrutement doit pouvoir
identifier les ressources externes susceptibles d’enrichir la dynamique interne
d’innovation et de changement. En outre, les plans de formation devraient
contribuer à l’amélioration des capacités d’innovation et à la promotion de
comportements de créativité et d’agilité chez tous les acteurs de l’organisation.
I.1.2. Les reconversions internes
Depuis le milieu des années quatre vingt, les organisations ont connu des
mouvements de transformation divers. Qu’il s’agisse du Business Process
Reeingeering, de la flexibilité organisationnelle, du management de la qualité
totale, de l’apprentissage organisationnel ou plus récemment du management
des connaissances ; les finalités ne sont pas différentes : assurer la nécessaire
adaptation de l’entreprise face aux mouvements et aux reconversions externes.
Nous synthétisons ces reconversions internes autour de deux moments forts : les
transformations des formes organisationnelles d’une part et l’apprentissage et le
changement organisationnel, de l’autre. Ces transformations, qui ont opéré au
niveau micro ont clairement contribué à la métamorphose des rôles de la gestion
des ressources humaines.
I.1.2.1 Métamorphose des formes organisationnelles
Dans leurs essais pour comprendre les transformations de la société de
l’information et du savoir, des auteurs comme Hamel et Prahalad (1996), Hitt et
al (1998) et Whittington et al (1999) avancent l’idée que les changements externes
induisent une véritable révolution des structures et des formes
organisationnelles. En effet, sous l’effet des nouvelles formes de concurrence et
des nouveaux impératifs stratégiques, les organisations ont tendance à adopter
de nouvelles structures et de nouvelles manières d’organiser le travail. De
nouvelles logiques de management apparaissent. La littérature sur les nouvelles
formes organisationnelles est hétérogène. Elle fait état de plusieurs nouvelles
formes d’organisation. Une telle variété revient au fait que les auteurs ne sont
pas concluants quant à la définition du concept de « forme organisationnelle ».
Reportant des études empiriques antérieures sur des nouvelles formes
d’organisation, Child et Mc Grath (2001) reconnaissent l’hétérogénéité de ces
formes. Ainsi, Clegg (1990) parle de l’organisation post-moderne. Volberda
évoque la firme flexible (Volberda, 1998) capable d’ajuster ses modes de
fonctionnement et de management aux transformations externes. Nohria et
Eccles (1992) s’intéressent à la firme en réseau, constituée d’unités ou de nœuds
dispersés et reliés via des relations d’échange et de coopération intensives.
Hedlund (1994) présente la firme en forme de N comme structure type de gestion
des connaissances explicites et tacites. Cette forme d’organisation s’appuie sur le
concept de combinaison et non de division des connaissances. Les équipes
110
temporaires et flexibles constituent la configuration de base du travail. La
communication est latérale et les frontières de l’entreprise sont floues et
autorisent un partage des connaissances avec les partenaires externes. Dans cette
même logique, Nonaka et Takeuchi (1995) parlent de l’entreprise créatrice de
savoir, celle qui permet l’innovation et l’apprentissage. Tarondeau et Wright
(1995) et Tarondeau (1998) s’intéressent à la transversalisation des structures.
C’est autour des processus et non les tâches traditionnelles que le travail se fait et
l’organisation crée de la valeur. Le contrôle hiérarchique disparaît et s’appuie
désormais sur les processus organisationnels. De manière générale, on peut
comprendre ces transformations comme le passage d’une forme d’organisation
hiérarchique, mécanique à une autre flexible et organique (Burns et Stalker,
1966). Un tel passage s’accompagne généralement par les mouvements suivants :
la mise en réseau de l’organisation avec son environnement externe,
l’amélioration de la collaboration avec les partenaires externes ; la flexibilité des
modes de travail avec des modèles de fonctionnement temporaires et autoorganisés ; la décentralisation des droits de décision en faveur de ceux qui
détiennent les connaissances et les informations stratégiques (Jensen et Meckling,
1992) ; l’amélioration des capacités d’adaptation de l’entreprise, car selon
Volberda (1996), dans l’ère de l’hyper compétition, les rentes ne proviennent pas
des routines spécialisées mais des capacités d’adaptation et enfin l’apparition de
nouvelles formes de gouvernance et de coordination du travail dans l’entreprise.
Les transformations des organisations affectent directement les modes
d’organisation du travail et les compétences nécessaires aux individus pour
accomplir leurs missions. En effet, dans les organisations traditionnelles et
mécaniques, la division du travail appelle à l’investissement dans des
compétences spécifiques et souvent élémentaires. Par contre, dans une
organisation organique, les individus doivent se doter de compétences en forme
à la fois spécifiques et génériques pour pouvoir s’adapter à tout changement
dans le travail. Les mutations touchent également la nature de la relation de
l’emploi (ou le contrat psychologique) dans l’entreprise. Les nouvelles formes
organisationnelles sont porteuses de nouvelles formes d’emploi basées sur le
partenariat et l’expertise. L’individu peut avoir des appartenances, et donc des
identités, organisationnelles multiples. Les carrières nomades sont encouragées à
travers la pratique de la mobilité externe, appuyée par des outils types comme le
bilan des compétences ou les schémas de redéploiement des métiers, etc. La
gestion des personnes se trouve ainsi soumise à de nouvelles tensions. Avec le
nouveau paradigme organique des organisations, la GRH est appelée à s’inscrire
dans la mouvance et l’adaptation continue.
111
I.1.2.2 L’apprentissage et le changement organisationnel
Dans un contexte d’hyper compétition, l’organisation doit s’inscrire dans la
mouvance et la rupture. Le changement et l’apprentissage s’imposent comme
deux capacités organisationnelles critiques susceptibles d’améliorer la
compétitivité et la performance de l’entreprise. Le changement organisationnel
suppose d’abord une capacité d’oublier les anciens repères et modes de
fonctionnement. Pour changer, l’organisation et les individus doivent apprendre
à désapprendre et à oublier. La phase d’oubli ou de destruction est suivie par
une phase de construction de nouvelles manières de faire et de penser dans
l’organisation. Le changement peut porter sur les structures, les modes de
gestion, la stratégie ou même sur quelques techniques élémentaires. C’est
pourquoi on reconnaît l’existence de deux modes de changement : incrémental et
radical. Le premier nécessite un apprentissage de type simple boucle ; le second
fait appel à l’apprentissage en double boucle (Argyris et Schon, 1978).
L’apprentissage en simple boucle modifie légèrement les modes de
fonctionnement dans l’organisation. Il conserve l’ordre établi. C’est ce que
Handy (1996) appelle le changement dans la continuité. Ce type de changement
stabilise l’ordre en place. Souvent d’ailleurs, il renforce les routines existantes en
permettant leur exploitation (March, 1991). Au contraire, l’apprentissage en
double boucle change en profondeur les modes de fonctionnement et de
raisonnement dans l’entreprise. C’est un apprentissage du type transformatif qui
permet de modifier les présupposés centraux et la théorie à l’usage dans
l’organisation en explorant de nouvelles manières de faire, d’agir et de penser.
Ce type d’apprentissage nécessite souvent un changement identitaire conséquent
et l’adoption de nouvelles valeurs et de nouveaux comportements. C’est
pourquoi il est plus difficile à réaliser et engendre des coûts exorbitants.
Dans une dynamique concurrentielle poussée, le changement en double boucle
s’impose comme impératif stratégique. Les changements incrémentaux, malgré
l’avantage de la faiblesse de leurs coûts, ne permettent pas de créer de nouvelles
stratégies et de « surprendre » les acteurs sur le marché. Toutefois, le
management efficace du changement consiste pour toute organisation à gérer la
tension entre l’apprentissage par exploitation et celui par exploration en trouvant
l’équilibre entre les deux extrémités (March, 1991). En des termes plus simples,
l’organisation est appelée à faire preuve à la fois de capacités de conservation et
de renouvellement ; de stabilité et de mouvement. Cet impératif paradoxal est
aujourd’hui visible dans les dispositifs de gestion des ressources humaines. Prise
entre les exigences de l’exploitation et celles de l’exploration, la GRH continue à
miser sur la loyauté des employés clefs afin de perpétuer les pratiques gagnantes
tout en recherchant des compétences extérieures permettant de voir autrement
les choses et de produire des connaissances différentes. D’autre part, le
changement organisationnel pose aux gestionnaires des ressources humaines la
question de la flexibilité des systèmes de gestion des hommes et leur capacité à
112
composer avec des stratégies renouvelées. Les gestionnaires des ressources
humaines sont également appelés à assurer la cohérence entre la stratégie de
compétition choisie par l’entreprise et le dispositif de GRH à mettre en place.
I.2 Une dimension stratégique confirmée
Les transformations des forces de l’environnement et le changement radical du
monde du travail ont exercé des forces d’entrain sur la fonction Gestion des
Ressources Humaines. Désormais, les organisations reconnaissent que la création
de valeur pour les actionnaires et les clients dépend des compétences, des
connaissances et des comportements de leurs ressources humaines et de leur
engagement et contribution à la vie de leurs organisations. Au regard des
multiples reconversions internes et externes, la gestion des ressources humaines
se trouve aujourd’hui dotée d’un rôle stratégique : contribuer à la performance et
la compétitivité de l’entreprise. Selon Ramlall, la contribution de la GRH à la
compétitivité de l’entreprise appelle à la gestion stratégique du capital humain,
la gestion des changements et des transformations, la gestion de l’infrastructure
et la gestion des contributions des individus (Ramlall, 2003). Dans le cadre de
l’analyse du rôle stratégique de la GRH, la revue Human Resource Management a
consacré un numéro spécial en 1997 pour identifier les principaux défis pour la
fonction GRH dans le 21ème siècle. L’idée défendue par l’ensemble des auteurs est
que la GRH est en train de connaître une transformation allant du sens
administratif vers le rôle stratégique (Ulrich, 1997), avec pour corollaire la
nécessité de gérer une main d’œuvre hautement qualifiée dans une organisation
sans frontières et des contrats psychologiques différents et différenciés. De plus
en plus de recherches empiriques viennent conforter cette conviction selon
laquelle la GRH est une source précieuse d’avantage compétitif durable sur le
marché. D’ailleurs, c’est autour de ces recherches que le champ émergent du
management stratégique des ressources humaines se constitue et se renforce
aujourd’hui. L’examen de la littérature portant sur la GRH montre une
intensification des recherches dans cette direction : comprendre et (surtout)
mesurer le rôle stratégique de la gestion des ressources humaines.
Rappelons ici que l’objectif de ce chapitre est de construire une approche
théorique au rôle de la gestion des ressources humaines dans les processus de
knowledge management. Le rôle de levier attribué à la GRH dans ce cadre
construit explicitement sur cette acception « stratégique » de la GRH. Une
conception qui considère que les dispositifs de gestion des personnes sont
générateurs de valeur et de performance pour l’organisation et ses employés.
C’est pourquoi nous jugeons utile à ce niveau de nous arrêter sur la dimension
stratégique du MRH, d’analyser ses versants théorique et pratique et d’apprécier
sa pertinence pour la problématique soulevée dans le cadre de cette recherche.
113
I.2.1 Management stratégique des RH et approche par les ressources (RBV)
Le management stratégique des ressources humaines s’est développé autour de
l’idée que les ressources humaines ainsi que la manière dont elles sont gérées
constituent une source d’avantage concurrentiel pour l’entreprise. Il opère une
rupture fondamentale avec la perception traditionnelle de la GRH dans le sens
où il analyse les ressources humaines de l’entreprise dans une perspective
d’investissement rentable et non de coûts à comprimer. Ce nouveau champ de
recherche, soutenu par des signaux forts émanant des entreprises les plus
modernes, s’intéresse aux mécanismes par lesquels la GRH serait en mesure
d’influer sur la performance et la compétitivité de l’entreprise. Il convient de
noter que le MSRH s’est établi aujourd’hui comme champ de recherche
prometteur dans le domaine des sciences de gestion avec un agenda de recherche
particulièrement intéressant. Toutefois, et en dépit de cette importance, l’examen
des travaux actuels montre qu’il n’existe pas de consensus sur la définition même
du management stratégique des ressources humaines. C’est l’une des raisons
pour laquelle des problèmes de conceptualisation importants se posent devant
les chercheurs et empêchent l’émergence d’une théorie du MSRH. En dépit de
cette lacune, il est possible de présenter les principales définitions suivantes
retenues dans la littérature.
Wright et McMahan (1992) étaient les premiers à proposer une définition claire
du management stratégique des ressources humaines. Selon ces auteurs, le
MSRH regroupe l’ensemble des activités et des déploiements des RH afin de
permettre à l’organisation d’atteindre ses objectifs. Une telle définition ne permet
pas cependant de voir le niveau de contribution de la GRH aux objectifs de
l’entreprise (objectifs opérationnels, tactiques, stratégiques…). Snell, Youndt et
Wright (1996) sont plus précis et définissent le MSRH comme l’ensemble des
systèmes implantés par l’organisation afin de construire un avantage compétitif
durable à travers les hommes. Cette définition met l’accent sur deux éléments.
D’abord la notion de système organisationnel vient montrer que les pratiques de
GRH doivent être intégrées dans un système cohérent qui regroupe d’autres
fonctions et activités non classiques (design du travail, communication,
construction de relations, apprentissage et gestion des transformations). Ensuite,
les auteurs définissent le niveau de contribution de la GRH à la compétitivité de
l’entreprise. Selon cette définition, la GRH est un facteur de compétition durable
pour l’entreprise. C’est donc une capacité critique qu’il convient de construire et
de maintenir.
Ulrich et Lake (1991) adoptent une autre logique en définissant le MSRH comme
le processus qui relie les pratiques de gestion des ressources humaines à la
stratégie d’ensemble de l’organisation. Le concept stratégique est ici défini non
pas en relation avec l’avantage compétitif, mais en rapport avec la stratégie
114
concurrentielle suivie par l’entreprise. Alors que les définitions précédentes
parlent de la notion de système et de cohérence interne (alignement horizontal)
entre les différentes pratiques de GRH, Ulrich et Lake (1991) s’intéressent à la
cohérence externe entre les pratiques de GRH et la stratégie de l’entreprise
(alignement vertical). Une telle différenciation entre alignement horizontal et
vertical marque actuellement la littérature en MSRH. Elle constitue même un
point de divergence entre les auteurs et ne permet pas l’émergence d’une vision
intégrée de ce qu’est le management stratégique des ressources humaines. Ulrich
et Lake (1991) reconnaissent l’existence de ces divergences, mais rappellent que
les deux approches s’inscrivent dans un cadre stratégique puisque leur finalité
est de montrer la contribution de la GRH à la réussite de l’organisation.
Plusieurs recherches ont pris en analyse la relation entre les dispositifs de gestion
des ressources humaines et la compétitivité de l’entreprise en s’appuyant sur les
postulats de l’approche par les ressources. Cette approche qui domine
aujourd’hui la recherche en management stratégique stipule que la compétitivité
de l’entreprise n’est plus le produit d’un positionnement externe efficace ou
d’une analyse méticuleuse de l’industrie et de l’environnement, mais plutôt le
résultat des ressources et des compétences internes (Wernerfelt, 1984). C’est
Barney (1991) qui explique les conditions de la formation de l’avantage
compétitif sous l’approche par les ressources. En effet, pour être stratégiques, les
ressources et les compétences doivent être de valeurs, rares, inimitables et non
substituables. Pour plusieurs auteurs, ces conditions n’existent que chez les
ressources humaines de l’entreprise. En centrant l’analyse sur les ressources
humaines, l’approche par les ressources a servi de substrat théorique important
au développement des recherches en management stratégique des ressources
humaines (Mc Mahan, Virick et Wright, 1999 ; Wright, Dunford et Snell, 2001).
L’utilisation de l’approche par les ressources comme cadre de référence pour la
recherche en MSRH s’est faite aux deux niveaux théorique et empirique.
Théoriquement, Wright et McMahan (1992) et McMahan, Virick et Wright (1999)
ont insisté sur la nécessité pour les recherches en MSRH de s’appuyer sur les
hypothèses de l’approche par les ressources et notamment les quatre conditions
de formation de l’avantage compétitif énoncées par Barney (1991). A titre
d’exemple, Wright, McMahan et McWilliams (1994) s’appuient sur les travaux de
Barney et avancent que les pratiques de GRH ne peuvent constituer une source
d’avantage compétitif durable, puisque toute pratique individuelle (recrutement,
compensation, développement) peut être facilement imitée par les entreprises
concurrentes. Ce qui peut être à l’origine de l’avantage compétitif, soutiennent
ces auteurs, c’est le capital humain de l’entreprise qui doit disposer de
compétences uniques et faire preuve d’engagement et de motivation afin de
contribuer significativement à la production de l’entreprise. Le travail, désormais
classique, de Lado et Wilson (1994) stipule le contraire en mentionnant que les
115
systèmes de GRH qui regroupent dans une combinaison unique l’ensemble des
pratiques de gestion des personnes, peuvent être difficilement imitables et
causalement ambigus pour les concurrents. Ils constituent ainsi une source de
compétitivité en agissant directement sur les compétences organisationnelles. Les
auteurs en MSRH stipulent que les pratiques individuelles ne peuvent pas
améliorer les compétences des individus et de l’organisation. Ils proposent de les
regrouper dans des systèmes cohérents permettant de dégager des effets de
synergies et de complémentarités entre les différentes pratiques. Les effets
d’interdépendance entre les éléments du système accroissent son ambigüité pour
les concurrents et renforcent son inimitabilité. Ils peuvent ainsi constituer une
source de démarcation par rapport aux concurrents (Snell, Youndt et Wright,
1996 ; Ferris et al, 1999). Dans une logique architecturale, Lepak et Snell (1999 ;
2003) proposent que le capital humain de l’entreprise n’est pas homogène et qu’il
existe des différences entre les employés et ce, au regard de la valeur et l’unicité
de leurs compétences. Ils élaborent ainsi quatre types de capital humain avec
pour chacun des modes d’emploi et de gestion associés. Pareillement, il faut
noter qu’une attention particulière a été portée aux comportements des individus
comme élément indépendant du MSRH. En effet, ce sont les individus et non les
organisations qui possèdent le capital humain (Legnik Hall et Legnik Hall, 2003).
L’avantage compétitif dépend donc de la volonté des individus de s’engager
dans des comportements coopératifs et productifs. Les comportements
discrétionnaires des individus ou encore la décision de contribuer (March et
simon, 1958) sont influencés par les systèmes de GRH mis en place. Ceci montre
que dans le MSRH, il y a une interdépendance entre trois composants clefs : les
systèmes de GRH, le capital humain de l’entreprise (en termes de connaissances
et de compétences) et enfin les comportements discrétionnaires des individus.
La relation entre ces trois variables est apparente dans le modèle des ressourcescompétences utilisé par Kamoche (1996). En se basant sur la définition des
capabilités comme le déploiement efficace des ressources, il conclut que
l’interaction des ressources (capital humain de l’entreprise) et des capabilités
(Systèmes de gestion des personnes) contribue à la formation des compétences
RH qui seraient source d’avantage compétitif durable si elles sont alignées sur les
compétences centrales de l’entreprise.
Au delà des aspects théoriques du MSRH, l’approche par les ressources a servi
de support pour plusieurs recherches empiriques qui ont essayé d’analyser la
relation entre les dispositifs de gestion des personnes et la création d’avantage
compétitif durable pour l’entreprise. A titre d’exemple, Swierez et Spencer (1992)
ont analysé la relation entre les pratiques de GRH et l’avantage compétitif de
Delta Airlines. En s’appuyant sur le modèle des quatre conditions de Barney
(1991), ils ont trouvé que le système de GRH de l’entreprise a contribué à la
création d’un capital humain de valeur, rare, inimitable et non substituable. Pour
116
sa part, Paauwe (1996) a étudié la relation entre les systèmes de GRH et la
compétitivité des entreprises aux Pays-Bas. Il a conclu que les modèles qui se
basent sur l’approche par les ressources sont prometteurs pour les stratégies des
entreprises à partir du moment où ils considèrent la centralité des compétences
et des capabilités des ressources humaines plutôt que celle des traditionnels
couples produits/marchés.
D’une manière définitive, l’approche par les ressources a servi de base théorique
pour le management stratégique des ressources humaines. La littérature
théorique et empirique stipule que l’avantage compétitif est souvent le fruit de
l’interaction entre les systèmes de pratiques de GRH complémentaires et le
capital humain détenu par les individus. Une attention particulière doit
également être portée aux comportements des individus qui doivent s’inscrire
dans la ligne stratégique de l’entreprise. L’examen de la littérature montre que la
gestion des ressources humaines peut être un facteur de construction de
compétences stratégiques (Hamel et Prahalad, 1990), de capacités dynamiques
(Teece, Pisano et shuen, 1997) et de développement du knowledge management
(Liebeskind, 1996 ; Yahia et Goh, 2002). L’importance stratégique des modes de
gestion des personnes est ainsi irréversiblement établie.
I.2.2 Différentes approches à l’étude du rôle stratégique de la GRH
Selon des perspectives parfois très différentes, plusieurs chercheurs ont essayé de
montrer que la gestion des ressources humaines influence positivement la
performance de l’entreprise. L’idée défendue dans ce cadre stipulait que des
pratiques de GRH particulières pourraient influencer positivement la
performance de l’entreprise (financière, sociale et opérationnelle). Cette relation
est cependant indirecte. Il existe selon les auteurs du MSRH une véritable « boîte
noire» dans cette relation entre GRH et performance. Un « black Box » qui joue le
rôle de liant, de variable intermédiaire entre ces deux construits. L’examen des
recherches faites sur cette question montre l’absence d’unanimité sur la nature de
cette variable intermédiaire. On s’accorde cependant à dire qu’il s’agit bel et bien
d’une dimension comportementale, renvoyant souvent aux questions de
satisfaction, d’engagement et de motivation des employés. Mais l’absence
d’unanimité touche également les deux variables « hard » de cette relation.
Quinze ans après les premiers écrits sur la question, les auteurs ne parviennent
pas à stabiliser théoriquement le construit de « GRH orientée vers la
performance » et celui de « performance ». L’examen des principaux travaux
dans ce cadre laisse montrer une panoplie de définitions et de choix
d’opérationnalisation faits par les auteurs (voir la figure 3.2). Une telle
« cacophonie » réduit considérablement les chances de voir émerger
prochainement une théorie solide et efficace du MSRH (Boselie, Dietz et Boon,
2005).
117
Généralement, ces recherches sont groupées autour de trois approches :
universaliste, contingente et configurationnelle. L’approche universaliste suggère
l’existence de meilleures pratiques de GRH qui améliorent la performance
financière de l’entreprise et ce, indépendamment de la stratégie suivie par
l’entreprise (Huselid, 1995 ; Delery et Doty, 1996). Les travaux regroupés dans
cette catégorie ne sont pas unanimes quant au nombre et à la nature des
meilleures pratiques en question. L’approche contingente (Arthur, 1994 ; Dyer et
Reeves, 1995 ; Jackson et Schuler, 1995 ; Youndt, Snell, Dean et Lepak, 1996)
établit un lien entre les systèmes de pratiques de GRH et les stratégies suivies par
les organisations. Schuler et Jackson (1987) affirment à cet effet que les pratiques
de GRH incompatibles avec la stratégie de l’entreprise risquent de nuire à la
performance de l’organisation. L’approche configurationnelle stipule, quant à
elle, que c’est le mode d’agencement (ou la configuration) des pratiques de GRH
qui permet d’atteindre une position compétitive. Selon cette approche, il existe
certains systèmes de GRH idéaux-types qui permettent à la fois l’alignement
interne (cohérence entre les pratiques de GRH dans un même système) et externe
(la cohérence du système avec la stratégie de compétition de l’entreprise).
Encore, il n’existe pas de consensus sur la nature de ces systèmes et leurs
composants. Dans la littérature, on retrouve les systèmes de RH centrés sur la
performance, sur l’engagement ou encore sur l’apprentissage.
Figure 3.2- GRH, performance et « black Box »
Pratiques de GRH
- Recrutement/ sélection
- Planification des RH
- Récompenses
- Management des
performances
- Participation/ consultation
- Décentralisation de la prise
de décision
- Formation/ développement
des compétences
- Opportunités de promotions
internes
- Autonomie développée
- Procédures formelles
- Coaching
Black Box
Performance
- Satisfaction des RH
- Motivation des RH
- Rétention des employés
(réduction du turnover
volontaire)
- Discipline et présence des
employés
- climat organisationnel
favorable (confiance, soutien
du supérieur hiérarchique,
soutien des collègues)
- Implication et engagement
organisationnels
- Loyauté envers
l’organisation.
- Profit
- Valeur au marché
- Part de marché
- Augmentation du chiffre
d’affaires
- Productivité
- Qualité des produits/
services
- Satisfaction des
consommateurs
- Innovation/
développement de
nouveaux produits et
services
- Investissements futurs.
- Evaluation des
performances au mérite.
Sources : Huselid ((1995), Paauwe et richardson (1997) et Boselie et al., (2005).
118
Section II : Le management des connaissances comme nouvel enjeu
pour la GRH : repérage des liens
II.1 Le lien GRH- knowledge management : les fondements théoriques
La proposition d’un modèle de recherche qui établit un lien de causalité entre la
GRH et la gestion des connaissances passe sans doute par la clarification des
fondements théoriques de l’option. La question qui se pose à ce niveau est la
suivante : Sur quelles bases théoriques peut-on légitimer la modélisation d’une
telle relation ? Or, une bonne partie de la réponse a été développée dans la
section précédente avec la mise en relief du rôle stratégique de la GRH. Pour
compléter cette analyse, nous tenterons de clarifier davantage les soubassements
théoriques possibles à cette relation. Deux perspectives théoriques sont alors
retenues et leurs apports pour la question étudiée mis en évidence : l’approche
par le management stratégique et l’approche comportementale. Ces deux
approches doivent être vues dans leur complémentarité pour saisir leur
contribution à la question étudiée.
II.1.1 Le management stratégique comme fondement théorique
Le management stratégique peut être défini comme le champ disciplinaire
relevant des sciences de gestion qui s’intéresse aux stratégies des entreprises et à
l’analyse de leurs politiques de développement. Il recouvre plusieurs
problématiques d’actualité comme la formation de l’avantage concurrentiel, les
types de stratégies, l’apprentissage organisationnel, l’approche par les
ressources, les connaissances et les compétences, etc.
L’approche par les ressources et celle par les connaissances figurent aujourd’hui
comme deux principales théories qui inspirent les recherches les plus récentes
dans ce domaine. Les deux stipulent que la formation de l’avantage concurrentiel
de l’entreprise se fait en interne, à travers la mobilisation d’une combinaison
originale, inimitable et performante de ressources humaines, technologiques,
managériales, etc. L’autre point de rencontre est que les deux placent les
ressources humaines de l’entreprise au centre des mécanismes de
développement de l’organisation. L’idée peut être présentée de la manière
suivante : les organisations se différencient grâce à leurs connaissances et
compétences distinctives. Or, seules les RH sont en mesure de développer cette
forme de « capabilité » stratégique. Nous nous trouvons ainsi dans un paradigme
stratégique qui relie explicitement la nature et la valeur des RH de l’entreprise à
sa capacité à innover, à apprendre et à renforcer ses niveaux de performance. Par
voie de conséquence, cela met en lumière l’importance des dispositifs de gestion
des ressources humaines dans le développement des connaissances et des
119
compétences de l’entreprise. Cette assertion théorique a eu pour conséquence de
provoquer plusieurs recherches qui ont eu pour objectif de démontrer la
contribution de la GRH aux mécanismes de développement des compétences
distinctives des organisations. Parce que la réalisation de l’avantage compétitif
passe par la promotion d’un capital humain unique et de valeur (Lepak et Snell,
1999), la gestion des ressources humaines se trouve fortement interpellée par ce
nouvel impératif stratégique. C’est dans cet esprit que Lengnick-Hall et
Lengnick-Hall (2003) identifient la gestion des connaissances comme
préoccupation future et centrale des gestionnaires des ressources humaines et
l’inscrivent dans leur agenda stratégique. Parce que la gestion des connaissances
fait intervenir les individus créateurs et porteurs de cette connaissance, les
moyens de développer ces individus et de les amener à créer, partager et mettre
en application des connaissances sont importants pour toute démarche réussie.
L’approche du management stratégique renseigne essentiellement sur la
contribution de la GRH aux processus de création et d’utilisation des
connaissances. Sur ce plan, certains travaux ont montré comment la GRH est
susceptible de développer les capacités d’innovation de l’entreprise. En effet,
dans une recherche récente portant sur les pratiques de GRH dans vingt-deux
entreprises britanniques, Shipton et al. (2006) ont montré que certaines pratiques
de GRH influencent positivement les capacités d’innovation et d’exploration de
nouvelles connaissances par les membres de l’entreprise. Selon cette recherche, la
formation, l’induction, le travail en équipe, l’évaluation du personnel et les
pratiques de travail focalisées sur l’expérimentation sont autant de « nouvelles »
pratiques de GRH censées développer la capacité innovatrice de l’organisation.
Leurs résultats stipulent même que la présence ou l’absence de ces pratiques
explique les disparités inter-entreprises observées en matière d’innovation
technologique et de développement de nouveaux produits. C’est dire ici
l’importance que revêtent ces pratiques dans l’équation de la performance
organisationnelle.
II.1.2 La perspective comportementale comme fondement théorique
En sciences de gestion, la perspective comportementale a servi de fondement
théorique à plusieurs recherches, notamment celles relevant du domaine du
comportement organisationnel. Elle a permis d’investiguer des questions de
recherche aussi importantes et diverses que l’absentéisme du personnel, la
motivation, la satisfaction au travail, l’engagement organisationnel, la confiance,
le comportement de citoyenneté organisationnelle, la perception de la justice, les
comportements coopératifs, les comportements discrétionnaires, les
comportements extra-rôles, etc. Elle est, par ailleurs, largement sollicitée dans les
recherches sur le management des ressources humaines. Le modèle de base en
management stratégique des RH montre en effet que l’influence de la GRH sur la
performance de l’entreprise est opérée de manière indirecte. La GRH
120
influencerait ainsi les comportements du personnel, ce qui devrait créer les
conditions organisationnelles favorables à la performance. Intégrée dans une
problématique de gestion des connaissances, l’approche comportementale est
fort intéressante. Elle permet notamment de comprendre les mécanismes de
partage et de transfert des connaissances. Ces mécanismes, comme le soutient
Szulanski (1996) sont foncièrement comportementaux. En effet, le partage des
connaissances entre les membres de l’entreprise appelle à la mobilisation de
comportements positifs comme la coopération, la confrontation constructive,
l’ouverture d’esprit, la reconnaissance de l’autres, etc. (Jaw et Liu, 2003). La
mobilité « intellectuelle » est également une compétence comportementale
fortement prisée chez les travailleurs du savoir. Elle signifie l’engagement des
employés envers les activités d’apprentissage. Cela peut se faire par rapport à
leurs métiers ou à des activités transversales, associées à d’autres métiers
organisationnels. La perspective comportementale éclaire également l’activité de
création des connaissances. En effet, selon Nonaka et Takeuchi (1995), le
processus de création des connaissances dans les entreprises s’appuie
essentiellement sur l’échange et l’interaction intensifs entre les membres d’un
groupe. Dans l’échange, de nouveaux concepts naissent, des idées se croisent et
le groupe, arrivé à la phase de maturité, devient en mesure de stabiliser sa
« production intellectuelle » et de faire émerger une connaissance collective. Une
telle considération met certainement l’accent sur l’importance des dispositifs
d’organisation du travail et des qualités de direction et de leadership chez les
leaders des équipes. Mais elle renvoie aussi à l’importance des processus
interpersonnels qui sont à l’œuvre dans ce genre de groupes de travail (équipes
de projets ou de développement de nouveaux produits). Ces processus
s’expriment généralement en termes de comportements au travail. Il s’agit de
comportements positifs qui peuvent être à l’issue d’une performance supérieure
comme la créativité, la discipline, la motivation, l’engagement et l’apprentissage.
Il est aussi possible d’imaginer la situation contraire, celle que les organisations
rejettent et cherchent à éviter à tout prix. On peut ainsi imaginer une situation où
les « valeurs» de l’évitement du risque, de l’apathie intellectuelle, de l’hostilité
interpersonnelle et du statuquo dominent la scène de l’organisation. Dans pareil
« modèle comportemental », il n’est pas possible de parler de gestion des
connaissances. Cette dernière, par essence dynamique et foncièrement
interpersonnelle, ne se développe pas dans ce genre d’univers organisationnel.
Elle prend lieu dans des contextes organisationnels favorables à l’émergence de
comportements positifs au travail. Or, c’est la GRH qui semble aujourd’hui en
pleine mesure de favoriser ce genre de situations.
Nous retiendrons de cette brève analyse que l’intégration du management des
connaissances dans une problématique de GRH est une option qui s’adosse à des
fondements théoriques rigoureux. Ensemble, le champ du management
stratégique et l’approche comportementale (relevant du champ du
121
comportement organisationnel) fournissent un cadre théorique adéquat
permettant une analyse conceptuellement fondée de cette relation.
II.2 La contribution de la GRH au management des connaissances : une
lecture « ciblée » de la littérature
Il existe plusieurs raisons qui soutiennent la contribution de la GRH au
management des connaissances. D’abord, comme nous l’avons souligné dans les
deux premiers chapitres de cette thèse, la connaissance est profondément ancrée
dans les expériences des individus et leurs rapports et transactions sociales. De
ce fait une attention particulière doit être accordée aux modes de structuration de
l’entreprise, à sa culture et aux modes de gestion des hommes comme éléments
de structuration et de développement des connaissances. D’autre part, la gestion
des connaissances intègre directement les efforts de la GRH dans le processus de
création de valeur. Il est aujourd’hui reconnu que les modes de gestion des
hommes sont à l’origine de la création et de l’accumulation de valeur pour les
entreprises. Ceci rapproche les finalités de la GRH et de la gestion des
connaissances. Par ailleurs, la GRH peut contribuer aux transformations
organisationnelles induites par la mise en place d’une politique de gestion des
connaissances. Elle saurait prendre en charge les diverses mutations structurales
et culturelles, la transformation du travail et l’orientation vers de nouveaux
processus. Elle assurera de ce fait pleinement son rôle de partenaire stratégique
(Ulrich, 1998). Enfin, selon Lengnick-Hall et Lengnick-Hall (2003), la GRH est
l’unique fonction de l’organisation qui soit en mesure d’intégrer les multiples
éléments intervenant dans la mise en place d’une gestion des connaissances
(technologies, individus, cultures, design du travail..). « Les individus fournissent
en effet la plateforme nécessaire à l’intégration des idées et des actions à travers
l’organisation. » (Lengnick-Hall et Lengnick-Hall, 2003 :93).
La contribution de la gestion des ressources humaines au management des
savoirs de l’organisation fait partie de ses nouvelles préoccupations stratégiques.
Il n’en demeure pas moins que c’est une mission délicate qui représente un défi
réel pour les praticiens de la fonction. En effet, la gestion des connaissances est
un projet organisationnel qui vise à organiser l’entreprise autour de sa richesse
immatérielle. Ceci appelle à une rupture totale avec l’ancien paradigme physique
de l’organisation et les modes de gestion qui lui sont associés. La dynamique de
la gestion des connaissances va introduire des transformations, parfois radicales,
dans tous les sous-systèmes de l’organisation : la culture, le travail, la
technologie, les rapports interpersonnels…etc. L’enjeu est de taille pour la GRH
qui doit intégrer tous ces éléments dans son rôle de facilitateur de la gestion des
connaissances. Ceci appelle en effet à concevoir une GRH transversale qui
dépasse ses frontières classiques avec un souci d’intégrer de nouveaux rôles et de
nouvelles fonctions. Egalement, ce sont toutes les pratiques de gestion des RH
122
qui doivent évoluer dans l’objectif d’autoriser une gestion efficace du capital
immatériel de l’organisation. Enfin, ce sont les compétences et les connaissances
des DRH qui seront appelées à évoluer de manière à pouvoir assurer pleinement
les nouvelles responsabilités. De manière plus précise, les gestionnaires des
ressources humaines doivent acquérir des compétences en forme de T, c’est à
dire des compétences spécialisées assez profondes et des connaissances
génériques permettant d’ouvrir leur champ cognitif et de comprendre le
fonctionnement des autres systèmes de l’organisation.
En effet, le poids des ressources humaines dans la gestion des connaissances ne
cesse de provoquer l’intérêt des chercheurs. Plusieurs contributions viennent en
effet rappeler l’importance des dispositifs de gestion des ressources humaines
dans le développement des compétences organisationnelles en matière de
knowledge management. A cet effet, Lengnick-Hall et Lengnick-Hall (2003)
considèrent que la gestion des ressources humaines joue aujourd’hui un rôle de
facilitateur pour les processus de gestion des connaissances. A travers des
politiques et des activités de gestion des personnes spécifiques, la GRH pourrait
stimuler l’œuvre de création, de partage et d’utilisation des connaissances. Le
tableau 3.1 retrace d’une manière générale les principales contributions de la
GRH au management des connaissances telles que définies par les deux auteurs.
Tableau 3.1-GRH et processus de gestion des connaissances
Processus
Définition
Activités RH
Création/ acquisition
Acquérir la connaissance exigée par
l’organisation en l’achetant ou en la
développant en interne (make or buy)
* Identifier les sources de
connaissances
disponibles
et
potentielles
* Servir d’intermédiaire dans
l’acquisition des connaissances
Codification
Expliciter les connaissances tacites et
locales afin de faciliter leur partage
dans l’organisation
* Identifier les connaissances à
codifier
Distribution
Rendre les connaissances accessibles à
ceux qui veulent et peuvent l’utiliser
* Construire des systèmes de
partage des connaissances centrés
sur les individus.
* Former les utilisateurs au partage
et
à
la
distribution
des
connaissances
Utilisation
La connaissance est appliquée dans la
résolution des problèmes et la
création de nouvelles idées.
* Récompenser
connaissances
Source : Lengnick-Hall et Lengnick-Hall (2003:93).
123
l’utilisation
des
Force est de constater cependant que le travail de Lengnick-Hall et Lengnick-Hall
reste générique et n’éclaire pas vraiment sur la nature des dispositifs de gestion
des ressources humaines à mobiliser dans le cadre du knowledge management.
Ceci d’autant plus que certaines propositions avancées par les auteurs ne
relèvent pas explicitement des compétences de la fonction GRH. Par ailleurs, il
est utile, pour les besoins de ce chapitre, de faire une recension aussi complète
que possible des travaux de recherche sur cette question. Ainsi, une revue ciblée
de la littérature a été opérée. Une telle revue de la littérature s’est basée de
manière principale sur des contributions dans le domaine de la GRH pour
apprécier les modalités d’intégration du knowledge management dans ce genre
de problématiques. La première idée qui se dégage est la multiplicité des
approches pouvant servir de base à l‘analyse du rôle de la GRH dans la gestion
des connaissances.
La revue ciblée de la littérature montre la présence d’au moins cinq perspectives
théoriques qui ont proposé une analyse du rôle de la GRH dans la gestion des
connaissances. Ces approches sont : l’approche des meilleures pratiques,
l’approche de la congruence, l’approche « kowledge work », l’approche sociale et
l’approche par l’apprentissage. Il y a lieu de mentionner que cette richesse
d’approches doit être comprise dans la complémentarité. Les différentes
approches ne doivent pas être vues comme étant mutuellement exclusives. Bien
au contraire, leurs apports sont synergiques. Mais en dépit de cette importance,
certaines approches serviront plus que d’autres l’esprit d’analyse de cette
recherche. C’est ainsi que l’approche congruence et l’approche meilleures
pratiques ne seront pas considérées dans le modèle théorique que nous
développerons dans la prochaine section. Ces deux approches demeurent
toutefois importantes dans le cadre d’autres recherches. C’est pour cela qu’elles
seront prises en analyse dans cette revue de la littérature.
II.2.1 L’approche des meilleures pratiques : « l’universalité » de la GRH
Cette approche promeut une vision universalisante de la gestion des ressources
humaines. Elle s’inscrit en toute logique dans le courant qui rejette les spécificités
organisationnelles et contextuelles pour offrir une lecture homogénéisante des
pratiques de GRH. La philosophie d’une telle approche est qu’il existe un one
best way, une seule et unique vérité, manière de faire quand il s’agit
d’organiser le travail des personnes dans l’entreprise.
Concernant la relation avec le knowledge management, la perspective des
meilleures pratiques stipule qu’il est possible de mettre en œuvre des pratiques
de GRH censées développer l’engagement des employés. Une illustration de
cette approche peut être vue dans le travail de Nonaka et Takeuchi (1995) qui
pensent qu’il est possible de définir un certain nombre de pratiques de GRH
124
applicables de manière universelle dans tous les types d’organisations, y compris
celles fondées sur le savoir. Cette approche promeut donc une vision selon
laquelle il ne serait ni nécessaire, ni souhaitable de « confectionner » des
pratiques spécifiques de GRH pouvant améliorer les capacités de gestion des
connaissances de l’entreprise. En dépit de l’engouement qu’elle suscite chez les
managers, l’approche des meilleures pratiques demeure largement critiquée.
D’abord, et compte tenu du nombre important des meilleures pratiques dans la
littérature, on se demande lesquelles faut-il retenir ? Devant cette prolifération
cacophonique, peut-on d’ailleurs encore parler de « meilleures » pratiques ?
Ensuite, l’absence de toute considération du contexte organisationnel (la stratégie
de l’entreprises, ses capacités dynamiques, la culture de l’entreprise, les
spécificités des projets organisationnels) doit être regardée comme une question
profondément problématique. En outre, les meilleures pratiques ne peuvent
jamais s’appliquer de la même manière dans toutes les entreprises. L’exemple
des cercles de qualité est illustratif. Cette innovation nippone n’a pas été
introduite de la même manière au Japon qu’aux Etats-Unis, en France ou en
Tunisie. Les différences constatées dans le succès d’implantation de ces
initiatives témoignent de la présence de facteurs contextuels facilitateurs ou, au
contraire, inhibiteurs. Ainsi, les pratiques de GRH ne sont jamais bonnes ou
mauvaises dans l’absolu. Leur contexte d’application est fondamental pour
comprendre leur mise en œuvre.
Au bout de cette brève analyse, il en ressort principalement que l’approche des
meilleures pratiques ne semble pas en mesure de fournir des arguments
puissants en faveur d’une GRH orientée vers la gestion des connaissances. Le
fondement universaliste qu’elle promeut ne permet pas de prendre en
considération les spécificités des pratiques de création, de partage et de mise en
œuvre des connaissances dans l’entreprise.
II.2.2 L’approche de la congruence : stratégies de savoir et stratégies de GRH
Développée par des chercheurs de Harvard Business School, l’approche
congruence prend en contre-pied les approches universalistes. Elle s’appuie en
bonne partie sur les principes du « fit » pour proposer une vision où le « système
de GRH » à mettre en place doit s’aligner sur la « stratégie de savoir » suivie par
l’entreprise. Cette approche stipule aussi que la GRH et le knowledge
management doivent s’appuyer sur la stratégie de l’entreprise. Elle peut être
schématisée de la manière suivante.
Figure 3.3- L’approche de la congruence : le modèle de base.
Stratégie globale de
l’entreprise
Stratégie de gestion
des connaissances
125
Système de GRH
adéquat.
Dans la logique de Hansen et al. (1999), il peut exister deux grandes stratégies de
savoir : la codification et la personnalisation. L’intérêt d’une telle distinction est
que chacune de ces options s’appuie sur une logique particulière de gestion des
ressources humaines. Les organisations qui utilisent la stratégie de codification
valorisent le savoir explicite, codifié, quantifié et stocké dans les bases de
données organisationnelles. Ce genre de stratégie valorise aussi la culture de
l’écrit, la traçabilité et la transmission des connaissances dans des supports
physiques, visibles et facilement accessibles. C’est pour cette raison qu’elle
s’appuie sur une utilisation intensive des technologies de l’information et de la
communication. Intranets, portails d’entreprise, corporate yellow pages, annuaires
électroniques, retours d’expériences sont autant d’outils et de mécanismes de
codification et de « réutilisation » du savoir mis en œuvre par les organisations
optant pour la stratégie de codification. La stratégie de personnalisation se
focalise sur le savoir tacite. Ce genre de stratégie valorise les modes de
transmission des connaissances basés sur l’échange et la communication face-àface. Dans cette perspective, la connaissance est définie comme relevant
fondamentalement d’un processus de construction sociale. L’interaction
intensive, la proximité physique, les réseaux sociaux y sont autant de moyens
autorisant un partage efficace des savoirs dans l’organisation.
Les auteurs estiment que les organisations choisissent généralement l’une ou
l’autre de ces stratégies, rarement les deux. Les implications pour la GRH sont
fortes. Les pratiques changent quand on passe d’une stratégie à une autre. Il y
aurait ainsi deux stratégies types de GRH selon Hansen et al. (1999). Le tableau
suivant reprend rapidement les implications des deux stratégies pour la GRH.
Tableau 3.2- Stratégies de savoir et stratégies de GRH
Stratégie de codification
Stratégie de personnalisation
Usage des TIC
Usage intensif des TIC.
Usage réduit des TIC
Le recrutement
- recruter des employés capables de
codifier leurs connaissances et de
réutiliser le savoir.
- recruter des individus qui tolèrent l’ambigüité
et qui préfèrent la résolution des problèmes.
La formation
- former les employés à distance (elearning)
- former les employés à travers le système de
tutorat.
La rémunération
- Rémunération selon la contribution au
processus de codification.
- Rémunération selon l’engagement dans le
partage informel des connaissances avec les
collègues.
Source : Hansen et al. (1999 :114).
126
En dépit de son importance, l’approche par congruence souffre de quelques
limites. C’est ainsi qu’elle limite le choix d’une stratégie de savoir à deux seules
options alors que d’autres options sont toujours possibles. Par ailleurs, elle ne
focalise que sur le processus de transfert des connaissances. Très peu de choses
sont dites sur les mécanismes de création et d’application des connaissances.
Cela réduit nécessairement sa portée et son « utilisabilité » pour une recherche
qui prend en compte l’intégralité des processus de gestion des connaissances.
II.2.3 L’approche du “knowledge work” (ou le travail du savoir)
La notion de travail du savoir (knowledge work) a été récemment traitée dans la
littérature spécialisée en management des connaissances et en théorie des
organisations. En dépit de cet intérêt, cette nouvelle notion soulève encore des
questions. Selon Mohrman (2003), le travail du savoir porte sur l’application des
connaissances, l’analyse des informations et la génération de nouvelles
connaissances. Iivari et Linger (1999) remarquent qu’il est difficile de saisir en
entier la nature du travail du savoir. En effet, le travail du savoir n’est pas un
corps de pratiques homogènes donnant lieu à des modes d’actions et de
comportements spécifiques. Le travail du savoir présente plutôt plusieurs
propriétés qui sont parfois contradictoires. Certains auteurs insistent par
exemple sur la dimension individuelle du travail du savoir alors que d’autres le
définissent comme étant essentiellement collaboratif (Iivari et Linger, 1999).
D’autre part, certains le considèrent comme étant largement complexe et original
alors que pour certains auteurs, le travail du savoir peut être routinier et répétitif.
Par ailleurs, certains auteurs considèrent que le travail du savoir est limité à
certaines fonctions intellectuelles. Pour d’autres cependant, tout travail
(industriel ou intellectuel) est un travail du savoir dans la mesure où il exige la
mise en application d’une certaine connaissance (Beyerlein, Johnson et Beyerlein,
1995).
Plusieurs auteurs ont essayé d’identifier les principales caractéristiques du
travail du savoir. Iivari et Linger (1999) avancent l’idée selon laquelle le travail
du savoir est essentiellement hétérogène et qu’il convient de gérer chaque type
de travail de manière spécifique. En se basant sur la classification des
technologies de l’organisation proposée par Perrow (1967) et sur celle du travail
avancée par Daft et Lengel (1986) ; ils proposent de classer le travail du savoir
selon deux dimensions : la variété du travail et son applicabilité. L’applicabilité
signifie qu’il est possible de mettre en action les schémas construits dans le
travail. La variété renvoie à la multiplicité des situations rencontrées dans le
travail. Une applicabilité faible signifie pour l’organisation que le savoir doit être
plus concret et spécifique pour s’appliquer à la situation en place. Par ailleurs,
une grande variété du travail signifie que la connaissance doit être généralisée
pour couvrir les nouvelles situations. La classification peut être présentée par le
schéma suivant.
127
Figure 3.4- Typologie du travail du savoir
Haute applicabilité
Travail du savoir routinier
Travail professionnel
Faible applicabilité
Travail du savoir du type métier
Travail du savoir créatif
Faible variabilité
Haute variabilité
Source : Iivari et Linger (1999 :5)
Les auteurs distinguent quatre niveaux (ou types) différents du travail du
savoir : routinier, professionnel, créatif et travail centré sur l’expertise
individuelle. Le travail du savoir « routinier » se caractérise par une faible variété
et une applicabilité élevée. Il porte donc sur l’exploitation des routines en place.
L’accumulation de connaissances spécifiques dans le temps permet l’exploitation
ultérieure. Cependant, la seule logique d’exploitation risque d’abraser la base de
connaissances de l’entreprise. Si elle permet à court terme de faire l’économie de
la créativité, l’exploitation des routines risque à long terme d’atrophier les
capacités d’innovation de l’organisation. Le travail du savoir du type « métier »
présente une faible variabilité, mais une applicabilité faible également.
Dans l’autre dimension, le travail du savoir est analysé comme étant hautement
variable. Il s’organise non autour de tâches routinières et non répétitives, mais
plutôt autour de la résolution de nouveaux problèmes. La variabilité des
problèmes rencontrés exige du capital humain de l’entreprise une capacité
d’adaptation et de changement. D’autre part, ses compétences doivent être
multiples pour autoriser une compréhension de toutes les situations rencontrées.
Iansiti (1995) suggère que le capital humain de l’entreprise doit pouvoir
développer des compétences « en forme de T ». Ces compétences sont
caractérisées par une connaissance technique profonde du domaine d’activité et
une connaissance générique des autres disciplines. Développer des compétences
en T permet aux travailleurs du savoir de résoudre des problèmes non familiers
pour lesquels il n’existe pas de réponses programmées dans leurs domaines
d’expertise. De telles compétences sont aussi nécessaires pour travailler en
groupes multifonctionnels où l’intégration des différentes connaissances
fonctionnelles devient plus facile quand la base de connaissances de l’individu
est plus large. Le concept de compétence en T a été transposé dans la littérature
au niveau organisationnel. Ainsi, Narasimha (2000) suggère que la base de
connaissances de l’entreprise doit être à la fois large et profonde pour augmenter
les chances de développer de nouvelles expertises. D’autre part, Bierly et
Chakrabarti (1996) estiment que l’organisation peut faire varier la profondeur et
la largeur de sa base de connaissances dans le cadre des stratégies de
connaissances génériques.
128
La dimension « haute variabilité » donne lieu à deux types de travail du savoir :
professionnel et créatif. Le premier est variable, mais applicable dans tous les cas.
Il s’agit du travail de l’expert doté d’une expérience professionnelle lui
permettant d’appliquer ses connaissances à des situations de travail multiples. Le
second est le cas le plus représentatif de la nature du travail du savoir. Ce dernier
est décrit comme étant essentiellement créatif. Il s’agit d’un travail varié avec des
possibilités d’application non évidentes. C’est donc un travail créatif ou
l’individu et le groupe font usage de leurs capacités d’imagination pour résoudre
de nouveaux problèmes et permettre leur application dans l’organisation.
En outre, le travail de Blackler (1995) est l’un des plus influents dans la littérature
spécialisée. L’auteur, étant critique aux recherches de vulgarisation, reconnaît la
complexité de définir le travail du savoir. L’approche de Blackler se distingue
par l’intégration simultanée de plusieurs facteurs. Il distingue d’abord entre les
organisations qui travaillent sur des problèmes standardisés ou routiniers et
celles qui ont pour mission la résolution de nouveaux problèmes. D’autre part, il
distingue entre le travail individuel et collectif. Chaque type d’organisation
donne lieu à une forme de travail du savoir.
Figure 3. 5- Travail du savoir et types d’organisations
Cadre de travail
collectif
Cadre de travail
individuel
Organisation centrée sur les routines.
* Accent mis sur la connaissance
encastrée dans la technologie, les
rôles et les procédures (embedded
knowledge)
* Compétences de bases requises.
Organisation dépendant des experts.
* Focalisation sur les compétences
portées par certaines ressources
(embodied knowledge)
* Les compétences et la réputation des
experts sont au centre de la stratégie
de l’entreprise.
Organisation
intensive
en
communication
* Focalisation sur les connaissances
construites dans les échanges
sociaux (encultured knowledge).
*
La
collaboration
et
la
construction d’une compréhension
collective sont des processus
fondamentaux
dans
ces
entreprises.
Organisation
intensive
en
connaissance
*
Focalisation
sur
les
connaissances
théoriques
et
conceptuelles
des
individus
(Embrained knowledge and skills
of core employees)
Problèmes routiniers
Problèmes variables
Source : Blackler (1995 :1031)
En juxtaposant les deux dimensions retenues, l’auteur établit une matrice (2x2),
faisant ainsi ressortir quatre types d’organisation. Dans les organisations
focalisées sur des activités stables et où la contribution du collectif est plus
importante que celle des individus, le travail est généralement centré sur les
129
connaissances routinières (Knowledge-routinzed organization). L’accent est mis sur
l’exploitation des connaissances encastrées dans les technologies, les rôles et les
procédures. Le travail du savoir dans cette logique ne requiert pas des
compétences élaborées. Le second type d’organisations se caractérise par un
travail routinier accompli par des individus clefs. C’est le cas du travail des
experts et professionnels. Selon la typologie de connaissances établie par
Blackler, ce genre d’organisation s’appuie sur la connaissance embodied, c'est-àdire celle portée exclusivement par des personnes clefs, en l’occurrence les
experts. C’est le cas des bureaucraties professionnelles comme les hôpitaux. La
compétence, la réputation et le pouvoir des experts forment le noyau dur autour
duquel ces organisations construisent leur stratégie de compétition. C’est
pourquoi elles cherchent à tout prix à recruter ces experts et à forger chez eux un
sentiment d’appartenance et d’engagement (El Akremi et Trabelsi, 2003). Par
ailleurs, les organisations dont l’essence est la résolution de problèmes non
conventionnels dans un cadre de travail collectif doivent intensifier les efforts de
communication. Dans ces entreprises, l’accent est mis sur la connaissance
encultured, c'est-à-dire la connaissance qui émerge de la compréhension collective
construite par les acteurs dans leurs échanges sociaux. La communication
interpersonnelle permet d’intensifier les transactions sociales et de créer une
perspective et une vision communes (a collective understanding). L’intensification
de la communication permet de construire du sens (sensmaking). Ceci est
important surtout quand les problèmes varient et nécessitent l’adaptation des
cadres de réflexion construits par le collectif du travail. Selon Alvesson (1993), les
managers de ces entreprises doivent développer chez les employés un sens de
communauté en ancrant chez eux les valeurs culturelles de l’organisation. Le
contrôle est dit, dans ce cas, idéologique. Ces organisations se basent également
sur le principe de l’ad-hocratie où les capacités d’intégration et de coopération
sont vitales pour accomplir le travail. Le dernier type d’organisation est celle qui
travaille sur la résolution de nouveaux problèmes avec une centralité accordée
aux individus. C’est le cas des Knowledge-Intensive Firms. Elles focalisent sur le
savoir conceptuel et empirique de leur capital humain, comme c’est le cas des
entreprises de consulting, d’ingénierie informatique ou de biotechnologie.
La perspective par le « knowledge work » offre des clarifications importantes sur
le mode de GRH adapté aux travailleurs du savoir. Il s’agit de pratiques qui
visent à acquérir les meilleurs profils d’employés, à développer leurs potentiels
et à les retenir dans l’entreprise. Plus précisément, les leviers suivants peuvent
être actionnés par l’entreprise.
 La politique de design du travail qui doit permettre la rotation des postes,
le travail dans le cadre d’équipes multifonctionnelles, le développement
de compétences transversales et génériques chez les employés.
130





La promotion d’une culture de travail en équipe qui renforce les liens
entre les membres de l’entreprise et qui instaure une tradition de mise en
réseau des connaissances individuelles.
La mise en place de pratiques qui améliorent l’autonomie opérationnelle
des employés. Il s’agit des pratiques de l’empowerment.
La mise en place d’une politique de management des performances qui
reconnaît les contributions individuelles et qui les rémunère
équitablement.
La conception d’une politique de formation qui aide les employés à
enrichir leurs répertoires de compétences spécifiques et génériques.
La mise en place d’un système d’information RH qui renseigne sur les
« lieux vivants » de la connaissance dans l’entreprise et qui permet de
cartographier ses principales ressources intellectuelles.
II.2.4 L’approche sociale
Cette approche reconnait la nature fondamentalement humaine et sociale des
organisations. Pour ses tenants, les questions de GRH et de gestion des
connaissances peuvent être comprises comme relevant fondamentalement de
processus humains et sociaux. Cette approche met en valeur le rôle du capital
humain et du contexte social de l’organisation dans la promotion d’une culture
d’innovation, de créativité et de partage des connaissances. Les implications de
cette approche sont intéressantes. En effet, au lieu de proposer un alignement des
pratiques de GRH sur la stratégie de connaissances (comme le stipule l’approche
de la congruence), cette approche focalise sur le développement des compétences
humaines de l’entreprise et sur la promotion d’un climat d’apprentissage. Elle
s’inscrit ainsi dans la durée, à travers le développement de compétences
organisationnelles distinctives.
Contrairement à l’approche de la congruence, l’approche sociale s’intéresse à une
autre dimension du savoir. Alors que la première s’intéresse au savoir comme
stock organisationnel, la seconde le considère comme un flux dynamique. Dans
la première acception, ce sont les routines organisationnelles et les systèmes de
codification qui sont au centre des démarches de knowledge management. Dans
la seconde, la connaissance est socialement encastrée. Elle est inextricablement
liée aux individus, à leurs perceptions, leurs compétences, leurs modèles
mentaux. Elle est également déterminée en fonction des liens et des réseaux
sociaux que les membres de l’organisation créent et tentent de maintenir.
L’approche sociale met en relief l’importance des communautés de pratiques
dans le développement et l’intégration des connaissances. Elle reconnaît aussi
l’importance des savoirs informels, des tours de main, des secrets, des savoirfaire « clandestins » que seules quelques ressources sont en mesure de faire
valoir. Elle plaide ainsi en faveur d’une intégration rapide des différentes formes
de connaissances dans l’organisation.
131
L’approche sociale est riche d’implications pour la GRH. Elle plaide en effet en
faveur d’une GRH qui appréhende l’organisation comme une institution sociale
et les démarches de gestion des connaissances comme moments de construction
sociale de nouvelles expertises organisationnelles. Elle met surtout l’accent sur
les capacités de réseautage et d’intégration des connaissances entre les membres
d’une communauté. Dans ce cadre, les politiques de socialisation, d’organisation
du travail et de mise en réseau des compétences individuelles constituent les
piliers de base des systèmes de GRH censés favoriser la gestion des
connaissances.
II.2.5 L’approche par l’apprentissage
Pour certains auteurs (Senge, 1990 ; Carter et Scarbrough, 2001), l’intersection
entre la GRH et la gestion des connaissances s’exprime dans le développement
des processus d’apprentissage organisationnel. La GRH s’intéresse en premier
lieu à développer les capacités de l’individu et de l’organisation à apprendre.
Selon Senge (1990), une organisation apprenante est une organisation où les
individus améliorent continuellement leurs capacités à atteindre les objectifs
voulus, où de nouveaux modes de réflexion sont développés et où les individus
apprennent toujours comment apprendre ensemble.
Une approche par l’apprentissage organisationnel a pour conséquences de
mettre l’emphase sur la création d’un environnement favorable à l’émergence de
comportements de créativité. Dans ce cadre, la gestion des ressources humaines
joue un rôle important en focalisant sur le développement des compétences
intellectuelles des employés et sur la promotion d’un climat organisationnel qui
autorise l’expérimentation et tolère l’erreur. Les pratiques de formation sont ainsi
d’un réel apport dans la mesure où elles permettent d’enrichir le répertoire des
compétences chez les employés. En outre, la présence d’un système de
management des performances (management par objectifs, évaluation et
rémunération des compétences) permet d’orienter les processus de créativité et
de renforcer les comportements positifs de partage des connaissances. Mais
l’apport principal de l’approche par l’apprentissage est qu’elle centre l’analyse
sur le rôle déterminant des communautés de pratiques comme lieu privilégié de
création et de partage des connaissances entre les membres d’un même groupe.
Une communauté de pratique peut être définie comme un groupe de
l’organisation dont les membres partagent un engagement commun envers un
métier ou un projet organisationnel quelconque. La notion de communauté de
pratique rappelle le concept japonais « BA », développé par Nonaka et Konno
(1998). Pour ces auteurs, le BA renvoie au lieu physique, virtuel ou mental dans
le cadre duquel les processus d’échange et d’intégration des connaissances
prennent lieu. Cela appelle nécessairement à une organisation du travail qui
favorise le travail collectif, la mise en réseau des expertises et la communication
132
horizontale intensive. Ainsi, la contribution principale de la GRH dans le cadre
de l’approche par l’apprentissage consiste à définir un mode de design
organisationnel qui permet d’organiser le travail de manière à favoriser les
comportements d’échange et d’intégration des connaissances. Par ailleurs, la
GRH devrait favoriser l’autonomie nécessaire chez les employés. Sans des
niveaux d’autonomie opérationnelle et décisionnelle importants, les
communautés de pratiques ne peuvent fonctionner. Ces « constellations
temporaires », pour reprendre l’expression de Hedlund (1994), fonctionnent sur
la base de la créativité collective. Une telle « gymnastique intellectuelle » ne peut
prendre lieu en dehors de cadres de travail marqués par la responsabilisation des
individus et l’autonomie.
II.2.6 Synthèse des approches et implications pour la recherche
Notre objectif dans ce paragraphe était de recenser l’ensemble des approches qui
ont servi de base à l’analyse de la relation entre GRH et gestion des
connaissances. En cohérence avec le positionnement « organisationnel » choisi
pour cette recherche (chapitre deux), nous avons cherché à montrer la diversité
des approches trouvées dans la littérature. Au bout de cette lecture ciblée, les
quelques remarques suivantes s’imposent :

La contribution de la GRH au mangement des connaissances peut être
analysée de différentes manières. Chacune de ces manières offre une
vision particulière de cette relation et propose des pratiques spécifiques de
gestion des RH;

Les perspectives « sociale », par « le travail du savoir » et par
« l’apprentissage » cadrent le mieux avec les besoins et les objectifs de
cette recherche. Ces trois approches s’appuient sur une lecture
« organisationnelle » du savoir. Elles reconnaissent que le management
des savoirs s’inscrit dans une lecture socio-dynamique. De ce fait, la GRH
censée favoriser ce genre de processus est fortement orientée vers
l’organisation du travail collaboratif, l’autonomie, le développement des
compétences et la mise en réseau des expertises et des savoirs individuels.
Tous ces éléments seront par ailleurs pris en considération dans la
prochaine section, où il sera question de définir l’un des choix optionnels
les plus importants de cette recherche, à savoir les variantes du système
de GRH censé favoriser le knowledge management ;

En dépit de l’existence d’un certain nombre de contributions, l’analyse de
la relation entre la GRH et la gestion des connaissances souffre de deux
insuffisances majeures. La première est l’absence d’une vision intégratrice
qui prend simultanément en considération les apports de ces différentes
133
approches. Prises individuellement, les multiples approches ne
fournissent qu’une vision incomplète et tronquée de la question. La
seconde insuffisance est relative à l’absence d’appuis empiriques
concernant la relation entre la GRH et la gestion des connaissances. La
quasi majorité des recherches recensées reste à un niveau d’abstraction
élevé, fournissant des considérations théoriques. Au meilleur des cas, une
recherche qualitative limitée est menée pour montrer l’effet d’une variable
de GRH sur un processus de gestion des connaissances (par exemple,
l’effet de la formation sur la création des connaissances) ;

Au regard de ces éléments, notre objectif dans la prochaine section est de
modéliser les liens entre la GRH et la gestion des connaissances en
proposant une approche qui intègre les trois perspectives susmentionnées.
Il s’agit aussi de montrer les liens de médiation que représentent les
variables de « capital humain » et de « climat d’apprentissage ».
134
Section III : Modélisation des liens entre GRH et gestion des
connaissances et construction du modèle théorique de la recherche
L’objectif de ce chapitre est de présenter une modélisation conceptuellement
rigoureuse du rôle de la gestion des ressources humaines dans la gestion des
connaissances. Pour ce faire, nous avons veillé dans une première section à
montrer la contribution de la GRH à la performance de l’entreprise. En effet, le
champ du management stratégique des ressources humaines offre le substrat
théorique nécessaire pour analyser le rôle de levier joué par la GRH dans le
développement d’une compétence organisationnelle distinctive, en l’occurrence
le knowledge management (figure 3.6).
Figure 3.6- La GRH, levier de gestion des connaissances
Rôle de levier
Compétence distinctive
Pratiques de GRH
La gestion des connaissances
Nous avons ainsi passé en revue l’ensemble des approches théoriques et
empiriques sur la contribution de la GRH au développement de la performance
organisationnelle et à la création de valeur. Considérant la gestion des
connaissances comme une compétence distinctive et stratégique, nous cherchons
à voir dans quelle mesure la GRH pourrait développer cette capacité
organisationnelle critique. Ainsi, la deuxième section a servi à expliciter les
apports des différentes approches qui ont servi à l’analyse de cette question.
L’analyse focalisera, dans cette section, sur la construction d’un modèle
théorique explicitant davantage la relation entre ces deux construits.
La modélisation du lien entre la GRH et la gestion des connaissances doit refléter
le rôle médiateur du capital humain et du climat organisationnel dans cette
relation. L’hypothèse principale de cette recherche est que la GRH exerce un effet
directement observable sur le capital humain de l’entreprise et sur le climat
d’apprentissage, ce qui devrait contribuer par la suite à améliorer les capacités
organisationnelles de création, de partage et de mise en application des
connaissances. Le modèle de base de la recherche est illustré par la figure 3.7.
Figure 3.7- Le modèle de base de la recherche
Pratiques de GRH
Capital humain et climat
d’apprentissage
135
Gestion des
connaissances.
III.1 Les pratiques de GRH dans le domaine du knowledge
management : les options conceptuelles retenues.
La désillusion suscitée par la mise en place de solutions de gestion des
connaissances technologiques (cf. chapitre deux) montre l’importance de prendre
en compte les éléments sociaux, humains et culturels de ce type de projet.
Qualifiée par ces théoriciens de dynamique, la gestion des connaissances s’est en
fin de compte cantonnée dans un déterminisme techniciste fortement réducteur.
Retranchés derrière le pouvoir « transformateur » des TIC, les décideurs ont fait
l’économie d’une réflexion nécessaire sur les leviers humains et organisationnels
de la gestion des connaissances. Or, la transformation des connaissances
individuelles en une capacité organisationnelle distinctive génératrice
d’innovation et de performance repose plutôt sur des éléments sociaux,
organisationnels et surtout humains (Narasimha, 2000). Ce constat quant à
l’échec des solutions technologiques nous a permis de soulever des questions
relatives à la dimension organisationnelle des processus de gestion des
connaissances. Dans ce cadre, la compétence et la valeur du capital humain de
l’entreprise sont deux atouts majeurs pour pouvoir créer des connaissances
nouvelles et les appliquer dans les schémas décisionnels et productifs de
l’organisation. Le partage des connaissances entre les membres de l’entreprise
s’inscrit quant à lui dans une perspective comportementale. Ce processus
s’exprime donc en termes de comportements.
La gestion des ressources humaines peut contribuer au développement des
différentes facettes du management des savoirs (Evans, 2003). Cette contribution
est de plus en plus importante compte tenu des faits suivants :
 le passage de la GRH (recherche et pratique) d’une acception
administrative vers une logique stratégique qui lui permet d’accompagner
les projets de changement et de renouvellement organisationnel.
 l’inscription des processus de gestion des connaissances dans des sphères
humaine et culturelle dont la gestion relève en premier chef des
prérogatives des gestionnaires des ressources humaines.
 La prise de conscience progressive chez les décideurs de l’entreprise des
limites propres aux approches technicistes de gestion des connaissances.
Une telle réalité aura pour conséquence de déplacer l’intérêt pour les
leviers du knowledge management de la sphère techniciste vers la sphère
organisationnelle (et notamment les dispositifs de management des
hommes).
En matière de gestion des ressources humaines, la distinction entre les trois
processus de gestion des connaissances est importante. Chacun de ces processus
(création, partage, utilisation) appelle à la mobilisation de pratiques spécifiques
de gestion des personnes. L’entreprise peut ainsi développer son potentiel de
136
création des savoirs par les pratiques d’empowerment, d’organisation du travail
et de formation. Concernant le partage des connaissances, elle pourrait mobiliser
les pratiques d’organisation du travail et de réseautage. Ces deux pratiques
auront en charge de soutenir l’émergence d’un climat d’apprentissage favorable
aux comportements positifs de partage et d’intégration des expériences et des
expertises individuelles. Enfin, les capacités d’utilisation des connaissances se
développent en présence d’un système de travail focalisant sur la création de
l’autonomie et le management des performances des collaborateurs. La finalité
de ces pratiques est d’activer des comportements de coopération, d’échange,
d’innovation et de mise en application de nouveaux savoirs et savoir-faire. Dans
l’esprit de cette recherche, une telle finalité ne peut être atteinte qu’à travers le
développement d’un capital humain à la fois qualifié et spécifique et la
promotion d’un climat organisationnel orienté vers l’apprentissage. Les
pratiques de GRH joueraient ainsi deux types de rôles. Un rôle direct sur le
capital humain et le climat d’apprentissage et un rôle indirect en agissant sur les
trois processus de gestion des connaissances. Ces rôles seront clarifiés davantage
et modélisés dans les développements qui suivent (voir le modèle théorique de la
recherche).
Pour contribuer au management des connaissances, les gestionnaires des
ressources humaines s’efforcent de mettre en place des pratiques innovatrices
d’emploi et de management des personnes. Diverses politiques de GRH sont
alors décidées pour faire des ressources humaines le fer de lance du
renouvellement et de l’apprentissage de l’entreprise. En général, les pratiques de
gestion des personnes et d’organisation du travail peuvent intervenir sur deux
plans. Au premier plan, il s’agit de promouvoir le développement chez le capital
humain d’un répertoire de compétences riche et spécifique. Cela pourrait
soutenir activement les actions de création et de mise en application de nouvelles
connaissances. Au second plan, l’objectif est de constituer une « infrastructure
culturelle » favorable aux comportements d’apprentissage dans l’entreprise et
qui permet un meilleur partage des savoirs et une adhésion renforcée du
personnel aux activités de créativité et d’innovation. Ainsi, les pratiques de
gestion des personnes et les dispositifs organisationnels dédiés sont censés créer
les conditions humaines et culturelles permissives de mobilisation des
comportements positifs de gestion des connaissances.
137
III.1.1 La création des connaissances : l’empowerment et la formation comme
leviers managériaux
La création des connaissances correspond aux fruits du processus d’innovation
dans l’organisation. « Créer des connaissances revient à faire des associations
entre plusieurs opinions, considérer de nouvelles idées et approches et être
particulièrement attentif et réceptif aux opportunités d’apprentissage qui
émergent dans le cadre des processus d’innovation »(Shipton et al. 2005 : 119). La
recherche montre que l’innovation est un processus qui commence souvent par
une idée détenue par un individu et qui s’appuie sur la créativité des acteurs.
Amabile et al., (1996) définissent l’innovation comme le processus
organisationnel qui permet d’appliquer avec succès les idées créatives détenues
par les individus. La créativité est définie par les auteurs comme la production
d’idées nouvelles et utiles dans un domaine d’expertise particulier. Pour faire
fructifier la créativité, l’organisation est appelée à créer les mécanismes
d’échange et d’intégration nécessaires qui permettent aux acteurs d’une même
communauté de développer de nouvelles connaissances. Cela ne peut se faire
qu’au travers d’un processus d’apprentissage collectif. Dans la théorie de
l’innovation, on suppose souvent que ce processus épouse le contours de
séquences d’apprentissage de type essai-erreur (Amabile et al., 1996). La création
des connaissances est ainsi modélisable en termes d’output d’un processus
d’apprentissage intensif en créativité et en échange.
Il est désormais reconnu que les organisations se différencient essentiellement
par leur capacité à entretenir un climat d’apprentissage où de nouvelles
connaissances sont, sans cesse, développées par les acteurs (Nonaka, 1999 ;
Garvin, 1993). Ces connaissances peuvent être matérialisées par de nouveaux
produits ou services, une nouvelle technologie ou un processus managérial
innovant. Ce potentiel de création des connaissances dans l’entreprise est à
chercher dans sa politique d’innovation ainsi que les structures dédiées à cette
activité complexe. La recherche sur l’innovation a longtemps privilégié la « piste
psychologique » pour expliquer le phénomène de créativité et d’innovation dans
l’entreprise. On explique souvent la création de nouvelles connaissances par le
profil personnel des acteurs dits « innovateurs ». Pourtant, il y a fort à parier que
la question de création des connaissances peut être approchée à travers une
perspective organisationnelle. La question est ainsi déplacée du profil innovateur
de l’acteur vers le contexte organisationnel favorisant la créativité, l’innovation et
la création des connaissances. Pour soutenir leurs processus de création des
connaissances, les organisations comptent sur une panoplie de dispositifs et de
« facteurs » organisationnels. Comme le montre le tableau 3.3, plusieurs leviers
sont cités dans la littérature. En présentant uniquement les facteurs internes
susceptibles d’influencer le processus de création des connaissances, nous posons
implicitement l’hypothèse que l’organisation n’est pas toujours en mesure
138
d’influencer les facteurs environnementaux intervenant dans les activités
d’innovation. Ce type d’environnement regroupe souvent des éléments
difficilement malléables comme le soutien des institutions, le système national de
l’innovation et de la formation des élites, les traits culturels d’une société donnée,
etc.
Tableau 3.3- synthèse des recherches sur les facteurs endogènes influençant la
création des savoirs
Facteurs endogènes
Stratégie
l’entreprise
de
Principes clefs
L’inscription de la politique de création des
savoirs dans la stratégie de l’entreprise est le
premier pas à faire. L’innovation s’inspire de
la mission et de la vision de l’entreprise.
Principaux auteurs
-Martins et Terblanche
(2003)
- Rodriguez (2002)
R&D et
nouvelles
technologies
L’intensité de l’effort de l’entreprise en
matière de R&D est un facteur qui stimule
l’innovation.
L’investissement en nouvelles technologies
renforce aussi les compétences innovatrices
surtout dans le cas de développement de
nouveaux produits.
- Galanakis et al. (2000)
Nieminen
et
Kaukonen (2001).
Culture
organisationnelle
L’ouverture d’esprit, le contact dynamique
entre les équipes est un trait culturel
particulier qui facilite l’acceptation des idées
créatives et améliore le processus de
développement de nouvelles connaissances.
- Mumford et al. (2002)
- Galanakis et al. (2000)
Structure et design
organisationnel
La flexibilité de la structure (rotation des
postes, par exemple), l’autonomie et la
responsabilisation concernant la prise de
décision sont deux leviers de création des
savoirs. Les constellations de travail
temporaires, les équipes projets et les autres
formes de travail collectif fournissent les
conditions nécessaires pour une intégration
dynamique des compétences individuelles.
Pratiques de gestion
des RH.
Les pratiques de formation permettent de
développer le potentiel innovatif chez les
individus. L’empowerment autorise aussi
plus d’autonomie et une meilleure génération
des connaissances.
139
Hedlund (1994)
Fong (2003)
Martins et Terblanche
(2003)
Les pratiques de GRH jouent à ce titre un rôle déterminant dans la création des
connaissances. Les pratiques constitutives de ce potentiel sont la
responsabilisation des collaborateurs (l’empowerment), le développement du
répertoire des compétences à travers la formation et le design de dispositifs
organisationnels de travail autorisant l’innovation (travail en équipes projets,
groupes semi-autonomes, etc). Ce dernier dispositif sera cependant examiné
lorsqu’on abordera la question du partage des connaissances.
Contrairement aux organisations classiques, les entreprises du savoir comptent
beaucoup sur l’empowerment de leurs collaborateurs pour relever les défis de
l’innovation et de l’apprentissage. Préférant l’exploration à l’exploitation (pour
reprendre la théorie de March), les organisations qui développent des stratégies
de knowledge management utilisent l’empowerment des collaborateurs comme
une pratique de gestion incontournable afin de créer la dynamique de
proposition, d’expérimentation et d’échange nécessaire au développement de
nouvelles connaissances. L’idée est simple : dans la politique comme dans
l’entreprise, la créativité est source de dépassement, d’apprentissage et de
changement. Cette gymnastique intellectuelle nécessaire à l’innovation ne peut
prendre place dans un contexte marqué par la rigidité et la présence de
procédures de fonctionnement contraignantes pour les acteurs. Le management
traditionnel promeut, en effet, une organisation simplifiée dont la division du
travail et des connaissances représente le principe fondateur. Dans ce genre
d’approches, les personnes sont considérées comme une ressource de production
au même titre que les machines et le capital. Elles sont par ailleurs écartées du
processus de prise de décision. Le modèle d’organisation du travail tayloristefordiste en présente une bonne illustration. Par contre, le mangement moderne
préconise l’autonomie et la responsabilisation des collaborateurs. Il décentralise
ainsi les décisions pour permettre aux employés de base, ceux qui sont aux prises
avec les problèmes du terrain, de prendre part aux décisions opérationnelles de
l’entreprise. L’empowerment des collaborateurs permet à l’entreprise de tirer
profit de toutes les formes d’intelligence (théorique, analytique, opérationnelle,
etc.) détenues par ses collaborateurs quelque soit leur position dans l’entreprise.
La décision de donner de l’autonomie aux collaborateurs est fortement
responsabilisante. Elle génère chez les employés des comportements de
discipline par rapport aux objectifs de l’équipe. Elle renforce aussi le sentiment
d’appartenance chez les acteurs et aiguise leur engagement envers les activités
d’innovation et de création des savoirs. Les bénéfices de l’empowerment sont
multiples. Au delà de la dimension comportementale chez les acteurs, les
situations d’autonomie permettent aux employés d’exprimer librement leurs
talents et compétences individuelles (Pinto et al, 1993). Dans le cadre du travail
collectif (équipes projets), l’empowerment permet la fertilisation croisée de
l’ensemble des savoirs fonctionnels de l’organisation. Le mixage de ces « savoirs-
140
métiers » facilite ensuite la création de nouveaux savoirs transversaux (Snow et
Couger, 1991).
Toutefois, la mise en place d’une organisation du travail autour des concepts
d’autonomie et d’empowerment nécessite la réunion de plusieurs facteurs
organisationnels. En recourant à une revue ciblée de la littérature sur
l’autonomie au travail, Paper et Johnson (1997) en dénombrent au moins sept.
Ainsi le succès d’une stratégie d’empowerment tient, selon les auteurs, à la
présence des facteurs suivants : l’engagement du top-management de
l’entreprise, la présence d’un système de formation cross-fonctionnel, un capital
humain de haute valeur, une acception « culturelle » de l’approche, un
management des RH flexible, une implication du client dans les processus de
fonctionnement et une analyse des résultats de l’équipe selon l’approche « valeur
ajoutée ». De manière générale, la responsabilisation des collaborateurs suppose
de la part de l’organisation la création de mécanismes de soutien,
l’investissement en formation et la promotion d’une « infrastructure structurelle
et culturelle » orientée vers la participation et l’engagement des collaborateurs.
Dans une perspective de création des connaissances, l’empowerment des
collaborateurs est un facteur nécessaire mais insuffisant. Dans ce cadre, le rôle de
la formation reste déterminant pour assurer le développement des capacités
d’innovation de l’entreprise. Cela passe par le développement et l’enrichissement
du répertoire des compétences individuelles et collectives. La formation est un
investissement immatériel hautement rentable. Elle prend toute sa dimension
dans un contexte organisationnel qui considère les personnes comme un
avantage concurrentiel et non un coût à comprimer. La formation est un effort
organisationnel systématique et planifié qui vise à développer les savoirs, les
savoir-faire et les attitudes des employés à travers des expériences
d’apprentissage multiples (Buckley et Caple, 1995). Elle contribue activement au
développement de la performance opérationnelle des individus et de
l’organisation. Selon une perspective comportementale, la formation peut être
définie comme une pratique gestionnaire cherchant à éliciter bon nombre de
comportements positifs au travail. Sparrow (1998) montre ainsi que la formation
permet à l’entreprise de développer chez son personnel un certain nombre de
comportements désirés tels que l’implication dans le travail, l’engagement
organisationnel et la motivation extrinsèque. Dans une autre recherche, Ahmad
et Abu Bakr (2003) ont analysé l’effet de la formation sur l’engagement des
employés dans les entreprises malaysiennes. Leurs résultats suggèrent que
l’intensité de l’effort de formation est positivement et significativement reliée aux
comportements d’engagement organisationnel. Les employés décident ainsi de
rester dans l’entreprise et de contribuer à son développement s’ils perçoivent
qu’elle investit réellement dans leur formation.
141
Dans l’entreprise, l’effort de formation s’organise généralement autour de quatre
phases, à savoir : l’identification des besoins en formation, l’établissement d’un
plan de formation, la réalisation des actions programmées et la mesure des
résultats obtenus. Si les quatre étapes de ce processus sont importantes, celle
portant sur l’identification des besoins semble particulièrement intéressante dans
le cadre d’une problématique de création des savoirs. La question que tout
manager des RH doit se poser est alors la suivante : quelles seraient les
spécificités des besoins en formation pour soutenir l’œuvre d’innovation dans
l’entreprise ? Pour répondre à cette question, il est utile de rappeler que la
création des connaissances dans l’entreprise suppose une interaction et un
échange dynamiques entre les différents acteurs. Dans cette logique, les
individus sont appelés à renforcer leurs compétences spécifiques (les
connaissances et les savoir-faire se rapportant à leurs métiers) et à se doter de
nouvelles compétences génériques (les savoirs se rapportant à d’autres domaines
d’expertise). Cette double compétence que Mohrman (2003) appelle
« compétence en forme de T » permet aux employés d’une part de contribuer
activement au processus d’échange en mobilisant leurs connaissances
spécifiques, et d’autre part d’intégrer (ou absorber au sens de Lundvall et
Johnson) les connaissances relevant de domaines d’expertises variés. Cette
exigence renseigne sur les orientations de la politique de formation dans le cadre
des processus d’innovation et de création de nouvelles connaissances. Plus que
jamais, la formation doit pouvoir enrichir les compétences spécifiques et
transversales des employés. Les programmes de formation seront conçus de
manière à exposer les individus à des situations de travail complexes et sans
cesse remodelées. Cette forme d’ingénierie de la formation facilite la remise en
cause par les employés des manières de faire déjà à l’œuvre dans l’entreprise.
Elle est particulièrement utile pour le travail collectif et multifonctionnel. La
formation extensive permet de développer la largeur de la base de connaissances
des employés, ce qui leur permet de rapprocher et d’intégrer des savoirs issus de
domaines d’expertises parfois divergents (Bae et Lawler, 2000 ; Guthrie, 2001).
Disposer de ce genre de formation est indispensable pour réussir le travail en
équipe. Selon Fong (2003), le fonctionnement optimal des équipes de projets
nécessite la présence d’un « réservoir de connaissances » suffisamment large chez
les employés. Cela contribue non seulement à décloisonner les savoirs
fonctionnels, mais améliore surtout les capacités d’absorption des savoirs
transversaux de l’organisation.
En outre, la formation dans les entreprises du savoir se focalise sur le
développement de capacités d’innovation chez les participants. Le plan de
formation ainsi que la pédagogie adoptée doivent contribuer à aiguiser le sens de
la réflexion critique et du dépassement. En exposant les participants à des
situations inédites, réelles et atypiques, l’organisation espère répercuter ces
apprentissages «par exploration » sur ses propres modes d’apprentissage interne.
142
III.1.2 Le partage des connaissances : le rôle du design organisationnel et des
pratiques de réseautage.
Si la création des connaissances est déterminante pour le développement de
l’entreprise, elle n’est cependant possible qu’à travers la diffusion et le partage
des savoirs par les membres d’une communauté donnée. L’acte d’innovation
peut être interprété comme un processus d’intégration de savoirs de natures
(savoir tacite, savoir explicite) et de sources différentes (savoir interne, savoir
externe, savoir individuel, savoir-métier). En amont de la phase d’intégration, les
savoirs doivent être d’abord diffusés et partagés. Le partage des connaissances
signifie que les membres de l’entreprise acceptent de mettre leurs savoirs et
savoir-faire à la disposition de leurs collègues. Sans cette volonté de mise en
commun des savoirs et des expertises individuelles, l’organisation ne sera pas en
mesure de développer son apprentissage. Kim et Lee (2006 :371) définissent le
partage des connaissances comme cette « capacité individuelle à partager les
expériences relatives à son travail, ses expertises, son savoir-faire et ses
informations contextuelles avec d’autres employés à travers des interactions
formelles ou informelles dans le cadre d’une équipe ou entre les différents
départements de l’organisation ». Le partage des connaissances requiert donc la
dissémination des expériences individuelles et la collaboration entre les
individus et entre les sous-systèmes et les départements de l’organisation (Dyer,
1997 ; Inkpen et Beamish, 1997). Mais au delà de cette dimension individuelle (et
donc comportementale), le partage des connaissances appelle l’organisation à
développer les structures de diffusion et d’échange appropriées.
Le partage des connaissances est une condition nécessaire pour permettre à
l’entreprise de se développer, de concevoir de nouveaux produits et de satisfaire
sa clientèle. Il lui permet de générer de nouvelles solutions et de se construire un
avantage concurrentiel durable en mobilisant l’intelligence collective de tous ses
employés (Baum et Ingram, 1998). La phrase, désormais célèbre du PDG de
l’entreprise Texas Instrument, « Si seulement nous savions ce que nous savons à Texas
Instrument » renseigne sur les manques à gagner énormes quand l’entreprise ne
réfléchit pas sérieusement au développement de ses capacités de partage des
connaissances. En effet, les auteurs sont aujourd’hui unanimes quant à
l’importance et la gravite des phénomènes de rétention des savoirs dans les
entreprises (Hedlund, 1994 ; Szulanski, 1996 ; Stenmark, 2001). De plus en plus
d’entreprises constatent avec regret qu’elles se transforment progressivement en
un ensemble de silos verticaux qui ne partagent pas horizontalement leurs
connaissances. Le cloisonnement départemental est aggravé par une culture de
rivalité mal définie et par l’absence de mécanismes sociaux et financiers clairs
dédiés à encourager les comportements de partage. En outre, les investissements
technologiques sont loin d’être efficaces. Perçus comme complexes et générant
143
des résultats « ironiques », les TIC ne sont pas en mesure de susciter les
comportements souhaités chez les employés.
Plusieurs chercheurs ont essayé de comprendre le phénomène de rétention des
savoirs dans l’entreprise. Leurs recherches, synthétisées dans le tableau 3.4,
montrent l’existence d’au moins quatre types de barrières : des barrières relatives
au savoir en soi, à l’émetteur, au récepteur et au contexte organisationnel. La
présence d’autant de barrières montre la complexité de la question et
l’importance de concevoir les mécanismes de déblocage appropriés.
Tableau 3.4- Synthèse des recherches sur les facteurs de rétention des savoirs
Facteurs de
blocage
Principes clefs
la nature du
savoir transféré
Barrières
relatives
l’émetteur
Barrières
relatives
récepteur
à
au
Barrières
relatives
au
contexte
organisationnel
- Transférer des pratiques gagnantes ou une expertise particulière
n’est pas facile. Ces pratiques renvoient en effet à la manière avec
laquelle l’organisation utilise ses connaissances. Elles sont donc
majoritairement tacites. Elles sont encastrées d’une part dans les
compétences individuelles et d’autre part dans les modèles de
collaboration sociaux
- La connaissance à transférer peut être causalement ambiguë,
c’est à dire que le récepteur ne saisit pas la composition et
l’architecture finale du savoir transféré.
- L’émetteur peut renoncer au partage des connaissances avec ses
collègues de peur de perdre du pouvoir ou une position
privilégiée.
- Quand l’émetteur n’est pas considéré comme source fiable et
digne de confiance, il y a risque de blocage du transfert.
- L’absence de motivation à recevoir le savoir développé ailleurs
peut être source de blocage. Ce comportement de réluctance est
symbolisé par le syndrome du NIH (Not Invented Here). C’est le
cas notamment des filiales multinationales où les unités et
divisions géographiquement dispersées refusent d’adopter un
savoir construit et validé ailleurs.
- L’absence de capacité d’absorption chez le destinataire ne lui
permet pas d’assimiler et d’intégrer le savoir transféré.
- L’absorption ne veut pas dire pour autant la réussite du
transfert. Souvent, le savoir absorbé ne peut être retenu
longtemps. L’incapacité à retenir et à institutionnaliser le savoir
transféré peut être une source de blocage pour tout le processus.
- Des structures fermées (fonctionnelles et divisionnelles) peuvent
être à l’origine du développement de comportements claniques
qui empêchent la partage des connaissances.
- Une culture marquée par la méfiance, l’hostilité et
l’individualisme ne favorise pas le transfert des connaissances.
144
Principaux auteurs
- Nelson et Winter
( 1982)
- Kogut et Zander
(1992).
Leonard
et
Sensiper (1998)
- Reed et Defilippi
(1990).
- Stenmark (2001)
- O’Dell et Grayson
(1998)
- Von Krogh (1998)
- Kanter et al.
(1992).
- Jacob et Pariat
(2000)
- Stenmark (2001)
Lundvall
et
Johnson (1994).
- Hedlund (1994)
- Nonaka et Konno
(1998)
- Tsai (2002).
On retiendra de ces recherches que le partage des connaissances est une activité
socialement complexe qui fait intervenir plusieurs variables. Les comportements
de rétention des savoirs seraient expliqués par les trois raisons suivantes : la
nature socialement complexe du savoir, les motivations des acteurs impliqués
dans l’activité de partage et le rôle du contexte organisationnel. Cette conclusion
est fort pertinente pour la suite de l’analyse. Elle nous aidera surtout à montrer la
pertinence du levier gestion des ressources humaines quand il s’agit de réduire
l’hostilité au partage des connaissances dans l’entreprise.
Dans le dessein de faciliter le partage du savoir, les organisations ont toujours
misé sur les apports de la technologie : les Intranets, les forums de discussion, les
bases de connaissances, etc. Or, de tels choix découlent d’une lecture particulière
du savoir qui l’assimile à l’information et aux données. Pour comprendre le rôle
de la GRH dans l’amélioration des capacités de partage des connaissances, il faut
rappeler la position épistémologique centrale de cette recherche. En effet, la
mobilisation de la théorie de l’encastrement social nous a permis de définir la
connaissance comme le produit social d’acteurs situés. Selon Tsoukas (1996), la
connaissance n’est pas un objet externe aux acteurs qui attend à être découvert et
transféré. L’approche par l’encastrement social met l’accent sur le contexte social,
humain et culturel dans le cadre duquel les acteurs construisent et partagent ce
qu’ils connaissent. Dans cette perspective, les pratiques de GRH agissent sur le
partage des connaissances à deux niveaux. Au niveau individuel, la GRH devrait
susciter chez les employés un état de motivation au partage de leurs expertises.
Au niveau organisationnel, en créant le contexte organisationnel capable de
stimuler et de promouvoir ce genre de comportements. A cet effet, les
gestionnaires des ressources humaines peuvent recourir à deux politiques de
gestion du travail et des personnes. Il s’agit du design du travail et des pratiques
de réseautage. Force est de constater que ces pratiques ne font pas partie des
attributions classiques de la fonction GRH. La première relève « normalement »
de la responsabilité des dirigeants de l’entreprise. La seconde, moins connue par
les entreprises, est faite d’une mixture de pratiques de design du travail et de
gestion des trajectoires professionnelles. Le choix de ces deux pratiques pour
figurer dans le « système de GRH orienté vers la gestion des connaissances »
montre l’évolution de la fonction GRH et sa tendance à se renouveler en
intégrant de nouveaux champs d’intervention et de nouveaux leviers d’action.
La politique de design et d’organisation du travail dans l’entreprise renvoie
directement au choix organisationnel en matière de structure. On reconnaît
généralement l’existence de deux grandes catégories de structures : mécaniste et
organique. La première s’adapte aux environnements stables et prévisibles. Elle
est fondée sur les principes de la hiérarchie, la formalisation des rôles, la stabilité
des tâches et la centralisation des décisions. Une telle forme d’organisation n’est
pas adaptée à la nouvelle donne de l’économie immatérielle. En effet, les
145
structures hiérarchiques sont le plus souvent fermées. Constituées de véritables
« silos verticaux qui ne partagent pas leurs connaissances », elles finissent par
développer des comportements professionnels claniques et une hostilité
« déconcertante » au partage et à la mise en commun des savoirs et savoir-faire
(Jacob et Pariat, 2000). Si elles peuvent être en mesure d’assurer un transfert des
connaissances explicites et formalisées à travers les règles et les routines qu’elles
créent, ces structures sont toutefois incapables de faire remonter à la surface de
l’organisation les savoirs tacites et « clandestins » enfouis dans le savoir-faire et
les schémas mentaux des employés. Ce sont pourtant ces savoirs tacites
fortement encastrés dans l’action qui forment la compétence distinctive de
l’organisation (Cook et Brown, 1999).
Les structures qui permettent un partage rapide et moins onéreux des savoirs
sont à rechercher dans le modèle d’organisation organique. Les recherches
actuelles sur le « redesign » organisationnel offrent des éclairages sur la question.
En effet, on assiste aujourd’hui à l’adoption de nouveaux modes d’organisation
par les entreprises. Les nouveaux dispositifs d’organisation du travail consacrent
les principes de flexibilité, de transversalité et de réactivité. Ils sont caractérisés
par des tâches flexibles, une communication latérale fluide, une marge
d’autonomie importante accordée aux acteurs et des modes de coordination
horizontaux et informels. De telles structures encouragent l’interaction entre les
acteurs et aident au partage des connaissances (Rogers, 2000 ; Collins et al., 2001).
En organisant le travail autour d’équipes auto-organisées, le gestionnaire des
ressources humaines maximise les chances de rencontre et crée de la « solidarité
face aux objectifs de performance » entre les différentes familles de métiers de
l’entreprise.
Le travail en équipe est fortement adopté par les entreprises qui évoluent dans
des contextes où les choix des consommateurs et les technologies évoluent
rapidement. Les équipes multifonctionnelles et les équipes projets sont les
formes d’organisation les plus utilisées. Les recherches empiriques suggèrent que
les nouvelles activités de développements de produits nouveaux utilisent une
approche multifonctionnelle (Griffin, 1997). L’ouverture des divers domaines
d’expertises les uns sur les autres autorise une coordination plus facile et un
transfert rapide des savoir-faire. Toutefois, pour assurer le partage des
connaissances, des conditions doivent être satisfaites. Il s’agit de créer une vision
collective qui rend les acteurs de l’équipe solidairement responsables (Enberg et
al., 2006). La vision est le « ciment » qui colle les parties et oriente les efforts vers
la réalisation des objectifs. D’autre part, la communication interfonctionnelle et la
transparence facilitent le décloisonnement des barrières entre les métiers de
l’entreprise (Holland et al., 2000). Enfin, il faut reconnaître les limites du travail
en équipe et se préparer à gérer les conflits d’intérêts et les problèmes dus à la
multiplicité des identités professionnelles à l’œuvre (Sapsed et al., 2002).
146
Le travail en équipe offre également aux acteurs l’opportunité de construire des
pratiques de « réseautage social » qui leur permettent de partager leurs savoirs
et savoir-faire. Le réseautage social permet aux jeunes employés d’apprendre des
plus expérimentés. Le tutorat est ainsi une pratique fortement prisée aujourd’hui
et qui facilite le transfert du savoir dans l’entreprise. En outre, la rotation des
postes est une pratique de gestion des ressources humaines qui permet aux
employés d’enrichir leurs connaissances et leurs réseaux relationnels. Ces
réseaux sont parfois déterminants pour apprendre de nouvelles manières de faire
ou résoudre un problème urgent. Des contextes organisationnels où les employés
ignorent souvent les procédures de fonctionnement à l’œuvre, volontairement ou
par nonchalance ; les réseaux relationnels se substituent aux règles de
fonctionnement écrites et permettent de débloquer bien de situations complexes.
C’est sans doute pour cette raison que plusieurs organisations ne lésinent plus
aujourd’hui sur les moyens pour instituer des « rencontres informelles »
permanentes entre leurs employés. En encourageant ce genre de pratiques, elles
espèrent offrir des espaces de partage extra-professionnels qui, à la longue,
créent la confiance nécessaire entre les acteurs et participent à une meilleure
diffusion des connaissances dans l’entreprise.
147
III.1.3 L’application des connaissances : l’empowerment et le management des
performances comme leviers d’action
La littérature sur le management des connaissances réserve peu de place à la
question de l’application des connaissances. Pourtant, sans cette capacité de
mettre en œuvre les savoirs construits par les acteurs, l’apprentissage de
l’organisation ne saurait donner ses fruits. Dans leurs travaux sur l’organisation
apprenante, Senge (1990) et Garvin (1993) avancent l’idée que l’apprentissage de
l’organisation va au delà des processus d’innovation et de dissémination des
savoirs. Il s’agit principalement de passer à l’acte en incorporant les savoirs
construits dans les schémas décisionnels et productifs. Ainsi, l’apprentissage de
l’organisation peut être interprété comme un cycle en trois étapes
complémentaires : la création, le partage et l’application des connaissances.
L’entreprise mesure souvent les résultats des processus de gestion des
connaissances par leur capacité à améliorer la performance opérationnelle de
l’organisation (qualité, productivité, maitrise des coûts, amélioration des
processus de fonctionnement) et la prise de décision (qualité, délais des
decisions, etc.).
L’application des connaissances appelle souvent à apporter des changements aux
modes de fonctionnement dans l’entreprise. Le degré de changement dépend
surtout de la nature des connaissances développées et du processus d’innovation
qu’elles impliquent. Les innovations incrémentales appellent à des modifications
mineures, locales et souvent sans grand effet sur le reste des fonctions de
l’entreprise. Par contre, les innovations radicales imposent des changements
d’ampleur qui touchent parfois la théorie à l’usage dans l’organisation et ses
présupposés centraux. Mais au delà de cette distinction, la question centrale qui
se pose est de connaître les facteurs organisationnels qui influencent les capacités
de l’entreprise en matière d’application des connaissances. Une lecture ciblée de
la littérature nous a montré la rareté des recherches qui ont pris en analyse cette
question. Il est toutefois possible de soutenir l’idée que la gestion des ressources
humaines est en mesure de jouer un rôle de levier sur cette capacité. Deux
pratiques contribuent particulièrement à développer cette compétence. Il s’agit
respectivement des pratiques d’empowerment et de management des
performances.
Dans le cadre des processus d’apprentissage organisationnel, la pratique de
l’empowerment est fort utile à toutes les étapes de ce cycle. Si nous avons
démontré son importance dans la phase de création des savoirs, nous devons ici
focaliser sur le rôle qu’elle joue au niveau de l’application des connaissances. En
effet, la mise en œuvre de nouveaux savoirs est une action entamée par les
individus dans le cadre de leurs fonctions. C’est aux acteurs de l’entreprise
d’intégrer les nouvelles connaissances dans la pratique quotidienne.
148
L’application des connaissances suivra alors une séquence de type essais-erreurs.
A cet effet, l’organisation est appelée à doter ses collaborateurs de l’autonomie
opérationnelle et décisionnelle nécessaire pour incorporer les nouveaux savoirs.
En apportant des changements au niveau de leur pratique quotidienne, les
acteurs « testent » les nouvelles connaissances, apportent des modifications et
« rectifient le tir » afin de stabiliser définitivement les nouvelles connaissances
acquises. L’importance donnée aux acteurs professionnels dans l’analyse du
processus d’application des connaissances n’est pas sans fondements. Plusieurs
expériences montrent l’échec des tentatives de mise en œuvre de savoirs
importés de l’extérieur sans se soucier du rôle que devraient jouer les acteurs
dans le « remodelage » et l’adaptation de ces connaissances.
En outre, les pratiques de management des performances sont fort utiles
lorsqu’il s’agit d’encourager les individus à appliquer de nouvelles
connaissances. Le management des performances est un concept nouveau en
GRH. Il inclut les trois variantes suivantes : l’évaluation des performances des
employés, la rémunération et le management par objectifs. Ensemble, ces trois
volets constituent le cœur du système de management des performances dans
l’entreprise. Cette pratique permet notamment de considérer l’application des
connaissances comme facteur de performance individuelle et de concevoir le
système de récompense associé. Les organisations du savoir utilisent
intensivement ce système. Elles encouragent leurs collaborateurs à se fixer des
objectifs précis en termes de mise en œuvre de nouveaux savoirs. Par ailleurs, le
système de rémunération dans ces entreprises est généralement indexé sur les
performances opérationnelles des individus. D’autres entreprises incluent les
compétences associées à la mise en œuvre des savoirs dans leurs référentiels des
compétences et en font, ainsi, un critère d’évaluation des performances de leurs
collaborateurs.
149
III.2 Proposition d’un modèle théorique sur le rôle de la GRH dans la
gestion des connaissances
Selon des perspectives très diverses, plusieurs chercheurs se sont intéressés à
l’analyse du positionnement de la fonction GRH dans la problématique de
gestion des connaissances (Thite, 2004 ; Shipton et al., 2005 ; Shipton et al., 2006).
Les liens entre la gestion des ressources humaines et le management des
connaissances sont par nature multidimensionnels, dans la mesure où, d’une
part, la gestion des ressources humaines est composée d’un certain nombre de
pratiques ayant des répercussions différenciées sur les capacités d’apprentissage,
et d’autre part, la gestion des connaissances peut être modélisée en termes de
processus en trois phases distinctes et complémentaires.
Sur la base d’une lecture ciblée de la littérature, nous avons recensé l’ensemble
des approches qui ont pris en analyse la relation entre la gestion des ressources
humaines et le management des connaissances. Nous avons également rejeté les
approches qui cadraient davantage avec la perspective déterministe. Ainsi,
l’approche par congruence et l’approche universaliste ont été écartées dans les
phases d’analyse ultérieures parce qu’elles semblaient s’inscrire dans cet espèce
de « one best way » organisationnel. Les approches sociale et celle par
l’apprentissage ont grandement servi l’analyse des pratiques de gestion des
ressources humaines dans le domaine du knowledge management. Elles nous
ont surtout permis d’apprécier le rôle de pratiques aussi diversifiées que la
formation, l’empowerment, le management des performances et le design du
travail dans le développement des capacités de gestion des connaissances. Mais
ces pratiques de GRH ne sont effectives que lorsqu’elles permettent de
développer un capital humain de valeur et suffisamment inimitable et de créer
une infrastructure culturelle orientée vers l’apprentissage et l’innovation. Ainsi,
l’un des choix conceptuels de cette recherche était de montrer l’importance des
notions de capital humain et de climat d’apprentissage dans la perspective d’une
approche « GRH » au management des connaissances. En dépit de leur
importance, l’intégration de ces deux variables a été rarement abordée dans les
recherches, laissant ainsi libre voie à l’analyse du rôle d’autres variables à l’instar
des outils technologiques. La gestion des connaissances est souvent considérée
comme un phénomène technologique, exogène aux acteurs de l’organisation et
pouvant être réalisée directement au moyen d’investissements dans les TIC. D’où
la rareté des recherches qui tentent d’identifier les variables humaines, sociales et
culturelles susceptibles d’influencer les processus d’apprentissage dans
l’organisation.
Dans l’analyse du rôle de la gestion des ressources humaines dans le knowledge
management, le choix du capital humain comme variable intermédiaire est basé
sur sa pertinence, théoriquement en empiriquement prouvée, pour expliquer les
150
phénomènes d’innovation, de création et de mise en œuvre des savoirs et savoirfaire dans l’organisation. L’intérêt de ce concept semble aussi croître pour des
organisations composées majoritairement de hauts potentiels faisant valoir des
compétences analytiques et résolutoires hautement spécifiques (Handy, 1996). Le
capital humain est principalement fondé sur les compétences spécifiques des
employés et la somme de l’intelligence et de la valeur qu’il recèle. Lorsque le
management des connaissances rime avec innovation, créativité, habileté,
intelligence et apprentissage permanent, la compréhension des mécanismes à la
base de la formation d’un capital humain spécifique et de valeur devient
nécessaire. L’intégration du capital humain dans un modèle conceptualisant la
relation entre la GRH et le knowledge management permet à la fois d’analyser
l’impact éventuel de certaines pratiques de GRH censées favoriser la gestion des
savoirs sur le capital humain de l’entreprise et les liens possibles de ce capital
avec les processus de création et de mise en œuvre des savoirs dans l’entreprise.
Par ailleurs, la mobilisation du concept de climat d’apprentissage découle d’une
réflexion sur l’infrastructure sociale et culturelle de la problématique de gestion
des connaissances. L’évaluation « sociale » du contexte du travail renseigne sur
l’importance des facteurs d’autonomie, de coopération et de confrontation
constructive dans le processus de partage des connaissances. Dans la littérature
sur l’apprentissage, le processus de partage des connaissances a souvent été
défini comme étant stable, parfaitement prévisible. Dans cette recherche, nous
avons emprunté une analyse qui réhabilite l’importance du contexte
organisationnel. La capacité des individus à partager leurs connaissances serait
ainsi tributaire du climat organisationnel. Plus ce climat est orienté vers
l’apprentissage, meilleures seront les chances de voir émerger des
comportements positifs de partage et de diffusion des connaissances.
L’intégration du climat d’apprentissage dans un modèle conceptualisant la
relation entre la GRH et le knowledge management permet à la fois d’analyser
l’impact éventuel de certaines pratiques de GRH censées favoriser la gestion des
savoirs sur le climat d’apprentissage dans l’entreprise et les liens possibles de ce
type de climat organisationnel avec le processus de partage des savoirs dans
l’entreprise.
151
III.2.1 Rôle de médiateur du capital humain et du climat d’apprentissage et
proposition d’un modèle de recherche
L’objet du modèle de recherche (figure 3.8) est d’éclaircir la relation qui existe
entre, d’une part, les pratiques de GRH orientées vers la gestion des savoirs et,
d’autre part les processus de création, de partage et de mise en œuvre des
savoirs. L’idée principale à la base de ce modèle est que la mise en place de
pratique de responsabilisation, de formation, de design du travail et de
management des performances contribue activement aux processus clefs de
gestion des savoirs. Elle permet d’une part, d’enrichir et d’améliorer la valeur du
capital humain de l’entreprise de manière à stimuler les activités d’innovation et
d’incorporation des savoirs dans les produits/services et les décisions de
l’entreprise. Elle concourt aussi à la création des conditions organisationnelles
favorables aux activités d’apprentissage. L’apprentissage de l’organisation est
opérationnalisé dans cette recherche à travers un cycle qui s’articule autour des
processus de création, de partage et d’application des savoirs.
En dépit de l’importance du questionnement central de cette recherche, il n’existe
que très peu de travaux qui se sont intéressés, et très souvent sans aborder les
validations empiriques, aux mécanismes d’influence de la GRH sur les processus
clefs de gestion des connaissances. La prémisse principale de cette thèse est
située ici. L’objectif est donc de tester le rôle médiateur du capital humain et du
climat d’apprentissage dans la relation entre la GRH et la gestion des
connaissances. Autrement dit, il s’agit de postuler d’une relation indirecte entre
les deux variables indépendante et dépendante de ce modèle.
En se basant sur la synthèse de la littérature présentée dans ce chapitre, il nous a
été possible de proposer un modèle qui permettrait d’évaluer l’impact des
dispositifs de gestion des ressources humaines orientés vers l’apprentissage sur
les capacités organisationnelles de gestion des connaissances. Sur la base d’une
confrontation entre les travaux théoriques et le terrain (voir chapitre 4 aussi), les
pratiques suivantes ont été retenues :

La création des savoirs est une activité organisationnelle soutenue par les
pratiques de formation et de responsabilisation des salariés. La première
pratique permet de diversifier les répertoires de compétences individuels
de manière à améliorer les contributions individuelles aux processus
d’innovation. A travers l’autonomie opérationnelle et la délégation, la
seconde pratique offre aux acteurs les opportunités d’expérimentation et
« d’erreur » qui semblent déterminantes dans une perspective de
développement de nouvelles connaissances.
152

Le partage des savoirs s’exprime en termes comportementaux.
L’organisation est appelée à décloisonner les départements, à désenclaver
les « poches de connaissances » et à réduire l’hostilité « quasi-naturelle »
au partage des connaissances chez les individus. Dans ce cadre, l’apport
de la GRH se situe au niveau du design du travail. Opter pour des
dispositifs de travail souples, horizontaux et ouverts pourrait contribuer à
une meilleure intégration des savoirs. Mais au delà de cette dimension
strictement « structurelle », le design du travail offre des possibilités de
réseautage social et informel entre les individus, ce qui pourrait donner
lieu à des moments d’échange informel et de transfert de savoirs entre
employés.

Enfin, la mise en application des savoirs renvoie à la manière avec laquelle
les individus incorporent leurs connaissances dans le cadre de leurs
activités professionnelles. Ce passage à l’acte (ou aux résultats concrets)
appelle à la mobilisation de pratiques de responsabilisation et de
management des performances.
Dans l’analyse de la relation entre la GRH et la gestion des connaissances, le
capital humain et le climat d’apprentissage semblent jouer un rôle important de
médiation. En théorie, une variable médiatrice est définie comme étant le
mécanisme à travers lequel la variable indépendante ou principale est capable
d’expliquer la variable étudiée (Baron et Kenny, 1986). En d’autres termes, une
variable médiatrice permet de transmettre intégralement ou partiellement l’effet
d’une variable indépendante sur une variable dépendante (ElAkremi et Roussel,
2003). En premier lieu, la variable médiatrice est la conséquence de la variable
indépendante ; alors qu’en deuxième lieu, elle joue le rôle d’antécédent par
rapport à la variable dépendante. Sur le plan conceptuel, une variable médiatrice
explique comment, et selon quel mécanisme une variable indépendante influence
une variable dépendante. Selon Baron et Kenny (1986), il existe une médiation
parfaite et une médiation partielle. Une variable médiatrice est dite parfaite si
elle transmet intégralement l’effet de la variable indépendante sur la variable
dépendante. Dans ce cas, si on la contrôle, la variable indépendante n’a plus
aucun effet sur la variable dépendante. Par contre, un médiateur partiel transmet
seulement une partie de cet effet. Il n’annule pas l’effet de la variable
indépendante sur la variable dépendante, mais le réduit significativement.
Ce rôle médiateur entre les dispositifs de GRH et les processus de gestion des
connaissances sera pris en analyse. Le modèle de recherche a été construit à
travers des allers-retours entre la théorie et le terrain (voir chapitre quatre). Il
demeure perfectible dans la mesure où il ne comporte certainement pas
l’intégralité des variables individuelles et organisationnelles qui interviennent
dans la problématique étudiée.
153
Figure 3.8- GRH, capital humain, climat d’apprentissage et processus de gestion
des savoirs : modèle de recherche
Pratiques de GRH
orientées vers la
gestion des savoirs
Capital humain
* Pratiques
d’empowerment
* Création des
savoirs
* Pratiques de
formation
* Pratique de design du
travail et de réseautage
Processus de
gestion des
savoirs
* Partage des
savoirs
Climat
d’apprentissage
* Pratiques de
management des
performances
* Application des
savoirs
III.2.2 Formulation des hypothèses de recherche
Le questionnement à la base de cette recherche peut être condensé en une
hypothèse globale (Hg) qui peut être énoncée comme suit :
Les pratiques de GRH orientées gestion des savoirs, influencent indirectement les
capacités de gestion des connaissances à travers le capital humain et le climat
organisationnel.
Relations entre GRH et capital humain
La première série d’hypothèses concerne la relation directe entre les dispositifs
de GRH orientées vers l’apprentissage et le capital humain. Ces hypothèses
s’énoncent comme suit :
H1.1 Les pratiques d’empowerment influencent positivement le capital
humain
154
H1.2 Les pratiques de formation influencent positivement le capital humain
de l’entreprise
H1.3 Les pratiques de management des performances influencent
positivement le capital humain
Relation entre GRH et Climat d’apprentissage
La deuxième série d’hypothèses concerne la relation entre les dispositifs de GRH
orientés vers l’apprentissage et le climat d’apprentissage. Ces hypothèses
s’énoncent comme suit :
H2.1 Les pratiques d’empowerment influencent positivement le climat
d’apprentissage
H2.2 Les pratiques de design du travail et de réseautage influencent
positivement le climat d’apprentissage
H2.3 Les pratiques de management des performances influencent
positivement le climat d’apprentissage.
Relation entre Capital humain et processus de gestion des connaissances
H3.1 Le capital humain influence positivement le processus de création des
connaissances
H3.2 Le capital humain influence positivement le processus d’application
des connaissances
Relation entre Climat d’apprentissage et processus de gestion des connaissances
H4.1 Le climat d’apprentissage influence positivement le processus de
création des connaissances
H4.2 Le climat d’apprentissage influence positivement le processus de
partage des connaissances
H4.3 Le climat d’apprentissage influence positivement le processus
d’application des connaissances
155
Le rôle médiateur du capital humain
H5.1 Le capital humain joue un rôle de médiation entre les pratiques
d’empowerment et la création des savoirs
H5.2 Le capital humain joue un rôle de médiation entre la formation et la
création des savoirs
H5.3 Le capital humain joue un rôle de médiation entre les pratiques
d’empowerment et l’application des savoirs
H5.4 Le capital humain joue un rôle de médiation entre les pratiques de
management des performances et l’application des savoirs
Le rôle médiateur du climat d’apprentissage
H6.1 Le climat d’apprentissage joue un rôle de médiation entre les
pratiques d’empowerment et la création des savoirs
H6.2 Le climat d’apprentissage joue un rôle de médiation entre les
pratiques de design du travail et de réseautage et le partage des savoirs
H6.3 Le climat d’apprentissage joue un rôle de médiation entre les
pratiques de management des performances et l’application des savoirs.
156
Conclusion
L’objectif de ce chapitre était de construire un modèle théorique qui explicite la
contribution des pratiques de gestion des ressources humaines aux processus de
création, de partage et d’application des connaissances. L’étude des liens entre
les pratiques de management des personnes et la gestion des connaissances
bénéficie très peu de connaissances établies ou de résultats déjà validés. Peu
explorée, cette problématique mérite d’être analysée davantage. Dans ce
chapitre, nous avons émis l’hypothèse générique selon laquelle les dispositifs de
gestion des RH influencent indirectement les processus de gestion des
connaissances à travers le développement du capital humain de l’entreprise et la
promotion d’un climat d’apprentissage. Les pratiques de GRH retenues dans ce
modèle sont respectivement : la formation, l’empowerment, le management des
performances et le design du travail et le réseautage social. Ces pratiques sont
censées contribuer à la création d’un potentiel d’innovation dont la mobilisation
repose sur la valeur du capital humain et la qualité du climat organisationnel.
Ce chapitre nous a permis, après une argumentation théoriquement fondée, de
produire un modèle de recherche théorique. L’objectif de la seconde partie de
cette recherche est de présenter l’opérationnalisation, la méthodologie, et les
résultats des analyses effectuées pour confirmer ou infirmer les hypothèses de
cette recherche.
157
Conclusion de la première partie
Au terme de cette première partie, rappelons que l’objectif central en était la
proposition d’une lecture renouvelée du management des connaissances. Selon
cette lecture, la gestion des RH serait un levier fondamental des processus de
création, de partage et d’application des connaissances. Une telle option place le
management des personnes au centre des démarches d’apprentissage
organisationnel. Elle appelle aussi à renoncer à la fiction de gérer les savoirs par
le recours aux seules technologies de l’information et de la communication. Selon
les choix opérés dans cette thèse, la gestion des connaissances est indissociable
d’une réflexion sur le contexte organisationnel dans le cadre duquel elle prend
place. La connaissance est le produit d’acteurs organisationnels dotés de
compétences spécifiques et agissant dans un espace-temps donné.
Dans cette perspective, nous avons plaidé en faveur d’une lecture
organisationnelle qui prendrait en compte le rôle des pratiques de gestion des
ressources humaines dans l’amélioration des capacités organisationnelles de
gestion des connaissances. La gestion des savoirs est pensée comme relevant
d’un processus fondamentalement social. Dans ce cadre, la connaissance a été
définie comme le produit dynamique et socialement distribué des interactions
des acteurs. Sa génération procède d’une logique interactionniste où les
questions de confiance, de pouvoir et de coopération semblent structurer les
processus de production et de partage des savoirs. En outre, une attention
particulière a été accordée au concept de capital humain. Dans une logique qui
associe à la fois les apports de la théorie de l’encastrement social et ceux du
champ du management stratégique des ressources humaines, nous avons
considéré qu’il est utile de porter une réflexion sur le capital humain de
l’entreprise comme facteur primordial dans le développement des capacités de
gestion des connaissances. En effet, la valeur des compétences détenues par les
personnes est déterminante dans les processus de création et de mise en
application des connaissances.
Sur la base de ces choix, nous avons procédé à la modélisation des liens entre les
pratiques de GRH, le capital humain, le climat d’apprentissage et la gestion des
connaissances. Les hypothèses de recherche découlant du modèle théorique ont
été ensuite présentées. Elles seront examinées et validées dans le cadre de la
deuxième partie de cette recherche. Cette seconde partie sera en effet réservée à
l’analyse de l’investigation empirique dans le contexte tunisien.
158
Deuxième partie
Mise en œuvre d’un modèle sur le rôle de la GRH
dans les processus de gestion des connaissances :
validation dans le contexte tunisien.
159
« Toute discipline scientifique a besoin d’un discours de la méthode. Mais en gestion, l’un des
critères essentiels consiste à vérifier que la méthode permet de répondre au problème posé. »
Jacques Igalens, (2005)
Introduction de la deuxième partie
Cette deuxième partie rend compte d’une étude empirique effectuée auprès de
sept entreprises tunisiennes appartenant à des secteurs d’activité « intensifs en
connaissances ». Nous tentons de mettre en œuvre le modèle théorique et de
valider les hypothèses de recherches qui en découlent. Consacrant le principe de
la complémentarité des paradigmes de recherche, ce travail empirique s’est fait
en deux phases distinctes, mais complémentaires.
En premier lieu, une étude qualitative exploratoire a été menée. Son objectif est
de raffiner les choix définitionnels découlant du modèle théorique. Elle vise aussi
à apprécier la plausibilité des liens rendus nécessaires par le cadre théorique. La
mise à l’épreuve des hypothèses découlant du modèle de recherche présume une
confrontation sur le terrain entre les différentes conceptions que les acteurs ont
sur les thèmes de la gestion des connaissances, du capital humain et du climat
d’apprentissage. Cette confrontation est d’autant plus difficile que les liens entre
la gestion des ressources humaines et la gestion des connaissances sont peu
étudiés et méconnus dans le contexte de l’entreprise tunisienne.
En deuxième lieu, une analyse de régression est menée sous le logiciel SPSS pour
valider les hypothèses de recherche. Au préalable, une analyse factorielle
exploratoire sera menée afin d’apprécier la validité et la qualité de l’instrument
de mesure. En dépit de ses insuffisances, le choix du questionnaire comme outil
de recueil des données est une option fortement préconisée en sciences de
gestion. Dans le cadre de cette recherche, le choix du questionnaire s’appuie sur
un certain nombre d’arguments. Le recours à une démarche empirique à travers
l’utilisation du questionnaire comme instrument de collecte des données
renforce la contrôlabilité du chercheur sur le processus de recherche et permet
par là même de réduire le risque de “dissolution” du phénomène étudié (ElAkremi, 2000). En outre, cette option tient à notre volonté de tester un certain
nombre d’hypothèses, pour lesquelles des possibilités de mesure existaient déjà,
par l’utilisation d’un questionnaire à échelles multiples. Enfin, le choix du
questionnaire repose sur le fait que cet outil est largement utilisé aussi bien dans
les recherches sur la GRH que celles portent sur le management des
connaissances.
160
Toutefois, quelle que soit la méthode utilisée, qualitative ou quantitative, il
demeure difficile d’identifier et de mesurer intégralement les processus associés
aux phénomènes sociaux. Le chercheur doit alors s'essayer à élaborer des
modèles qui soient les appréciations les plus crédibles, les plus valables et les
mieux théoriquement conçues possibles des phénomènes étudiés.
Outre la clarification des options méthodologiques ainsi que les analyses
statistiques nécessaires, cette seconde partie devrait engager, dans une dernière
section, une discussion des résultats empiriques. Cette discussion se fera en
fonction de la littérature disponible et, lorsque c’est possible, de l’analyse de
contenu des entretiens exploratoires. Sur la base de cette discussion, des
implications pratiques seront retenues et des recommandations managériales
actionnables présentées.
161
Chapitre quatre
Spécification du cadre opérationnel de la recherche : une
étude qualitative exploratoire et conception du
questionnaire de recherche
Dans la première partie de cette thèse, nous avons développé le cadre théorique
permettant d’intégrer le management des connaissances dans une problématique
de gestion des ressources humaines. Nous avons plaidé dans cette recherche en
faveur d’une gestion des connaissances repensée. Pareille entreprise appelle à
explorer davantage la perspective organisationnelle du knowledge management
en focalisant sur le rôle de levier que la GRH est susceptible de jouer dans cette
perspective. Cette approche « renouvelée » du knowledge management reste très
peu explorée dans la littérature spécialisée. Les liens entre la gestion des
ressources humaines et les processus de gestion des connaissances sont souvent
incompris, voire incohérents. Dans ce cadre, la mise à l’épreuve des hypothèses
découlant du modèle théorique suppose une confrontation sur le terrain entre les
différentes conceptions que les acteurs ont sur les thèmes de la gestion des
connaissances, de la gestion des ressources humaines, du capital humain et du
climat d’apprentissage. Une investigation qualitative exploratoire s’impose alors.
Engagée au début des travaux de cette thèse, l’exploration qualitative avait pour
objectifs de raffiner les concepts de base de l’étude et d’apprécier la plausibilité
des liens rendus nécessaires par la modélisation théorique.
L’objectif de ce chapitre est de préparer le cadre opérationnel nécessaire à la mise
à l’épreuve des hypothèses de recherche. En sciences de gestion,
l’opérationnalisation d’une recherche est un processus qui nécessite des allersretours entre le domaine théorique et le terrain. De tels « mouvements » se
justifient d’une part, quand la revue de la littérature ne permet pas de spécifier
totalement l’ensemble du cadre conceptuel et d’autre part, quand le chercheur est
obligé d’intégrer les perceptions des gens du terrain dans la conceptualisation
finale de son modèle. Le choix d’une investigation qualitative exploratoire suivie
d’une enquête par questionnaire est dicté par la nature de cette recherche et la
nécessité de peaufiner le modèle théorique avant de le mesurer sur le terrain. Ce
choix d’une méthodologie mixte cadre avec les orientations épistémologiques et
méthodologiques de cette thèse. Cette recherche s’inscrit en effet dans la logique
162
d’une épistémologique positiviste de confirmation. De nature hypothéticodéductive, la méthode de recherche suivie ainsi que les instruments de recueil
des données mobilisés consacrent, toutefois, le principe de l’ouverture des
paradigmes et transcendent le clivage historique entre méthodes qualitatives et
quantitatives (section I). Outre la spécification des options épistémologiques et
méthodologiques, ce chapitre rend compte des résultats d’une enquête
exploratoire menée auprès de deux populations d’employés distinctes : les
cadres opérationnels et les Directeurs des Ressources Humaines (section II). Cette
investigation auprès de deux types de population se justifie par la nécessité de
comprendre d’une part les concepts de GRH et de gestion des connaissances, et
d’autre part, les liens complexes et jusque-là peu explorés entre ces deux
construits. Les entretiens menés ont subi une procédure d’exploitation de type
analyse de contenu. Au-delà de ses implications en termes d’amélioration du
cadre conceptuel et du modèle de recherche, la recherche exploratoire a permis
de stabiliser les concepts de base de l’étude et d’orienter le choix du
questionnaire de recherche. Ce questionnaire composé d’échelles de mesure
sélectionnées dans la littérature et légèrement modifiées, est présenté dans la
dernière partie de ce chapitre (Section III). Cette section comporte aussi des
informations sur la procédure de prétest du questionnaire et une description
succincte des données recueillies.
163
Section I. Options épistémologique et méthodologique de la recherche
La recherche en sciences de gestion est un processus long et rigoureux. Le
chercheur doit être capable de concevoir et de mettre en œuvre un dispositif
fiable pour accéder au réel et élucider son contenu. A chaque phase de la
recherche, des décisions doivent être prises et des choix seront faits. « La
recherche en sciences sociales suit une démarche analogue à celle du chercheur
de pétrole. Ce n’est pas en forant n’importe où que celui-ci trouvera ce qu’il
cherche. Au contraire, le succès d’un programme de recherche pétrolière dépend
de la démarche suivie. Etude des terrains d’abord, forage ensuite. Cette
démarche nécessite le concours de nombreuses compétences différentes. Des
géologues détermineront les zones géographiques où la probabilité de trouver
du pétrole est la plus grande ; des ingénieurs concevront des techniques de
forages appropriées que des techniciens mettront en œuvre. Le processus est
comparable en matière de recherche sociale. Celle-ci ne se présentera jamais
comme une simple addition de techniques qu’il s’agirait d’appliquer telles
quelles mais bien comme une démarche globale de l’esprit qui demande à être
réinventée pour chaque travail. » (Quivy et Van Campenhoudt, 1988 : 3).
Ainsi, pour répondre à une problématique posée, une méthodologie de recherche
doit être définie. Toutefois, le choix d’une démarche méthodologique en sciences
de gestion demeure ouvert. Il s’agit en effet d’un choix extrêmement difficile
compte tenu de la multiplicité de critères à concilier. Le critère principal et
généralement admis reste la nécessité d’adapter la méthodologie utilisée à la
problématique de recherche. Ainsi, il n’existe pas une bonne ou une mauvaise
méthodologie dans l’absolu. Chaque démarche d’investigation empirique se
justifie d’abord par son adéquation avec le problème initialement posé par le
chercheur.
L’objectif de cette section est de clarifier les options méthodologiques de cette
thèse et d’en expliciter les fondements épistémologiques. En effet, tout chercheur
est appelé à clarifier sa posture épistémologique, en d’autres termes la
philosophie des sciences sur la base de laquelle il « voit » son terrain. Ce choix
devrait faciliter par la suite le repérage de la méthode de recherche appropriée.
Comme nous le verrons plus loin, il existe un lien étroit entre le fondement
épistémologique d’une recherche et sa démarche méthodologique. De plus, la
méthodologie permet de définir les techniques et les outils qui permettraient au
chercheur d’accéder au terrain et de produire ses données. Dans cette section,
nous présentons une démarche générale de choix de méthodologie de recherche.
Cette démarche s’appuie sur deux critères essentiels : la position
épistémologique du chercheur et la spécificité de l’objet de la recherche. Elle
nous permettra de fixer notre choix quant à la méthodologie mobilisée dans cette
recherche. Nous commencerons par définir brièvement la recherche dans le
164
domaine des sciences de gestion. Ensuite, nous discuterons des différentes
postures épistémologiques des chercheurs en sciences de gestion. Deux
paradigmes ont influencé l’histoire de la recherche dans ce domaine : le
positivisme et le constructivisme. Au delà de l’analyse classique de l’opposition
de ces deux paradigmes, notre objectif serait de montrer combien ce débat
épistémologique influence le choix d’une méthodologie d’investigation par le
chercheur. Une grille de lecture des différentes méthodologies sera présentée à
l’issue de cette discussion. Elle nous guidera dans la définition d’une
méthodologie de recherche propre à notre travail. Enfin, nous présenterons le
terrain d’investigation choisi pour mener la recherche empirique.
I.1. Nature, utilité et démarche de la recherche en sciences de gestion
Cohen (1996) définit les sciences de gestion comme cet ensemble de pratiques, de
discours ou de connaissances théoriques ou techniques relatifs à la conduite de
l’organisation. La gestion peut être approchée de plusieurs angles et
perspectives. Pour certains, c’est la « science de l’action », c’est à dire qu’elle est
formée d’un ensemble de pratiques dont l’objectif est d’améliorer l’efficience et la
fiabilité de l’organisation. Pour d’autres, elle est une discipline scientifique digne
de ce statut malgré son jeune âge. Cohen résume ce débat en divisant la diversité
des objets de la gestion en quatre. La gestion serait d’abord un ensemble de
pratiques (opérations, outils, pratiques d’interventions, etc.). Elle est ensuite un
ensemble de connaissances théoriques et empiriques. En outre, elle peut être
définie comme une visée commune. Enfin, la gestion est un ensemble de discours
sur la manière d’organiser l’entreprise.
D’autre part, Hatchuel (2000) définit les sciences de gestion comme la science des
collectifs. Elles s’intéressent donc aux problématiques de l’action collective : la
prise de décisions, les phénomènes de coopération, le pouvoir, la rationalisation,
etc. Les sciences de gestion s’attachent alors à comprendre et à décrire (et parfois
prévoir) la genèse et la réinvention des ces problématiques. Pour Hatchuel,
l’objet des sciences de gestion serait alors une théorie axiomatique et
généalogique de l’action collective. Dans cette perspective, l’organisation est
considérée comme une classe d’actions dont l’effet des techniques de gestion
dépend de la réflexivité des acteurs et des collectifs où elles sont mises en œuvre.
En sciences de gestion, la recherche a souvent pour objectif de décrire, de
comprendre, d’expliquer ou de prédire des phénomènes liés aux organisations.
Au delà de sa valeur purement fonctionnelle, la recherche en sciences de gestion
peut poursuivre d’autres types d’objectifs. C’est ainsi que Coughlan et Brady
(1995) distinguent trois types « d’utilité » de la recherche en sciences de gestion.
Il y aurait ainsi une utilité pratique, théorique ou méthodologique. Le tableau 4.1
reprend succinctement l’apport des deux auteurs.
165
Tableau 4.1- Utilités de la recherche en sciences de gestion
Utilité pratique

Mener probablement à la résolution de quelques
problèmes organisationnels pratiques.
Utilité théorique


Prolonger la théorie existante à une autre population
Utiliser la théorie existante en employant la même
perspective
Tester des théories concurrentes
Tester la théorie développée dans une recherche
précédente.


Utilité
méthodologique


L’étude apporte une contribution unique en développant
et en examinant de nouvelles méthodes ou en appliquant
une méthode jusque-là peu appliquée dans un secteur
donné
Avancées concernant l’un ou plusieurs des aspects
suivants : conception, prélèvement, analyses, procédure
de collecte des données, stratégie d’accès au réel, stratégie
de mesure, etc.
Source : Coughlan et Brady (1995).
Il est aujourd’hui unanimement reconnu que la gestion fait partie des sciences
praxéologiques, orientées vers l’action. Ainsi l’utilité de la recherche en sciences
de gestion représente un critère fondamental qui en détermine la valeur. Dans ce
sens, la capacité d’une recherche à générer des implications managériales et à
solutionner les problèmes d’ordre pratique semble aujourd’hui être une qualité
fortement prisée. Cette orientation fondamentale vers la pratique est sans doute
l’argument majeur de ceux qui réfutent aujourd’hui l’idée de la scientificité de la
gestion. Selon cette thèse, la gestion avance mieux en tant qu’ensemble de
pratiques et de techniques opérationnelles qu’en tant que corps de connaissances
scientifiques. Si ce débat mérite attention et analyse critique, nous préférons
toutefois ne pas le prendre en analyse dans le cadre de cette section.
Le problème de la connaissance scientifique en sciences de gestion se pose de la
même manière pour tous les autres phénomènes sociaux, voire naturels : dans
tous ces cas, des hypothèses théoriques doivent être confrontées à des données
d’observation ou d’expérimentation. Toute recherche doit donc répondre à des
principes stables et identiques qui en forment la démarche de base, même si
plusieurs voies différentes peuvent conduire à la connaissance scientifique. Selon
Quivy et Van Campenhoudt (1986), les méthodes de recherches ne sont que de
second ordre. Ce qui importe pour le chercheur en sciences de gestion, c’est de
166
fixer, en premier lieu, sa démarche d’investigation. Une démarche est un
ensemble d’étapes claires et logiquement articulées. C’est une manière
d’organisation du travail du chercheur qui lui permet de progresser sereinement
vers un but. Quivy et Van Campenhoudt (1986) avancent que la démarche de
recherche en sciences de gestion s’articule autour de trois actes clefs : la rupture,
la construction et la constatation. Ces trois moments sont résumés dans le tableau
4.2.
Tableau 4.2- les trois actes de la démarche scientifique en sciences de gestion
selon Quivy et Van Campenhoudt (1986).
La rupture
La construction
La constatation
En sciences de gestion, le bagage théorique dont dispose le chercheur possède
de nombreux pièges car une grande part de nos idées s’inspire des
apparences immédiates ou de partis pris. Elles ne sont souvent qu’illusion et
préjugés. Construire sur de telles prémisses revient à construire sur du sable.
D’où l’importance de la rupture qui consiste précisément à rompre avec les
préjugés et les fausses évidences qui nous donnent seulement l’illusion de
comprendre les choses. La rupture est donc le premier acte constitutif de la
démarche scientifique en sciences de gestion.
Cette rupture ne peut être effectuée qu’à partir d’une représentation
théorique préalable qui est susceptible d’exprimer la logique que le chercheur
suppose être à la base du phénomène. C’est grâce à cette construction mentale
qu’il peut prévoir l’appareillage à installer, les opérations à mettre en œuvre
et les conséquences auxquelles il faut logiquement s’attendre au terme de
l’observation. Il ne peut y avoir de constatation fructueuse sans construction
d’un cadre théorique de référence. On ne soumet pas n’importe quelle
proposition à l’épreuve des faits. Les propositions doivent être le produit
d’un travail rationnel fondé sur la logique et sur un bagage conceptuel
valablement constitué.
Une proposition n’a droit au statut scientifique que dans la mesure où elle est
susceptible d’être vérifiée par les faits. Cette mise à l’épreuve des faits est
appelée constatation ou expérimentation. Elle correspond donc au troisième
acte de la recherche.
Toujours selon Quivy et Van Campenhoudt (1986), dans le déroulement concret
d’une recherche en sciences de gestion, les trois actes de la démarche scientifique
sont mis en œuvre au cours d’une succession d’opérations regroupées en sept
étapes. La figure suivante reprend l’intégralité de la démarche telle que proposée
par les auteurs.
167
Figure 4.1- Les étapes de la démarche scientifique en sciences de gestion
Etape 1: la question de départ
Etape 2: l’exploration
Les entretiens
exploratoires
Les lectures
Etape 3: la problématique
Etape 4: la construction du modèle d’analyse
Etape 5: l’observation
Etape 6: l’analyse des
informations
Etape 7: les conclusions
Source : Quivy et Van Campenhoudt (1986 : 20).
168
I.2. Positionnement épistémologique de la recherche
Dans le débat sur les sciences de gestion, la question épistémologique a souvent
été jugée « trop théorique » et a été de fait, reléguée au second plan. « Les
gestionnaires sont des gens sérieux et efficaces qui n’ont donc pas de temps à
perdre dans une quelconque réflexion épistémologique. L’importance et
l’urgence des problèmes que rencontrent les entreprises les invitent – au
contraire – à produire concepts, méthodes et outils censés résoudre ceux-là »
(Martinet, 1990 : 9). Toutefois, selon Martinet (1990 :9), « Le désormais vaste et
hétérogène ensemble des producteurs de sens dans le domaine – chercheurs,
enseignants, consultants, praticiens eux-mêmes – ne saurait se satisfaire encore
longtemps d’un clivage fallacieux, mythique ou idéologique entre ceux qui
feraient de l’épistémologie et ceux qui auraient mieux à faire ». Un tel constat
montre l’importance aujourd’hui pour les chercheurs en sciences de gestion
d’accorder davantage d’attention à l’explicitation et l’analyse des fondements
épistémologiques de leurs projets de recherche. En entamant une nouvelle
recherche, le chercheur en sciences de gestion est appelé à s’interroger sur un
certain nombre de points pouvant porter aussi bien sur les données elles-mêmes
que sur la valeur scientifique des résultats obtenus ou attendus de la recherche.
Ce constat peut nous suffire à justifier la pertinence et l’importance de clarifier
les fondements épistémologiques de la recherche en sciences de gestion.
I.2.1 Epistémologie et sciences de gestion
En combinant les travaux respectifs de Piaget (1967) et de Cohen (1996), il est
possible de définir l’épistémologie comme l’étude de la constitution des
connaissances valables. C’est la philosophie de la connaissance, la théorie des
sciences ou encore la théorie de la connaissance. L’enjeu de définir une posture
épistémologique en gestion est d’affirmer l’identité scientifique des sciences de
gestion ainsi que l’identité épistémologique des connaissances en gestion (Ben
Aissa, 2002). Clarifier son positionnement épistémologique permet d’orienter, de
guider et de doter le chercheur de principes, de paradigmes régulateurs de
l’activité de recherche, de repères problématiques et méthodologiques dans la
conduite du processus de recherche. Selon Hatchuel (2000), l’épistémologie des
sciences de gestion se compose essentiellement de trois registres. D’abord, la
connaissance contingente, dans le sens ou la connaissance dépend du contexte de
l’entreprise et d’un cadre spatio-temporel spécifique. Ensuite, la théorie
généalogique. Enfin, la doctrine mobilisatrice. De manière plus simple, la
question qui se pose, concernant l’épistémologie des sciences de gestion, est la
suivante : qu’est-ce qu’on peut considérer en gestion comme relevant du registre
scientifique ? Pour répondre à une telle question, il y a lieu de définir les critères
de scientificité tels qu’ils apparaissent dans les sciences dures. Ces mêmes
critères sont applicables aux sciences sociales, dont la gestion, avec néanmoins
169
prise de certaines précautions due au caractère spécifique et particulier des
sciences de gestion. Le premier critère de scientificité est la causalité. Sa
définition est simple : la cause d’un phénomène sera l’ensemble des antécédents
dont l’intervention nous permet de comprendre ce phénomène, c’est à dire de le
reproduire, au moins en pensée. Le deuxième critère est l’objectivité de la
recherche. Le troisième critère est l’adéquation du savoir scientifique à son objet.
I.2.2 Epistémologies positiviste et constructiviste
Il est possible de ramener le débat sur l’épistémologie des sciences de gestion à
l’opposition de deux paradigmes majeurs : le positivisme et le constructivisme.
Dans ce qui suit, nous définissons les postulats de base de chaque paradigme.
Ensuite, nous mettrons en comparaison leurs hypothèses et implications
méthodologiques.
I.2.2.1 L’épistémologie positiviste
Le premier des positivistes et sans doute son fondateur est Auguste Comte. Selon
Comte, le mot positif désigne le réel. Le premier principe du positivisme est le
principe ontologique, appelé aussi réalité du réel ou encore critère de vérité.
Selon ce principe, la recherche scientifique implique nécessairement une
ontologie. Sera ainsi vraie une proposition qui décrit effectivement la réalité. « Le
but de la science sera donc de découvrir la vérité en découvrant en en décrivant
la réalité tenue pour évidence sensible » (Le Moigne, 1990 :92). Le deuxième
principe est celui de l’univers câblé. Selon ce principe, la réalité est connaissable
par les lois éternelles qui régissent ses comportements. Cet univers connaissable
est un univers câblé, et le but de la science est de découvrir le plan de câblage.
Découvrir la vérité, c’est découvrir les lois ou les déterminations qui les
régissent. Le troisième principe du positivisme est l’objectivité. Ce principe est
simple. Si le réel est, en soi, il doit exister indépendamment du sujet qui déclare
le percevoir ou l’observer. En outre, l’observation de l’objet réel par un sujet ne
doit pas modifier la nature (ou le statut ontologique propre) de cet objet.
I.2.2.2 L’épistémologie constructiviste
L’épistémologie constructiviste s’est progressivement imposée comme
paradigme concurrent au positivisme de Comte. Selon Inhelder et Vonèche
(1985), le terme de constructivisme peut être entendu de différentes manières. Il
peut faire référence à des théories logiques s’opposant au nominalisme, à
l’empirisme, au déductivisme et au réductionnisme en mathématique. Il peut
encore se rapporter plus précisément aux théories intuititionnistes. Selon les
auteurs, « le constructivisme demeure sans doute la seule épistémologie valable
de l’innovation créatrice, car lui seul explique comment le savoir peut créer luimême les conditions et les instruments du savoir » (Inhelder et Vonèche,
1985 :13). Le premier principe du constructivisme est celui de la représentabilité.
170
Contrairement au positivisme, la connaissance ne reflèterait pas une réalité
ontologique objective. Elle concernera plutôt l’organisation de nos
représentations d’un monde constitué par nos expériences. « Ne postulant plus la
réalité de la réalité, mais seulement la représentabilité de nos expériences, nous
ne pouvons plus définir la vérité par la perfection de la superposition de ce réel
et du modèle de ce réel. En revanche, nous saurons reconnaître l’adéquation des
modèles de notre expérience du monde avec cette expérience » (Le Moigne,
1990 :106). Le deuxième principe est celui de l’univers construit ou le postulat de
la téléologie des représentations du monde. Non seulement le comportement
cognitif du sujet connaissant s’interprète plus volontiers en termes de causes
finales qu’en termes de causes efficientes mais surtout la détermination et la
transformation de ces finalités semblent très souvent devoir être interprétées en
termes endogènes, autoproduites par le sujet lui-même. Le troisième principe est
celui de la projectivité ou de l’interaction sujet-objet. Selon ce postulat, la
connaissance de la réalité n’ayant d’autre réalité que la représentation que s’en
construit un sujet, l’interaction sujet-objet est précisément constitutive de la
construction de la connaissance.
I.2.2.3 De l’opposition positivisme / constructivisme
Les paradigmes positiviste et constructiviste peuvent être lus à travers l’angle de
leur opposition. En effet, les deux paradigmes véhiculent des visions différentes
du monde, de la connaissance et de la recherche en sciences sociales. Les deux
épistémologies fondent aussi des méthodologies de recherche différentes
donnant lieu à l’utilisation par le chercheur d’outils de collecte et d’analyse des
données différenciés. Dans la posture positiviste, les hypothèses
épistémologiques et les principes méthodologiques ont un caractère fermé. Le
chercheur positiviste en sciences de gestion cherche à donner aux dirigeants,
dans un but explicatif et prédictif, les clefs du fonctionnement du monde. Les
épistémologues constructivistes ont une acception différenciée de la
connaissance. Cette épistémologie non cartésienne conteste le primat
méthodologique du réductionnisme dans l’élaboration de la connaissance. Avec
une telle posture épistémologique, la recherche en sciences de gestion focalise sur
l’explication des phénomènes et non sur leur prédiction. Ainsi, dans l’esprit
constructiviste, la connaissance, avant d’être un résultat en soi, est d’abord un
processus de construction de connaissances.
La littérature sur l’épistémologie des sciences de gestion est très riche.
L’opposition entre positivisme et constructivisme en est un thème privilégié. Les
implications de cette opposition sont fortes. Selon la posture épistémologique
choisie, le chercheur adoptera un mode spécifique de recherche et mobilisera des
outils appropriés. Dans le tableau suivant, nous synthétisons la littérature
disponible sur la question en montrant la divergence de ces deux paradigmes en
171
fonction de plusieurs critères. Cela nous permettra ultérieurement de clarifier le
positionnement épistémologique et méthodologique de cette recherche.
Tableau 4.3- Espaces de positions épistémologiques : une comparaison.
Critères d’analyse
Le statut accordé aux
données
Statut de la réalité et
objet de la recherche
Mode de collecte des
données
Relation
entre
la
théorie et l’observation
Positivisme
Constructivisme
- Les données sont des mesures de la
réalité qui est considérée comme
objective. La réalité existe en effet comme
vérité.
- Les données existent en tant que telles et
précèdent l’intervention du chercheur.
- Les phénomènes sociaux existent
objectivement.
- Les données sont le résultat d’une
construction par interaction entre le
chercheur et l’objet étudié. La réalité
est dépendante à travers l’individuel.
- Ce n’est que par son expérience du
monde que le chercheur accède au
monde.
- Les individus créent le monde qui
les entoure par leurs actions guidées
par leurs finalités.
- Le principe du déterminisme : la réalité
est déterminée par des lois, des
mécanismes immuables dans le temps et
dans l’espace.
- Dans les mêmes conditions, les mêmes
causes entraineront les mêmes effets.
- L’objet de la recherche est alors de
découvrir ces lois.
- Il existe des relations de cause à effet qui
permettent de décomposer la réalité en un
ensemble de propositions reliées entre
elles par des liens logiques : c’est le
principe de la logique formelle.
- La réalité n’est qu’une construction
sociale et n’existe qu’à travers les
expériences et les activités humaines.
- L’objet de la recherche est d’étudier
les opérations à travers lesquelles
nous constituons notre expérience du
monde.
- L’interaction entre les éléments
composant le système donne lieu à
des relations circulaires qui traduisent
l’impossibilité de déterminer si une
action est la cause ou l’effet d’une
autre action.
- Principe de l’indépendance du
chercheur et de l’objet de l’étude.
- Le chercheur observe des faits mesurés
par des données. Les données utilisées
par le chercheur sont « froides ». Elles
constituent des matériaux préexistants
dont l’élaboration n’est pas liée à
l’investigation en cours.
- L’instrument de collecte est objectif. Les
faits resteront objectifs indépendamment
du chercheur et le mode de collecte
utilisé.
- Principe de l’interdépendance du
chercheur et de l’objet de l’étude.
- Le chercheur et les acteurs du
système construisent en même temps
les données, lesquelles résultent de
leur expérience mutuelle de la réalité.
- L’instrument de collecte est
constitué des représentations du
chercheur en interaction avec celles
des acteurs. Le chercheur est donc à
l’intérieur de l’objet de l’étude.
- La connaissance théorique précède
l’expérience empirique
- Démarche hypothético-déductive de
vérification.
- L’expérience empirique précède la
connaissance.
- Démarche inductive démonstrative
- Le chercheur découvre par ses
172
empirique
Les
critères
scientificité
de
recherche
de
la
- Le chercheur connaît à l’avance ce qu’il
peut découvrir
- Le chercheur s’inscrit dans une
démarche de test de modèle élaboré à
partir de la théorie.
- La démarche de recherche est définie
avant l’intervention du chercheur sur le
terrain.
observations. Il émet ensuite des lois
ou des conjectures.
- Le chercheur s’inscrit dans une
démarche d’inférence de régularités à
partir d’observations empiriques.
- La démarche de recherche est
émergente, même si le chercheur peut
la formaliser avant d’aller sur le
terrain.
- L’outil garantit la valeur de la
connaissance et la généralisation des
résultats.
- La méthode, si elle est fiable et valide,
garantit des résultats non biaisés.
- Un instrument de mesure fiable et valide
produit les mêmes effets quelle que soit la
personne l’utilise et donne toujours la
bonne réponse.
- Les résultats sont généralisables.
- La valeur de la connaissance est
construite par le processus de l’étude
et dépend de son contexte de
construction.
- La validité de la connaissance se
mesure par la capacité du chercheur à
exprimer en termes clairs les axiomes
sur lesquels il fonde explicitement ses
raisonnements.
- La connaissance se construit
localement. Pas de généralisation des
résultats.
Sources : adapté des travaux de : Koenig (1993) ; Le Moigne (1990) ; Mbengue et
Derumez (1999) et Von Glaserfeld (1988).
173
I.2.3 Stratégie d’accès au réel : discussion des choix méthodologiques de la
thèse
Dans les développements précédents, nous avons mis l’accent sur la distinction
entre deux paradigmes épistémologiques concurrents, à savoir le positivisme et
le constructivisme. Le statut épistémologique influence directement l’orientation
du chercheur en sciences de gestion et la méthodologie de recherche utilisée.
Ainsi, les orientations possibles des méthodologies de recherche sont à analyser à
la lumière des paradigmes épistémologiques. Cette relation entre posture
épistémologique et méthodologie se justifie. La méthodologie renvoie aux
théories sur lesquelles le chercheur s’appuie pour construire sa démarche
d’investigation. Les méthodes sont les voies, les outils et la « quincaillerie » que
le chercheur mobilise pour vérifier ou expliquer un phénomène. Cela influence le
processus de recherche en focalisant sur les données, les informations, les sources
de données et les moyens d’analyse à déployer pour mener à terme une
recherche. Dans cette perspective, il est admis que le paradigme positiviste
donne lieu à des méthodologies quantitatives, alors que le positionnement
constructiviste appelle à la mobilisation de méthodologies de recherche
qualitatives.
Dans cette recherche, nous nous positionnons dans le paradigme positiviste. En
effet, nous cherchons à construire un modèle théorique et à le tester par la suite
sur le terrain de l’entreprise tunisienne. Nous opterons ainsi pour une démarche
hypothético-déductive de confirmation (et non de vérification) qui devrait
aboutir, via un processus empirique spécifique, à affirmer ou infirmer les
hypothèses de recherche telles que découlant du modèle théorique. Ce
positionnement épistémologique n’implique pas cependant l’utilisation d’outils
de recherche purement positivistes. Si l’outil central de cette recherche demeure
le questionnaire (outil découlant d’une philosophie positiviste), l’entretien, outil
non positiviste et de tradition interprétative, sera également un instrument
important de collecte de données dans certaines phases de cette recherche. L’idée
de base derrière ce choix est qu’il existe une variété de méthodologies de
recherche en sciences de gestion et que le choix est, en effet, très large. Ce choix
s’avère plus judicieux quand le chercheur est en mesure de pouvoir combiner les
approches qualitatives et quantitatives indépendamment de la posture
épistémologique de la recherche. En effet, plusieurs auteurs soutiennent
aujourd’hui l’ouverture paradigmatique et appellent à transcender le clivage
qualitatif-quantitatif qui découle de l’opposition entre positivisme et
constructivisme. Il existe entre le positivisme pur et le constructivisme radical
des situations intermédiaires où il est possible de concilier les apports de chacune
de ces postures épistémologiques. Pour Mbengue et Derumez (1999), la
dichotomie entre les approches qualitatives et quantitatives est fallacieuse. Les
auteurs plaident en faveur de la « neutralité des méthodologies » et leur
174
indépendance des paradigmes épistémologiques22. En reprenant l’exemple du
questionnaire de recherche comme outil essentiellement positiviste permettant
de mesurer la réalité en garantissant l’indépendance du chercheur, les auteurs
affirment que cet outil ne garantit pas une objectivité totale, au sens positiviste
du terme. « Bien souvent, les questionnaires sont rattachés à des études où il
existe une indépendance entre le chercheur et l’objet de l’étude. En effet, on
confère à cet outil de collecte des vertus de mesurer objectivement des objets ou
phénomènes du monde réel. Or, plusieurs éléments font qu’il est difficile
d’affirmer qu’un questionnaire mesure une réalité indépendante à la fois du
chercheur et du répondant. Tout d’abord, le sujet même du questionnaire ne se
limite pas systématiquement à un objet ou à un phénomène objectif. Ensuite, il
est difficile d’envisager la neutralité du chercheur vis-à-vis de la donnée
collectée. Enfin, les réponses apportées par les répondants peuvent introduire
des biais au niveau de la mesure du phénomène » (Mbengue et Demurez, 1999 :
11). Cette démonstration est aussi valable pour les instruments relevant
traditionnellement des approches méthodologiques qualitatives. L’entretien en
est un exemple patent. Cet outil est associé à des recherches où il est très difficile
de postuler l’indépendance du chercheur vis-à-vis de l’objet de l’étude. Cela
s’explique de deux façons : soit le chercheur interprète lui-même les propos des
personnes interrogées, soit les personnes interrogées interprètent elles-mêmes les
phénomènes observés. Dans les deux cas, l’objectivité totale est absente.
Toutefois, il est possible d’utiliser un tel outil de collecte, même lorsque la
recherche impose une certaine distance entre le chercheur et l’objet de l’étude. Le
principe est alors de mettre en œuvre différentes tactiques afin de garantir, soit
une certaine objectivité au sein des propos recueillis, soit que les interprétations
du chercheur sont relativement proches de celles des personnes
interrogées (Mbengue et Demurez, 1999). Dans ce même esprit, Brabet (1988) se
demande si la distinction classique entre approche qualitative et approche
quantitative a toujours un sens. Cette opposition apparaît plutôt, pour l’auteur,
comme un faux débat, une fausse querelle des méthodes. Les frontières entre le
qualitatif et le quantitatif sont difficile à opérer, selon l’auteur. Le conflit
qualitatif-quantitatif serait donc injustifié, ce qui appelle à un nécessaire
dépassement. Perrien et al. (1986) appellent de leur part à détruire ce mythe de
l’antagonisme recherche quantitative-recherche qualitative. Marc (1994)
considère ainsi qu’il est nécessaire de tempérer le caractère péremptoire et la
virulence des croyances. « Les conflits d’appartenance et les certitudes
épistémologiques ne sont très souvent que des défenses contre la fragilité des
connaissances dans le domaine des sciences humaines. En effet, le vrai chercheur
Il s’agit certainement d’une indépendance contrôlée et limitée. L’idée de neutralité avancée par
les auteurs céderait avantageusement la place à l’idée d’une « méthodologie équilibrée », les
fondements épistémologiques étant toujours importants pour guider le choix d’une
méthodologie de recherche.
22
175
est, en général, plus modeste. Tout en essayant de mettre en œuvre une
démarche cohérente et rigoureuse, il se gardera de croire que l’acquisition
mécanique et l’application stricte de techniques rigides peuvent lui donner accès
de façon sûre à une réalité fondamentalement simple ; qu’il existe des pierres de
touche capables de séparer sans nuance la vérité de l’erreur (Marc, 1994 : 22).
Dans la phase de conception du design de cette recherche, nous avons gardé en
tête cette idée de Marc (1994). Même si cette recherche se positionne dans le
paradigme positiviste, elle n’exclut pas l’apport incontestable de la méthodologie
qualitative qui découle d’une épistémologie interprétative. Ce choix d’utiliser
simultanément les potentialités des approches qualitatives et quantitatives est
justifié dans les travaux de plusieurs auteurs (Downey et Ireland, 1979 ; AllixDesfautaux, 1998). Comme le souligne Grawitz (1996), « le qualitatif apparaît
comme un préalable au quantitatif et en est par là même indissociable. Les
matériaux à quantifier sont recueillis d’abord comme données qualitatives ; seule
la manipulation technique permet ensuite de les quantifier. Opposer dans les
sciences sociales l’imprécision et le subjectivisme du qualitatif, à la rigueur et à
l’objectivité du quantitatif, c’est oublier que l’on n’obtient le quantitatif qu’à
partir du qualitatif » (Grawitz, 1996 : 404).
Comme précisé auparavant, le design méthodologique de cette recherche
consacre le principe de la complémentarité des paradigmes épistémologiques et
des méthodologies associées. Pour clarifier le choix de la méthodologie de
recherche, nous nous inspirons de la grille développée par Meredith et al. (1989).
Afin de guider le chercheur dans le choix d’une méthodologie appropriée, les
auteurs développent un cadre général de choix d’une méthodologie qui respecte
le principe de l’ouverture des paradigmes. Cette grille s’établit en fonction de
deux critères : la spécificité de l’objet de la recherche et la posture
épistémologique adoptée par le chercheur (voir tableau 4-4). Le premier critère
mesure en effet le degré d’implication (ou de distanciation) du chercheur dans la
recherche. Pour ce premier critère, les auteurs distinguent trois cas en fonction
des sources et des types d’informations utilisés dans la recherche. Le premier est
l’observation directe de la réalité. Le deuxième concerne la perception qu’ont les
gens de la réalité. Le troisième cas concerne la reconstruction artificielle de la
réalité. Le second critère renvoie quant à lui à trois situations allant de
l’épistémologie la plus rationnelle (positivisme pur) à celle la plus existentielle.
En combinat ces deux facteurs, il est possible de se prononcer sur la
méthodologie de recherche à suivre.
176
Tableau 4.4- Grille de choix d’une méthodologie de recherche
Observation
directe de la
réalité
Perception des
gens de la réalité
Posture
axiomatique
Reconstruction
artificielle de la
réalité
Raisons/théorèmes
logiques
-Modélisation
normative
Posture
positiviste
- Etude sur le
terrain
- Expériences sur
le terrain
- Recherche par
questionnaire
-Interview
structurée
- Prototype
-Modélisation
physique
Posture
constructiviste
- Recherche-action
- Etude de cas
-Analyse
historique
- Panel d’experts
-Modélisation
conceptuelle
Source : Meredith et al. (1989 :310)
Comme précisé dans tableau 4.4, cette recherche s’inscrit dans le paradigme
positiviste. Elle cherche aussi à mesurer la perception qu’ont les répondants (à
l’interview et au questionnaire) de la réalité objet de la recherche. Selon la grille
de choix, il est fortement conseillé de mobiliser un cadre méthodologique à la fois
quantitatif et qualitatif. Le cadre qualitatif s’appuie sur une recherche
exploratoire par entretien semi-directif centré auprès de deux types de
population : les directeurs des RH et les responsables d’activités associées à
l’exploitation. Ce choix est conforme à l’objet de notre recherche. Le management
des connaissances étant une question relativement peu connue par l’entreprise
tunisienne, la phase qualitative s’impose afin de raffermir la définition et
d’opérationnaliser les concepts. Cette phase est donc plus que nécessaire pour
préparer le cadre opérationnel de la recherche quantitative. La démarche
quantitative permettra quant à elle de tester empiriquement le modèle théorique.
Il s’agit d’une enquête par questionnaire. Outre ses fondements positivistes, cette
enquête peut se justifier en analysant les méthodologies mobilisées dans des
177
recherches antérieures traitant d’une problématique similaire. Les outils et
modes d’administration de ces méthodologies seront exposés tout au long de ce
chapitre.
L’une des idées force sur laquelle nous insistons dans le cadre de cette recherche
est que l’obtention de résultats empiriques valides passe par la mobilisation
d’une méthodologie de recherche adéquate et pertinente. Si la démarche
quantitative représente le mode d’investigation de base, il n’en demeure pas
moins que l’approche qualitative est déterminante pour le succès de cette
recherche. La phase exploratoire est importante surtout au niveau de la
spécification de la problématique de recherche et le rapprochement des
construits théoriques avec les perceptions qu’en ont les gens du terrain. En
stabilisant les construits théoriques et en assurant leur convergence avec le
terrain, l’investigation qualitative fournit à la phase quantitative des matériaux
d’observation fiables et valides. C’est le cas de cette recherche où le modèle de
recherche a été spécifié en fonction de cet aller-retour indispensable entre la
théorie et le terrain.
I.3. Le terrain de recherche : spécificités et critères de choix.
Une fois le cadre épistémologique et méthodologique spécifié, l’objectif est de
présenter maintenant le terrain empirique de la recherche. Dans la logique
positiviste pure, le terrain de recherche vient chronologiquement après la
spécification théorique du modèle de recherche. Mais un tel postulat demeure
relatif. En effet, le chercheur en sciences de gestion doit garder en tête le souci du
terrain, parfois même avant de lancer sa recherche. Plusieurs raisons justifient
une telle attitude. D’abord, le choix du terrain doit se faire de manière à ce qu’il
corresponde parfaitement à l’objet de l’étude. Par exemple, mener une recherche
sur le stress dans le milieu hospitalier implique nécessairement l’hôpital comme
terrain d’observation empirique. Pour une recherche sur les spécificités des PME
tunisiennes, il faut aller dans des PME tunisiennes, etc. Dans d’autres cas, le
choix est plus délicat. Pour une recherche sur le management des connaissances
par exemple, les avis concernant le choix du terrain peuvent diverger. Certains
chercheurs diront par exemple que l’entreprise tunisienne n’est pas un terrain
propice pour observer et tester empiriquement ce genre de problématique.
D’autres, mieux avisés, conseilleront d’adapter la problématique aux spécificités
déjà connues du terrain. Ainsi, dans ce dernier cas, le chercheur devrait se
pencher sur la lecture soigneuse de la réalité de son terrain afin de garantir par la
suite l’existence d’un univers d’observation fiable. Cette forme d’anticipation du
terrain est particulièrement utile quand on sait que d’une part, le terrain n’est pas
du tout « garanti », et que d’autre part, le chercheur dispose de peu de temps et
de ressources pour mener à terme sa recherche. Cette préoccupation devient plus
urgente dans un contexte sociétal où les entreprises sont hostiles au partage de
178
leurs expériences avec le monde universitaire et de la recherche. Dans la théorie,
la rupture entre la recherche et les entreprises est généralement évoquée dans les
recherches relevant du contexte chinois. Les auteurs avancent souvent le
problème relevant de la culture du secret dans ces entreprises, une culture
nationale en Chine, semble-t-il. Dans le cadre de cette recherche, des difficultés
énormes ont été rencontrées pour choisir, contacter et stabiliser dans le temps des
terrains d’enquête pertinents (puisque la recherche s’est faite en deux phases
distinctes). Sur une quarantaine d’entreprises contactées, seules sept ont pu être
retenues. Ce nombre nous parait suffisant pour les besoins de cette recherche.
Les difficultés d’accès aux entreprises viennent confirmer l’existence, assez
déconcertante, d’un hiatus entre deux univers supposés être complémentaires: la
recherche et l’industrie en Tunisie23.
I.3.1 Choix des entreprises
Le choix des entreprises pour mener l’investigation empirique en sciences de
gestion est déterminant. En effet, le terrain d’observation doit garantir au
chercheur une information disponible, fiable et pertinente concernant la
problématique étudiée. La qualité du terrain et de l’échantillon choisi influence
positivement ou négativement les résultats de la recherche empirique. Le
chercheur doit donc veiller à choisir le terrain adéquat pour mener son
investigation. Mais ce choix n’est pas toujours aisé. Dans certains cas, le
chercheur rencontre des difficultés d’accès à un terrain jugé pertinent. Dans
d’autres, il n’arrive pas à stabiliser ce terrain et le « perd » après la première
phase de son intervention. D’autres chercheurs souffriraient d’un problème de
coopération de la part des personnes constituant l’échantillon. Ce problème est
plus présent dans les études qualitatives, notamment celles appelant à mobiliser
des méthodes d’observation participante. Ces barrières à l’accès au réel tant
institutionnelles qu’humaines font que le chercheur ne peut, dans les meilleurs
des cas, qu’optimiser le choix de son terrain en fonction des contraintes précitées.
Dans le cadre de cette recherche, le choix des entreprises a été opéré sur la base
des critères suivants :
Les multiples initiatives visant à consacrer le principe de l’ouverture de l’université sur son
environnement ne semblent pas pouvoir saper le triste héritage de dizaines d’années de
fermeture, de cloisonnement et de rejet mutuel entre le monde universitaire et celui des affaires.
Ainsi, pour un jeune chercheur, l’accès aux terrains d’expérimentation et d’observation se
transforme en un véritable calvaire. Les entreprises préfèrent éviter « cet œil externe ». Leurs
cadres, souvent inutilement arrogants et peu disponibles, évoquent inlassablement « l’alibi »
d’une impossible compréhension entre des gens qui fabriquent des théories dans leurs tours
d’ivoire et d’autres qui ont mieux à faire. Pris entre le marteau de la rigueur scientifique et
l’enclume d’une réalité complètement à sa défaveur, le jeune chercheur doit déployer son
intelligence pratique en imaginant des structures « parallèles et souterraines » pour accéder au
réel.
23
179





Les entreprises choisies font partie d’un ensemble plus large
d’organisations qu’on appelle aujourd’hui communément les entreprises
du savoir. Ces entreprises présentaient au début de cette recherche un
potentiel important pour l’analyse des processus de gestion des
connaissances. .
Les entreprises retenues appartiennent à des secteurs d’activités qui ont
été prioritairement étudiés dans la littérature empirique sur le knowledge
management : génie logiciel, conseil, industrie pharmaceutique, services,
etc.
Les entreprises retenues disposent de politiques et pratiques de GRH
développées et structurées.
Les entreprises appartiennent au domaine privé. Nous avons ainsi
implicitement conjecturé que les entreprises publiques en Tunisie ne
représentent pas encore des terrains pertinents pour la problématique de
gestion des connaissances
Enfin, ont été retenues les entreprises qui ont accepté le déroulement des
deux phases de la recherche : qualitative, puis quantitative.
I.3.1.1 Des organisations du savoir en général
L’avènement d’une économie basée sur la connaissance a eu pour conséquence
directe l’émergence de ce qu’on appelle désormais les organisations du savoir24.
Nombreuses sont les recherches qui ont été consacrées à l’analyse et la
compréhension des spécificités et du mode de fonctionnement de ces
organisations (Starbuck, 1992, 1993 ; Alvesson, 1993 ; Drucker, 1999 ; Lowendahl
et al, 2001). Dans un travail désormais classique, Starbuck (1993) définit les
organisations du savoir comme un nouveau type d’organisation qui emploie de
très hauts potentiels humains et qui met en œuvre des compétences
d’organisation exceptionnelles lui permettant d’attirer, mobiliser, développer et
transformer les connaissances de ce potentiel en vue de maximiser la création de
valeur pour les clients. Ainsi, ces organisations se distinguent par deux choses :
la valeur de leur capital humain et la force de leurs processus qui permettent de
transformer des connaissances individuelles en une connaissance
organisationnelle prisée. Cette définition nous donne une idée sur l’importance
accordée par ces entreprises aux dispositifs de gestion de leur potentiel humain,
facteur critique de démarcation sur le marché. D’autres chercheurs se sont
intéressés à l’analyse des spécificités structurelles et managériales de
l’organisation du savoir. Dans ce cadre, Evans (2003) distingue les éléments
suivants comme déterminants clefs d’une organisation du savoir :
L’organisation du savoir est une traduction de l’expression américaine: Knowledge Intensive Firm
(KIF). Certains auteurs utilisent la notion voisine d’organisations professionnelles (Professional
Service Firms).
24
180




Adaptabilité : l’organisation du savoir est dotée d’une structure flexible et
adaptative. La structure est décloisonnée et encourage l’intégration des
connaissances développées dans chaque département de l’entreprise.
Auto-organisation : l’organisation du savoir est intensive en innovation et
créativité. Pour cela, les individus et les groupes de travail doivent
développer des capacités d’auto-organisation qui leur permettent de
mieux gérer les processus créatifs et la mobilité intellectuelle qu’ils
mobilisent.
Réservoirs de connaissances : cette organisation n’est pas une collection
d’employés « généralistes ». Au contraire, elle emploie des gens ayant des
compétences hautement spécifiques et distinctives. C’est par le système
d’organisation du travail que ces compétences spécifiques seraient ensuite
mises en réseau.
Une entreprise holistique : elle est ainsi capable d’acquérir des
connaissances développées en dehors de ses propres frontières.
Nous avons présenté les spécificités des entreprises du savoir dans le souci de
montrer qu’elles doivent présenter la première cible du chercheur qui travaille
sur la gestion des connaissances. Dans notre cas, nous avons veillé à choisir des
entreprises dont l’activité relève directement de ce type d’organisation. Nous
avons également veillé à ce que les entreprises enquêtées représentent divers
secteurs d’activités. Nous avons ainsi retenu les secteurs suivants : l’industrie
pharmaceutique, les activités pétrolières, le consulting, l’ingénierie informatique,
les télécommunications et les services. Au total, sept entreprises ont fait partie
intégrante de l’échantillon de recherche. Ces entreprises nous ont servi dans les
deux phases : la phase qualitative avec les entretiens exploratoires et la phase
quantitative avec le questionnaire de recherche.
I.3.1.2 Présentation des entreprises
Sept entreprises ont été approchées lors des deux phases de cette recherche.
Choisies sur la base des critères mentionnés précédemment, ces entreprises se
sont révélées d’une importance cruciale pour la problématique de recherche. En
outre, leurs dirigeants et cadres se sont distingués par une disponibilité rarement
vue dans le contexte tunisien de la recherche en entreprise. Pour des raisons de
confidentialité sur lesquelles nous nous sommes convenus, des noms d’emprunts
seront donnés à ces entreprises. Le tableau 4-5 recense ces entreprises et donne
des informations sur le nombre de personnes interviewées dans la première
phase de la recherche ainsi que sur le nombre de questionnaires initialement
administrés. Pour des besoins de précision, nous explicitons aussi les modalités
pratiques d’accès à ces entreprises que nous avons mises en œuvre.
181
Tableau 4-5. Présentation des entreprises constituant l’échantillon de la recherche
Entreprises
et Modalités d’accès à l’entreprise
secteur d’activité
Personnes interviewées (6 DRH et 34 Nombre
de
opérationnels)
questionnaires
administrés
(350)
- Le DRH
SVX
- Lettre d’introduction
- 3 consultants médicaux
40
(pharmaceutique)
- 2 délégués médicaux
- le DRH
45
AVS
-Connaissance personnelle du - 2 ingénieurs de production
(pharmaceutique)
DRH
- 2 délégués
- Le responsable du département 35
ARF (conseil en - Connaissance suite à une administratif
management)
conférence nationale
- 3 consultants séniors
- 4 collaborateurs (juniors)
- Le DRH
55
HBH
- connaissance personnelle du - 3 consultants
(Développement
responsable RH
- 3 cadres ingénieurs développement
logiciels financiers)
- Le DRH
85
PLN (groupe de - Liens personnels avec le DG du - 2 chefs de projet
renom :
services groupe
- 4cadres commerciaux
divers)
- 1 ingénieur conseil
TNZ (Télécom)
- Le responsable RH
- Connaissance personnelle d’un - 3 chefs de centre
responsable projet.
- 2 commerciaux
182
90
Section II. Etude exploratoire : affermissement des concepts et du
modèle de recherche
II.1 Pertinence, outils et objectifs de la recherche exploratoire
Comme précisé dans les développements précédents, la mise à l’épreuve des
hypothèses de recherche nécessite la mobilisation d’un cadre méthodologique
qualitatif et quantitatif. Cela permet de faire une confrontation sur le terrain
entre les différentes conceptions que les acteurs ont sur les thèmes de la gestion
des connaissances, du capital humain, du climat d’apprentissage et des pratiques
de GRH censées améliorer les capacités de knowledge management. Une telle
confrontation est d’autant plus difficile que les liens entre la gestion des
ressources humaines et la gestion des connaissances, sont peu évidents dans le
contexte tunisien. En outre, les entreprises tunisiennes ne semblent pas encore
prêter une grande attention au management des connaissances. Quelques
tentatives plus ou moins structurées sont toutefois signalées dans certaines
entreprises de notre échantillon.
Menée au début de cette recherche, l’étude exploratoire visait à « peaufiner » les
concepts de base de l’étude, en l’occurrence le management des connaissances et
les dispositifs de GRH qui lui sont dédiés. La stabilisation des concepts est fort
importante à ce niveau. En effet, malgré l’importance des écrits consacrés aux
thèmes de la GRH et du knowledge management, les deux concepts restent
insuffisamment définis et peu compris sur le terrain. Leur potentielle relation
reste également très peu explorée dans le contexte de l’entreprise tunisienne.
Ainsi, l’étude exploratoire a été nécessaire dans la mesure où le rôle des facteurs
humains dans la mise en œuvre des processus de gestion des connaissances est
un sujet qui a été très rarement étudié. Dans le cas de thèmes comme la gestion
des connaissances, la revue de la littérature permet de dégager un nombre
considérable de variables qui lui sont reliées. Toutefois, un simple examen des
variables pertinentes de la littérature ne permet pas de bien saisir les liens
significatifs pour les acteurs dans l’entreprise, surtout dans le cas de concepts
nouveaux et émergents comme le knowledge management. L’étude exploratoire
est alors nécessaire pour piloter les nombreux questionnements qui émanent de
la littérature et pour opérer une certaine sélection des variables en fonction de
l’intérêt que les acteurs de l’entreprise leur accordent. «Face à la perplexité du
chercheur devant l’étendue du phénomène étudié, la recherche exploratoire
permet d’apprécier la réalité des concepts théoriques et de cerner leurs relations
éventuelles» (El-Akremi, 2000:253).
183
L'objectif de cette section est de présenter les résultats de l'étude qualitative
exploratoire. Deux allers-retours entre le domaine théorique et le terrain ont été
réalisés. Le premier concerne une première série d'entretiens avec des
responsables opérationnels des sept entreprises de l'échantillon. Cette série
d'entretiens nous a permis d’une part de découvrir l’état des initiatives de
gestion des connaissances dans les entreprises visées et d’autre part, de stabiliser
progressivement le concept de gestion des connaissances et de le ramener à trois
processus clefs: la création, le partage et l'application des connaissances. Le
deuxième aller-retour porte sur des entretiens avec les responsables RH des
entreprises enquêtées. Il nous a permis d’abord de définir les pratiques GRH
censées développer le potentiel de gestion des connaissances. Ensuite, il était
d’un grand apport pour affiner les définitions des concepts relatifs au modèle de
recherche, et pour apprécier, surtout, la plausibilité des liens entre les différentes
variables qui composent ce modèle.
Le choix d’une recherche de type exploratoire n’est pas arbitraire. Il se justifie par
l’apport extrêmement important de ce type de démarche dans les recherches en
sciences de gestion. En effet, les entretiens exploratoires jouent un rôle de
complément nécessaire pour les lectures théoriques afin de construire une
problématique de recherche fiable et défendable. Si les lectures théoriques aident
à faire le point sur les connaissances concernant le problème de départ, l’étude
exploratoire contribue, quant à elle, à la découverte des aspects à prendre en
considération et élargit ou réoriente le champ d’investigation du chercheur. « La
recherche exploratoire est une étape cruciale et difficile dans la mesure où elle
représente la première phase de rapprochement entre d’une part des construits et
des questionnements théoriques, et d’autre part des phénomènes que le
chercheur observe sur le terrain » (Wallace, 1983 :7). Les entretiens exploratoires
ont pour objectif « de mettre en lumière des aspects du phénomène étudié
auxquels le chercheur n’aurait pas pensé spontanément lui-même et à compléter
les pistes de travail que ses lectures auront mises en évidence » (Quivy et Van
Campenhoudt, 1988 : 60).
L’entretien représente une technique extrêmement précieuse pour une très
grande variété de recherches en sciences sociales. Il est l’instrument privilégié
des études exploratoires compte tenu de la richesse des informations qu’il peut
générer. Selon Blanchet et Gotman (1992), l’entretien exploratoire permet de
connaître le vocabulaire couramment utilisé dans le contexte organisationnel
concernant les phénomènes que le chercheur s’efforce de décrire. Il convient ainsi
à la production de descriptions des expériences des individus interviewés et les
représentations et discours qu’ils ont sur ces phénomènes. Il existe plusieurs
types d’entretiens exploratoires. En sciences sociales, on préfère souvent que
184
l’entretien ne soit ni directif, ni non-directif. Parmi les différentes solutions
offertes au chercheur, la technique de l'entretien semi-directif centré (Mucchielli,
1991) semble particulièrement utile pour le cas de notre recherche. Il s’agit d’un
entretien compréhensif au cours duquel le chercheur devra adopter une attitude
peu directive et facilitante. En structurant convenablement son guide d’entretien,
le chercheur doit s’efforcer de poser le moins de questions possibles. En effet,
« l’entretien n’est ni un interrogatoire, ni une enquête par questionnaire (Quivy
et Van Campenhoudt, 1988 :65). Dans ce type d’entretien, un minimum
d’intervention du chercheur est nécessaire pour recentrer l’entretien sur ses
objectifs, pour en soutenir la dynamique ou pour inciter l’interviewé à
approfondir certains aspects particulièrement utiles pour la problématique
étudiée. Ainsi, au fil de l'entretien, une reformulation synthétique par le
chercheur de son discours permet de relancer l’interlocuteur et de le soutenir
dans sa réflexion et de permettre à l'enquêteur une compréhension plus profonde
des propos recueillis. Toutefois, le chercheur doit s’abstenir de s’impliquer luimême dans le contenu de l’entretien, en s’engageant par exemple dans un débat
d’idées ou en prenant position à l’égard des réponses de l’interlocuteur. Cette
technique d’entretien ne cherche pas à produire de nouvelles théories ou à
influencer les idées de l’interviewé. Elle permet seulement de soutenir l’attention
de l’interlocuteur.
Suivant les suggestions de Blanchet et al. (1987) et de Huberman et Miles (1991),
les entretiens ont commencé par une présentation de l’objectif et du périmètre de
la recherche, des règles de confidentialité, et du mode général de déroulement de
l'entrevue. Cette phase est cruciale dans la mesure où elle représente le premier
contact réel entre l’enquêteur et l’interlocuteur. Nous avons veillé à instaurer un
climat de confiance avec les personnes interviewées dans le dessein de susciter
leur adhésion aux objectifs des entretiens. Les entretiens ont duré en moyenne
entre une heure et demie et deux heures. Conformément aux suggestions de
Quivy et Van Campendoudt (1988), ils ont fait l’objet d’enregistrement à l’aide
d’un magnétophone. L’enregistrement était bien entendu soumis à l’approbation
des personnes interviewées. L’enregistrement a été préféré à la méthode des
prises des notes systématiques. Les prises de notes exercent un effet négatif
implicite en « distrayant aussi bien l’interviewer que l’interviewé qui ne peut
s’empêcher de considérer l’intensité de la prise de notes comme un indicateur de
l’intérêt que son interlocuteur porte à sa conversation » (Quivy et Van
Campendoudt, 1988 :68).
La démarche d’utilisation des entretiens exploratoires s’est articulée autour de
deux étapes : d’abord, le recueil des données qualitatives auprès des
interlocuteurs ; ensuite, l’exploitation et l’interprétation de ces données.
185
Dans la phase exploratoire d’une recherche, l’analyse de contenu peut être
utilisée comme méthode judicieuse d’analyse et d’interprétation des données.
Elle a une fonction essentiellement heuristique dans la mesure où elle sert à la
découverte d’idées et de pistes de travail qui seront concrétisées plus loin par des
hypothèses de recherche. En outre, « l’analyse de contenu aide le chercheur à
éviter le piège de l’illusion de la transparence et à découvrir ce qui se dit derrière
les mots, entre les lignes et à travers les stéréotypes. Elle permet de dépasser, au
moins dans une certaine mesure, la subjectivité de nos propres interprétations »
(Quivy et Van Campendoudt, 1988 :72). Dans le cadre de cette recherche,
l’analyse de contenu s’est faite en classant des fragments de discours en thèmes
et en sous-thèmes, comme suggéré par Igalens et Roussel (1998). Pour les
entretiens avec les opérationnels, le sujet des entrevues a été centré sur trois
points principaux : le premier est la vision qu’ils ont des pratiques de gestion des
connaissances dans leurs entreprises ; le deuxième thème porte sur leur
perception des processus clefs de gestion des connaissances ; le troisième et
dernier thème s’intéresse aux facteurs qui facilitent le succès d’une démarche de
gestion des connaissances. Trois objectifs ont également été assignés aux
entretiens auprès des DRH. D’abord, saisir leur perception quant à la pertinence
des liens entre GRH et gestion des connaissances ; ensuite, définir les pratiques
de GRH susceptibles d’influencer les processus de knowledge management ; et
enfin, analyser les facteurs jouant un rôle de médiateur entre les deux construits
principaux de la recherche.
Suite à l’exploitation et l’analyse de ces entretiens, les résultats se sont avérés
satisfaisants par rapport à l’objectif assigné à cette étude exploratoire. Même si
certains avis étaient divergents et certaines informations recueillies
contradictoires, l’apport essentiel de cette étude est qu’elle nous a permis de
stabiliser la problématique de recherche et de peaufiner les liens de causalité
existant entre les différentes variables du modèle. Ainsi, les entretiens nous ont
amenés à délaisser une volonté initiale de regrouper les pratiques de GRH en
deux catégories selon les stratégies de connaissances suivies par les entreprises
(selon qu’il s’agisse de stratégie de codification ou de personnalisation des
connaissances, des systèmes de GRH différenciés seraient mis en œuvre dans les
entreprises). Il s’est avéré qu’une telle modélisation est impossible à vérifier sur
le terrain en l’absence de ces deux types de stratégies de connaissances. Les
informations recueillies dans le cadre de cette étude ont donc permis d’élaguer le
modèle théorique initialement décidé dans le cadre de cette recherche. Elles ont,
en outre, permis de consolider une bonne partie du modèle théorique tel que
découlant des lectures théoriques. En ce sens, ces entretiens dont les résultats
restent exploratoires et non généralisables, ont atteint les objectifs qui leur ont été
assignés : raffiner davantage les concepts de l’étude, examiner la plausibilité des
liens entre les différentes variables constituant le modèle et alimenter la réflexion
du chercheur par de nouveaux éléments échappant à la modélisation théorique.
186
II.2 Entretiens auprès des cadres opérationnels : pour une meilleure
compréhension du knowledge management
Les entretiens auprès des cadres opérationnels visaient à comprendre les
logiques de gestion des connaissances qui sont à l’œuvre dans les entreprises de
l’échantillon. Ils se justifient par le fait que les cadres opérationnels sont mieux
placés que les responsables RH pour nous renseigner sur les processus de gestion
des connaissances. Nous rappelons ici que les entreprises choisies appartiennent
à cette catégorie des organisations du savoir. Leurs cadres manipulent ainsi de la
connaissance, transforment de la connaissance et offrent aux clients de la
connaissance. D’autres raisons justifient cette première vague d’entretiens. La
revue de la littérature montre que la notion de gestion des connaissances est
intimement reliée à la pratique organisationnelle quotidienne. La connaissance
est ainsi appréhendée dans cette thèse comme un construit qui prend forme dans
le cadre de l’activité professionnelle quotidienne des individus (Cook et Brow,
1999). Il importe alors d’explorer l’acception que les cadres opérationnels
d’exploitation attribuent à la connaissance et aux processus visant à la gérer.
Les entretiens ont été réalisés en deux temps. La première série d’entretiens a été
réalisée au début de cette thèse, entre Avril et Juillet 2003. La deuxième série était
réalisée entre Novembre 2004 et Mars 2005. Avant de réaliser ces entretiens, nous
nous sommes efforcés de connaître les entreprises concernées, leurs activités,
leurs marchés et toutes les informations relatives à leurs modes et principes de
management. Nous avons mobilisé deux sources d’information : les sites web
lorsqu’ils sont disponibles et le contact informel avec nos vis-à-vis au sein de ces
organisations. La connaissance du contexte organisationnel (et parfois celle des
spécificités de nos interlocuteurs) nous a été d’un réel apport dans la préparation
du guide d’entretien et la conduite des entrevues. Les entretiens ont fait l'objet,
après accord de l’intéressé, d'un enregistrement. Ils ont été ensuite retranscrits en
vue d’une analyse de contenu. Les résultats de l’exploitation des entretiens
suggèrent les analyses suivantes.
II.2.1 Expériences de gestion des connaissances : la diversité d’approches…
Les opérationnels d’exploitation perçoivent la gestion des connaissances selon
des perspectives très diverses. Si tous les interlocuteurs affirment avoir une idée
claire sur la définition du thème, ils ne semblent pas unanimes en ce qui concerne
le déploiement opérationnel des pratiques de gestion des connaissances. Cette
divergence s’explique par la diversité des approches de gestion des
connaissances mises en œuvre par les entreprises enquêtées. L’analyse de
contenu a permis d’identifier trois logiques dominantes dans les réponses des
interlocuteurs. Ces logiques touchent aux trois sphères techniciste, managériale
et culturelle. Ainsi, en premier lieu, la gestion des connaissances est décrite par
187
certains interlocuteurs comme un projet technologique. Dans ces conditions, le
projet serait idéalement décidé et soutenu par la direction générale, du fait des
investissements techniques et financiers qu’il occasionne, et mis en œuvre par la
direction informatique (ou direction des systèmes d’informations selon les
habitudes d’appellation prises dans l’organisation). Les interlocuteurs adhérant à
cette idée affirment que la gestion des connaissances ne peut avoir lieu que
lorsque l’entreprise a réellement besoin d’avoir des individus connectés via un
réseau pour partager des expertises et les mettre au service de tout le monde. Le
processus central est alors le partage des connaissances. Les entreprises ayant
procédé selon l’approche technologique veulent avant tout améliorer le nombre
et la qualité de l’échange des connaissances entre leurs membres. Des
interlocuteurs ont relaté les expériences technologiques de leurs entreprises en
matière de gestion des connaissances. C’est le cas par exemple de l’entreprise
ARF, spécialisée dans le consulting qui a décidé dès l’an 2003 de mettre en place
un projet de mise sur réseau des connaissances baptisé « Portail de Gestion des
Connaissances ». En dépit d’un certain engouement lors du lancement du projet,
les résultats constatés ensuite ont été très décevants. Selon un consultant senior
chez ARF, « le projet, mal préparé et peu accepté par les consultants de l’entreprise, a
définitivement rendu l’âme ». Il existe une certaine conscience chez les personnes
interrogées que l’essentiel de la gestion des connaissances n’est pas à rechercher
du côté des TIC. C’est le cas de deux chefs de centres dans l’entreprise de
télécommunication TNZ. Pour ces deux interlocuteurs dont les avis convergent
presque parfaitement, leur entreprise a mis en place une « base de
connaissances » dont l’objectif est de centraliser les expertises des employés et de
faciliter leur transfert. Cette base est organisée par familles de métier. Ainsi, si un
opérateur clientèle a besoin d’une solution quelconque pour résoudre un
problème particulier, il sélectionnera dans la base la famille « call center » et
accèdera à la partie réservée à son métier. Les connaissances sont présentées
selon la formule Foire Aux Questions (FAQ’s)25, ce qui permet de cibler au mieux
les questions et les réponses qui leur sont associées. Selon ces deux
interlocuteurs, l’action qui visait à améliorer le partage des connaissances et la
satisfaction de la clientèle par des services toujours plus rapides et précis a séduit
les utilisateurs au départ de l’expérience. Toutefois, l’enthousiasme des
collaborateurs s’est sérieusement entamé avec le temps. L’encadré 4.1 est
consacré à des extraits verbatim des entretiens avec les responsables des
entreprises ARF et TNZ.
L’expression Foire Aux Questions est une “traduction” française du concept originalement
américain” Frequently Asked Questions”.
25
188
Encadré 4.1- Illustrations verbatim sur l’orientation techniciste du knowledge management
« On a essayé de mettre en place un système scientifique qui impressionne les gens par ses
potentialités et la facilité de son utilisation. Pour nous, les problèmes de partage et de diffusion
des connaissances sont expliqués par l’absence d’un lieu commun, une plateforme où les gens
peuvent se retrouver et montrer ce qu’ils ont dans le ventre. Le Portail était à l’époque considéré
comme la panacée, la solution aux problèmes de rétention des savoirs. Or, aujourd’hui on se rend
compte que cette affaire ne marche pas. Le portail s’est révélé être un gadget sans utilité. Il a
passé l’arme à gauche (…) Il faut chercher d’autres solutions. Maintenant, tout le monde dans
l’entreprise, y compris les consultants juniors, savent pertinemment que nous ne pouvons
améliorer nos connaissances collectives qu’en acceptant de travailler ensemble. Il faut faire
tomber pas mal de barrières (…) Notre priorité ? Faire avancer la culture du travail collectif,
mettre les gens ensemble, les seniors et les juniors ; les stratèges et les financiers, les marketeurs et
les consultants RH. Décloisonner est notre salut.» (Consultant Senior ARF).
« La gestion des connaissances n’est pas un thème nouveau pour TNZ. Ce problème, nous
l’avons posé il y a deux ou trois ans à travers ce qu’on appelle les bases de connaissances.
Aujourd’hui, en l’absence d’une évaluation fiable des retombées de ce système, j’ai la conviction,
comme plusieurs de mes collègues, que ce système n’a pas marché. En tout cas, on n’a pas profité
de toutes ses potentialités. Le problème se pose à mon avis de manière simple : les gens ne voient
pas d’intérêt personnel dans le partage. Plusieurs opérateurs travaillant sous ma responsabilité
m’affirment qu’ils ne veulent pas partager avec leurs collègues en l’absence d’un système
d’incitation fiable (…) La gestion des connaissances n’est donc pas une question de technologies.
A mon avis, c’est une question de management. Il faut mettre en place des pratiques de
motivation et d’incitation qui encouragent les gens à partager ce qu’ils savent. Il faut accepter cela
» (Chef de centre chez TNZ)
Les propos recueillis concernant l’échec des approches technologiques de gestion
des connaissances chez ces deux entreprises nous ont confortés dans le
positionnement central de cette recherche. En effet, nous avons décidé d’adopter
dans le cadre de ce travail une grille d’analyse critique à l’égard des approches
technicistes de gestion des connaissances. Les interlocuteurs sont unanimes
quant à la nécessité de porter une réflexion sur le comportement des acteurs pour
soutenir efficacement les processus de partage des connaissances. Ils pointent de
ce fait l’importance de la dimension humaine et comportementale pour assurer
une gestion des savoirs efficace. En outre, les questions d’incitation et de
motivation ont été signalées par certaines personnes comme condition sine qua
non à tout projet qui vise à améliorer le partage des savoirs entre les membres de
l’entreprise. Une telle proposition introduit implicitement le rôle de la gestion
des ressources humaines comme levier d’action permettant la création des
conditions favorables aux comportements de partage des connaissances. Même si
les interlocuteurs ne se sont focalisés que sur l’unique processus de partage des
connaissances, nous pouvons conjecturer que leurs remarques sont aussi valables
pour les processus de création et de mise en application. En effet, ces deux
processus obéissent à la même logique que le partage des connaissances dans la
mesure où ils appellent aussi à une réflexion sur la composante humaine de
l’organisation.
189
Selon d’autres répondants, leurs organisations ont mis en place des pratiques
visant à accroitre leurs capacités en matière de création et d’application des
connaissances. C’est notamment le cas de l’entreprise HBH. Le cas de cette
entreprise diffère toutefois des entreprises ARF et TNZ. Si les premières avaient
mis en place des projets formalisés et labellisés « knowledge management », ce
qui n’a pas empêché leur échec par la suite, HBH ne semble pas présenter une
démarche structurée et dédiée exclusivement au management des connaissances.
Nos interlocuteurs nous rapportent un cas où la gestion des connaissances « est
presque un fait naturel puisque ses principes mêmes sont inscrits dans les processus et les
routines de fonctionnement de l’entreprise ». L’entreprise HBH a veillé à mettre en
place des procédures d’organisation et de fonctionnement qui permettent aux
différentes catégories de métiers de l’entreprise d’apprendre les unes des autres.
L’entreprise opte en effet pour une organisation autour de projets. Ce mode
d’organisation est baptisé « HBH Frame ». Le Frame renvoie au modèle de
fonctionnement et d’organisation des processus de développement de logiciels
chez HBH. Trois éléments de base composent le Frame : l’importance des
consultants comme point de jonction entre les différents métiers de l’entreprise,
l’importance du benchmarking interne et enfin l’importance du capital
organisationnel, ou encore « la mémoire du projet » comme l’appellent les
personnes interviewées chez HBH. L’encadré 4.2 présente des extraits verbatim,
qui nous offrent une idée claire sur la philosophie du » HBH Frame ». Ce modèle
de gestion des connaissances s’inscrit dans la sphère managériale du knowledge
management.
Encadré 4.2- Illustrations verbatim sur l’orientation « processus managériaux » du KM26
« Notre approche de gestion des connaissances est tout à fait spécifique à la boîte. Pour nous, la
gestion des connaissances, c’est le fait de développer nos capacités créatives. Le savoir pour nous,
c’est ce qui différencie nos logiciels de ceux des concurrents, notamment les étrangers qui sont
doublement compétitifs sur la qualité et les prix (…) Pour stimuler la créativité et créer de
nouvelles connaissances techniques, notre Bible est le HBH Frame. Trois principes le composent.
Ces principes sont reliés selon un ordre chronologique. Le premier principe s’établit en amont du
processus de développement de logiciels. Faire un logiciel, c’est comme cuisiner un bon plat. Il
faut des formules, des tours de main, des secrets que seul le chef connaît, des outils ; enfin de la
motivation pour le faire, de la passion dirai-je. La phase 1 concerne le benchmarking interne des
meilleures pratiques. Nous avons une équipe spécialisée qui travaille sur la cartographie des
meilleures pratiques dans chaque département de l’entreprise. Ces pratiques sont ainsi
mobilisées dans la deuxième phase du HBH Frame, à savoir le développement du logiciel
proprement dit. Dans cette phase, les consultants jouent un rôle d’interface entre d’une part, les
connaissances du marché et les connaissances internes, et d’autre part, les différents
représentants des métiers embarqués dans le projet du logiciel. Enfin, la dernière phase s’attache
à conserver les acquis du projet et ses principaux enseignements techniques et humains dans des
manuels spécifiques. Ils forment ainsi le capital apprentissage de HBH. C’est la bibliothèque
HBH, le savoir qui ne rentre pas le soir à la maison ou qui ne meurt pas, si vous voulez ! ».
26
Knowledge Management
190
Le dernier cas de gestion des connaissances s’inscrit dans la sphère culturelle. Il
nous a été rapporté par les interlocuteurs de l’entreprise SVX. Cette entreprise est
une multinationale qui opère dans le domaine de l’industrie pharmaceutique.
Pour soutenir ses commerciaux dans un marché hautement concurrentiel, Elle a
mis en place un système de management intitulé « Power-Com ». Orienté
essentiellement vers les besoins des commerciaux, le système s’articule autour de
deux processus clefs. Le premier cherche à assurer une meilleure communication
avec les clients de manière à intégrer leurs connaissances et savoir-faire dans les
choix et les décisions de base de l’entreprise. Le second principe vise la création
d’un annuaire d’expertises commerciales qui regroupe les meilleurs savoirs et
savoir-faire des conseillers et commerciaux de l’entreprise. Ce manuel est appelé
par l’entreprise le KSM, c'est-à-dire « The Knowledge and Skills Map-». Selon un
délégué médical, « ce système vise à améliorer nos capacités opérationnelles en termes
de relations avec le client. Nous devons apprendre à décider sans retourner aux chefs ;
nous devons apprendre à improviser face aux clients ; bref, nous devons être capables
d’appliquer notre savoir théorique dans des situations commerciales qui sont parfois
difficiles ou inattendues. En outre, nous devons nous ouvrir les uns aux autres pour
apprendre mutuellement». Pour soutenir les deux processus clefs du « PowerCom », l’entreprise SVX s’est délibérément orientée vers la promotion d’une
culture de connaissance. Le terme « Knowledge Culture » a été choisi par les
responsables « suisses » du labo comme axe mobilisateur pour l’ensemble du
personnel de l’entreprise, et notamment les commerciaux. Les extraits verbatim
suivants décrivent l’approche culturelle au knowledge management chez SVX.
Encadré 4.3- Illustrations verbatim sur le rôle de la culture dans le « Power-Com »chez SVX
« La culture de connaissance n’est pas un simple gadget chez nous ; elle n’est pas une mode de
passage. Loin s’en faut. C’est une philosophie de management que nous œuvrons jour et nuit à
ancrer dans nos modèles de gestion. Pour développer la créativité de nos commerciaux et le
partage rapide des expertises, nous avons mis en place une véritable infrastructure culturelle afin
de soutenir le process Power-Com et enrichir toujours le KSM. Deux mesures phares sont prises.
D’abord, l’open talk que nous organisons chaque quinzaine de jours. Il s’agit de rencontres
informelles ouvertes à tous les consultants dans le cadre desquelles nous engageons des
discussions parfois à bâtons rompus autour d’un toast. Ces discussions sont progressivement
recadrées par l’animateur SVX et orientées vers des problématiques concrètes de terrain. Nous
recueillons pas mal de belles propositions. Nos commerciaux se retrouvent dans un cadre de
travail de type club et laissent exploser toute leur créativité (…) La deuxième mesure vise à
renforcer les liens de solidarité entre les commerciaux. Nous avons ainsi instauré un système de
parrainage et de tutorat entre les jeunes consultants et les moins jeunes. L’objectif de ce système
est de permettre aux anciens de partager avec leurs jeunes collègues leurs connaissances et
savoir-faire. Contre toute attente, le système a très bien fonctionné. Les gens partagent aisément
ce qu’ils savent. Derrière ce succès ? Un esprit d’équipe et une culture de solidarité rare. Nous
sommes fiers de pouvoir instaurer ce climat extraordinaire dans l’entreprise. Mais maintenant,
nous devons nous projeter dans le long terme. Il faut garder ces bonnes habitudes.»
On retiendra de cette première phase d’analyse de contenu que les initiatives de
gestion des connaissances sont bel et bien présentes dans les entreprises
191
enquêtées. Toutefois, certaines de ces initiatives demeurent encore à l’état
émergent, c'est-à-dire qu’elles ne sont pas explicitement labellisées « gestion des
connaissances ». D’autre part, il semble que les efforts soient particulièrement
portés sur l’amélioration des capacités organisationnelles de partage des
connaissances et des expertises. Le partage est un préalable important à
l’innovation et à la création de nouvelles connaissances. De ce fait, les
organisations du savoir cherchent toujours à décloisonner leurs départements de
manière à faciliter la mise en commun des connaissances.
Par ailleurs, ces trois mini-cas montrent la diversité d’approches de gestion des
connaissances. Trois philosophies de knowledge management ont été recensées.
Sans vouloir tirer des résultats hâtifs, il ressort de l’analyse des entretiens que les
solutions technologiques, quoique très importantes, ne sont pas en mesure
d’assurer, à elles seules, un meilleur management du savoir. Dans les deux
autres approches, les efforts de knowledge management ont été étayés par des
processus managériaux clairement définis et par la promotion d’une
infrastructure culturelle résolument orientée vers l’apprentissage collectif.
Toutefois, les résultats de l’analyse de contenu restent à améliorer dans de
nouvelles recherches. Ces résultats sont mitigés dans le sens où ils ne permettent
pas de révéler clairement les difficultés organisationnelles et humaines associées
à la mise en place des démarches de gestion des connaissances. Cette lacune a été
prise en considération et comblée dans le cadre des entretiens réalisés avec les
DRH, où nous avons focalisé, entre autres, sur les conditions organisationnelles
et humaines associées au succès du knowledge management.
Outre ces éléments, l’analyse de contenu a montré certains paradoxes dans la
manière de mener les activités de gestion des connaissances. Ces paradoxes nous
ont été rapportés par plusieurs interlocuteurs dans plusieurs entreprises. Ils
peuvent être compris comme étant une sorte de dichotomie entre une perception
du knowledge management comme réel impératif stratégique et des pratiques
qui ne sont pas toujours en mesure de suivre cette perception. En effet, les
répondants sont unanimes pour considérer que la gestion des connaissances est
une activité stratégique. Selon un ingénieur chimiste du laboratoire
pharmaceutique AVS, « La gestion des savoirs est un enjeu stratégique pour le
laboratoire. Le knowledge management ne doit pas rester au niveau du top management,
dans les sphères politiques. Il doit être diffusé et appris à tout le monde. Pour le faire, il
faut que les dirigeants de l’entreprise se transforment en pédagogues pour raconter le
projet aux gens du terrain. Et cet ingénieur d’ajouter « La gestion des connaissances
est un thème qui traverse toute l’entreprise et ne concerne pas une seule population. Les
ingénieurs de production doivent apprendre les nouveaux savoir-faire ; les équipes de
R&D les processus d’amélioration de la créativité et les commerciaux les nouveaux
savoir-faire en matière de marketing. » Mais, parallèlement à cette prise de
conscience du rôle stratégique du knowledge management, les interlocuteurs
192
nous ont rapporté des informations extrêmement riches sur les gâchis en matière
de gestion des connaissances. Nous avons procédé selon les méthodes d’analyse
préconisées afin de croiser les données et vérifier leur degré de véracité. Ainsi, il
nous a été possible de définir les principaux paradoxes en matière de gestion des
connaissances dans les entreprises enquêtées. Si ces données ne touchent pas
directement à la problématique de recherche, elles renseignent toutefois sur le
chemin qui reste à faire par les entreprises tunisiennes en matière de
management du capital immatériel et intellectuel. Le tableau 4.6 résume
l’essentiel de ces paradoxes.
Tableau 4.6- Paradoxes du KM dans les entreprises enquêtées
de
mais…
nous ne les utilisons pas suffisamment.
Nous formons nos employés aux
nouveaux métiers
mais…
nous ne leur donnons pas l’occasion
d’appliquer les nouveaux savoirs.
Nous avons des experts chevronnés
dans l’entreprise
mais…
très peu de gens connaissent ces lieux vivants
de l’expertise.
Nous
fonctionnons
dans
structures apprenantes de
« projet »
des
type
mais…
nous ne capitalisons pas sur ces expériences.
systèmes
mais…
on perçoit encore Intranet comme étant
plutôt un outil de contrôle.
Nous incitons nos collaborateurs à
partager leurs connaissances
mais…
nous ne leur accordons pas d’incitations en
contrepartie.
Nous recrutons et formons
meilleurs sur le marché
mais…
nous les perdons facilement pour des
concurrents.
Nous possédons des bases
connaissances documentées
Nous investissons
Intranet
en
les
En dernier lieu, l’analyse de contenu a fait ressortir un consensus quant aux
processus clefs qui formeraient la gestion des connaissances. Selon les
interlocuteurs, la gestion des connaissances peut être modélisée en un processus
d’apprentissage et de développement organisationnel qui ferait intervenir trois
phases : la création de nouveaux savoirs, le partage des savoirs et des expertises
et enfin la mise en application de ces nouveaux savoirs. Ces résultats coïncident
en bonne partie avec les développements théoriques du chapitre premier. Les
répondants insistent sur l’idée que les trois processus sont complémentaires.
Ainsi, la création des savoirs appelle d’abord les membres d’une équipe à
partager horizontalement leurs connaissances « métiers » et à intégrer ces savoirs
multiples dans le cadre d’une démarche d’innovation clairement définie. En
outre, la création de nouvelles connaissances serait une activité improductive si
193
les individus n’ont pas l’opportunité de mettre ces connaissances en application.
Nos interlocuteurs nous ont ainsi évoqué le cas des formations en interentreprises où ils apprennent de nouvelles choses, mais trouvent souvent
beaucoup de mal à les mettre en application dans des situations réelles de travail.
Selon un ingénieur conseil de l’entreprise PLN, « les difficultés à appliquer les
connaissances acquises dans le cadre de formations inter-entreprises s’expliquent par le
peu d’autonomie dont on dispose et la tendance assez déconcertante chez les responsables
de l’entreprise à préserver le confort du statuquo ».
Enfin, interrogés sur l’opportunité d’intégrer le processus de protection des
savoirs dans l’analyse des problématiques de gestion des connaissances, les
répondants rapportent que ce processus « malgré son importance, demeure
largement incompris, voire méconnu dans l’entreprise tunisienne». Ainsi, et au vu de
ces derniers résultats, nous avons pu stabiliser la variable dépendante de notre
modèle théorique, à savoir les capacités de gestion des connaissances. Cette
variable a été opérationnalisée par les trois processus de création, de partage et
d’application des savoirs.
Ainsi, l’analyse des entretiens menés auprès d’une population de cadres
opérationnels et d’exploitation a pu aboutir à des résultats concrets pour la
spécification de la problématique de la recherche et l’affermissement de certaines
variables du modèle conceptuel. Le tableau 4.7 résume l’essentiel des résultats
obtenus suite à l’analyse de la première vague d’entretiens.
Tableau 4.7- Entretiens des opérationnels : synthèse des résultats
- La gestion des connaissances est un concept connu et pratiqué différemment
dans les entreprises enquêtées ;
- La gestion des connaissances s’articule autour de trois processus clefs : la
création, le partage et l’application des savoirs. Ces processus sont
complémentaires ;
- Si la technologie est importante, elle est cependant insuffisante pour entamer
un apprentissage collectif ;
- Il y a besoin urgent de se pencher sur l’analyse des conditions humaines et
organisationnelles associées au succès des démarches de gestion des savoirs ;
- Des paradoxes sont relevés dans la manière avec laquelle les entreprises
appréhendent et utilisent les principes du knowledge management.
194
II.3 Entretiens auprès des DRH : Gestion des connaissances et RH :
repérage des lieux.
Nonobstant l’importance des recherches sur le management des connaissances,
la revue critique de la littérature initiée dans le cadre de cette thèse révèle une
absence de fondements conceptuels rigoureux à l’analyse du rôle de la GRH dans
le déploiement des processus de gestion des connaissances. Ces faiblesses
conceptuelles ont été justifiées par la domination d’une logique « stock » de la
connaissance, laquelle logique aboutit à la valorisation des approches technicistes
du knowledge management. Ainsi, les entretiens auprès des DRH se justifient
par notre volonté de comprendre la perception des responsables RH quant à
l’intégration de la problématique de gestion des connaissances dans le domaine
des RH. D’autres objectifs sont également poursuivis par cette deuxième vague
d’entretiens. Dans un premier lieu, nous cherchons à définir les pratiques de
GRH qui seraient en mesure d’influencer positivement les processus de gestion
des connaissances. Les DRH ont ainsi été appelés à expliciter leurs perceptions
quant aux pratiques novatrices de GRH qu’ils jugent fondamentalement utiles
pour le développement des capacités de gestion des savoirs dans leurs
entreprises. En deuxième lieu, ces entretiens nous permettront de nous assurer
de l’existence chez les praticiens d’une conscience quant au rôle que la GRH est
en mesure de jouer dans la réussite des dispositifs de knowledge management.
Enfin, nous chercherons à évaluer la plausibilité de divers questionnements sur
les liens éventuels entre d’une part des variables des ressources humaines telles
que les pratiques de GRH orientées vers l'apprentissage, le capital humain et le
climat d'apprentissage et d'autre part, la gestion des connaissances. Les
entretiens avec les DRH ont subi la même procédure d'enregistrement, d'analyse
et d'exploitation que ceux menés avec les cadres opérationnels.
Même si les informations recueillies auprès des DRH ne se prêtent à aucune
forme de généralisation à cause de la taille réduite de l'échantillon et du caractère
exploratoire de la recherche à ce niveau, elles ont fait ressortir des éléments qui
nous ont permis par la suite d'orienter la conception du modèle de recherche.
Combinées avec les entretiens auprès des opérationnels, les entrevues réalisées
avec les DRH ont révélé la pertinence des choix de recherche issus des lectures
théoriques. Dans un premier temps, les analyses suggèrent que le rôle de la GRH
dans les démarches d'apprentissage reste une question peu explorée au sein des
entreprises, au grand désespoir des DRH qui insistent sur la centralité de leur
contribution dans ces initiatives. En deuxième lieu, les DRH nous ont livré leur
perception quant aux pratiques de GRH censées soutenir les activités de gestion
des savoirs. Enfin, l'analyse des entretiens nous a permis de vérifier la
plausibilité des liens entre les différentes variables qui constituent le modèle, en
particulier le rôle médiateur que jouent les variables "capital humain" et "climat
d'apprentissage".
195
II.3.1 La GRH levier de gestion des connaissances ? Entre réalité et
aspirations…
L’analyse des entretiens suggère que la conception du rôle de la GRH dans les
processus d’apprentissage reste approximative et faiblement établie dans les
entreprises enquêtées. De manière générale, les DRH ne semblent pas être
particulièrement impliqués dans les projets stratégiques de l’entreprise. Ceci est
plus vrai quand il s’agit du knowledge management. Peu structurés et souvent
partiels comme révélé dans les entretiens avec les opérationnels, les projets de
gestion des connaissances relèvent exclusivement de la responsabilité des
dirigeants. Cette situation n’est pas propre au seul cas du knowledge
management. Nos interlocuteurs nous rapportent qu’en manière générale, les
DRH « tunisiens » sont prisonniers du quotidien. « Nous sommes noyés dans un
océan de problèmes opérationnels et quotidiens », rapporte le DRH de l’entreprise
AVS. Les DRH rencontrés affirment que par moments, un intérêt est accordé à
certaines pratiques de GRH. Toutefois, cet intérêt semble souvent être contingent
à plusieurs facteurs tels que les missions d’audit, les préoccupations
gestionnaires du moment, etc.
Encadré 4.4- Illustrations sur la faiblesse du rôle accordé à la GRH dans les activités de KM
« On ne consulte pratiquement jamais les DRH dans ce genre de projets. Il y a eu des moments où
l’on réfléchissait ensemble sur le rôle de la GRH et sa place dans les processus d’innovation et de
création de nouvelles expertises. C’était associé à des changements majeurs au niveau des métiers
de l’entreprise qui devraient s’orienter davantage vers les clients. Mais cet élan a été très vite
coupé par des changements au niveau des postes de direction. C’est toujours le cas dans nos
entreprises.»
« Chez HBH, la formation et le design du travail aident beaucoup dans le développement des
logiciels. Je peux vous dire que nous contribuons au succès des démarches de gestion des savoirs
dans notre entreprise. Toutefois, ce rôle est souvent indirect et la direction ne le voit pas. Nous
agissons dans l’anonymat. La direction accorde ainsi une grande importance au département
système d’information qui travaille sur le benchmarking et sur le manuel des projets. Leur travail
est direct. Ils sont dans le front-office. Mais ils ne sont pas plus impliqués que nous (…) Notre
problème, celui de tous les DRH du monde, je pense, est que nous agissons indirectement sur les
processus managériaux (…) Notre salut ? Plus de terrain, plus de présence dans les postes de
décision, dans les réunions stratégiques de la direction. Ce sera long à mettre en œuvre. Il faudra
changer la mentalité de toute une génération de chefs d’entreprises. »
« Chez TNZ, nos pratiques de GRH sont novatrices et orientées vers la performance. C’est ce qui
nous distingue de nos concurrents. Nous sommes en train de mettre en place un projet de gestion
des compétences et nous travaillons de concert avec nos collègues de tous les autres
départements, notamment le département systèmes d’information. Nous offrons des formations
aux cadres afin de les préparer à une meilleure utilisation des bases de connaissances. Mais en
dépit de ses retombées positives sur les compétences, la formation est insuffisante à elle seule.
Les gens ne partagent pas facilement leurs connaissances. Nous en avons discuté avec le
directeur général. Nous avons demandé plus d’autonomie pour concevoir des systèmes
d’incitation. Mais, nous attendons toujours une réponse qui pourrait ne pas venir.
196
Comme le prouvent ces extraits verbatim, le rôle de la GRH comme levier de
gestion des connaissances ne semble pas encore explicitement reconnu dans les
entreprises enquêtées. Ces résultats ne doivent pas être vus comme étant
contradictoires avec l’objet de cette recherche. Au contraire, ces constats
empiriques sont d’une extrême importance pour la question de recherche posée
dans cette thèse. D’une part, ils nous permettent de justifier l’analyse de ce type
de problématique dans le contexte actuel de l’entreprise tunisienne (puisque, en
règle générale, cela ne sert à rien d’étudier des évidences et des choses dont on
est certain de l’existence). De l’autre, les résultats de cette recherche seraient en
mesure de fournir des repères concrets pour une éventuelle contribution des
responsables RH à la mise en place de démarches de création, de partage et de
mise en application des connaissances. Au delà de ces premiers résultats,
l’analyse de contenu nous a fourni des explications claires sur l’absence d’une
telle relation entre la GRH et la gestion des connaissances dans certaines
entreprises. En effet, les DRH mettaient en cause l’absence d’une vision RH au
niveau du top management de l’entreprise. Ils invoquaient également des
problèmes de positionnement de la DRH dans le schéma de prise de décision
dans l’organisation.
Parallèlement à ce vécu, les DRH rencontrés estiment, tout de même, que la
situation actuelle est parfaitement perfectible dans la mesure où la GRH, selon
leurs dires, est « la fonction centrale de l’entreprise ». Aujourd’hui, affirme le
DRH de l’entreprise HBH, « il y a de bonnes bases sur lesquelles il est possible
d’appréhender un nouveau rôle pour la GRH, notamment en matière de gestion des
connaissances. Nous sommes actuellement engagés dans un processus de veille
stratégique avec un partenaire européen. La fonction GRH aura certainement à y
contribuer, notamment à travers la formation et le développement des compétences dans
ce domaine ». De son coté, le DRH du laboratoire pharmaceutique SVX affirme
que la filiale tunisienne de la multinationale suisse est de plus en plus appréciée
pour ses résultats remarquables sur le marché tunisien. « L’an dernier, nous avons
reçu le prix de la meilleure équipe de consultants médicaux. Dans sa lettre adressée au
personnel commercial de SVX-Tunisie, le CEO insistait sur l’importance d’investir
davantage dans le capital humain et l’intelligence des hommes et des femmes. Il a
ouvertement cité la notion de knowledge management. Je crois que c’est un signe fort que
de relier capital humain et knowledge management. Le country manager l’a bien compris,
il me semble ». Ainsi, ces deux cas et tant d’autres signes émanent de l’analyse des
entretiens laissent montrer que les DRH sont tout à fait conscients du rôle que la
gestion des RH est en mesure d’assumer dans la conduite des processus clefs de
gestion des connaissances. L’analyse approfondie des entretiens a ainsi joué un
rôle déterminant dans la modération des discours peu optimistes tenus par
certains DRH quant au statut actuel de la fonction GRH dans leurs entreprises et
dans la justification de la problématique de recherche de cette thèse.
197
II.3.2 Clarification des choix définitionnels : quelles pratiques de GRH ?
L’identification des pratiques de GRH censées favoriser la gestion des
connaissances est sans doute l’un des choix les plus importants de cette
recherche. Il s’agit en effet de définir la « grappe de pratiques27» de GRH
composée de pratiques synergiques ayant un effet positif sur les capacités de
création, de partage et de mise en œuvre des savoirs dans l’entreprise. Ce choix
est délicat pour plusieurs raisons. La première est la présence d’un nombre
toujours croissant de pratiques de GRH parmi lesquelles le chercheur est appelé
à opérer des choix. Ce nombre s’explique par l’ouverture de la GRH sur des
problématiques organisationnelles qui ne relevaient pas traditionnellement de
ses prérogatives (communication, design organisationnel, réseautage des savoirs,
etc.). En plus, ce choix doit être justifié sur le double plan théorique et empirique.
Sur le plan théorique, la revue de la littérature révèle l’absence de consensus sur
les pratiques de GRH censées développer les capacités de gestion des
connaissances. Comme le montre le tableau 4.8, les pratiques dont il est question
sont définies selon des perspectives très diverses, empêchant l’émergence d’un
consensus sur un corps de pratiques RH stable et reproductible dans d’autres
recherches. Sur le plan empirique, les pratiques de GRH doivent faire l’objet d’un
consensus chez les DRH rencontrés dans le cadre de cette recherche. Cela n’a pas
réellement été le cas dans le sens où plusieurs divergences ont été enregistrées.
Un arbitrage a alors été opéré afin de trancher cette question. Cet arbitrage s’est
fait en croisant les résultats issus des analyses de contenus et ceux de la revue de
la littérature. L’étude exploratoire s’est révélée être d’une richesse extraordinaire
pour la définition des pratiques de GRH orientées vers la gestion des
connaissances, c’est-à-dire la variable indépendante du modèle de recherche. Elle
nous a permis d’abandonner une idée initialement choisie dans cette recherche, à
La notion de “grappe de pratiques” est la traduction en français du terme “HR Bundles”
proposé par les théoriciens du management stratégique des ressources humaines (MSRH). L’idée
d’une grappe de pratiques est venue mettre l’accent sur la nécessité pour les entreprises de ne pas
considérer les pratiques de GRH de manière isolée. S’inspirant de la pensée systémique, la notion
de grappe suppose l’existence de plusieurs pratiques de GRH ayant un objectif commun et
entretenant des liens synergiques entre elles (ces liens sont appelés la cohérence interne, «
Internal Fit », par les théoriciens du MSRH). Il existe plusieurs types de grappes dans la théorie :
celles orientées vers l’engagement, celles orientées vers la haute performance, etc. Dans le cadre
de cette recherche, nous cherchons à définir une grappe de pratiques orientées vers la gestion des
connaissances (ou l’apprentissage). Enfin, il est à noter qu’une grappe ne contient pas
nécessairement toutes les pratiques de GRH que l’on connaît. Sa taille dépend d’une recherche à
l’autre. Dans le cas de notre recherche, la grappe de pratiques se compose, comme il sera précisé
dans les développements suivants, de quatre pratiques de GRH : la formation, l’empowerment, le
management des performances et enfin les pratiques de design du travail et de réseautage social.
Comme on peut le voir, cette approche diffère des approches classiques des pratiques de GRH
(recrutement, carrière, salaire, évaluation, etc.).
27
198
savoir la définition de deux types de « grappes » de pratiques correspondant aux
deux stratégies de savoir définies par Hansen et al., (1999).
Tableau 4.8- Pratiques GRH orientées vers le KM : synthèse de quelques travaux
Auteurs
Objectifs des recherches
Pratiques de GRH retenues
Thite (2004)
Recherche théorique focalisant sur le
rôle du management des personnes
dans l’économie du savoir.
-Recrutement
et
conservation
des
compétences
-Management
des
performances
(management
par
objectifs,
rémunération).
Shipton et al.,
(2006)
Recherche longitudinale auprès de 22
entreprises industrielles britanniques
sur le rôle des pratiques de gestion
des RH dans l’apprentissage.
Les pratiques de GRH orientées vers le
développement de l’apprentissage par
exploration :
- Socialisation et induction
- Evaluation des performances
- Formation professionnelle
- Rémunération au mérite
- Autonomie accordée aux individus.
Recherche théorique reliant les
stratégies des connaissances aux
pratiques RH.
Des pratiques de GRH variables selon la
stratégie de savoir suivie (formation,
carrières,
management
des
performances).
Edvardsson
(2003)
Shipton et al.,
(2005)
Recherche dans 35 entreprises
britanniques sur la contribution de la
GRH aux processus de gestion des
connaissances
- Management des performances
- Formation
- induction
- Sélection et recrutement
Oltra (2005)
Etude de cas menée dans trois
entreprises espagnoles
- Formation incluant la pratique du
knowledge management
- Design du travail incluant les exigences
en termes de gestion des savoirs
- Evaluation des performances incluant
les comportements en termes de partage
des connaissances
Shih et Chiang
(2005)
Recherche menée auprès de 147
entreprises taïwanaises analysant les
liens entre la stratégie de l’entreprise,
les pratiques de GRH et le knowledge
- Autonomie et empowerment des
employés
- Pratiques de socialisation et de mise en
réseau des employés
199
management.
-Promotions et rémunération au mérite
- Rotation des jobs
- Formation axée sur le développement
de compétences spécifiques.
Recherche menée auprès de 300
moyennes et grandes entreprises
taïwanaises. L’objectif est d’analyser
l’impact des pratiques de GRH sur
l’environnement d’apprentissage et
les capacités de renouvellement de
l’entreprise.
- Empowerment
- Management des performances
- Programmes de partage des profits
- Efforts soutenus de formation
Pratiques
d’encouragement
de
l’engagement des employés (promotions
internes, rotation des postes, etc.)
Koch (2003)
Deux études de cas dans le contexte
britannique. Les résultats suggèrent
que l’emploi simultané de pratiques
de
GRH
spécifiques
et
des
technologies d’information et de
communication
améliore
sensiblement
les
capacités
de
développement et d’application des
connaissances.
- Organisation du travail autour
d’équipes projets
- Formation
- Pratiques de mise en réseau des
individus (networking)
- Pratiques d’ancrage de la culture de
performance.
Mansour
et
Gaha (2004)
Etude théorique sur les liens possibles
entre les pratiques de GRH et la
gestion des connaissances avec revue
de littérature étoffée.
- Le design du travail autour d’équipes
projets comme moyen de création des
savoirs
- Les pratiques d’implication des hauts
potentiels
de
l’entreprise :
les
opportunités d’apprentissage et de
réseautage des savoirs, autonomie et
flexibilité dans le travail, pratiques de
reconnaissances
telles
que
la
rémunération au mérite, le management
des performances, etc.
Jaw et
(2003)
Liu
200
L’analyse des entretiens suggère que les pratiques de GRH orientées vers la
gestion des connaissances font partie de ce qu’on appelle désormais les pratiques
novatrices de GRH. « La gestion des carrières selon le modèle traditionnel, les études
des postes classiques, la rémunération selon le diplôme ou l’ancienneté et la promotion
automatique ne font plus partie du jargon de l’organisation du savoir », affirme le DRH
du groupe PLN. Nos interlocuteurs reconnaissent que le champ d’intervention
du responsable RH ne cesse de s’élargir sous le double effet des nouvelles
orientations en matière d’organisation du travail et de la prise de conscience de
l’importance du facteur humain dans l’équation de la compétitivité. Le coaching,
le mentoring, la socialisation, le design du travail, le système d’information RH,
l’évaluation collective des compétences, la dynamisation des groupes de travail,
le management selon les objectifs…sont autant de nouvelles pratiques
managériales qui font aujourd’hui partie intégrante des nouvelles responsabilités
des DRH.
Au-delà de ces appréciations d’ordre général, les DRH rencontrés ne sont pas
unanimes quant aux éléments qui devraient constituer la grappe de pratiques
GRH orientées vers la gestion des connaissances. Cette divergence d’avis reflète
également l’indécision des chercheurs au niveau de ce point. Nous avons ainsi
décidé de procéder à un arbitrage en octroyant des scores aux pratiques citées
par les différents DRH. Une liste a ainsi été préparée de manière improvisée et
présentée sous forme d’une relance dans le cadre du premier entretien. Cette
tactique a ensuite été automatiquement appliquée dans le cadre des six autres
entrevues. Au-delà de cette opération de comptage, nous avons veillé à comparer
les résultats de cet arbitrage avec les propositions des auteurs telles qu’elles
figurent dans le tableau 4.8. Ainsi parmi les DRH rencontrés deux seulement ont
mentionné les pratiques de recrutement et de sélection comme faisant partie des
dispositifs de GRH à retenir dans cette étude. Pour les autres, le recrutement est
une opération qui implique, certes, le DRH ; mais elle prend lieu en amont de
tous les autres processus RH. Souvent d’ailleurs, il est difficile d’en mesurer la
pertinence pour l’organisation. D’autres justifient leurs positions par le fait que le
recrutement est devenu une activité politique au vrai sens du terme. « Même dans
une entreprise comme la nôtre, la sélection et le recrutement des candidats demeurent
deux processus souterrains et strictement réservés à la direction générale (…) Le
recrutement est un enjeu pour renforcer son pouvoir ou diminuer celui d’autres
personnes. », souligne le DRH de AVS. Une autre pratique, la gestion des
carrières, n’a pas été retenue par les DRH rencontrés. Selon les témoignages
recueillis, la gestion des carrières ne se pose pas de manière importante dans les
entreprises enquêtées. Le DRH de HBH justifie cette idée par le fait que « les gens
ne nourrissent pas d’e projets personnels de carrière dans notre entreprise. Le taux de
rotation est très élevé et le marché du génie logiciel est hautement attractif. Les gens
intègrent HBH pour apprendre et développer leurs portefeuilles de compétences. Ensuite,
ils iront s’expatrier en Europe ou en Amérique du Nord. Certains d’entre eux choisissent
201
les pays du Golfe. » Selon ce même DRH, cette situation ne présente aucun
problème pour l’entreprise qui a appris à « chasser » les bons éléments en tissant
des partenariats solides avec les grandes écoles du pays. Ces mêmes arguments
ont été avancés par le DRH du groupe PLN pour qui, « [son] entreprise s’est
transformée en un point de passage pour ces jeunes loups ; elle est devenue une véritable
école de formation au management ».
Les analyses de contenu menées dans le cadre de cette phase ont révélé
l’importance de quatre pratiques de GRH. Il s’agit respectivement des pratiques
de formation, des pratiques d’empowerment visant à accorder plus d’autonomie
aux acteurs, des pratiques de gestion des performances (qui incluent la fixation
d’objectifs de performance et la rémunération au mérite) et enfin les pratiques de
design du travail et de mise en réseau (social et non électronique) des individus.
Ces pratiques correspondent en bonne partie aux résultats des recherches
théoriques mentionnées précédemment. Leur contribution aux processus clefs de
gestion des connaissances a été longuement discutée dans le cadre du troisième
chapitre.
202
II.3.3 Primauté des facteurs humain et organisationnel dans le KM
Le troisième objectif assigné aux entretiens auprès des DRH est d’examiner la
plausibilité des liens entre les différentes variables du modèle théorique. Ayant
validé l’importance du rôle de la GRH dans le déroulement des processus de
knowledge management, les DRH ont été ensuite demandés de s’exprimer sur
les conditions qu’ils jugent nécessaires pour que la GRH puisse exercer un effet
sur les processus de KM. Les analyses de contenu laissent montrer l’unanimité
des répondants quant à l’importance du facteur humain dans l’équation posée
par le modèle de recherche. Les DRH stipulent que la GRH exerce un effet
indirect sur les processus de gestion des connaissances. Pour eux, les pratiques
de GRH agissent d’abord et surtout sur les individus et leurs compétences.
Ensuite, ces individus auront la charge de développer les capacités de knowledge
management de leurs entreprises. Parlant d’individus, les DRH ont cité la notion
de capital humain au moins une vingtaine de fois au cours des sept entretiens.
De tels résultats, illustrés dans l’extrait verbatim suivant, viennent nous conforter
dans un choix théorique fort de cette recherche, celui de considérer le capital
humain comme variable médiatrice dans la relation entre la GRH d’un côté et le
knowledge management, de l’autre.
Encadré 4.5- Illustrations sur l’importance du capital humain dans les activités de KM
« Dans l’entreprise, vous pouvez avoir les meilleurs processus du monde, la meilleure
technologie, mais si les hommes et les femmes ne vous suivent pas, si par exemple, leurs
compétences sont discutables, vous ne pouvez pas aspirer à être une entreprise innovante.»
« Les pratiques de GRH influencent certes les dispositifs de gestion des connaissances.
Cependant, cette influence n’est pas immédiate ; elle suit plutôt une logique de chaine de
transformation. En effet, les pratiques de GRH influencent d’abord le capital humain. Si vous
formez vos employés, cela va se voir immédiatement sur leurs compétences opérationnelles ;
ensuite cela se traduira sur les processus de créativité et de mise en application de nouveaux
savoirs. Si vous ne les formez pas, ils n’auront aucune valeur comparés aux concurrents ; en
termes simples, cela veut dire que vous devez vous en débarrasser vite, ou alors leur offrir des
formations intensives et spécifiques. »
« Chez TNZ, nous développons une vision particulière des personnes. Il y a une sorte de norme
ou de culture qui fait que nous savons tous que les individus sont la véritable arme de
l’entreprise et son principal atout sur le marché. Nos employés ingénieurs, commerciaux, chefs
de projets, opérateurs, etc…sont hautement qualifiés et nous continuons à les former pour
développer leurs performances (…) Cette vision est très utile pour les problématiques
d’innovation, mais aussi de partage des savoirs. S’ils se ressentent valorisés, choyés et reconnus,
les employés vont se donner à leur entreprise (…) Actuellement, nous travaillons sur
l’implication des hauts potentiels dans les activités créatives de l’entreprise. Nous sommes
conscients que l’innovation, la démocratisation du savoir dans l’entreprise et la rapidité des
prises des décisions dépendent de la manière avec laquelle nous voyons et traitons notre capital
humain. Le service communication interne qui relève de la DRH a été chargé de concevoir une
politique de communication avec ces hauts potentiels. Nous attendons leurs suggestions pour les
discuter et les mettre en œuvre.
203
En outre, certains DRH rencontrés mettent en avant l’importance des conditions
organisationnelles dans les démarches de gestion des connaissances. Cela montre
une certaine prise de conscience quant à la nécessité de mettre en place des
conditions permissives du knowledge management. L’analyse de contenu laisse
voir une importance accordée par les DRH aux conditions culturelles et
relationnelles nécessaires à la mise en place de démarches d’apprentissage. À cet
égard, la promotion d’une culture orientée vers la coopération et le « respect »
des différences intellectuelles est présentée comme un moyen de garantir
l’adhésion de tous les membres de l’entreprise aux processus de partage et de
développement de nouvelles expertises et de nouveaux modes de faire. Pour les
DRH rencontrés, l'ancrage des valeurs de partage, de coopération est présenté
comme un moyen permettant de soutenir durablement les comportements de
partage des connaissances entre les individus. Lors des entretiens, les termes de
pouvoir et de conflit ont été fréquemment utilisés par les interlocuteurs pour
désigner les principaux handicaps face au partage des connaissances. D'autres
DRH nous ont rapporté des cas où l'option technologique, notamment le réseau
Intranet, n'était pas d'un grand apport pour inciter les experts à partager leurs
connaissances. C'est notamment le cas de l'entreprise ARF dont le DRH voit le
projet Intranet initié dans le dessein d'assurer une meilleure mise en commun
des savoirs des consultants comme "une expérience amère, un projet à enterrer". Les
entretiens suggèrent une prise de conscience chez les interlocuteurs de la
nécessité d'une réflexion sur le rôle des conditions organisationnelles et
culturelles dans le succès des pratiques de gestion des connaissances. Par
ailleurs, ces entretiens n'ont pas pu démontrer le rôle médiateur des conditions
organisationnelles et culturelles dans le modèle de recherche établi. De nature
exploratoire, cette recherche n'est pas censée donner des vérités ou vérifier des
réalités supposées comme vraies par le chercheur. Nous estimons ainsi que les
entretiens auprès des DRH ont pu atteindre les objectifs qui leur ont été assignés.
Le tableau 4.9 recense, enfin, les principaux résultats de ces entretiens.
Tableau 4.9- Entretiens auprès des DRH: synthèse des résultats
La GRH peut-elle être considérée
comme levier de gestion des
savoirs?
Oui, selon les DRH. En dépit de la faible intégration de la
GRH dans les questions stratégiques, certains signes
suggèrent une participation accrue des DRH aux
problématiques d'apprentissage.
Quelles sont les pratiques de
GRH censées favoriser la gestion
des connaissances?
- L'empowerment, le management des performances, la
formation et les pratiques de design du travail et de
réseautage social.
Quelles sont les conditions
nécessaires pour que la GRH
puisse jouer le rôle de levier?
La GRH influencerait indirectement le KM à travers
l'amélioration du capital humain et la promotion d'un climat
organisationnel valorisant l’apprentissage.
204
Section III. La conception du questionnaire de recherche
En gestion des ressources humaines, le questionnaire multi-échelles demeure
l'outil d'investigation quantitatif le plus utilisé. Cet outil de collecte des données
a été choisi comme l'instrument de recueil des informations quantitatives.
Toutefois, le recours à une méthode d'enquête par questionnaire nécessite au
préalable une préparation minutieuse du support de l'enquête. La question la
plus importante concerne ici le choix des échelles de mesure. Dans le cadre de
notre recherche, la présence de questionnaires de références dans le domaine de
la gestion des ressources humaines et du knowledge management ainsi que celui
touchant au climat organisationnel d'apprentissage nous a largement facilité la
tâche en adoptant intégralement ces questionnaires. Cela nous a épargné de
passer par la procédure longue et compliquée de la construction d'échelles de
mesures spécifiques à l'objet de l'étude. Les échelles de mesure ont été puisées
dans la littérature spécialisée. Durant ce processus de sélection d'échelles de
mesure, nous avons veillé à respecter les points suivants:

les échelles adoptées doivent avoir une fiabilité importante à travers les
publications trouvées dans la littérature;

les échelles doivent concorder avec la définition théorique donnée au
concept;

le nombre d'items doit être équilibré.
Tous les items du questionnaire ont été traduits de l'anglais au français en ayant
recours à la méthode de Back Translation suggérée par Igalens et Roussel (1998).
Ainsi un premier groupe de quatre étudiants de mastère parfaitement trilingues
ont procédé à la traduction des items de l'anglais au français. Un autre groupe
composé de trois autres étudiants a procédé à la retraduction de ces items en
anglais. Nous avons enfin réuni ces sept étudiants afin de discuter les
divergences constatées et de trouver un compromis. La première version du
questionnaire a été développée à l'issue de cette réunion. Quelques modifications
incrémentales ont été apportées à la formulation des questions pour faciliter leur
compréhension. La phase de pré-test du questionnaire a donné des résultats
intéressants dans la mesure où elle nous a permis de finaliser le questionnaire
sous une forme intelligible et claire. L'objectif de cette section est triple. Nous
définissons d'abord le questionnaire de recherche utilisé en le décomposant en
un ensemble de plusieurs sous-échelles représentant l'ensemble des concepts
évoqués dans le cadre du modèle théorique. En deuxième lieu, nous rendons
compte de la procédure de pré-test du questionnaire et clarifions ses principales
retombées sur l'outil de recueil des données. Nous consacrons la dernière partie
de cette section à la production des données quantitatives.
205
III.1 Choix des échelles et élaboration du questionnaire
III.1.1. Les échelles des "pratiques de GRH orientées vers le KM" (variable
indépendante)
Les pratiques de GRH orientées vers le knowledge management ont été
opérationnalisées dans le cadre de cette recherche comme des pratiques
introduites au niveau des entreprises et qui devraient contribuer au succès des
pratiques de création, de partage et d'application des connaissances. Ces
pratiques ont été définies et opérationnalisées dans les études empiriques
relevant du management stratégique des ressources humaines. Selon les cas, ces
pratiques sont appelées par les chercheurs "pratiques novatrices de GRH",
"pratiques créatives de GRH", ou encore "système de travail à haute
performance". Compte tenu de la diversité des pratiques de GRH mobilisées
dans ces recherches (environ 25 pratiques), un choix s'est imposé. Nous nous
sommes ainsi basés sur la littérature traitant exclusivement des pratiques de
GRH orientées vers l'apprentissage et gestion des connaissances pour identifier
les échelles de mesure utilisées par les auteurs dans le cadre de ce type de
problématique. En deuxième temps, nous nous sommes basés sur les résultats de
l'étude exploratoire, et notamment les entretiens auprès des DRH afin de définir
ces pratiques. Quatre pratiques de GRH ont ainsi définies. Dans les
développements suivants, nous définissons ces pratiques et présentons les
échelles de mesure qui leur correspondent.
III.1.1.1 Echelle de l'empowerment
L'empowerment est un terme anglais qui peut être traduit par celui de
responsabilisation ou capacitation. Dans le domaine des RH, l'empowerment
signifie le fait d'accorder à l'employé suffisamment d'autonomie et de marge de
manœuvre pour qu'il se prenne en charge tout seul. Dans le cadre de cette
recherche, l'empowerment est considéré comme une décision RH qui vise à
accroitre l'autonomie opérationnelle des employés et leur indépendance, de
manière qui accroit leur confiance en leurs capacités.
L'examen de la littérature qui a traité le thème de l'empowerment montre qu'il
existe plusieurs manières de mesurer ce concept. En effet, l'empowerment peut
être défini comme processus psychologique ou encore comme processus
d'acquisition de pouvoir dans l'entreprise. Dans cette recherche, nous adoptons
une perspective qui met le focus sur la liberté accordée à l'employé pour
organiser son travail, contrôler ses résultats et prendre les mesures correctrices
nécessaires.
206
Pour mesurer l'empowerment, une adaptation simple de l'échelle développée par
Jaw et Liu (2003) a été opérée. Les auteurs ont développé une échelle composée
de cinq (5) items. Cette échelle a été choisie en se basant sur les critères suivants:

Elle est parfaitement adaptée à l'objet d'étude de cette thèse. Elle a été
développée dans le cadre d'une recherche qui étudie l'impact de la GRH
sur les capacités d'apprentissage de l'organisation;

Sa bonne qualité de fiabilité et de validité prouvée (α = 0.83)

Sa facilité d'utilisation puisqu'elle ne se compose que de cinq items
clairement formulés, ce qui améliore les chances de sa compréhension par
le répondant. Toutefois, un item a été abandonné parce que nous jugeons
que son énoncé ne correspond pas à la réalité et au contexte des
entreprises tunisiennes.
Cette échelle se présente comme suit:
Les propositions suivantes concernent votre perception des pratiques de gestion des
ressources humaines dans votre entreprise. Veuillez indiquer pour chacune d'entre elles
votre niveau d'accord ou de désaccord.
Pas du tout
d’accord
Pas d’accord
Indifférent
D’accord
Tout à fait
d’accord
Dans mon entreprise,
1.
2.
3.
4.
Le contenu de mon travail varie fréquemment.
J’ai la liberté de décider sur la manière de faire mon travail
J’ai confiance en ma capacité à faire convenablement mon travail.
J’ai une grande indépendance qui me permet d’organiser, comme je veux,
mon travail.
III.1.1.2 Echelle de la formation
Il existe plusieurs manières de définir la formation. Les opérationnalisations de
ce concept par les chercheurs ont varié en fonction de ces définitions. Ainsi, une
première définition de la formation consiste à la définir comme un processus qui
s'articule autour de quatre étapes: l'identification, la planification, le déroulement
et l'évaluation de la formation. Une autre opérationnalisation proposée dans la
littérature consiste à savoir si oui ou non l'entreprise dispose d'un organe
s'occupant de la fonction formation. Selon une autre perspective, Shipton et al,
(2006) ont opérationnalisé la variable formation de manière à ce qu'elle reflète
207
l'adéquation entre les besoins individuels et organisationnels en formation et les
compétences des employés. L'échelle développée par les auteurs contient
seulement trois items. Les répondants étaient appelés à indiquer leur niveau
d'accord ou de désaccord avec les trois propositions. L'échelle se compose de
cinq points allant de pas du tout d'accord à tout à fait d'accord.
Pour mesurer la formation dans le cadre de cette recherche, une combinaison de
deux échelles de mesure a été opérée. Il s'agit de l'échelle précédemment citée de
Shipton et al, (2006) et celle développée par Jaw et Liu (2003). Ainsi, l'échelle
retenue dans le cadre de cette thèse se compose de quatre items dont trois étaient
retenus de l'échelle développée par Jaw et Liu (2003). La combinaison partielle de
deux échelles est une procédure normale surtout quand elles sont développées
dans le cadre de recherches similaires. Ainsi, notre échelle répond aux critères
retenus dans cette recherche, en l'occurrence:

Elle a été développée dans deux recherches proches de l'objet de notre
étude (impact de la GRH sur l'apprentissage/impact de la GRH sur
l'innovation);

Elle est simple d'utilisation dans la mesure où elle ne comporte que quatre
items facilement compréhensibles;

Elle dispose d'une bonne fiabilité (α = 0.88)
Cette échelle se présente comme suit:
Les propositions suivantes concernent votre perception des pratiques de gestion des
ressources humaines dans votre entreprise. Veuillez indiquer pour chacune d'entre elles
votre niveau d'accord ou de désaccord.
Pas du tout
d’accord
Pas d’accord
Indifférent
D’accord
Tout à fait
d’accord
Mon entreprise,
1.
2.
3.
4.
M’encourage à suivre des formations qui concernent directement mon
métier.
Encourage les plans d’éducation et de formation continus.
Nous fournit un programme de formation riche et varié.
Prévoit un programme de formation spécifique pour mon métier.
208
III.1.1.3 Echelle du management des performances
La notion de management des performances a été développée par les chercheurs
en management stratégique des ressources humaines. Ce concept désigne à la
fois trois éléments qui appartiennent au champ du management des personnes:
la fixation d'objectifs de performance, l'évaluation des performances et la
rémunération au mérite. Plusieurs échelles de mesure ont été développées et
utilisées par les chercheurs. Leur fiabilité élevée et leur validité ont été prouvées
dans les recherches de Huselid (1995); Becker et Huselid (1998); Guthrie (2001) et
Jaw et Liu (2003). Dans le cadre de cette recherche, nous adoptons l'échelle de
mesure développée et utilisée par Jaw et Liu (2003). Le management des
performances est alors défini comme une pratique de GRH dont l'objectif est
d'évaluer et rémunérer le personnel selon sa capacité à atteindre des objectifs de
performance clairement établis.
Comme les échelles précédentes, celle portant sur le management des
performances a été choisie parce qu'utilisée dans une recherche dont l'objet est
très proche de celui de cette thèse. Elle bénéficie aussi d'une fiabilité prouvée (α =
0.81). En plus, elle se compose de quatre items clairs et intelligibles. Son énoncé
se présente comme suit:
Les propositions suivantes concernent votre perception des pratiques de gestion des
ressources humaines dans votre entreprise. Veuillez indiquer pour chacune d'entre elles
votre niveau d'accord ou de désaccord.
Pas du tout
d’accord
Pas d’accord
Indifférent
D’accord
Tout à fait
d’accord
Dans mon entreprise,
1.
2.
3.
4.
Des objectifs de performance clairs sont fixés pour chacun de nous.
Les employés ressentent la nécessité de réaliser leurs objectifs de
performance.
L’évaluation des performances est utilisée comme outil de développement
professionnel.
La rémunération est étroitement liée aux performances des employés.
III.1.1.4 Echelle des pratiques d'organisation du travail et du réseautage social
Il est rare en GRH de trouver un concept qui mesure à la fois les pratiques
d'organisation et de réseautage. Pourtant, dans le cadre d'une recherche sur le
209
management des connaissances, ces deux dimensions sont parfaitement
conciliables. En effet, les pratiques d'organisation du travail sont nombreuses.
Leurs applications diffèrent selon les choix opérés par les entreprises. On
trouvera par exemple les pratiques de travail en équipe, la structuration par
projet ou encore le système de rotation des postes, etc. Dans tous ces cas,
l'objectif de ces pratiques est de définir un mode de travail collectif dans le cadre
duquel les gens interagissent et développent des expériences communes.
Récemment, plusieurs théoriciens et managers ont suggéré de renforcer ces
pratiques de design du travail par des actions visant à renforcer les opportunités
de mise sur réseau social (et non électronique) des individus appartenant à une
même entreprise. Dans ces actions, nous retrouvons le tutorat, le mentoring, le
coaching ou encore les rencontres informelles, etc. Ces éléments aident à la
constitution ce que l'on appelle communément le capital social de l'entreprise.
Dans le cadre de cette recherche, cette pratique est définie comme l'ensemble des
modes d'organisation du travail et des relations qui permettent aux individus de
travailler dans un cadre collectif et de mettre en commun leurs expertises.
L'échelle de mesure de ces pratiques adoptée dans le cadre de cette recherche a
été adaptée de l'échelle initiale développée par Collins et al, (2001). Avec une
fiabilité et une validité satisfaisantes (α = 0.84), l'échelle présente l'avantage
qu'elle a été adoptée dans une recherche qui étudie le rôle de la GRH dans
l'amélioration des capacités de knowledge management. Toutefois, quelques
items ont été éliminés de cette échelle pour deux raisons. D'abord, parce que leur
contenu risque de ne pas être compris par les répondants; ensuite pour équilibrer
le nombre d'items par rapports aux autres construits en le ramenant à seulement
cinq propositions. Cette échelle se présente comme suit:
Les propositions suivantes concernent votre perception des pratiques de gestion des
ressources humaines dans votre entreprise. Veuillez indiquer pour chacune d'entre elles
votre niveau d'accord ou de désaccord.
Pas du tout
d’accord
Pas d’accord
Indifférent
Dans mon entreprise,
210
D’accord
Tout à fait
d’accord
1.
2.
3.
4.
5.
les employés travaillent dans le cadre d’équipes composées de plusieurs
métiers.
les employés travaillent dans une organisation en équipes
nous utilisons la rotation des postes pour développer les compétences des
employés
nous utilisons un système de tutorat entre employés expérimentés et
nouvelles recrues
nous organisons souvent des rencontres informelles pour mieux
communiquer et nous connaître
III.1.2. Les échelles des "processus de gestion des connaissances" (variable
dépendante)
Les processus de création, de partage et d'application des connaissances
représentent la variable dépendante dans le modèle théorique construit dans le
cadre de cette recherche. La revue de la littérature révèle le nombre limité
d'échelles de mesures développées pour mesurer les processus de gestion des
connaissances. Peu explorée, la dimension métrique du knowledge management
nécessite davantage d'attention. Pour les besoins de cette recherche, trois échelles
de mesures ont été adoptées. La première échelle est relative au processus de
création des savoirs. Elle a été empruntée à la recherche réalisée par Darroch
(2003) dans laquelle l'auteur a construit une échelle de mesure du knowledge
management. La deuxième échelle est relative au partage des connaissances. Elle
a été empruntée aux travaux de Jaw et Liu (2003). Enfin, l'échelle relative au
processus d'application des connaissances a été adoptée des travaux de Lee et al.,
(2005). Les trois échelles bénéficient d'une fiabilité et d'une validité prouvées.
Elles sont intelligibles et facilement compréhensibles pour le répondant. Ces
échelles se présentent respectivement comme suit.
III.1.2.1 L'échelle de la création des savoirs
Dans le cadre de cette recherche, le processus de création des savoirs est défini
comme l’ensemble des activités menées par les employés de l’entreprise et qui
visent à stimuler l’innovation et le développement de nouvelles formes de
savoirs et d’expertises dans l’organisation. L’échelle mesurant ce concept se
présente alors comme suit :
Les propositions suivantes concernent votre perception du processus de création des
connaissances dans votre entreprise. Veuillez indiquer pour chacune d'entre elles votre
niveau d'accord ou de désaccord.
211
Pas du tout
d’accord
Pas d’accord
Indifférent
D’accord
Tout à fait
d’accord
Dans mon entreprise,
1.
2.
3.
4.
5.
6.
7.
les employés travaillent ensemble pour résoudre les problèmes
professionnels
les employés sont toujours disponibles pour discuter de nouvelles idées au
travail
les employés échangent facilement des idées qui leur permettent de créer de
nouvelles approches au travail
les employés apprennent les uns des autres quotidiennement
les employés sont créatifs et apportent souvent des solutions originales
les employés développent de nouvelles connaissances et de nouveaux savoirfaire pratiques
des séances de brainstorming collectif sont organisées pour développer de
nouvelles idées.
III.1.2.2 L'échelle du partage des connaissances
Le partage des connaissances est sans doute le processus organisationnel qui a
bénéficié de la plus grande attention de la part des chercheurs. Pour plusieurs
auteurs, c'est le processus central dans le système de gestion des savoirs. Nous le
définissons dans le cadre de cette thèse comme l'ensemble d'actions et de
comportements affichés par un individu et qui visent le partage et la diffusion de
ses connaissances. L'échelle de mesure se présente comme suit.
Les propositions suivantes concernent votre perception du processus de partage des
connaissances dans votre entreprise. Veuillez indiquer pour chacune d'entre elles votre
niveau d'accord ou de désaccord.
Pas du tout
d’accord
Pas d’accord
Indifférent
D’accord
Tout à fait
d’accord
Dans mon entreprise,
1.
2.
3.
je partage souvent mes connaissances et informations avec mes collègues
les différentes directions sont encouragées à partager leurs savoirs et savoirfaire
j’interagis fréquemment avec les autres pour mettre à niveau mes
connaissances
212
4.
5.
6.
les personnes ont appris à combiner leurs différentes expertises pour le bien
du travail
les employés ne trouvent pas de difficultés à contacter leurs collègues pour
demander des informations
les employés sont excellents dans le partage des connaissances.
III.1.2.3 L'échelle de l'application des connaissances
L'application des connaissances est sans doute le processus de gestion des
savoirs le plus difficile à observer. En effet, la capacité d'un employé à appliquer
des connaissances est largement encastrée dans la pratique quotidienne de ses
activités. Elle est de fait essentiellement encapsulée dans son vécu professionnel.
Dans le cadre de cette thèse, nous définissons ce processus comme la capacité de
l'entreprise à prendre des décisions et à être réactive et agile. Une entreprise qui
applique convenablement ses connaissances est une entreprise agile, agressive et
performante. L'échelle de mesure adoptée pour mesurer ce concept est la
suivante.
Les propositions suivantes concernent votre perception du processus d’application des
connaissances dans votre entreprise. Veuillez indiquer pour chacune d'entre elles votre
niveau d'accord ou de désaccord.
Pas du tout
d’accord
Pas d’accord
Indifférent
D’accord
Tout à fait
d’accord
Mon entreprise,
1.
2.
3.
4.
répond rapidement aux actions de nos concurrents directs
actualise périodiquement ses produits pour satisfaire ses clients
offre souvent de nouveaux produits et/ou services pour ses clients
répond rapidement aux changements dans son environnement économique
et technologique.
III.1.3. Les échelles relatives aux variables médiatrices
III.1.3.1 échelle du capital humain
La notion de capital humain a connu des conceptualisations différentes selon
l’angle d’analyse choisi par le chercheur. Selon un angle économique, le capital
humain est souvent opérationnalisé par le diplôme, le niveau éducatif de
213
l’employé et son ancienneté dans l’entreprise. Cette acception du capital humain
a progressivement cédé le terrain à une définition stratégique. En s’inspirant de
l’analyse des conditions de l’avantage concurrentiel avancée par Barney (1991) ;
les auteurs en management stratégique ont présenté une vision stratégique du
capital humain. Dans ce cadre, Lepak et Snell (1999 ; 2002) ont focalisé leurs
recherches sur la valeur et l’unicité stratégique du capital humain de l’entreprise.
Selon cette perspective, la valeur stratégique du capital humain renvoie à la
capacité des employés à exploiter les opportunités offertes sur le marché et à
neutraliser les menaces des concurrents28 de manière qui accroit l’efficience de
l’organisation. L’unicité du capital réfère, quant à elle, au degré auquel les
employés disposent de compétences rares, inimitables et spécifiques à
l’entreprise. Cette acception du capital humain a été soutenue par plusieurs
autres recherches qui ont montré l’intérêt de considérer les personnes comme
une véritable source de différenciation pour l’entreprise (Ulrich et Lake, 1991 ;
Barney, 1991 ; Quinn et al., 1996 ; Snell et al., 1996).
L’acception stratégique du capital humain a donné lieu à une échelle de mesure
développée par Lepak et Snell (2002). Le capital humain est ainsi subdivisé en
deux sous-échelles : l’échelle de la valeur du capital humain et l’échelle de
l’unicité du capita humain. La première échelle se compose de 12 items alors que
la seconde en comporte dix (voir tableau 4.10). Ces deux échelles ont montré une
solide fiabilité avec un alpha dépassant le 0.80.
Tableau 4.10- Echelle du capital humain selon Lepak et Snell (1999).
« Valeur du capital humain » : 12 items
Nos employés ont des compétences qui…
sont fondamentales pour l’innovation
créent de la valeur aux clients
aident à minimiser les coûts de production
nous aident
à fournir des
services
exceptionnels
contribuent au développement de nos marchés
développent les meilleurs produits du marché
affectent directement l’efficience de l’entreprise
aident l’entreprise à répondre aux exigences
des clients
nous permettent d’offrir des prix compétitifs
affectent directement la satisfaction des clients
sont nécessaires pour maintenir un haut niveau
de qualité
sont très utiles pour améliorer nos processus
« Unicité du capital humain » : 10 items
Nos employés ont des compétences qui…
ne sont pas disponibles ailleurs
sont difficilement remplaçables
ne sont pas disponibles pour les concurrents
sont les meilleures dans l’industrie
sont spécifiques à nos métiers
que nous ne vendrons pas aux concurrents
hautement spécifiques à notre entreprise
sont difficiles à imiter par les concurrents
sont développés pour nos propres besoins
nous distinguent des concurrents
Remarquons ici que cette notion s’appuie implicitement sur la modèle des cinq forces
concurrentielles de Michael Porter.
28
214
Dans le même esprit de Lepak et Snell (1999), une autre échelle de mesure a été
développée par Youndt et snell (2004). Cette échelle s’inspire largement de celle
présentée dans le tableau 4.10. Elle est toutefois plus simple, avec seulement 5
items. Sa fiabilité est élevée avec un alpha dépassant le seuil du 0.80. Cette
échelle a été choisie dans le cadre de cette thèse parce qu’elle a été forgée dans le
cadre d’une recherche similaire à la notre (relation entre configurations de GRH
et capital intellectuel et social de l’entreprise). De plus, elle est intelligible et
facilement compréhensible par les répondants. Elle se présente comme suit :
Les propositions suivantes concernent votre perception du capital humain dans votre
entreprise. Veuillez indiquer pour chacune d'entre elles votre niveau d'accord ou de
désaccord.
Pas du tout
d’accord
Pas d’accord
Indifférent
D’accord
Tout à fait
d’accord
Les employés travaillant dans mon entreprise,
1.
2.
3.
4.
5.
sont hautement qualifiés
sont considérés les meilleurs dans l’industrie
sont créatifs et brillants
sont de véritables experts dans leurs métiers et fonctions spécifiques
disposent de compétences rares que les concurrents de possèdent pas.
III.1.3.2 échelle du climat d'apprentissage
Le concept de climat d'apprentissage a été défini dans le cadre de cette recherche
comme l'ensemble des attributs culturels d'une entreprise orientés vers la gestion
des savoirs et l'apprentissage. Ce concept a été dérivé d'un concept plus ancien et
mieux connu, à savoir le climat organisationnel, lui-même découlant des
recherches dans le domaine de la culture de l'entreprise. Le climat
d'apprentissage renvoie donc à la dimension culturelle du knowledge
management. L'une des échelles de mesure de ce construit a été développée par
Wang et Ahmad (2006). Elle comporte quatre items relatifs à la culture de
partage et de coopération dans l'entreprise. Une autre échelle était développée
par Detlor et al, (2006). Elle se compose de quatre items dont, par exemple, "mon
entreprise développe une culture de partage de savoirs" ou encore "nous
discutons souvent de manière constructive pour résoudre des problèmes au
travail". Dans le cadre de cette recherche, nous utilisons l'échelle développée par
Jaw et Liu (2003). Cette échelle bénéficie d'une excellente fiabilité. En plus, elle a
été développée dans le cadre d'une étude dont l'objet est très proche de celui de
215
notre recherche. Elle se compose de six items. Cette échelle se présente comme
suit:
Les propositions suivantes concernent votre perception du climat d’apprentissage dans
votre entreprise. Veuillez indiquer pour chacune d'entre elles votre niveau d'accord ou de
désaccord.
Pas du tout
d’accord
Pas d’accord
Indifférent
D’accord
Tout à fait
d’accord
Dans mon entreprise,
1.
2.
3.
4.
5.
6.
les relations interpersonnelles sont harmonieuses
la coopération entre les individus et entre les départements est satisfaisante
l’expression libre et la critique positive sont encouragées
le climat de communication est marqué par la confiance
les supérieurs hiérarchiques encouragent leurs collaborateurs à donner leur
avis sans peur ni résignation.
les différences d’opinion concernant le travail sont favorablement accueillies.
216
III.2 Les prétests et le recueil des données quantitatives
La validation de l’instrument de mesure a pour objectif de minimiser les biais et
les erreurs dès le début de la spécification du questionnaire de recherche.
Plusieurs méthodes sont utilisées par les chercheurs. Les jugements des pairs et
experts demeurent fort utiles pour mesurer la validité de contenu du
questionnaire. En effet, l’étude de validité du contenu permet au chercheur de
s’assurer que le questionnaire créé pour mesurer un phénomène capture bien les
différents aspects de l’objet étudié. Tous les items de l’instrument doivent offrir
un haut degré de représentation de cet objet d’étude. Selon Igalens et Roussel
(1998 :104), «la méthode de validation repose sur des entretiens avec des pairs et
des experts. Il s’agit de soumettre le questionnaire aux chercheurs de la
communauté scientifique (les pairs) et à des experts du monde professionnel en
rapport direct avec le problème de GRH analysé. Au cours de cette
confrontation, il faut qu’ils puissent juger de la capacité de l’instrument de
mesure à capturer les différents aspects du phénomène étudié ». Dans le cadre de
cette recherche, deux séries de prétests ont été effectuées afin de s’assurer de la
représentativité des items du questionnaire et de leur compréhensibilité par les
participants. La première s’est faite avec des collègues enseignants de l’Institut
Supérieur de Gestion de Tunis. La seconde a été faite avec un panel réduit de
professionnels appartenant aux entreprises de l’échantillon. L’analyse finale des
prétests a engendré des modifications incrémentales dans l’énoncé de deux
items. Le questionnaire était perçu par les pairs et les experts comme étant clair,
intelligible et mesurant correctement le problème théorique étudié dans le cadre
de cette recherche. Suite à ces deux prétests, le recueil de données a été basé sur
une enquête par questionnaire.
Le questionnaire a été administré directement auprès d’une population
spécifique dans les sept entreprises constituant le terrain de l’étude. Dans deux
entreprises, les questionnaires étaient recueillis immédiatement. Dans chaque
entreprise, le chercheur s’est déplacé avec un haut responsable de l’entreprise et
administré le questionnaire directement auprès des employés. Les questionnaires
étaient disponibles le même jour dans l’après-midi. Cette méthode est d’un
apport considérable parce qu’elle permet au chercheur de guider les personnes
participant à l’enquête et de répondre à leurs interrogation avant qu’ils ne
remplissent le questionnaire. Cette méthode nous a permis d’augmenter le
nombre de questionnaires exploitables dans la phase d’analyse des données.
L’échantillon ciblé est formé de salariés cadres et non-cadres, essentiellement des
techniciens supérieurs. Le taux des cadres est de 70% des répondants. Le tableau
suivant résume l’essentiel de la démarche de recueil des données et en présente
une description succincte.
217
Tableau 4.11- Questionnaires exploitables
Entreprise
Nombre de
copies
distribuées
Nombre
de
copies collectées
Nombre de
exploitables
copies
Taux
de
questionnaires
exploitables
SVX
40
35
35
100%
AVS
45
45
45
100%
ARF
35
25
24
96%
HBH
55
46
40
87%
PLN
85
56
49
87.5%
TNZ
90
61
57
93%
Total
350
268
250
93.28 %
Au total, 250 questionnaires ont servi à la production des données quantitatives
de cette recherche. Les résultats des informations recueillies feront l’objet d’une
discussion et d’une analyse approfondie dans le cadre du prochain chapitre.
218
Conclusion
L’opérationnalisation d’une recherche en sciences de gestion est un processus qui
n’est pas exempt de biais et de risques. Pour minimiser ces facteurs, des allersretours entre le terrain et le domaine théorique sont exigés. L’objectif de ces
mouvements est de confronter les construits théoriques aux perceptions qu’ont
en les gens sur le terrain. Ils permettent ainsi de stabiliser les construits de base
de la recherche et de vérifier la plausibilité des liens rendus nécessaires par le
cadre théorique progressivement construit par le chercheur. Les entretiens
auprès des DRH et des cadres opérationnels ont permis d’apprécier la pertinence
d’une intégration de la question de gestion des connaissances dans le domaine
des ressources humaines. Ils ont également permis de réorienter certains
questionnements qui ont été posés au moment où cette recherche a été engagée.
Ainsi, nous avons renoncé à l’idée d’adopter une approche configurationnelle de
la GRH qui mettrait sous examen deux catégories de politiques de GRH adaptées
à deux stratégies de savoir différentes. La recherche exploratoire a aussi montré
l’importance de considérer le rôle médiateur du capital humain et du climat
d’apprentissage dans le modèle théorique. Les DRH ont soulevé à l’unanimité la
nécessité de considérer les facteurs humains et culturels comme conditions
nécessaires à toute œuvre de gestion des connaissances. Une telle assertion
confirme, au passage, la pertinence d’une analyse du domaine du knowledge
management à travers une perspective organisationnelle.
Outre l’investigation qualitative, l’opérationnalisation de l’étude s’est traduite
par la conception du questionnaire de recherche. Les échelles de mesure ont été
rigoureusement choisies dans la littérature spécialisée. Elles bénéficient de
fiabilité et de validité prouvées dans des recherches antérieures. En outre, elles
ont été mobilisées dans le cadre de recherches dont l’objet est proche de celui de
cette étude (apprentissage, innovation, etc.). Quelques modifications ont été
nécessaires pour améliorer la clarté et la compréhensibilité du questionnaire. La
version finale du questionnaire, comportant 45 items, a été remplie par 268
salariés. Au total, 250 questionnaires se sont avérés exploitables.
Le cinquième chapitre aura pour objectifs d’apprécier la qualité de l’instrument
de mesure, de tester les hypothèses de recherche et d’analyser les résultats en les
confrontant à la littérature disponible et en inférant les implications managériales
nécessaires.
219
Chapitre 5
Vers une meilleure compréhension du rôle de la GRH
dans le management des savoirs : validation empirique du
modèle de recherche.
Dans le chapitre précédent, nous avons préparé le cadre opérationnel de la
recherche en rendant compte des résultats d’une investigation qualitative
exploratoire auprès de deux populations cibles : les opérationnels de
l’exploitation et les responsables des RH. Les résultats de cette quête ont permis
de « stabiliser » le modèle de recherche et de vérifier la plausibilité des liens qui
relient ses différents construits. En outre, ce chapitre a été l’occasion de concevoir
le questionnaire de recherche qui sera utilisé dans la deuxième phase de l’étude.
L’objectif de ce cinquième et dernier chapitre est de valider empiriquement le
modèle de recherche en appréciant la qualité des liens entre les différentes
variables dépendantes, indépendantes et médiatrices. Au-delà de la signification
strictement statistique des résultats à générer, nous nous attendons surtout à
affiner notre compréhension de la contribution éventuelle des pratiques de GRH
aux processus de gestion des connaissances ainsi que des mécanismes
intermédiaires qui la sous-tendent. L’enjeu général de ce chapitre est de vérifier
l’option théorique majeure de cette thèse selon laquelle les pratiques de GRH
seraient un levier fondamental des capacités organisationnelles de création, de
partage et d’application des connaissances. Rappelons que cette option est la
résultante d’un travail de déconstruction théorique de la littérature sur le
knowledge management dont le point focal est sans doute la remise en cause
d’un déterminisme technologique jugé extrêmement réducteur. Pour générer les
résultats empiriques, un certain nombre d’étapes seront mises en œuvre. La
validation d’un modèle théorique est, en effet, un processus long et rigoureux. La
première étape consiste à s’assurer de la qualité de l’instrument de mesure en
procédant à une analyse factorielle exploratoire permettent de purifier les
échelles de mesure utilisées (section I). Lors de la deuxième phase, nous
procédons à l’étude des liens entre les différentes variables du modèle de
recherche en mobilisant la technique des régressions linéaires. Cette phase
devrait nous permettre de confirmer ou d’infirmer les hypothèses de recherche
(section II). Sur la base de ces résultats, une discussion théorique des résultats
sera engagée. Elle devra permettre d’en apprécier la pertinence au regard de
recherches antérieures. En « contextualisant » ces résultats, la discussion
théorique nous permettrait en deuxième temps de proposer un corps de
recommandations managériales à même d’avancer notre compréhension des
leviers de gestion des connaissances ainsi que du rôle que les professionnels des
RH seraient appelés à jouer dans ce cadre (section III).
220
Section I. Evaluation de la qualité du questionnaire de recherche
La validation d’un modèle théorique est un processus long et rigoureux. La
première étape consiste à s’assurer de la qualité de l’instrument de mesure et de
collecte des données quantitatives utilisé par le chercheur. Cette validation est
rendue nécessaire par deux raisons. La première renvoie au fait que les variables
constitutives du modèles sont par nature difficilement observables (capital
humain, climat d’apprentissage, etc.). Il faudra donc s’assurer que les échelles de
mesure adoptées rendent bien compte de leur réalité. La seconde raison tient à
l’absence d’une correspondance directe entre les construits adoptés et les
phénomènes réels. L’évaluation de la qualité de l’instrument de mesure peut être
ramenée à la question centrale suivante : est-ce que les échelles qui composent cet
outil permettent de saisir, de manière précise, constante, exclusive et exhaustive
le construit censé être mesuré ? Cette question permet de rendre compte des
deux critères de base utilisés par les chercheurs pour évaluer la qualité du
questionnaire. Il s’agit respectivement de la fiabilité et de la validité. La fiabilité
signifie que les échelles utilisées mesurent de façon précise et constante les
construits étudiés. La validité signifie, quant à elle, que les échelles mesurent de
façon exhaustive et exclusive les construits tels qu’ils ont été définis, et non
d’autres construits.
L’analyse menée dans cette section est centrée sur les techniques exploratoires
d’analyse de la validité et de la fiabilité des échelles de mesure. L’utilisation de
ces techniques permet aussi de décrire, de réduire et de condenser la quantité
importante de données recueillies par la diffusion du questionnaire afin de
faciliter l’interprétation des résultats. Les techniques exploratoires aident
notamment à apprécier la dimensionnalité, l’homogénéité et la cohérence interne
des construits composant le modèle théorique et mesurés par les échelles qui
composent le questionnaire de recherche. Elles s’appuient sur le recours à
l’analyse factorielle exploratoire et la détermination des coefficients alpha de
Cronbach. L’objectif de cette section est de présenter l’évaluation de la fiabilité et
de la fiabilité des échelles de mesure des pratiques de gestion des ressources
humaines orientées vers la gestion des connaissances, du capital humain, du
climat d’apprentissage et des processus clefs de gestion des connaissances. Avant
de procéder à ces analyses, il serait judicieux d’exposer succinctement les
techniques d’analyse utilisées dans le cadre de cette thèse. Ensuite, il sera
question d’appliquer ces multiples techniques aux échelles de mesure utilisées
dans cette recherche. Les résultats de chaque type d’analyse seront exposés et
analysés au fur et à mesure. Rappelons enfin que cette étape est fondamentale
parce qu’elle nous permet d’apprécier la qualité de l’outil d’investigation. La
qualité des résultats à attendre des régressions linéaires dépendra en grande
partie du succès de la phase de validation des différentes échelles de mesure
utilisées.
221
I.1. Evaluation de la qualité du questionnaire : description des
principales techniques d’analyse
Le questionnaire est l’instrument de recherche quantitatif le plus utilisé en
sciences de gestion. Toutefois, cet outil n’est pas exempt de limites. Plusieurs
insuffisances peuvent biaiser la qualité de l’information qu’il génère. Churchill
(1979) en identifie au moins quatre : l’existence d’autres caractéristiques du
phénomène étudié qui n’ont pas pu être identifiées et mesurées, des biais
personnels associés à l’humeur des répondants, des facteurs de situation liés au
contexte d’administration et de collecte du questionnaire, l’existence d’items
ambigus et mal formulés. Pour corriger les effets de ces insuffisances, plusieurs
techniques d’amélioration de la validité du questionnaire existent. Ces
techniques demeurent exploratoires dans le sens où elles ne sont pas étayées par
des hypothèses. Plusieurs critères de fiabilité et de validité peuvent guider
l’appréciation de la qualité des échelles de mesure. De tels critères sont des
indicateurs sous la forme de normes empiriques rigoureuses.
Un instrument de mesure fiable est un instrument qui génère les mêmes résultats
s’il est administré une deuxième fois aux mêmes répondants dans les mêmes
conditions. Selon Igalens et Roussel (1998 :121), « La fiabilité correspond à la
cohérence entre les items qui sont censés mesurer un même concept. Le
chercheur se pose la question de savoir si une personne interrogée va répondre à
peu près de la même manière aux différents items servant à mesurer un même
construit. S’il le vérifie, l’échelle présentera alors une bonne cohérence interne,
elle sera donc fiable». En effet, la fiabilité d’un instrument de mesure est
satisfaisante si les répondants sont attentifs, et différencient systématiquement
les réponses qu’ils apportent aux items servant à mesurer des construits
différents ou des facettes différentes d’un même construit.
Dans ce qui suit, nous discuterons deux éléments : l’appréciation de la fiabilité à
travers l’analyse de la valeur de l’alpha de Cronbach et l’appréciation de la
dimensionnalité des échelles à travers l’analyse factorielle en composantes
principales. En effet, ces deux techniques sont indissociables. Selon Cortina
(1993), Le coefficient alpha est utile pour estimer la fiabilité lorsqu’il porte sur
une analyse des corrélations des items mesurant un construit unidimensionnel.
L’unidimensionnalité doit donc être vérifiée au préalable. « Il importe d’utiliser
au préalable une technique d’analyse factorielle afin de s’assurer de la
dimensionnalité des construits. Pour démontrer l’unidimensionnalité, une
première étape peut consister à conduire une analyse en composantes principales
sur les items concernés. Ce qui fournit une information similaire à l’estimation de
la précision. Si cette analyse suggère l’existence d’un seul facteur, l’alpha de
Cronbach peut être utilisé pour conclure que l’ensemble des items est
222
unidimensionnel. L’analyse en composantes principales ne permet pas à elle
seule de conclure de l’unidimensionnalité (...) Autrement dit, l’alpha de
Cronbach peut être utilisé pour confirmer l’unidimensionnalité ou pour mesurer
la précision d’une dimension une fois que l’existence d’un facteur unique a été
vérifiée » (Cortina, 1993 :103).
I.1.1 L’alpha de Cronbach comme critère d’évaluation de la fiabilité
Afin de tester la fiabilité d’une échelle de mesure, le chercheur peut avoir recours
à plusieurs techniques comme celle de test/retest ou celle du split-half. Ces deux
méthodes sont de moins en moins utilisées. Les chercheurs ont souvent recours à
l’analyse du coefficient α, appelé aussi l’alpha de Cronbach. L’alpha renvoie au
test de cohérence interne des échelles multi-items. Cette mesure trouve son
origine dans le modèle de la vraie valeur. Elle est calculée à partir de la matrice
des covariances de l’échantillon d’items. Il s’agit d’un coefficient de corrélation
intragroupe généralisé, c’est-à-dire qu’un alpha de Cronbach satisfaisant signifie
que les items sont corrélés entre eux, et suffisamment cohérents pour pouvoir
être additionnés et former un score d’échelle. L’objectif de ce test de fiabilité est
de vérifier que les items partagent des représentations communes. Une échelle de
mesure dispose d’une bonne fiabilité (ou cohérence interne) si l’ensemble de ses
items est cohérent. On dira alors que ces items mesurent précisément le
phénomène étudié.
L’interprétation de la valeur de l’alpha de Cronbach s’appuie sur un ensemble de
règles empiriques. Ces règles sont cependant variables. Elles sont d’abord
nombreuses. Certaines d’entre elles font tout simplement appel au bon sens ;
d’autres varient en fonction du contexte de l’étude et du degré d’instruction des
répondants ou encore le nombre d’items composant une échelle. L’évaluation de
la fiabilité de cohérence interne doit prendre en compte les intercorrélations entre
les items d’une même échelle. Cortina (1993) estime que lorsque l’intercorrélation
entre les items est faible, un bon niveau du coefficient alpha (supérieur à 0,70)
s’explique plus par le nombre important des items de l’échelle ou par les
redondances entre les énoncés que par la fiabilité de l’instrument de mesure.
L’appréciation de la valeur du coefficient alpha doit donc être concomitante à
l’analyse des corrélations entre les items (Cortina, 1993 ; El-Akremi, 2000). Par
ailleurs, l’examen des intercorrélations entre les items est utile pour améliorer le
coefficient alpha. En effet, si un item est nettement moins corrélé avec le score
total de l’échelle, son élimination peut parfois améliorer la fiabilité de cohérence
interne (Evrard, al., 1993). La règle la plus citée pour apprécier la valeur du
coefficient alpha est due à Nunnally (1978) qui fixe le niveau minimal
recommandé à 0,70. Dans certains cas, des alphas compris entre 0.6 et 0.7 sont
acceptés.
223
Le tableau suivant, adapté des travaux de El-Akremi (2000) synthétise toutes les
informations relatives au coefficient alpha tout en appréciant ses forces et
faiblesses.
Tableau 5.1- Pertinence, forces et faiblesses de l’alpha de Cronbach
Expressions
Objectif général
Évaluer la précision et la stabilité de la mesure : tester la cohérence interne de
l’échelle, les items censés mesurer un construit unique doivent être hautement
intercorrélés
Liens avec la
validité et
l’homogénéité
La fiabilité de cohérence interne est une condition nécessaire mais non suffisante
à la validité ;
L’alpha peut être utilisé pour étayer l’homogénéité suite à l’analyse factorielle
Seuils
recommandés
- Recherche exploratoire : 0,5 <  < 0,7 ;
recherche explicative :  > 0,7
- Norme empirique moyenne par méta-analyse :
 = 0,77 ; variable selon la nature du construit étudié et les conditions de l’étude
(nombre d’items, niveau d’éducation des répondants...)
Limites
L’alpha peut être artificiellement amélioré en augmentant le nombre d’items
soumis à l’évaluation et en utilisant des énoncés assez redondants ;
Il est difficile de connaître toutes les sources d’erreur, autres que celles provenant
des items. D’où la nécessité de compléter l’analyse de la fiabilité par une analyse
de la validité
Recommandations
d’utilisation
Procéder au préalable à une analyse en composantes principales pour s’assurer
de la dimensionnalité de l’échelle ;
Tenir compte de la corrélation de chaque item avec le score total ;
Relativiser la valeur d’alpha selon le nombre d’items de l’échelle et la nature du
construit étudié.
Source : El-Akremi (2000 :295).
224
I.1.2 Evaluation de la dimensionnalité des échelles et rôle de l’analyse
factorielle exploratoire.
L’analyse factorielle en composantes principales (ACP) est utilisée pour tester la
dimensionnalité des construits censés être mesurés par le questionnaire de
recherche. Le recours à une ACP permet de déterminer un nombre de facteurs
principaux. Le nombre de ces facteurs peut correspondre à celui des dimensions
théoriquement identifiées lors de la définition théorique du concept. En réalisant
une ACP, le chercheur atteint deux objectifs (Hair et al., 1998). Le premier
consiste à réduire le nombre important de données en résumant les nombreux
items initiaux en un nombre limité de facteurs ou de composantes. Le second
objectif consiste à vérifier l’unidimensionnalité ou la multidimensionnalité des
construits en révélant les dimensions sous-jacentes à ces variables. On parle de
multidimensionnalité lorsque l’analyse en composantes principales génère
plusieurs facteurs et lorsque chaque facteur est clairement associé à des items
censés mesurer une dimension donnée. L’unidimensionnalité est vérifiée lorsque
l’ACP ne génère qu’un seul facteur ou composante. Toutefois, le chercheur est
appelé à avoir recours à l’analyse de la fiabilité de cohérence interne par l’alpha
de Cronbach pour se prononcer définitivement sur le caractère unidimensionnel
d’une échelle censée mesurer un construit donné. C’est donc en combinant ACP
et analyse de fiabilité pat l’alpha de Cronbach que l’unidimensionnalité est
prouvée. On dira alors que les items qui composent un facteur mesurent avec
précision et principalement le construit en question (Schmitt et Klimoski, 1991).
Dans le cadre de l’ACP, la détermination et la description des dimensions
censées mesurer un construit implique deux actions simultanées. La première est
l’extraction des dimensions principales du construit. Les dimensions retenues
doivent restituer un seuil suffisant de variance totale, c’est-à-dire généralement
plus de 50% (Igalens et Roussel, 1998 ; El-Akremi, 2000). Pour ce faire, une
première technique consiste à ne sélectionner que les facteurs dont la valeur
propre est supérieure ou égale à 1. En complément à cette technique, les facteurs
sont retenus selon le résultat du Scree Test ou Test de l’éboulis qui repose sur
l’examen de la courbe des valeurs propres. Il s’agit de déterminer dans cette
courbe le point d’inflexion qui correspond au changement de signe dans les
différences entre les valeurs propres consécutives. Ces résultats sont possibles
via le logiciel SPSS.
Outre l’extraction des dimensions principales, le chercheur doit procéder à
l’épuration des échelles de mesure dans le but de faciliter leur identification.
Pour ce faire, le chercheur s’appuie essentiellement sur l’examen des
contributions factorielles ou loadings des items sur les facteurs. Deux choix sont
225
alors possibles selon le résultat de la première ACP. Le premier consiste à
éliminer les items qui n’ont aucune contribution supérieure ou égale à 0,50 sur
l’une des composantes principales identifiées (Evrard et al., 1993). Le second
choix revient à éliminer les items ayant des contributions supérieures à 0,30 sur
plusieurs facteurs (El-Akremi, 2000). Le choix de l’une ou l’autre des techniques
revient aux préférences retenues par le chercheur.
Toutefois, avant de procéder à l’extraction des dimensions principales, le
chercheur doit s’assurer du caractère « factorisable » des données. En effet, une
analyse en composantes principales n’est pertinente que lorsque les données
s’avèrent « factorisables ». Pour tester cette caractéristique, les chercheurs ont
généralement recours au test de l’indicateur de Kaiser-Meyer-Oklin (KMO) qui
est une mesure de précision de l’échantillonnage. Il s’agit d’une évaluation du
degré d’intercorrélation entre les items. Cet indicateur varie entre 0 et 1. Pour
que l’ACP soit pertinente, le KMO de l’analyse factorielle doit tendre vers 1. Des
seuils empiriques d’acceptabilité sont ainsi établis par plusieurs chercheurs. On
retient les seuils de Hair et al. (1998) pour qui, un KMO au dessous de 0.50 est
inacceptable et n’autorise pas généralement au chercheur de procéder à une
ACP. Mais la pertinence d’une ACP ne se mesure pas uniquement au regard de
la valeur de l’indicateur KOM. En effet, d’autres conditions sont exigées pour
qu’une ACP soit pertinente. Le tableau suivant, extrait des travaux de El-Akremi
(2000), rend compte de ces conditions ainsi que d’autres informations sur la
pertinence et la manière de procéder concrètement à une analyse en composantes
principales.
Tableau 5.2- Pertinence et critères d’utilisation d’une ACP
Expressions
Objectifs
- Condenser les données (items) en un nombre limité et interprétable de
composantes ;
- Identifier la structure sous-jacente aux différentes échelles ;
- “Créer” les variables composées qui représentent ou remplacent les variables
initiales lors des analyses ultérieures ;
- Vérifier l’homogénéité et l’unidimensionalité des variables avant “confirmation”
par le calcul de l’alpha de Cronbach
Utilité et
pertinence de
l’ACP
- Nature des variables : quantitatives d’intervalle ;
- Taille de l’échantillon : N > 200 ;
- Caractère factorisable : Test de Kaiser-Meyer-Oklin = KMO > 0.70 ; Test de
Bartlett : Chi-deux/degré de liberté (X2 /ddl < 8)
226
Rotation
Oblique : Oblimin avec un delta de corrélation de 0,1 ; un certain chevauchement
entre les variables est donc prévu ; vérification de la “qualité” de la structure
factorielle en opérant toutes les rotations possibles
Critères
d’extraction des
facteurs
- Le pourcentage de variance restitué : le plus élevé possible ;
- Valeur propre supérieure à 1 et Scree test : lorsque le graphique décrit un coude,
les axes factoriels suivant ce coude ne sont pas retenus ;
- L’interprétabilité de l’axe ; à comparer avec le nombre de dimensions attendues ;
- Trois items au moins par facteurs (une exception peut être faite si les items sont
importants pour le reste des analyses)
Critères
d’épuration des
items
- Contribution factorielle (loading) > 0,5 sur un facteur et < 0,3 sur les autres
facteurs extraits ;
- Communalité > 0,5 ;
- Plus de 2 items par facteur
- Calcul de l’alpha de Cronbach pour chaque dimension après épuration
Source : El-Akremi (2000 :301).
227
I.2. Structure factorielle et fiabilité des échelles des pratiques de GRH
Une question préalable consiste à se demander si les données sont « factorisables
», c’est-à-dire si elles forment un ensemble suffisamment cohérent pour qu’il soit
raisonnable d’y chercher des dimensions communes qui aient un sens et ne
soient pas des artefacts statistiques (Evrard et al., 1993). Pour répondre à cette
question, il existe deux indicateurs : le test de sphéricité de Bartlett (valeur entre
0.5 et 1) et le test MSA de Kaiser, Meyer et Olkin (significatif, p<0.05).
La qualité de la représentation indique le pourcentage de la variance de cette
variable qui peut être expliqué avec les facteurs retenus : c’est la corrélation
multiple au carré entre la variable et les facteurs (Manuel SPSS). Cet indicateur
permet de répondre à la question suivante : la variable est-elle bien représentée
par les axes ? La qualité de la représentation doit être supérieure à 0,5 pour
chaque variable. Lorsqu’elle est inférieure à 0,5, la variable est exclue de l’analyse
factorielle. Toutefois, si la pertinence d’une variable est théoriquement prouvée,
on peut tolérer un seuil entre 0,4 et 0,5.
SPSS retient les axes dont la valeur propre est supérieure à 1. La valeur propre
représente le pourcentage de variance expliqué par chaque facteur. Les axes
retenus doivent expliquer plus de 60 % de la variance. Il s’agit ensuite
d’examiner la matrice des composantes, lorsqu’aucune rotation n’a été réalisée,
ou la matrice des composantes après rotation pour la rotation Varimax.
Les axes sont des combinaisons linéaires de variables : la matrice des
composantes présente les corrélations entre les axes et les variables. Chaque
variable doit être corrélée à un seul axe : la différence minimum de saturation
entre la saturation sur l’axe principal et sur tout autre axe est 0,3. Si la différence
est inférieure à 0,3, cela veut dire que la variable est corrélée à deux axes. Dans ce
cas, il faut l’éliminer, et refaire une analyse factorielle.
La cohérence interne est « la qualité d’un instrument ou d’une échelle de mesure
dont les différentes questions sont censées contribuer à mesurer le même
phénomène ou les mêmes dimensions de ce phénomène » (Evrard et al., 1993).
Pour l’appréhender, on utilise l’alpha de Cronbach. Il est nécessaire de vérifier
que l’alpha de Cronbach est bien supérieur à 0,6 et qu’aucun item ne le détériore.
SPSS fournit pour chaque item l’alpha de l’échelle si on enlève l’item. S’il est
supérieur à l’alpha de l’échelle avec l’item, il faut l’éliminer, et refaire une
analyse factorielle.
228
I.2.1 Echelle de l’empowerment
L’analyse factorielle effectuée sur l’échelle de l’empowerment a montré, comme
c’est le cas dans la théorie, l’unidimensionnalité de cette échelle. Un seul facteur a
donc été retenu. Les résultats de cette analyse en composantes principales sont
donnés dans le tableau suivant :
Tableau 5.3- Résultats de l’analyse factorielle exploratoire pour l’échelle de
l’empowerment
Libellés des items
Contenu du travail variable
Liberté de décision
Confiance en sa compétence
Indépendance dans le travail
N= 250
KMO= 0.753
Qualité de représentation Contribution factorielle
.577
.542
.688
.797
Valeur propre
% de variance
Coefficient alpha
.785
.821
.724
.796
2.605
65.113
.81
Comme prévu dans la discussion théorique, l’échelle de l’empowerment est
unidimensionnelle. Un seul axe a été retenu. La valeur propre est de 2.605. Cet
axe explique plus de 65% de la variance totale. L’indicateur KMO est égal à 0.753.
Il est donc de loin supérieur à 0.5. Cela veut dire que les données sont
factorisables. Concernant la qualité de représentation des différents items, les
résultats montrent qu’elles sont toutes supérieures à 0.50. Tous les items sont
donc bien représentés par l’axe factoriel retenu. L’examen de la matrice des
composantes montre que les contributions factorielles sont très satisfaisantes (les
loadings). En outre, la cohérence interne de l’échelle de l’empowerment, mesurée
par l’alpha de Cronbach, est élevée. Elle est de l’ordre de 0.81. Rappelons qu’en
règle empirique, l’alpha inférieur à 0.6 n’est généralement pas retenu. Dans
certains recherches, on exige un alpha supérieur à 0.7 tandis que dans d’autres
cas, on se contente d’un alpha supérieur à 0.5. Cette dernière mesure est
cependant mauvaise et ne permet pas de se prononcer correctement sur la
cohérence de l’échelle.
229
I.2.2 Echelle des pratiques de management des performances
Rappelons d’abord que le concept de pratiques de management des
performances a été emprunté aux travaux actuels s’inscrivant dans le champ du
management stratégique des ressources humaines. Cette échelle composite
renferme les trois dimensions relatives au management des performances, à
savoir : le management par objectifs, l’évaluation des performances selon les
résultats et enfin la rémunération au mérite. L’unidimensionnalité de l’échelle a
pu être prouvée dans le cadre d’études théoriques antérieures. Les résultats de
l’analyse factorielle exploratoire et ceux de la cohérence interne sont présentés
dans le tableau suivant.
Tableau 5.4- Résultats de l’analyse factorielle exploratoire pour l’échelle des
pratiques de management des performances
Libellés des items
Evaluation des performances selon
les résultats
Rémunération au mérite
Management par objectifs1
Management par objectifs2
N= 250
KMO= 0.591
Qualité de représentation Contribution factorielle
.553
.743
.503
.638
.777
Valeur propre
% de variance
Coefficient alpha
.709
.799
.881
2.471
61.764
.784
Comme démontré en théorie, l’échelle de mesure des pratiques de management
des performances s’est avérée unidimensionnelle. L’analyse en composantes
principales retient une dimension unique ayant une valeur propre supérieure à 1.
La valeur propre dégagée est de 2.471. L’axe restitue 61.764% de la variance
totale. Préalablement à cette ACP, l’indicateur KMO a restitué une valeur de
0.591, ce qui montre la pertinence d’opérer une analyse factorielle exploratoire.
Concernant la qualité de représentation des différents items, les résultats
montrent qu’elles sont toutes supérieures à 0.50. Tous les items sont donc bien
représentés par l’axe factoriel retenu. Les items mesurant le management par
objectifs sont, toutefois, mieux représentés sur l’axe factoriel. En outre, l’examen
de la matrice des composantes montre que les contributions factorielles sont très
satisfaisantes. Elles oscillent entre 0.709 et 0.881. Enfin, la cohérence interne de
l’échelle des pratiques de management des performances, mesurée par l’alpha de
Cronbach, est élevée. Elle est de l’ordre de 0.784.
230
I.2.3 Echelle de mesure des pratiques de la formation
L’échelle de mesure des pratiques de formation se compose de quatre items. Elle
se propose de mesurer la perception qu’ont les répondants de l’orientation des
efforts de formation de leurs entreprises. Dans le dessein de la purifier, cette
échelle a subi le même processus d’analyse factorielle exploratoire et d’analyse
de la cohérence interne. Le tableau suivant rend compte des résultats qui
mentionnent, essentiellement, le caractère unidimensionnel de l’échelle.
Tableau 5.5- Résultats de l’analyse factorielle exploratoire pour l’échelle de la
formation
Libellés des items
Formation spécifique 1
Formation continue
Formation riche et variée
Formation spécifique 2
N= 250
KMO= 0.515
Qualité de représentation Contribution factorielle
.317
.522
.631
.793
Valeur propre
% de variance
Coefficient alpha
.563
.722
.794
.890
2.262
56.543
.741
Comme stipulé dans le cadre théorique, l’échelle de mesure de la formation est à
caractère unidimensionnel. L’indicateur KMO relatif à cette échelle est de l’ordre
de 0.515. Bien qu’il ne soit pas suffisamment élevé, en comparaison avec les
indices KMO des échelles précédentes, cet indicateur présente une valeur
supérieure à 0.50. Selon ce seuil, les données sont factorisables. L’analyse en
composantes principales retient une dimension unique ayant une valeur propre
supérieure à 1. La valeur propre obtenue est de 2.262. L’axe factoriel retenu
restitue 56.543% de la variance totale.
Concernant la qualité de représentation des différents items, les résultats
montrent qu’elles sont toutes supérieures à 0.50, sauf l’item 1 dont la qualité de
représentation est de 0.317. Sa contribution factorielle est de l’ordre de 0.563. En
outre, l’examen de la matrice des composantes montre que les contributions
factorielles sont très satisfaisantes. Enfin, la cohérence interne de l’échelle des
pratiques de formation, mesurée par l’alpha de Cronbach, est élevée. Elle est de
l’ordre de 0.741.
231
I.2.4 Echelle de mesure des pratiques de design du travail et de réseautage
Dans le cadre théorique de cette recherche, les pratiques de design du travail et
de réseautage sont définies comme l'ensemble des modes d'organisation du
travail et des relations qui permettent aux individus de travailler dans un cadre
collectif et de mettre en commun leurs expertises. L'échelle de mesure de ces
pratiques adoptée dans le cadre de cette recherche a été adaptée de l'échelle
initiale développée par Collins et al, (2001), avec une fiabilité et une validité
satisfaisantes (α = 0.84). La purification de cette échelle de mesure a été
poursuivie selon le mode choisi pour les autres variables, soit une analyse
factorielle exploratoire et une analyse de la cohérence interne par l’alpha de
Cronbach. Comme nous le verrons, deux ACP consécutives ont été opérées. En
effet, les premiers résultats ont permis l’extraction de deux axes factoriels. Le
premier axe factoriel a une valeur propre de 2.320. Il explique à lui seul 46.39%
de la variance totale. L’examen de la matrice des composantes montre que les
contributions factorielles des quatre premiers items sont très satisfaisantes. Pour
l’axe 2, la valeur propre est de l’ordre de 24.049. L’item 5 est le seul à avoir une
contribution factorielle satisfaisante. Ainsi, nous avons procédé à l’élimination de
l’item 5, considéré comme item problématique. En effet, cet item semble être mal
compris par ceux qui ont rempli le questionnaire. Il a aussi soulevé un certain
nombre d’interrogation lorsque l’idée qui l’introduit a été évoquée dans le cadre
de l’étude qualitative. Une seconde ACP a été opérée sans cet item. Elle donne les
résultats suivants.
Tableau 5.6- Résultats de l’analyse factorielle exploratoire pour l’échelle des
pratiques de design du travail et de réseautage
Libellés des items
Travail en équipes 1
Travail en équipes 2
Rotation des postes
Système de tutorat
N= 250
KMO= 0.601
Qualité de représentation Contribution factorielle
.405
.523
.690
.684
Valeur propre
% de variance
Coefficient alpha
.636
.723
.831
.877
2.301
57.537
.752
Comme le montrent ces résultats, la deuxième analyse factorielle, rendue
nécessaire par les résultats de la première, a montré l’unidimensionnalité de
l’échelle en question avec l’élimination de l’item 5, jugé problématique. Les
résultats montrent un indicateur KMO et un pourcentage de variance
satisfaisants. En outre, la cohérence interne de l’échelle est prouvée avec un alpha
de 0.752.
232
En guise de première conclusion, le tableau suivant synthétise la structure
factorielle des quatre échelles mesurant les pratiques de GRH.
Tableau 5.7- Structure factorielle des pratiques de GRH : synthèse des résultats
(loadings)
Echelles / Items
Echelle : Empowerment
.81
le contenu de mon travail varie fréquemment
.785
j’ai la liberté de décider sur la manière de faire mon travail
.821
j’ai confiance en ma capacité à faire mon travail convenablement
.724
J’ai une grande indépendance qui permet d’organiser, comme je veux,
mon travail
.796
Echelle : Pratiques de management des performances
l’évaluation des performances
développement professionnel
Alpha
est
utilisée
comme
.784
outil
de
.743
la rémunération est étroitement liée aux performances des employés
.709
les employés ressentent la nécessité de réaliser leurs objectifs
.799
des objectifs de performance clairs sont fixés pour chacun de nous
.881
Echelle : Pratiques de la formation
.741
mon entreprise m’encourage à suivre des formations qui concernent
directement mon métier
.563
mon entreprise encourage les plans d’éducation et de formation continue
.722
mon entreprise me fournir un programme de formation riche et varié
.794
mon entreprise prévoit un programme de formation spécifique pour
mon métier.
.890
Echelle : Pratique de design du travail et de réseautage
.752
nous travaillons dans le cadre d’équipes composées de plusieurs métiers
.636
les employés travaillent selon un mode d’organisation en équipes
.723
nous utilisons la rotation des postes pour développer les compétences
.831
nous utilisons un système de tutorat entre employés expérimentés et
nouvelles recrues.
.877
233
I.3. Structure factorielle et fiabilité des échelles de gestion des
connaissances
Nous rappelons ici que la gestion des connaissances englobe trois construits
distincts, à savoir la création, le partage et l’utilisation des connaissances. Les
trois échelles ont été analysées distinctement selon les mêmes procédures
imposées aux échelles des pratiques de gestion des ressources humaines. Les
résultats sont discutés dans les développements suivants.
I.3.1 Echelle de mesure du processus de création des connaissances
La création des connaissances est le premier processus de gestion des
connaissances. Dans le cadre de cette recherche, ce construit est défini comme
l’ensemble des activités menées par les employés de l’entreprise et qui visent à
stimuler l’innovation et le développement de nouvelles formes de savoirs et
d’expertises dans l’organisation. L’échelle mesurant ce concept a été construite
par Darroch (2003). Elle se compose de sept items. Selon la théorie, cette échelle
est unidimensionnelle. L’analyse factorielle exploratoire a donné lieu à
l’extraction de deux dimensions. Ensemble, elles résument 72.5% de la variance
totale. Toutefois, l’examen de la matrice des composantes laisse montrer que la
dimension 2 est corrélée à un seul item qui est l’item 7. De manière générale, on
ne retient pas les axes factoriels expliqués par un seul facteur. La décision
d’éliminer l’item 7, jugé problématique, était prise sur cette base. Cet item
s’énonce comme suit : Dans mon entreprise, des séances de brainstorming collectif sont
organisées pour développer de nouvelles idées. Ainsi, une deuxième ACP a été menée
sur l’échelle composée désormais des six premiers items. Les résultats de cette
ACP confirment l’unidimensionnalité de l’échelle de mesure du processus de
création des connaissances. Les résultats sont consignés dans ce tableau.
Tableau 5.8- Résultats de l’analyse factorielle exploratoire pour l’échelle du
processus de création des savoirs
Libellés des items
Résolution de problèmes1
Résolution de problèmes2
Innovation1
Apprentissage
Innovation2
Innovation3
N= 250
KMO= 0.688
Qualité de représentation Contribution factorielle
.816
.803
.750
.854
.817
.782
Valeur propre
% de variance
Coefficient alpha
234
.719
.768
.974
.784
.767
.773
3.882
64.703
.88
I.3.2 Echelle de mesure du processus de partage des connaissances
Dans le cadre de cette recherche, le partage des connaissances a été défini comme
l'ensemble d'actions et de comportements affichés par un individu et qui visent
le partage et la diffusion de ses connaissances. Le partage des connaissances a été
mesuré sur une échelle de likert contenant six items. L’échelle mesurant ce
construit a été empruntée aux travaux de Jaw et Liu (2003). L’échelle est
unidimensionnelle. L’analyse factorielle réalisée dans le cadre de cette thèse a
permis de vérifier l’unidimensionnalité et la cohérence interne de l’échelle après
un certain nombre d’étapes.
La première ACP subie par cette échelle fait ressortir deux axes factoriels dont la
valeur propre est supérieure à 1. Ensemble, ces deux axes résument 65.2% de la
variance. Toutefois, l’examen de la matrice des composantes montre que les
items 1 (partage des connaissances entre individus) et 6 (combinaison des
connaissances) sont problématiques dans le sens où ils sont fortement corrélés
aux deux axes. Ils sont alors éliminés et une seconde ACP a été opérée sur les
quatre items restants (2, 3, 4 et 5). Les résultats stipulent d’abord que les données
sont factorisables. L’indicateur KMO est de l’ordre de 0.714. Ensuite, l’analyse
permet d’extraire une seule dimension avec une valeur propre de 2.253, alors que
l’axe retenu explique 56.33% de la variance. Ce seuil est supérieur à 50% et est
considéré satisfaisant pour le besoin de cette recherche. Ainsi, nous avons
retrouvé le caractère unidimensionnel de l’échelle suite à cette deuxième analyse
factorielle exploratoire. En outre, l’examen de la matrice des composantes montre
que les contributions factorielles sont satisfaisantes. Elles oscillent entre 0.499 et
0.833. Enfin, la cohérence interne de l’échelle du processus de partage des
connaissances, mesurée par l’alpha de Cronbach, est élevée. Elle est de l’ordre de
0.729. Le tableau suivant résume les résultats de la seconde ACP exploratoire
subie par l’échelle.
Tableau 5.9- Résultats de l’analyse factorielle exploratoire pour l’échelle du
processus de partage des savoirs
Libellés des items
Partage des connaissances entre les
départements
Interaction1
Intreaction2
Disponibilité pour partage
N= 250
KMO= 0.741
Qualité de représentation Contribution factorielle
.249
.499
.626
.685
.693
Valeur propre
% de variance
Coefficient alpha
.791
.827
.833
2.253
56.33
.729
235
I.3.3 Echelle de mesure du processus d’application des connaissances
Sans la capacité à appliquer les connaissances, on ne peut parler d’apprentissage
organisationnel (Garvin, 1993). Dans le cadre de cette thèse, nous définissons ce
processus comme la capacité de l'entreprise à prendre des décisions et à être
réactive et agile. Une entreprise qui applique convenablement ses connaissances
est une entreprise agile, agressive et performante (Lee et al., 2005). La version
originale de cette échelle est unidimensionnelle. Cette caractéristique ainsi que la
cohérence interne ont été testées dans le cadre de cette recherche. Le tableau
suivant rend compte des résultats de l’analyse factorielle exploratoire menée
dans le cadre de cette recherche.
Tableau 5.10- Résultats de l’analyse factorielle exploratoire pour l’échelle du
processus d’application des savoirs
Libellés des items
Réactivité concurrentielle
Réactivité commerciale
innovation
agilité organisationnelle
N= 250
KMO= 0.714
Qualité de représentation Contribution factorielle
.601
.612
.499
.588
Valeur propre
% de variance
Coefficient alpha
.775
.783
.707
767
2.301
57.533
.746
Comme stipulé dans le cadre théorique, l’échelle de mesure du processus
d’application des connaissances est à caractère unidimensionnel. L’indicateur
KMO relatif à cette échelle est de l’ordre de 0.714. Selon ce seuil, les données sont
factorisables. L’analyse en composantes principales retient une dimension
unique ayant une valeur propre supérieure à 1. La valeur propre obtenue est de
2.301. L’axe factoriel retenu restitue 57.533% de la variance totale.
Concernant la qualité de représentation des différents items, les résultats
montrent qu’elles sont toutes supérieures à 0.50, sauf l’item 3 (interaction2) dont
la qualité de représentation est de 0.499. Sa contribution factorielle est de l’ordre
de 0.707, ce qui permet de le garder. En outre, l’examen de la matrice des
composantes montre que les contributions factorielles sont très satisfaisantes.
Enfin, la cohérence interne de l’échelle du processus d’application des
connaissances, mesurée par l’alpha de Cronbach, est élevée. Elle est de l’ordre de
0.746.
En guise de deuxième conclusion, le tableau suivant synthétise la structure
factorielle des trois échelles mesurant les processus de gestion des connaissances.
236
Tableau 5.11- Structure factorielle des processus de gestion des connaissances :
synthèse des résultats
(loadings)
Echelles / Items
Echelle : Processus de création des connaissances
.88
les employés travaillent ensemble pour résoudre les problèmes
professionnels
.719
les employés sont toujours disponibles pour discuter de nouvelles idées
au travail
.768
les employés échangent facilement des idées qui leur permettent de créer
de nouvelles approches au travail
.974
les employés apprennent les uns des autres quotidiennement
.784
les employés sont créatifs et apportent souvent des solutions originales
.767
les employés développent de nouveaux savoir-faire pratiques
.773
Echelle : Processus de partage des connaissances
.729
les différentes directions sont encouragées à partager leurs savoirs et
savoir-faire
.499
J’interagis fréquemment avec les autres pour mettre à niveau mes
connaissances
.791
les personnes ont appris à combiner leurs différentes expertises pour le
bien du travail
.827
les employés ne trouvent pas de difficultés à contacter leurs collègues
pour demander des informations
.833
Echelle : Processus d’application des connaissances
.746
mon entreprise répond rapidement aux actions de nos concurrents
directs
.775
mon entreprise actualise périodiquement ses produits pour satisfaire ses
clients
.783
mon entreprise offre souvent de nouveaux produits/services
.707
mon entreprise répond rapidement aux
environnement économique et technologique
changements
237
Alpha
de
son
767
I.4. Structure factorielle et fiabilité des échelles de capital humain et de
climat d’apprentissage
I.4.1 Echelle de mesure du capital humain
L’échelle de mesure du construit capital humai a été empruntée au travail de
Youndt et snell (2004). Cette échelle se compose de 5 items. Sa fiabilité est élevée
avec un alpha dépassant le seuil du 0.80. Cette échelle a été choisie dans le cadre
de cette thèse parce qu’elle a été forgée dans le cadre d’une recherche similaire à
la notre (relation entre configurations de GRH et capital intellectuel et social de
l’entreprise). Sa purification a subi le même processus que pour les autres
construits de cette recherche c'est-à-dire une analyse de la dimensionnalité à
travers l’analyse factorielle exploratoire et une analyse de la cohérence interne en
se référant au coefficient de l’alpha de Cronbach. A l’instar d’autres construits,
celui mesurant le capital humain est unidimensionnel. Toutefois, l’ACP réalisée a
permis d’extraire deux dimensions ayant une valeur propre supérieure à 1.
L’examen des contributions factorielles montre néanmoins que la deuxième
dimension est représentée par un seul item, le cinquième. Cet item a été retiré et
une seconde analyse factorielle a été réalisée sur les quatre premiers items de
l’échelle. L’examen des résultats de cette deuxième analyse factorielle
exploratoire réhabilite l’unidimensionnalité de l’échelle. En effet, les indicateurs
montrent d’abord un indice KMO de l’ordre de 0.515, qui, en dépit de sa faiblesse
relative, permet de factoriser les données. Un seul axe est retenu avec une valeur
propre de l’ordre de 2.262. Cet axe restitue 56.54% de la variance totale. La
matrice des composantes montre une bonne contribution factorielle des quatre
items. Enfin, l’échelle dispose d’une bonne cohérence interne avec un alpha de
l’ordre de 0.741. Tous les résultats générés par cette deuxième ACP sont
présentés dans le tableau suivant.
Tableau 5.12- Résultats de l’analyse factorielle exploratoire pour l’échelle du
capital humain
Libellés des items
Valeur du capital humain1
Valeur du capital humain2
Valeur du capital humain3
Unicité du capital humain
N= 250
KMO= 0.515
Qualité de représentation Contribution factorielle
.317
.522
.631
.793
Valeur propre
% de variance
Coefficient alpha
238
.563
.722
.794
.890
2.262
56.54
.741
I.4.2 Echelle de mesure du climat d’apprentissage
Le construit « climat d'apprentissage » renvoie à la dimension culturelle du
knowledge management. Il a été défini dans le cadre de cette recherche comme
l'ensemble des attributs culturels d'une entreprise orientés vers la gestion des
savoirs et l'apprentissage. Ce concept a été dérivé d'un concept plus ancien et
mieux connu, à savoir le climat organisationnel, lui-même découlant des
recherches dans le domaine de la culture de l'entreprise. Dans le cadre de cette
recherche, nous utilisons l'échelle développée par Jaw et Liu (2003) et qui se
compose de six items. Cette échelle bénéficie d'une excellente fiabilité. En plus,
elle a été développée dans le cadre d'une étude dont l'objet est très proche de
celui de notre recherche.
L’analyse factorielle exploratoire pratiquée sur cette échelle révèle au début une
structure bidimensionnelle. Toutefois, et à l’instar de l’échelle du capital humain,
la deuxième dimension est représentée seulement par l’item 6. Ce dernier est
alors éliminé. Une deuxième ACP est exécutée sur les cinq premiers items de
l’échelle. Sa pertinence a été établie sur la base de l’indicateur KMO qui s’élève à
0.661. Ensuite, l’analyse factorielle révèle que le facteur principal restitue plus de
66% de la variance. Les contributions factorielles des différents items sont
satisfaisantes. La qualité de représentation est également fort intéressante. Enfin,
l’échelle à cinq items dispose d’une très bonne fiabilité interne avec un alpha de
Cronbach de l’ordre de 0.87. Le tableau suivant explicite les résultats relatifs à
l’épuration de cette échelle de mesure.
Tableau 5.13- Résultats de l’analyse factorielle exploratoire pour l’échelle du
climat d’apprentissage
Libellés des items
Relations amicales
coopération
Ouverture1
Ouverture2
Confiance
N= 250
KMO= 0.661
Qualité de représentation Contribution factorielle
.885
.542
.986
.910
.987
Valeur propre
% de variance
Coefficient alpha
239
.861
.633
.833
.875
.838
3.304
66.075
.87
Section II. Résultats de la recherche et examen des hypothèses
L'étape d'analyse de la qualité de l'instrument de mesure par le recours aux
indicateurs combinés de l'analyse factorielle exploratoire et de l'alpha de
Cronbach nous a permis de purifier les échelles qui mesurent les différents
construits de notre modèle. Ces mesures épurées vont être maintenant utilisées
pour tester la significativité des relations entre variables dépendantes, variables
indépendantes et variables médiatrices. Le test de la significativité des relations
débouche sur la confirmation ou l'infirmation des hypothèses de recherche. Nous
rappelons à ce niveau que nous avons défini, dans le cadre du chapitre trois, trois
grands blocs d'hypothèses. Le premier bloc met en relation les pratiques de GRH
censées favoriser la gestion des connaissances et les variables médiatrices, c'est-àdire le capital humain et le climat d'apprentissage. Dans l'esprit de cette
recherche, les pratiques de GRH devraient influencer d'abord la valeur du capital
humain de l'entreprise ainsi que les conditions culturelles orientées vers
l'apprentissage, ce qui déboucherait, en deuxième lieu, sur une amélioration des
capacités de gestion des connaissances. Toujours dans cette perspective de
décomposition du modèle global, le deuxième bloc d'hypothèses met en relation
d'une part le capital humain et le climat d'apprentissage et d'autre part, les
processus de création, de partage et d'application des connaissances. Ces trois
processus sont considérés dans cette relation comme des variables dépendantes,
alors que le capital humain et le climat d'apprentissage se transforment en
variables indépendantes ou explicatives. Le troisième bloc d'hypothèses concerne
les hypothèses relatives aux rôles médiateurs du capital humain et du climat
d'apprentissage. Pour tester la significativité des relations entre ces différentes
variables et se prononcer sur les hypothèses de recherche (par confirmation ou
infirmation), nous recourons à la technique de la régression linéaire. Le logiciel
SPSS permet de donner ces résultats. Les coefficients non significatifs (T < 1,96 ; p
 0,05) montrent alors que dans le cas de l’échantillon étudié le lien entre les
deux variables concernées est extrêmement faible ou même nul. Autrement dit,
un lien non significatif montre que la variable indépendante n’a pas d’influence
sur la variable dépendante dans le cas de l’échantillon étudié. En outre, il n’existe
pas de valeur limite pour apprécier la part de variance restituée R2. L’évaluation
de ce coefficient doit être orientée par les fondements théoriques du phénomène
expliqué, la connaissance des facteurs qui l’influencent, le bon sens, et la
comparaison aux valeurs obtenues dans le cadre de recherches similaires (Hair et
al., 1998). C'est pour cette raison que nous allons nous en tenir aux trois
indicateurs suivants: le T de Student, le coefficient de régression β ainsi que le
terme d'erreur. Ces indicateurs suffisent pour tester les relations entre les
variables du modèle. Les résultats sont d’abord présentés et discutés au fur et à
mesure. Une discussion générale des résultats est subséquemment effectuée.
240
II.1. Test des hypothèses relatives à la relation entre les pratiques de
GRH et les variables potentiellement médiatrices
Comme convenu, nous adopterons une démarche progressive qui permet de
vérifier chaque bloc d’hypothèses à part. Cette partie sera subdivisée en deux
sous-parties. Dans le cadre la première, il sera question de tester la significativité
des relations entre les pratiques de GRH et le capital humain de l’entreprise.
Rappelons à ce stade que lors de la modélisation théorique, nous n’avons pas
émis d’hypothèse qui concerne l’impact des pratiques de design du travail et de
réseautage sur le capital humain. Une telle option est possible lorsque les
fondements théoriques retenus ne permettent pas de retenir l’hypothèse.
Rappelons dans cet ordre d’idée que la formulation d’hypothèses de recherche
doit être étayée par une argumentation théorique solide. Dans le cadre de la
deuxième partie, nous testons la significativité des relations entre les pratiques
de GRH et le climat d’apprentissage.
II.1.1 Pratiques GRH-capital humain : test des hypothèses
La première hypothèse formulée dans ce cadre est la suivante : les pratiques
d’empowerment influencent positivement le capital humain. Le résultat de la
régression montre que l’empowerment influence significativement et
positivement le capital humain de l’entreprise (β= 0.153; T= 2.441, p= 0.01). Ainsi,
la responsabilisation des employés et l’octroi d’une marge de manœuvre et
d’expérimentation renforcent la valeur et l’unicité des compétences des
employés. L’hypothèse H1.1 est donc confirmée.
La deuxième hypothèse dans ce premier bloc est la suivante : les pratiques de
formation influencent positivement le capital humain de l’entreprise. Le résultat de la
régression montre que la formation influence significativement et positivement le
capital humain de l’entreprise (β= 0.681; T= 14.635, p= 0.000). La valeur du
coefficient de régression montre que la formation détermine en très grande partie
la qualité des individus qui travaillent dans l’entreprise. L’hypothèse H1.2 est
alors confirmée.
La force de l’impact de la formation sur le capital humain est également vérifiée
pour les pratiques de management des performances. En effet, la régression
concernant la troisième hypothèse (les pratiques de management des performances
influencent positivement le capital humain) montre un impact extrêmement
significatif des pratiques de management des performances. Rappelons que ces
pratiques renvoient simultanément aux politiques de management par objectifs,
évaluation des performances et rémunération au mérite. Les indicateurs suivants
concernent cette relation (β= 0.930; T= 39.89, p= 0.000). L’hypothèse H1.3 est
alors confirmée.
241
En guise de synthèse, le tableau suivant présente les résultats relatifs à ces trois
premières hypothèses de recherche.
Tableau 5.14- Récapitulatif des résultats des relations entre les pratiques de GRH
et le capital humain de l’entreprise
Capital humain
Validation de l’hypothèse
Empowerment des collaborateurs
*0.153
**0.063
***2.441
H1.1 est confirmée.
Pratiques de formation
*0.681
**0.048
***14.635
H1.2 est confirmée.
Management des performances
*0.930
**0.023
***39.893
*Coefficient de régression **Terme d’erreur ***T de Student.
H1.3 est confirmée.
II.1.2 Pratiques GRH-climat d’apprentissage : test des hypothèses
Cette deuxième série d'hypothèses porte sur la contribution éventuelle des
pratiques de gestion des ressources humaines au climat d'apprentissage dans
l'entreprise. La première hypothèse formulée dans ce sens stipule que les
pratiques d’empowerment influencent positivement le climat d’apprentissage. Les
résultats de la régression menée montrent que la relation entre ces deux variables
n’est pas significative (β= -0.035; T= -0.556, p= 0.578). Contrairement à ce qui a
été anticipé sur le plan théorique, le fait de responsabiliser les collaborateurs et
de développer leur autonomie n’a pas d’influence sur la qualité des relations
interpersonnelles dans l’entreprise. L’hypothèse H2.1 est alors infirmée.
La deuxième hypothèse dans ce cadre est la suivante : les pratiques de design du
travail et de réseautage influencent positivement le climat d’apprentissage. Les résultats
de la régression effectuée montrent l’existence d’une relation fortement
significative entre variable indépendante et variable dépendante (β= 0.644; T=
13.265, p= 0.000). Le design du travail autour d’équipes organisées et la création
d’espaces sociaux d’intégration et de réseautage semblent déterminants dans
l’amélioration du climat d’apprentissage dans l’entreprise. L’hypothèse H2.2. est
ainsi confirmée.
A l’instar de H2.1, l’hypothèse H2.3 est également infirmée. Cette hypothèse
stipule que les pratiques de management des performances influencent positivement le
climat d’apprentissage. L’examen des résultats de la régression menée à cet effet
242
laisse montrer l’absence de tout lien significatif entre les deux variables. Les
coefficients suivants ont été relevés lors de cette régression (β= 0.067; T= 1.051,
p= 0.294).
En guise de synthèse, le tableau suivant présente les résultats relatifs à ces trois
premières hypothèses de recherche.
Tableau 5.15- Récapitulatif des résultats des relations entre les pratiques de GRH
et le climat d’apprentissage
Climat
d’apprentissage
Empowerment des collaborateurs
Pratiques de design du travail et de
réseautage
*-0.053
**0.063
***-0.556 non.sig
*0.644
**0.048
***13.265
Management des performances
Validation de l’hypothèse
H2.1 est infirmée.
H2.2 est confirmée.
*0.067
H2.3 est infirmée.
**0.063
***1.051 non.sig
*Coefficient de régression **Terme d’erreur ***T de Student / non.sig=non significatif
243
II.2. Test des hypothèses relatives à la relation entre les variables
potentiellement médiatrices et les processus de gestion des savoirs
Le deuxième bloc d’hypothèses à tester est celui relatif à la relation entre les
variables potentiellement médiatrices (capital humain et climat d’apprentissage)
et les processus clefs de gestion des savoirs. La modélisation des liens entre ces
différentes variables a été rendue nécessaire par la mobilisation des apports de la
théorie de l’encastrement social. L’inscription sociale du savoir appelle à
considérer deux aspects fondamentaux : la compétence des acteurs et leur
volonté de s’engager dans des processus coopératifs. Une gestion des
connaissances réussie s’appuierait donc sur des individus compétents qui
s’investissent dans un cadre de travail favorisant l’apprentissage, l’échange
constructif et le renouvellement. Deux séries d’hypothèses ont été développées
sur la base de l’investigation théorique. La première s’attache à révéler la nature
des liens entre d’une part le capital humain et d’autre part, les processus de
création et d’application des connaissances. La seconde porte sur la relation
potentielle entre d’une part le climat d’apprentissage et d’autre part, les
processus de création, de partage et d’application des connaissances. Les
résultats relatifs à ces deux séries d’hypothèses seront exposés dans les
développements suivants.
II.2.1 Capital humain et gestion des connaissances: test des hypothèses
La première hypothèse dans ce cadre stipule que le capital humain influence
positivement le processus de création des connaissances. Les résultats relatifs à cette
régression montrent que le capital humain influence les capacités
organisationnelles de création des connaissances. Les coefficients suivants ont été
révélés par la régression (β= 0.212; T= 3.409, p= 0.001). Ainsi, l’hypothèse H3.1
est confirmée. Ainsi, la création des connaissances dépend de la valeur des
compétences réellement détenues par le personnel de l’entreprise.
L’analyse des régressions permet également de confirmer la deuxième hypothèse
H3.2 selon laquelle le capital humain influence positivement le processus d’application
des connaissances. Disposer d’un capital humain de haute valeur et unique
améliore la réactivité de l’organisation et ses capacités innovatives. Les
coefficients suivants ont été révélés par la régression (β= 0.268; T= 4.374, p=
0.000).
Ainsi cette première série d’hypothèses permet de montrer la contribution du
capital humain aux processus de création et d’application des connaissances.
L’apprentissage de l’entreprise dépend donc des compétences effectivement
détenues par son personnel et l’intelligence qu’il recèle. La confirmation de ces
244
hypothèses nous conforte dans les choix conceptuels selon lesquels
l’apprentissage est d’abord tributaire des personnes qui le mettent en œuvre.
En guise de synthèse, le tableau suivant présente les résultats relatifs à ces deux
hypothèses de recherche.
Tableau 5.16- Récapitulatif des résultats des relations entre le capital humain et
la gestion des savoirs
Création des savoirs
Capital humain
Validation des hypothèses
*0.212
**0.062
***3.409
L’hypothèse H3.1 est confirmée
Application des savoirs
*0.268
**0.061
***4.374
L’hypothèse H3.2 est confirmée
*Coefficient de régression **Terme d’erreur ***T de Student
II.2.2 Climat d'apprentissage et gestion des connaissances: test des hypothèses
Trois hypothèses ont été formulées. La première propose l'existence d'un lien
significatif entre le climat d'apprentissage et le processus de création des savoirs.
Dans cette logique, l'innovation et le développement de nouvelles connaissances
sont tributaires du climat de travail. Plus ce climat est marqué par la coopération,
la confiance et l'ouverture aux autres, meilleures seront les capacités innovatives
de l'organisation. Confirmant nos attentes formulées sur le plan théorique, la
régression menée dans ce cadre montre la significativité de ce lien. Les résultats
dégagent les coefficients suivants (β= 0.209; T= 3.373, p= 0.001). L’hypothèse
H4.1 est donc confirmée.
C’est également le cas de la deuxième hypothèse H4.2 qui stipule que le climat
d’apprentissage influence positivement le processus de partage des connaissances. En
effet, la régression opérée montre des coefficients significatifs (β= 0.501; T= 9.118,
p= 0.000). Le comportement de diffusion des savoirs et de partage d’expertise
serait ainsi significativement influencé par la présence de variables culturelles
orientées vers l’apprentissage. Toutefois, il ne semble pas que la présence d’un
climat d’apprentissage ait une incidence significative sur les capacités
d’application des connaissances. Ainsi, l’innovativité, l’agilité et la réactivité
d’une organisation ne dépendent pas, dans le cadre de l’échantillon de cette
étude, des facteurs culturels orientés vers l’apprentissage. L’hypothèse H4.3
selon laquelle le climat d’apprentissage influence positivement le processus
d’application des connaissances est alors infirmée. Ce résultat est quelque peu
245
surprenant dans la mesure où le climat d’apprentissage détermine
significativement les deux autres processus de gestion des savoirs. Une
interprétation sera donnée subséquemment.
En guise de synthèse, le tableau suivant présente les résultats relatifs à ces deux
hypothèses de recherche.
Tableau 5.17- Récapitulatif des résultats des relations entre le climat
d’apprentissage et la gestion des savoirs
Climat d'apprentissage
Validation
hypothèses
des
Création des savoirs
Partage des savoirs
Application des savoirs
*0.209
**0.062
***3.373
*0.501
**0.056
***9.118
*0.104
**0.063
***1.646 non.sig
L’hypothèse H4.1 est
confirmée
L’hypothèse
est confirmée
H4.2
L’hypothèse
infirmée.
*Coefficient de régression **Terme d’erreur ***T de Student / non.sig=non significatif
246
H4.3
est
II.3. Test des hypothèses relatives au rôle médiateur du capital humain
L’objectif de cette section est de se prononcer sur l’existence ou non d’un rôle
médiateur du capital humain entre les pratiques de gestion des ressources
humaines et les processus de gestion des connaissances. De plus en plus de
recherches en sciences de gestion accordent de l’intérêt à l’étude de ce genre de
mécanisme. En théorie, une variable médiatrice (Z) intervient dans la relation
entre une variable indépendante (X) et une variable dépendante (Y). La variable
médiatrice agit, en fait, sur la variable dépendante tout en étant elle-même
influencée par la variable indépendante. En d’autres termes, une variable
médiatrice est un point de passage de l’effet de la variable explicative (appelée
aussi variable exogène) sur la variable expliquée (appelée variable endogène du
modèle). Dans cette approche, « la relation entre la variable indépendante et la
variable dépendante est décomposée en effet direct et en effet indirect qui est
l’effet médiateur » (Evrard et al., 1993 :499).
Pour tester le caractère médiateur d’une variable dans un modèle quelconque,
Baron et Kenny (1986) et Kenny et al., (1998) proposent une série de quatre tests
successifs et nécessaires. On distinguera alors les étapes suivantes :
Etape 1. Montrer que le lien entre la variable indépendante X et la variable
dépendante Y est significatif pour vérifier l’existence d’un lien à médiatiser. Dans
la régression de Y sur X, le coefficient de régression doit être significatif. A
défaut, on s’arrête au niveau de cette phase pour conclure de l’absence d’un effet
médiateur.
Etape 2. Montrer que la variable indépendante X a un impact significatif sur la
variable médiatrice Z. Dans la régression de Z sur X, le coefficient doit être
significatif.
Etape 3. Montrer que le lien entre la variable médiatrice Z et la variable
dépendante Y est significatif. Il s’agit de faire une régression de Y sur, à la fois, Z
et X. En contrôlant X, le coefficient entre Z et Y doit rester significatif.
Etape 4. Pour s’assurer de l’existence d’une médiation complète par la variable
médiatrice Z, le coefficient liant X et Y devient nul en contrôlant Z. Il s’agit de
vérifier que ce coefficient = 0 en présence de Z. Si ce résultat n’est pas vérifié, la
médiation de Z est partielle.
Ces quatre étapes doivent être successivement réalisées afin de prouver
l’existence d’un effet médiateur intégral d’une variable donnée. Si seulement les
trois premières étapes sont vérifiées, le rôle médiateur n’est que partiel (ElAkremi, 2005). Les étapes 2 et 3 sont donc essentielles pour s’assurer de
l’existence de l’effet médiateur. La méthode de Baron et Kenny (1986) sera
appliquée à l’étude des hypothèses de médiation dans cette recherche.
247
II.3.1 Empowerment et création des savoirs : rôle médiateur du capital humain
La première hypothèse de médiation est la suivante : le capital humain joue un rôle
de médiation entre les pratiques d’empowerment et la création des savoirs. Pour vérifier
l’existence ou non de ce rôle médiateur, nous procédons étape par étape.
1. Dans un premier temps, le lien entre la variable indépendante et la variable
dépendante doit être testé. Dans le cas de cette recherche, il s’agit de vérifier
l’existence d’une relation directe entre les pratiques d’empowerment et le
processus de création des savoirs. Une régression est alors opérée. Les résultats
montrent que la relation entre les deux variables est significative avec un
coefficient de régression de 0.265 et un T de Student de 4.336 (β= 0.265; T= 4.336,
p= 0.000).
Figure 5.1- Lien direct entre l’empowerment et la création des savoirs
0.265 (T = 4.336)
Pratiques d’empowerment
Creation des savoirs
2. La deuxième étape consiste à montrer que la variable indépendante a un effet
sur la variable médiatrice. Dans ce cas, il s’agit de prouver l’existence d’un lien
entre les pratiques d’empowerment et le capital humain. Cette relation a déjà fait
l’objet d’une régression qui a montré l’existence d’une relation significative entre
les deux variables (voir tableau 5-14).
Figure 5.2- Relation entre l’empowerment et le capital humain
0.153 (T = 2.441)
Pratiques d’empowerment
Capital humain
3. Une fois les deux premières étapes réalisées avec succès, nous passons à la
troisième étape tel que suggéré par Baron et Kenny (1986). Cette étape consiste à
faire une régression de la variable dépendante sur à la fois la variable
potentiellement médiatrice et la variable indépendante. L’hypothèse de
médiation est vérifiée quand à la fois le lien entre la variable indépendante et
celle médiatrice et le lien entre la variable médiatrice et celle dépendante sont
significatifs. L’analyse des résultats montre que la relation entre la variable
indépendante et celle médiatrice (soit la relation entre les pratiques
248
d’empowerment et le capital humain) est significative avec un coefficient de
régression de 0.175 et un T de Student de 2.866. En outre, le capital humain
influence positivement à son tour la création des savoirs avec un coefficient de
régression de 0.239 et un T de Student de l’ordre de 3.908. Ces deux liens étant
significatifs, cela veut dire que l’hypothèse selon laquelle le capital humain joue un
rôle de médiation entre les pratiques d’empowerment et la création des savoirs est
confirmée.
Figure 5.3- Médiation partielle du capital humain entre l’empowerment et la
création des savoirs.
0.174 (2.786)
Pratiques d’empowerment
Création des savoirs
0.175 (2.866)
0.239 (3.908)
Capital humain
4. La quatrième et dernière étape consiste à définir le type de cette médiation :
partielle ou intégrale. La nature de la médiation est déterminée par la
significativité du lien direct entre la variable indépendante et celle dépendante
en présence de la variable médiatrice. Au cas où ce lien est significatif, la
médiation est dite partielle. Au cas contraire, elle est complète. Dans le cas de
l’échantillon de notre étude, cette relation directe entre les pratiques
d’empowerment et la création des savoirs, en présence de la variable capital
humain est significative avec les valeurs suivantes (β= 0.174; T= 2.786, p= 0.006).
Ce résultat est reporté sur la figure 5-3.
Au terme de cette première série d’analyses par l’approche de Baron et Kenny
(1986), il est possible d’affirmer l’existence d’un lien médiateur partiel du capital
humain entre les pratiques d’empowerment et les capacités de création des
savoirs de l’entreprise. Dans le cas d’une médiation partielle, l’introduction
d’une variable médiatrice (capital humain ici) dans le modèle réduit le lien direct
initial entre la variable indépendante et la variable indépendante sans pour
autant l’annuler complètement. « Si la médiation est partielle, l’effet direct entre
variables explicative et expliquée doit être inférieur à l’effet initial calculé en
l’absence de la variable médiatrice » (El-Akremi, 2005 :329). C’est le cas de nos
résultats où l’effet initial est de l’ordre de 0.265 alors que l’effet direct calculé
après introduction de la variable médiatrice baisse à 0.174. Au terme de cette
discussion, l’hypothèse H5.1 est confirmée.
249
II.3.2 Formation et création des savoirs : rôle médiateur du capital humain
La deuxième hypothèse de médiation est la suivante : le capital humain joue un rôle
de médiation entre la formation et la création des savoirs. Pour vérifier l’existence ou
non de ce rôle médiateur, nous procédons de la même manière que pour
l’hypothèse précédente.
1. Dans un premier temps, le lien entre la variable indépendante et la variable
dépendante doit être testé. Dans le cas de cette recherche, il s’agit de vérifier
l’existence d’une relation directe entre les pratiques De formation et le processus
de création des savoirs. Les résultats de la régression prouvent que la relation
entre les deux variables est significative avec un coefficient de régression de 0.212
et un T de Student de 3.409 (β= 0.212; T= 3.409, p= 0.001). Ces coefficients
montrent qu’il existe un lien susceptible d’être médiatisé par le capital humain.
Figure 5.4- Lien direct entre la formation et la création des savoirs
0.212 (T = 3.409)
Pratiques d’empowerment
Creation des savoirs
2. La deuxième étape consiste à montrer que la variable indépendante a un effet
sur la variable médiatrice. Dans ce cas, il s’agit de prouver l’existence d’un lien
entre les pratiques de formation et le capital humain. Cette relation a déjà fait
l’objet d’une régression qui a montré l’existence d’une relation fortement
significative entre les deux variables (voir tableau 5-14).Les coefficients suivants
ont été retrouvés (β= 0.681; T= 14.635, p= 0.000).
Figure 5.5- Relation entre la formation et le capital humain
0.681 (T = 14.635)
Pratiques de formation
Capital humain
3. La troisième étape de cette investigation consiste à faire une régression de la
variable dépendante sur à la fois la variable potentiellement médiatrice et la
variable indépendante. L’hypothèse de médiation est vérifiée quand à la fois le
lien entre la variable indépendante et celle médiatrice et le lien entre la variable
médiatrice et celle dépendante sont significatifs. L’analyse des résultats montre
que la relation entre la variable indépendante et celle médiatrice (soit la relation
entre les pratiques de formation et le capital humain) n’est pas significative avec
250
un T de Student pratiquement nul. Pour la seconde régression, le capital humain
influence positivement à son tour la création des savoirs avec un coefficient de
régression de 0.212 et un T de Student de l’ordre de 3.409. Le fait que l’un de ces
liens ne soit pas significatif veut dire que le capital humain ne joue pas de rôle
médiateur dans cette relation. Cela veut dire que l’hypothèse selon laquelle le
capital humain joue un rôle de médiation entre les pratiques de formation et la création
des savoirs n’a pas été vérifiée dans le cadre de l’échantillon de cette étude.
L’hypothèse H5.2 est alors infirmée.
II.3.3 Empowerment et application des savoirs : rôle médiateur du capital
humain
L’hypothèse H5.3 stipule l’existence d’un effet médiateur du capital humain
entre les pratiques d’empowerment et le processus d’application des
connaissances. Selon cette logique, une amélioration des degrés d’autonomie et
de responsabilisation des employés de l’entreprise entrainerait une valorisation
de leurs compétences. Ces dernières auraient alors un effet positif sur les
capacités de réactivité concurrentielles et commerciale ainsi que sur l’agilité de
l’organisation face à ses concurrents. Pour tester la véracité de cette hypothèse,
nous adoptons la même démarche que pour les deux premières hypothèses.
1. Dans un premier temps, le lien entre la variable indépendante et la variable
dépendante doit être testé. Dans le cas de cette recherche, il s’agit de vérifier
l’existence d’une relation directe entre les pratiques d’empowerment et le
processus d’application des savoirs. Les résultats de la régression prouvent que
la relation entre les deux variables est fort significative avec un coefficient de
régression de 0.558 et un T de Student de 10.585 (β= 0.558; T= 10.585, p= 0.000).
Ces coefficients montrent qu’il existe un lien susceptible d’être médiatisé par le
capital humain.
Figure 5.6- Lien direct entre la formation et l’application des savoirs
0.558 (T = 10.585)
Pratiques d’empowerment
Application des savoirs
2. La deuxième étape consiste à montrer que la variable indépendante a un effet
sur la variable médiatrice. Dans ce cas, il s’agit de prouver l’existence d’un lien
entre les pratiques d’empowerment et le capital humain. Cette relation a déjà fait
l’objet d’une régression qui a montré l’existence d’une relation significative entre
les deux variables. Le coefficient de corrélation est 0.153 (T = 2.441).
251
3. Lors de la troisième étape, l’hypothèse de médiation serait vérifiée quand à la
fois le lien entre la variable indépendante et celle médiatrice et le lien entre la
variable médiatrice et celle dépendante sont significatifs. L’analyse des résultats
montre que la relation entre la variable indépendante et celle médiatrice (soit la
relation entre les pratiques d’empowerment et le capital humain) est fortement
significative avec un coefficient de régression 0.529 et T de Student élevé (10.159).
Pour la seconde régression, le capital humain influence positivement à son tour
l’application des savoirs avec un coefficient de régression de 0.187 et un T de
Student de l’ordre de 3.581. Ces deux liens étant significatifs, cela veut dire que
l’hypothèse selon laquelle le capital humain joue un rôle de médiation entre les
pratiques d’empowerment et l’application des savoirs est confirmée.
4. La quatrième et dernière étape consiste à définir le type de cette médiation :
partielle ou intégrale. La nature de la médiation est déterminée par la
significativité du lien direct entre la variable indépendante et celle dépendante en
présence de la variable médiatrice. Au cas où ce lien est significatif, la médiation
est dite partielle. Au cas contraire, elle est complète. Dans le cas de l’échantillon
de notre étude, cette relation directe entre les pratiques d’empowerment et
l’application des savoirs, en présence de la variable capital humain n’est pas
significative avec les valeurs suivantes (β= 0.021; T= 0.326).
Au terme de cette analyse, il est possible d’affirmer que le capital humain joue un
rôle de médiation intégrale dans la relation entre les pratiques d’empowerment
et le processus d’application des connaissances. L’hypothèse H5.3 est alors
confirmée.
II.3.4 Management des performances et application des savoirs : rôle
médiateur du capital humain
L’objet de cette hypothèse est de montrer que la mise en œuvre de pratiques de
management des performances améliore la qualité du capital humain de
l’entreprise, ce qui se répercute positivement sur sa capacité à mettre en œuvre
de nouvelles connaissances et à devenir réactive et agile. Comme prévu pour les
trois premières hypothèses, nous suivrons le cheminement en quatre phases de
Baron et Kenny (1986).
1. Lors de la première phase, l’objectif est vérifier l’existence d’une relation
significative directe entre la variable indépendante et la variable dépendante. Les
résultats de cette régression montrent la significativité de ce lien. En effet, les
pratiques de management des performances influencent positivement les
capacités d’application des savoirs avec un coefficient de régression de 0.249 et
un T de Student de l’ordre de 4.048.
252
2. La deuxième phase consiste à s’assurer de l’existence d’un lien significatif
entre les pratiques de management des performances et le capital humain. Ce
lien, déjà testé, s’est avéré extrêmement significatif, avec un coefficient de
régression de 0.930 et un T de Student de 39.893.
3. Une fois les deux premières étapes réalisées avec succès, nous passons à la
troisième étape tel que suggéré par Baron et Kenny (1986). Cette étape consiste à
faire une régression de la variable dépendante sur à la fois la variable
potentiellement médiatrice et la variable indépendante. L’hypothèse de
médiation est vérifiée quand à la fois le lien entre la variable indépendante et
celle médiatrice et le lien entre la variable médiatrice et celle dépendante sont
significatifs. L’analyse des résultats montre que la relation entre la variable
indépendante et celle médiatrice (soit la relation entre les pratiques
d’empowerment et le capital humain) est significative. Par contre, le capital
humain ne semble pas influencer le processus d’application des savoirs dans le
cadre de ce modèle. Ce lien n’est pas significatif, ce qui nous amène à rejeter
l’hypothèse de la médiation du capital humain dans cette relation. L’hypothèse
H5.4 est alors infirmée.
Au terme de cette première série d’hypothèses sur le rôle médiateur du capital
humain entre les pratiques de GRH et les processus de gestion des
connaissances, il est souhaitable d’établir une première synthèse. En effet, les
résultats des régressions montrent que les objectifs théoriques incarnés dans les
hypothèses de recherche ont été partiellement atteints. Deux hypothèses ont été
confirmées et deux autres ont été infirmées. Si les discussions détaillées seront
présentées dans une section subséquente, il est possible d’avancer que
l’intégration du capital humain comme variable médiatrice était un choix
judicieux, mais perfectible.
253
II.4. Test des hypothèses relatives au rôle médiateur du climat
d’apprentissage
Trois hypothèses de recherche ont été formulées dans le cadre de cette relation.
L’objectif est de montrer que les pratiques de GRH influencent indirectement les
processus de gestion des connaissances à travers la promotion d’un climat
organisationnel orienté vers l’apprentissage. Ces hypothèses seront testées
successivement en adoptant la même démarche prônée par Baron et Kenny
(1986).
II.4.1 Empowerment et création des savoirs : le rôle médiateur du climat
d’apprentissage
Afin de vérifier cette hypothèse, un premier test consiste à vérifier l’existence
d’une relation directe entre les pratiques d’empowerment et le processus de
création des savoirs. Les résultats de la régression menée dans ce sens révèlent
l’existence d’une relation significative entre ces deux variables. En effet, le
coefficient de régression est 0.265 alors que le T de Student est de l’ordre de
4.336 ; le p= 0.000. Ainsi, ce premier test révèle l’existence d’un lien à médiatiser.
La seconde étape consiste à s’assurer de l’existence d’un lien significatif entre les
pratiques de l’empowerment et le climat d’apprentissage. Ce lien, déjà testé, s’est
avéré non significatif (tableau 5.15). Nous savons maintenant que le lien de
médiation recherché n’existe pas. Par voie de conséquence, l’hypothèse H6.1 est
infirmée.
II.4.2 Design du travail et partage des savoirs : le rôle médiateur du climat
d’apprentissage
Selon cette hypothèse, le design du travail influence indirectement le partage des
savoirs en soutenant l’émergence d’un climat organisationnel marqué par la
dominance de la culture de l’apprentissage, de l’ouverture, de la confrontation
constructive et de la coopération. Afin de vérifier cette hypothèse, un premier
test consiste à s’assurer de la significativité du lien direct entre les pratiques de
design du travail et du réseautage social d’une part et le processus de partage
des connaissances d’autre part. Le test effectué révèle que cette relation est
significative avec un coefficient de régression de 0.121 et un T de Student
acceptable qui s’élève à 1.93. En deuxième lieu, il faut montrer que les pratiques
de design du travail et de réseautage social influencent positivement le climat
d’apprentissage. Cette relation a déjà été testée et révélée fortement significative,
avec un coefficient de régression de l’ordre de 0.624. La troisième étape de la
démarche préconisée par Baron et Kenny (1986) consiste à faire une régression de
la variable dépendante sur à la fois la variable potentiellement médiatrice et la
variable indépendante. L’hypothèse de médiation est vérifiée quand à la fois le
254
lien entre la variable indépendante et celle médiatrice et le lien entre la variable
médiatrice et celle dépendante sont significatifs. L’analyse des résultats montre
que la relation entre la variable indépendante et celle médiatrice (soit la relation
entre les pratiques de design du travail et de réseautage d’une part et le climat
d’apprentissage d’autre part) est fortement significative, avec un coefficient de
régression de l’ordre de 0.837 alors que la relation entre la variable médiatrice et
la variable dépendante est, elle aussi, significative, avec un test de Student de
l’ordre de 2.071 et un coefficient de régression égal à 0.071. Au vu de ces deux
résultats, il est possible d’affirmer l’existence d’un rôle médiateur du climat
d’apprentissage entre les pratiques de design du travail et de réseautage social et
le processus de partage des savoirs.
La quatrième et dernière étape consiste à définir le type de cette médiation :
partielle ou intégrale. La nature de la médiation est déterminée par la
significativité du lien direct entre la variable indépendante et celle dépendante en
présence de la variable médiatrice. Au cas où ce lien est significatif, la médiation
est dite partielle. Au cas contraire, elle est complète. Dans le cas de l’échantillon
de notre étude, cette relation directe entre les pratiques de design du travail et de
réseautage social et le partage des savoirs, en présence de la variable climat
d’apprentissage est significative avec les valeurs suivantes (β= 0.341; T= 5.710).
Au vu de ces quatre étapes, il est possible d’affirmer l’existence d’un rôle
médiateur partiel entre les pratiques de design du travail et de réseautage social
et le partage des connaissances. L’hypothèse H6.2 est alors confirmée.
La dernière hypothèse à vérifier dans le cadre de cette thèse est celle qui stipule
que le climat d’apprentissage joue un rôle de médiation entre les pratiques de
management des performances et l’application des savoirs. Malgré le fait qu’il
existe une relation directe entre les variables indépendante et dépendante, avec
un coefficient de régression de 0.249 et un T de Student de 4.048 (ce qui satisfait
la première étape de la démarche de Baron et Kenny), le lien de médiation en
question n’est pas vérifié puisque nous nous heurtons lors de la phase deux de la
démarche à l’absence d’un lien significatif entre les pratiques de management
des performances et le climat d’apprentissage. En effet, cette relation a déjà été
prouvée non significative avec un coefficient de régression de 0.067 et un T de
Student faible de l’ordre de 1.051. De tels indicateurs condamnent l’hypothèse de
médiation au rejet. L’hypothèse H6.3 est donc infirmée.
Au terme de ces analyses, le tableau 5.18 offre une synthèse nécessaire sur les
résultats des tests d’hypothèses. Ce tableau devrait nous restituer l’essentiel de
l’information sur ces tests, ce qui nous aidera, dans un deuxième temps, à
engager une discussion sur la pertinence théorique et pratique des résultats
auxquels a abouti cette étude.
255
Tableau 5.18- Etat récapitulatif des résultats de la recherche
Hypothèse de recherche
Résultat des tests
Les pratiques d’empowerment influencent positivement le capital
humain
Confirmée.
Les pratiques de formation influencent positivement le capital humain
de l’entreprise
Confirmée
Les pratiques de management
positivement le capital humain
Confirmée
des
performances
influencent
Les pratiques d’empowerment influencent positivement le climat
d’apprentissage
Infirmée
Les pratiques de design du travail et de réseautage influencent
positivement le climat d’apprentissage
Confirmée
Les pratiques de management des
positivement le climat d’apprentissage
Infirmée
performances
influencent
Le capital humain influence positivement le processus de création des
connaissances
Confirmée
Le capital humain influence positivement le processus d’application des
connaissances
Confirmée
Le climat d’apprentissage influence positivement le processus de
création des connaissances
Confirmée
Le climat d’apprentissage influence positivement le processus de
partage des connaissances
Confirmée
Le climat d’apprentissage influence
d’application des connaissances
Infirmée
positivement le
processus
Le capital humain joue un rôle de médiation entre les pratiques
d’empowerment et la création des savoirs
Confirmée/ médiation
partielle.
Le capital humain joue un rôle de médiation entre la formation et la
création des savoirs
Infirmée
Le capital humain joue un rôle de médiation entre les pratiques
d’empowerment et l’application des savoirs
Confirmée/ médiation
intégrale.
Le capital humain joue un rôle de médiation entre les pratiques de
management des performances et l’application des savoirs
Infirmée
256
Le climat d’apprentissage joue un rôle de médiation entre les pratiques
d’empowerment et la création des savoirs
Infirmée
Le climat d’apprentissage joue un rôle de médiation entre les pratiques
de design du travail et de réseautage et le partage des savoirs
Confirmée/ médiation
partielle.
Le climat d’apprentissage joue un rôle de médiation entre les pratiques
de management des performances et l’application des savoirs
Infirmée
257
Section III. Discussion théorique
managériales de la recherche
des résultats et implications
Les deux sections précédentes ont été consacrées à la production des résultats de
la recherche. A travers la mobilisation des techniques de l’analyse factorielle
exploratoire et les méthodes des régressions linéaires, nous avons pu tester les
hypothèses de recherche en confirmant plusieurs d’entre elles. Sur un ensemble
de dix-huit hypothèses théoriques de départ, onze ont été confirmées alors que
sept hypothèses ont été infirmées. Cette section s’inscrit dans le prolongement
des deux précédentes. Deux objectifs lui sont assignés. Il s’agit dans un premier
temps de discuter les résultats de notre recherche tout en présentant ses
implications théoriques. Cette discussion nous servira de point d’appui pour
présenter, en second lieu, un corps de recommandations managériales destiné à
contribuer à l’amélioration de la pratique gestionnaire associée aux domaines du
knowledge management et de la GRH.
III.1 Contributions théoriques de la recherche : discussion des résultats
La discussion des résultats est effectuée en quatre temps. Premièrement, les
résultats de cette recherche seront présentés de manière globale. Il s’agit de
rappeler les objectifs de l’étude empirique et de mesurer leur degré de réalisation
à la lumière des résultats qu’elle génère. Cette première vague de discussion
devrait contribuer à une compréhension globale et synthétique des principaux
résultats de cette recherche. Deuxièmement, les liens entre les pratiques de GRH
d’une part, et le capital humain et le climat d’apprentissage d’autre part, seront
discutés. Troisièmement, les liens directs entre les pratiques de gestion des
ressources humaines et les processus de gestion des connaissances seront
discutés. Enfin, la discussion sera engagée autour des liens de médiation révélés
lors de la phase empirique.
III.1.1 Discussion globale des résultats de la recherche
Cette étude s’inscrit dans le croisement de deux domaines de recherche : le
management des connaissances et le management stratégique des ressources
humaines. Elle tire toute son importance de cette situation « intégratrice». Dans
ce qui suit, nous allons apprécier les résultats auxquels elle a abouti en fonction
de ces deux perspectives. La discussion des résultats se fera en les comparant à
d’autres issus d’études similaires. Aussi, nous essayerons, dans la mesure du
possible d’intégrer dans la discussion des éléments établis dans le cadre de la
phase qualitative exploratoire de cette recherche.
L’un des objectifs assignés à cette recherche était de proposer une vision
renouvelée des pratiques de gestion des connaissances. La discussion théorique
258
engagée dans cette thèse a montré la pertinence d’une lecture organisationnelle
des processus de création, de partage et d’application des connaissances.
Enracinée dans une logique d’encastrement social du savoir, la perspective
organisationnelle cherche surtout à montrer que le succès des processus
d’apprentissage ne dépend pas uniquement des instruments technologiques. Ce
sont d’abord les personnes qui construisent le savoir ou le détruisent, le
partagent ou le retiennent, l’appliquent ou l’abandonnent (Garvin, 1993). Le
contexte organisationnel est également déterminant. Au-delà de la valeur
centrale du capital humain, les processus de gestion des connaissances seraient
également influencés par l’environnement du travail, le climat organisationnel
dans le cadre duquel les activités intensives en savoir (innovation, transfert
d’expertises, etc.) prennent lieu. Nous avons donc proposé de tester le rôle de
levier que le capital humain et le climat organisationnel peuvent jouer en matière
de processus de gestion des connaissances. Si tout le monde reconnaît
aujourd’hui que la gestion des connaissances constitue un atout de compétitivité
majeur, très peu de recherches ont exploré en profondeur les mécanismes qui en
permettent le succès. Au-delà des approches technicistes qui montrent
aujourd’hui un essoufflement incontestable, peu de perspectives théoriques et
pratiques ont pris en analyse cette question. En l’absence d’un cadre conceptuel
rigoureux et de résultats empiriques établies sur ce plan, l’un des premiers
apports de cette recherche était d’avoir proposé de tester l’influence du capital
humain sur les processus d’apprentissage. Selon cette logique, c’est de la valeur
et l’unicité des compétences détenues par le personnel d’une entreprise que
dépendra le succès du knowledge management. Toutefois, une difficulté se pose.
En effet, la dimension individuelle, incarnée dans le capital humain, est
insuffisante, à elle seule, pour expliquer les phénomènes d’apprentissage
organisationnel. Si les individus ne sont pas en mesure de partager leurs savoirs,
d’intégrer leurs expertises et si l’organisation ne leur offre pas le contexte qui
favorise la mise en commun de leurs connaissances, l’apprentissage demeure
individuel, largement tacite et l’organisation, en tant que collectivité humaine
apprenante, n’en bénéficiera que très peu. Il est donc fondamentalement légitime
de postuler que la gestion des connaissances est fortement tributaire de la
capacité de l’entreprise à favoriser l’émergence d’un climat organisationnel
apprenant, un climat qui valorise l’initiative, la coopération, la confrontation
constructive, la confiance et l’ouverture. En présence de telles valeurs culturelles,
l’apprentissage local, celui réalisé par le capital humain, aura toutes les chances
de se transformer, via des mécanismes d’intégration sociale spécifiques, en
apprentissage collectif, générant par là-même un avantage compétitif non
négligeable.
Les résultats de cette recherche confirment cette option théorique. Nos résultats
montrent en premier lieu que le capital humain détermine significativement et
positivement tous les processus de gestion des connaissances. La valeur des
compétences détenues par les employés et le degré auquel ces compétences sont
259
spécifiques (à l’industrie, à l’entreprise, aux produits de l’entreprise) et rares
contribuent au développement des processus d’innovation, de diffusion et de
mise en œuvre des savoirs dans l’entreprise. Un tel résultat confirme l’idée que le
capital humain de l’entreprise est désormais source incontestable d’avantage
concurrentiel interne (Lepak et Snell, 2002 ; Autier, 2006). Il place ainsi
directement la gestion du capital humain au centre de la compétitivité
organisationnelle. Ce résultat corrobore celui trouvé par Hatch et Dyer (2004)
dans leur recherche sur l’apprentissage dans les organisations de
développements de puces électroniques. Leurs résultats suggèrent que
l’investissement dans la formation d’un capital humain spécifique à l’entreprise
accroit significativement les capacités d’apprentissage et la performance des
entreprises enquêtées. Les auteurs aboutissent à la conclusion se laquelle la
sélection et le développement interne d’un capital humain spécifique améliore
l’apprentissage par expérimentation et les capacités de l’entreprise à créer de
nouvelles connaissances.
D’autre part, nos résultats suggèrent que la promotion d’un climat
d’apprentissage dans l’entreprise améliore substantiellement les capacités des
individus à partager et à mettre en commun leurs connaissances et expertises.
Les comportements associés au partage des savoirs semblent être déterminés par
la perception qu’ont les employés du climat organisationnel. Les gens prennent
conscience des caractéristiques de l’environnement du travail, les intériorisent et
agissent en conséquence. Ce résultat offre des éclairages sur les problèmes de
rétention des savoirs et de manque de coopération dans l’entreprise. Dans la
littérature, ces difficultés ont généralement été expliquées par l’absence de
motivation au partage (Szulanski, 1996 ; Christensen, 2007), par le caractère tacite
de la connaissance (Leonard et Sensiper, 1998 ; Stenmark, 2001) ou encore par
l’absence d’une cartographie claire des sources d’expertises dans l’entreprise
(Ballay, 2003). Peu explorée, la perspective par le climat organisationnel mérite
pourtant d’être attentivement suivie. Ainsi, dans la logique de nos résultats,
l’hostilité des experts au partage des connaissances et la prédominance de
logiques territoriales dans les organisations s’attisent en l’absence d’une réflexion
au sein de l’entreprise sur les conditions socioculturelles sous-jacentes aux
processus d’apprentissage organisationnel.
De tels résultats viennent renforcer certaines recherches sur la perspective
humaine et culturelle de l’apprentissage organisationnel. Nos résultats sont ainsi
conformes à ceux de Jaw et Liu (2003 :237). Rendant compte des résultats d’une
recherche sur la relation entre les pratiques de GRH, les valeurs d’apprentissage
et les processus de renouvellement organisationnel dans le contexte des
entreprises taïwanaises, les auteurs en arrivent à conclure que « l’entreprise
apprenante peut être mieux définie comme une entité capable de mobiliser
l’intelligence et la compétence de tout un chacun, dans un cadre de travail
260
marqué par l’ouverture d’esprit, la critique constructive et la prédominance des
valeurs de confiance ». Nos résultats sont aussi conformes à ceux de Shipton et
al., (2005) qui confirment que l’amélioration des capacités de partage des
connaissances dans les vingt-cinq
entreprises britanniques constituant
l’échantillon de l’étude dépend largement du climat de travail qui règne dans
l’entreprise. « Nous avons ainsi retrouvé un résultat fondamental selon lequel le
partage et l’intégration des connaissances sont deux capacités qui s’améliorent
incontestablement en présence d’un climat de travail qui soutient
l’apprentissage, l’expérimentation et l’exploration » (Shipton et al., 2005 : 126).
En plus de ces recherches antérieures, nous serons tentés de remobiliser les
propos recueillis auprès d’un responsable de l’entreprise SVX, décrivant
l’approche d’apprentissage résolument culturelle adoptée par la multinationale
suisse et imposée à toutes ses filiales. « La culture de connaissance n’est pas un
simple gadget chez nous ; elle n’est pas une mode de passage. Loin s’en faut. C’est une
philosophie de management que nous œuvrons jour et nuit à ancrer dans nos modèles de
gestion. Pour développer la créativité de nos commerciaux et le partage rapide des
expertises, nous avons mis en place une véritable infrastructure culturelle afin de
soutenir le process Power-Com et enrichir toujours le KSM. Deux mesures phares sont
prises. D’abord, l’open talk que nous organisons chaque quinzaine de jours. Il s’agit de
rencontres informelles ouvertes à tous les consultants dans le cadre desquelles nous
engageons des discussions parfois à bâtons rompus autour d’un toast. Ces discussions
sont progressivement recadrées par l’animateur SVX et orientées vers des problématiques
concrètes de terrain. Nous recueillons pas mal de belles propositions. Nos commerciaux
se retrouvent dans un cadre de travail de type club et laissent exploser toute leur
créativité».
En somme, les premiers résultats de cette recherche suggèrent la nécessité
d’accorder une attention particulière au capital humain et au contexte
organisationnel dans lequel il s’exprime. Ainsi, la gestion des connaissances
serait significativement déterminée par la compétence des individus et par la
capacité de l’entreprise à constituer une infrastructurelle culturelle apprenante.
Un tel résultat est parfaitement justifié dans le contexte actuel du travail,
notamment celui intensif en connaissances. En effet, les organisations basées sur
le savoir sont constamment aux prises avec des problèmes d’hostilité au partage
des savoirs et d’émergence de comportements claniques (Alvesson, 1995). Dans
ce genre d’entreprises, et tant d’autres, la maîtrise de la connaissance semble être
une source de pouvoir pour l’expert. Le contrôle d’une connaissance stratégique
devient source d’avantage individuel non négligeable. Une telle situation,
conjuguée souvent à un management qui attise la rivalité et la compétition entre
les acteurs, aboutit à la formation de véritables silos verticaux qui ne partagent
pas horizontalement leurs expertises. L’organisation, censée fonctionner de
manière cohérente, se transforme progressivement en un ensemble inefficient de
261
poches de connaissances improductives. Les individus, source principale de
richesse pour ces entreprises, se détournent peu à peu des finalités de
l’organisation pour se consacrer à la réalisation d’ambitions territoriales en
mettant en œuvre des stratégies d’action allant le plus souvent dans le sens du
conflit et de la confrontation destructive (Aramburu et Saenz, 2007). Cette image
d’une organisation incapable de tirer le meilleur de ses employés est une réalité
probante. Dans le cadre de l’investigation qualitative, un consultant chez
l’entreprise ARF, décrivant l’échec d’une initiative de mise sur réseau des
connaissances des experts, nous relate une situation similaire. « Très vite, tout le
monde s’est désenchanté. Quelques mois seulement après leur mise en fonctionnement,
les gens ne trouvent plus du plaisir à discuter et à échanger (…) La discussion, c’est
toujours la même chose : les inexpérimentés posent des questions, et les experts n’y
répondent que rarement. Ces Avec le temps, on se rend compte que cette affaire ne marche
pas (...). Présentement, seulement quelques uns continuent à y recourir pour s’échanger
plutôt des salamalecs, des blagues et des informations sans rapport avec le travail ».
Sur un autre plan, les résultats de cette recherche se sont révélés d’une extrême
importance pour le domaine de la gestion des ressources humaines. Nous
rappelons ici que la problématique étudiée dans notre thèse s’inscrit dans le
prolongement des travaux issus du champ du management stratégique des
ressources humaines. Deux thèmes majeurs structurent ce champ de recherche.
Le premier suggère que certaines pratiques de GRH spécifiques peuvent
contribuer à la performance de l’entreprise. Il s’agit par exemple de la
planification des ressources humaines (Koch et McGrath, 1996), le management
par objectifs et la rémunération au mérite (Delery et Doty, 1996) ou encore les
pratiques de socialisation et de formation (Delaney et Huselid, 1996). Le second
thème s’intéresse à la définition de grappes de pratiques GRH cohérentes et
orientées vers la performance. L’idée qui sous-tend ce principe est simple : une
pratique GRH ne peut jamais, à elle seule, contribuer à l’amélioration de la
performance de l’entreprise. Cet effet d’influence proviendrait surtout de la
combinaison originale et unique d’un ensemble de pratiques GRH suffisamment
cohérentes (Huselid et al., 1997 ; Ichniowski et al., 1997 ; Bae et Lawler, 2000).
Les recherches s’inscrivant dans le deuxième thème sont de plus en plus
nombreuses. L’examen de ces productions théoriques montre cependant
l’absence de travaux dédiés aux grappes de pratiques de GRH censées contribuer
à l’apprentissage organisationnel et au management des connaissances.
Bénéficiant de très peu de connaissances établies et de validations empiriques, la
question de définir une grappe de pratique de GRH censée favoriser la gestion
des connaissances reste ouverte. En intégrant le knowledge management dans
une problématique de GRH, cette thèse aurait contribué à combler ce vide
théorique. Ceci est d’autant plus vrai que les résultats auxquels elle a abouti
confirment l’existence d’un lien significatif entre d’une part les pratiques
262
d’empowerment, de management des performances, de formation et de design
du travail et réseautage social et d’autre part, les processus de création, de
partage et d’application des connaissances. En effet, même si ces liens directs
n’ont pas fait l’objet d’hypothèses théoriques au départ, ils ont été mesurés lors
de l’analyse des liens de médiation éventuels du capital humain et du climat
d’apprentissage (en vertu de la démarche préconisée par Baron et Kenny).
L’analyse de ces liens sera faite plus loin dans cette section.
Au regard de cette deuxième vague de résultats, nous avons pu démontrer que
les organisations qui recourent à la mise en œuvre de pratiques de GRH
orientées vers l’apprentissage tendent à être significativement efficientes en
matière de gestion des connaissances. Dans la logique de ces résultats, les quatre
pratiques de GRH retenues influencent significativement les compétences
détenues par les personnes et contribuent à renforcer les valeurs culturelles de
l’apprentissage dans l’entreprise. Cela leur permet d’agir aussi bien directement
qu’indirectement sur les capacités organisationnelles de gestion des
connaissances. Ainsi, la prise en compte du rôle de la gestion des ressources
humaines dans l’entreprise permettrait aux managers de comprendre comment
et selon quels mécanismes le savoir est créé, transféré et mis en application dans
l’entreprise. De tels résultats ne font que confirmer une idée force de cette thèse,
celle du rôle désormais stratégique de la gestion des ressources humaines (Cf.
Chapitre 3, section I). Nous verrons plus loin dans cette section quelles en
seraient les implications pour les professionnels des RH dans les entreprises.
III.1.2 Liens entre GRH, capital humain et climat d’apprentissage : discussion
des résultats
L’un des objectifs de cette recherche était d’analyser l’influence éventuelle des
pratiques de GRH sur le capital humain et le climat d’apprentissage. Les
résultats de l’analyse laissent suggérer trois conclusions dans le cas de
l’échantillon étudié.
1. Le premier résultat concernant ce bloc d’hypothèses suggère que
l’empowerment, la formation et le management des performances influencent
positivement le capital humain de l’entreprise. En premier lieu, l’empowerment,
mesuré par des indicateurs relatifs à la variabilité du contenu de travail, la liberté
de décision, la confiance en soi et l’indépendance au travail, est positivement lié
au capital humain. Ce résultat est cohérent avec les résultats de méta-analyses et
de recherches antérieures sur les liens entre l'autonomie organisationnelle et les
compétences des individus au travail (Paper et Johnson, 1997). Accorder de
l'autonomie opérationnelle et décisionnelle aux employés leur permet de se
confronter aux difficultés du terrain, d'expérimenter de nouveaux modes de faire
263
et d'apprendre sur le tas. L'empowerment génère ainsi un apprentissage
individuel significatif. Il contribue à l'enrichissement du répertoire expérience
des individus et améliore la valeur du capital humain détenu par l'entreprise. À
cet égard, les conclusions de certaines études sur l'empowerment peuvent
soutenir le résultat de cette recherche. Paper et Johnson (1997) ont, par exemple,
repéré un lien important entre les pratiques d'empowerment et la créativité des
employés. Leur analyse suggère que des employés responsabilisés génèrent
souvent des solutions créatives et intelligentes aux problèmes rencontrés dans le
cadre de leurs responsabilités professionnelles. Selon les mêmes auteurs,
l'empowerment gagnerait en importance dans un cadre de travail collectif. Dans
les organisations qui adoptent le travail en équipes, l'empowerment bénéficie à
tout le monde puisque les employés auront l'opportunité non seulement de
développer de nouveaux savoirs, mais aussi et surtout de les diffuser et les
partager avec leurs collègues provenant d'autres départements. Ce résultat
soutient les conclusions auxquelles ont abouti Bowen et Lawler (1992). Ces
auteurs ont trouvé que l'empowerment des employés commerciaux qui
travaillent dans le cadre d'équipes de résolution de problèmes contribue
grandement au partage de nouvelles connaissances, qui, une fois mises en
œuvre, génèrent des taux de satisfaction de clientèle remarquablement élevés.
Mais l'empowerment ne renforce pas uniquement la valeur du capital humain. Il
en fortifie aussi l'unicité et l'inimitabilité. En effet, l'autonomie dans l'exercice du
travail renforce chez les employés les compétences spécifiques aux activités et
aux produits de l'entreprise. La responsabilisation des collaborateurs contribue
ainsi au développement des compétences spécifiques de l'organisation. Elle
renforce l'inimitabilité et la spécificité des compétences individuelles, toutes deux
considérées comme propriétés stratégiques du capital humain (Lepak et Snell,
1999).
Un deuxième résultat de cette recherche établit un lien robuste entre les
pratiques de formation et le capital humain. La formation a été mesurée par la
mise en œuvre dans l'entreprise de plans de formation à la fois variés et
spécifiques. Le résultat correspondant à cette relation était prévu sur le plan
théorique. Il corrobore les constatations issues d'autres recherches comme par
exemple celle de Shipton et al., (2006). Dans ce même ordre d'idée, Yahya et Goh
(2002) ont trouvé que l'investissement en formation améliore substantiellement la
créativité des travailleurs du savoir dans les entreprises malaysiennes, ce qui
améliore en conséquence leur capacité à générer et appliquer de nouvelles
connaissances dans le cadre de leurs activités professionnelles. Les auteurs en
arrivent à conclure que la politique de formation est le pilier de toute activité
organisationnelle cherchant à améliorer l'innovation et la création des
connaissances. En concevant des programmes de formation centrés sur les
besoins spécifiques en compétences sans pour autant perdre de vue la nécessité
de développer les compétences transversales du personnel, l'entreprise contribue
directement au développement d'un répertoire de compétences individuelles
264
riche, intégré et valorisant pour le salarié. L'idée que la formation développe les
compétences humaines spécifiques à l'entreprise a également été traitée dans le
cadre de la littérature. En construisant sur l'axiome de la rationalité de l'action
organisationnelle, Becker, Prix Nobel de l'Economie, évoquait déjà en 1964 que
les organisations auront tout intérêt à prévoir des formations hautement
spécifiques à leurs exigences internes afin de développer un capital humain
inimitable et difficilement transférable sur le marché de l'emploi. De telles
considérations figurent aujourd'hui au centre des réflexions des entreprises sur la
rétention et la fidélisation de leurs meilleurs profils. D’autre part, certains
auteurs estiment que la formation est incapable, à elle seule, de développer la
spécificité du capital humain. Ils appellent ainsi à considérer le marché de travail
interne comme principale source d’acquisition du capital humain en recourant
notamment aux pratiques de promotion interne. Défendant cette idée de
complémentarité entre la formation et le recrutement en interne, Koch et
McGrath (1996:340) suggèrent que « l’entreprise qui investit considérablement en
formation et qui échoue ensuite à recruter ses hauts potentiels dans son marché
interne est clairement une organisation incapable de capitaliser sur ses
investissements ». Orientée vers la valorisation et l’accumulation d ;un capital
humain spécifique, la formation gagnerait en importance au sein des
organisations. Rattachée à un objectif organisationnel de contribution au
développement des potentiels des personnes, elle se détacherait
avantageusement de la notion classique et élémentaire de polyvalence pour
concourir activement à l'amélioration de la valeur et l'unicité du capital humain
de l'entreprise. C'est la perspective qui nous a été restituée par le DRH de
l'entreprise HBH selon qui « Chez HBH, un haut potentiel passe en moyenne un mois
et demi par an à se former intensivement sur nos pratiques-maison. Celles-ci évoluent
chaque année. La formation est un investissement continu, chaque fois renouvelé. Cela
passionne nos cadres et les motive à apprendre de nouvelles choses. Nous sommes réputés
être une boîte de formation. Tant mieux !29 ».
Par ailleurs, un troisième résultat de cette recherche suggère que les pratiques de
management des performances sont positivement liées au capital
humain. L’intérêt de ce résultat repose sur l’argument selon lequel les personnes
interrogées dans le cadre de l’enquête par questionnaire perçoivent un rapport
direct entre d’une part, les pratiques de management des performances, centrées
sur le management par objectifs et l’évaluation et la rémunération au mérite, et
d’autre part, l’amélioration de leurs compétences. Ce rapport semble logique
dans la mesure où les pratiques de management des performances sont décidées
pour améliorer la performance des employés et couper avec les travers des
systèmes paternalistes et égalitaires de gestion des personnes. En effet, quand
29
Extrait des entretiens exploratoires.
265
une organisation décide de mettre en place un système de management des
performances, c’est qu’elle souhaite d’abord distinguer les individus selon leurs
compétences et agir ensuite en conséquence (promotion, redéploiement,
formation, licenciement…). Le résultat de cette investigation confirme ceux
d’autres recherches disponibles. A cet égard, une étude quantitative
longitudinale menée par Youndt et Snell (2004) auprès de 208 grandes
entreprises américaines a montré que l’adoption de pratiques de management
des performances accroit substantiellement les compétences du personnel. Trois
éléments composent cette relation. D’abord, les entreprises enquêtées focalisent
sur le développement des compétences individuelles comme critère essentiel
d’évaluation des performances de l’employé. Ces derniers devraient alors se
soucier de leurs compétences s’ils espèrent avoir un feed-back positif en période
d’évaluation. Ensuite, l’étude suggère que le design de systèmes de
rémunération indexés sur les compétences des employés motive généralement
ces derniers à améliorer leurs connaissances et acquérir de nouveaux savoir-faire.
Enfin, les employés s’investissent mieux dans le développement de leurs
compétences en présence d’un système de management par objectifs. Dans le
cadre de cette relation contractuelle, les personnes sont mieux motivées pour
rechercher et acquérir de nouvelles compétences (Murray et Gerhart, 1998).
Tels sont les éléments dont rend compte le premier résultat qui concerne la
relation entre les pratiques de GRH d’une part, et le capital humain et le climat
d’apprentissage d’une autre. On en retiendra que dans le cadre de l’échantillon
de cette étude, les pratiques d’empowerment, de formation et de management
des performances permettent de satisfaire un objectif commun : le
développement du capital humain de l’entreprise. Sur le plan théorique, ce
premier résultat confirme l’idée avancée pat Youndt et Snell (2004) selon quoi ces
trois pratiques de GRH sont cohérentes et peuvent être appliquées
simultanément dans le cadre d’une stratégie RH visant le développement interne
du capital humain de l’entreprise.
2. Un deuxième résultat concernant ce premier bloc d’hypothèses montre
l’existence d’une relation significativement positive entre d’une part, les
pratiques de design du travail et de réseautage et d’autre part, le climat
d’apprentissage. Dans les organisations où le travail se fait dans le cadre
d’équipes (multifonctionnelles, projets, de résolution de problèmes, autoorganisées, ad-hoc, etc.) et où les jeunes employés ont l’occasion d’accompagner
et d’observer les moins jeunes à l’œuvre, se tissent avec le temps des relations
fondées sur le respect, la confiance, l’ouverture d’esprit et l’entraide. Cela
n’exclut pas pourtant l’émergence de conflits d’idées ou d’intérêts. Le pouvoir est
un fait humain et naturel. L’exclure totalement de l’analyse du fonctionnement
266
organisationnel veut dire qu’on renonce à produire une vision complète du vécu
des individus dans l’entreprise. Toutefois, les organisations apprenantes gèrent
ces conflits et ces rapports de pouvoir d’une manière constructive (Senge, 1990).
Dans le cadre de cette recherche, nous avons abouti à la conclusion que la
confrontation constructive et la critique impersonnelle sont deux attributs
majeurs d’un climat d’apprentissage. C’est que le développement de nouvelles
connaissances et le partage des expertises requièrent de l’organisation cette
capacité à gérer de manière équilibrée des flux d’interactions interpersonnelles
souvent peu consensuelles et une vision collective qui doit demeurer inaltérée et
fortement partagée par les membres de l’entreprise. Pour développer ces
« compétences relationnelles collectives », les entreprises appartenant à
l’échantillon de cette étude mobilisent un mode de design organisationnel fondé
sur le travail collectif et l’encouragement des opportunités de réseautage social
entre les différentes « générations » d’employés. Un responsable de l’entreprise
SVX confirme nos résultats. « Une autre mesure vise à renforcer les liens de solidarité
entre les commerciaux. Nous avons ainsi instauré un système de parrainage et de tutorat
entre les jeunes consultants et les moins jeunes. L’objectif de ce système est de permettre
aux anciens de partager avec leurs jeunes collègues leurs connaissances et savoir-faire.
Contre toute attente, le système a très bien fonctionné. Les gens partagent aisément ce
qu’ils savent. Derrière ce succès ? Un esprit d’équipe et une culture de solidarité rare.
Nous sommes fiers de pouvoir instaurer ce climat extraordinaire dans l’entreprise. Mais
maintenant, nous devons nous projeter dans le long terme. Il faut garder ces bonnes
habitudes».
Ce résultat de recherche n’est pas surprenant. Il est en effet cohérent avec des
recherches antérieures sur le rôle des pratiques de design du travail dans
l’amélioration du contexte d’apprentissage. Dans une recherche intéressante
portant sur l’innovation dans les équipes projets, Gieskes et Van Der Heijden
(2004) ont montré l’impact qu’ont certaines pratiques de GRH sur le
développement de « comportements d’apprentissage » chez des employés
engagés dans des projets de création de nouveaux produits. En particulier, les
pratiques de design du travail autour d’équipes projets, la rotation des postes et
le mentoring ont joué le rôle de mécanismes organisationnels d’intégration des
connaissances. « Les pratiques de design du travail et de réseautage social
contribuent fortement à élargir le répertoire des compétences de chaque employé
de manière à ce qu’il soit en mesure de contribuer significativement aux
processus d’apprentissage à l’œuvre dans l’organisation. Elles exercent un
double rôle en ce sens qu’elles aident aussi les employés à apprendre à
apprendre. » (Gieskes et Van Der Heijden, 2004 :120). Dans une autre recherche,
Alves et al., (2007) ont montré que le design du travail autour d’équipes projets
flexibles contribue au développement d’une culture d’apprentissage collectif. Le
design organisationnel est, pour les auteurs, un levier de taille permettant de
267
tirer profit de la créativité de tout un chacun grâce à un cadre de travail qui
responsabilise tous les collaborateurs et soude leurs efforts autour d’objectifs
communs.
3. Un troisième résultat relatif à ce premier bloc d’hypothèses concerne la
relation entre les pratiques d’empowerment et de management des performances
d’une part et le climat d’apprentissage de l’autre. Nos résultats infirment les
deux hypothèses théoriques concernant ces deux relations. Ainsi, ni
l’empowerment ni les pratiques de management des performances n’influencent
le climat d’apprentissage dans l’entreprise. Ces résultats peuvent être considérés
comme surprenants dans la mesure où ils ne sont pas cohérents avec ceux
d’autres études précédentes. Des auteurs comme Paper et Johnson (1997), Jaw et
Liu (2003), et Shipton et al., (2006) rendent compte de recherches empiriques
ayant prouvé l’impact significatif des pratiques d’empowerment et de
management des performances sur le climat d’apprentissage dans l’entreprise.
Dans cette même logique, Swart et Kinnie (2003) ont exploré les pratiques de
GRH dans une entreprise écossaise de développement de logiciels informatiques.
Les auteurs concluent, entre autres, que la mise en place d’un système de
management des performances a nettement contribué à l’amélioration des
comportements de partage de connaissances et de coopération entre les
employés. Deux raisons ont été avancées par les auteurs pour expliquer ce
résultat. La première renvoie à la perception par les employés d’un sentiment
d’équité et de justice informationnelle et procédurale du à la mise en place de
pratiques de fixation d’objectifs, d’allocation de ressources, de notation et de
rémunération indexés sur le rendement. Ainsi, lorsque les individus ont
confiance dans le système de management des ressources humaines en place, ils
seront plus enclins à s’engager dans des comportements coopératifs et citoyens.
La deuxième raison tient à la conception même du système de management des
performances. En effet, qu’il s’agisse des objectifs fixés ou des modalités
d’évaluation et de rémunération, la part de la responsabilité collective est
supérieure à celle individuelle. Ainsi, des objectifs collectifs sont fixés. Les
individus sont, dans une large mesure, évalués collectivement. En outre, les
systèmes d’évaluation et de rémunération valorisent les comportements de
transfert et de partage des connaissances dans l’entreprise. Un système de
management des performances similaire a été rapporté par Hansen et al., (1999).
Les auteurs décrivent un système d’incitation financière au partage et à la
coopération mis en œuvre par l’ex géant du consulting international Arthur
Anderson. Récompensés dans leurs efforts de partage d’expertises et de
« sagesse », les consultants ont fini par développer des habitudes de coopération
et d’entraide spontanées. Des réseaux d’échange et d’apprentissage informels ont
été établis et maintenus dans le temps par les propres soins des experts.
268
Comment dès lors expliquer ce résultat inattendu dans le cadre de notre étude ?
Une justification peut être donnée. L’absence d’une relation significative entre les
pratiques de management des performances et le climat d’apprentissage peut
être expliquée par la perception du caractère strictement individuel des pratiques
de management des performances. Dans les entreprises de notre échantillon, la
pratique du management des performances se situe au niveau des contributions
individuelles. Les objectifs de performance, les entretiens annuels d’appréciation,
les feedbacks de performance et les rémunérations tiennent rarement compte des
comportements et des performances collectives des collaborateurs. Les
répondants n’en apprécient ainsi généralement que les retombées sur leurs
compétences individuelles (ce qui a été confirmé dans l’hypothèse 1.3).
III.1.3 Liens directs entre les pratiques de GRH et les processus de gestion des
connaissances : discussion des résultats
Les liens directs entre les pratiques de GRH et les processus clefs de gestion des
connaissances n’ont pas fait l’objet d’hypothèses dans le cadre de la première
partie de cette thèse. Toutefois, ils ont été bien mesurés dans le cadre de l’analyse
des liens de médiation [comme suggéré par Baron et Kenny (1986)]. La principale
conclusion qui ressort des résultats est la présence de relations significatives dans
toutes les hypothèses qui ont été posées à ce niveau. La discussion se focalisera
sur les résultats les plus importants.
1. Dans un premier temps, les capacités de création des savoirs se sont révélées
être significativement influencées par les pratiques d’empowerment des
collaborateurs et de formation professionnelle. Le sens de cette relation a été
partiellement expliqué lors de la discussion précédente. En effet, accorder de
l’autonomie aux collaborateurs améliore leurs capacités à apprendre par le faire,
sur le tas, en « mettant la main dans la pâte ». L’empowerment est indissociable de
l’expérimentation, de l’exploration et de la prise de risque par l’entreprise. La
philosophie qui l’appuie repose sur l’idée que les bénéfices de l’autonomie
accordée aux acteurs calculés en termes d’innovation et de développement de
nouveaux savoirs et savoir-faire dépassent largement les coûts initiaux
occasionnés par les démarches approximatives et tâtonnantes des employés.
Toutefois, au-delà de ce calcul de coût d’opportunité, l’empowerment ne peut
s’exprimer convenablement que dans un contexte organisationnel qui le tolère et
le promeut. Accorder une liberté d’action aux acteurs tout en les contraignant par
une quantité faramineuse de règles et de routines organisationnelles
« défensives » (Argyris et Schön, 1978) est une « extravagance » courante dans les
organisations qu’on pourrait expliquer par cet impérissable paradoxe entre ce
que disent les organisations et ce qu’elles « énactent » réellement. Dans la
continuité de cette discussion, il semble pertinent d’affirmer que les effets de
269
l’empowerment ne peuvent être pleinement ressentis qu’en présence d’un climat
organisationnel qui encourage et soutient l’apprentissage. Accepter la déviance
par rapport aux normes de fonctionnement établies, tolérer l’erreur et le risque
de l’exploration (March, 1991) et avoir confiance dans les compétences des
collaborateurs semblent être trois exigences qui structurent ce type de climat.
Cette idée est soutenue par un résultat de cette recherche selon lequel le climat
d’apprentissage influence positivement le processus de création des
connaissances. Il serait alors pertinent de pousser plus loin l’analyse en se
focalisant sur le rôle que jouent les pratiques de design du travail et de
réseautage dans l’amélioration de la qualité du climat d’apprentissage dans
l’entreprise, résultat, rappelons-le, prouvé dans le cadre de ce travail. La
combinaison de ces trois résultats suggère une idée fort importante selon laquelle
l’amélioration des capacités de création des connaissances dépend de l’effet
conjugué des pratiques d’empowerment et de design du travail. Cette conclusion
confirme deux choses. Sur le plan théorique, elle confirme l’idée chère aux
théoriciens du MSRH30 selon laquelle les pratiques de GRH exercent
simultanément, et de manière cohérente, de l’effet sur les différents indicateurs
de performance dans l’entreprise31. Sur un plan managérial, elle rend compte de
la nécessité, pour les managers, de mesurer l’importance d’une vision globale,
systémique et cohérente des problèmes complexes associés à la création des
savoirs dans l’entreprise.
L’idée d’une action simultanée des pratiques de GRH est soutenue par un autre
résultat de notre recherche. En effet, nous avons trouvé que les pratiques de
formation influencent significativement le processus de création des
connaissances. La formation influence positivement la valeur du capital humain
et le degré auquel il est spécifique à l’entreprise. A la longue, l’investissement
intensif en formations spécifiques contribue à la création d’expertises et de
modes de faire organisationnels inimitables. La formation aurait alors joué le rôle
stratégique d’un « mécanisme isolant » contre les tentatives externes
d’expropriation du capital humain (Teece et al., 1997).
2. En second lieu, nous avons trouvé que les pratiques d’organisation du travail
et de réseautage social améliorent les capacités de partage des connaissances
dans l’organisation. Ce résultat tire son importance du fait que le transfert
interne des connaissances est de plus en plus considéré comme source de
performance et de différenciation pour les organisations (Darr et al., 1995 ; Epple
et al., 1996 ; Baum et Ingram, 1998). Pour l’analyser, nous devons d’abord
rappeler que les pratiques de design du travail et de réseautage ont été
30
31
Management Stratégique des Ressources Humaines.
Ce qui nous renvoie encore une fois à l’idée de “grappe” de pratiques de GRH.
270
opérationnalisées selon trois actions : le travail en équipes, les systèmes de
tutorat entre employés (jeunes et expérimentés) et enfin la rotation des postes.
Nous prendrons en analyse ce résultat aspect par aspect pour montrer sa
cohérence avec des recherches antérieures menées autour de cette question.
Dans un premier temps, ce résultat nous enseigne sur le rôle du travail en
équipes dans l’amélioration des capacités de partage des connaissances. Ce
résultat trouve appui dans nombre de publications scientifiques approchant
simultanément les questions du knowledge management et du job design. Grant
(1996), l’un des principaux théoriciens de la connaissance, a mis l’accent sur
l’importance de concevoir des mécanismes de coordination appropriés qui
permettent le partage, puis l’intégration des connaissances individuelles dans
l’entreprise. Hedlund (1994) propose la structure en N comme forme
organisationnelle apprenante. Ce design organisationnel se base, selon l’auteur,
sur des constellations temporaires dont les équipes projets et les équipes
multifonctionnelles seraient les formes les mieux appropriées. Dans la continuité
de Nonaka et Takeuchi (1995) qui montrent l’importance du travail en équipes
pour assurer une meilleure conversion des savoirs individuels en savoirs
organisationnels, Nonaka et Konno (1998) nous font découvrir le concept
japonais ba. Le ba fait référence au lieu et à la structure dans lesquels les acteurs
innovateurs agissent et croisent leurs connaissances spécifiques pour faire
émerger des solutions et des savoirs nouveaux. Parmi les formes de structures
apprenantes, nous citons les équipes auto-organisées et les équipes projets. Ces
deux modes d’organisation du travail offrent aux individus un espace de
dialogue, d’échange constructif et de partage des connaissances. Fong (2003)
montre à travers une étude qualitative que les équipes projets favorisent
l’apprentissage des individus et de l’organisation. Selon l’auteur, deux processus
centraux caractérisent le travail dans ces structures. D’abord, le processus de
décloisonnement des frontières fonctionnelles et professionnelles ; ensuite le
processus de partage des connaissances. Si leur réalité est loin d’être
consensuelle, les équipes auto-organisées et les équipes projets offrent un terrain
propice à la confrontation des idées et des perspectives intellectuelles. Elles
contribuent ainsi à l’émergence d’une « conscience collective » au sein de
l’organisation (Weick et Roberts, 1993). C’est en se basant sur cette conscience
collective que les individus co-construisent un réseau d’expertises, approchent
des situations inhabituelles et envisagent des nouvelles solutions (Weick, 1993).
En deuxième lieu, ce résultat nous permet d’affirmer que les systèmes de tutorat
contribuent au partage des connaissances entre les employés expérimentés et
ceux qui le sont moins. L’intérêt de la communauté gestionnaire pour les
systèmes organisationnels de tutorat a sans doute été déclenché suite au travail
qualitatif fondateur de Kram (1985) dans lequel elle a défini le concept et montré
ses rôles ainsi que ses différentes phases. Le concept a ensuite été mobilisé dans
271
plusieurs études touchant à des domaines variés comme le succès dans la
carrière (Ragins et skandura, 1994), le leadership, les comportements de
citoyenneté organisationnelle et la socialisation des employés (McManus et
Russel, 1997). Des recherches récentes ont montré l’intérêt d’intégrer la question
du tutorat dans le domaine du knowledge management (Nonaka et Takeuchi,
1995 ; Swap et al., 2001). Dans une recherche sur le système de tutorat « employé
expérimenté-jeunes recrues » menée dans une entreprise de développement
informatique, Bryant (2005) a montré que l’existence de ce genre de pratique a
permis d’améliorer le quantité et la qualité des transactions de connaissances
entre les membres d’une même équipe et entre des équipes différentes. L’auteur
en conclut que les entreprises sont appelées à former leurs employés sur la
manière d’organiser les actions de tutorat et à communiquer sur les résultats
positifs qu’un tel système est en mesure de générer. Les conclusions de Bryant
(2005) offrent un soutien additionnel au résultat de notre recherche. Reste
cependant à comprendre les mécanismes à travers lesquels le tutorat influence
les capacités de transfert des connaissances. Une réponse à cette interrogation
peut être trouvée dans le modèle SECI, dédié à la compréhension des
mécanismes de création des savoirs dans l’organisation (Nonaka et Takeuchi,
1995). Selon le modèle SECI, la création de nouvelles connaissances passe par les
mécanismes de conversion des savoirs explicites et tacites. Nonaka et Takeuchi
(1995) distinguent ainsi quatre phases clefs en arguant que de nouvelles
connaissances sont créées au niveau de chacune d’elles. Ces étapes sont
successivement : l’externalisation (passage de la connaissance d’un état tacite à
l’état explicite), la socialisation (du tacite au tacite), l’internalisation (de l’explicite
au tacite) et la combinaison (de l’explicite à l’explicite). Mais selon les auteurs, les
deux premières phases sont les plus difficiles car elles appellent au partage des
connaissances tacites qui sont foncièrement encastrées dans la pratique
professionnelle maitrisée par les individus2. Selon Nonaka et Takeuchi (1995) et
Bryant (2005), le tutorat facilite le déroulement du processus d’externalisation
des connaissances. Le tuteur transmet ainsi son expertise à son protégé sous une
forme codifiable. « Les tuteurs partagent leur sagesse quand ils prennent le
temps d’organiser leurs idées, de les écrire noir sur blanc et de formaliser ce
qu’ils comprennent ou savent faire implicitement » (Bryant, 2005 :323). Durant ce
processus d’externalisation, plusieurs formes de connaissances peuvent être
partagées : connaissances relatives aux processus de fonctionnement (comment
par exemple optimiser une réponse à une réclamation client ?), connaissances sur
les personnes (où sont les lieux vivants de l’expertise concernant des problèmes
particuliers) et connaissances sur les systèmes (comment est formée et mise en
œuvre la stratégie commerciale de l’entreprise ?). En outre, le tuteur peut
contribuer au processus de socialisation du savoir en transférant ses
connaissances tacites sans pour autant les formaliser. Swap et al., (2001) ont ainsi
observé que les ingénieurs informaticiens recourent souvent à l’organisation de
démonstrations sur l’utilisation de certains outils au profit des jeunes
272
programmeurs. Durant ce processus d’apprentissage, les tuteurs, transformés en
pédagogues d’entreprise, combinent les instructions verbales et les
démonstrations pratiques. Ce mode d’apprentissage vicariant permet au protégé
d’intégrer de nouvelles connaissances pratiques en observant son tuteur à
l’œuvre. Le tuteur interviendra quand il le faut pour structurer l’environnement
de l’apprentissage et stimuler l’attention permanente de l’apprenant (Bryant,
2005).
Enfin, il est possible d’affirmer que le système de rotation des postes améliore les
possibilités de partage des connaissances dans l’entreprise. Ce résultat est
compatible avec d’autres recherches antérieures sur la question. Gaha et
Mansour (2004) ont étudié la relation entre l’apprentissage et la structure de
l’entreprise dans une multinationale industrielle implantée en Tunisie. Les
résultats auxquels ils aboutissent affirment l’importance de la rotation des postes
comme mécanisme incitant au partage des savoirs et des expertises et permettant
de développer les capacités d’apprentissage tant individuelles que collectives.
« Cette mobilité des travailleurs chez TLN a autorisé par ailleurs, une plus
grande variation relationnelle. Le fait de changer de coéquipiers est une source
d’apprentissage et d’enrichissement. Cela accroit les occasions d’interaction et de
communication ; cela permet également de dégager et de retenir les meilleures
pratiques (…) De cette mobilité résulte une variabilité requise, au sens que donne
à ce mot Ashby, variabilité rendue possible grâce à la pluralité des contextes et
des vis-à-vis. En côtoyant divers membres et en vivant plusieurs expériences, les
acteurs bénéficient d’une meilleure connaissance des modes d’action entrepris et
d’une plus grande capacité adaptative » (Gaha et Mansour, 2004 :21).
III.1.4 Discussion des résultats relatifs aux liens médiateurs
Un ensemble d’hypothèses relatives aux rôles médiateurs du capital humain et
du climat d’apprentissage a été proposé dans le cadre de cette thèse. L’examen
de la littérature montre que les chercheurs accordent peu d’intérêt aux variables
médiatrices à travers lesquelles les pratiques de gestion des ressources humaines
influencent la performance de l’entreprise. Dans les quelques travaux relevés
dans ce cadre, Becker et al., (1997) ont défini un modèle intégratif dans lequel le
capital intellectuel joue un rôle de médiation entre les pratiques de GRH et les
différentes formes de performance de l’entreprise. Dans le même esprit, Youndt
et Snell (2004) ont proposé que le capital intellectuel, mesuré en termes de capital
humain, capital social et capital structural, joue un rôle médiateur entre les
systèmes de GRH et la performance. Dans ces deux recherches, les conclusions
empiriques ont globalement montré l’existence d’un lien de médiation. C’est en
partie le cas de cette recherche où des liens de médiation ont été mis en évidence.
D’autres ont toutefois été rejetés. Rappelons à ce niveau que l’absence de lien de
médiation signifie que la variable explicative exerce un effet direct et complet sur
273
la variable expliquée. L’analyse des liens de médiation est très utile à la fois pour
les chercheurs et les gestionnaires. Elle explique les mécanismes intermédiaires à
travers lesquels les liens entre les variables explicative et expliquée sont réalisés
(la notion de boite noire). Dans ce sens, elle fournit des explications
additionnelles pertinentes sur le « cheminement » d’une relation d’influence
entre les variables d’un modèle.
Nos résultats ont permis de valider certains liens de médiation et d’infirmer
d’autres. Nous avons ainsi montré que le capital humain joue un rôle de
médiation entre les pratiques de l’empowerment d’une part et la création et
l’application des connaissances de l’autre. Cela veut dire que la décision
d’octroyer de l’autonomie opérationnelle et décisionnelle renforce la valeur et
l’unicité du capital humain qui à son tour influence significativement les
capacités des individus à innover et celles de l’organiser à développer sa
réactivité et sa flexibilité stratégique. L’intérêt de ce résultat réside dans son
apport pour les gestionnaires. Au lieu d’investir dans les pratiques de GRH et
espérer voir un retour sur investissement spontané et immédiat, les managers
auront une idée claire sur ce qui se passe « dans cette grande boite noire »
(Youndt et Snell, 2004 :355) entre les pratiques de GRH et les capacités de
création et d’application des connaissances. Comprendre cet effet intermédiaire
leur permettra de cibler davantage leurs décisions RH et de créer les conditions
nécessaires qui leur permettent de réaliser l’effet souhaité. Cette conclusion est
particulièrement pertinente pour le lien de médiation que joue le climat
d’apprentissage entre les pratiques de design du travail et de réseautage et le
processus de création des connaissances. Dans cette logique, les managers
auraient compris qu’il ne suffit pas de mettre les gens ensemble dans une équipe
ou à travers un système de tutorat pour espérer observer un effet direct sur leurs
capacités de partage des savoirs. Bien d’équipes projets ont échoué à réaliser
leurs objectifs et bien de systèmes de tutorat ont tourné à l’hostilité ouverte entre
des experts réticents et des novices frustrés de ne pas pouvoir accéder
rapidement aux réservoirs de connaissances de l’entreprise. Prenant conscience
de la complexité de la relation entre les pratiques de design du travail et les
capacités de partage des savoirs, les managers ne sauraient faire l’économie
d’une réflexion nécessaires sur toutes les conditions possibles pouvant favoriser
l’émergence et le maintient dans la durée d’un climat de travail marqué par la
confiance, la confrontation constructive et la coopération.
274
III.2 Les implications managériales de la recherche : un corps de
recommandations
Cette recherche représente une tentative relativement importante pour analyser
l’effet des pratiques de gestion des ressources humaines sur les capacités de
création, de partage et d’application des savoirs dans l’organisation. Elle présente
une double pertinence dans la mesure où ses résultats permettent d’avancer
notre compréhension du domaine du knowledge et celui du management des
RH. Les conclusions auxquelles nous avons abouti confirment les options
théoriques retenues dans le cadre de cette thèse. En effet, les résultats permettent
d’affirmer que les pratiques de gestion des ressources humaines constituent un
levier important pour développer les capacités de gestion des connaissances de
l’entreprise. En réalité, les pratiques de GRH améliorent substantiellement le
capital humain de l’entreprise et contribuent à l’émergence d’un climat de travail
orienté vers l’apprentissage, ce qui influence positivement les compétences
collectives en matière de gestion des savoirs. Outre leurs enseignements pour la
recherche, les conclusions de cette thèse fournissent un certain nombre d’apports
pour les managers sur le terrain. Elles contribuent, en effet, à une meilleure
compréhension de la dimension organisationnelle du knowledge management et
à la valorisation du rôle des pratiques RH dans ce domaine. Une fois les résultats
de recherche présentés et discutés, nous focalisons l’intérêt sur leurs implications
pour les gestionnaires sur le terrain. A la lumière de la discussion engagée
précédemment, nous formulons un corps de propositions à même d’avancer la
pratique du knowledge management dans les entreprises tunisiennes.
III.2.1 Gestion des connaissances = capital humain x climat d’apprentissage
Les développements faits dans le cadre de cette thèse montrent à quel point les
organisations réduisent la gestion des connaissances à une infrastructure
technologique et au déploiement de solutions logicielles. En procédant de la
sorte, les organisations prétendent pouvoir « encapsuler » la connaissance en la
soustrayant de ses aspects contextuels pour n’en garder que les aspects
codifiables et in fine transférables. Bases d’informations partagées, portails de
connaissances, corporate yellow pages, entrepôts de données et systèmes
Intranet, constituent les principaux outils de gestion des connaissances dans le
cadre d’une démarche mobilisant intensivement les NTIC. Or, comme nous
l’avons mentionné dans le cadre de cette recherche, les retours sur
investissement restent décevants : portails de connaissances sous-exploités, des
systèmes Intranet perçus comme un moyen de contrôle additionnel, des forums
de discussion désespérément vides, hostilité des experts à partager leurs
expertises et prégnance de la logique de territoire.
275
Ces constats faits dans des contextes européens et nord-américains doivent servir
de « base d’apprentissage» pour les entreprises tunisiennes. Plusieurs d’entre
elles, poussées dans leurs élans par l’engouement du converti de fraiche date,
s’orientent hâtivement vers la mobilisation d’instruments technologiques dédiés
au knowledge management. Le cas de l’entreprise ARF relaté dans cette thèse est
un exemple patent. Ainsi, concernant ce point, nous conseillons aux
organisations ce qui suit.
Le point de départ d’une gestion des connaissances réussie est sans doute la
clarification de la vision qu’en ont les responsables de l’entreprise. La gestion des
connaissances, même peu structurée, demeure un projet organisationnel
transformateur. Elle doit être considérée ainsi et gérée tel un projet dont il faut
optimiser les retours sur investissements. Dans l’esprit de plusieurs décideurs, la
gestion des connaissances est perçue comme un investissement en technologies.
Cette conception des choses est renforcée par une industrie du conseil
euphorique propulsant les entreprises vers les chemins de la modernité, ces
derniers étant très souvent incarnés dans l’adoption des technologies
d’information et de communication. Or, comme on le prône dans cette recherche,
les TIC sont essentiellement des outils de capitalisation d’informations existantes.
Elles ne sont pas en mesure de favoriser les processus collectifs de création des
savoirs. En plus, les TIC sont loin de pouvoir intégrer et résoudre les problèmes
de partage des connaissances entre les experts. Ainsi, comme première
recommandation, nous invitons les responsables d’entreprises à prendre
conscience des limites inhérentes aux instruments de gestion des savoirs et à
reconnaître la nature dynamique et complexe du knowledge management.
Comme conséquence de cette suggestion, les managers ne doivent plus faire
l’économie d’une réflexion utile sur la dimension organisationnelle du
knowledge management. Par dimension organisationnelle, nous entendons les
dimensions humaine, sociale et culturelle. Les processus de gestion des
connaissances sont enracinés dans un vécu organisationnel spécifique construit
par les différents acteurs de l’entreprise. Ce sont ces derniers qui créent le savoir
ou le détruisent, le partagent ou le retiennent, l’appliquent ou l’abandonnent. La
gestion des connaissances dépend donc de la nature du contexte dans lequel les
acteurs interagissent. L’organisation est ainsi appelée à promouvoir une culture
organisationnelle valorisant la confiance et l’ouverture afin de développer les
échanges et l’apprentissage collectif. En effet, une culture marquée par la
méfiance, l’évitement, le silence et le mépris de l’autre ferait obstacle à
l’apprentissage et au changement. Pour développer un climat d’apprentissage,
les managers disposent d’une variété de dispositifs organisationnels. Les
pratiques de GRH, la communication, l’encouragement des designs
organisationnels ouverts, flexibles et apprenants ainsi que l’ancrage des valeurs
276
de travail collectif de type projets sont autant de mécanismes à même de générer
un climat de travail encourageant l’apprentissage. D’autre part, le climat
d’apprentissage est indissociable des valeurs de justice, de mérite, de
responsabilité et de confiance. En concevant les mécanismes d’incitation ou
d’allocation des ressources, les managers doivent garder à l’esprit qu’un contexte
d’apprentissage est d’abord un contexte où tout un chacun se sent valorisé par
l’entreprise et récompensé à sa juste valeur.
Parallèlement à l’ancrage des valeurs d’apprentissage, les managers doivent
réfléchir sur le rôle fondamental que joue le capital humain dans la gestion des
connaissances. C’est aussi de la valeur des compétences des personnes que
dépend la capacité d’innovation de l’entreprise. Les activités intensives en
connaissances mobilisent en effet de l’intelligence, du savoir, du savoir-faire et de
la créativité. Se soucier du développement du répertoire des compétences des
employés n’est plus un luxe. Les managers doivent s’atteler à développer chez
les employés à la fois les compétences spécifiques et transversales. Si les
premières soutiennent les processus d’innovation dans des produits/services
spécifiques à l’entreprise, les compétences transversales élargissent la base de
connaissances de l’individu et améliorent sa capacité à intégrer des savoirs
multifonctionnels. Elles sont particulièrement valorisées dans les entreprises qui
adoptent les modes de travail en équipes.
Cette thèse offre donc aux managers une vision renouvelée du knowledge
management. Au projet techniciste se substitue un projet organisationnel où les
capacités de gestion des savoirs sont le résultat d’une gestion efficace et
simultanée du capital humain de l’entreprise et du contexte culturel dans le
cadre duquel les activités de gestion des connaissances sont mises en œuvre.
277
III.2.2 Plaidoyer en faveur d’une GRH centrée sur l’apprentissage
Les pratiques de GRH sont un moyen de développement de la gestion des
connaissances en assurant un enrichissement durable du capital humain de
l’entreprise. Dans les organisations fondées sur le savoir, développer et retenir le
capital humain deviennent des impératifs clefs. Le rôle de la GRH en est
bouleversé. Par sa connaissance concomitante des enjeux stratégiques de
l’organisation et des moyens humains nécessaires pour y répondre, la fonction
RH doit maintenant proposer aussi bien aux stratèges qu’aux opérationnels de
l’entreprise un ensemble de contributions. Ces dernières doivent allier aussi bien
l’action sur le contexte organisationnel que sur le capital humain à travers
l’extension du répertoire des compétences des individus. Toutefois, la pertinence
des pratiques de GRH dans une logique de knowledge management suppose
que ces pratiques soient centrées sur l’apprentissage. A la lumière des résultats
de cette recherche, nous pouvons affirmer que les professionnels des RH peuvent
contribuer aux processus de knowledge management en mobilisant des
contributions telles que :
- une expertise en matière d’empowerment des collaborateurs et de
développement de l’autonomie au travail ;
- un recentrage des programmes de formation sur les besoins en compétences
spécifiques et génériques ;
- une meilleure gestion des performances humaines qui rétablit l’équilibre
dynamique entre les performances individuelles et les exigences du travail
collectif ;
- des services de conseil en matière de design organisationnel et de
développement des opportunités de réseautage social au sein de l’entreprise.
III.2.2.1 Développer l’empowerment des collaborateurs.
Le travail du savoir est à bien des égards différent du travail classique. Riche en
imagination et en intelligence, il appelle l’employé à déployer toute sa créativité
pour résoudre des problèmes atypiques. Le travail du savoir ne se prête pas à la
décomposition en un ensemble d’unités parfaitement prévisibles. Il est plutôt
basé sur l’exploration, le tâtonnement et la recherche de solutions originales. Face
à cette réalité, les résultats de cette thèse appellent les organisations à
promouvoir la responsabilisation de leurs collaborateurs et à leur accorder
suffisamment d’autonomie. Aujourd’hui, dans les secteurs intensifs en
connaissances, savoir gérer une démarche d’empowerment est une compétence
clef. Les caractéristiques du travail intellectuel semblent requérir une plus grande
réactivité de la part de tous les acteurs de l’organisation. La nécessité de susciter
l’autonomie de tous pour innover et rester compétitif est plus grande. Savoir
gérer la délégation et gérer l’autonomie de ses collaborateurs est devenue une
compétence managériale nécessaire et importante.
278
Une meilleure structuration des processus de création et d’application des
connaissances appelle les entreprises à accorder une plus grande marge de
manœuvre aux collaborateurs, notamment dans la réflexion sur leur travail et la
prise de décisions qui le concernent. Des collaborateurs autonomes et
responsabilisés sont généralement à l’origine de plusieurs innovations
organisationnelles. Le succès des processus d’amélioration continue issus des
pratiques de management de la qualité totale est un exemple patent de ce que
l’autonomie octroyée aux collaborateurs peut apporter à l’organisation en termes
de créativité, d’innovation et de capacité à résoudre les problèmes les plus
complexes. Sur un autre registre, l’empowerment, en donnant à l’employé la
possibilité de se réaliser dans on travail et d’y retrouver une reconnaissance de
ses compétences génère un sentiment d’engagement affectif envers l’entreprise.
Dynamique par nature, l’empowerment conduit les managers à redéfinir en
permanence le périmètre d’activité de leurs collaborateurs. Mais la mise en place
d’un management plus délégatif appelle à modifier les autres pratiques de
gestion des personnes, mises en place pour un cadre de travail moins souple et
plus hiérarchisé. Il est ainsi impossible de penser l’autonomie des collaborateurs
dans un cadre de travail qui définit les postes et les responsabilités de manière
rigide. En effet, l’empowerment est plus compatible avec une logique de
personnes que celle de postes. Les périmètres des fonctions doivent rester
souples et adaptés au degré d’autonomie de chacun. En outre, l’empowerment
cadre mal avec les méthodes classiques de contrôle de l’activité. Les
professionnels des RH devront alors adapter les modes de contrôle à l’évolution
des niveaux d’autonomie accordée aux personnes. L’objectif ultime serait la mise
en place de systèmes de contrôle basés sur la confiance. L’auto-contrôle et la
confrontation constructive des points de vue entre les pairs en sont les modèles
les mieux appropriés à la réalité du travail du savoir.
Toutefois, la recherche de meilleures capacités de création et d’application des
savoirs par l’empowerment ne doit pas se faire de manière hasardeuse et
irréfléchie. L’empowerment ne veut pas dire que l’entreprise renonce aux
principes de pilotage de ses processus en les déléguant, n’importe comment, aux
employés. L’empowerment, rappelons-le, est une technique de management et
c’est en ce sens qu’elle doit être convenablement et rigoureusement structurée.
Cela suppose surtout de mettre en place un dispositif de responsabilisation qui
prend en considération les capacités réelles des employés ainsi que leur volonté
de disposer de marges de manœuvres supplémentaires dans l’exercice de leurs
fonctions. En outre, cela appelle à mobiliser un dispositif de suivi et d’évaluation
des retombées tant individuelles qu’organisationnelles de l’empowerment qui
relève des principes du management par objectifs. Dans l’encadré suivant, nous
reprenons rapidement les conditions nécessaires pour la mise en place d’un
système d’empowerment au sein de l’entreprise.
279
Encadré 5.1. Le pilotage de l’empowerment dans l’entreprise
- Fixer des objectifs clairement perçus et les faire accepter. Un point essentiel dans le
déploiement de l’empowerment consiste à tracer le cadre dans lequel chacun peut exercer son
autonomie sans empiéter sur celle des autres et nuire au bon fonctionnement de l’organisation.
- Déterminer à l’avance, ensemble, les étapes de réalisation, de façon à pouvoir suivre les
réalisations et faire le point régulièrement à des moments prévus à l’avance.
- Contrôler la réalisation des objectifs fixés et les réajuster en fonction du degré d’autonomie
démontré par le collaborateur. Plus un collaborateur se développe, plus on peut élargir et enrichir
ses responsabilités, en lui confiant une part croissante de gestion de son activité.
Ainsi, le pilotage constant de l’empowerment à chacun contribue à augmenter la confiance entre
le manager et le collaborateur, ce qui conduit peu à peu à autonomiser le collaborateur le plus
possible compte tenu du contexte et des personnes.
Source : Bailly et al., (2006 :257).
III.2.2.2 La formation : un vecteur de l’apprentissage par exploration
Le deuxième élément du système RH orienté vers l’apprentissage est la
formation. Les résultats de cette recherche ont montré un impact significatif de la
formation sur les capacités de gestion des connaissances. Ces mêmes résultats
suggèrent aussi que la formation contribue à l’amélioration de la valeur et de
l’unicité du capital humain de l’entreprise. Sur ces bases, nous pensons que les
professionnels des RH auront tout intérêt à inscrire la formation dans un registre
stratégique qui en fait un levier incontestable de gestion des connaissances. Pour
ce faire, nous suggérons la réflexion suivante en trois points.
Premièrement, la formation doit s’inscrire dans le cadre d’une vision
« investissement » du capital humain. Dans l’entreprise tunisienne, la formation
est considérée comme une fonction administrative de la GRH. Le responsable
formation est un intermédiaire entre une demande interne souvent mal définie et
une offre externe abondante et peu diversifiée. Peu valorisée par le management
de l’entreprise, elle se trouve souvent dans l’incapacité de s’assurer le soutien de
la direction générale et de susciter l’adhésion des acteurs organisationnels dans
les différentes phases du processus de formation. Retravailler la vision de la
formation dans l’entreprise semble être donc une urgence. Il incombe dans ce cas
au top management d’engager une réflexion autour de cette question. Dans ce
cas, les entreprises ont tout intérêt à savoir que la vision n’est pas un slogan
utopique. Tout comme le plan de développement de l’entreprise, elle est une
technique de management qui n’a de sens que dans sa mise en œuvre. Comme le
rappelle souvent Jacques Welch, le CEO historique de General Electric parti
vendre ses secrets de réussite dans les quatre coins du globe, les dirigeants
sérieux sont ceux qui prennent des décisions et passent ensuite à l’acte.
280
Deuxièmement, l’effort de formation doit être orienté vers le développement
simultané de la valeur et de l’unicité du capital humain. Sur le plan pratique, cela
veut dire que l’identification des besoins en formation doit prendre en
considération, et de manière simultanée, la nécessité de prévoir des formations
spécifiques au métier et aux activités de l’entreprise et d’autres de type
transversal permettant de développer les compétences génériques du personnel.
Les compétences spécifiques se développeraient mieux dans le cadre de
formations de type intra-entreprise alors que la production de compétences
génériques serait associée aux formations de type inter-entreprises où les acteurs
auront l’occasion d’identifier des expériences et des pratiques menées dans
d’autres organisations et d’apprendre sur la base de l’observation de l’autre.
Troisièmement, une formation génératrice de capital humain devrait se faire au
moyen de stratégie d’apprentissage orientée vers la découverte et l’exploration.
Les formations classiques à forts contenus théoriques ne sont pas adaptées aux
nouveaux besoins des organisations en matière de compétences humaines. Pour
innover et rester compétitives, les entreprises vénèrent les profils de cadres
audacieux, intelligents et explorateurs. Développer en interne ces compétences
personnelles revient, en partie, à engager des actions de formation basées sur le
principe de l’apprentissage par exploration (March, 1991). Les études de cas,
l’apprentissage par problèmes, les mises en situation ou encore l’apprentissage
structuré de type essai-erreur sont autant de dispositifs fiables auxquels peuvent
recourir les professionnels des RH. Dans ce genre de situation, le choix des
formateurs en fonction de leurs préférences d’apprentissage ainsi que la manière
de structurer l’environnement de la formation sont autant de décisions cruciales
que les professionnels des RH doivent prendre au sérieux.
Pour mesurer l’importance des dispositifs de formation dans une organisation
du savoir, l’encadré suivant relate l’expérience de l’entreprise HBH qui fait partie
de l’échantillon de cette recherche. On en retiendra surtout l’engagement de la
direction dans la promotion de l’apprentissage des experts à travers la
mobilisation d’une stratégie de formation « agressive ». Outre le fait qu’elle ne
lésine pas sur les moyens, l’entreprise a mis en place une politique de formation
qui lui permet un apprentissage à la fois interne (séminaires animés par les
consultants maison) et externe (séminaires à l’étranger). Comme le montre
l’exemple, la politique de formation est appuyée par une stratégie de réseautage
international qui permet aux cadres de l’entreprise de profiter des savoirs et
savoir-faire développés chez des institutions financières internationales.
281
Encadré 5.2. La formation et l’apprentissage des experts chez HBH
Etant donné que les connaissances informatiques sont en perpétuel développement, pour
maintenir une position compétitive, HBH doit continuellement veiller à la mise à jour et au
renouvellement de ses compétences. Sans un développement permanent de ses expertises,
l’entreprise tomberait rapidement en désuétude. Pour éviter un tel écueil, HBH accorde une
importance capitale à la formation. Outre un budget de formation avoisinant 10% de son chiffre
d’affaires, elle établit un réseau de partenariat avec plusieurs grandes compagnies informatiques,
comme IBM et avec des organismes financiers internationaux, comme l’union générale(…) Pour
rester en état de veille, les cadres HBH sont appelés à se déplacer pour s’informer et apprendre.
Ils voyagent beaucoup, assistent aux congrès et participent aux multiples séminaires spécialisés.
Chaque mois, des séminaires internes animés par des spécialistes étrangers sont organisés au
profit de l’ensemble du personnel. Outre les compétences locales, HBH fait souvent appel à des
consultants étrangers. Des contractuels syriens, algériens, français et de l’Afrique centrale
travaillent aujourd’hui, ensemble, sur des projets précis. Par la mise en commun de ces
compétences variables, il y a un apprentissage qui profite à chacun des membres et qui renforce
l’expertise de l’entreprise.
Source : Gaha et Mansour (2004 :23).
III.2.2.3 Le management des performances : un dilemme à résoudre.
Un autre enjeu déterminant de la GRH orientée vers l’apprentissage est la mise
en place d’un système de management des performances. En effet, l’une des
questions cruciales en matière de gestion des personnes est de savoir comment,
et selon quels critères, seront faites l’évaluation et la rémunération des
personnes. L’idée d’un système de management des performances repose sur
l’association de trois principes complémentaires, à savoir le management par
objectifs, l’évaluation selon les performances et la rémunération au mérite. En
matière de gestion des connaissances, les pratiques de management des
performances peuvent contribuer à la fixation d’objectifs clairs en matière de
création des connaissances ou d’acquisition de nouveaux savoirs et savoir-faire
par les individus. En outre, les entreprises indexent une partie de la
rémunération sur les compétences en matière de transfert de savoirs et
d’expertises. Pour cela, elles sont appelées à développer une batterie
d’indicateurs de performance dédiés aux comportements d’apprentissage.
Si les résultats de cette recherche confirment l’impact du management des
performances sur le développement des compétences individuelles, ils ne
montrent pas toutefois de liens significatifs avec le climat d’apprentissage. Un tel
résulte se rapproche des conclusions de certaines études empiriques selon
lesquelles le management des performances influencerait négativement le climat
d’apprentissage (Shipton et al., 2006). On comprend aisément que ces pratiques
posent un véritable dilemme aux managers des RH. Poussant le raisonnement au
bout, il est tout à fait possible d’imaginer une situation où le design de ce genre
de pratiques exacerbe les rivalités entre les acteurs et attise les logiques
282
territoriales au nom de l’excellence individuelle. Le management des
performances pourrait ainsi détériorer le climat organisationnel et soutenir
l’émergence de comportements négatifs au travail. Plusieurs études empiriques
sur le transfert des connaissances dans les entreprises du savoir ont pointé du
doigt la responsabilité flagrante des systèmes individualisant de management
des performances (Szulanski, 1996 ; Stenmark, 2001). De tels systèmes
encouragent les comportements territoriaux et soutiennent, sans le vouloir, le
culte du succès individuel. Or, comme le suggèrent les résultats de cette
recherche, c’est de sa capacité à intégrer les différents savoirs individuels dans
un cadre collectif que dépend en grande partie le succès d’une entreprise dans sa
démarche de knowledge management.
Face à cette situation paradoxale, et en l’absence d’une solution miracle, comme
c’est toujours le cas en gestion, nous conseillerons aux professionnels des RH de
mettre en place des pratiques de management des performances équilibrées qui
tiennent simultanément compte des performances individuelles et des
comportements collectifs au travail. Les collaborateurs pourraient ainsi être
évalués et rémunérés selon leurs résultats individuels mais aussi en fonction de
leur contribution aux processus collectifs d’innovation, de partage des
connaissances ou d’application des savoirs. Un tel système de management des
performances est par définition complexe et dynamique. Il appelle à des
ajustements fréquents de la batterie d’indicateurs liés à la performance et à la
rémunération. Un autre problème à résoudre est incarné par la difficulté de
mesurer la productivité du travail intellectuel. Ce problème se complexifie
davantage lorsque le travail est fait dans un cadre d’équipe où il est déjà difficile
de distinguer la contribution de chacun à l’output collectif.
III.2.2.4 Design du travail et réseautage social : penser en termes de communautés de
pratiques
L’un des résultats intéressants de cette recherche a permis de mettre en lumière
l’importance des dispositifs de design du travail et de réseautage social dans la
réussite des processus de gestion des connaissances. En effet, organiser le travail
autour d’équipes flexibles et autonomes et accroitre les opportunités de
réseautage social à travers la rotation des postes et les systèmes de tutorat et de
compagnonnage ont pour conséquence l’intégration des connaissances
individuelles et la coordination d’une quantité importante d’idées, d’expertises et
de sagesse. Ce dispositif d’organisation du travail et des relations sociales affecte
également les capacités de partage des connaissances. La rotation des postes et le
tutorat facilitent la socialisation du savoir, c'est-à-dire le passage de la
connaissance tacite d’une sphère individuelle à une sphère collective (Nonaka et
Takeuchi, 1995). Pour tirer profit des opportunités qu’offre ce design du travail,
283
les managers ont tout intérêt à considérer le rôle important que jouent les
communautés de pratique dans le développement de tels dispositifs.
L’intérêt croissant des entreprises pour la mise en œuvre des communautés de
pratiques tient sans doute à ce qu’elles rassemblent plusieurs caractéristiques
fortement prisées par les entreprises : un libre-investissement des acteurs dans le
partage et la création des savoirs tacites, un mode souple de coordination et un
espace de socialisation qui procure sens et motivation au travail (Soulier, 2004).
Encourager la constitution de communautés de pratiques permet à l’entreprise
de créer le contexte approprié à la mise en œuvre des processus de gestion des
savoirs. Pour une entreprise, cela veut dire accepter l’émergence spontanée d’un
réseau d’individus socialement liés, engagés dans une activité professionnelle,
partageant un langage, des symboles, des préoccupations et qui développent
leurs compétences dans l’échange et les activités collégiales de résolution des
problèmes.
L’émergence des communautés de pratiques aura pour conséquence de
démocratiser la production des savoirs dans l’entreprise. En élargissant la
participation à la formation et le partage des connaissances à tous les membres
de l’organisation, les communautés de pratiques étendent considérablement le
champ d’intervention du knowledge management en « refusant » de penser le
capital intellectuel comme la propriété privée d’une élite dirigeante. Le soutien
organisationnel apporté à l’émergence des communautés de pratiques et la mise
en réseau des individus peut se nourrir d’un ensemble large de dispositifs
organisationnels et managériaux. Les pratiques de tutorat et de compagnonnage,
les systèmes de rotation des postes, l’encouragement des rencontres et des
discussions informelles, l’organisation du travail autour de constellations
temporaires en constituent les principales variantes.
Ainsi, au terme de cette discussion sur les implications managériales de cette
recherche, nous pouvons affirmer que les professionnels des RH auront à jouer
un rôle important dans le développement des capacités de gestion des
connaissances de leurs organisations. En guise de synthèse, le tableau suivant
résume les domaines d’intervention possibles de la fonction GRH dans le cadre
de ces activités.
284
Tableau 5.19- synthèse des recommandations managériales
Actions
sur
les
d’empowerment
pratiques
Actions sur les pratiques de
formation
Actions sur les pratiques de
management des performances
Actions sur le design du travail et
le réseautage social
Objectifs en termes de gestion
des savoirs :
Développer
l’autonomie
des
collaborateurs afin de renforcer les
activités
d’apprentissage
par
exploration.
L’empowerment
contribue à l’innovation individuelle
et collective et améliore les
compétences organisationnelles en
matière de création et d’application
des savoirs.
Objectifs en termes de gestion
des savoirs :
Développer la valeur et l’unicité du
capital humain de l’entreprise en
enrichissant et élargissant les
répertoires de compétences des
employés. Cela permet d’améliorer
substantiellement
les
capacités
individuelles
de
création
et
d’application des savoirs dans
l’organisation.
Objectifs en termes de gestion
des savoirs :
Encourager la fixation, l’atteinte et la
rémunération des objectifs de création
et d’application des connaissances.
Encourager
et
rémunérer
les
comportements coopératifs en matière
de partage d’expertises, d’intégration
des connaissances.
Objectifs en termes de gestion
des savoirs :
Reconcevoir le design du travail dans
un sens qui soutient l’émergence de
communautés de pratiques.
Encourager les opportunités de
réseautage social des individus pour
créer le contexte adéquat aux activités
de gestion des connaissances.
Dispositifs managériaux dédiés
Dispositifs managériaux dédiés
Dispositifs managériaux dédiés
Dispositifs managériaux dédiés
*Redéfinir en permanence le *Recentrer les programmes de *Mettre en place un dispositif de *Soutenir
périmètre d’activité des employés.
*Mettre en place un management
plus délégatif appelant, entre
autres, à modifier les autres
pratiques
de
gestion
des
personnes.
*Définir une stratégie cohérente
d’autonomisation des employés
basée sur les principes du
management par objectifs.
*Tolérer
les
erreurs,
les
approximations et les processus
émergents.
formation sur les besoins en
compétences
spécifiques
et
transversales.
*Ancrer davantage la vision
« investissement » de la formation
dans l’entreprise
*Opter pour des stratégies de
formation adaptées au type
d’apprentissage par exploration.
*Structurer
l’environnement
pédagogique
d’apprentissage
selon
les
principes
de
l’apprentissage par exploration.
fixation
d’objectifs
de
performances en matière de
gestion
des
connaissances :
participation aux activités de
créativité collective, degré de
partage des connaissances, etc.
*Opter pour un système de
reconnaissance équilibré qui tient
compte à la fois des performances
individuelles
et
des
comportements
collectifs
en
termes de partage et de création
des connaissances.
285
l’émergence
de
dispositifs
d’organisation
du
travail spontanés, flexibles et
apprenants
*Multiplier les opportunités de
réseautage social à travers les
systèmes de rotation des postes et
de mobilité interne. Savoir que la
mobilité fonctionnelle engendre la
mobilité intellectuelle
* Mettre en place des dispositifs de
tutorat et de compagnonnage et
en suivre les résultats.
Conclusion
La méthode quantitative suivie dans le cadre de cette recherche a permis de
tester les relations entre les différents construits abordés dans cette thèse. Une
procédure particulière a été en outre appliquée au test du rôle médiateur du
capital humain et du climat d’apprentissage entre les pratiques de GRH orientées
vers l’apprentissage et les processus de gestion des connaissances.
Les conclusions auxquelles nous avons abouti confirment les options théoriques
retenues dans le cadre de cette thèse. En effet, les résultats permettent d’affirmer
que les pratiques de gestion des ressources humaines constituent un levier
important pour développer les capacités de gestion des connaissances de
l’entreprise. En réalité, les pratiques de GRH améliorent substantiellement le
capital humain de l’entreprise et contribuent à l’émergence d’un climat de travail
orienté vers l’apprentissage, ce qui influence positivement les compétences
collectives en matière de gestion des savoirs. Les résultats retenus ont été ensuite
exposés et discutés en les confrontant aux résultats antérieurs d’autres recherches
effectuées sur les construits étudiés.
Au delà de leurs enseignements pour la recherche, les conclusions de cette thèse
fournissent un certain nombre d’apports pour les managers sur le terrain. Elles
contribuent, en effet, à une meilleure compréhension de la dimension
organisationnelle du knowledge management et à la valorisation du rôle des
pratiques RH dans ce domaine. Sur cette base, un corps de recommandations
managériales a été présenté. Ces recommandations concernent autant le contexte
organisationnel et le capital humain que les pratiques de management des
personnes censées les développer dans l’entreprise.
286
Conclusion de la deuxième partie
Une recherche en sciences de gestion s’apprécie à la lumière des apports
théoriques et managériaux qu’elle est en mesure de fournir. Pour arriver à ce
stade, il faut au préalable mobiliser un cadre méthodologique approprié à la
problématique étudiée. Les précautions méthodologiques prises dans le cadre de
cette deuxième partie ont pour finalité de rendre intelligible notre démarche
d’investigation empirique. Ainsi, nous étions amenés dans un premier temps à
clarifier la posture épistémologique de cette recherche et ses conséquences
méthodologiques. Tester un modèle de recherche au moyen de techniques
quantitatives ne peut que cadrer avec une épistémologie positiviste. En effet, le
cadre hypothético-déductif est le plus à même de nous permettre de répondre à
la question centrale de cette recherche. Le modèle mesuré a été construit sur la
base d’une réflexion sur la nature socialement encastrée de la connaissance. S’il
peut paraître inconvenant d’associer théorie d’encastrement social et mesure
quantitative du réel, une telle option semble devenir tout à fait valable dans le
domaine des sciences de gestion où les arguments « de filiation sociologique »
sont de plus en plus intégrés dans le cadre de recherches de fondements
épistémologiques positivistes32.
Globalement, les résultats issus de cette recherche confirment les options
théoriques retenues. Nos résultats sont également cohérents avec plusieurs
recherches antérieures sur le phénomène étudié. Dans le cadre de l’échantillon de
cette étude, la gestion des ressources humaines a été révélée comme levier
essentiel des capacités de gestion des connaissances dans l’entreprise. Ce résultat
corrobore les développements théoriques actuels selon lesquels la GRH serait un
facteur de performance et de création de valeur pour l’entreprise. Il offre aussi un
soutien additionnel aux travaux actuels sur la dimension organisationnelle des
processus d’apprentissage organisationnel, notamment celle en relation avec sa
composante humaine et culturelle.
Au risque de décevoir les apôtres du management universaliste, les suggestions
pratiques issues de cette recherche sont à considérer exclusivement dans les
limites du contexte et du périmètre de cette investigation empirique. Elles
concernent de ce fait les entreprises tunisiennes opérant dans des secteurs
intensifs
en
connaissances
(pharmaceutique,
high-tech,
conseil,
télécommunications, etc.). Dans ces secteurs où les avantages compétitifs de
l’industrie (main d’œuvre bon marché, accès aux matières premières, bases
Comme exemple, les recherches sur le phénomène des « réseaux sociaux » se font de plus en
plus au moyen de méthodes statistiques avancées.
32
287
logistiques étendues) sont quasi inopérants, la performance des entreprises serait
essentiellement déterminée par leur capacité à structure efficacement leurs
ressources immatérielles internes et à tirer profit de toutes les potentialités
qu’offrent leurs ressources humaines. En fournissant un ensemble de
recommandations sur la question du knowledge management, cette recherche
aurait contribué à l’amélioration de ces démarches dans les entreprises ciblées
par cette investigation. Car, on ne le dira jamais assez, la pertinence d’une
recherche en sciences de gestion s’apprécie surtout à la lumière de sa capacité à
résoudre les problèmes autour desquels elle a été engagée.
288
Conclusion générale
La recherche en management des connaissances a touché plusieurs domaines
tels les systèmes d’information, la stratégie de l’entreprise, l’économie
immatérielle, etc. L’intervention de la gestion des ressources humaines dans le
développement et l’expansion des connaissances a été très peu analysée. Ses
rôles ont été souvent marginaux ou simplement occultés. Ce travail a cherché à
montrer la centralité des ressources humaines dans les processus de management
des connaissances. Tout au long de l’analyse du corpus théorique, nous avons
examiné et montré les relations étroites qui existent entre les attributions et
pratiques de la gestion des ressources humaines et la gestion des connaissances ;
leurs multiples imbrications et effets mutuels ont été ainsi clairement ressortis.
L’importance de la gestion des ressources humaines pour le knowledge
management découle de sa contribution à l’avènement, à la fois, d’un capital
humain distingué, inimitable et à compétence ouverte et diversifiée, d’une part,
et d’une mise en ordre des facteurs qui permet l’échange et favorise
l’expérimentation, d’autre part. La mise en combinaison d’une intelligence
humaine renforcée et d’une organisation apprenante autorise l’éclosion de
nouvelles idées et facilite la construction de nouvelles connaissances.
Engager une recherche sur la problématique de la GRH et ses multiples rapports
avec le management des savoirs était une question difficile s’il fallait considérer
l’étendue et la fertilité de notre problématique. Le rapprochement entre l’univers
de la connaissance, « colonisé » par les adeptes des TIC et celui de la GRH,
« colonisé », lui aussi, par un humanisme parfois primaire et souffrant d’un
déficit chronique de crédibilité, s’annonçait une œuvre difficile et non moins
évidente. Un tel rapprochement était difficile, parce que la juxtaposition de ces
deux riches corpus pourrait paraître, a priori, incommensurable. En effet, pour
tout observateur extérieur, il y a là deux « objets » autonomes, chacun faisant
appel à des outils, approches et logiques dissemblables. Alors que la
connaissance semble avoir le relent de la chose formalisée, quantifiée,
modélisable ; la GRH évoque, par contre, l’humain, sa mouvance et sa
complexité. Pourtant, à regarder de plus près, les frontières entre les deux
domaines sont loin d’être hermétiques et encore moins mutuellement exclusives.
Nous avons montré tout au long de l’argumentaire que les deux objets sont
complémentaires : l’un fait l’autre ; l’un est dans l’autre. La connaissance et les
RH semblent être organiquement dépendants, s’inscrire dans la même lignée,
dans le même ordre. Les développements déployés dans cette thèse présument
et mettent au clair cette relation étroite entre connaissances et ressources
humaines. Notre recherche interpelle et fait réfléchir sur les raisons et les
approches à construire pour former une meilleure interpénétration des deux
289
objets, pour faire de la GRH un levier consubstantiel pour les connaissances, leur
gestion, leur partage et leur promotion.
I. Contributions de la recherche
Les apports de cette thèse peuvent être classés en deux ensembles. Les premiers
sont d’ordre théorique. Ils concernent surtout la relecture du corpus portant sur
la thématique centrale retenue : le knowledge management et la GRH. Les
deuxièmes sont d’ordre managérial. Ils concernent les différentes implications et
pratiques que peuvent avoir les résultats de cette recherche pour les managers
sur le terrain.
1. Les contributions théoriques de la thèse
Le bilan théorique de cette thèse fait ressortir trois contributions significatives. La
première découle de l’orientation même de la question de recherche. Elle
concerne l’intégration du management des connaissances dans une
problématique de GRH. Cet effort d’intégration s’est appuyé sur une
déconstruction théorique de la littérature sur le management des savoirs. Rendue
possible par une revue critique du corpus, cette déconstruction nous a servi de
point d’appui pour jeter ensuite les bases d’une perspective « organisationnelle »
du management des savoirs. L’appareil théorique mobilisé pour fonder cette
nouvelle perspective s’est largement inspiré des apports de la théorie de
l’encastrement social (Grannovetter, 1985 ; 1992). L’encastrement social est une
théorie relevant de la sociologie économique. Elle est fondée sur l’idée que les
comportements individuels et collectifs seraient majoritairement influencés par le
contexte social dans lequel ils sont encastrés, inscrits. Ainsi, la gestion des
connaissances serait nécessairement encastrée dans un espace-temps donné ;
dans un contexte organisationnel qui marque et structure ses différents
processus. Elle est ainsi pensée comme un phénomène social et dynamique. Un
tel repositionnement du management des savoirs dans un registre
« organisationnel » nous a permis de constituer un ancrage théorique donnant à
l’étude de la connaissance une assise et une dimension « ressources humaines ».
Le deuxième apport théorique réside dans la construction progressive d’un
modèle de recherche reliant la gestion des ressources humaines et le
management des connaissances. Ce modèle intègre les pratiques de GRH
orientées vers l’apprentissage, la gestion des connaissances, le climat
d’apprentissage et le capital humain. Ces deux derniers construits jouent le rôle
de variables médiatrices dans le modèle théorique proposé. Le tressage théorique
aboutissant au modèle de recherche peut ainsi être résumé comme suit : les
pratiques de GRH peuvent contribuer indirectement au développement des
capacités organisationnelles de gestion des connaissances. Cette contribution se
290
forme à partir de deux instances complémentaires. Au niveau de la première, il
s’agit de développer le capital humain en soutenant la création et
l’enrichissement continu d’un répertoire diversifié de compétences distinctives
dans l’entreprise. Pour la seconde instance, la GRH est appelée à constituer une
“infrastructure culturelle apprenante” qui permet d’accroître l’autonomie de
chacun des employés, de les responsabiliser et de les encourager afin de mettre
en pratique leur créativité et leur potentiel d’innovation. Cette infrastructure
devrait favoriser, par ailleurs, l’engagement du personnel dans des processus de
partage de connaissances et d’expérimentation de leurs expertises.
Enfin, un troisième apport théorique peut être apprécié à la lumière des travaux
actuels en management stratégique des ressources humaines. Ce courant de
recherche s’est constitué autour de travaux ayant pour objectif de démontrer dans un souci constant de recherche de légitimité - la contribution effective de la
GRH à la performance de l’entreprise. Dans la présente recherche, nous avons
défendu et montré en quoi la GRH serait créatrice de valeur. Les résultats
dégagés par cette thèse confirment que moyennant la prise en compte de certains
dispositifs préalables, la GRH est en mesure d’agir de manière décisive sur les
niveaux de performance de l’organisation. Nous avons ainsi pu définir un
ensemble de pratiques GRH orientées vers l’apprentissage. L’empowerment des
collaborateurs, les pratiques de management des performances, la formation et
enfin, les pratiques de design du travail et de réseautage social forment le noyau
dur de cette configuration de pratiques GRH.
2. Les contributions managériales de la thèse
En mettant en analyse leurs démarches de gestion des connaissances, les
entreprises, obnubilées par les attraits d’une technologie de l’information en
plein essor, ont souvent occulté le facteur humain et fait l’économie d’une
réflexion nécessaire sur sa place et ses apports. Façonnées par les directions des
systèmes d’information, l’ensemble des démarches initiées pour gérer les
connaissances a fini par s’inscrire dans une logique techniciste et privilégier un
déterminisme réducteur. C’est cette vision erronée qui a conduit les premières
démarches de gestion des connaissances à des difficultés. Naivement réduit à des
objets parfaitement modélisables, le savoir s’avère etre une ressource morte qui
est peu utilisée et donc peu valorisée. « De là à conclure que la connaissance,
finalement, ne serait nécessaire pour créer de la richesse, il n’y a qu’un pas »
(Ballay, 2003 :8).
En replaçant le management des connaissances dans un registre organisationnel,
cette thèse a montré que la gestion des RH demeure un levier fondamental
d’apprentissage. L’enseignement majeur de notre travail est que les managers
devront considérer la question du savoir sous un autre angle. La connaissance
291
active et agissante se voit dès qu’on observe des gens compétents travailler
ensemble, coopérer, expérimenter de nouvelles idées et utiliser des méthodes et
des outils de manière intelligente. Les résultats empiriques montrent que la prise
en compte de certains dispositifs en matière de GRH permet de développer le
capital humain de l’entreprise et de soutenir l’émergence d’un climat
organisationnel favorable à l’apprentissage et à l’exploration de nouveaux
savoirs et savoir-faire.
Au vu des résultats de cette recherche, il semble que les professionnels des RH
ont à relever nécessairement le défi de la gestion des connaissances. Longtemps
accaparé par les directions des systèmes d’information, le management des
connaissances gagnerait à être déplacé et inséré dans les prérogatives et activités
des responsables des RH. Structure de soutien au projet knowledge
management, la GRH sera ainsi comptable du développement des potentialités
des personnes et de la structuration de l’environnement culturel de
l’apprentissage. La conception de politiques et de pratiques RH ainsi que leur
mise en ordre sont des activités qui reviennent à la fonction RH. En outre, le
contrôle des politiques et stratégies du travail et toute l’organisation des
travailleurs et de leur mise en interaction et en coopération sont du ressort de
cette fonction. C’est pourquoi, la gestion des connaissances devrait aussi lui
appartenir et faire partie de ses missions.
Sans vouloir reprendre ici les implications managériales de la recherche, il est
utile de rappeler que cette étude a permis de définir un certain nombre de
pratiques RH actionnables dans le cadre d’une approche de gestion des
connaissances. En premier lieu, les pratiques d'empowerment, si elles sont bien
négociées et mises en œuvre, peuvent améliorer les compétences des individus et
promouvoir un apprentissage par expérimentation. Les individus apprennent
ainsi sur la base d'une observation informée et valide mais aussi sur la base
d’une expérimentation active et volontaire. En deuxième lieu, les pratiques de
formation s'avèrent nécessaires pour soutenir le développement d'un capital
humain de valeur et spécifique qui, une fois mis en œuvre, participe au
développement des processus de création et d'application des connaissances.
L’intégration de la formation dans une problématique de gestion des
connaissances appelle l’entreprise à revisiter les modes classiques de formation
basés sur de forts contenus théoriques. En effet, une formation génératrice de
capital humain devrait se faire au moyen de stratégie d’apprentissage orientée
vers la découverte et l’exploration. Les études de cas, l’apprentissage par
simulation, les mises en situation ou encore l’apprentissage structuré de type
essai-erreur sont autant de dispositifs fiables auxquels peuvent recourir les
professionnels des RH dans cette perspective.
292
En troisième lieu, le mode d’organisation du travail et les pratiques de
réseautage social se sont révélés, dans le cadre de cette thèse, comme leviers
essentiels des comportements de partage et de création des connaissances. Les
dispositifs collectifs d’organisation du travail affectent les capacités de partage
des connaissances. La rotation des postes et le tutorat facilitent, pour leur part, la
socialisation du savoir, c'est-à-dire le passage de la connaissance tacite d’une
sphère individuelle à une sphère collective. Dans ce cadre, nous avons pointé la
nécessité pour les professionnels des RH de soutenir l’émergence des
communautés de pratiques. Ce type de configuration structurelle représente en
effet un terreau favorable au réseautage social des différentes connaissances et
expertises individuelles.
Enfin, cette étude a montré l’importance des pratiques de management des
performances dans le développement des capacités de knowledge management.
Ces pratiques regroupent le management par objectifs ainsi que l’évaluation et la
rémunération au mérite. Nous avons essentiellement pointé l’importance pour
les professionnels des RH de mettre en place des pratiques de management des
performances équilibrées qui tiennent simultanément compte des performances
individuelles et collectives en matière de création, de partage et d’application des
connaissances au travail.
II. Insuffisances de la recherche
Le bilan de cette recherche fait ressortir des contributions théoriques et
managériales significatives. Les plus importantes ont été précédemment
mentionnées. Cependant, cette recherche ne prétend pas la perfection. Comme
toute production scientifique, elle est partielle et partiale. Elle présente des
insuffisances. Nous en retenons trois.
La première limite est théorique. Elle découle de l’orientation même de la
problématique de recherche. La volonté d’aborder la gestion des connaissances
dans une logique de GRH a réduit le champ de l’analyse théorique. La lecture
proposée dans cette thèse est de montrer, d’une part, les travers et
dysfonctionnements de l’usage prédominant des technologies de l’information
en soulignant l’importance des dimensions sociale et organisationnelle du
management des connaissances, d’autre part. Ainsi définie, notre ligne
conductrice nous a contraints à ne regarder que les interférences entre ces deux
objets thématiques. Pourtant, l’introduction d’autres éclairages tels que le droit,
la culture sociétale ou l’économie industrielle auraient pu enrichir davantage
l’analyse.
La deuxième limite est managériale. Elle découle des implications pratiques de
cette recherche. Certaines suggestions managériales doivent, en effet, être prises
293
avec précaution. D’abord, comme le soutiennent certains chercheurs, certaines
pratiques de management des performances peuvent avoir un impact
endommageant sur les capacités d’apprentissage de l’entreprise. La décision de
relier les rémunérations aux performances individuelles peut parfois entamer les
processus de création et de partage des connaissances. La rémunération selon les
résultats peut inhiber dans de certains cas la créativité des acteurs
organisationnels. Devant l’importance de l’incidence sur les salaires que peuvent
avoir les actions d’expérimentation et de créativité, certains employés, pour
sécuriser leurs revenus, préfèrent renoncer aux activités intellectuelles risquées et
se contentent d’exploiter les idées et les ressources existantes. D’autre part, notre
appel à la conception de mécanismes d’évaluation et d’incitation équilibrant les
performances individuelles et collectives n’est pas moins délicat à mettre en
place du fait de la complexité des procédures à créer et des résistances politiques
qui peuvent émerger.
Sur un autre plan, l’empowerment des collaborateurs ne doit pas être considéré
comme une panacée. S’il est vrai que l’autonomisation et la responsabilisation
des collaborateurs peuvent avoir des retombées positives sur les compétences
collectives de création des savoirs, cela n’exclut pas les risques et les difficultés
de sa mise en œuvre. L’empowerment est en effet générateur de coûts pour
l’entreprise. Les équipes autonomes ou semi-autonomes ont très souvent du mal
à achever leurs projets dans les délais impartis. D’autre part, de telles
configurations sont souvent le siège privilégié de l’émergence de comportements
identitaires et de réflexes claniques. Des conflits entre les membres d’une équipe
ou entre plusieurs équipes sont souvent envisagés. Non prévus et mal gérés, de
tels conflits réduisent l’innovativité et la performance du groupe.
La troisième limite de cette recherche est d’ordre méthodologique. Elle concerne
particulièrement le choix du terrain de l’enquête, c'est-à-dire les entreprises
intensives en connaissances. Cette recherche aurait gagné en information et
enseignement si nous avons pu diversifier le profil des entreprises enquêtées et
constituer un échantillon plus large. Les résultats de cette recherche auraient
gagné en pertinence et sa portée théorique d’une meilleure généralisation si notre
observation du terrain tunisien était beaucoup plus large.
III. Prolongements de la thèse
La qualité d’une recherche en sciences de gestion est aussi tributaire de sa
capacité à soulever des questionnements futurs et aider à la constitution d’un
agenda de recherche. Plusieurs prolongements sont envisageables pour notre
recherche. Trois axes sont possibles. Le premier concerne toujours la relation
entre la gestion des ressources humaines et la gestion des connaissances. La
perspective d’approche sera cependant différente. En effet, il serait intéressant de
294
comparer les effets de modes de GRH différents sur les capacités de gestion des
connaissances. Dans la logique de l’approche configurationnelle du capital
humain, il s’agirait de comparer les effets sur le knowledge mangement d’au
moins deux logiques différentes de GRH (logique de développement interne du
capital humain et logique d’acquisition externe). La pertinence d’une telle
recherche se mesurera surtout à la lumière des implications managériales qu’elle
serait capable de générer. Nous conjecturons que ces implications managériales
pour les DRH porteraient sur des questions aussi importantes que la nature de
les relations d’emploi, les configurations types de GRH, la nature du contrat
psychologique à établir entre l’organisation et son employé ainsi que la nature de
l’apprentissage privilégié par l’entreprise (interne ou externe).
Le deuxième axe de recherche futur portera sur la possible intégration des
approches technologique et organisationnelle au sein d’un même dispositif de
recherche. Plutôt que de les opposer, il serait judicieux d’explorer leur tension
dynamique. Les instruments formels peuvent favoriser le développement des
interactions s’ils sont eux-mêmes soumis à un retour réflexif critique de la part
des utilisateurs. Sans doute, une telle entreprise appelle à la mobilisation des
travaux fondateurs de March (1991) sur la tension dynamique entre
l’apprentissage par exploitation et celui par exploration.
Enfin, le troisième axe de recherche concernerait l’analyse des approches de
gestion des connaissances dans les entreprises tunisiennes, tous secteurs et tailles
confondus. La faiblesse des productions théoriques tunisiennes dans ce domaine
et le peu de validations empiriques rendent une pareille entreprise ardue mais
nécessaire. Dans un environnement caractérisé par l’avènement d’une économie
de la connaissance à l’échelle globale, il serait judicieux de s’interroger sur les
modes et pratiques d’apprentissage développés par les entreprises tunisiennes.
Une attention particulière doit être accordée aux spécificités culturelles,
managériales et humaines de ces entreprises. A l’heure où le savoir est en passe
de devenir le « carburant » de la nouvelle économie, de telles questions
« brûlantes » sur la perception et le management des connaissances dans les
entreprises tunisiennes doivent être élucidées et des enseignements dégagés.
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