Les espaces productifs français ont beaucoup évolué ces trente dernières années. Le recul (voire la disparition) des industries traditionnelles dans le cadre de la nouvelle division internationale du travail a entraîné la reconversion d'anciennes régions industrielles tandis que d'autres activités se développaient en particulier dans les grandes aires urbaines. Les activités économiques françaises se sont donc territorialisées autour des réseaux et carrefours reliant le pays aux grands centres de la mondialisation. Cet impact de la mondialisation sur les espaces productifs est particulièrement perceptible sur les espaces agricoles français confrontés aujourd'hui à la perspective d'importantes mutations. I. Des activités choisies et implantées selon les besoins d'une économie mondialisée A) Le choix de privilégier les territoires les mieux intégrés à la mondialisation • La France est un territoire globalement attractif pour les investisseurs internationaux. Du fait d'abord de sa situation géographique privilégiée au cœur du marché européen et de la zone euro, de son excellente connexion aux réseaux mondialisés, mais aussi de sa qualité de vie, du niveau de formation de sa population et de la qualité de ses services publics. Elle attire ainsi beaucoup d'entreprises et d'investisseurs étrangers. Sa structure de production est différente de celle de ses voisins car elle est plus diversifiée, moins centrée sur un secteur d'activités même si c'est une économie postindustrielle avec un secteur tertiaire qui se développe énormément (elle n'est pas spécialisée dans l'industrie ou la finance comme l'Allemagne et le Royaume-Uni par exemple). • La répartition des principaux espaces productifs français est globalement calquée sur celle des territoires les mieux connectés à l'Europe et au monde : les interfaces maritimes et terrestres (certaines régions transfrontalières), les grandes métropoles au carrefour des réseaux de communication et tous les territoires qui sont dans la proximité immédiate de ces zones. La politique d'aménagement et de développement de l'État et des collectivités territoriales a également permis la création de pôles de compétitivité et de « territoires de l'innovation ». • On observe en France une nette tendance à la métropolisation et à la littoralisation des activités. On assiste ainsi à la concentration d'importants espaces productifs dans les métropoles où sont localisées les activités du tertiaire supérieur (métiers de service à haut niveau de qualification et fonctions de commandement, recherche : 1/3 des emplois à Paris) et les services rares (ex. : hôpitaux). À l'inverse, des industries traditionnelles quittent les villes qui connaissent de fait une forte tertiarisation de leur système productif. • Les littoraux attirent également les activités. Cette littoralisation s'accompagne également d'un phénomène de métropolisation : ce sont les grandes villes portuaires qui sont les plus attractives du fait de leur intégration au système-monde (ce sont des interfaces entre la France et le reste du monde). Plusieurs types d'activités se développent dans les villes littorales. Lorsque les autorités y ont fait des efforts d'aménagement et de desserte, on voit se constituer de vastes zones industrialo-portuaires : les industries s'installent directement dans la zone portuaire où arrivent les matières premières dont elles ont besoin. Les grands ports étant des plateformes multimodales permettant le transfert des flux d'un mode de transport à une autre, ces industries peuvent facilement exporter leur production (Marseille-Fos, Dunkerque, Saint-Nazaire, le Havre ont de telles ZIP). Mais les grandes villes littorales attirent aussi d'autres activités : le tertiaire supérieur, le tourisme (attractivité des zones ensoleillées et en bord de mer : héliotropisme et thalassotropisme), etc. B) Le choix de développer des territoires de l'innovation attractifs et de rattraper les retards technologiques • Le développement des activités de recherche et développement et d'une économie de la connaissance est devenu un objectif majeur pour la France et l'Europe. En effet, l'Europe a un double problème : la concurrence des pays émergents et un retard dans le domaine des technologies et de l'innovation par rapport au Japon et aux États-Unis (les États-Unis sont très actifs pour attirer les cerveaux formés en Europe – brain drain – et racheter les brevets des technologies les plus intéressantes). L'Union européenne ne peut pas concurrencer la main d'œuvre à bas salaires des pays émergents : elle ne peut donc compter que sur le développement de son industrie de pointe et de sa haute technologie pour faire décoller une croissance économique trop faible. C'est l'objectif qu'elle s'est fixée dans la « stratégie de Lisbonne » en 2000 puis dans la « stratégie Europe 2020 » (signée par les États en 2010) : les États européens se sont concertés pour développer l'économie de la connaissance. Il faut donc pour la France développer des espaces productifs dans ce domaine. • Les espaces accessibles, attractifs en termes de financement, possédant les services nécessaires à des activités spécifiques et une main d'œuvre très qualifiée sont très recherchés par les entreprises industrielles. Ces dernières peuvent se regrouper afin de mutualiser les nombreux investissements nécessaires pour le développement de grands laboratoires de recherche. La proximité de centres universitaires réputés et spécialisés dans le même secteur d'activité est également intéressante pour les industries de haute technologie ou des secteurs de pointe. C'est ainsi que se sont développés en France des technopôles sur le modèle déjà ancien de la Silicon Valley américaine. Les entreprises recherchent dans ces espaces des effets de synergie : la proximité de centres universitaires, de laboratoires de recherche et d'industries de pointes spécialisés dans le même domaine et installés sur le même site, permet une efficacité accrue et limite les dépenses (l'entreprise investit dans les recherches fondamentales de l'université qui forme ainsi plus efficacement ses futurs cadres et les scientifiques des laboratoires de recherche qui créent ses nouveaux produits innovants – le tout sur place et sans frais de déplacement). Ces espaces regroupent donc les fonctions du tertiaire supérieur : la conception, le process de fabrication, le financement d'un produit. La production en elle-même peut cependant être répartie sur d'autres sites en France ou à l'étranger (délocalisation, sous-traitance) du fait de la division internationale du travail. • L'État et les collectivités territoriales encouragent ce type de regroupement et ont cherché à attirer les entreprises en créant 71 pôles de compétitivité (politique d'État datant de 2006). L'objectif est aussi d'améliorer la compétitivité spatiale et d'éviter l'extension de la désertification en créant des territoires de l'innovation : d'échelles variables (du quartier à la région), ils concentrent des activités de secteurs variés avec pour objectif de créer un réseau d'activités économiques très performantes (exemple : la Cosmetic Valley en Beauce). Pour désigner ce processus qui vise à développer les interdépendances, les interactions entre l'échelle locale et l'échelle mondiale, on utilise un « mot valise » : la glocalisation (fusion entre les mots « local » et « global », concept également utilisé en marketing pour désigner l'adaptation à une culture locale d'un produit de grande consommation commercialisé à l'échelle mondiale, comme le hamburger végétarien au curry adapté au palais indien). Enfin, dans le même esprit, les autorités cherchent à développer des espaces de coopération transfrontalière, afin de développer localement le marché de l'emploi ou d'investir à plusieurs dans des infrastructures couteuses : ce sont les eurorégions. Mais elles ne sont pas toutes très dynamiques. • Globalement on assiste à une concentration d'activités d'un même secteur économique sur des territoires plus ou moins grands : on parle de territorialisation des activités économiques françaises. Si l'on prend en compte les mutations et reconversions de certains espaces productifs (NordPas-de-Calais), on obtient une carte de France des espaces productifs les plus dynamiques, qui est largement superposable à celle des espaces français connectés aux réseaux de la mondialisation : développement important de l'Île-de-France et de l'Ouest (nouvel espace dynamisé par une mise en réseau d'entreprises), du Sud et du Sud-Est (Sophia-Antipolis, plus célèbre technopôle française), de la vallée du Rhône et de Grenoble jusqu'aux régions transfrontalières de l'Alsace et du Nord-Pas-de Calais. Au centre, des espaces plus marginalisés où les collectivités tentent de développer des pôles de compétitivité comme Clermont-Ferrand. Les territoires d'outremer sont également des espaces marginalisés et des enjeux pour les politiques de développement. II. Les espaces de production agricole français: des espaces occupant une place importante sur le territoire A) Un secteur qui connaît des difficultés et dépend fortement des marchés internationaux • Le secteur agricole français est un secteur à part dans le sens où, même s'il ne représente plus qu'une petite minorité des actifs (environ 3 %), il occupe plus de 50 % du territoire français. Impossible d'étudier les espaces productifs de la France sans lui faire la part belle, d'autant plus qu'il crée de la richesse et surtout façonne les paysages français. • La France est une très grande puissance agricole mondiale, même si l'agriculture ne représente plus que 2,2 % du PIB (ce qui donne une idée de la réalité du développement économique français). Elle est ainsi le 3e producteur agricole mondial derrière le Brésil et les États-Unis, et le premier producteur européen (c'est le « grenier de l'Europe »). Les régions de culture industrielle (viticole ou céréalière comme la Beauce) où se concentrent les industries agroalimentaires (IAA) sont principalement situées de la région Nord-Pas-de-Calais à la région Centre en passant par les grandes plaines du Bassin parisien. La seconde grande région de production viticole tournée vers l'exportation est la région bordelaise. On trouve également des vignobles mondialement connus en Côtes du Rhône et dans le Val de Loire. La Bretagne a développé un élevage productif hors-sol. La carte de ces activités agricoles doit être complétée par celle des secteurs de la pêche, de l'ostréiculture et de l'aquaculture de l'ouest de la France et du Languedoc-Roussillon. • Le succès de l'agriculture intensive français s'explique par sa très forte mécanisation, et par un recours intensif à l'irrigation, aux engrais et aux produits phytosanitaires (même si la tendance actuelle est plutôt à la limitation de ces usages dans le cadre d'une agriculture davantage raisonnée). Le secteur agricole français est associé à une puissante industrie agroalimentaire, qui explique aussi les classements internationaux. C'est un secteur réputé pour sa productivité qui s'appuie sur les plus grandes entreprises agricoles – 27 % des entreprises occupent plus de la moitié de la Surface agricole utile (SAU). B) Un secteur en mutation qui occupe beaucoup d'espace • Malgré des résultats qui paraissent excellents, le secteur agricole français est en fait en crise et en cours de mutation. Totalement intégré à l'économie mondiale, il subit durement les conséquences de la dérégulation du prix des matières premières agricoles sur les marchés internationaux. Il y a quelques années encore, les variations de ces cours étaient limitées dans une certaine fourchette de prix, du fait des efforts de la politique européenne au niveau international et en matière de subventions (on parlait alors de la « forteresse Europe »). Mais la Politique Agricole Commune a été récemment remaniée, et les marchés européens ont été libéralisés. Les cours se sont effondrés avec pour conséquence une baisse substantielle des revenus des agriculteurs jusque dans les plus grandes exploitations céréalières. Ce phénomène est particulièrement important dans les Antilles où la production de bananes est durement concurrencée par celle de l'Équateur et du Cameroun. Cependant, dans la mesure où la modernisation importante des systèmes agricoles a forcé les exploitants à s'endetter, ils doivent maintenir un fort taux de productivité et un volume de production importants pour vivre, tout en restant peu compétitifs face à des pays qui ont recours à une main d'œuvre nombreuse et peu coûteuse. D'où l'importance des subventions européennes pour « faire la différence ». • La situation de l'agriculture française varie donc selon les cas. Les petites exploitations de montagne, très enclavées, peu rentables, sont progressivement abandonnées ou se reconvertissent vers les marchés de proximité et la vente de produits haut de gamme labellisés. C'est aussi le cas pour d'autres petits producteurs et éleveurs français. Certaines régions de grande production et d'élevage intensif restent compétitives (élevage breton lié aux industries agroalimentaires) mais toutes dépendent des cours des marchés des matières premières agricoles. • Cette situation pose problème car, avec la désertification de certaines régions agricoles, les paysages ne sont plus entretenus. Les zones de friches se multiplient et les surfaces boisées françaises ont progressé de 10 % en 10 ans. Cette situation peut paraître positive aux yeux de certains, mais elle pose problème. Les zones enclavées qui ont du mal à se moderniser sont en plein déclin et des travaux importants autrefois assurés par les agriculteurs, comme l'élagage des arbres pour éviter les incendies, ou la mise en friches de certaines zones pour limiter une trop grande concentration de pollens allergènes, reposent désormais sur des communes avec peu de moyens. Pourtant, les paysages agricoles français sont depuis le xixe siècle un atout touristique réel. Il ne faut pas oublier également que l'agriculture reste à la base de notre alimentation et du fonctionnement d'une filière agroalimentaire qui génère des milliers d'emplois. • Dans cette optique, l'idée du développement d'une agriculture durable fait son chemin en France. Cette agriculture plus respectueuse de l'environnement et de la préservation des ressources naturelles de l'Hexagone permettrait aussi la survie d'exploitations agricoles. Son développement est encouragé par les autorités (Grenelle de l'environnement 2007). Il s'appuie aussi sur une augmentation de la demande des consommateurs français en produits labellisés AB (agriculture biologique). Mais pour l'instant, ce type d'agriculture ne représente 2,5 % de la SAU française ce qui place le pays au 21e rang européen.