De l’accablement à la marche
Paul Caro
La mutation change la logique, implacable, de la métamorphose. Ceux qui ont
plusieurs vies, comme larve, comme nymphe, puis comme adulte, transitions
encore compliquées par une foule de mues, parcourent un cycle de
transformations. Certains comme les cicadas (sorte de cigale) nord américains
ne revoient la lumière du jour comme adultes que tous les 17 ans et forment
alors des foules énormes qui passent leur brève existence sous le soleil à dévorer
et à copuler pendant que les bulldozers dégagent les routes qu’ils encombrent.
La répétition cyclique du même semble une garantie de pérennité. Pourtant, à la
longue, les conditions extérieures peuvent changer. Des pressions sont exercées
sur les organismes par les changements dans le climat, dans l’environnement,
dans la nature de la couverture végétale, dans l’abondance des prédateurs.
Certains bien adaptés au sec seront balayés par l’inondation, d’autres qui
aimaient le chaud vont geler dans le froid et vice versa. Le changement engendre
la contrainte, quelquefois mortelle. Inversement, la conquête des territoires
dépend de circonstances favorables comme de subites abondances de nourriture
et aussi de la disparition de la concurrence, des autres donc.
En plus des contraintes externes les vivants sont soumis aux aléas de la
modification interne de leur patrimoine génétique. On sait que celui-ci évolue
avec le temps, « mute ». Encore que les espèces semblent suffisamment bien
fixées pour qu’elles gardent leurs caractères principaux longtemps, jusqu’à ce
qu’une catastrophe environnementale les élimine, comme les dinosaures après
que le ciel leur soit tombé sur la tête. Peut-être, l’un des éléments potentiels qui
provoquent des mutations est le hasard des rencontres avec les particules qui
voyagent depuis le fond de l’Univers, ou qui jaillissent d’un atome radioactif.
Dans un paquet de cellules les brins d’ADN du matériel génétique peuvent être
frappés par un flux de bolides énergétiques. Alors, la nature du message codé
sur le brin par la succession des quatre bases nucléiques, Thymine, Adénine,
Guanine, Cytosine, repérées par les lettres TAGC, peut être altérée. Les
« lettres » sont « lues » par paquets de trois et chacun de ces paquets commande
au système biologique transcripteur l’emploi d’un acide aminé particulier, parmi
un groupe d’une vingtaine, pour réaliser la synthèse des protéines, briques de
base du vivant formées d’un enchaînement de ces acides aminés. Si le message
est altéré, modifié par irradiation ou pour d’autres raisons, un acide aminé peut
en remplacer un autre ou être éliminé, et une protéine différente fabriquée.
Celle–ci, lâchée parmi la masse des substances qui concourent à la
morphogenèse, dans le courant des humeurs et à travers les membranes, va peut-
être trouver quelque part une autre molécule, un récepteur qui n’attendait que
cela pour intervenir dans le jeu des formes et des couleurs qui font l’animal ou la