Pierre Gazin 582694893
16/04/17
Les barrages dans les régions arides du Nord-Est du
Brésil ont-ils des conséquences sur la santé humaine ?
Par Pierre Gazin
Institut de Recherche pour le Développement, CFRMST - Faculté de Médecine de Marseille,
France et Universidade Federal de Pernambuco, Departamento de Doenças Tropicais, Recife
PE, Brasil
Dans les régions semi-arides du Nord-Est du Brésil, le déficit chronique en eau a entraîné
la construction de milliers de barrages dans les lits des cours d’eau temporaires, grands
barrages publics ainsi que nombreux petits barrages privés ou communautaires. Pratiquement
tous les sites possibles sont désormais construits. La multiplication de ces retenues a-t-elle des
conséquences sur l’état de santé des populations riveraines ? Quelles sont ces conséquences ?
Leur bilan est-il plutôt positif ou négatif ? Cette question récurrente du lien entre stockage de
l’eau et effets sur la santé se pose en particulier pour des pathologies infectieuses liées à l’eau
soit du fait de leur transmission par un vecteur aquatique, soit de la vie de leurs agents
infectieux dans l’eau ou en milieu humide.
1 - Quelles sont les principales pathologies liées à l’eau ?
Les schistosomoses
Les schistosomoses, ou bilharzioses, sont des infections parasitaires dues à des vers plats
hématophages vivant dans le système circulatoire de l’homme avec des locations
préférentielles propres à chaque espèce. Ces parasites présentent un cycle de développement
chez l’homme, et chez d’autres vertébrés, aboutissant à l’émission d’œufs avec les excréments
de leurs hôtes. L’embryon ou miracidium doit pénétrer dans un mollusque aquatique spécifique
pour continuer son évolution. Il s’y multiplie de manière végétative intense. Les furcocercaires
sont la forme mobile infectante pour les hommes émise dans l’eau par les mollusques parasités.
Ils nagent jusqu’à rencontrer une victime dont ils pénètrent activement la peau.
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Les schistosomoses sont des infections étroitement dépendantes des contacts entre les
hommes et l’eau douce : contacts pour y introduire les miracidiums avec les excréments,
contacts pour être infecté par les furcocercaires lors des activités de pêche, de jeux, de toilette.
Elles sont les maladies parasitaires les plus étroitement liées à l’eau douce et les plus aptes à
utiliser des modifications de biotope comme les aménagements hydrauliques pour se
développer.
La schistosomose intestinale est présente dans la région de production de la canne à sucre,
en zone littorale du nord-est du Brésil, avec des taux de prévalence qui peuvent être élevés.
Cette situation ancienne est probablement une conséquence de l’introduction massive
d’esclaves originaires de l’Afrique à partir du 16ème siècle. Une enquête en 1950 a observé
qu’un tiers des scolaires étaient infectés dans cette région ainsi qu’une croissance de la
prévalence de l’infection au fur et à mesure de l’éloignement de la côte avec 11% d’infectés à
Belo Jardim, 2% à Arcoverde, 0,7% à Serra Telhada (1). La schistosomose reste actuellement
fréquente dans la zone de la canne avec selon les enquêtes de 30% à 90% de porteurs de
parasites, malgré des campagnes de lutte contre les mollusques et de traitement des infectés (2).
Les mollusques hôtes intermédiaires appartiennent au genre Biomphalaria, avec
principalement B. glabrata dans les régions les plus humides du littoral et B. straminea dans
les régions un peu moins arrosées, jusqu’à la limite de la région agricole dite de l’Agreste.
La crainte de la diffusion de la schistosomose dans le Nord-Est brésilien est ancienne. Elle
a conduit à la réalisation d’enquêtes dans différents secteurs du Sertão à partir de 1979, puis en
1986-1987 dans 23 périmètres gérés par le DNOCS. Ces enquêtes ont mis en évidence la rareté
de l’infection aussi bien chez l’homme : 3 cas parmi 10 200 sujets examinés (municipalités de
Ibimirim dans le Pernambuco, de Condado et Souza dans la Paraíba) que chez les mollusques :
0,1% de positifs parmi 17 000 B. straminea disséqués, tous provenant de Souza (3).
Le contrôle des schistosomoses repose sur la réduction, assez illusoire, des contacts des
hommes avec l’eau, sur l’arrêt du dépôt d’excréments à proximité des berges, donc sur la
construction et l’usage de latrines, et sur l’emploi de produits molluscicides tel que le
niclosamide (Bayluscide®). Ces produits demandent à être appliqués environ une fois par mois
pour être efficaces, donnant alors des résultats intéressants sur la population de mollusques et
sur la transmission (4). Onéreux et peu respectueux de l’environnement, demandant une grande
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continuité dans leur emploi, ils sont rarement utilisés sur une période de temps et un espace
suffisants pour permettre des résultats valables sur le long terme.
Les schistosomoses sont des parasitoses d’accumulation. Les parasites ne se multiplient
pas dans l’organisme humain. Des infections rares sont en général paucisymptomatiques. Le
contrôle de la maladie repose pour partie sur le diagnostic et le traitement des infectés. Les
traitements sont efficaces en prise unique, bien tolérés et peuvent être employés en campagne
de masse. Ils n’aboutissent généralement pas à une diminution marquée de la prévalence mais
ils permettent une réduction importante des fortes infections et de la fréquence des formes
graves. Ainsi, l’oxamniquine (Vansil®) est actif contre S. mansoni. Son emploi dans des sites
du Rio Grande do Norte, de Pernambuco, de l’Alagoas et de la Bahia a permis une réduction
marquée de la fréquence des formes graves, observées désormais surtout chez les sujets les
plus âgés (5, 6). La prévalence de l’infection est restée élevée, sans nette amélioration après 25
ans de traitement dans d’autres sites de la région de Pernambuco (7, 8). Cette discordance
apparente est surtout à mettre sur le compte de la qualité et de la régularité des actions, sur
l’assimilation ou non des recommandations sanitaires par la population et sur les
comportements. Des résultats persistants sont en général observés la lutte est associée à
un développement économique véritable (9).
Le problème posé aujourd’hui par les schistosomoses n’est pas tant celui de leur
transmission et de l’existence cas humains, nombreux, que celui de la mise en place de
structures de dépistage et de traitement associées à la continuité des actions préventives. Il n’y
a aucune fatalité dans l’établissement ou dans la pérennisation de leur transmission dans des
zones bénéficiant de retenues. En cas de transmission installée, il n’y a pas non plus
obligatoirement apparition de conséquences cliniques importantes si les infectés sont
régulièrement et bien traités.
Le paludisme
Le paludisme est une infection parasitaire due à la multiplication dans l’organisme de
protozoaires du genre Plasmodium. Ils sont introduits par un moustique du genre Anopheles
lors de son repas sanguin. Après une phase hépatique d’adaptation, asymptomatique, ils
envahissent des hématies et s’y multiplient intensément, avec un cycle de deux à trois jours,
provoquant des accès fébriles aigus. Des formes sexuées apparaissent et permettent la
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continuité de la transmission si elles sont absorbées par un anophèle. Elles y accomplissent un
cycle de multiplication long, en comparaison de la vie d’un anophèle adulte, avant de le rendre
infectant. La transmission du paludisme exige la présence concomitante de ses trois acteurs, le
Plasmodium, l’anophèle et l’Homme, seul réservoir connu de parasites.
Les anophèles ont une vie larvaire aquatique avec des exigences de biotope strictes,
différentes selon les espèces. Les modifications de l’environnement, en particulier le
défrichage pour la création de zones de culture, leur sont en général favorables. Cette situation,
évidente en Afrique, l’est moins en Asie et dans les Amériques les destructions du couvert
végétal dense peuvent être défavorables à des espèces endémiques ombrophiles.
Une seule infection palustre réussie permet la multiplication intense des protozoaires chez
l’homme. Elle aboutit, en absence d’immunité acquise efficace ou de traitement, à une maladie
aiguë. Celle-ci peut tuer en quelques jours (cas de Pl. falciparum) ou provoquer des crises
itératives se répétant pendant quelques mois (cas des autres Plasmodium). Les médicaments
antipalustres sont nombreux. L’essentiel est la possibilité d’un accès rapide à une structure de
soins capable d’établir un bon diagnostic et de procurer un traitement efficace. C’est avant tout
une question d’organisation, de formation des hommes, de disponibilité de revenus, certains de
ces traitements étant onéreux (jusqu’à 40 euros pour le traitement d’un accès). Le paludisme
est surtout grave pour les populations démunies, sans accès à des professionnels de la santé
compétents et à des soins.
Le paludisme a été présent dans une grande partie du territoire brésilien. A partir de 1870,
l’attention a été portée sur les épidémies atteignant les nombreux émigrants quittant les régions
arides du Nord-Est, dans l’ensemble libres de cette infection, et qui allaient s’installer en
Amazonie pour la récolte de l’hévéa sauvage. Les plaines côtières des états de Rio de Janeiro et
de São Paulo furent également atteintes par de graves épidémies à la fin du 19ème siècle, peut-
être liées à une détérioration du drainage et de l’irrigation. La deuxième guerre mondiale
entraîna une nouvelle forte demande de latex amazonien et un accroissement des cas. Pour une
population de 55 millions d’habitants, le nombre annuel de cas au Brésil était estimé durant les
années 1940 entre 4 et 5 millions, plus de la moitié provenant de l’Amazonie. Une
cinquantaine d’espèces d’anophèles ont éobservées au Brésil. Les vecteurs principaux sont
An. darlingi et An. aquasalis. Ce dernier a été signalé dans l’intérieur du Nord-Est, où il est le
seul vecteur endémique, jusqu’à 200 km de la côte et 600 m d’altitude (10-12).
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Le Nord-Est brésilien a été le site d’une épidémie très particulière. En 1928, An. gambiae,
un des principaux vecteurs africains, a été observé dans le Rio Grande do Norte, puis en 1930 à
Natal (Paraíba). Il avait été vraisemblablement involontairement introduit par les navires
français faisant des voyages rapides entre Dakar et les ports de cette côte. Il se multiplia
intensément, provoquant une épidémie très importante dans la ville de Natal. En 1938, celle-
ciatteignit le Val do Jaguaribe dans l’état du Ceará, y causant en huit mois 150 000 accès et
plus de 14 000 morts. Un service spécialisé de lutte fut organisé, bénéficiant de ressources
importantes du gouvernement brésilien et de la fondation Rockfeller. Il permit l’éradication de
ce vecteur entre 1938 et 1940 (13). Il s’agit d’un exemple à peu près unique de succès complet
de la lutte antivectorielle dans une région tropicale.
Le paludisme a été particulièrement étudié et combattu dans les états de Rio de Janeiro et
de São Paulo dès le début du siècle par des mesures portant d’abord sur l’environnement et le
traitement des malades, puis à partir de 1950 selon le protocole d’éradication proposé par
l’OMS. Cette lutte a été un succès et les cas autochtones dans ces régions sont désormais
inexistants ou très rares (14). Au niveau national, l’incidence la plus faible a été observée en
1970. Depuis, les échanges avec l’Amazonie, les migrations dans cette région de travailleurs
qui défrichent et modifient les conditions d’environnement, un relâchement de la surveillance
ont abouti à un nombre croissant de cas (environ 40 000 cas dus à P. falciparum et 120 000 dus
à P. vivax pendant le premier semestre 1998) (15).
La filariose de Bancroft
La filariose de Bancroft est une parasitose due au développement dans le système
lymphatique de nématodes adultes de l’espèce Wuchereria bancrofti. Les femelles émettent des
embryons, les microfilaires, qui circulent dans le sang généralement avec une périodicité
nocturne, pendant le repos du sujet parasité. Ces microfilaires assurent la continuité du cycle de
transmission par l’intermédiaire de moustiques hématophages qui les absorbent. Elles y
effectuent un cycle évolutif propre avant d’être introduites dans un nouvelle hôte humain lors
d’un repas sanguin. Les genres et espèces de moustiques responsables de la transmission
diffèrent selon les parties du monde. L’Homme semble être le seul réservoir de parasites.
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